Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

Un drame algérien - Alger de ma jeunesse Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

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UN DRAME ALGERIENcoreligionnaires qu'ils ont à se plaindre.Les événements d'Aïn­Touta, en 1916, et de nombreux exemplesqui se sont produits depuis, justifient les réserves faites par denombreux officiers sur les recrues provenant du service obligatoireinstitué à la fin de la grande guerre de 1914­1918. Rappelonsseulement, pour mémoire, le scandale qui eut lieu à cette époque etauquel mit fin Clemenceau : nous voulons parler des entreprisesd'engraissement humain, fournissant aux familles bourgeoises desremplaçants, payés au poids, pour leurs enfants atteints par letirage au sort.En nous gardant de vouloir forcer la note, rappelons quelqueschiffres, émanant de statistiques officielles :Dans la tourmente de 14­18, l'Algérie a fourni à la mère­patrie :— 115.000 soldats d'origine française, soit 1/5 de lapopulation ;— 157.000 soldats d'origine berbère, soit 1/30 de la population.Les chiffes des tués ont été les suivants :— 18.000 Français, soit 15,65 % des partants ;— 19.000 indigènes, soit 12,10 % des partants. Par l'histoire desremplaçants, on peut déduire la place que prennent dans ceschiffes les représentants de l'élite musulmane qui se réclame del'impôt du sang.Le système de recrutement, institué en 1916, subsiste encore en1946. Nous lisons, dans un communiqué du Ministère de laGuerre, daté de 1939 :« Rapport entre le nombre des indigènes algériens inscrits etcelui de la population : 1,70 %.« Rapport entre le nombre des incorporés et celui des inscritsindigènes : 10 %.« Pour la population française, ce dernier rapport est de 93 %.En France métropolitaine, il est de 91 %..270UN DRAME ALGERIEN« Sur 6.300.000 indigènes, il n'est pris, tous les ans, enmoyenne, que 10.500 hommes pour le service militaire. Lesindigènes bénéficient, à cet égard, d'une exonération de 85 % parrapport au service fourni par les citoyens français. »Ajoutons à ces renseignements, qui sont officiels, que depuisnovembre 1942, date de la reconstitution de l'armée de l'Empire,une légère modification a été apportée à ce régime, mais que denombreux cas de dispenses ont été appliqués aux indigènesalgériens, que ne connaissent pas les Français d'origine. C'est cequi explique que pour les dernières campagnes de Tunisie, Italie,France et Allemagne, il a été prélevé, en Afrique du Nord —Maroc compris : 16 % de la population française d'origine, et 2 %de la population indigène. Et c'est ce qui souligne l'importanceproportionnelle des pertes subies par ceux­là mêmes qui ont toutdonné à leur Patrie et que l'on récompense en les chassantd'Algérie...Constatons, en outre, que l'on déforme singulièrement la vérité,en prétendant que notre défense nationale joue entièrement sur lescontingents fournis par les indigènes.***On chasse les Français d'Algérie. C'est là un fait qui ne peutêtre nié et qui met en cause les destins mêmes de la France enAfrique du Nord. Il est profondément attristant d'enregistrer cetteconstatation qui sera, demain, une réalité poignante.Le mouvement est commencé. Il s'accentue rapidement.L'Administration s'en est aperçue, puisqu'elle a essayé de freinerles départs, en refusant d'approuver, pendant un temps, les ventesde propriétés françaises aux indigènes. Mais elle continue àfavoriser ceux qui, malgré tout, voulaient rester. J'attribuais les271

UN DRAME ALGERIENles mesures qui précipitent la catastrophe.Les Pouvoirs publics n'ont pas réagi lorsqu'il en était tempsencore, lorsqu'ils ont été prévenus de l'imminence du drame qui sepréparait. Or, ils avaient été largement alertés par de nombreuxrapports officiels de fonctionnaires de tous ordres, y compris leschefs de gendarmerie et par des appels pressants d'élus.Le drame accompli, l'Autorité, nous l'avons dit :— a couvert d'une protection non déguisée les émeutierséchappés, aux constatations des flagrants délits ;— a gracié les coupables arrêtés et condamnés par lestribunaux militaires ;— a prononcé, récemment, une amnistie à peu près générale,qui a permis aux perturbateurs de rentrer dans les douars la têtehaute, de reformer les groupements d'assaut, genres « Médersas »,« Amis du Manifeste » ou Scouts, qui avaient été dissous, et dereprendre leur programme d'hostilité et de menaces de mort contrel'élément français, témoins ces papiers répandus dans lescampagnes en avril 1946, ou jetés dans les boîtes aux lettres desvilles :« Français, préparez vos valises ou vos cercueils !... »Et comme si l'Algérie française était coupable de ne passuccomber sous l'action d'un tel régime, le législateur de France yajoute la certitude d'une asphyxie totale ; la noyade des Françaissur les prochaines listes électorales, par l'inscription de nouveauxcontingents d'électeurs indigènes, tels que les titulaires decertificats d'études primaires (1) !Un agriculteur du littoral, qui a créé un magnifique vignobledans une région autrefois occupée par des taillis de lentisques,nous disait, ces jours derniers, avec un calme qui dissimulait malUN DRAME ALGERIENson amertume : « J'étais de ceux qui, malgré tout, voulaient rester.J'attribuais les injustices dont nous sommes l'objet à la crised'après­guerre. Je pensais que cela passerait, par l'excès même dumal, que l'on reviendrait à la logique, au bon sens du respect del'autorité. Mais je vois que l'on fait du définitif et de l'irrémédiable.Alors, je me prépare à liquider, avant que les municipalitéschangent de mains, car la vie ne tardera pas à être insupportable, jene veux pas risquer — sur un mot d'ordre contre lequel je seraiimpuissant — de ne pouvoir ramasser mon raisin, au moment desvendanges. »Et les mouvements de départs s'accentuent dans la Colonie —soulignant le suicide de la France en Afrique du Nord — non pasparce qu'il y a eu des massacres en mai 1945, mais parce que l'onassiste à la collusion de nos forces officielles avec les forces de ladémagogie et de la xénophobie orientales...Quelles responsabilités, dans l'Histoire, prennent aujourd'huinos dirigeants !...22 AOUT 1946.(1) Cette disposition a été annulée depuis.272273

UN DRAME ALGERIENles mesures qui précipitent la catastrophe.Les Pouvoirs publics n'ont pas réagi lorsqu'il en était tempsencore, lorsqu'ils ont été prévenus <strong>de</strong> l'imminence du <strong>drame</strong> qui sepréparait. Or, ils avaient été largement alertés par <strong>de</strong> nombreuxrapports officiels <strong>de</strong> fonctionnaires <strong>de</strong> tous ordres, y compris leschefs <strong>de</strong> gendarmerie et par <strong>de</strong>s appels pressants d'élus.Le <strong>drame</strong> accompli, l'Autorité, nous l'avons dit :— a couvert d'une protection non déguisée les émeutierséchappés, aux constatations <strong>de</strong>s flagrants délits ;— a gracié les coupables arrêtés et condamnés par lestribunaux militaires ;— a prononcé, récemment, une amnistie à peu près générale,qui a permis aux perturbateurs <strong>de</strong> rentrer dans les douars la têtehaute, <strong>de</strong> reformer les groupements d'assaut, genres « Mé<strong>de</strong>rsas »,« Amis du Manifeste » ou Scouts, qui avaient été dissous, et <strong>de</strong>reprendre leur programme d'hostilité et <strong>de</strong> menaces <strong>de</strong> mort contrel'élément français, témoins ces papiers répandus dans lescampagnes en avril 1946, ou jetés dans les boîtes aux lettres <strong>de</strong>svilles :« Français, préparez vos valises ou vos cercueils !... »Et comme si l'Algérie française était coupable <strong>de</strong> ne passuccomber sous l'action d'un tel régime, le législateur <strong>de</strong> France yajoute la certitu<strong>de</strong> d'une asphyxie totale ; la noya<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Françaissur les prochaines listes électorales, par l'inscription <strong>de</strong> nouveauxcontingents d'électeurs indigènes, tels que les titulaires <strong>de</strong>certificats d'étu<strong>de</strong>s pri<strong>ma</strong>ires (1) !<strong>Un</strong> agriculteur du littoral, qui a créé un <strong>ma</strong>gnifique vignobledans une région autrefois occupée par <strong>de</strong>s taillis <strong>de</strong> lentisques,nous disait, ces jours <strong>de</strong>rniers, avec un calme qui dissimulait <strong>ma</strong>lUN DRAME ALGERIENson amertume : « J'étais <strong>de</strong> ceux qui, <strong>ma</strong>lgré tout, voulaient rester.J'attribuais les injustices dont nous sommes l'objet à la crised'après­guerre. Je pensais que cela passerait, par l'excès même du<strong>ma</strong>l, que l'on reviendrait à la logique, au bon sens du respect <strong>de</strong>l'autorité. Mais je vois que l'on fait du définitif et <strong>de</strong> l'irrémédiable.Alors, je me prépare à liqui<strong>de</strong>r, avant que les municipalitéschangent <strong>de</strong> <strong>ma</strong>ins, car la vie ne tar<strong>de</strong>ra pas à être insupportable, jene veux pas risquer — sur un mot d'ordre contre lequel je seraiimpuissant — <strong>de</strong> ne pouvoir ra<strong>ma</strong>sser mon raisin, au moment <strong>de</strong>svendanges. »Et les mouvements <strong>de</strong> départs s'accentuent dans la Colonie —soulignant le suici<strong>de</strong> <strong>de</strong> la France en Afrique du Nord — non pasparce qu'il y a eu <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>ssacres en <strong>ma</strong>i 1945, <strong>ma</strong>is parce que l'onassiste à la collusion <strong>de</strong> nos forces officielles avec les forces <strong>de</strong> ladé<strong>ma</strong>gogie et <strong>de</strong> la xénophobie orientales...Quelles responsabilités, dans l'Histoire, prennent aujourd'huinos dirigeants !...22 AOUT 1946.(1) Cette disposition a été annulée <strong>de</strong>puis.272273

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