Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

Un drame algérien - Alger de ma jeunesse Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

10.07.2015 Views

UN DRAME ALGERIEN« Le lendemain de ce jour funeste, les drapeaux ont disparu !La ville était en deuil...Quelques heures après le drame, Sétif recevait la visite dupréfet de Constantine, M. Lestrade­Carbonnel, et du généralDuval, commandant la Division.« Le lendemain ont eu lieu les obsèques des malheureusesvictimes. Le gouverneur Chataigneau est venu, vêtu en civil,accompagné de deux officiers d'ordonnance indigènes. Il estreparti sans avoir accompagné nos morts jusqu'au cimetière...« On a fait beaucoup d'arrestations. Mais les vrais coupables,nous les connaissons tous, sont en vie. Ils sont au régime desinternés politiques. Ce sont ceux­là qu'il fallait frapper d'abord,ceux qui étaient les dirigeants et formaient les cadres ! Pour tuerun serpent, on ne lui coupe pas la queue.« Pauvre Sétif ! Pauvre Algérie ! Pauvre France ! »***Ajoutons à cette lettre, qui méritait d'être reproduiteintégralement, quelques renseignements inédits :Au Collège de Sétif, le lendemain des émeutes, les élèvesinternes indigènes avaient écrit à la craie, sur les tableaux noirs, engrosses lettres : Honneur à nos martyrs musulmans ! Douze d'entreeux ont été exclus des collèges algériens. Quatre professeursdéplacés.Le rassemblement des manifestants de Sétif aurait été sonné parun clairon. De la ville, la nouvelle du soulèvement a été portée, endirection des Babors, par des émissaires, la plupart des chauffeursde taxis ou de voitures, dotés d'autorisations de transports, grâce àla complaisance d'élus indigènes. Nous citons ce fait non pas dansle but d'adresser des critiques à l'autorité, qui a su faire son devoir,d'une façon on peut dire générale, en présence des événements,22UN DRAME ALGERIENmais pour donner un exemple de l'audace des organisateurs,abusant de la bienveillance administrative pour arriver àl'exécution de leurs horribles desseins.A Sétif, comme ailleurs, les chefs de la révolte étaient absentsle jour du drame. Cela devait leur permettre d'invoquer un alibi sil'affaire ne réussissait pas.Enfin, des femmes indigènes mêlées aux manifestants ne secontentaient pas d'encourager les meurtriers par des « you­you ».On en a vu achevant des blessés. D'une façon générale laparticipation des femmes s'est affirmée dans toute l'étendue desterritoires où a sévi le drame.***L'émeute de Sétif s'était produite en plein jour, ce qui a permisde recueillir des indications utiles pour l'enquête qui a suivi. Maisla preuve légale des faits incriminés a été difficile à établir. C'estce qui explique le peu de condamnations prononcées par lestribunaux en présence de dossiers dont beaucoup étaientincomplets. La solidarité dans l'action a provoqué la solidaritédans la défense. Le silence collectif a joué, au cours desinstructions ouvertes, en faveur des accusés.De telle sorte que les audiences des tribunaux militaires n'ontpu révéler qu'une faible partie des détails du drame dont nos villeset nos campagnes ont été les victimes, dans les journées des 8, 9,10 mai 1940. Certains de ces détails n'en ont pas moins étéaffirmés officiellement au cours des débats publics qui ont eu lieu,et ils ont été reproduits par la presse. Nous lisons dans la Dépêchede Constantine, le grand journal d'informations de l'Est algérien, àpropos de Sétif :16 octobre 1945. — « Le Tribunal militaire de Constantine ajugé, samedi, plusieurs graves affaires de pillage, assassinat etincendie volontaire.23

UN DRAME ALGERIEN« Ce fut d'abord le meurtre de M. Jean Jaulin, à Sétif, qui étaitévoqué. On se souvient des faits : Le 8 mai, au marché arabe, M.Jaulin (1) était attaqué par des indigènes et abattu d'un formidablecoup de matraque sur la tête, coup qui lui était porté par Ahmedben Djibel. Un boucher, Saoud Khier, s'avançait alors muni d'uncouperet, et en portait un coup au visage de la malheureusevictime, ce qui entraîna, d'après le certificat médical, la sectiontotale de la mâchoire inférieure. La mort s'ensuivitimmédiatement.« Les vêtements de la victime furent ensuite fouillés et lesassassins s'emparèrent de tout ce qui pouvait présenter unecertaine valeur.« Ahmed ben Djibel et Saoud Khier ont été condamnés à mort.Deux complices se sont vu infliger, l'un vingt ans de travaux forcéset vingt ans d'interdiction de séjour, l'autre en raison de son jeuneâge. dix ans de colonie correctionnelle. »6 novembre 1945 « Pour la seconde fois, les assassins deMM. Capotti, Carré, Grosso, Péguin et Pons répondent de leurcrime devant le tribunal militaire de Constantine. Pour la secondefois, car ces meurtriers de 20 ans ont déjà comparu devant lesjuges, le 22 août dernier. Mais, sur pourvoi, le jugement qui lescondamna à mort fut cassé pour vice de forme.« L'affaire revient donc aujourd'hui. On y a joint celle dumeurtre du gendarme Renald, qui y est étroitement liée. Si bienque ce sont onze émeutiers (deux sont en fuite) qui sont assis aubanc des accusés.« Et de nouveau, c'est le drame de Sétif qui est évoqué, l'émeutequi déferle le 8 mai sur la ville, les bandes de forcenés serépandant dans les rues, tuant et massacrant tous les Européens(1) M. Jaulin était un fonctionnaire retraité du service de la Sécurité publique. Un de ses filsoccupe un poste d'Administrateur en chef de commune mixte dans le département. M. Jaulinjouissait de l'estime générale.24UN DRAME ALGERIENrencontrés. Successivement, MM Capotti, Carré, Grosso, Péguin etPons tombèrent sous leurs coups. Dans une autre rue, c'était legendarme Renald qui, après avoir été assommé à coups de bâton,était achevé d'un coup de couteau (1). Meurtres horribles, commisavec une férocité inouïe et dont la seule évocation fait frissonner.« Pâles, livides, les accusés écoutent avec attention la lecture del'acte d'accusation et c'est en tremblant qu'ils viennent à la barrerépondre à l'interrogatoire du Président, le colonel Faivet. Mais,condamnés à mort une première fois, ils savent qu'ils jouent leurtête. Et ils vont tout nier, même leurs propres aveux, accusant lespoliciers de les avoir arrachés par la violence.« Après l'interrogatoire, on entend divers témoins, notammentles inspecteurs de la Sûreté qui menèrent l'enquête. »7 novembre 1945 « Voici les condamnations prononcées par leTribunal militaire.« Peine capitale : Akli Mohamed (par contumace), SaoudiSaad, Laoula Mohamed, Djaouati Mohamed, Akli Hamêche, AribiMohamed, Meftah Zitonni et Bourefda Taïeb.« Travaux forcés à perpétuité : Bouassid Ahmed, DjaoudiMohamed et Bouras Ali.« Amari Amar a été acquitté.« Ajoutons que Laoula Mohamed était poursuivi commeassassin de M. Hadamar Charles, fonctionnaire de l'inspection duTravail, abattu par lui dans une rue de Sétif ; son cousin et coaccuséLaoula Amor était acquitté. »13 novembre 1945 « Ce sont encore deux crimes horribles,commis à Sétif, au cours des émeutes du 8 mai, qu'a évoqués,samedi, le Tribunal militaire de Constantine,(1) On sait quels coups rapides et mortels portent les "boussaadis", couteaux effilés et pointusdont les indigènes se servent, pour se raser. Il est peu d'indigènes des campagnes n'ayant pas, enpermanence, son boussaadi protégé par une gaine, pendu à son cou, vers le dos, et qu'un simplecoup d'épaules fait passer a portée de sa main.25

UN DRAME ALGERIEN« Ce fut d'abord le meurtre <strong>de</strong> M. Jean Jaulin, à Sétif, qui étaitévoqué. On se souvient <strong>de</strong>s faits : Le 8 <strong>ma</strong>i, au <strong>ma</strong>rché arabe, M.Jaulin (1) était attaqué par <strong>de</strong>s indigènes et abattu d'un formidablecoup <strong>de</strong> <strong>ma</strong>traque sur la tête, coup qui lui était porté par Ahmedben Djibel. <strong>Un</strong> boucher, Saoud Khier, s'avançait alors muni d'uncouperet, et en portait un coup au visage <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>lheureusevictime, ce qui entraîna, d'après le certificat médical, la sectiontotale <strong>de</strong> la mâchoire inférieure. La mort s'ensuivitimmédiatement.« Les vêtements <strong>de</strong> la victime furent ensuite fouillés et lesassassins s'emparèrent <strong>de</strong> tout ce qui pouvait présenter unecertaine valeur.« Ahmed ben Djibel et Saoud Khier ont été condamnés à mort.Deux complices se sont vu infliger, l'un vingt ans <strong>de</strong> travaux forcéset vingt ans d'interdiction <strong>de</strong> séjour, l'autre en raison <strong>de</strong> son jeuneâge. dix ans <strong>de</strong> colonie correctionnelle. »6 novembre 1945 « Pour la secon<strong>de</strong> fois, les assassins <strong>de</strong>MM. Capotti, Carré, Grosso, Péguin et Pons répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> leurcrime <strong>de</strong>vant le tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine. Pour la secon<strong>de</strong>fois, car ces meurtriers <strong>de</strong> 20 ans ont déjà comparu <strong>de</strong>vant lesjuges, le 22 août <strong>de</strong>rnier. Mais, sur pourvoi, le jugement qui lescondamna à mort fut cassé pour vice <strong>de</strong> forme.« L'affaire revient donc aujourd'hui. On y a joint celle dumeurtre du gendarme Renald, qui y est étroitement liée. Si bienque ce sont onze émeutiers (<strong>de</strong>ux sont en fuite) qui sont assis aubanc <strong>de</strong>s accusés.« Et <strong>de</strong> nouveau, c'est le <strong>drame</strong> <strong>de</strong> Sétif qui est évoqué, l'émeutequi déferle le 8 <strong>ma</strong>i sur la ville, les ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong> forcenés serépandant dans les rues, tuant et <strong>ma</strong>ssacrant tous les Européens(1) M. Jaulin était un fonctionnaire retraité du service <strong>de</strong> la Sécurité publique. <strong>Un</strong> <strong>de</strong> ses filsoccupe un poste d'Administrateur en chef <strong>de</strong> commune mixte dans le département. M. Jaulinjouissait <strong>de</strong> l'estime générale.24UN DRAME ALGERIENrencontrés. Successivement, MM Capotti, Carré, Grosso, Péguin etPons tombèrent sous leurs coups. Dans une autre rue, c'était legendarme Renald qui, après avoir été assommé à coups <strong>de</strong> bâton,était achevé d'un coup <strong>de</strong> couteau (1). Meurtres horribles, commisavec une férocité inouïe et dont la seule évocation fait frissonner.« Pâles, livi<strong>de</strong>s, les accusés écoutent avec attention la lecture <strong>de</strong>l'acte d'accusation et c'est en tremblant qu'ils viennent à la barrerépondre à l'interrogatoire du Prési<strong>de</strong>nt, le colonel Faivet. Mais,condamnés à mort une première fois, ils savent qu'ils jouent leurtête. Et ils vont tout nier, même leurs propres aveux, accusant lespoliciers <strong>de</strong> les avoir arrachés par la violence.« Après l'interrogatoire, on entend divers témoins, notammentles inspecteurs <strong>de</strong> la Sûreté qui menèrent l'enquête. »7 novembre 1945 « Voici les condamnations prononcées par leTribunal militaire.« Peine capitale : Akli Mohamed (par contu<strong>ma</strong>ce), SaoudiSaad, Laoula Mohamed, Djaouati Mohamed, Akli Hamêche, AribiMohamed, Meftah Zitonni et Bourefda Taïeb.« Travaux forcés à perpétuité : Bouassid Ahmed, DjaoudiMohamed et Bouras Ali.« A<strong>ma</strong>ri A<strong>ma</strong>r a été acquitté.« Ajoutons que Laoula Mohamed était poursuivi commeassassin <strong>de</strong> M. Hada<strong>ma</strong>r Charles, fonctionnaire <strong>de</strong> l'inspection duTravail, abattu par lui dans une rue <strong>de</strong> Sétif ; son cousin et coaccuséLaoula Amor était acquitté. »13 novembre 1945 « Ce sont encore <strong>de</strong>ux crimes horribles,commis à Sétif, au cours <strong>de</strong>s émeutes du 8 <strong>ma</strong>i, qu'a évoqués,samedi, le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine,(1) On sait quels coups rapi<strong>de</strong>s et mortels portent les "boussaadis", couteaux effilés et pointusdont les indigènes se servent, pour se raser. Il est peu d'indigènes <strong>de</strong>s campagnes n'ayant pas, enper<strong>ma</strong>nence, son boussaadi protégé par une gaine, pendu à son cou, vers le dos, et qu'un simplecoup d'épaules fait passer a portée <strong>de</strong> sa <strong>ma</strong>in.25

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