Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

Un drame algérien - Alger de ma jeunesse Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

10.07.2015 Views

UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIEN***Retenons enfin ce fait significatif :Les élections dites cantonales qui ont eu lieu en septembre 1945ont envoyé dans les Conseils généraux algériens des indigènes quiavaient pris position contre la France en signant les différentsmanifestes demandant la disparition de notre autorité et de notredrapeau de l'Afrique française. C'est à des majorités écrasantes queces hommes ont été élus par leurs coreligionnaires. Plusieursétaient en prison, détenus et accusés de faits graves, à la suite desémeutes de mai 1945. Voilà qui augmente de façon sensible lepourcentage relevé par le ministre de l'Intérieur, M. Tissier, quiétait du reste dans son rôle en essayant d'atténuer la portée desfaits, afin de diminuer les appréhensions de l'opinion publique.La vérité vraie, hélas ! n'est pas d'accord avec la véritéofficielle.Et le danger persiste en Algérie et, on peut le dire, dans toutel'Afrique du Nord.242LES LEÇONS DU PASSEGouverner c'est prévoir, a­t­on dit souvent. Nous pouvonsajouter : prévoir, c'est surtout s'inspirer des leçons du passé. Or,après cent quinze ans, les leçons du passé sont nombreuses pournous, en Afrique du Nord. Les émeutes de 1945 ont eu desprécédents de nature à nous instruire sur le caractère et lesdispositions des indigènes à notre égard dès que l'on fait appelchez eux à la passion religieuse. Quelles conclusions utiles pournotre défense avons­nous tiré des événements sanglants dont nousavons été trop souvent les victimes ? Nous pouvons sans hésiterrépondre : Aucune.Prenons un exemple :Le 12 novembre 1916, on apprenait avec quelque émotion, auGouvernement général de l'Algérie, qu'une révolte venaitbrusquement d'éclater à Mac­Mahon, chef lieu de la communemixte d'Ain Touta, dans l'arrondissement de Batna, qui fait partie,comme Sétif et Guelma, du Constantinois. Les événements avaient243

UN DRAME ALGERIENrapidement tourné au tragique : le sous­préfet, M. Gasinelli, entournée de révision dans la région, surpris la nuit, en pleinsommeil par l'attaque du bordj administratif, était sorti de sachambre, pour se rendre compte de ce qui se passait.Il avait été assommé à coups de matraques par les émeutiers,après une belle et inutile résistance. L'Administrateur de lacommune mixte, M. Marseille, descendant rapidement l'escalierqui desservait son appartement, était tué à coups de feu avantd'atteindre le rez­de­chaussée ; sa fillette, affolée, voyant tomberson père, s'était précipitée sur son corps et recevait une balle quimit, pendant plusieurs semaines, ses jours en danger ; le bordj étaiten feu, il devait être en partie détruit ; Mme Marseille dutl'abandonner avec ses enfants, sans avoir eu le temps de prendredes vêtements indispensables.Un piquet de zouaves, amené la veille à Mac­Mahon (unedizaine d'hommes), réussit à dégager la maison commune. Lesémeutiers se répandirent alors dans le village et dans la campagne,dans un but de meurtre et de pillage. Le brigadier forestierTerrezano, surpris chez lui, fut assassiné à son tour. Le chef degare ne dut son salut qu'au dévouement d'une femme indigène.Il fallut toute une expédition militaire pour mettre à la raison lesrévoltés. Une fois de plus le plateau de la Mestaoua, entouré deravins profonds, qui avait déjà servi de camp retranché auxinsurgés de 1871, fut le refuge des tribus soulevées contre notreautorité. Nous avons eu de nouveaux morts à déplorer, devéritables expéditions punitives à assurer. Alors que nous étions enguerre en Europe, il fallut faire venir des troupes de France.Il fut démontré que l'autorité avait été prise au dépourvu. Elleavait cependant été alertée à la session récente d'octobre auConseil général de Constantine, où des élus avaient affirmé que laUN DRAME ALGERIENsituation était plus qu'inquiétante et qu'il fallait s'attendre à desévénements graves.Le calme revenu, après bien des efforts et de douloureuxsacrifices, on prescrivit une enquête ; un vieux fonctionnaire en futchargé ; il se nommait M. Depont, il était chef du service del'Inspection générale des communes mixtes en Algérie et assuraitla direction intérimaire des Territoires du Sud.Son rapport ne vit jamais le grand jour de la publicité ; il futclassé parmi les documents secrets. Ses conclusions ne furentconnues de personne ou à peu près, ce qui fit penser qu'ilconstituait une défense tellement exagérée des formulesadministratives en matière de politique indigène qu'il valait mieux,dans un sentiment de pudeur compréhensif, ne pas le diffuser.On se trompait ; le rapport de M. Depont est un travailconsciencieux et courageux, qui a dit la vérité sur le drame d'AïnTouta et a signalé, avec une indépendance qui est toute à l'éloge deson auteur, les fautes commises et la conduite à observer dansl'avenir, afin d'éviter le retour de faits aussi graves que fâcheuxpour la sécurité et la dignité françaises.Les fonctions que nous avons occupées dans les assembléesd'Alger nous ont valu, il y a quelques années, la faveurexceptionnelle d'obtenir l'autorisation de lire ce document. Nousen avons retenu une impression réconfortante, celle que lesFrançais d'Algérie ne manquent jamais d'avoir en présence d'unfonctionnaire sachant rester, en toute occasion, vraiment digne dela tâche qui lui a été confiée.La leçon d'Histoire donnée à ses chefs par M. Depont, àl'occasion de la tragédie de Mac­Mahon, méritait vraiment d'êtrepubliée. Elle est d'une haute portée morale et constitue unenseignement qui aurait dû nous éviter le retour aux éternelles244245

UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIEN***Retenons enfin ce fait significatif :Les élections dites cantonales qui ont eu lieu en septembre 1945ont envoyé dans les Conseils généraux <strong>algérien</strong>s <strong>de</strong>s indigènes quiavaient pris position contre la France en signant les différents<strong>ma</strong>nifestes <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndant la disparition <strong>de</strong> notre autorité et <strong>de</strong> notredrapeau <strong>de</strong> l'Afrique française. C'est à <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>jorités écrasantes queces hommes ont été élus par leurs coreligionnaires. Plusieursétaient en prison, détenus et accusés <strong>de</strong> faits graves, à la suite <strong>de</strong>sémeutes <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945. Voilà qui augmente <strong>de</strong> façon sensible lepourcentage relevé par le ministre <strong>de</strong> l'Intérieur, M. Tissier, quiétait du reste dans son rôle en essayant d'atténuer la portée <strong>de</strong>sfaits, afin <strong>de</strong> diminuer les appréhensions <strong>de</strong> l'opinion publique.La vérité vraie, hélas ! n'est pas d'accord avec la véritéofficielle.Et le danger persiste en Algérie et, on peut le dire, dans toutel'Afrique du Nord.242LES LEÇONS DU PASSEGouverner c'est prévoir, a­t­on dit souvent. Nous pouvonsajouter : prévoir, c'est surtout s'inspirer <strong>de</strong>s leçons du passé. Or,après cent quinze ans, les leçons du passé sont nombreuses pournous, en Afrique du Nord. Les émeutes <strong>de</strong> 1945 ont eu <strong>de</strong>sprécé<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> nature à nous instruire sur le caractère et lesdispositions <strong>de</strong>s indigènes à notre égard dès que l'on fait appelchez eux à la passion religieuse. Quelles conclusions utiles pournotre défense avons­nous tiré <strong>de</strong>s événements sanglants dont nousavons été trop souvent les victimes ? Nous pouvons sans hésiterrépondre : Aucune.Prenons un exemple :Le 12 novembre 1916, on apprenait avec quelque émotion, auGouvernement général <strong>de</strong> l'Algérie, qu'une révolte venaitbrusquement d'éclater à Mac­Mahon, chef lieu <strong>de</strong> la communemixte d'Ain Touta, dans l'arrondissement <strong>de</strong> Batna, qui fait partie,comme Sétif et Guel<strong>ma</strong>, du Constantinois. Les événements avaient243

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