Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

Un drame algérien - Alger de ma jeunesse Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

10.07.2015 Views

UN DRAME ALGERIENcartouches. On ne pourrait résister longtemps. Que faire ? Oncéda. On donna les 3 fusils de chasse que l'on avait. On espéraitainsi...L'assaut continua... Des pierres énormes étaient projetéescontre les portes et les fenêtres, sur les tuiles mêmes de la maison,qui tombaient en morceaux, sur les plafonds, avec un bruit sourd.La nuit vint, et une veillée angoissante et tragique commençapour les assiégés — qui se demandaient ce qui se passait au loin,dans les villages de la région. Le soulèvement était­il général ?Fallait­il, alors, désespérer de recevoir des secours ?Vers 8 heures du matin, on perçoit des coups de feu dans levillage, suivis d'une rumeur de foule en fuite. Puis un bruit demoteur qui s'arrête.C'est l'Administrateur de Sédrata, M. Seguy­Villevaleix, quiarrive pour apporter aide et protection aux lycéens de sa commune,dont la situation critique lui a été signalée. Il n'est pas seul. Il estaccompagné de volontaires, de l'adjudant Cuki, des douaïrs, dugendarme Guillard, de M. Lo­Pinto André, adjudant en permissionde détente, affecté à l'artillerie de Constantine, après un séjour enAllemagne, de deux douaïrs, plus le chauffeur, employé de la S.I.P.de Sédrata.Le camion de Sédrata est venu butter contre un barrageconstruit par les indigènes à l'entrée du village. Ce barrage a étéfait avec des demi­buses en ciment destinées à la confection decanaux. Le camion bloqué a été l'objet d'une fusillade desémeutiers. M. Seguy­Villevaleix a donné l'exemple, bientôt suivipar tous les arrivants, en sautant à terre et en ouvrant le feu.3 indigènes restent sur le terrain. Les autres se sauvent. Leurnombre est estimé, en cet endroit, à 400.Depuis 20 kilomètres déjà, les sauveteurs voyaient des groupesse hâter vers la route, gardée, de loin en loin par des indigènes.214UN DRAME ALGERIENL'Administrateur a, plusieurs fois, posé la question :— Où allez­vous ?On lui répondait : « A Guelma, où l'on nous appelle. »Les défenseurs du barrage ayant disparu, on laisse là la voitureet l'on se hâte vers la maison Messerschmirt. On frappe. Del'intérieur on hésite à ouvrir. Ce sont les étudiants de Sédrata qui,reconnaissant la voix de l'Administrateur, lui permettent d'entrer.Avec la population de Lapaine, il y a, dans la maison assiégée,M. Aréla, marchand d'essence à Guelma, qui, ayant quitté cetteville, le matin de bonne heure, se rendant avec son auto à Sédrata,avait été obligé de s'arrêter à Lapaine, en présence de l'hostilitémanifestée par les indigènes. Il a dû laisser sa voiture dans la rue,où il la retrouvera hors d'état de rouler, brisée par les manifestants.***Ouvrons ici une parenthèse :Indépendamment de la maison Messerschmitt, un autreimmeuble avait reçu l'assaut des insurgés : le bureau de poste, quela receveuse, Mme Ménard, avait refusé d'évacuer, et qu'elleoccupait, par devoir professionnel, avec sa jeune fille, âgée de 16ans. Là aussi la situation était, rapidement, devenue tragique. A 2heures du matin, les volets de la fenêtre du bureau commençaient àcéder sous les pierres projetées du dehors. Pendant trois heures, lescoups avaient redoublé. Il fallait envisager l'éventualité de l'entréedes malfaiteurs dans le local occupé par les deux femmes.Un ami, parent de la receveuse, nous a confié ce détailpoignant : Devant l'imminence du danger, la pauvre mère s'étaitglissée dans la cuisine et en avait rapporté un couteau effilé qu'elleavait déposé, sans mot dire, sur sa table de travail. Elle étaitdécidée, si le pire arrivait, si les forcenés entraient dans le bureau,215

UN DRAME ALGERIENà poignarder sa fille et à se tuer ensuite. Ils n'auraient pas, dumoins, son enfant,...Le moindre commentaire affaiblirait la portée de ce geste,digne d'une grande Française...***Revenons à M. Seguy­Villevaleix.L'Administrateur a un grand camion américain de 3 tonnes etdemie. Il examine la situation : ne peut­on emmener tout lemonde ? 21 personnes avec les enfants. C'est beaucoup. Mais en seserrant bien... Et l'on s'entasse dans le véhicule, en positioncouchée, pour n'être pas trop exposés aux balles, grâce aux ridellesd'acier qui forment balustrades protectrices. Car il va falloir sebattre au retour, contre des attaques probables, prévues commecertaines.La prévision se réalise. Les indigènes ont eu le temps deconstruire 3 barrages, contre lesquels on va avoir à lutter. Lepremier est à 3 ou 4 kilomètres de Lapaine. Il est formé de grosblocs entassés sur la route. On les écarte. On passe sans trop deretard.Le deuxième est à 800 mètres plus loin. On le franchit sansdescendre de voiture, en tenant les agresseurs à distance parquelques coups de fusil. Il n'est pas haut.Le troisième, à un kilomètre, est formé de gros blocs. Il a 50centimètres de hauteur. Il faut descendre pour se frayer un passage.Devant les coups de fusil, les indigènes s'écartent de la route.Ils gagnent les hauteurs. Mais leur nombre est inquiétant.— Ah ! monsieur l'Administrateur ! Quelle reconnaissancenous vous conserverons jusqu'à la fin de vos jours ! dit une femmefrançaise.216UN DRAME ALGERIENM. Villevaleix riposte eu riant ; « Merci, madame, mais vous nevous engagez peut­être pas pour bien longtemps, avec ce qui sepasse ».Le danger, en effet, est réel. Après le troisième barrage, prèsd'un pont à moitié démoli par les émeutiers, au lieu ditBensemech, la voiture reçoit un coup de feu d'un indigène,camouflé au bord de la route. L'adjudant Lo­Pinto est touché parles plombs, à la figure, aux deux mains, au ventre ; 3 plombs quientrent dans la gorge seront extraits à l'arrivée.Le gendarme Guillard est atteint aussi, moins gravement.On réussit à passer.A 10 kilomètres de Lapaine, une panne ! Le radiateur est percé,il ne conserve plus l'eau de refroidissement. Le moteur chauffe. Onprend en hâte de l'eau dans les ruisseaux, on craint l'arrêt définitifet fatal.Trois fois on s'arrête pour la même opération. On s'énerve. Oncommence à désespérer de pouvoir arriver à destination. Et,partout, on voit des gens hostiles.On atteint enfin la limite de la commune mixte de Sédrata.L'Administrateur rassure ses compagnons. Ici, le danger est bienmoindre. Il a pris des dispositions pour cela. C'est bientôt l'arrivéeà Sédrata. Le convoi est sauvé, la joie est générale. La populationreçoit les rescapés, les jeunes étudiants retrouvent leurs parents.On félicite les sauveteurs...Une certaine inquiétude régnait cependant au chef­lieu de lacommune mixte.Le 9 mai, c'est­à­dire la veille du jour tragique pour Lapaine, lepays avait été mis en état d'alerte. Vers 11 heures du soir, lagendarmerie avait distribué des armes aux Européens. On avaitassuré le repli des Français isolés dans les fermes. On était prêt àtout événement.217

UN DRAME ALGERIENà poignar<strong>de</strong>r sa fille et à se tuer ensuite. Ils n'auraient pas, dumoins, son enfant,...Le moindre commentaire affaiblirait la portée <strong>de</strong> ce geste,digne d'une gran<strong>de</strong> Française...***Revenons à M. Seguy­Villevaleix.L'Administrateur a un grand camion américain <strong>de</strong> 3 tonnes et<strong>de</strong>mie. Il examine la situation : ne peut­on emmener tout lemon<strong>de</strong> ? 21 personnes avec les enfants. C'est beaucoup. Mais en seserrant bien... Et l'on s'entasse dans le véhicule, en positioncouchée, pour n'être pas trop exposés aux balles, grâce aux ri<strong>de</strong>llesd'acier qui forment balustra<strong>de</strong>s protectrices. Car il va falloir sebattre au retour, contre <strong>de</strong>s attaques probables, prévues commecertaines.La prévision se réalise. Les indigènes ont eu le temps <strong>de</strong>construire 3 barrages, contre lesquels on va avoir à lutter. Lepremier est à 3 ou 4 kilomètres <strong>de</strong> Lapaine. Il est formé <strong>de</strong> grosblocs entassés sur la route. On les écarte. On passe sans trop <strong>de</strong>retard.Le <strong>de</strong>uxième est à 800 mètres plus loin. On le franchit sans<strong>de</strong>scendre <strong>de</strong> voiture, en tenant les agresseurs à distance parquelques coups <strong>de</strong> fusil. Il n'est pas haut.Le troisième, à un kilomètre, est formé <strong>de</strong> gros blocs. Il a 50centimètres <strong>de</strong> hauteur. Il faut <strong>de</strong>scendre pour se frayer un passage.Devant les coups <strong>de</strong> fusil, les indigènes s'écartent <strong>de</strong> la route.Ils gagnent les hauteurs. Mais leur nombre est inquiétant.— Ah ! monsieur l'Administrateur ! Quelle reconnaissancenous vous conserverons jusqu'à la fin <strong>de</strong> vos jours ! dit une femmefrançaise.216UN DRAME ALGERIENM. Villevaleix riposte eu riant ; « Merci, <strong>ma</strong>dame, <strong>ma</strong>is vous nevous engagez peut­être pas pour bien longtemps, avec ce qui sepasse ».Le danger, en effet, est réel. Après le troisième barrage, prèsd'un pont à moitié démoli par les émeutiers, au lieu ditBensemech, la voiture reçoit un coup <strong>de</strong> feu d'un indigène,camouflé au bord <strong>de</strong> la route. L'adjudant Lo­Pinto est touché parles plombs, à la figure, aux <strong>de</strong>ux <strong>ma</strong>ins, au ventre ; 3 plombs quientrent dans la gorge seront extraits à l'arrivée.Le gendarme Guillard est atteint aussi, moins gravement.On réussit à passer.A 10 kilomètres <strong>de</strong> Lapaine, une panne ! Le radiateur est percé,il ne conserve plus l'eau <strong>de</strong> refroidissement. Le moteur chauffe. Onprend en hâte <strong>de</strong> l'eau dans les ruisseaux, on craint l'arrêt définitifet fatal.Trois fois on s'arrête pour la même opération. On s'énerve. Oncommence à désespérer <strong>de</strong> pouvoir arriver à <strong>de</strong>stination. Et,partout, on voit <strong>de</strong>s gens hostiles.On atteint enfin la limite <strong>de</strong> la commune mixte <strong>de</strong> Sédrata.L'Administrateur rassure ses compagnons. Ici, le danger est bienmoindre. Il a pris <strong>de</strong>s dispositions pour cela. C'est bientôt l'arrivéeà Sédrata. Le convoi est sauvé, la joie est générale. La populationreçoit les rescapés, les jeunes étudiants retrouvent leurs parents.On félicite les sauveteurs...<strong>Un</strong>e certaine inquiétu<strong>de</strong> régnait cependant au chef­lieu <strong>de</strong> lacommune mixte.Le 9 <strong>ma</strong>i, c'est­à­dire la veille du jour tragique pour Lapaine, lepays avait été mis en état d'alerte. Vers 11 heures du soir, lagendarmerie avait distribué <strong>de</strong>s armes aux Européens. On avaitassuré le repli <strong>de</strong>s Français isolés dans les fermes. On était prêt àtout événement.217

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