UN DRAME ALGERIENLA MORT D'UN COLONNous avons à relater, ici, la mort horrible réservée à un jeunecolon qui fut le gendre d'un homme estimé <strong>de</strong> tous dans la région :M. Luzet.On a bien voulu nous communiquer une lettre écrite par la<strong>ma</strong>lheureuse veuve du colon Halbe<strong>de</strong>l, document évoquant lesdétails atroces <strong>de</strong> la scène qui a ensanglanté une ferme isolée, oùse débattaient en vain un ménage français et une fillette <strong>de</strong> 7 ans.Le <strong>ma</strong>tin du <strong>drame</strong>, la ferme gérée par M. Halbe<strong>de</strong>l étaittranquille, comme à l'ordinaire. Le personnel accomplissait latâche coutumière sans que rien puisse faire prévoir la scènetragique qui allait avoir lieu. Le temps était au beau : une journée<strong>de</strong> printemps.A 8 heures, ayant fait le tour du propriétaire dans les écuries etles <strong>ma</strong>gasins, André Halbe<strong>de</strong>l fait atteler son cheval et part envoiture à la ferme voisine, dont il a la surveillance, qui appartientégalement à son beaupère, et que l'on a coutume d'appeler encore,par une vieille habitu<strong>de</strong>, la ferme Boijol. Il va chercher <strong>de</strong> la198UN DRAME ALGERIENnourriture à distribuer a ses khamès.Il avait terminé ce qu'il avait à faire ; il se préparait à repartirlorsqu'un indigène s'approche <strong>de</strong> lui et, en confi<strong>de</strong>nce, lui dit quece qui se passe est <strong>ma</strong>uvais, qu'il ne <strong>de</strong>vrait plus retourner chez lui,<strong>ma</strong>is partir au village où il serait en sécurité.— Mais, objecte le jeune français, il faut que j'aille chercher <strong>ma</strong>femme et <strong>ma</strong> petite fille !— Ne fais pas cela ! insiste l'ouvrier. Elles ne craignent rien. Ilsne leur feront pas <strong>de</strong> <strong>ma</strong>l. Mais toi, pars tout <strong>de</strong> suite au village, etvite !Halbe<strong>de</strong>l ne voit qu'une chose : sa femme et sa fille en danger.Résolument, il saute dans sa voiture et va rejoindre sa famille pourl'emmener avec lui, L'avertissement qu'il vient <strong>de</strong> recevoir nesaurait l'étonner. Depuis longtemps, on sent dans le pays unetension anor<strong>ma</strong>le <strong>de</strong>s esprits. Il ne faut s'effrayer <strong>de</strong> rien, <strong>ma</strong>iss'attendre à tout.Et le colon presse son cheval. Il lui tar<strong>de</strong> d'arriver à Sekaka, telest le nom <strong>de</strong> son exploitation. Il arrive à quelques mètres <strong>de</strong> laferme. Il reçoit une grêle <strong>de</strong> pierres lancées par une centained'indigènes qui se trouvent là, en proie à une excitation très vive.Le cheval s'affole. Le conducteur saute à terre et, prenant la bêtepar la bri<strong>de</strong> il traverse, en courant, la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>s agresseurs etpénètre dans la cour, par le portail ouvert.La meute le suit. Il abandonne son cheval et bondit dans sa<strong>ma</strong>ison d'habitation par la porte donnant sur la cuisine. Il trouve safemme très émue qui lui explique, en phrases saccadées, qu'unindigène la surveille et vient, à chaque instant, s'assurer <strong>de</strong> cequ'elle fait. A toute éventualité, elle a préparé les trois carabines etles cartouches. Deux prisonniers italiens sont là, pour remplacer la<strong>ma</strong>ind'œuvre qui se raréfiait <strong>de</strong>puis quelque temps. Ils sontimmobiles et muets.199
UN DRAME ALGERIENTout à coup, on entend <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> hache portés par lesémeutiers sur la <strong>de</strong>uxième porte <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison, celle qui donne surun vestibule accédant à l'escalier du premier étage. La hache estl'instrument <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s indigènes <strong>de</strong> la région, tous plus oumoins bûcherons. On entend la porte craquer et tomber enmorceaux. Les agresseurs sont dans l'immeuble, il faut se hâter.Rapi<strong>de</strong>ment Halbe<strong>de</strong>l charge les carabines et en tend <strong>de</strong>ux auxprisonniers, qui se sauvent sans prendre les armes. Le colon sebattra seul. La salle à <strong>ma</strong>nger est envahie. Le père, décidé à tenirtête, crie à sa femme <strong>de</strong> se sauver et d'aller se cacher avec la petiteJosée dans le « roncier ». On appelle ainsi une petite étendue <strong>de</strong>terrain non défriché qui sépare le jardin <strong>de</strong> la forêt. Il y a là <strong>de</strong>sbuissons épais, envahis par <strong>de</strong>s ronces, où <strong>de</strong>s passages étroitspermettent <strong>de</strong> pénétrer et <strong>de</strong> se cacher.Toute à son enfant, n'ayant plus aucun réflexe d'initiativepersonnelle, la mère obéit. En <strong>de</strong>scendant les escaliers qui, <strong>de</strong> laterrasse, font accé<strong>de</strong>r au jardin, elle entend le crépitement d'unemitrailleuse. Elle ne s'y trompe pas. C'est son père qui arrive. Il vales sauver. Elle reprend courage et remercie la Provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> cesecours attendu et qui vient à temps. Mais le crépitement a cessé.Que s'estil passé ?La <strong>ma</strong>lheureuse femme a su, plus tard, les circonstances qui ontempêché son père, M. Luzet, <strong>de</strong> venir jusqu'à elle...Elle se réfugie dans le roncier. Elle entend les coups portés parla carabine <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri. Elle voit ce <strong>de</strong>rnier, fuyant à son tour la<strong>ma</strong>ison envahie, arriver en hâte près d'elle. Il va se cacher àquelques mètres <strong>de</strong> sa femme. On le poursuit. <strong>Un</strong> indigènedécouvre Mme Halbe<strong>de</strong>l, il l'oblige à sortir du fourré. Elle tient safille dans ses bras. Celui qui la menace est bien connu d'elle : c'estle fils et le frère <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux khamès <strong>de</strong> l'exploitation. Il est réputécomme <strong>ma</strong>uvais sujet.200UN DRAME ALGERIENLa femme du colon subit un rapi<strong>de</strong> interrogatoire :— Où est ton <strong>ma</strong>ri ?— Je ne sais pas.— Dismoi où il est ou je te tue !Et le bandit présente son fusil, prêt à tirer.Devant cette menace, André se découvre. — Me voilà, ditilsimplement.L'émeutier l'ajuste, à 7 ou 8 mètres à peine. Il tire. Le Françaisreste <strong>de</strong>bout ; il semble ne pas avoir été touché. Cependant, il neréagit pas. Sa femme re<strong>ma</strong>rque que sa carabine tourne <strong>de</strong> façonétrange dans sa <strong>ma</strong>in droite. Il doit avoir le poignet brisé. L'armene tombe pourtant pas. André s'avance, sans trébucher. Il reçoit<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> cailloux. Il est ensanglanté, <strong>ma</strong>is il est calme. Ondirait qu'il se recueille. S'adressant à sa femme, il lui ditsimplement :— Chérie, rentrons à la <strong>ma</strong>ison.Mme Halbe<strong>de</strong>l, obéissant, se hâte. Sa fille Josée, la figureapeurée, se crispe contre elle. La mère se retourne à temps pourvoir son cher André s'effondrer sans un cri, sans un mot. Elle sejette vers lui, l'appelle avec <strong>de</strong>s expressions <strong>de</strong> tendresse. Il nerépond pas... Il ne répondra plus.Tout à coup, une hache s'abat, le coup porte <strong>de</strong>rrière la tête <strong>de</strong>la victime inanimée. La tête est presque séparée du corps. <strong>Un</strong><strong>de</strong>uxième coup <strong>de</strong> hache, porté par le même bandit, ouvre uneénorme blessure à la cuisse droite, qui est cassée.La pauvre femme pousse <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> détresse : « Pitié pour unmort ! Mon pauvre chéri ! » C'est alors contre elle que s'exercentles agresseurs. Ils la frappent avec le côté non tranchant <strong>de</strong> lahache et avec <strong>de</strong>s bâtons. Ils ne veulent pas la tuer, ce serait sifacile ! Ils la réservent pour une autre fonction. La sauvage tuerie aun programme, prévu d'avance.Les coups continuent à pleuvoir sur le cadavre pantelant et201
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