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Un drame algérien - Alger de ma jeunesse

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UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIEN


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENEUGENE VALLETUN DRAMEALGÉRIENLA VERITE SUR LES EMEUTES DE MAI 1945LES GRANDES EDITIONS FRANÇAISESPARIS


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENEn hom<strong>ma</strong>ge ému au souvenir <strong>de</strong> ceuxqui sont morts pour donner à la France leplus bel empire qui soit...E. V.Tous droits <strong>de</strong> traduction, <strong>de</strong> reproduction et d'adaptation réservéspour tous pays y compris l'U. R. S. S.Copyright by LES GRANDES ÉDITIONS FRANÇAISES, 1948.


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENPRO MEMORIA...Des désordres sociaux d'une extrême gravité se sont produits enAfrique du Nord, pays français <strong>de</strong>puis cent quinze ans, au début dumois <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945.Brusquement, les Français d'Algérie se sont trouvés enprésence du commencement d'exécution d'un complot <strong>de</strong> vasteenvergure, s'étendant sur tout le territoire <strong>de</strong>s trois départements <strong>de</strong>Constantine, <strong>Alger</strong> et Oran.Ce complot, préparé <strong>de</strong> longue <strong>ma</strong>in, avait pour but <strong>de</strong> fairedisparaître, par le fer et le feu, tout ce qui portait un nom françaisdans le pays, pour y instaurer on ne sait quelle organisationberbère, à la sol<strong>de</strong> ou agissant pour le compte <strong>de</strong> puissancesoccultes non encore divulguées, <strong>ma</strong>is s'appuyant ouvertement surles partis extrémistes dont la France rencontre l'action <strong>de</strong>structivechaque fois qu'un conflit mondial met son existence en péril.Il s'en est fallu d'un simple hasard que l'incendie7


UN DRAME ALGERIENEt grâce à une propagan<strong>de</strong> couverte par la censure officielle,l'opinion publique, en France, était — et reste encore —audacieusement trompée, abusée sur la situation et l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>sFrançais d'Algérie — fonctionnaires, commerçants et colons.Le résultat <strong>de</strong> cette politique — que l'état <strong>de</strong> guerre ne sauraitexpliquer, <strong>ma</strong>is qu'il empêchait <strong>de</strong> critiquer ouvertement, car lacensure à sens unique était impitoyable — a abouti aux journéessanglantes <strong>de</strong>s 8 et 9 <strong>ma</strong>i 1945, où plus <strong>de</strong> cent Français furent<strong>ma</strong>ssacrés dans <strong>de</strong>s conditions horribles, rappelant, dans unraccourci effrayant, le grand <strong>drame</strong> <strong>de</strong>s circoncellions, dont lesmêmes campagnes furent témoins, à quatorze siècles <strong>de</strong> distance...Le <strong>drame</strong> est passé, comme passent tous les événements, mêmeles, plus douloureux, pour les sociétés hu<strong>ma</strong>ines.Chose triste à dire : le danger n'est pas écarté pour la France etses représentants, en Afrique du Nord. Il persiste et il s'aggrave.On semble refuser <strong>de</strong> s'inspirer <strong>de</strong>s enseignements <strong>de</strong>l'expérience vécue si tragiquement. On fait pis encore : on cache lavérité. On fausse l'Histoire, dans un sentiment que la raison etl'équité se refusent à expliquer. On jette un voile sur <strong>de</strong>s faits dontil faudrait tirer <strong>de</strong>s conclusions logiques, exemptes <strong>de</strong> passion,<strong>ma</strong>is fermes, afin d'en éviter le retour.On gracie les coupables, condamnés régulièrement par <strong>de</strong>stribunaux. On renvoie dans le bled ces éléments nocifs etperturbateurs qui, forts <strong>de</strong> l'impunité inattendue dont ils viennentd'être l'objet, et qu'ils attribuent à <strong>de</strong> la faiblesse (pour ne pasemployer un autre mot), <strong>de</strong>viennent plus arrogants, plus agressifs,plus menaçants.10UN DRAME ALGERIENOn voudrait préparer <strong>de</strong>s len<strong>de</strong><strong>ma</strong>ins rendant inéluctablel'évacuation totale <strong>de</strong>s Français <strong>de</strong> l'Afrique du Nord que l'onn'agirait pas autrement.Les Français d'Algérie, qui avaient quelque droit <strong>de</strong>s'enorgueillir <strong>de</strong> l'œuvre accomplie par eux et surtout par leursascendants — dont les tombes garnissent les cimetières du bledafricain — vont­ils être acculés à cette extrémité ?Certains, déjà, songent à cette solution, combattue parbeaucoup.Leur laissera­t­on le droit <strong>de</strong> se défendre auprès <strong>de</strong> leurs frères<strong>de</strong> France, odieusement trompés sur la situation exacte existant ausud <strong>de</strong> la Méditerranée ? Leur permettra­t­on <strong>de</strong> soulignerl'injustice criante que l'on commet à leur égard et qui risque — encompromettant gravement la situation <strong>de</strong> notre pays sur la plateforme,désor<strong>ma</strong>is historique, qui a sauvé la civilisation dans leduel gigantesque qui vient <strong>de</strong> prendre fin — <strong>de</strong> diminuer à ja<strong>ma</strong>isla position <strong>de</strong> notre nation dans le concert européen ?Trop <strong>de</strong> mensonges effrontés ont été répandus. <strong>Un</strong> <strong>ma</strong>lentendugrave, doit disparaître.Comment ?En disant la vérité, la vérité simple, la vérité vraie.Or, la vérité est toute à l'honneur <strong>de</strong>s Français <strong>de</strong> l'Afrique duNord, dans le <strong>drame</strong> <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945, dont on cherche à détruire lesarchives.Elle montre <strong>de</strong>s faits d'évi<strong>de</strong>nce que l'on doit mettre en pleinelumière, dans un souci <strong>de</strong> justice impartiale.Le premier <strong>de</strong> ces faits est que, partout où les Français isolésont eu quelques instants, si courts soient­ils, pour organiser leur,défense, ils l'ont fait avec une crânerie, un courage et unepersévérance qui font honneur à notre race.11


UN DRAME ALGERIENLa <strong>de</strong>uxième <strong>de</strong>s constations est que, <strong>ma</strong>lgré la propagan<strong>de</strong>nocive, ouvertement déclenchée dans les milieux autochtones,<strong>ma</strong>lgré les menaces qui ne leur ont pas été épargnées (et quicontinuent à s'exercer), <strong>de</strong>s indigènes sont restés fidèles auxamitiés françaises.La troisième est que l'armée a sauvé la situation, <strong>ma</strong>lgré lesfaibles moyens dont elle disposait. Tout l'honneur en revient à seschefs, aux officiers, sous­officiers et soldats qui, résolument,parfois isolément, se sont jetés, sans souci du danger, en rasecampagne, au milieu <strong>de</strong> milliers d'insurgés, qu'ils ont mis en fuite,arrêtant ainsi le plus atroce <strong>de</strong>s carnages. Parmi ces soldats, ceshéros, étaient <strong>de</strong>s indigènes. Certains ont payé leur dévouement <strong>de</strong>leur vie.Ces exceptions doivent être constatées, soulignées dans unsentiment d'équité, dont nous ne <strong>de</strong>vons ja<strong>ma</strong>is nous départir,même dans les plus graves <strong>de</strong>s conjonctures.Nous employons ce mot « exceptions » par comparaison avec la<strong>ma</strong>sse <strong>de</strong>s émeutiers, réunis en <strong>ma</strong>ints endroits, sur un simple motd'ordre, et donnant l'impression d'une unanimité totale dansl'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s révoltés.Cet entraînement du milieu a reçu, chose inouïe, lacollaboration spontanée, les directives, pouvons­nous dire, <strong>de</strong>fonctionnaires indigènes locaux qui, grâce à nous, avaient étéélevés aux gra<strong>de</strong>s sociaux les plus enviables, beaucoup à la dignité<strong>de</strong> citoyens français, certains même ayant pénétré notre civilisationau point d'épouser <strong>de</strong>s femmes françaises.Nos observations seraient incomplètes si nous ne rendionshom<strong>ma</strong>ge aux nombreux fonctionnaires français qui, sentinellesavancées <strong>de</strong> notre civilisation, dans le bled <strong>algérien</strong>, ont suvaillamment faire face à leur <strong>de</strong>voir, en courant les plus grandspérils, aux côtés <strong>de</strong>s colons.12UN DRAME ALGERIENIl y a eu quelques défaillances regrettables, heureusement trèsrares, <strong>de</strong> personnalités administratives. Constatons le fait,simplement pour mémoire. Il ne fait que souligner davantage labelle attitu<strong>de</strong> prise par la presque unanimité <strong>de</strong> ceux qui, ayant laresponsabilité du pouvoir et <strong>de</strong> l'ordre, à l'intérieur et dans lesvilles menacées, ont su rester dignes <strong>de</strong>s fonctions dont ils étaientinvestis.Ces constatations faites, entrons dans le vif du récit <strong>de</strong>sévénements qui ont <strong>ma</strong>rqué les journées tragiques <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945, enAlgérie, en élaguant, <strong>de</strong> parti­pris, tout détail douteux ou qui nenous serait pas confirmé par <strong>de</strong>s témoins dignes <strong>de</strong> foi.13


UN DRAME ALGERIENLE DRAME DE SETIFC'est à Sétif qu'a jailli la première étincelle qui amis le feu à lapetite Kabylie, en <strong>ma</strong>i 1945.Sétif, <strong>de</strong>venue un centre commercial important, collectant lesgrosses productions d'une région où les colons, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>nombreuses années, ont appliqué les formules scientifiques <strong>de</strong> laculture <strong>de</strong>s céréales, était administrée par un <strong>ma</strong>ire débonnaire etconciliant estimé <strong>de</strong> tous : M. Deluca, avoué, nommé, <strong>de</strong>puisquelques mois, Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Délégation provisoire.M. Deluca succédait à un <strong>ma</strong>ire élu, le Dr Masselot,Administrateur pondéré et équitable, jouissant également <strong>de</strong> lasympathie générale. On peut donc dire que les municipalitéssétifiennes ne donnaient aucune excuse au mécontentement <strong>de</strong>sindigènes.Mais Sétif était un centre d'agitation antifrançaise, où <strong>de</strong>sinci<strong>de</strong>nts nombreux s'affir<strong>ma</strong>ient comme tendancieux et visantdirectement l'autorité française.14UN DRAME ALGERIENDéjà, cette cité avait été le théâtre d'un <strong>drame</strong> évocateur d'unétat d'esprit particulier.<strong>Un</strong>e émeute à caractère militaire avait, été esquissée le 1erfévrier 1935. Il s'en était fallu <strong>de</strong> peu que l'affaire prît uneimportance <strong>de</strong>s plus grave. On lui avait donné une couleurantijuive, ce qui n'a pas été démontré, cette traduction pouvantcependant s'expliquer par les troubles qui, le 5 août 1934, avaientensanglanté les rues <strong>de</strong> Constantine et dont les détails horrifiantssont encore présents à la mémoire <strong>de</strong> tous les Algériens.Malgré les démentis officiels, il est établi que les inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>février 1935, à Sétif, ont eu pour acteurs principaux <strong>de</strong>s soldatsindigènes, précipitamment sortis <strong>de</strong> la caserne pour venger lesca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s engagés dans une querelle <strong>de</strong> <strong>ma</strong>ison close. Il y eut <strong>de</strong>smorts : un militaire et un agent <strong>de</strong> police français, M. Colas, tombéau cours <strong>de</strong> l'assaut forcené d'un poste <strong>de</strong> police. Des civils venantrenforcer le groupe <strong>de</strong> perturbateurs, l'émeute gagna la ville et <strong>de</strong>spillages <strong>de</strong> <strong>ma</strong>gasins se sont produits. Il fallut une interventionénergique pour mettre fin à la <strong>ma</strong>nifestation.Ces événements n'avaient pas <strong>ma</strong>nqué d'avoir une répercussiondans tout le département — notamment à Canrobert, Aïn­Beïda,Guel<strong>ma</strong>. <strong>Un</strong> rapport officiel donne ces conclusions précises : « Iln'est pas exagéré <strong>de</strong> dire qu'à cette heure, l'autorité française estméconnue. Partout, dans les villes comme dans les campagnes, lesindigènes sont exaltés au point d'être convaincus qu'ils constituentune force, avec laquelle nous <strong>de</strong>vons désor<strong>ma</strong>is compter. L'ordrepublic est à la merci du moindre inci<strong>de</strong>nt ou d'un faux bruitquelconque. Il est juste temps <strong>de</strong> réagir si l'on ne veut pas que lasituation, grave aujourd'hui, <strong>de</strong>vienne sans issue <strong>de</strong><strong>ma</strong>in. »1935... on n'a pas réagi. Et les événements <strong>de</strong> 1939­44 n'étaientpas faits pour décourager les fauteurs <strong>de</strong> troubles.15


UN DRAME ALGERIENC'est à Sétif qu'habitait Ferhat Abbas, le phar<strong>ma</strong>cien nanti <strong>de</strong>nombreux <strong>ma</strong>ndats électoraux, <strong>de</strong>venu le chef <strong>de</strong> l'organisationayant pour programme la disparition <strong>de</strong> tous les Françaisd'Algérie, puis le député siégeant à la Constituante <strong>de</strong> 1945. C'est àSétif qu'avait été rédigé le <strong>ma</strong>nifeste du 3 février 1943, résu<strong>ma</strong>nt,en <strong>de</strong>s phrases impératives, les prétentions du nouveau partixénophobe issu <strong>de</strong> l'ancien parti du Dr Bendjelloul, conseillergénéral du chef­lieu.Nous aurons à revenir sur l'action agressive <strong>de</strong>s « Amis duManifeste », alliés au parti populaire <strong>algérien</strong> (P.P.A.) et soutenuspar le groupe <strong>de</strong>s Oulé<strong>ma</strong>s, prenant ses mots d'ordre en Orient, etcréateur <strong>de</strong>s Mé<strong>de</strong>rsas occultes, installées peu à peu dans tous lescentres urbains et ruraux du département <strong>de</strong> Constantine et <strong>de</strong>sgroupes <strong>de</strong> scouts, jeunes musul<strong>ma</strong>ns entraînés pour les assautsfuturs...Bornons­nous ici à enregistrer les faits qui se sont déroulés le 8<strong>ma</strong>i 1945 dans la cité sétifienne :Le 18 <strong>ma</strong>i, dix jours après, l'administration communiquait à lapresse la note officielle qui suit :« Le 8 <strong>ma</strong>i, un cortège <strong>de</strong> musul<strong>ma</strong>ns <strong>de</strong>vait partir <strong>de</strong> laMosquée <strong>de</strong> la gare, vers 9 h. 15, pour se rendre au monument auxmorts. L'autorisation avait été accordée, sous réserve expresse quela <strong>ma</strong>nifestation n'aurait pas un caractère politique, et que le défilés'effectuerait sans pancartes ou ban<strong>de</strong>roles. Cette promesse ne futpas tenue. Des panneaux portant <strong>de</strong>s inscriptions telles que :Libérez Messali ! Nous voulons être vos égaux ! furent exhibés.Les <strong>ma</strong>nifestants, au nombre <strong>de</strong> 8 à 10.000, déferlèrent dans la rueClemenceau et se heurtèrent à la police, à hauteur <strong>de</strong> l'Hôtel <strong>de</strong>France. Aussitôt <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu claquèrent et les passants furentagressés et abattus à coups <strong>de</strong> pistolets, <strong>de</strong> couteaux et <strong>de</strong> bâtons.16UN DRAME ALGERIEN« La police et la gendarmerie réagirent vigoureusement, aidéespar la troupe alertée, dont l'arrivée sur les lieux fut presqueimmédiate.« Les <strong>ma</strong>nifestants, repoussés, continuèrent toutefois à attaquerles Français isolés dans les différents quartiers <strong>de</strong> la ville, etnotamment au <strong>ma</strong>rché, où <strong>de</strong>s émeutiers, qui obéissaient sansdoute à un mot d'ordre, assassinaient tous les passants qu'ilsrencontraient. »« Vers onze heures, l'ordre fut rétabli et la force publiquecommença les opérations <strong>de</strong> nettoyage, effectuant les perquisitionset les arrestations qui s'imposaient.« Nombre <strong>de</strong>s victimes : 22 tués, dont M. Deluca, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>la Délégation spéciale <strong>de</strong> Sétif ; Vaillant, ex­prési<strong>de</strong>nt du Tribunalcivil, Raynal, <strong>ma</strong>réchal <strong>de</strong>s logis <strong>de</strong> gendarmerie, 48 blessés. »« A l'appui <strong>de</strong> cette note, précise dans sa sobriété, nouspouvons donner les renseignements suivants qu'a bien voulu nousfaire parvenir un vieux Sétifien, dont l'esprit pondéré et letémoignage ne sauraient être mis en doute.« Depuis quelques se<strong>ma</strong>ines, l'arrogance <strong>de</strong>s indigènes se<strong>ma</strong>nifestait, à Sétif, dans toutes les circonstances. Les scouts « ElAyat » avaient parcouru l'arrondissement, exaltant la fiertémusul<strong>ma</strong>ne. Le préfet (1) avait eu du <strong>ma</strong>l à se faire respecter àAïn­Zada. Mostefaï, lieutenant <strong>de</strong> Ferhat Abbas (2) avait fait <strong>de</strong>sconférences à Périgotville et ailleurs. Abbas lui­même avait(1) Notons ici que l'attitu<strong>de</strong> du préfet, M. Lestra<strong>de</strong>­Carbonnel, a été énergique. Tout lepersonnel <strong>de</strong> la préfecture a fait face à la situation avec beaucoup <strong>de</strong> dévouement. On ne peut en direautant <strong>de</strong> quelques collaborateurs du chef du département, heureusement assez rares.(2) M. Mostefaï, avocat au barreau <strong>de</strong> Sétif, membre du Comité <strong>de</strong>s «Amis du Manifeste et <strong>de</strong>la Liberté » a été condamné en juin 1935, à <strong>de</strong>ux ans <strong>de</strong> prison, pour détention d'armes et munitions<strong>de</strong> guerre. Il a été l'objet <strong>de</strong> nouvelles poursuites pour le rôle joué par lui dans les événements du 8<strong>ma</strong>i. Nous ignorons la suite donnée à ses <strong>de</strong>rnières. Toutes ces accusations ont fondu <strong>de</strong>vantl'amnistie générale venue gracier tous les inculpés. Comme son chef <strong>de</strong> file, Abbas, M. Mostefaï aété élu député à la Constituante 1945.17


UN DRAME ALGERIENIl est rejoint par <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses amis. Il ne réalise pas exactementla gravité <strong>de</strong> la situation, puisqu'il menace <strong>de</strong> révocation un agentqui tire sur les indigènes. A ce moment, il est touché au ventre parune balle, tirée par un indigène.« A signaler que M. Chauveau, commissaire central <strong>de</strong> Sétif,mis à pied pour <strong>de</strong>s sentiments vichyssois, et un rapport établi parlui contre le Dr Ben Chaout, bien qu'étant là en curieux, prend latête du service d'ordre. Reconnu par ses anciens agents, il lesregroupe et coordonne leur action. Les Français rencontrés par lesassaillants sont battus ou assommés. Ils ne trouvent leur salutqu'en se réfugiant dans les couloirs <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>isons les plus proches,ou chez les particuliers. Au local « Scouts <strong>de</strong> France » 300 enfantssont rassemblés. Les aînés sont prêts à se sacrifier, <strong>ma</strong>is la vaguedéferle <strong>de</strong>vant eux, se rendant au <strong>ma</strong>rché, qui est remplid'indigènes <strong>de</strong>s campagnes. En cours <strong>de</strong> route, elle abat lesFrançais, rencontrés. Ceux qui n'ont pas d'armes cassent <strong>de</strong>sbranches d'arbres. Surpris au <strong>ma</strong>rché, les Français sont tués àcoups <strong>de</strong> <strong>de</strong>bbous ou à coups <strong>de</strong> cailloux. Les you­you <strong>de</strong>s femmesencouragent les émeutiers. En cours <strong>de</strong> route, Denin, agent <strong>de</strong>sP.T.T., chef communiste, est abattu d'un coup <strong>de</strong> gourdin ; un coup<strong>de</strong> couteau lui perfore la plèvre. Étant à terre, ses avant­bras sontsectionnés à coups <strong>de</strong> hache (1).« La meute remonte vers la ville, <strong>ma</strong>is rue Sillègue, importanteartère sud­nord <strong>de</strong> la ville, les gendarmes et les gar<strong>de</strong>s mobilesinterviennent. Sans en avoir reçu l'ordre, se rendant compte <strong>de</strong> lagravité <strong>de</strong> la situation, le com<strong>ma</strong>ndant Bobillon fait ouvrir lefeu (2).(1) M. Denin a survécu à ses blessures et horribles mutilations.(2) Dès le début <strong>de</strong>s troubles, l'action militaire a été organisée en ville par le com<strong>ma</strong>ndantRouire, chef d'état­<strong>ma</strong>jor à la subdivision (Colonel Bourdila). A Sétif et dans la banlieue, lecom<strong>ma</strong>ndant Rouire était secondé par <strong>de</strong> dévoués collaborateurs : les com<strong>ma</strong>ndants Biraben,Bobillon et Mazucca, les capitaines Sirand et Simonpieri, les lieutenants Zerkowitz et Boissenot.20UN DRAME ALGERIENSon attitu<strong>de</strong> énergique arrête net les meurtriers. Les tirailleurs, qui,pourtant, ont été consignés, avec leurs officiers, <strong>de</strong>puis 5 heures du<strong>ma</strong>tin, arrivent. Aucune arme auto<strong>ma</strong>tique ne leur a été distribuée.Ils ont l'ordre ne pas tirer. L'officier, qui les com<strong>ma</strong>n<strong>de</strong> et quirevient du front, donne, <strong>ma</strong>lgré tout, l'ordre d'ouvrir le feu. Lesgradés seuls ont <strong>de</strong>s cartouches à balles. Cela suffit, la <strong>ma</strong>sse <strong>de</strong>sindigènes se disperse et s'évanouit. Mais on compte 27 mortsfrançais et <strong>de</strong>s quantités <strong>de</strong> blessés.« Emile Dussaix, père <strong>de</strong> cinq enfants, a été froi<strong>de</strong>mentassassiné par un indigène qu'il connaissait et à qui il a dit : « Tu nevas pas me tuer ! » « Toi, comme les autres ! » lui fut­il répondu,pendant qu'il recevait un coup <strong>de</strong> revolver mortel, tiré à boutportant.Peguin, directeur d'école indigène, a été tué également. Il a étéachevé dans <strong>de</strong>s conditions horribles. On a constaté sur sa tête <strong>de</strong>grosses ecchymoses dues à <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> talon. Le cou était à <strong>de</strong>mitranché, l'oreille gauche complètement détachée, 14 coups <strong>de</strong>boussaadis et <strong>de</strong> sabres étaient relevés au flanc et au bras droits.La montre et le portefeuille <strong>de</strong> la victime ont été retrouvés sur lecorps.« De même, M. Vaillant (1), ancien prési<strong>de</strong>nt du Tribunal, estmutilé. De même, Joncha, Tisch, Malvezin, Clauzier, Pons, MmeParmentier, chef <strong>de</strong> bureau à la <strong>ma</strong>irie, Gourlier, contrôleur <strong>de</strong>s<strong>ma</strong>rchés, Hayes, Cros Albert, Jaulin, etc.« Pendant l'émeute, un taxi est parti vers les Amouchas, peurdonner l'ordre <strong>de</strong> révolte (2). C'est ainsi qu'un prêtre, le curéNavarro, aumônier <strong>de</strong> la garnison, a été assassiné et odieusementmutilé, alors qu'il passait sur la route en motocyclette.(1) M. Vaillant avait été à <strong>Alger</strong>, juge d'instruction chargé <strong>de</strong> l'enquête sur l'assassinat, dumuphti Bendali, ami <strong>de</strong> la France.(2) C'est ce taxi, dont nous aurons a reparler, qui bloquant, sur la route, l'auto <strong>de</strong>l'Administrateur <strong>de</strong> Périgotville a provoqué la mort <strong>de</strong> ce fonctionnaire et <strong>de</strong> son adjoint, M. Bancel.21


UN DRAME ALGERIEN« Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in <strong>de</strong> ce jour funeste, les drapeaux ont disparu !La ville était en <strong>de</strong>uil...Quelques heures après le <strong>drame</strong>, Sétif recevait la visite dupréfet <strong>de</strong> Constantine, M. Lestra<strong>de</strong>­Carbonnel, et du généralDuval, com<strong>ma</strong>ndant la Division.« Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in ont eu lieu les obsèques <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>lheureusesvictimes. Le gouverneur Chataigneau est venu, vêtu en civil,accompagné <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux officiers d'ordonnance indigènes. Il estreparti sans avoir accompagné nos morts jusqu'au cimetière...« On a fait beaucoup d'arrestations. Mais les vrais coupables,nous les connaissons tous, sont en vie. Ils sont au régime <strong>de</strong>sinternés politiques. Ce sont ceux­là qu'il fallait frapper d'abord,ceux qui étaient les dirigeants et for<strong>ma</strong>ient les cadres ! Pour tuerun serpent, on ne lui coupe pas la queue.« Pauvre Sétif ! Pauvre Algérie ! Pauvre France ! »***Ajoutons à cette lettre, qui méritait d'être reproduiteintégralement, quelques renseignements inédits :Au Collège <strong>de</strong> Sétif, le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in <strong>de</strong>s émeutes, les élèvesinternes indigènes avaient écrit à la craie, sur les tableaux noirs, engrosses lettres : Honneur à nos <strong>ma</strong>rtyrs musul<strong>ma</strong>ns ! Douze d'entreeux ont été exclus <strong>de</strong>s collèges <strong>algérien</strong>s. Quatre professeursdéplacés.Le rassemblement <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>nifestants <strong>de</strong> Sétif aurait été sonné parun clairon. De la ville, la nouvelle du soulèvement a été portée, endirection <strong>de</strong>s Babors, par <strong>de</strong>s émissaires, la plupart <strong>de</strong>s chauffeurs<strong>de</strong> taxis ou <strong>de</strong> voitures, dotés d'autorisations <strong>de</strong> transports, grâce àla complaisance d'élus indigènes. Nous citons ce fait non pas dansle but d'adresser <strong>de</strong>s critiques à l'autorité, qui a su faire son <strong>de</strong>voir,d'une façon on peut dire générale, en présence <strong>de</strong>s événements,22UN DRAME ALGERIEN<strong>ma</strong>is pour donner un exemple <strong>de</strong> l'audace <strong>de</strong>s organisateurs,abusant <strong>de</strong> la bienveillance administrative pour arriver àl'exécution <strong>de</strong> leurs horribles <strong>de</strong>sseins.A Sétif, comme ailleurs, les chefs <strong>de</strong> la révolte étaient absentsle jour du <strong>drame</strong>. Cela <strong>de</strong>vait leur permettre d'invoquer un alibi sil'affaire ne réussissait pas.Enfin, <strong>de</strong>s femmes indigènes mêlées aux <strong>ma</strong>nifestants ne secontentaient pas d'encourager les meurtriers par <strong>de</strong>s « you­you ».On en a vu achevant <strong>de</strong>s blessés. D'une façon générale laparticipation <strong>de</strong>s femmes s'est affirmée dans toute l'étendue <strong>de</strong>sterritoires où a sévi le <strong>drame</strong>.***L'émeute <strong>de</strong> Sétif s'était produite en plein jour, ce qui a permis<strong>de</strong> recueillir <strong>de</strong>s indications utiles pour l'enquête qui a suivi. Maisla preuve légale <strong>de</strong>s faits incriminés a été difficile à établir. C'estce qui explique le peu <strong>de</strong> condamnations prononcées par lestribunaux en présence <strong>de</strong> dossiers dont beaucoup étaientincomplets. La solidarité dans l'action a provoqué la solidaritédans la défense. Le silence collectif a joué, au cours <strong>de</strong>sinstructions ouvertes, en faveur <strong>de</strong>s accusés.De telle sorte que les audiences <strong>de</strong>s tribunaux militaires n'ontpu révéler qu'une faible partie <strong>de</strong>s détails du <strong>drame</strong> dont nos villeset nos campagnes ont été les victimes, dans les journées <strong>de</strong>s 8, 9,10 <strong>ma</strong>i 1940. Certains <strong>de</strong> ces détails n'en ont pas moins étéaffirmés officiellement au cours <strong>de</strong>s débats publics qui ont eu lieu,et ils ont été reproduits par la presse. Nous lisons dans la Dépêche<strong>de</strong> Constantine, le grand journal d'infor<strong>ma</strong>tions <strong>de</strong> l'Est <strong>algérien</strong>, àpropos <strong>de</strong> Sétif :16 octobre 1945. — « Le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine ajugé, samedi, plusieurs graves affaires <strong>de</strong> pillage, assassinat etincendie volontaire.23


UN DRAME ALGERIEN« Ce fut d'abord le meurtre <strong>de</strong> M. Jean Jaulin, à Sétif, qui étaitévoqué. On se souvient <strong>de</strong>s faits : Le 8 <strong>ma</strong>i, au <strong>ma</strong>rché arabe, M.Jaulin (1) était attaqué par <strong>de</strong>s indigènes et abattu d'un formidablecoup <strong>de</strong> <strong>ma</strong>traque sur la tête, coup qui lui était porté par Ahmedben Djibel. <strong>Un</strong> boucher, Saoud Khier, s'avançait alors muni d'uncouperet, et en portait un coup au visage <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>lheureusevictime, ce qui entraîna, d'après le certificat médical, la sectiontotale <strong>de</strong> la mâchoire inférieure. La mort s'ensuivitimmédiatement.« Les vêtements <strong>de</strong> la victime furent ensuite fouillés et lesassassins s'emparèrent <strong>de</strong> tout ce qui pouvait présenter unecertaine valeur.« Ahmed ben Djibel et Saoud Khier ont été condamnés à mort.Deux complices se sont vu infliger, l'un vingt ans <strong>de</strong> travaux forcéset vingt ans d'interdiction <strong>de</strong> séjour, l'autre en raison <strong>de</strong> son jeuneâge. dix ans <strong>de</strong> colonie correctionnelle. »6 novembre 1945 « Pour la secon<strong>de</strong> fois, les assassins <strong>de</strong>MM. Capotti, Carré, Grosso, Péguin et Pons répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> leurcrime <strong>de</strong>vant le tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine. Pour la secon<strong>de</strong>fois, car ces meurtriers <strong>de</strong> 20 ans ont déjà comparu <strong>de</strong>vant lesjuges, le 22 août <strong>de</strong>rnier. Mais, sur pourvoi, le jugement qui lescondamna à mort fut cassé pour vice <strong>de</strong> forme.« L'affaire revient donc aujourd'hui. On y a joint celle dumeurtre du gendarme Renald, qui y est étroitement liée. Si bienque ce sont onze émeutiers (<strong>de</strong>ux sont en fuite) qui sont assis aubanc <strong>de</strong>s accusés.« Et <strong>de</strong> nouveau, c'est le <strong>drame</strong> <strong>de</strong> Sétif qui est évoqué, l'émeutequi déferle le 8 <strong>ma</strong>i sur la ville, les ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong> forcenés serépandant dans les rues, tuant et <strong>ma</strong>ssacrant tous les Européens(1) M. Jaulin était un fonctionnaire retraité du service <strong>de</strong> la Sécurité publique. <strong>Un</strong> <strong>de</strong> ses filsoccupe un poste d'Administrateur en chef <strong>de</strong> commune mixte dans le département. M. Jaulinjouissait <strong>de</strong> l'estime générale.24UN DRAME ALGERIENrencontrés. Successivement, MM Capotti, Carré, Grosso, Péguin etPons tombèrent sous leurs coups. Dans une autre rue, c'était legendarme Renald qui, après avoir été assommé à coups <strong>de</strong> bâton,était achevé d'un coup <strong>de</strong> couteau (1). Meurtres horribles, commisavec une férocité inouïe et dont la seule évocation fait frissonner.« Pâles, livi<strong>de</strong>s, les accusés écoutent avec attention la lecture <strong>de</strong>l'acte d'accusation et c'est en tremblant qu'ils viennent à la barrerépondre à l'interrogatoire du Prési<strong>de</strong>nt, le colonel Faivet. Mais,condamnés à mort une première fois, ils savent qu'ils jouent leurtête. Et ils vont tout nier, même leurs propres aveux, accusant lespoliciers <strong>de</strong> les avoir arrachés par la violence.« Après l'interrogatoire, on entend divers témoins, notammentles inspecteurs <strong>de</strong> la Sûreté qui menèrent l'enquête. »7 novembre 1945 « Voici les condamnations prononcées par leTribunal militaire.« Peine capitale : Akli Mohamed (par contu<strong>ma</strong>ce), SaoudiSaad, Laoula Mohamed, Djaouati Mohamed, Akli Hamêche, AribiMohamed, Meftah Zitonni et Bourefda Taïeb.« Travaux forcés à perpétuité : Bouassid Ahmed, DjaoudiMohamed et Bouras Ali.« A<strong>ma</strong>ri A<strong>ma</strong>r a été acquitté.« Ajoutons que Laoula Mohamed était poursuivi commeassassin <strong>de</strong> M. Hada<strong>ma</strong>r Charles, fonctionnaire <strong>de</strong> l'inspection duTravail, abattu par lui dans une rue <strong>de</strong> Sétif ; son cousin et coaccuséLaoula Amor était acquitté. »13 novembre 1945 « Ce sont encore <strong>de</strong>ux crimes horribles,commis à Sétif, au cours <strong>de</strong>s émeutes du 8 <strong>ma</strong>i, qu'a évoqués,samedi, le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine,(1) On sait quels coups rapi<strong>de</strong>s et mortels portent les "boussaadis", couteaux effilés et pointusdont les indigènes se servent, pour se raser. Il est peu d'indigènes <strong>de</strong>s campagnes n'ayant pas, enper<strong>ma</strong>nence, son boussaadi protégé par une gaine, pendu à son cou, vers le dos, et qu'un simplecoup d'épaules fait passer a portée <strong>de</strong> sa <strong>ma</strong>in.25


UN DRAME ALGERIENprésidé par le colonel Lebrot. Il s'agissait du meurtre <strong>de</strong> MM.Clarisse et Courtier.« L'assassin, Bêla Aïssa, arrêté quelques jours après lesdra<strong>ma</strong>tiques événements, reconnut d'abord les faits. Il avoua qu'aumoment où l'insurrection commençait, il s'était dirigé vers les« Portes <strong>de</strong> Biskra », et s'était joint à un groupe d'émeutiers encompagnie <strong>de</strong>squels il avait abattu, à coups <strong>de</strong> bâton et <strong>de</strong> couteau,un Européen se trouvant au rond­point <strong>de</strong>s Portes. Or, c'est à cetendroit que fut assassiné M. Clarisse.« Bêla Aïssa reconnaît aussi qu'après le meurtre <strong>de</strong> M. Clarisse,il s'était rendu au <strong>ma</strong>rché aux légumes, où en sa présence,M. Courlier avait été assailli par <strong>de</strong> nombreux indigènes. Lecontrôleur du <strong>ma</strong>rché, M. Courlier, étant tombé à terre, sansconnaissance, Bêla avait ra<strong>ma</strong>ssé une grosse pierre avec laquelle illui avait écrasé la tête.« Par la suite, l'accusé revint sur ses aveux. C'est la mêmeattitu<strong>de</strong> qu'il a adoptée, samedi, à l'audience, en dépit <strong>de</strong>s chargesaccablantes qui pesaient sur lui.« Bêla Aïssa a été condamné à mort. »10 décembre 1945. « Le Tribunal militaire a également jugé ungarçon <strong>de</strong> café <strong>de</strong> Sétif, Berchi Aïssa, inculpé <strong>de</strong> violences et <strong>de</strong>voies <strong>de</strong> fait sur un agent <strong>de</strong> la force publique.« Le 8 <strong>ma</strong>i, vers 9 h. 30, le gardien <strong>de</strong> la paix Mariant revenaitdu <strong>ma</strong>rché aux bestiaux <strong>de</strong> Sétif, où il avait assuré un service <strong>de</strong>surveillance. Passant à proximité d'un terrain vague, il aperçut unindigène qui venait <strong>de</strong> porter un coup <strong>de</strong> couteau à un Européen,M. Carré, lequel lut mortellement blessé.« L'agent <strong>de</strong> police voulut se porter immédiatement à sonsecours, <strong>ma</strong>is il en fut empêché par un autre indigène qui luiasséna un violent coup <strong>de</strong> <strong>ma</strong>traque. Le gardien <strong>de</strong> la paix voulantparer le coup, eut l'avant­bras droit fracturé. Il ne put, pour sedéfendre, faire usage <strong>de</strong> son arme et fut assailli par <strong>de</strong> nombreux26UN DRAME ALGERIENémeutiers qui lui lancèrent <strong>de</strong>s pierres et lui portèrent <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong>bâton.« Deux mois plus tard, Mariani reconnaissait, parmi un grouped'indigènes, l'homme qui lui avait fracturé le bras et ill'appréhendait aussitôt.« Le tribunal a condamné Berchi Aïssa à vingt ans <strong>de</strong> travauxforcés et vingt ans d'interdiction <strong>de</strong> séjour. »Le même jour, 10 décembre, le tribunal ajugé un grouped'émeutiers, arrêtés pour les assassinats <strong>de</strong> MM Péguin, Carré,Gros, Pons et Capotti. Les débats, mouvementés, aboutissent àneuf condamnations à mort : Meftah Zitoun ben Lakhdar, <strong>de</strong> Bordjbou Arréridj, 26 ans, Saoudi Saad, 22 ans, Djaouti Amokrane, 22ans, Akli Amiche, 19 ans, Boughedfa Taïeb, 25 ans, DjaoutiMohamed, 22 ans, Laoula Mohamed, 25 ans, Aribi Mohamed, etBouassid Ahmed. Les <strong>de</strong>ux premiers ont été exécutés le 17décembre 1946, un an après, à Constantine.<strong>Un</strong> dixième inculpé, sur lequel <strong>de</strong>s charges très lour<strong>de</strong>s étaientrelevées, s'était évadé <strong>de</strong> la prison. La procédure <strong>de</strong> contu<strong>ma</strong>ce<strong>de</strong><strong>ma</strong>ndant un certain délai, il n'a pu être jugé à cette audience.Par <strong>de</strong>ux fois, les assassins <strong>de</strong> MM Clauzier, Malvezin et Tischont comparu <strong>de</strong>vant le tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine.Le 19 janvier 1940, le tribunal avait prononcé troisacquittements et trois condamnations à mort : Fermich Saad,Chettih, Tahar et Manaehi Sghir pour les crimes commis contreMM Clauzier, Malvezin et Tisch.Ce jugement a été cassé pour vice <strong>de</strong> forme.L'affaire est revenue en avril <strong>de</strong>vant les juges qui ont transforméla peine <strong>de</strong> mort en celle <strong>de</strong> travaux forcés à perpétuité.Le 3 février 1946, trois inculpés qui avaient fait <strong>de</strong>s aveux àl'instruction et avaient reconnu être les auteurs <strong>de</strong> l'assassinat27


UN DRAME ALGERIENdu <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> Sétif M. Deluca, <strong>de</strong>vant le chef <strong>de</strong> la Sûreté, M.Raybaud, et ses collaborateurs, se sont vus condamner : BouakkazAïssa et Hamda Noui, à la peine <strong>de</strong> mort, Habouch Miloud àquinze années <strong>de</strong> détention.Enfin, le 18 avril 1946, <strong>de</strong>ux Français comparaissaient <strong>de</strong>vant,le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine. Nous avons parlé <strong>de</strong> la mort<strong>de</strong> Mme Parmentier, chef <strong>de</strong> bureau à la <strong>ma</strong>irie <strong>de</strong> Sétif. Son <strong>ma</strong>ri,M. Parmentier, très affecté par ce <strong>drame</strong> et donnant <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong>dérangement cérébral, ne parlait que <strong>de</strong> vengeance à assouvir. <strong>Un</strong>jour, se trouvant sur la route d'<strong>Alger</strong> avec un ami, M. Bellon, il tirasur <strong>de</strong>s passants indigènes, sans provocation <strong>de</strong> leur part. M.Bellon avait imité son ami. Le tribunal a dû sévir, en tenantcompte <strong>de</strong>s circonstances. Parmentier a eu <strong>de</strong>ux ans <strong>de</strong> prison etcinq ans d'interdiction <strong>de</strong> séjour. Bellon, dix ans <strong>de</strong> travaux forcéset vingt ans d'interdiction <strong>de</strong> séjour. Drame navrant, venant segreffer sur le soulèvement <strong>de</strong> Sétif...***Revenons à Sétif, à la date du 8 <strong>ma</strong>i 1945.L'ordre n'était pas encore revenu dans la ville, que sur les routes<strong>de</strong>sservant la banlieue, se hâtaient <strong>de</strong>s voitures dont les occupants,nous l'avons dit, allaient donner partout le signal <strong>de</strong> la rébellion.El Djihad ! La guerre sainte était, dit­on, proclamée !A ce signal, qui paraissait attendu, les musul<strong>ma</strong>ns <strong>de</strong>scampagnes répondaient par une levée en <strong>ma</strong>sse, un mouvementcollectif, généralisé.UN DRAME ALGERIENA SILLÈGUESillègue est un joli village qui appartient à la commune mixte<strong>de</strong>s Eul<strong>ma</strong>s, dont le siège administratif est à Saint­Arnaud, centreimportant, au point <strong>de</strong> vue commercial et agricole, à 31 kilomètresà l'est <strong>de</strong> Sétif Le hameau <strong>de</strong> Sillègue est lui­même à 21 kilomètres<strong>de</strong> la gare <strong>de</strong> Saint­Arnaud, direction Nord.Le 8 <strong>ma</strong>i, toute la population <strong>de</strong> Sillègue était conviée à unefête qui <strong>de</strong>vait avoir lieu dans le square du village, à l'occasion <strong>de</strong>la Victoire, à 17 heures.A 15 h. 30, un indigène dévoué alerte l'adjoint spécial, M.Fages Alphonse. On parle d'une révolte à Sétif, d'Européensnombreux tués. La région n'est pas sûre. Elle est menacée.M. Fages prend son revolver et va aussitôt faire une tournéedans les rues du village. Déjà <strong>de</strong> nombreux assaillants avaient prisposition. Ils se concentraient dans le bois, qui domine le centre,vers le haut <strong>de</strong>s habitations.2829


UN DRAME ALGERIENLe gar<strong>de</strong> champêtre Murschler reçoit <strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> fusil.Aussitôt on entend <strong>de</strong>s cris et <strong>de</strong>s you­you <strong>de</strong> femmes.Il ne restait aux habitants qu'une ressource : se barrica<strong>de</strong>r chezeux et se défendre.L'adjoint spécial est obligé d'user <strong>de</strong> son autorité pour obtenirdu facteur­receveur indigène, qui n'était pas à son bureau, qu'ilalerte les autorités <strong>de</strong> Saint­Arnaud.Le pillage et l'attaque <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>isons s'exercèrent avec uneviolence extraordinaire. Les portes, les fenêtres résonnaient sousles coups <strong>de</strong> <strong>ma</strong>sses et <strong>de</strong> haches, le feu attaquait les habitations.M. Fages Basile, père <strong>de</strong> quatre enfants, tint tête dans sa<strong>ma</strong>ison, avec sa femme et un fils, à une émeute <strong>de</strong> trente banditsdont un tiers était armé <strong>de</strong> fusils. L'incendie <strong>de</strong> l'immeuble lesobligea à se réfugier dans la cuisine. Ils allaient y être brûlés vifs.Ils percèrent le plafond gagnèrent la toiture et se réfugièrent dansune écurie voisine.M. Fages n'avait qu'un fusil <strong>de</strong> chasse. Découvert dans l'écurie,il continua à défendre sa famille. Il abattit <strong>de</strong>ux insurgés, ce quiportait à trois le chiffe <strong>de</strong>s agresseurs abattus. Il se battait encorealors qu'il avait reçu une balle à la cuisse. La résistance opposée àses agresseurs par M. Fages mérite d'être citée en exemple parmiles plus beaux faits d'armes <strong>de</strong> la se<strong>ma</strong>ine tragique vécue dans ledépartement <strong>de</strong> Constantine. Le duel inégal a duré quatre heures,durant lesquelles le colon traqué a dû faire preuve d'une gran<strong>de</strong>ténacité et d'une admirable présence d'esprit.Disons <strong>de</strong> suite qu'après un traitement <strong>de</strong> vingt jours dans uneclinique <strong>de</strong> Sétif, M. Fages est heureusement entré enconvalescence. Sa famille et lui doivent la vie à l'énergie qu'il amise à la défendre.<strong>Un</strong> autre fait mérite d'être rapporté, à propos <strong>de</strong> Sillègue.30UN DRAME ALGERIENLe 9 au <strong>ma</strong>tin, le lieutenant Rossi se transportait à 10kilomètres du village, avec trois Sénégalais, au lieu Le dit : LaPlâtrière. <strong>Un</strong>e section allait suivre. Les trois militaires, leur chef etle propriétaire <strong>de</strong> La Plâtrière furent aussitôt attaqués par uncontingent <strong>de</strong> rebelles. L'alerte fut chau<strong>de</strong>. <strong>Un</strong> combat rapi<strong>de</strong> eutlieu auquel mit fin l'arrivée opportune du renfort attendu.M. Troussel, adjoint­administrateur, est à citer également pourson attitu<strong>de</strong> courageuse. Il est venu apporter du secours. Il n'a pupénétrer dans le village, <strong>ma</strong>is il a fort inquiété les agresseurs etdiminué, par ce fait, leur ar<strong>de</strong>ur.La gendarmerie <strong>de</strong> Saint­Arnaud et une compagnie <strong>de</strong>Sénégalais délivrèrent les colons <strong>de</strong> Sillègue, vers une heuretrente, dans la nuit du 8 au 9 <strong>ma</strong>i.On trouva trois Français morts et affreusement mutilés : Mmeet M. Murschler, gar<strong>de</strong> champêtre, et M. Beiguet, chef cantonnier.Ces victimes avaient été <strong>ma</strong>ssacrées lâchement et sans pitié.Des femmes avaient été violées et laissées en vie, six <strong>ma</strong>isonsavaient été complètement pillées. Deux complètement détruitespar l'incendie à l'ai<strong>de</strong> d'essence et <strong>de</strong> pétrole.Dès l'arrivée <strong>de</strong>s secours, la situation a été rétablie. Desarrestations ont été opérées, <strong>ma</strong>is il a fallu trois ou quatre jours <strong>de</strong>patrouilles pour ramener le calme et un peu <strong>de</strong> confiance dans levillage.La conduite <strong>de</strong>s troupes, nous dit un colon qui fut le témoinoculaire du <strong>drame</strong>, a été admirable, sans distinction d'origine,parmi les combattants, y compris, les gendarmes. Chacun <strong>de</strong>ssauveteurs mérite <strong>de</strong>s remerciements et <strong>de</strong>s éloges. Tous ont misfin, <strong>de</strong> la façon la plus heureuse, à l'horrible tuerie qui menaçait <strong>de</strong>faire disparaître tous les Français <strong>de</strong> Sillègue.Cependant, dans une lettre datée du 29 septembre 1945,31


UN DRAME ALGERIENM. Justin Fages fils nous traduit une inquiétu<strong>de</strong> qui rappelle lasituation du village en fin avril et début <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i.A cette époque, les Français <strong>de</strong> Sillègue avaient exprimé àplusieurs reprises leurs craintes à l'autorité locale, représentée parl'Administrateur, au sujet <strong>de</strong> rumeurs annonçant un soulèvement.Les intéressés n'avaient reçu que <strong>de</strong>s réponses vagues et aucunemesure, même élémentaire, n'avait été prise.Au len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in du <strong>drame</strong>, <strong>ma</strong>lgré les <strong>de</strong>uils enregistrés, <strong>ma</strong>lgréla gravité <strong>de</strong> l'épreuve subie, la confiance renaissait. « Cet espoirn'a été que passager. » On se reprend, à la suite <strong>de</strong> constatationsdont la portée ne saurait échapper à ceux qui ont vécu les heurestragiques, à douter <strong>de</strong> nouveau <strong>de</strong> la possibilité <strong>de</strong> rester dans lepays. « Les rumeurs <strong>ma</strong>uvaises se font entendre encore et lescolons s'inquiètent à nouveau. Les trois quarts prennent leursdispositions pour quitter le centre, sans espoir <strong>de</strong> retour. Cet exo<strong>de</strong>se poursuivra jusqu'au bout si <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong> ne sontpas prises à brève échéance. Seule, la fermeté, mise au service <strong>de</strong>la justice, peut assurer et <strong>ma</strong>intenir l'ordre, nous dit notrecorrespondant. Sans autorité et sans discipline respectées par tous,nous serons obligés <strong>de</strong> quitter les lieux, jusqu'au <strong>de</strong>rnier. »Puissent ces lignes paraître à temps pour provoquer l'alarmenécessaire et empêcher l'exo<strong>de</strong> annoncée <strong>de</strong> s'accomplir (1).<strong>Un</strong>e correspondance <strong>de</strong> Sillègue nous a apporté la relation <strong>de</strong> lamort <strong>de</strong>s époux Murschler et <strong>de</strong> M. Beiguet, chef cantonnier.Murschler, gar<strong>de</strong> champêtre, se trouvait à cent mètres(1) Nous avons donné les raisons <strong>de</strong>s retards apportés dans la parution <strong>de</strong> ce récit : leshésitations et les refus <strong>de</strong>s imprimeurs <strong>algérien</strong>s, se sentant menacés par <strong>de</strong>s mesures pouvant êtreprises, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toute équité.32UN DRAME ALGERIEN<strong>de</strong>vant son habitation, lorsqu'il fut brusquement assailli à coups <strong>de</strong>pierres et <strong>de</strong> fusil. Non gravement blessé, il eut la force <strong>de</strong> seréfugier chez lui, en compagnie <strong>de</strong> sa femme et <strong>de</strong> ses troisenfants, après avoir fermé le portail <strong>de</strong> la cour.Sa <strong>ma</strong>ison fut rapi<strong>de</strong>ment entourée par les émeutiers, qui lui<strong>de</strong><strong>ma</strong>ndaient <strong>de</strong> livrer son revolver et ses cartouches s'il voulaitavoir la vie sauve. Il s'y refusa. Mais sa femme, affolée, ouvrit unefenêtre et livra le revolver. A ce moment <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feuéclatèrent, abattant le gar<strong>de</strong> et son épouse. En même temps, lesinsurgés escaladaient le portail, l'ouvraient et pénétraient dansl'appartement. Ils achevaient les victimes à coups <strong>de</strong> fusil et leurécrasèrent la tête avec <strong>de</strong>s pierres. Mme Murschler eut le crânedéfoncé. Cette scène horrible se passait <strong>de</strong>vant les enfants atterrés.Les pauvres petits orphelins sont âgés <strong>de</strong> 8, 10 et 12 ans.M. Beiguet, chef cantonnier, a été surpris également à unecentaine <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> son habitation. <strong>Un</strong> indigène, son voisin,pressentant le danger, l'exhorta à rentrer chez lui, au plus tôt.Naïvement, M. Beiguet répondit :« Oh ! moi, je n'ai pas peur, je n'ai fait <strong>de</strong> <strong>ma</strong>l à personne, aucontraire. Et puis, je suis pauvre, que peuvent­ils me prendre ! Ilss'attaqueront plutôt aux colons qui sont aisés, <strong>ma</strong>is pas à moi ! »Deux minutes après, il était abattu par une balle en plein front.Il tomba foudroyé. <strong>Un</strong> <strong>de</strong>uxième assaillant, armé d'un sabre, luiouvrait la mâchoire « <strong>de</strong> part et d'autre ». Il y eut attroupement.Mme Beiguet accourut. Elle supplia <strong>de</strong>ux indigènes, ouvriers duchantier <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri, <strong>de</strong> transporter le corps dans son habitation.Deux <strong>de</strong>s assassins s'interposèrent, en disant : « Laissez­le pourrirlà, ce chien <strong>de</strong> Français ! »...Beiguet et Murschler étaient estimés <strong>de</strong> tous, ajoute notrecorrespondant. Ils étaient braves, généreux et charitables.33


UN DRAME ALGERIEN***Le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine a vu comparaître lesauteurs <strong>de</strong>s événements tragiques du village <strong>de</strong> Sillègue.Les nommés Nemir Ab<strong>de</strong>lka<strong>de</strong>r ben Messaoud, ChachourA<strong>ma</strong>r ben Zerroug et Bouachera Daoudi ben Lahcen, inculpésd'incendies, <strong>de</strong> viol, <strong>de</strong> vol, et <strong>de</strong> meurtre (époux Murschler etBeiguet) ont été condamnés à mort. <strong>Un</strong> quatrième coupable a étéfrappé <strong>de</strong> la peine <strong>de</strong>s travaux forcés à perpétuité.A SAINT­ARNAUDLe 7 <strong>ma</strong>i, à 18 heures, la population française <strong>de</strong> Saint­Arnaud<strong>ma</strong>nifestait sa joie <strong>de</strong> la victoire alliée par l'organisation d'un défilédans les rues <strong>de</strong> la petite ville. Il fut re<strong>ma</strong>rqué qu'à ce défilé aucunmusul<strong>ma</strong>n ne participait.Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in, vers 9 h. 12 du <strong>ma</strong>tin, environ 2.000 indigènespassaient sous les fenêtres <strong>de</strong> l'habitation du <strong>ma</strong>ire, se dirigeantvers le centre <strong>de</strong> l'agglomération, venant du sta<strong>de</strong> municipal.Le cortège était organisé : en tête, précédés <strong>de</strong> femmes et <strong>de</strong>fillettes, étaient les scouts musul<strong>ma</strong>ns. Aucune autorisation n'avaitété <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndée pour cette <strong>ma</strong>nifestation qui paraissait, être uneréponse à celle <strong>de</strong> la veille. Les <strong>ma</strong>nifestants paraissaient énervéset résolus. Il n'y avait pas <strong>de</strong> troupes à Saint­Arnaud. Lamunicipalité jugea pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> ne pas intervenir.Au cours du défilé on perçut <strong>de</strong>s cris hostiles aux Français. Despancartes étaient déployées. L'affaire se termina dans un calmerelatif.Mais on re<strong>ma</strong>rqua bientôt que tous les <strong>ma</strong>gasins indigènes <strong>de</strong> laville étaient fermés. Ils le restèrent toute la journée. Tous lesindigènes circulant en ville, petits et grands (ils étaient nombreux)34UN DRAME ALGERIENétaient porteurs <strong>de</strong> <strong>ma</strong>traques et avaient un air arrogant.Vers 10 heures du <strong>ma</strong>tin le bruit courait, à Saint­Arnaud, que<strong>de</strong>s événements graves se déroulaient à Sétif.A 19 h. 30, on apprenait que le centre <strong>de</strong> Sillègue, à 20kilomètres au nord <strong>de</strong> Saint­Arnaud, était assiégé par <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>sd'émeutiers qui tiraient sans discontinuer, coupaient lescommunications télégraphiques, incendiaient les <strong>ma</strong>isons et<strong>ma</strong>ssacraient les habitants.Le <strong>ma</strong>ire, M. Filippi, <strong>de</strong><strong>ma</strong>nda du secours militaire à la souspréfecture<strong>de</strong> Sétif. <strong>Un</strong> détachement arriva dans la nuit. Les rues sevidèrent alors <strong>de</strong> <strong>ma</strong>nifestants.Mais le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in 9 <strong>ma</strong>i, la troupe étant repartie, les <strong>ma</strong>gasinsrestèrent fermés et <strong>de</strong> nouveau la ville fut envahie.A 14 h. 30, un conseiller municipal indigène, très excité, seprésenta dans la rue à M. Filippi, et lui dit :— Les Européens veulent tirer sur les indigènes, nous sommesprêts à mourir.M. Filippi répondit avec calme :— Moi aussi, avec eux.Puis il invita le conseiller à le suivre, prit un taxi et parcourut,avec son collaborateur, les rues où se trouvaient <strong>de</strong>s groupeshostiles, mettant en gar<strong>de</strong> les <strong>ma</strong>nifestants contre <strong>de</strong>s gestesirréfléchis qui seraient gros <strong>de</strong> conséquences. Le conseillermunicipal était prié par le <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> traduire.Dans la nuit, un détachement <strong>de</strong> Sénégalais se dirigeant surFedj­M'Zala, dut s'arrêter à Saint­Arnaud, pour faire face auxgroupements tenus en respect par l'énergie calme du <strong>ma</strong>ire, <strong>de</strong> lagendarmerie et <strong>de</strong> quelques auxiliaires européens et indigènes <strong>de</strong>la municipalité.La provocation avait été flagrante.L'affaire se termina par soixante arrestations <strong>de</strong> meneurs, dont35


UN DRAME ALGERIEN<strong>de</strong>ux conseillers indigènes et trois employés <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>irie,emmenés à Sétif par l'autorité militaire.Saint­Arnaud n'échappa, on peut le dire, que <strong>de</strong> justesse, au<strong>drame</strong> qui, par ailleurs, se déchaîna sur la région <strong>de</strong> Sétif. Grâce àl'attitu<strong>de</strong> prise par sa municipalité et son chef et grâce à l'arrivéeopportune <strong>de</strong>s troupes noires, le sang ne coula pas, <strong>de</strong>s morts n'ontpas été à déplorer.AUX AMOUCHASLe petit centre <strong>de</strong>s Amouchas fait partie <strong>de</strong> la commune mixte<strong>de</strong> Takitount, dans l'arrondissement <strong>de</strong> Bougie. Il est situéexactement à vingt­quatre kilomètres <strong>de</strong> Kerrata, et à vingt­neufkilomètres <strong>de</strong> Sétif, sur la route <strong>de</strong> Sétif à Bougie.Par sa situation entre Kerrata et El­Ouricia, il <strong>de</strong>vait participerau <strong>drame</strong> qui a ensanglanté toute la région. Il a vu passer lesvagues d'émeutiers déferlant sur le pays. Son bureau <strong>de</strong> poste a étéattaqué et une <strong>ma</strong>ison du village pillée. L'agglomération n'a pas euà enregistrer <strong>de</strong> victime par mort violente, en raison <strong>de</strong> l'arrivéerapi<strong>de</strong> d'un détachement militaire. Cependant le bourg a étéencadré par <strong>de</strong>ux <strong>drame</strong>s : le <strong>ma</strong>ssacre <strong>de</strong> l'AdministrateurRousseau et <strong>de</strong> son adjoint, dont nous parlons par ailleurs etl'assassinat <strong>de</strong> M. Carrier, gérant <strong>de</strong> la ferme Gentil.C'est à quelques kilomètres <strong>de</strong>s Amouchas que le car venant <strong>de</strong>Sétif a été agressé, ce qui avait motivé la randonnée <strong>de</strong>l'Administrateur en chef, revenant <strong>de</strong> Kerrata dans <strong>de</strong>s conditionsque nous précisons plus loin.Il convient <strong>de</strong> noter, ici, l'attaque d'une ferme française, dontl'exploitant M. Torrent ne dut son salut qu'à sa présence d'esprit.Objet d'une véritable chasse à l'homme, il se réfugia dans une36UN DRAME ALGERIENsoupente d'où il assista impuissant à la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> son bien,pendant <strong>de</strong> longues heures. Cinq <strong>de</strong>s pillards ont été condamnés àmort le 8 octobre 1945, par le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine :Laïd Saïd, Magrem Embarek, Kharbèche Layadi, MoghrebBouzid, Mehabile Sli<strong>ma</strong>ne.A EL­OURICIAEl­Ouricia est un chef­lieu <strong>de</strong> canton situé au nord <strong>de</strong> Sétif et àpeu <strong>de</strong> distance.C'est près d'El­Ouricia qu'a été assassiné, sur la route, le curéNavaro, remplissant les fonctions d'aumônier militaire, dont nousavons déjà parlé, et jouissant <strong>de</strong> l'estime <strong>de</strong> tous les Français dansla région.Ce prêtre revenait <strong>de</strong> Périgotville en motocyclette le 8 <strong>ma</strong>i, à14 h. 30. Il fut agressé à coups <strong>de</strong> pistolet et mis aussitôt hors d'état<strong>de</strong> résister. Les émeutiers s'acharnèrent sur son corps, ydéterminant <strong>de</strong>s blessures horribles et <strong>de</strong>s mutilations honteuses.Puis ils se ruèrent vers le village. L'arrivée d'un détachementmilitaire les empêcha d'ajouter encore à la liste <strong>de</strong> leurs forfaits.A AIN­ABESSAC'est également le 8 <strong>ma</strong>i, vers 21 h. 45, que plus <strong>de</strong> milleindigènes, dont un grand nombre était armé <strong>de</strong> mitraillettes, ontattaqué le village d'Aïn­Abessa. La population n'eut que le temps<strong>de</strong> se réfugier à la gendarmerie et d'organiser la résistance. L'alertedura peu, en raison <strong>de</strong> l'arrivée, relativement rapi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la troupe.Mais un <strong>drame</strong> est à déplorer, M. Fabre, surpris dès le début, avaitété assassiné.37


UN DRAME ALGERIENDANS LES RIRHASTel est le nom d'une commune mixte <strong>de</strong> l'arrondissement <strong>de</strong>Sétif, dont le siège est à Colbert, au sud <strong>de</strong> cette ville, à33 kilomètres.Le mercredi 9 <strong>ma</strong>i, la ferme Rogin est attaquée par <strong>de</strong>s rebelles.Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in 10 <strong>ma</strong>i, vers midi, le centre <strong>de</strong> Pascal est menacé.<strong>Un</strong>e patrouille, qui arrive à temps, disperse les agresseurs.Aucune victime n'est à déplorer dans la population française.La propagation <strong>de</strong> l'émeute s'est surtout <strong>ma</strong>nifestée dans la régionnord <strong>de</strong> Sétif, à l'intérieur du triangle géographique ayant poursommets les trois villes <strong>de</strong> Sétif, Bougie, et Djidjelli, avec tentatived'extension vers Constantine, par Djemila et Fedj­M'Zala.A LA FAYETTELe village <strong>de</strong> La Fayette est situé au nord­ouest <strong>de</strong> Sétif, à45 kilomètres. C'est le chef­lieu <strong>de</strong> la commune mixte duGuergour. 95 kilomètres le séparent du port <strong>de</strong> Bougie. Paysmontagneux, offrant <strong>de</strong>s cultures <strong>de</strong> céréales, c'est un centreimportant.La journée du 8 <strong>ma</strong>i allait s'écouler et l'on pensait être à l'abri<strong>de</strong>s remous provoqués dans la région par les événements <strong>de</strong> Sétif,lorsque, vers 22 heures, on signalait <strong>de</strong>s attroupements armésentourant La Fayette. L'autorité, aussitôt alertée par M. Olive,administrateur <strong>de</strong> la commune mixte, on reçoit la promesse <strong>de</strong>l'arrivée prochaine <strong>de</strong> troupes pour la défense <strong>de</strong> l'agglomération.Ce n'est que le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in à 13 heures que l'on voit arriver undétachement <strong>de</strong> la Légion étrangère. Cela provoque <strong>de</strong> nouveauxgroupements autochtones. <strong>Un</strong> avocat musul<strong>ma</strong>n explique que sescoreligionnaires sont mécontents <strong>de</strong> ce déploiement <strong>de</strong> forces et38UN DRAME ALGERIENque le calme reviendra avec le départ <strong>de</strong>s militaires. Ledétachement se dirige vers Kerrata.Peu après 17 heures, on entend <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu.L'Administrateur est en tournée <strong>de</strong> surveillance dans le village,ainsi que son adjoint M. Plault. M. Olive a juste le temps <strong>de</strong> seréfugier à la gendarmerie, pendant que, <strong>de</strong> justesse, grâce à uncavalier <strong>de</strong> la commune mixte, M. Plault arrive à, regagner le bordjadministratif. Gendarmerie et bordj sont mis en état <strong>de</strong> défense.Mais <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>isons particulières sont envahies par les émeutiers et<strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> pillage ont lieu. Certains habitants n'ont pas purejoindre les centres <strong>de</strong> résistance, où les Français se défen<strong>de</strong>nt,avec énergie, aidés par <strong>de</strong>s collaborateurs restés fidèles.Vers 23 heures, <strong>de</strong>s blindés militaires arrivent. Les assiégéssont délivrés. Les émeutiers s'éloignent, <strong>ma</strong>is le 10 <strong>ma</strong>i, à 7 heuresdu <strong>ma</strong>tin, les voitures quittant le centre, on constate <strong>de</strong> nouveauxattroupements. Ce n'est qu'à midi et <strong>de</strong>mie que l'arrivée <strong>de</strong>Sénégalais assure enfin le calme dans la région.L'alerte a été chau<strong>de</strong>. On enregistre <strong>de</strong>s morts, trois Israélites,surpris chez eux ou réfugiés chez <strong>de</strong>s voisins;— Mme Atlan Ginette, 55 ans ;— M. Daniboule Saffar, 60 ans ;— et le jeune Levy Roland, 15 ans, dont la fin lamentable a étéexposée, le 20 août, à l'audience du Tribunal militaire <strong>de</strong>Constantine.Laissons la parole à la Dépêche <strong>de</strong> Constantine : « Le 9 <strong>ma</strong>idans la soirée, un jeune écolier, Lévy Roland, âgé <strong>de</strong> 15 ans, qui setrouvait seul chez lui, ses parents s'étant absentés, entendaitbrusquement <strong>de</strong>s cris, <strong>de</strong>s hurlements, <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu provenant<strong>de</strong> l'extérieur. L'émeute venait d'éclater et <strong>de</strong>s groupes d'indigènes,armés <strong>de</strong> fusils et <strong>de</strong> couteaux, parcouraient les rues du village.39


UN DRAME ALGERIENL'enfant terrorisé s'enfuyait et courait se réfugier chez ladomestique <strong>de</strong> sa mère, une Mauresque, qui l'enveloppait dans unpar<strong>de</strong>ssus et le cachait sous une table. Peine perdue. Les émeutiers,qui procédaient avec métho<strong>de</strong>, visitant toutes les <strong>de</strong>meuressusceptibles d'abriter <strong>de</strong>s Européens, s'arrêtaient bientôt <strong>de</strong>vant lelogement <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>uresque. Celle­ci, courageusement et <strong>ma</strong>squant<strong>de</strong> son corps l'entrée <strong>de</strong> son domicile, déclarait qu'il n'y avaitpersonne chez elle. Mais <strong>de</strong>ux indigènes, Lekhal Saïd ben Tahar,35 ans, et Laïdoudi Mokhtar Ben Ali, 63 ans, la frappantbrutalement et l'écartant <strong>de</strong> force, pénétraient dans la chambre,découvraient l'enfant et <strong>ma</strong>lgré ses supplications, l'abattaientfroi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> fusil.Le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine ayant reconnu laculpabilité <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux accusés, les a condamnés à la peine capitale.Cette sentence n'a pas, que nous sachons, été exécutée.***On verra plus loin, dans le chapitre consacré au <strong>ma</strong>rtyrologe <strong>de</strong>nos gar<strong>de</strong>s forestiers, le récit du guet­apens au cours duquel legar<strong>de</strong> Feuvrier a trouvé la mort. La <strong>ma</strong>ison forestière <strong>de</strong> Bialelappartient à la briga<strong>de</strong> <strong>de</strong> La Fayette.UN DRAME ALGERIENA PERIGOTVILLEA El­Ouricia, situé sur la gran<strong>de</strong> artère sud­nord, qui joint Sétifà Bougie par les gorges impressionnantes <strong>de</strong> Kerrata, se trouve unembranchement Est assurant la jonction vers Djidjelli, parPérigotville, Chevreul et le col <strong>de</strong> Tamentout.Périgotville est le chef­lieu <strong>de</strong> la commune mixte <strong>de</strong> Takitount.Cette importante agglomération, pourvue d'un bordj administratif,est à 27 kilomètres <strong>de</strong> Sétif.Le 8 <strong>ma</strong>i, M. Rousseau, Administrateur en chef, accompagné<strong>de</strong> son adjoint, M. Bancel et <strong>de</strong> M. El Ke<strong>ma</strong>l Mohamed, juge <strong>de</strong>paix du canton, s'était rendu sur la route d'El­Ouricia, où avait étésignalée l'attaque du service postal Sétif­Bougie. L'automobileétait conduite par le nommé Bouguendoura A<strong>ma</strong>r, brigadier <strong>de</strong>scavaliers <strong>de</strong> la commune mixte. Participaient donc au voyage, <strong>de</strong>uxFrançais d'origine, MM. Rousseau et Bancel et <strong>de</strong>ux Françaisindigènes, le Juge et le brigadier.Ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers revinrent seuls, dans la voitureadministrative, qui s'arrêta <strong>de</strong>vant la <strong>de</strong>meure du mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong>colonisation <strong>de</strong> Périgotville. Le juge <strong>de</strong> paix <strong>de</strong>scendit et l'autocontinua vers le bordj.Le <strong>ma</strong>gistrat se présenta au Dr Mazzuca et lui montra uneblessure légère « située au niveau du pavillon <strong>de</strong> l'oreille gauche ».Le mé<strong>de</strong>cin fit un pansement som<strong>ma</strong>ire, et l'on causa amicalement.Aucune allusion ne fut faite à l'Administrateur et à son adjoint.Ayant accompagné son visiteur jusqu'à la sortie <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison etfermé la porte d'entrée, le docteur entendit au <strong>de</strong>hors le bruit d'uneconversation : « Attention ! disait le Juge. Je suis un musul<strong>ma</strong>n. Nevous trompez pas ! »4041


UN DRAME ALGERIENLa <strong>ma</strong>ison <strong>de</strong> M. Mazzuca était menacée, Les émeutiersenvahissaient le village et son ami El Ké<strong>ma</strong>l ne l'avait pas prévenu.Bien mieux, cet ami ne lui avait pas dit qu'il avait assisté, avec lebrigadier, à l'assassinat <strong>de</strong> l'Administrateur et <strong>de</strong> son adjoint, dontles cadavres, horriblement mutilés, ne <strong>de</strong>vaient être retrouvés quetrois jours après. Les <strong>de</strong>ux indigènes étaient revenus avec lavoiture administrative, sans prévenir personne, ils étaient suivis <strong>de</strong>très près par une secon<strong>de</strong> voiture apportant <strong>de</strong> Sétif le signal <strong>de</strong>l'émeute. Nous allons reparler <strong>de</strong> cet inci<strong>de</strong>nt.« Peu d'instants après, — dit une brochure résu<strong>ma</strong>nt lesopérations militaires qui ont eu lieu dans la région — les indigènesdu centre <strong>de</strong> colonisation <strong>de</strong> Périgotville et <strong>de</strong>s environsimmédiats, armés <strong>de</strong> fusils, <strong>de</strong> haches, <strong>de</strong> pioches, <strong>de</strong> <strong>ma</strong>sses, etc.,se répan<strong>de</strong>nt par groupes imposants à travers le village et semettent en <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> tuer tous les Français, en commençant par leshommes et selon un plan préétabli.« Ils font successivement l'assaut <strong>de</strong> chaque <strong>ma</strong>ison. Ilsdébutent par la poste, où ils tuent le Receveur et blessentmortellement son fils, âgé <strong>de</strong> 11 ans (1) puis c'est le tour <strong>de</strong> la<strong>de</strong>meure <strong>de</strong> M. Richard, celle du Mé<strong>de</strong>cin, le bordj <strong>de</strong> la communemixte, où ils pillent les armes et les munitions du centre <strong>de</strong>colonisation et tuent M. Fabrer Henri et <strong>de</strong>ux tirailleurs françaisqui lui avaient servi d'escorte, Hart<strong>ma</strong>nn et Poissonnet. Ilspoursuivent leur œuvre en fracturant les portes et les fenêtres <strong>de</strong>s<strong>ma</strong>isons, s'emparant <strong>de</strong>s armes et exterminant <strong>de</strong> nombreusespersonnes.« Quinze victimes tombent sous les coups <strong>de</strong>s rebelles, dontl'abbé Navaro, aumônier <strong>de</strong> la garnison <strong>de</strong> Sétif, qui venait dire samesse à Périgotville.« Le pillage et le meurtre se poursuivent méthodiquement,(1) Le Receveur <strong>de</strong>s postes, M. Sanbin, a été tué, nous dit­on, par le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Sectionlocale <strong>de</strong>s Amis du Manifeste.42UN DRAME ALGERIENencouragés par les you­you <strong>de</strong>s femmes indigènes jusqu'à l'arrivéed'une voiture blindée militaire, qui chassa les rebelles <strong>de</strong>Périgotville et mit fin à cette horrible tragédie.« Il était environ 7 heures.« En toute hâte, l'officier com<strong>ma</strong>ndant l'élément grouparapi<strong>de</strong>ment quelques habitants au bordj administratif, leurdistribua <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong> l'équipage du blindé et confia la défense auDr Mazzuca et au sergent Geromini <strong>de</strong> l'infanterie coloniale, qui setrouvait en permission.« Le half­track regagne Sétif à toute vitesse pour y chercher durenfort. Celui­ci revient, une heure après, avec une section <strong>de</strong>Sénégalais et un second half­track, qui pourchasse les insurgésjusqu'à la nuit.« Le calme paraît rétabli, on organise un convoi qui emmène àSétif <strong>de</strong>s femmes, <strong>de</strong>s enfants, <strong>de</strong>s personnes âgées, <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>la<strong>de</strong>s,<strong>de</strong>s blessés et trois cadavres.« Ce convoi passe par les Amouchas, où l'officier com<strong>ma</strong>ndantavait une mission à accomplir et rentrait à Sétif, le 9 <strong>ma</strong>i, à 2heures.« Il n'est pas <strong>de</strong> mots pour traduire les horreurs <strong>de</strong> cette journéeque tous voulaient <strong>de</strong> joie et qui a été d'épouvante (1). »Ajoutons à ce récit émouvant, les quelques détails qui suivent :La troupe, venant au secours <strong>de</strong> Périgotville, a été stoppée, le 8<strong>ma</strong>i à 16 h. 25, aux environs <strong>de</strong> ce centre, par plusieurs barrages <strong>de</strong>pierres successifs, judicieusement disposés et battus par <strong>de</strong>s feuxprovenant <strong>de</strong>s hauteurs immédiatement voisines (procédé <strong>de</strong>combat européen). L'half­track essuie une fusilla<strong>de</strong> nourrie <strong>de</strong>droite et <strong>de</strong> gauche, qui vient s'écraser sur le blindage. On ripostepar tous les moyens du bord.(1) Extrait <strong>de</strong> Sétif, <strong>ma</strong>i 1945.43


UN DRAME ALGERIENL'arrivée à Périgotville, où la bataille fait rage, coupe court au<strong>ma</strong>ssacre.« Mais douze cadavres sont relevés, sauvagement mutilés, lesfaces en bouillie, etc..« Quarante fusils et dix mille cartouches ont été enlevés aubordj administratif. Ils servent à tuer les Français <strong>de</strong> la région. »Le bureau <strong>de</strong> poste a été saccagé, les fils télégraphiques ettéléphoniques arrachés.A 19 h. 30, un second half­track et une section sénégalaisefoncent à nouveau, d'El­Ouricia — où le com<strong>ma</strong>ndant Biraben estblessé au poignet — sur Périgotville, où les habitants, on l'a ditplus haut, sont réunis au bordj.« Deux nouveaux barrages sérieux (blocs énormes qui viennentd'être posés) et qui sont battus par <strong>de</strong>s feux. L'adjudant Laroche,du 9e escadron <strong>de</strong> la gar<strong>de</strong>, avec l'ai<strong>de</strong> d'un groupe <strong>de</strong> Sénégalaiset protégé par les feux <strong>de</strong>s mitrailleuses, dégage la route. »Au retour <strong>de</strong> Périgotville sur les Amouchas, par une routedirecte, le com<strong>ma</strong>ndant du convoi rencontre, non loin <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnierpoint, une voiture civile criblée <strong>de</strong> balles. Le conducteur, M.Parmentier, a vu son épouse tuée près <strong>de</strong> lui, au col <strong>de</strong> TiziN'Béchar. Le <strong>ma</strong>lheureux, fou <strong>de</strong> douleur, est recueilli.Le convoi arrive à Sétif à 2 heures du <strong>ma</strong>tin.Entre 14 h. 54 et 18 heures, le 8 <strong>ma</strong>i, quinze Français ont étéabattus par les émeutiers à Périgotville. Le <strong>ma</strong>ssacre a eu lieu auxcris <strong>de</strong> La guerre sainte! Voici les noms <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>lheureuses victimessurprises avant qu'elles aient eu le temps <strong>de</strong> se mettre en état <strong>de</strong>défense :Sanbin Pierre, 35 ans ;Sanbin Pierre, 11 ans ;44UN DRAME ALGERIENRichaud Jean­Pierre, 69 ans ;Perret Edmond, 27 ans, en permission, <strong>de</strong>s Tabors <strong>ma</strong>rocains.Eymenier Gilbert, 27 ans, militaire en permission ;Vétillard, 18 ans, sans profession ;Fabrer Henri, 57 ans, propriétaire agriculteur, Juge <strong>de</strong> paixsuppléant ;Boissonnet, Hart<strong>ma</strong>nn, militaires qui accompagnaient M.Fabrer ;Flandrin Joseph, 45 ans, boulanger ;Morel Alexis, 57 ans, chef cantonnier, père <strong>de</strong> six enfants ;Carrier Charles, bourrelier ;Rousseau, Administrateur, chef <strong>de</strong> la commune ;Bancel, Administrateur adjoint ;Navaro, curé (tué sur la route et mutilé). Nous avons parlé <strong>de</strong> lamort <strong>de</strong> l'Administrateur <strong>de</strong> la commune <strong>de</strong> Périgotville,M. Rousseau et <strong>de</strong> son adjoint, M. Bancel.MM. Rousseau et Bancel se trouvaient le <strong>ma</strong>tin du 8 <strong>ma</strong>i àKerrata, où avait lieu une cérémonie, à l'occasion <strong>de</strong> la victoire.Ces fonctionnaires, alertes, étaient revenus précipitamment versPérigotville. M. Rousseau apprenait en route que le car Deschanel,assurant les communications entre Sétif et Bougie, avait étéattaqué à son retour vers Bougie. Il arrivait à 13 h. 45 accompagné<strong>de</strong> son adjoint, M. Bancel et <strong>de</strong> M. El Ke<strong>ma</strong>l Mohamed Juge <strong>de</strong>paix, aux Amouchas. Ces autorités se dirigeaient aussitôt, dans ladirection d'El­Ouricia, vers la ferme Torrent, où l'agressionsignalée avait eu lieu.Arrivée à 21 kilomètres <strong>de</strong> Sétif, l'automobile <strong>de</strong>l'administrateur était arrêtée par un barrage <strong>de</strong> grosses pierres.Ayant voulu reculer, elle heurta une auto qui la suivait et étaitvenue se placer <strong>de</strong>rrière elle, empêchant toute évolution. A cemoment <strong>de</strong>s indigènes armés se précipitèrent vers la route.45


UN DRAME ALGERIENComprenant le danger, l'Administrateur et son adjoint sautèrentrapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la voiture et, chacun <strong>de</strong> leur côté, franchirent lesfossés. Ils tombèrent presque aussitôt sous les coups <strong>de</strong> feu <strong>de</strong>sagresseurs.Laissant là les cadavres, les <strong>de</strong>ux automobiles rejoignaientPérigotville. Nous avons dit que le Juge <strong>de</strong> paix, d'origineindigène, avait rendu visite au Dr Mazzuca, sans lui faire part du<strong>drame</strong> auquel il avait assisté.Quant au nommé Bouguendoura, brigadier <strong>de</strong>s cavaliers etconducteur <strong>de</strong> l'auto municipale, il réintégra les bureaux <strong>de</strong> lacommune mixte.La voiture qui suivait fit, à son tour, son entrée dans le villageet son conducteur, Adouani, donna, dit­on, le signal <strong>de</strong>l'insurrection.Les immeubles <strong>de</strong> la poste, <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>irie, sont aussitôt attaqués.Le bordj administratif est mis au pillage. Dans un <strong>de</strong>s bureaux on<strong>de</strong>vait trouver le cadavre <strong>de</strong> M. Fabrer.A 16 h. 30, le com<strong>ma</strong>ndant Mazzuca, à la tête d'un petitdétachement, arrive à Périgotville, après avoir essuyé en route <strong>de</strong>nombreux coups <strong>de</strong> feu, et traversé <strong>de</strong>s barrages. Puis il fonce surEl­Ouricia, afin <strong>de</strong> <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>r du renfort et se procurer <strong>de</strong>smunitions (1).A son retour, on a reconstruit les barrages et il faut lutter pourassurer le passage, Le com<strong>ma</strong>ndant forme un convoi avec lesenfants, femmes et vieillards, qu'il accompagne jusqu'à Sétif, oùl'on arrive à 2 heures du <strong>ma</strong>tin.* * *Le bureau <strong>de</strong> poste <strong>de</strong> Périgotville a été, avons­nous dit, lethéâtre d'une atroce tragédie.(1) Soulignons ici, le rôle joué dans la défense <strong>de</strong> la région par MM. Mazzuca frères, lecom<strong>ma</strong>ndant et le mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> colonisation, qui se dépensèrent sans compter pour le rétablissement<strong>de</strong> l'ordre et <strong>de</strong> la sécurité.46UN DRAME ALGERIENLes débats qui ont eu lieu le 1er décembre 1945 <strong>de</strong>vant leTribunal militaire <strong>de</strong> Constantine, ont apporté <strong>de</strong>s témoignagesofficiels sur ce qui s'est passé dans l'immeuble postal.M. Sanbin, Receveur, entouré <strong>de</strong> sa famille, composée <strong>de</strong> safemme et <strong>de</strong> trois enfants, s'est tenu à son bureau, le 8 <strong>ma</strong>i. Par letéléphone, il était au courant du danger qui menaçait la région. Illançait <strong>de</strong> son côté <strong>de</strong>s appels pour obtenir <strong>de</strong>s secours surPérigotville. Vers 15 heures, le téléphone était coupé et la porte dubureau violemment attaquée. M. Sanbin n'avait pas d'armes. Lafamille se replia en hâte dans la cave. La porte enfoncée, la <strong>ma</strong>isonfut rapi<strong>de</strong>ment envahie et saccagée. Les agresseurs, très excités,gagnèrent le sous­sol. Ils n'eurent pas <strong>de</strong> peine à trouver les<strong>ma</strong>lheureux Français, sans défense possible.« <strong>Un</strong> <strong>de</strong>s forcenés, dit l'acte d'accusation, un tailleur <strong>de</strong>Périgotville, Benmihoub Haouès, mettant en joue le Receveur,avec un fusil volé à la commune, l'abattit froi<strong>de</strong>ment, <strong>ma</strong>lgré lessupplications <strong>de</strong> Mme Sanbin qui, un bébé dans les bras, tentait<strong>ma</strong>is en vain, d'apitoyer le bandit.« La cave était pleine d'émeutiers. La <strong>ma</strong>lheureuse mère ne putvoir ce qui se passait un peu plus loin, <strong>ma</strong>is soudain, elle entenditcinq nouveaux coups <strong>de</strong> feu. C'était son fils, Pierre, âgé <strong>de</strong> 11 ans,qui tombait, sous les balles d'un autre assassin, Guerfi Mohamed.Bien qu'atteint par cinq projectiles à la poitrine, l'enfant eut, la,force <strong>de</strong> se traîner chez un voisin et <strong>de</strong> dénoncer celui qui avait tirésur lui. Il le connaissait bien. C'était l'écrivain public du villagequ'il voyait chaque jour <strong>de</strong>vant la poste. »Les débats, <strong>de</strong>vant le Tribunal militaire, furent émotionnants.La presse n'en a rapporté qu'un écho diminué, par l'exercice <strong>de</strong> lacensure d'une part, et la raréfaction du papier accordé auxjournaux, d'autre part, a­t­on dit...47


UN DRAME ALGERIEN« Guerfi Mohamed répondait <strong>de</strong> son crime <strong>de</strong>vant les jugesmilitaires. Quant à Benmihoub Haouès, en fuite, il était jugé parcontu<strong>ma</strong>ce. Deux complices, dont une femme, étaient égalementassis au banc <strong>de</strong>s accusés : Chekroun Douadi ben Saïd, Cantonnieret Chekroun Dahbia bent Saïd, ménagère.« Après l'interrogatoire, on entendit divers témoins, dont MmeSanbin. Déposition profondément émouvante. La voix entrecoupée<strong>de</strong> sanglots, Mme Sanbin raconta le <strong>drame</strong> qu'elle vécut, lemeurtre sous ses yeux, <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri, la mort <strong>de</strong> son enfant. Ellemêmese <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> encore comment elle fut épargnée.« Déposition accablante aussi, <strong>de</strong> même que celle du jeuneVétillard chez qui se réfugia le petit Pierre, après ses blessures.« <strong>Un</strong> autre témoin vint encore dire comment il avait vu Haouès,l'auteur du meurtre <strong>de</strong> M. Sanbin, abattre à bout portant, d'un coup<strong>de</strong> revolver, un autre enfant, le jeune Blanc.« Le tribunal condamna à la peine <strong>de</strong> mort Guerfi Mohamed etBenmihoub Haouès. Ce <strong>de</strong>rnier par contu<strong>ma</strong>ce.« Chekroun Daoudi Ben Saïd se vit condamné à vingt ans <strong>de</strong>détention et dix ans d'interdiction <strong>de</strong> séjour. Chekroun Dahbia bentSaïd à dix ans <strong>de</strong> détention. Car, ici encore, les femmes ontparticipé au <strong>drame</strong>. »Avant l'audience du 1er décembre, dont nous venons <strong>de</strong> donnerun résumé succinct, exactement le 10 novembre, le Tribunalmilitaire <strong>de</strong> Constantine a condamné cinq émeutiers <strong>de</strong>Périgotville à <strong>de</strong>s peines variant <strong>de</strong> vingt ans a cinq ans <strong>de</strong> travauxforcés, retenant l'accusation <strong>de</strong> port d'armes dans un mouvementinsurrectionnel et <strong>de</strong> recel d'objets volés.Notons enfin que le 10 décembre 1945 le meurtre <strong>de</strong> M.Richaud Pierre, <strong>de</strong> Périgotville, a été évoqué <strong>de</strong>vant le même48UN DRAME ALGERIENTribunal militaire. Cinq condamnations à mort ont été prononcéesdont trois par contu<strong>ma</strong>ce : Benmihoub Haouès, Benlabed Metaïch,Boutouga Bachir, Chekroun Khier. Aucune exécution n'a eu lieu,du reste.10 décembre 1945... C'est à la même audience que le tribunal aprononcé l'acquittement du juge El Ke<strong>ma</strong>l, qui n'avait puempêcher, a dit le ministère public, le meurtre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxadministrateurs...Le 19 janvier 46, les assassins <strong>de</strong> M. Vétillard Clau<strong>de</strong> étaientacquittés, faute <strong>de</strong> preuves.Le 22 février 1946, le <strong>drame</strong> horrible <strong>ma</strong>rqué par la mort <strong>de</strong>MM Rousseau et Bancel recevait son épilogue : Deuxcondamnations à mort : Bouaoud Cherif et Melghem Salah, troisdétentions perpétuelles et <strong>de</strong>ux condamnations aux travaux forcésà perpétuité.Nous ne pouvons passer sous silence, à propos <strong>de</strong>s événements<strong>de</strong> Périgotville, l'émotion causée chez tous les Français <strong>de</strong> larégion <strong>de</strong> Sétif, par l'attitu<strong>de</strong> prêtée au juge <strong>de</strong> paix, musul<strong>ma</strong>nd'origine, M. El Ke<strong>ma</strong>l Mohammed. Il est établi, ainsi qu'on l'a vu,que ce <strong>ma</strong>gistrat a assisté au <strong>drame</strong> au cours duquel <strong>de</strong>uxfonctionnaires français ont été assassinés. Il n'intervient pas.Arrivé à l'agglomération <strong>de</strong> Périgotville, chef­lieu <strong>de</strong> son canton, ilse gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire un mot <strong>de</strong> ce qui s'est passé. Il laisse auxémeutiers le temps d'investir le village, alors qu'un mot <strong>de</strong> luipouvait permettre <strong>de</strong> préparer la défense, <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s vieshu<strong>ma</strong>ines, d'éviter <strong>de</strong> jeter dix familles françaises dans un <strong>de</strong>uilatroce. Il entre en contact avec les révoltés en sortant <strong>de</strong> chez sonami, le mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> colonisation, qu'il n'a pas alerté. Il a unephrase, à l'adresse <strong>de</strong>s insurgés, singulièrement compromettante :« Je suis musul<strong>ma</strong>n ; ne vous trompez pas. »49


UN DRAME ALGERIENIl nous a été dit, <strong>ma</strong>is non confirmé, qu'il se serait ensuiteréfugié au bordj administratif, avec d'autres habitants ; qu'il auraitainsi reçu l'hospitalité <strong>de</strong> Mme Rousseau, ignorant le sort réservé àson <strong>ma</strong>ri, et que, à l'arrivée <strong>de</strong>s troupes, prenant part à unediscussion sur la défense <strong>de</strong> la région, il aurait émis cette opinion :« Il ne faudrait pas faire <strong>de</strong> représailles parce que l'Administrateuret son adjoint sont, peut­être, en ce moment, détenus commeotages. »Le juge Ke<strong>ma</strong>l apparaît — disons le mot — comme uncomplice <strong>de</strong> l'affreuse tuerie. On l'arrête, en effet... un mois après.Il se défend ; c'est son droit. Il est poursuivi pour « refus <strong>de</strong> porterai<strong>de</strong> à quelqu'un menacé <strong>de</strong> mort ». On n'a pu trouver que celadans l'arsenal <strong>de</strong> nos lois. Cela, cependant, est puni <strong>de</strong> un à cinqans <strong>de</strong> prison.Le juge <strong>de</strong> paix Ke<strong>ma</strong>l passe <strong>de</strong>vant le Tribunal militaire <strong>de</strong>Constantine. On voit, avec étonnement, le ministère publicabandonner l'accusation, sous prétexte que l'inculpé ne pouvaitempêcher l'accomplissement du <strong>drame</strong>. Et l'accusé est acquitté surcette déclaration.Nous avons le droit <strong>de</strong> dire que l'opinion publique s'est émue enapprenant cette solution. Et l'émotion a continué, en s'intensifïant,lorsque l'on a appris, par les journaux, que le juge El Ke<strong>ma</strong>lreprenait ses fonctions et était nommé à Aflou, dans ledépartement d'Oran — poste qu'il a quitté, <strong>de</strong>puis, en novembre1946 — pour se rendre en France, à la justice <strong>de</strong> paix <strong>de</strong> Saint­Georges­en­Couzan, par Montbrizon, dans la Loire.La loi française et la dignité administrative nous réservent,parfois, <strong>de</strong> ces surprises...Or, ici, la personnalité d'un indigène admis dans la gran<strong>de</strong>famille française, honorée d'une fonction publique respectable etrespectée, n'est pas seule en cause.50UN DRAME ALGERIENLes hautes sphères administratives n'ignoraient rien <strong>de</strong>s faitsreprochés au juge <strong>de</strong> paix <strong>de</strong> Périgotville. Elles savaient que le seultitre <strong>de</strong> musul<strong>ma</strong>n était une garantie <strong>de</strong> sécurité au milieu même<strong>de</strong>s émeutiers ; que le juge musul<strong>ma</strong>n pouvait donc, sans aucunecrainte pour lui, essayer tout au moins d'intervenir dans le <strong>drame</strong>qui a provoqué la mort <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux chefs <strong>de</strong> municipalité. Ellesn'ignoraient pas que la tuerie du chef­lieu du canton pouvait êtreévitée, si le juge avait donné l'alerte. Laisser acquitter, recaserensuite, dans l'administration, un homme sur qui pesaient tant <strong>de</strong>charges, c'était ou bien être sûr <strong>de</strong> son innocence, ou bien accepterun rôle <strong>de</strong> complice dans le <strong>drame</strong> qui a en<strong>de</strong>uillé toute unerégion. Nous acceptons la première hypothèse.Pour éviter la secon<strong>de</strong> accusation, pour apaiser les esprits, pourrassurer l'opinion publique, une note à la presse, largementdiffusée, s'imposait.L'administration n'a pas bougé, <strong>ma</strong>lgré <strong>de</strong>s réactions intérieuresauxquelles, nous affirme­t­on, elle a passé outre...Elle a jugé, comme chose négligeable et sans importance, le fait<strong>de</strong> ne pas expliquer, publiquement, son geste à une population, quicompte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uils nombreux et douloureux, et qui est,légitimement, émotionnée par une mesure pour le moins etapparemment inattendue.Il est <strong>de</strong>s contingences que les Pouvoirs publics n'ont pas ledroit <strong>de</strong> mépriser sans encourir les plus graves accusations.51


UN DRAME ALGERIENA CHEVREULL'embranchement d'El­Ouricia sur Djidjelli se prolonge, nousl'avons dit, sur Chevreul.Le village <strong>de</strong> Chevreul est une création relativement récente.C'est le <strong>de</strong>rnier centre <strong>de</strong> colonisation édifié dans la région <strong>de</strong>Sétif. Il date <strong>de</strong> 1898. Il est situé non loin du lit <strong>de</strong> l'oued El Kébir,l'un <strong>de</strong>s principaux affluents du Rhumel. Les terres y sont <strong>de</strong>bonne qualité. Les colons ont su, par un travail assidu, s'y créer <strong>de</strong>ssituations acceptables.<strong>Un</strong>e gendarmerie, abritant officiellement quatre gendarmes àcheval, assure la sécurité <strong>de</strong> la région. C'était suffisant jusqu'en<strong>ma</strong>i <strong>de</strong>rnier. On ne peut en dire autant <strong>de</strong>puis.Le 8 <strong>ma</strong>i, le <strong>ma</strong>réchal <strong>de</strong>s logis Poilane com<strong>ma</strong>ndait la briga<strong>de</strong>.M. Bernasconi était <strong>de</strong> service à la recette postale. Tout étaitcalme, rien ne transpirait à Chevreul <strong>de</strong>s événements sanglants quiavaient jeté la tristesse et le <strong>de</strong>uil sur la ville <strong>de</strong> Sétif.On avait dansé, pour fêter la victoire, dans la soirée.Le 9 <strong>ma</strong>i, à 2 heures du <strong>ma</strong>tin, le Receveur <strong>de</strong>s postes alerte lagendarmerie. Quelque chose d'anor<strong>ma</strong>l se passe dansl'agglomération. On entend <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu. On perçoit <strong>de</strong>s jets<strong>de</strong> pierres sur les <strong>ma</strong>isons.Le <strong>ma</strong>réchal <strong>de</strong>s logis sort aussitôt avec son subordonné,M. Pères. Ils vont réveiller trois douaïrs habitant le village.52UN DRAME ALGERIENIls organisent une patrouille dans les rues. Ils ne voient rien. Ilsn'enten<strong>de</strong>nt rien.A 6 heures, nouvelle tournée <strong>de</strong> surveillance. On arrive à la<strong>ma</strong>ison cantonnière, qui se trouve en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l'agglomération.On constate que la ligne téléphonique a été coupée en plusieursendroits. Puis que, dans les rues, toutes les ampoules électriquesont été brisées. On apprend qu'un <strong>drame</strong> s'est déroulé à la <strong>ma</strong>isonGrousset :—Basile Grousset a été tué à coups <strong>de</strong> bâton ; il a étéachevé à coups <strong>de</strong> feu. Près du cadavre, la femme et la fille du<strong>ma</strong>lheureux colon ont subi les pires outrages <strong>Un</strong>e vingtained'indigènes s'étaient livrés à l'attaque <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison.L'histoire <strong>de</strong> cette famille est navrante.Elle nous a été racontée, avec émotion, par un enfant <strong>de</strong>Chevreul, <strong>de</strong>venu l'adjoint spécial <strong>de</strong> ce coquet village, M. MarcelPra<strong>de</strong>illes.Entendant arriver les insurgés, M. Grousset avait quittéprécipitamment sa <strong>ma</strong>ison pour se réfugier, avec sa femme et safille, dans l'habitation d'un <strong>de</strong> leurs ouvriers indigènes. Celui­ci lesrecevant avec difficultés, et la <strong>ma</strong>ison du colon étant livrée aupillage, les <strong>ma</strong>lheureux Français cherchèrent à gagner un bosquetsitué au bas <strong>de</strong> l'agglomération. Aperçus dans leur fuite, ils furentvite rejoints. Grousset n'avait pas d'armes. Il supplia les agresseursd'avoir pitié <strong>de</strong>s siens. On lui lia les <strong>ma</strong>ins et on l'assom<strong>ma</strong> à coups<strong>de</strong> bâton, puis les bandits déchargèrent leurs armes sur lui <strong>de</strong>vantles pauvres femmes terrifiées. Ces <strong>de</strong>rnières, ensuite traînées versle bosquet, furent victimes du sadisme <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> cent hommes.On les emmena ensuite chez elles, où les scènes atrocescontinuèrent...L'adjoint spécial, aidé <strong>de</strong> quelques amis, se dispose à mettre lecadavre à l'abri, <strong>ma</strong>is <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu éclatent, tout près. Il fautcourir au plus pressé.L'alerte est donnée à la population. Mot d'ordre : se réfugier53


UN DRAME ALGERIENà la gendarmerie. De partout, les familles se hâtent. Lesretardataires essuient <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu. Les révoltés ont, en effet,envahi le village. La gendarmerie ne tar<strong>de</strong> pas à être cernée. A7 heures, on estime le nombre <strong>de</strong>s émeutiers à un millier. Ils sontbientôt 3.000 accourus à la curée. Avec eux, <strong>de</strong>s femmes. Parmiles assiégés, on compte douze hommes armés, gendarmes compris.Douze hommes qui ont en face d'eux <strong>de</strong>s adversaires munisd'armes auto<strong>ma</strong>tiques. On entend distinctement le claquementrythmé <strong>de</strong>s mitraillettes parmi les coups <strong>de</strong> fusils <strong>de</strong>s assaillants,qui sont au courant <strong>de</strong>s usages <strong>de</strong> la guerre, qui ont tout prévu,même un long siège : on s'aperçoit bientôt que le courantélectrique du centre est supprimé, puis que la conduite d'eau,alimentant la briga<strong>de</strong>, est coupée.Douze hommes contre trois mille s'augmentant à chaque instant<strong>de</strong> contingents nouveaux !On accepte l'enjeu. On se battra. N'y a­t­il pas <strong>de</strong>s femmes et<strong>de</strong>s enfants à défendre ?Les coups <strong>de</strong> feu éclatent partout, autour du réduit défensif, oùse joue le sort <strong>de</strong> quelques Français arrachés brusquement à leurlabeur journalier. On répond, en économisant le plus possible lesmunitions. On cherche à ne tirer qu'à coup sûr.<strong>Un</strong>e heure passe, puis <strong>de</strong>ux. A 10 h. 20, on entend le bruitd'avions survolant le village. Ce sont <strong>de</strong>s avions <strong>de</strong> chasse. On sehâte. On fait <strong>de</strong>s signaux avec <strong>de</strong>s drapeaux que l'on agite, <strong>de</strong>sdraps <strong>de</strong> lit déployés. Les appareils passent... Ont­ils compris ?Vont­ils chercher du secours?L'inci<strong>de</strong>nt a provoqué un arrêt brusque <strong>de</strong> la fusilla<strong>de</strong> chez lesassiégeants. Elle reprend lorsque s'éloignent les patrouilles <strong>de</strong> l'air.<strong>Un</strong> ordre est, sans doute, donné, car tout à coup une centained'assaillants forcent l'entrée <strong>de</strong> la caserne. Ils réussisent à envahirle vestibule. Le moment est angoissant. Les enfants, les femmes,54UN DRAME ALGERIENont été placés au premier étage. Rapi<strong>de</strong>ment, tiraillant dans lesescaliers pour arrêter le flot qui risque <strong>de</strong> les submerger, lesdéfenseurs vont rejoindre leurs familles. Va­t­on avoir un corps àcorps ? Les agresseurs hésitent, puis se retirent. L'assaut a échoué.Mais les émeutiers reviennent. Ils attaquent les communs, lesécuries <strong>de</strong> la gendarmerie. Il y a là du fourrage. Ils versent <strong>de</strong>l'essence, du pétrole, du <strong>ma</strong>zout. Ils allument ce carburant, Lesconstructions disparaissent bientôt dans un nuage <strong>de</strong> fuméeopaque.Dans le bâtiment principal, on continue à se battre. On essuie<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu, toute la nuit. Dans les moments d'accalmie, onentend <strong>de</strong>s cris dans le village. Il y a là, dans les <strong>ma</strong>isons isolées,<strong>de</strong>s <strong>ma</strong>lheureux qui n'ont pas eu le temps <strong>de</strong> rejoindre le fortin,<strong>de</strong>rnière espérance <strong>de</strong>s défenseurs. On perçoit les youyou <strong>de</strong>sfemmes excitant les assaillants dans leur œuvre meurtrière et <strong>de</strong><strong>de</strong>struction. Des coups <strong>de</strong> feu alternent avec les coups <strong>de</strong> <strong>ma</strong>ssesqui, au loin, un peu atténués par la distance, résonnent sur lesportes ou les volets clos. L'horreur du <strong>drame</strong> qui se <strong>de</strong>vineaugmente encore l'énergie <strong>de</strong>s défenseurs <strong>de</strong> la gendarmerie. Debrusques éclairements d'incendies disent l'intensité <strong>de</strong> l'assaut.<strong>Un</strong> jeune Français, Louis Boissonna<strong>de</strong>, donne un <strong>ma</strong>gnifiqueexemple d'énergie, au milieu <strong>de</strong>s combattants du fortin. Il est<strong>ma</strong>la<strong>de</strong>, épuisé, il se raidit dans la douleur, il se bat, ses coupsportent, précis, ajustés avec patience. Tout à coup, il s'abat. Il n'estpas blessé. Il est terrassé, en pleine action. La mort fait son œuvre.Pendant ce temps, que se passait­il exactement dans le village ?On le sut plus tard. Citons cet extrait <strong>de</strong> la presse (1) :« Leur attaque brisée, les indigènes, laissant la briga<strong>de</strong>incendiée, lançaient sur le village une grosse partie <strong>de</strong> leur sinistre(1) Dépêche <strong>de</strong> Constantine, 5 juin 1945.55


UN DRAME ALGERIENban<strong>de</strong>, laquelle se livrait au pillage <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>isons françaises et lesincendiait ensuite. Pour activer la combustion, les insurgésdéchaînés, brisaient les meubles et les jetaient dans le feu.« Afin <strong>de</strong> <strong>ma</strong>nifester la joie générale <strong>de</strong>s émeutiers, <strong>de</strong>vant cetteterrible vision, à chaque <strong>de</strong>struction d'habitation, un pitre se livraità <strong>de</strong>s démonstrations, accompagné <strong>de</strong>s tams­tams et les femmespoussaient <strong>de</strong> retentissants you­you. C'était la gran<strong>de</strong> fête poureux.« La chapelle ne fut pas, non plus, épargnée. Après avoirdémoli la porte à coups <strong>de</strong> pioche, la meute déchaînée détériora lesprie­Dieu, décapita les statuettes <strong>de</strong>s Saints, arracha le Christ etsaccagea l'autel.« Seule, la <strong>ma</strong>ison <strong>de</strong> M. Monserret Albert fut respectée. Ils enferont leur quartier général, après, toutefois, l'avoir pillée et briséle mobilier. Les docks <strong>de</strong> la S.I.P. furent également saccagés.« Que dire <strong>de</strong> cette <strong>ma</strong>lheureuse femme <strong>de</strong> 83 ans, qui, <strong>ma</strong>lgréson âge et son état mental, fut violée par la même ban<strong>de</strong> ? Sa fille,âgée <strong>de</strong> 48 ans, subit le même sort (1) !« On frémit à la pensée <strong>de</strong> ce qui se serait passé si cesévénements avaient eu lieu à l'époque où familles et enfantsestivaient en ces lieux, car n'oublions pas que Chevreul était<strong>de</strong>venu un centre d'estivage, avec Aïn­Settah, la colonie <strong>de</strong>vacances <strong>de</strong> la <strong>jeunesse</strong>, où <strong>de</strong>s centaines d'enfants se rendaientchaque année.« Il n'est pas <strong>de</strong> mots pour traduire <strong>de</strong> telles horreurs. Plaise àceux qui en ont les pouvoirs que justice soit faite, une justiceimplacable, en rapport avec l'énormité <strong>de</strong> ces crimes et forfaits. »(1) Par respect pour les victimes et leurs familles, nous n'insistons pas sur les violencessubies par <strong>de</strong> <strong>ma</strong>lheureuses femmes. Des détails horrifiants pourraient être cités. Disons, sans lanommer, que l'une d'elles, assaillie dans son domicile, dut subir les outrages <strong>de</strong> tous les agresseursqui entraient. « J'ai compté jusqu'à cent, disait­elle en sanglotant, puis, je n'ai plus compté. »Beaucoup exigeaient après l'avoir violentée, qu'elle se levât pour leur faire du café...56UN DRAME ALGERIENRevenons <strong>ma</strong>intenant à la gendarmerie. « La fusilla<strong>de</strong>, qui necessa durant la nuit, s'intensifia le 10. Vers 8 heures, un nouveaumot d'ordre d'attaque est lancé. L'énergique riposte <strong>de</strong>s Européensl'arrête net, ceux­ci, tirant par salves, occasionnant <strong>de</strong> fortes pertesaux assaillants.« Les criminels, en possession <strong>de</strong> dynamite, détonateurs etmèches, s'apprêtent à faire sauter la gendarmerie (1).« La Provi<strong>de</strong>nce n'abandonne pas les braves et les hommesrésolus. Au moment où tout semblait perdu pour ces héroïquesdéfenseurs, <strong>de</strong>s mitraillettes crépitent : c'est l'arrivée <strong>de</strong> la colonne<strong>de</strong> protection qui met en déroute les assaillants, qu'on ne sait plusexactement qualifier,..« Privés d'eau (2) du jeudi <strong>ma</strong>tin au vendredi <strong>ma</strong>tin, 10 h.20, lesdéfenseurs eurent recours aux fonds d'abreuvoir et <strong>de</strong> chasses <strong>de</strong>W.C. pour pouvoir donner un peu à boire aux enfants et auxfemmes. »Le même numéro du journal constantinois, la Dépêche, relate, àpropos <strong>de</strong> Chevreul <strong>de</strong>s faits qui doivent être mentionnés ici.Nous avons dit que le 9 <strong>ma</strong>i, à 6 heures du <strong>ma</strong>tin, la patrouille,dirigée par le <strong>ma</strong>réchal <strong>de</strong>s logis Poilane autour <strong>de</strong> Chevreul, avaitatteint la <strong>ma</strong>ison cantonnière, située à plusieurs centaines <strong>de</strong>mètres <strong>de</strong> l'agglomération principale. Le chef cantonnier Marchaln'était pas chez lui...« Ce fonctionnaire, qui, inquiet, n'était pas rentré chez lui laveille — ce, grâce à quoi il est encore en vie — resta couché dansles blés, déjà assez hauts, d'un champ éloigné, durant trente­six(1) Ces explosifs provenaient d'une exploitation minière pillée par les bandits, la plâtrière <strong>de</strong>Sillègue, appartenant à M. Marchetti.(2) Et nous pouvons ajouter : privés <strong>de</strong> nourriture.57


UN DRAME ALGERIENheures, sans <strong>ma</strong>nger ni boire, exposé, le jour, aux rayons ar<strong>de</strong>ntsdu soleil.« Plusieurs assaillants passèrent à peu <strong>de</strong> distance <strong>de</strong> lui sans levoir, fort heureusement.« qu'il était dissimulé en cet endroit, à la tombée <strong>de</strong> la nuit, M.Marchal re<strong>ma</strong>rqua que les indigènes <strong>de</strong>s douars environnantséchangeaient entre eux <strong>de</strong>s signaux à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> fusées, indicationsformelles que le coup était bien préparé. »Ajoutons un fait à l'appui <strong>de</strong> l'affir<strong>ma</strong>tion qui précè<strong>de</strong> : aumoment même où s'exécutaient les <strong>ma</strong>ssacres <strong>de</strong> Chevreul, ondistribuait à Saint­Arnaud et à Sétif, <strong>de</strong>s papiers rassurants sur lesort <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> ce <strong>ma</strong>lheureux centre : Chevreul était calme.Rien <strong>de</strong> grave à signaler.L'organisation avait tout prévu...Avons­nous besoin <strong>de</strong> souligner que l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> lagendarmerie <strong>de</strong> Chevreul fait le plus grand honneur aux quelquesFrançais, militaires ou civils qui ont assumé le périlleux honneurd'opposer un barrage à la vague <strong>de</strong> barbarie déferlant brusquementsur nos campagnes en Afrique du Nord ?A Chevreul, vingt­cinq <strong>ma</strong>isons ont été pillées et incendiées.On peut dire, sans être taxé d'exagération, que le village estaujourd'hui détruit. L'administration supérieure a adressé auxvictimes cette promesse officielle : Chevreul sera reconstruit.Des mois ont passé sur la petite cité en <strong>de</strong>uil. De tout leur coeur<strong>de</strong> patriotes, les réfugiés <strong>de</strong> la gendarmerie <strong>de</strong> Chevreul ontaccueilli, le 10 <strong>ma</strong>i à 10 h. 30, du <strong>ma</strong>tin, aux cris répétés <strong>de</strong> Vive laFrance ! le com<strong>ma</strong>ndant et les troupes qui venaient les délivrer (1).(1) C'est le com<strong>ma</strong>ndant Rouire, un Constantinois, qui est arrivé le premier au secours <strong>de</strong>shabitants <strong>de</strong> Chevreul. Chef d'état­<strong>ma</strong>jor <strong>de</strong> la subdivision du Sétif, il avait assuré d'abord ledéblocage du chef­lieu et <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>rché, sur l'ordre du colonel Bourdila. Puis le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in, 9 <strong>ma</strong>i, ils'était dirigé sur Sillègue, où il dût, pour se dégager, organiser la répression. Le 10, il atteignait58UN DRAME ALGERIENAyant donné à leurs morts les soins respectueux qu'ils méritaient,ayant reçu pour huit jours, dans une sépulture provisoire — le petitbois <strong>de</strong> frênes qu'ils n'abor<strong>de</strong>nt plus qu'avec un sentiment <strong>de</strong>tristesse — les corps <strong>de</strong> Mme et M. Bovo, <strong>de</strong> l'ingénieur Coste,tués à 1500 mètres du village, les colons <strong>de</strong> Chevreul ont fait leurexamen <strong>de</strong> conscience.« Le <strong>drame</strong> horrible terminé, subi, nous écrit notre ami,l'adjoint spécial, Marcel Pra<strong>de</strong>illes, nous voudrions conclure. Né àChevreul, y ayant vécu pendant quarante ans, je connais bien la vieet l'histoire <strong>de</strong> ce village. Aussi loin que vont mes souvenirs, je netrouve que <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> bon voisinage entre les indigènes etnous, fonctionnaires ou colons français. Je ne vois ni conflit, niaffaire <strong>de</strong> justice, ni inci<strong>de</strong>nt, ni <strong>ma</strong>lentendu susceptiblesd'entraîner <strong>de</strong>s représailles.« Les indigènes étaient nos amis... jusqu'au jour, relativementrécent, où le délégué financier Abbas Ferhat et son adjoint, l'avocatMostefaï sont venus à Chevreul pour réunir les notables et créer legroupe local <strong>de</strong>s « Amis du Manifeste ».« Depuis, nous avions tous constaté un changement très netdans l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Arabes vis­à­vis <strong>de</strong>s Français : ils évitaientnotre contact, les formules ou <strong>ma</strong>nifestations <strong>de</strong> politesses étaientréticentes et raréfiées. Les effusions amicales d'autrefois avaitdisparu. On était froid et distant avec nous.« Nous en avions fait l'observation. Mais <strong>de</strong> là à admettrel'existence d'un complot criminel contre toute une population,contre nos femmes et nos enfants, un tel rapprochement ne pouvaitse former dans notre esprit.« Aujourd'hui, notre pauvre petit village se dépeuple.Chevreul, complètement encerclé. Le samedi <strong>de</strong> Pentecôte, il dut partir, avec une colonne motorisée,sur le chemin <strong>de</strong>s crêtes, entre Aïn­Roua et Oued­Amizour, et remettre <strong>de</strong> l'ordre dans la région.59


UN DRAME ALGERIENDevant les promesses officielles tous les colons avaient décidé<strong>de</strong> rester. On n'abandonne pas <strong>de</strong> gaîté <strong>de</strong> coeur un pays que l'on acréé, dont la prospérité est votre œuvre. Tant <strong>de</strong> détails vousretiennent ! Et puis, par<strong>de</strong>ssus tout il y a les tombes... On étaitunanime dans la volonté <strong>de</strong> rester.« Ne voyant rien venir, la moitié <strong>de</strong>s colons, atteints dans leursituation, déçus dans leurs espérances, sont partis. D'autres parlent<strong>de</strong> les suivre...« Je vous écris cela, le coeur serré » (1).M. Pra<strong>de</strong>illes a raison, et nous comprenons son émotion. <strong>Un</strong>village qui disparaît, ou s'amenuise dans nos campagnes, c'est unpeu <strong>de</strong> la France qui s'en va, qui se retire <strong>de</strong> notre Afrique duNord, où les terriens français, fils et frères <strong>de</strong> nos paysans <strong>de</strong> lamétropole, avaient cependant créé une si belle œuvre... une œuvredont ils avaient le droit d'être fiers...***Depuis la rédaction <strong>de</strong>s pages que l'on vient <strong>de</strong> lire, nous avonsreçu d'autres détails venant préciser <strong>de</strong>s questions que nous avonscru <strong>de</strong>voir poser à nos amis <strong>de</strong> Chevreul.On re<strong>ma</strong>rquera, dans le cours <strong>de</strong> ce récit, que nous ne<strong>ma</strong>nquons ja<strong>ma</strong>is <strong>de</strong> souligner les actes <strong>de</strong> dévouement accomplispar <strong>de</strong>s indigènes pour ai<strong>de</strong>r ou sauver leurs amis français. C'est làun acte <strong>de</strong> simple justice, qui voudrait être aussi une <strong>ma</strong>nifestationd'espérance... pour <strong>de</strong><strong>ma</strong>in.Nous avons donc <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndé, pour Chevreul, quels exemples <strong>de</strong>solidarité avaient été relevés dans la population indigène, formée<strong>de</strong>s associés <strong>de</strong>s colons, <strong>de</strong>s domestiques <strong>de</strong>s Français, <strong>de</strong>fonctionnaires indigènes, tels ces douaïrs qui ont fait partie <strong>de</strong> laUN DRAME ALGERIENpremière patrouille dirigée par les <strong>de</strong>ux gendarmes présents auvillage le jour du <strong>drame</strong>,Les réponses que nous avons reçues peuvent se résumer ainsi :Au moment du repliement <strong>de</strong> la population sur la gendarmerie,les trois douaïrs ont été envoyés sous la conduite <strong>de</strong> M. Cazaux,beau­père du chef M. Poilane, à la poste, pour assurer l'évacuationdu receveur et <strong>de</strong> sa famille. Au retour <strong>de</strong> cette mission, un <strong>de</strong>sauxiliaires indigènes s'est dérobé. Il a disparu. Il était passé aucamp <strong>de</strong>s émeutiers avec armes et munitions. On a retrouvé, plustard, son fusil entre les <strong>ma</strong>ins d'un bandit notoire, qui a été arrêté.Ce bandit, originaire du douar Fedj El Ghoul, a déclaré qu'il avaitpayé cette arme, au militaire, 3.000 francs. Il était encore sous lesverrous en octobre 1945. Les <strong>de</strong>ux douaïrs, entrés à la gendarmerieavec la famille <strong>de</strong> M. Be<strong>ma</strong>sconi, y sont restés pendant l'émeute.« Dans notre personnel, en général, nous dit un colon <strong>de</strong>Chevreul, nous n'avons relevé aucun acte <strong>de</strong> dévouement ni pour laprotection <strong>de</strong>s ani<strong>ma</strong>ux, ni pour la résistance au pillage et àl'incendie. Les you­you <strong>de</strong>s femmes portent à croire qu'en général,ils ont tous participé à l'émeute. Le fanatisme efface touteconsidération pouvant s'autoriser d'une longue cohabitation, <strong>de</strong>sservices reçus, d'une collaboration affectueuse. <strong>Un</strong> mot d'ordreinvoquant la religion et, en un instant, l'ami <strong>de</strong>vient un assassin. Cefait ne peut être nié que par ceux qui ont intérêt à le démentir. »<strong>Un</strong> exemple nous a été cité : le 9 <strong>ma</strong>i, M. Marcel Pra<strong>de</strong>illesétant sorti <strong>de</strong> chez lui, Mme Pra<strong>de</strong>illes entend <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu.Elle s'inquiète. Du pas <strong>de</strong> sa porte, elle aperçoit le premier ouvrier<strong>de</strong> l'exploitation. C'est l'homme <strong>de</strong> confiance. Il a vingt ans <strong>de</strong>service. On ne peut douter <strong>de</strong> lui. Mme Pra<strong>de</strong>illes s'adresse à lui,le prie <strong>de</strong> chercher son <strong>ma</strong>ri, <strong>de</strong> le ramener d'urgence.(1) Lettre datée du 28 septembre 1945.6061


UN DRAME ALGERIENLe musul<strong>ma</strong>n regarda la femme du colon, froi<strong>de</strong>ment, ne fitaucune réponse et se retira lentement. On ne le revit plus, ni aucun<strong>de</strong>s ouvriers <strong>de</strong> la ferme.Autres détails :Nous avons dit que le feu avait été mis à l'écurie <strong>de</strong>s chevaux <strong>de</strong>la gendarmerie. La paille, placée à part, a brûlé. <strong>Un</strong> seul bat­flanc<strong>de</strong> stalle a été atteint dans l'écurie. <strong>Un</strong> cheval a été grièvementblessé sur tout le côté atteint par les flammes ou la chaleur. Il a étésoigné et a pu être sauvé.Dans l'immeuble <strong>de</strong> la Poste, tout a été pillé. Les pièces ont étéincendiées séparément, comme dans beaucoup <strong>de</strong> <strong>ma</strong>isons duvillage. Des réparations som<strong>ma</strong>ires ont été faites <strong>de</strong>puis, pourpermettre d'abriter les Français sinistrés.En ce qui concerne la gendarmerie <strong>de</strong> Chevreul, on a été étonné<strong>de</strong> constater que l'effectif <strong>de</strong> la briga<strong>de</strong> avait été réduit à <strong>de</strong>uxmilitaires, alors que l'effectif nor<strong>ma</strong>l était <strong>de</strong> six gendarmes.Renseignements pris, il nous a été dit qu'un gendarme étaithospitalisé pour <strong>ma</strong>ladie, que trois gendarmes <strong>ma</strong>nquaient parsuite <strong>de</strong> mutations. Cette explication démontre que la surprise s'estproduite aussi bien du côté <strong>de</strong>s Français habitant la banlieue nordsétifienne que du côté <strong>de</strong> l'Administration en général.Or, l'Administration, nous l'avons dit, était prévenue que <strong>de</strong>sdésordres allaient se produire à brève échéance. Cela résultait <strong>de</strong>srapports qu'elle recevait <strong>de</strong> ses représentants et agents <strong>de</strong> tousordres, <strong>de</strong> l'avertissement qui lui était adressé douze jours avantl'émeute, en termes précis et pressants, par six conseillersgénéraux réunis au chef­lieu du département (1).(1) Voir ce document à la fin du volume.62UN DRAME ALGERIENTout le mon<strong>de</strong> était prévenu et l'on n'a pas invité lesgendarmeries à compléter leurs effectifs...Tout le mon<strong>de</strong> était prévenu, même le sous­préfet <strong>de</strong>Constantine qui, cinq jours avant les événements, disait à unAdministrateur chez lequel il était en tournée : « Avez­vous bientôtfini <strong>de</strong> nous adresser <strong>de</strong>s rapports alar<strong>ma</strong>nts ? Tout le mon<strong>de</strong> enrigole à Constantine ! »Il est évi<strong>de</strong>nt que nous touchons ici un point extrêmementdélicat et extrêmement grave, intéressant la sécurité en Algérie., eton peut le dire sans hésitation, la cause même <strong>de</strong> la France enAfrique du Nord.Dans les échelons administratifs qui assurent le contact entre laColonie et les Pouvoirs publics en France, quelle autorité, quellepersonnalité a pris la responsabilité <strong>de</strong> ne tenir aucun compte <strong>de</strong>savertissements qui lui étaient transmis ?Cette autorité ou cette personnalité a encouru uneresponsabilité dont le pays tout entier a le droit <strong>de</strong> lui <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>rcompte. Et lorsque nous parlons du pays nous entendons parlernon seulement <strong>de</strong>s Français qui se réclament d'un passé qui a faitses preuves en Algérie, <strong>ma</strong>is aussi <strong>de</strong>s musul<strong>ma</strong>ns que n'aveuglepas la propagan<strong>de</strong> tolérée jusqu'à ce jour, contre la France enAfrique du Nord.Malgré les difficultés opposées aux enquêtes judiciairesouvertes dans les campagnes sur <strong>de</strong>s <strong>drame</strong>s tels que celui <strong>de</strong>Chevreul, <strong>de</strong> nombreuses arrestations ont pu avoir lieu et leTribunal militaire <strong>de</strong> Constantine a eu à connaître <strong>de</strong> nombreuxdossiers.Toutes les décisions prises ne paraissent pas avoir été mises à laconnaissance du public par la voie <strong>de</strong> la presse. On a sucependant :63


UN DRAME ALGERIEN— Le 13 novembre 1945, que 17 pillards, qui participèrent dansla nuit du 9 au 10 <strong>ma</strong>i, au sac du village <strong>de</strong> Chevreul ont étécondamnés à <strong>de</strong>s peines variant <strong>de</strong> 20 ans <strong>de</strong> travaux forcés à un an<strong>de</strong> prison. <strong>Un</strong> dix­huitième accusé a été acquitté.— En décembre, que trente indigènes pris parmi les émeutierset les incendiaires <strong>de</strong> Chevreul se sont vus condamnés :3 à la peine <strong>de</strong> mort : Gridi Messaoud, Boukareb Rabia, etTabel, ce <strong>de</strong>rnier par contu<strong>ma</strong>ce.4 aux travaux forcés à perpétuité.17 poursuivis pourvois, à <strong>de</strong>s peines variant <strong>de</strong> 2 ans à 1 an <strong>de</strong>prison avec sursis. Tous les Algériens savent que chez lesindigènes, l'application du sursis équivaut à l'acquittement.Le 18 janvier 1946, l'attaque <strong>de</strong> la gendarmerie <strong>de</strong> Chevreul aété évoquée <strong>de</strong>vant le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine. Renvoyéepour supplément d'infor<strong>ma</strong>tion, elle s'est terminée en avril par 2acquittements, 2 condamnations à 20 ans <strong>de</strong> travaux forcés et 20ans d'interdiction <strong>de</strong> séjour, une condamnation à 5 ans <strong>de</strong> travauxforcés et 5 ans d'interdiction <strong>de</strong> séjour. 5 inculpés, en fuite, ont étécondamnés par contu<strong>ma</strong>ce, aux travaux forcés à perpétuité.<strong>Un</strong> nommé Kédida Madani, inculpé <strong>de</strong> vol et <strong>de</strong> viol avait étécondamné par contu<strong>ma</strong>ce aux travaux forcés à perpétuité. Arrêté,il a vu sa peine transformée, en avril 1946, à 20 ans <strong>de</strong> travauxforcés et 20 ans d'inter diction <strong>de</strong> séjour. (Dépêche <strong>de</strong>Constantine).<strong>Un</strong>e telle énumération est la démonstration <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong>pru<strong>de</strong>nce qui anime les juges militaires dans la répression <strong>de</strong>s faitsqui leur sont soumis. Elle souligne l'injustice <strong>de</strong>s attaques dont ces<strong>ma</strong>gistrats sont l'objet <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s journaux extrémistes quipoussent à l'insurrection en Algérie.64UN DRAME ALGERIENC'est près <strong>de</strong> Chevreul que se situe le <strong>drame</strong> poignant ayantcausé la mort <strong>de</strong> trois Français qui, se rendant à Sétif enautomobile, et attaqués en chemin, se hâtaient <strong>de</strong> rejoindre levillage <strong>de</strong> colonisation. Arrêtés à 1500 mètres <strong>de</strong> Chevreul, ils<strong>de</strong>vaient finir <strong>de</strong> façon horrible.<strong>Un</strong>e gran<strong>de</strong> émotion s'est emparée <strong>de</strong> l'opinion publique lorsquel'on a appris, dans les régions <strong>de</strong> Djidjelli, Sétif et Constantine, lamort tragique <strong>de</strong> M. Georges Caste, <strong>de</strong> Mme et M. Bovo,honorablement connus <strong>de</strong> tous.M. Georges Coste avait été nommé à Djidjelli le 1er novembre1944, comme ingénieur T.P.E. Il arrivait <strong>de</strong> Batna et retrouvaitdans sa nouvelle rési<strong>de</strong>nce un collaborateur qui était un ami, par safamille, originaire <strong>de</strong> Batna, M. Bovo Louis, adjoint technique <strong>de</strong>sPonts et chaussées, à Djidjelli <strong>de</strong>puis 1932. Les <strong>de</strong>ux ménagesCoste et Bovo se lièrent rapi<strong>de</strong>ment.65


UN DRAME ALGERIENMme Bovo, <strong>de</strong>vant se rendre à Sétif pour rejoindre <strong>de</strong>s parents,M. Coste ayant à visiter un chantier à Tamentout, offrit une place àses amis dans son automobile. On laisserait Mme Bovo à Sétif etl'on rentrerait à Djidjelli le jour même.Le 9 <strong>ma</strong>i à 7 heures du <strong>ma</strong>tin, prenaient place dans la voiture <strong>de</strong>l'Ingénieur, avec MM Coste et Bovo, Mme Coste et Mme Bovo,accompagnée <strong>de</strong> sa fillette, âgée <strong>de</strong> 3 ans.Le voyage avait commencé très agréablement, dans la fraîcheur<strong>ma</strong>tinale propre au printemps. La forêt proche avait été viteabordée et les 26 kilomètres <strong>de</strong> côte qui séparent Djidjelli <strong>de</strong>Texenna étaient franchis rapi<strong>de</strong>ment.M. Coste conduisait. Il connaissait déjà à fond la routesinueuse, plongeant dans les oueds profonds, remontant vers lescols et les crêtes. L'auto atteignit très vite le col <strong>de</strong> Tamentout. Ons'arrêta pour permettre à l'Ingénieur <strong>de</strong> visiter son chantier <strong>de</strong>cylindrage. Le chef <strong>de</strong> chantier, européen, ne signala aucun fait <strong>de</strong>nature à inspirer une inquiétu<strong>de</strong> aux voyageurs, qui continuèrent,en toute sécurité, leur déplacement vers Sétif.A une quinzaine <strong>de</strong> kilomètres avant d'arriver à Chevreul, c'està­direà mi­chemin entre ce centre et Tamentout, les difficultéscommencèrent. En cet endroit se tient un <strong>ma</strong>rché important et uncol « réputé dangereux », fît observer M. Bovo à ses amis.Précisément, se trouvaient là, en un groupe important, <strong>de</strong>s jeunesindigènes qui attaquèrent la voiture à coups <strong>de</strong> cailloux. Lesagresseurs visaient bien, comme tous les habitants du bled.MM Coste et Bovo n'avaient sur eux aucune arme. Ils ne pouvaientfaire qu'une chose : accélérer la vitesse donnée à la <strong>ma</strong>chine.M. Coste eut bientôt la figure ensanglantée. Il avait été atteint à latête. Il se crispa sur son volant et son accélérateur. Mais tout le66UN DRAME ALGERIENlong <strong>de</strong> la route, se trouvaient <strong>de</strong>s groupes hostiles. La situations'aggravait. Des coups <strong>de</strong> feu claquaient. Les femmescommençaient à s'affoler.Tout à coup, M. Bovo s'écrie : « Je suis touché ! » <strong>Un</strong>e balle, eneffet, avait traversé la carrosserie, à l'arrière et avait pénétré dansses chairs, vers les reins.On file. On espère arriver à Chevreul, où l'on sera à l'abri.On traverse <strong>de</strong>s attroupements qui encadrent la route. Il était 10heures du <strong>ma</strong>tin environ. On avait atteint le point kilométrique 87du chemin 5. Ici Mme Coste ne se souvient plus bien <strong>de</strong> ce quis'est passé. Elle ne peut préciser. Cependant elle se rappelle — ilpouvait être dix heures ou dix heures et <strong>de</strong>mie — que la voitures'arrêta tout à coup, à un tournant assez prononcé du chemin. Ellene peut continuer. Devant elle, en effet, séparés par une distanced'environ dix mètres, sont <strong>de</strong>ux barrages énormes <strong>de</strong> pierres, <strong>de</strong>moellons et <strong>de</strong> galets que l'on ne peut franchir.Des indigènes accourent. Ils sont armés. L'irréparable vas'accomplir. Les voyageurs se consultent. Ils ont bien sur eux, entout, <strong>de</strong> 15 à 20.000 francs. On va les offrir aux bandits. M. Costeveut <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong> l'auto, dans l'intention, sans doute, <strong>de</strong>parlementer. Il s'effondre. Il a été abattu par un coup <strong>de</strong> feu. Lafusilla<strong>de</strong> est générale. Mme et M. Bovo sont atteints dans lavoiture. Ils ne donnent plus signe <strong>de</strong> vie.De plus en plus affolée, Mme Coste se jette sur l'enfant, leprend dans ses bras, sort <strong>de</strong> l'auto en poussant <strong>de</strong>s cris stri<strong>de</strong>nts.Elle a vu, à 400 mètres environ <strong>de</strong> la route, le mur du cimetière <strong>de</strong>Chevreul. Elle se dirige <strong>de</strong> ce côté, toujours en criant <strong>de</strong> toutes sesforces et en prononçant <strong>de</strong>s paroles inintelligibles, au moins pourles insurgés, qui, la prenant sans doute pour une femme frappée <strong>de</strong>folie, la laissent passer. On sait le respect superstitieux qu'inspirent67


UN DRAME ALGERIENaux indigènes les déments.La <strong>ma</strong>lheureuse femme, emportant l'enfant <strong>de</strong> son amie,continue sa course, en criant <strong>de</strong>s phrases sans suite, traduisantévi<strong>de</strong>mment son horreur, son épouvante <strong>de</strong>vant le <strong>drame</strong> auquelelle vient d'assister.Elle se souvient qu'une femme kabyle l'a abordée et l'aentraînée avec elle. Elle suivait, telle une auto<strong>ma</strong>te, inconsciente à<strong>de</strong>mi, ne réalisant pas, traduisant sa douleur par <strong>de</strong>s crises, oùsombraient sa souffrance et son égarement.Des <strong>ma</strong>nifestants la rattrapent, s'emparent d'elle. Elle crie ! Ellecrie ! Elle sent le froid d'une lame <strong>de</strong> couteau sur sa gorge. Ellecrie toujours. Ils n'osent pas achever leur geste homici<strong>de</strong>.Elle est ramenée vers l'auto. Vision fugitive, rapi<strong>de</strong> : elle sesouvient avoir vu, à l'arrière <strong>de</strong>s barrages, un vieillard à gran<strong>de</strong>barbe blanche, recouvert d'une gandoura im<strong>ma</strong>culée, qui, muet,impassible, les bras croisés sur sa poitrine, regar<strong>de</strong> se dérouler lesévénements.On la pousse vers l'auto. Des hommes lui disent :— Regar<strong>de</strong>­les bien ! Ils sont morts ! Quant à toi et ta fille,partez vers la campagne. Vous êtes <strong>ma</strong>intenant <strong>de</strong>s mouquères !...Sa compagne berbère la conduit dans un gourbi. Elle y trouveun indigène qui s'empresse, la rassure,— Tu ne crains plus rien, <strong>ma</strong>intenant. Je reste avec toi.A la tombée <strong>de</strong> la nuit, après avoir insisté pour qu'elle prenneun peu <strong>de</strong> nourriture, il la fait sortir du gourbi et la dirige vers unecrête qui paraît se trouver au nord­ouest <strong>de</strong> Chevreul et domine levillage. L'homme porte l'enfant, il est toujours prévenant. Quel butpoursuit­il en l'éloignant ainsi ?Elle passe la nuit dans un gourbi. Le <strong>ma</strong>tin, il lui explique quela troupe est arrivée, qu'il faut fuir les bombar<strong>de</strong>ments. Ils vont68UN DRAME ALGERIENpartir pour Texenna. Elle <strong>ma</strong>rche, toute la journée du jeudi. Elle n'aplus <strong>de</strong> souliers. Elle les a usés à toutes les aspérités <strong>de</strong>s sentiers.Elle supplie qu'on la ramène à Chevreul. Elle ne sait plus, elle aparcouru 40, 50, 60 kilomètres dans les_ montagnes, lorsqu'elleatteint le village, le vendredi 11 <strong>ma</strong>i, au début <strong>de</strong> l'après­midi. <strong>Un</strong>eauto militaire est arrivée. Elle amène un officier, un parent !La gendarmerie, à Chevreul, veut arrêter l'indigène quiaccompagne la <strong>ma</strong>lheureuse veuve. Elle proteste : « C'est monsauveur ! »Et l'indigène disparaît. On ne l'a plus retrouvé. Mais il estconnu. C'est un ven<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> billets <strong>de</strong> loteries, opérant a Saint­Arnaud et dans la région. Les enquêtes ouvertes auraient fait pesersur lui <strong>de</strong> graves accusations. A­t­il voulu se réhabiliter en sauvantune femme française ? Poursuivait­il d'autres fins ?Mme Coste a pu enfin rejoindre Sétif par une auto militaire.Que sont <strong>de</strong>venus les <strong>ma</strong>rtyrs abattus près <strong>de</strong>s barrages, à 1.500mètres <strong>de</strong> Chevreul ?On a pu relever les cadavres, quarante­huit heures après. Deuxjours <strong>de</strong> soleil les avaient mis en triste état. Mme Coste les avaitvus encore revêtus <strong>de</strong> leurs habillements. On les a retrouvés nus.Les bandits les avaient complètement dépouillés ! Ils avaient faitdavantage encore ! Les constats médicaux, signés par leDr Mazzuca attestent les mutilations dont ils ont été l'objet. Par unsentiment <strong>de</strong> pu<strong>de</strong>ur respectueuse nous ne pouvons tout dire.Signalons cependant :— Que le cadavre <strong>de</strong> M. Bovo, âgé <strong>de</strong> 38 ans, « présentaitplusieurs plaies à la tête, produites par objets contondants etd'autres occasionnés par <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu. Le haut du visage étaitcomplètement défiguré ».69


UN DRAME ALGERIEN— Que le cadavre <strong>de</strong> Mme Bovo, née Jauffret Blanche, âgée <strong>de</strong>37 ans, « présentait l'abdomen complètement ouvert : A la nuqueon découvrait un coup <strong>de</strong> feu. Le sein droit était entièrementsectionné ».— Que le cadavre <strong>de</strong> M. Coste, selon le témoignage d'uncollègue (1) qui avait tenu à lui rendre les <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong>voirs,« présentait cinq ou six blessures dans les <strong>de</strong>ux seins. Les jouesétaient tailladées. Dans la paroi postérieure du crâne, était un trou<strong>de</strong> 40 centimètres carrés. L'occipital était entièrementdéfoncé (2) ».Ces détails témoignent <strong>de</strong> l'acharnement apporté par lesagresseurs dans l'accomplissement <strong>de</strong> leurs crimes. Nous nedonnons pas <strong>de</strong> précisions, plus affreuses encore, concernant MmeBovo.Les trois corps ont été provisoirement inhumés dans un petitbois <strong>de</strong> frênes, près <strong>de</strong> la gendarmerie <strong>de</strong> Che­vreul. On n'a putrouver à Chevreul le bois nécessaire à la confection <strong>de</strong>s cercueils.On a pu transporter les cadavres, le 18 <strong>ma</strong>i à Batna, où ils ont reçuleur définitive sépulture, le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in, samedi, au milieu d'uneaffluence <strong>de</strong> Français, accourus pour dire leur émotion et leurlégitime indignation, pour apporter aussi aux <strong>ma</strong>lheureux parents,plongés dans l'affliction, le témoignage <strong>de</strong> leur affection profon<strong>de</strong>et <strong>de</strong> leur tristesse solidaire.A la suite <strong>de</strong> l'enquête ouverte à Chevreul, dix­sept arrestationsont été opérées. Des aveux ont été recueillis (3).(1) M. Mejean, ingénieur T.P.E. à Sétif, <strong>de</strong>venu <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> cette ville.(2) Les figures <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux hommes étaient méconnaissables au point que, pour les reconnaître, ona dû tenir compte <strong>de</strong>s cheveux grisonnants <strong>de</strong> l'un d'eux, nous a dit un parent <strong>de</strong> M. Bovo.(3) Le 29 décembre 1945, le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine ayant à connaître <strong>de</strong> l'affaire,a prononcé cinq condamnations à mort, non suivies d'exécution, à notre connaissance : MozaliMohamed, Benyaya Lakhdar, Aridi Ahmed, Boukrissa Boudje<strong>ma</strong>a et Benhamid, ce <strong>de</strong>rnier parcontu<strong>ma</strong>ce. Dix­sept inculpés avaient comparu, <strong>de</strong>ux ont été acquittés. Des peines <strong>de</strong> sept ans <strong>de</strong>travaux forcés à dix­huit mois <strong>de</strong> prison ont été distribuées.70UN DRAME ALGERIENA KERRATALe centre <strong>de</strong> Kerrata appartient à la commune mixte <strong>de</strong>Takitount. Joli village, abondamment <strong>de</strong>sservi en eau, perdu dansla verdure, placé dans le plus beau site qui soit, à l'entrée <strong>de</strong>sgorges imposantes du Chabet El Akra, à 59 kilomètres <strong>de</strong> Bougieet à 54 kilomètres <strong>de</strong> Sétif.A la sortie du village, vers Bougie, on pénètre dans les gorges,entre une église élégante, construite par un Français qui faisaithonneur à la France et qui fut le chef vénéré d'une famillecomptant actuellement plus <strong>de</strong> 300 membres et exerçant sonactivité sur toutes les campagnes <strong>de</strong> l'hinterland nord <strong>de</strong> Sétif,nous avons nommé le regretté M. Eugène Dussaix, décédé endécembre 1937.A gauche <strong>de</strong> la route, face à l'église, est la <strong>ma</strong>ison familiale <strong>de</strong>sDussaix, construction <strong>ma</strong>ssive qui va servir <strong>de</strong> refuge à lapopulation <strong>de</strong> Kerrata et protéger 600 personnes contre la fureur<strong>de</strong> dix mille émeutiers. brusquement déchaînés.71


UN DRAME ALGERIENDe toute la région, à la première alerte, on était accouru pour semettre à l'abri <strong>de</strong>s murs soli<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s fenêtres barreaudées duchâteau Dussaix.Tous, hélas ! n'avaient pu rejoindre. Comme ailleurs, l'attaqueavait été brusquée, selon la formule <strong>de</strong> l'historien, qui disait qu'enAfrique du Nord « l'émeute se présente toujours comme uneexplosion ».La journée <strong>de</strong> 8 <strong>ma</strong>i avait facilité, du reste, le rassemblement<strong>de</strong>s Français. Le <strong>ma</strong>tin, M. Rousseau, administrateur en chef <strong>de</strong> lacommune mixte <strong>de</strong> Takitount, était venu, nous l'avons dit, prési<strong>de</strong>rune cérémonie, célébrant la victoire <strong>de</strong>s Alliés en Europe.L'Alle<strong>ma</strong>gne était définitivement vaincue. L'allégresse étaitgénérale. <strong>Un</strong> cauche<strong>ma</strong>r prenait fin, pour la France et les Nations<strong>Un</strong>ies dans la défense <strong>de</strong> la civilisation.Mais un <strong>ma</strong>laise général avait fait place bientôt à la joiecollective. Le <strong>ma</strong>rdi était précisément le jour du <strong>ma</strong>rché <strong>de</strong>Kerrata. Et les <strong>ma</strong>rchés sont les points <strong>de</strong> résonance <strong>de</strong> tous lesbruits du <strong>de</strong>hors. Ils les reçoivent et les retransmettent avec <strong>de</strong>stransfor<strong>ma</strong>tions s'adaptant à l'atmosphère du milieu.Dans la <strong>ma</strong>tinée, rien ne transpira dans le villages chez lesFrançais, <strong>de</strong>s événements tragiques qui venaient <strong>de</strong> se déroulerdans les rues <strong>de</strong> Sétif. Mais tous les indigènes étaient au courant,et les déductions apportaient aux affir<strong>ma</strong>tions recueillies lesexagérations les plus édifiantes. On parlait <strong>de</strong> nombreux morts, oncitait un nom : celui du <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> Sétif.Ce n'est qu'à 11 h. 30, par un coup <strong>de</strong> téléphone reçu à la Posteque l'on apprit la menace dont toute la région était l'objet. M.Rousseau, Administrateur, se hâta <strong>de</strong> rejoindre son poste, àPérigotville. Il ne <strong>de</strong>vait pas y arriver.Vers 15 heures, le car Deschanel, venant <strong>de</strong> Sétif et allant versBougie, apporte, enfin, <strong>de</strong>s nouvelles. Ce car avait été attaqué en72UN DRAME ALGERIENroute. La plupart <strong>de</strong> ses vitres étaient brisées. Les voyageurs,échappés <strong>de</strong> justesse à l'agression, étaient encore vibrants <strong>de</strong>l'émotion ressentie. Ils apportaient, du reste, <strong>de</strong>s précisions sur le<strong>drame</strong> qui avait jeté le <strong>de</strong>uil dans la petite cité. Sans apporter lerécit complet du soulèvement du <strong>ma</strong>tin, ils donnaient cependant<strong>de</strong>s détails qui ne permettaient pas <strong>de</strong> douter <strong>de</strong> la gravité <strong>de</strong>sévénements.Dans la soirée, on apprenait l'attaque <strong>de</strong> la Poste <strong>de</strong>sAmouchas. Les nouvelles arrivaient par bribes, confir<strong>ma</strong>nt ledanger, augmentant les appréhensions.Il n'apparaît cependant pas qu'à ce moment on ait eu à Kerratale sentiment exact <strong>de</strong> la situation. On a constaté, après coup, quel'alerte n'avait pas été généralisée dans la population française. Etcela semble avoir permis au <strong>drame</strong> <strong>de</strong> prendre une extension quiaurait pu être limitée, tout au moins.Dans le courant <strong>de</strong> l'après­midi, après le passage du car, onobservait, dans les rues, <strong>de</strong>s mouvements insolites parmi lapopulation indigène. On sut, plus tard, que la boutique d'unforgeron, Chabane Messaoud, était un lieu <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z­vous oùs'élaborait l'organisation <strong>de</strong>s événements qui <strong>de</strong>vaient avoir lieu lelen<strong>de</strong><strong>ma</strong>in. On y parlait <strong>de</strong> guerre sainte, d'extermination <strong>de</strong>sroumis. On préparait l'ambiance nécessaire à la continuation du<strong>drame</strong> dont Sétif venait d'écrire la préface.Cependant, la <strong>ma</strong>ison Dussaix ouvrit largement ses portes àtoutes les familles qui désiraient s'y réfugier. On campe, au mieux,dans les immenses couloirs et les vastes appartements. La familleDussaix remplit au <strong>ma</strong>ximum son <strong>de</strong>voir d'hospitalité.La nuit passe, sans inci<strong>de</strong>nt apparemment fâcheux. Mais lemercredi, à l'aube, on entend <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu. Ils viennent <strong>de</strong> ladirection du village, où sont restés quelques habitants, notammentles locataires <strong>de</strong> l'immeuble <strong>de</strong> la Poste, la famille du Juge, les73


UN DRAME ALGERIENgendarmes, etc. L'agression se précise.La gendarmerie, en particulier; constituait un fortin défensif. AKerrata, comme ailleurs, les gendarmes sont les soldats du <strong>de</strong>voir.Par <strong>de</strong>ux fois, entendant <strong>de</strong>s détonations, ils essaient <strong>de</strong> faire unesortie. Ils se heurtent à un flot d'assaillants qui les obligent à sereplier. Des familles françaises se sont tant bien que <strong>ma</strong>lbarricadées dans leurs habitations. La Poste a été attaquée. Ici et làles <strong>ma</strong>isons commencent à flamber. Telles sont les constatationsqu'ont pu faire les représentants <strong>de</strong> l'ordre.L'attaque est bientôt générale. Seules, la <strong>ma</strong>ison Dussaix et lagendarmerie sont en état <strong>de</strong> résister. Leurs défenseurs y mettentune énergie farouche. Mais que <strong>de</strong>viennent les <strong>ma</strong>lheureuxFrançais surpris isolément ? On ne le saura qu'à une heure <strong>de</strong>l'après­midi, lorsque plusieurs détachements envoyéssuccessivement <strong>de</strong> Sétif, par la route <strong>de</strong> Bougie, et com<strong>ma</strong>ndés parle lieutenant, Poutch, le capitaine Faysse et le lieutenant Bergeretdébouchèrent à Kerrata après avoir forcé <strong>de</strong> nombreux barragesétablis sur la route avec <strong>de</strong>s pierres, <strong>de</strong>s arbres et <strong>de</strong>s poteauxtélégraphiques sectionnés.Les sauveteurs mettent en fuite les émeutiers. Ils trouvent unvillage en partie détruit, sept cadavres, horriblement mutilés, dansles <strong>ma</strong>isons en feu. « 20 personnes se trouvaient sur le toit d'une<strong>ma</strong>ison en flammes. On réussit à les sauver après avoir chassé, à lamitrailleuse, les rebelles », dit un premier récit officiel (1).Délivrés, les Français <strong>de</strong> Kerrata ayant échappé au <strong>ma</strong>ssacre, serépan<strong>de</strong>nt dans les rues du village, parmi les <strong>ma</strong>isons qui fumentencore sous les effondrements <strong>de</strong>s brasiers allumés.(1) Cette <strong>de</strong>rnière affir<strong>ma</strong>tion a été démentie ou plutôt transformée. Il s'agit sans aucundoute, <strong>de</strong> la présence, sur un balcon, <strong>de</strong>s treize habitants <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison <strong>de</strong> la Poste incendiée, commebeaucoup d'autres. On lira plus loin le récit du <strong>drame</strong> atroce vécu par ces Français.74UN DRAME ALGERIENIls entourent les soldats qui sont venus à eux, en bravant lesdangers accumulés sous leurs pas. Leur émotion se traduit par uncri général, répercuté par les hautes falaises qui forment l'entrée<strong>de</strong>s gorges : Vive la France !On peut alors situer les détails <strong>de</strong> la résistance farouche quis'est organisée dans les différentes parties du village.On s'incline d'abord <strong>de</strong>vant les <strong>ma</strong>rtyrs du grand <strong>drame</strong> quivient <strong>de</strong> prendre fin.Le juge <strong>de</strong> paix, M. Trabaud, et sa femme, horriblement mutilésdans <strong>de</strong>s conditions que la pitié même se refuse à préciser.Le boulanger Grammond, qui a voulu assurer à la population lafournée quotidienne, et est mort non loin <strong>de</strong> son fournil.M. Villedieu <strong>de</strong> Torcy, employé à la société Campenon­Bernard(construction du barrage).M. Lopez, <strong>ma</strong>çon, employé à la même société.Le métayer Onis et la jeune Zemmour Paulette, Israélite, âgée<strong>de</strong> 17 ans, mutilée elle aussi.Ce qui porte a 7 le nombre <strong>de</strong>s victimes atrocement suppliciéesà Kerrata, dans la journée tragique du 9 <strong>ma</strong>i 1945.Le pillage a été total pour la <strong>ma</strong>jorité <strong>de</strong>s immeubles, dont unegran<strong>de</strong> partie a été rendue inhabitable par les incendies.Pour bien saisir l'horreur du <strong>drame</strong> qui s'est déroulé à Kerrata, ilfaudrait raconter ce qui s'est passé, <strong>ma</strong>ison par <strong>ma</strong>ison, car tous leshabitants n'ont pu, <strong>ma</strong>lheureusement, se réfugier au châteauDussaix. Il n'y a pas eu un <strong>drame</strong>, il y a eu plusieurs <strong>drame</strong>s, aussihorrifiants les uns que les autres.***Et d'abord, parlons <strong>de</strong> l'immeuble <strong>de</strong> la Poste. Là comme<strong>de</strong>voir, <strong>ma</strong>gnifiquement, pouvons­nous dire, d'agent <strong>de</strong> liaison,partout ailleurs, le Receveur <strong>de</strong>s P.T.T., M. Lardillier, a fait son<strong>de</strong>voir, <strong>ma</strong>gnifiquement pouvons­nous dire, d'agent <strong>de</strong> liaison,75


UN DRAME ALGERIENrisquant la mort pour accomplir sa tâche professionnelle.Nous avons pu obtenir <strong>de</strong> la journée tragique, par MmeLardillier écrivant à une amie, un récit circonstancié qui donne uneidée du calvaire gravi par 13 personnes pendant vingt­quatreheures. Ce récit montre que les femmes françaises ont rivaliséd'énergie avec les hommes dans la lutte à mort qui était engagée.Nous laissons la parole à la narratrice.« Le 8 <strong>ma</strong>i, toute la population <strong>de</strong> Kerrata était réunie autour <strong>de</strong>M. Rousseau, administrateur, principal, venu <strong>de</strong> Périgotville encompagnie <strong>de</strong> M. Bancel, son adjoint, pour le lever <strong>de</strong>s couleurs.<strong>Un</strong>e foule d'indigènes se pressaient autour <strong>de</strong> nous. Tousapplaudissaient au discours prononcé par M. Rousseau et c'est aucri unanime <strong>de</strong> Vive la France ! que le cortège s'est dirigé versl'hôtel du Chabet, où un apéritif avait été préparé.« On porta, au milieu <strong>de</strong> l'enthousiasme général, plusieurstoasts à la Victoire.« A 11 h. 30, je suis appelée à me rendre dans le bureau <strong>de</strong>poste pour chercher un objet oublié. <strong>Un</strong> volet du téléphone étaitdéclenché, celui du circuit <strong>de</strong>s Amouchas. Le receveur distributeurm'annonce qu'une émeute venait d'avoir lieu à Sétif, que lescommunications étaient coupées et que le mouvement venait versnous. « Des ban<strong>de</strong>s armées, me dit­il, circulent sur les routes etsemblent se diriger sur Périgotville. Il faudrait prévenir lesadministrateurs. »« Mon <strong>ma</strong>ri, Receveur a Kerrata, que je mets immédiatementau courant, s'empresse <strong>de</strong> faire le nécessaire pour alerter lesautorités. Aussitôt, MM Rousseau et Bancel, en compagnie duJuge <strong>de</strong> Paix indigène et du chauffeur indigène, repartent surPérigotville.« Des Amouchas, les nouvelles <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plusalar<strong>ma</strong>ntes. Les indigènes attaquent <strong>de</strong> tous côtés.Les Administrateurs, qui étaient passés aux Amouchas et qui76UN DRAME ALGERIEN<strong>de</strong>vaient y revenir, ne donnaient plus signe <strong>de</strong> vie. Le bruit couraitdéjà qu'ils avaient été tués. Aussi, <strong>de</strong> Kerrata, par le circuit <strong>de</strong>Bougie, le seul qui nous restait, nous prévenons la subdivision <strong>de</strong>Sétif, la sous­préfecture, la préfecture <strong>de</strong> Constantine, la souspréfecture<strong>de</strong> Bougie, la gendarmerie. Nous essayons mêmed'atteindre <strong>Alger</strong>.« Pendant ce temps, <strong>de</strong> cinq minutes en cinq minutes leReceveur <strong>de</strong> Périgotville nous tenait au courant <strong>de</strong>s événements.Le village était menacé <strong>de</strong> toutes parts. La Poste, en particulier,était l'objet d'une attaque en règle. Par le téléphone nousentendions les coups <strong>de</strong> feu, les cris <strong>de</strong>s enfants et <strong>de</strong> la femme dureceveur. Lui, toujours d'une voix d'un calme surprenant, nousdisait : « Nous sommes perdus si la troupe n'arrive pas, et je n'airien pour nous défendre (1).« A la même heure, le com<strong>ma</strong>ndant d'un détachement <strong>de</strong>blindés nous téléphone d'El­Ouricia, par Bougie, pour nous­direqu'il lui était impossible d'aller plus loin, <strong>de</strong>s barrages ayant étéfaits sur la route par les insurgés­ Nous lui répondons ; « Forcezles barrages et arrivez coûte que coûte aux Amouchas ! Il va yavoir un <strong>ma</strong>ssacre. » En effet, la troupe a pu dégager le village vers17 heures et sauver ainsi la population.« Nous pensions que le <strong>drame</strong> allait, par là, se terminer.Pourtant, vers 15 heures, le courrier Sétif­Bougie était arrivé àKerrata, après avoir été attaqué (2). Il y avait plusieurs blessés. Lechauffeur avait failli être tué. La nouvelle <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong>sAdministrateurs Rousseau et Bancel se confir<strong>ma</strong>it. On apprenaitaussi la mort <strong>de</strong> M, Baroni, un chauffeur <strong>de</strong> Bougie. La population<strong>de</strong> Kerrata était dans une anxiété mortelle. Les indigènes du pays(1) On a vu dans quelles conditions ce <strong>ma</strong>lheureux fonctionnaire et son fils ont trouvé la mort.(2) Nous nous excusons <strong>de</strong> revenir, parfois, sur <strong>de</strong>s faits déjà cités. Nous publions <strong>de</strong>sdocuments qu'il nous est difficile d'amputer <strong>de</strong> tel ou tel détail, d'autant plus qu'à certains détailss'ajoutent, parfois, <strong>de</strong>s précisions nouvelles.77


UN DRAME ALGERIENvenaient vers nous et nous disaient :« Ne craignez rien, il ne se passera rien à Kerrata. Vousconnaissez nos sentiments pour les Français <strong>de</strong> la région. Vousêtes tous <strong>de</strong>s amis. », etc., etc.« Vers 19 heures, un taxi arrive <strong>de</strong> Sétif avec quatre occupantsqui vont rendre visite à plusieurs indigènes notables du pays. C'estdans cette ambiance que la nuit arrive et que tout le mon<strong>de</strong> restesur le qui­vive. Pourtant, nous restons en liaison avec les autorités<strong>de</strong> Bougie, Sétif et Constantine. L'Administrateur <strong>de</strong> Kerrata<strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> à certaines personnes <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre se réfugier au châteauDussaix, <strong>ma</strong>is sans que cela soit un ordre, et sans que le conseilsoit général. Si le danger <strong>de</strong>venait pressant, les cloches <strong>de</strong> l'église<strong>de</strong>vaient sonner.« A la Poste, mon <strong>ma</strong>ri et moi passions la nuit dans le bureau,afin d'assurer la liaison téléphonique avec Bougie, la seule quinous restait puisque, vers 20 heures, le circuit Amouchas avait étécoupé. Nous alertons Bougie tous les quarts d'heure et nousprévenons les collègues qu'au cas où nous resterions sans lesappeler ou sans répondre il conviendrait <strong>de</strong> prévenir lagendarmerie et la sous­préfecture.« C'est au <strong>ma</strong>tin, entre 5 h. 30 et 6 heures moins le quart, quenous nous sommes trouvés isolés <strong>de</strong> tout, sans aucunecommunication avec l'extérieur. Aussitôt, nous appelons, partéléphone, toutes les personnes que nous pouvons toucher auvillage, afin qu'elles puissent prendre les précautions nécessaires.Quelques familles pourtant n'ont pas eu le temps <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre auchâteau.« Nous restons au bureau, pour assurer à l'Administrateurdétaché à Kerrata une liaison entre le château, où il y avaitconstitué son P. C. et le village abandonné.« A 7 heures moins le quart, le 9 <strong>ma</strong>i, le premier coup <strong>de</strong> feuclaque au bout du village, à 50 mètres <strong>de</strong> nous.78UN DRAME ALGERIENOn entend un cri déchirant et ces mots : « Ça y est ! ils en ontabattu un ! » (1).« Aussitôt dans le village, une foule énorme d'indigènes sort <strong>de</strong>tous les cafés <strong>ma</strong>ures, <strong>de</strong> tous les immeubles, <strong>de</strong> tous les ravins. Ilsse précipitent, comme <strong>de</strong>s forcenés, sur toutes les <strong>ma</strong>isonseuropéennes, armés <strong>de</strong> haches, <strong>de</strong> fusils ( chasse et guerre). Nousn'avons que le temps <strong>de</strong> faire un bond dans le couloir du rez­<strong>de</strong>chaussée<strong>de</strong> la Poste. Plusieurs personnes <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison fontcomme nous, si bien que nous formons un groupe <strong>de</strong> 13 personnes(10 hommes et 3 femmes) ayant pour armes : 2 fusils Gras, avec 40cartouches, 3 revolvers et environ 2 chargeurs pour chacun.« Nous calons les portes du couloir avec <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>driers etprévenons, par téléphone, la gendarmerie et le château que noussommes attaqués. Les assaillants se ruent, à ce moment, sur laporte du couloir et essayent <strong>de</strong> l'enfoncer à coups <strong>de</strong> haches. <strong>Un</strong> <strong>de</strong>nous riposte par un coup <strong>de</strong> fusil.« C'est alors que commence pour nous la lutte acharnée qui aduré sept heures. Les assaillants cernent la <strong>ma</strong>ison <strong>de</strong> toutes parts,en poussant leur cri <strong>de</strong> guerre ; El Djihad, la guerre sainte ! Lesfemmes excitent les hommes par <strong>de</strong>s you­you interminables. Ilsfont un assaut en règle du bâtiment. Nous ripostons à coups <strong>de</strong>fusils. Abrités sous les balcons <strong>de</strong> l'immeuble, ils vont chercher<strong>de</strong>s fûts d'essence et <strong>de</strong> pétrole qu'ils roulent <strong>de</strong>vant les gran<strong>de</strong>sportes vitrées du bureau, brisées par eux à la hache. Ils fontirruption dans le bureau, cassant tout, brisant tables, chaises et toutle <strong>ma</strong>tériel postal.« Pour nous protéger et les empêcher d'arriver au premier étage,nous jetons dans l'escalier tout notre mobilier, chaises, fauteuils,tables, etc. Les sommiers et les <strong>ma</strong>telas nous servaient <strong>de</strong> remparts<strong>de</strong>vant les fenêtres, afin <strong>de</strong> nous abriter <strong>de</strong>s balles qui sifflaient <strong>de</strong>(1) Il s'agissait du boulanger, M. Grammond, qui, nous l'avons dit, avait tenu a assurer safournée quotidienne.79


UN DRAME ALGERIENtoutes parts. Beaucoup d'autres objets sont groupés afin <strong>de</strong> nous enservir comme armes, casse­tête., etc., lorsque nous aurions épuisénos munitions.« Mais, tout à coup, une explosion formidable et une fuméenoire ren<strong>de</strong>nt la position intenable. Les assaillants ont enflammé<strong>de</strong>ux fûts <strong>de</strong> 200 litres <strong>de</strong> pétrole, un <strong>de</strong> 50 litres d'essence etarrosé d'essence ce que nous avions mis dans les escaliers. Descartouches <strong>de</strong> dynamite avaient été placées dans les fûts <strong>de</strong>carburant, avec l'espoir que la <strong>ma</strong>ison allait s'effondrer en nousentraînant au milieu du brasier. La <strong>ma</strong>ison a tenu, <strong>ma</strong>lgré laterrible secousse et, <strong>ma</strong>lgré le bond que l'explosion nous a faitfaire, nous nous sommes retrouvés sur nos jambes, <strong>ma</strong>is dans unefumée tellement épaisse que nous n'y voyons plus, dans la pièce oùnous nous trouvons. Nous suffoquons. Nous nous précipitons versles fenêtres pour les ouvrir et essayer <strong>de</strong> dissiper un peu la fumée.Aussitôt tous les guetteurs qui surveillaient la <strong>ma</strong>ison, se mettent àtirer. Nous ripostons en nous abritant <strong>de</strong>rrière les cloisons. Le feunous brûle les yeux. La chaleur est si intense que nous ne pouvonstenir les pieds par terre. Tout ce qui est sur le carrelage se roussit etse calcine. La situation est sans issue.« Mon <strong>ma</strong>ri a failli être tué. <strong>Un</strong>e balle perforante le frôle ettraverse la cloison, y faisant un trou énorme. C'est alors que,désespérés, nous cherchons une solution. <strong>Un</strong> <strong>de</strong> nous, notre voisin<strong>de</strong> palier, M. Arron<strong>de</strong>au, a l'idée géniale <strong>de</strong> nous faire passer dansson appartement, au travers du nuage <strong>de</strong> fumée. Nous nousfaufilons, comme <strong>de</strong>s anguilles. Chez lui, déjà, l'air était plus respirable.Mais nous sommes toujours le point <strong>de</strong> mire <strong>de</strong>sassaillants. Aussi, poursuivant son idée, M. Arron<strong>de</strong>au nous<strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> <strong>de</strong> trouer la cloison qui sépare son appartement <strong>de</strong> celui<strong>de</strong> la propriétaire. A coups <strong>de</strong> crosses <strong>de</strong> fusil, MM. Lardillier et<strong>de</strong> Fontguyon s'y emploient le plus vite possible et, par un petit80UN DRAME ALGERIENtrou, nous passons tous en quelques secon<strong>de</strong>s, <strong>ma</strong>is le coeur trèsserré, car nous ne savions pas ce que nous allions trouver <strong>de</strong>rrièreces murs. Nous visitions très vite tout l'appartement, vi<strong>de</strong> et encoreintact.Combien <strong>de</strong> temps va durer cette accalmie ?« Dans le café <strong>ma</strong>ure situé sous l'appartement, nous entendonstuer <strong>de</strong>ux personnes. Les râles et les gémissements sont horribles.Pourtant <strong>de</strong>rrière les volets bien clos, nous pouvons examiner cequi se passe dans la rue. Le boucher d'en face aiguise coutelas etcouperets et en fait la distribution aux assaillants. Le <strong>ma</strong>rchand <strong>de</strong>légumes (naturalisé <strong>de</strong>puis vingt ans et <strong>ma</strong>rié à une Européenne)prend militairement tous ces criminels et les range en lignes <strong>de</strong>bataille. Tous les notables indigènes du pays sont là, en particulierles auxiliaires médicaux, les oukils <strong>de</strong> la justice, etc. Nous ensommes atterrés et douterions <strong>de</strong> nous­mêmes si nous n'étions pasplusieurs pour nous en rendre compte.« Nous nous sommes déchaussés pour ne pas faire <strong>de</strong> bruit ettrahir notre présence. Pourtant, nous mourons <strong>de</strong> soif, nous avonsla gorge <strong>de</strong>sséchée. Nous essayons d'ouvrir le robinet <strong>de</strong> l'évier.Aussitôt, un bruit infernal se produit dans les tuyaux. Nousrefermons précipitamment le robinet, sans avoir pu obtenir unegoutte d'eau. Mais au même moment, sur la petite terrasseattenante à la cuisine, claque un projectile qui illumine la pièce.Nous nous jetons à plat ventre, croyant que c'était une grena<strong>de</strong>incendiaire. Nous nous sommes rendus compte, plus tard, quec'était encore une cartouche <strong>de</strong> dynamite.« Mais nous nous sommes crus découverts. Et avant <strong>de</strong>recommencer une lutte que nous pensions être la <strong>de</strong>rnière, avant <strong>de</strong>mourir, nous avons voulu adresser un adieu à ceux qui nous sontchers. J'ai pris un crayon et, sur le coin d'une cheminée <strong>de</strong> <strong>ma</strong>rbreblanc, j'ai écrit ces mots :81


UN DRAME ALGERIENAdieu à tous ! Nos assassins sont : Chaabane Messaoud et tousles indigènes du village.« Nos treize noms ont suivi cette déclaration qui constituait untémoignage.« Après cela, M. <strong>de</strong> Fontguyon nous a <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndé <strong>de</strong> faire encommun une suprême prière. Nous nous sommes agenouillés etavons récité un Pater et un Ave Maria, avec la ferveur <strong>de</strong>scondamnés.« Puis nous sommes revenus à nos postes d'observation. Nousavons continué à voir <strong>de</strong>s horreurs. Les <strong>ma</strong>isons, autour <strong>de</strong> nous,étaient en flammes. Les Arabes couraient en tous sens, chargés <strong>de</strong>ballots <strong>de</strong> linge et d'objets volés dans les appartements pillés.Pourtant nous ne cessions <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r nos montres.« A 13 h. 15, tout à coup, nous percevons un crépitement <strong>de</strong>mitrailleuse légère. Cela vient d'assez loin. Nous restons sanssouffle. Était­ce le salut, ou la mort certaine qui venait vers nous ?« <strong>Un</strong>e mitrailleuse lour<strong>de</strong> fait alors entendre son crépitement,un peu plus près. Nous voyons les indigènes se sauver en criant :Djebel! Djebel!... la montagne !« Quelques secon<strong>de</strong>s après, <strong>de</strong>ux autos mitrailleuses font leurapparition dans la rue. Nous ouvrons toutes gran<strong>de</strong>s les fenêtrespour appeler. Nous envahissons le balcon. Les voitures passent. Enquelques minutes elles nettoient le village.« Nous sommes sauvés... il est 13 h. 15 » N'ajoutons pas un motà cet émouvant récit...***A Kerrata, il y eut, le même jour, un grand <strong>drame</strong> dans uneautre <strong>ma</strong>ison, celle affectée à la Justice <strong>de</strong> Paix.Là habitait la famille du <strong>ma</strong>gistrat, Mme et M. Trabaut, la mère<strong>de</strong> Mme Trabaut, Mme Barlatier et les trois enfants : Monique 13ans, la <strong>de</strong>uxième, 10 ans, et un petit garçon, 7 ans.82UN DRAME ALGERIENLa nuit s'était passée sans inquiétu<strong>de</strong> pour la <strong>ma</strong>isonnée. Dureste, M. Trabaut, s'il était au courant <strong>de</strong>s bruits qui couraient,n'avait pas reçu <strong>de</strong> conseil formel <strong>de</strong> repli. Le Juge <strong>de</strong> Paixconnaissait bien les indigènes. Il était <strong>de</strong> ceux qui disaient qu'il nefallait rien exagérer. Il avait confiance.A 7 heures du <strong>ma</strong>tin, entendant frapper à la porte du rez­<strong>de</strong>chaussée,il <strong>de</strong>scendit tranquillement son escalier et alla ouvrir. Ilse trouva ainsi directement en présence d'un groupe d'émeutiersqui ne lui laissèrent pas le temps <strong>de</strong> parlementer. Il était aussitôtfrappé <strong>de</strong> plusieurs coups <strong>de</strong> couteau et achevé à coups <strong>de</strong> feu.Les assaillants sont alors montés, au premier étage, où setrouvait la famille du <strong>ma</strong>gistrat. Les portes étaient ouvertes. <strong>Un</strong>eruée se produisit au milieu <strong>de</strong>s cris d'effroi <strong>de</strong>s enfants. Devant lagrand­mère affolée, <strong>de</strong>vant les pauvres petits, les scènes les plusatroces se déroulèrent. La <strong>ma</strong>lheureuse mère subit les piresoutrages. Puis une balle en pleine poitrine l'acheva. <strong>Un</strong> coup <strong>de</strong>couteau lui avait ouvert le ventre, <strong>de</strong> bas en haut...Pendant ce temps, Mme Barlatier avait l'épaule fracassée par uncoup <strong>de</strong> feu, la fille ca<strong>de</strong>tte avait une <strong>ma</strong>in et un bras traversés par<strong>de</strong>s projectiles.Ensuite un <strong>de</strong>s émeutiers poussa les enfants et la grand­<strong>ma</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>vant lui et les conduisit dans un gourbi, où il leur donna <strong>de</strong> lagalette et <strong>de</strong>s dattes. Dans ce gourbi, les enfants ont re<strong>ma</strong>rqué laprésence <strong>de</strong> <strong>ma</strong>rmites pleines <strong>de</strong> cartouches. Les émeutiersvenaient s'y approvisionner.Mme Barlatier était dans un état <strong>de</strong> prostration compréhensible.Elle sait seulement qu'on entendit <strong>de</strong>s crépitements <strong>de</strong>mitrailleuses, qu'on fit sortir les enfants et elle­même en disant :« Vous pouvez partir. Vous aurez du secours. »Après un mois <strong>de</strong> soins à l'hôpital <strong>de</strong> Sétif, la <strong>ma</strong>lheureusefemme a pu rejoindre la France avec ce qui restait <strong>de</strong> sa famille...83


UN DRAME ALGERIENOn verra plus loin dans quel état ont été trouvés les cadavres.***La résistance <strong>de</strong> la gendarmerie <strong>de</strong> Kerrata, nous l'avons dit,mérite d'être soulignée ici. L'immeuble abritait les familles <strong>de</strong>sgendarmes et plusieurs personnes du pays qui s'y étaient réfugiéesen hâte.M. Mala<strong>ma</strong>s, brigadier, était absent. Il était à Sétif, où il avaitfailli être victime <strong>de</strong> l'émeute. Attaqué en pleine rue, il s'en est tiréavec la perte d'un œil. Quatre gendarmes étaient présents àKerrata, avec leurs familles. Nous avons dit les efforts qu'ilsavaient déployés pour essayer <strong>de</strong> dégager le village. Refoulés par<strong>de</strong>s effectifs imposants <strong>de</strong> révoltés, ils ne pouvaient que se replier.Ils se sont du moins appliqués à rendre inexpugnable leur réduitdéfensif et à protéger, dans la mesure du possible, les immeublesvoisins. Le gendarme Rencheval et ses trois collègues méritent, surce point, les plus grands éloges.Ajoutons quelques détails aux lignes qui précè<strong>de</strong>nt :L'hôtel Dieudonné a été envahi dès le <strong>ma</strong>tin par les émeutiersqui ont pénétré dans les chambres.M. <strong>de</strong> Torcy, jeune Ingénieur, a été tué dans son lit ; ainsi queson collaborateur aux travaux du barrage. M. Lopez.Onis, ouvrier agricole, s'était réfugié dans un café <strong>ma</strong>ure, avecla petite Zemmour, <strong>de</strong> confession israélite, Ils ont été <strong>ma</strong>ssacréslâchement et ont eu une mort atroce.84UN DRAME ALGERIENCe sont eux qui se trouvaient près <strong>de</strong> la poste. Mlle Zemmour,âgée <strong>de</strong> 17 ans, a subi les pires outrages.<strong>Un</strong> jeune indigène était arrivé récemment <strong>de</strong> France. Il senom<strong>ma</strong>it Oukaci. Il était peu connu, <strong>ma</strong>is sympathique. Il s'étaitconverti dans la métropole à la religion catholique. On a été sanspitié pour lui et pour son âge. Il a été <strong>ma</strong>ssacré.Les exploitations agricoles voisines n'ont pas été plus ménagéesque les <strong>ma</strong>isons françaises du village. A Draa El Cadi, la fermed'un membre <strong>de</strong> la famille Dussaix a été pillée <strong>de</strong> façon totale :mulets, vaches, moutons, tout a été enlevé ; les <strong>ma</strong>gasins vidés <strong>de</strong>leur contenu, les logements saccagés : meubles brisés, ainsi queportes et fenêtres. Le gérant français et sa famille avaient,heureusement, eu le temps <strong>de</strong> se replier au village.***Nous avons parlé <strong>de</strong> la résistance organisée à la <strong>ma</strong>ison mère <strong>de</strong>la famille Dussaix. On dit, communément, le « Château », dans levillage et la région <strong>de</strong> Kerrata.Cette construction <strong>ma</strong>ssive, édifiée en 1913, par M. EugèneDussaix, Conseiller Général, répondait en tous points auxexigences <strong>de</strong> la situation. Avec sa base imposante en pierres <strong>de</strong>taille, ses fenêtres du rez­<strong>de</strong>­chaussée soigneusement barreaudées,son emplacement dominant la route qui pénètre dans les gorges duChabet, la <strong>ma</strong>ison a toutes les allures d'une <strong>de</strong>meure seigneurialepouvant être transformée rapi<strong>de</strong>ment en fortin <strong>de</strong> défense et <strong>de</strong>résistance.Le château, surplombant une chute d'eau importante,génératrice <strong>de</strong> force industrielle, se détachant en clair sur unpaysage chaotique, impressionnant au possible, a déjà servi <strong>de</strong>thème à un écrivain <strong>algérien</strong>, en quête d'inventions ro<strong>ma</strong>ntiques,85


UN DRAME ALGERIENmises au service d'une plume alerte et d'un réel talent, poursatisfaire un public toujours curieux <strong>de</strong> mystères et <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>s.Pour le château Dussaix, le 9 <strong>ma</strong>i 1945 <strong>ma</strong>rque, désor<strong>ma</strong>is, unedate. La légen<strong>de</strong>, fruit d'une i<strong>ma</strong>gination fécon<strong>de</strong>, a fait place àl'Histoire. Le <strong>drame</strong> mystérieux a pris une forme nouvelle. Dudo<strong>ma</strong>ine <strong>de</strong> la fantaisie littéraire, il est passé dans le do<strong>ma</strong>ine <strong>de</strong> laréalité tragique. Il est <strong>de</strong>venu le théâtre d'un <strong>drame</strong> collectifparticipant à un grand <strong>drame</strong> national.La belle <strong>ma</strong>ison familiale a, en effet, abrité et sauvé ce jour­là500 personnes menacées par une vague <strong>de</strong> fond qui <strong>de</strong>vait fairedisparaître tout un centre <strong>de</strong> colonisation <strong>algérien</strong>ne.Nous avons dit comment s'était passée, à Kerrata, la <strong>ma</strong>tinée du8 <strong>ma</strong>i. Nous avons parlé <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong> la Victoire, du départprécipité <strong>de</strong> l'Administrateur Rousseau et <strong>de</strong> son adjoint Bancel, <strong>de</strong>l'arrivée du car agressé, <strong>de</strong> l'inquiétu<strong>de</strong> généralisée chez lesFrançais du pays. L'Administrateur local, M. Rambaud, étaithésitant ; il se sentait dépassé par les événements. Il craignait <strong>de</strong>provoquer l'affolement en prenant <strong>de</strong>s mesures énergiques. Ils sepromettait <strong>de</strong> faire sonner la cloche <strong>de</strong> l'église, en cas <strong>de</strong> danger...La cloche n'a pas sonné... La surprise s'est produite en coup <strong>de</strong>tonnerre.Cependant, M. Rambaud avait désigné la <strong>ma</strong>ison Dussaixcomme lieu <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z­vous possible. Il en a fait son quartiergénéral, son poste <strong>de</strong> com<strong>ma</strong>n<strong>de</strong>ment. On y a reçu tous ceux qui seprésentaient. Mais beaucoup, on l'a vu, étaient restés au village,pour <strong>de</strong>s raisons diverses, soit par <strong>de</strong>voir professionnel(M. Lardillier, les gendarmes), soit parce qu'ils ont connu trop tardla gravité <strong>de</strong> la situation (les pensionnaires <strong>de</strong> l'hôtel Dieudonné).Le mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> colonisation, le Dr Rou<strong>ma</strong>ingas, était à <strong>Alger</strong>,en permission. Le conseiller général, M. Fournier, à <strong>Alger</strong>86UN DRAME ALGERIENégalement, en session <strong>de</strong>s délégations financières. Mais unmembre <strong>de</strong> la famille Dussaix, l'ai<strong>de</strong>­<strong>ma</strong>jor Pierre Fontanille, setrouvait au château. L'Administrateur fit appel à son concours poursoigner les blessés probables. Il accepta avec empressement.Ajoutons qu'il sut prendre brillamment sa place parmi lesdéfenseurs du centre <strong>de</strong> colonisation.Dès 18 heures, la <strong>ma</strong>ison Dussaix compte beaucoup <strong>de</strong>réfugiés. 17 fusils Gras et une caisse <strong>de</strong> 1.800 cartouches sont misà leur disposition. L'Administrateur prie M. Lardillier, Receveur<strong>de</strong>s Postes, <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le contact avec Sétif et <strong>de</strong> rester à son bureau.On sait <strong>de</strong> quelle façon, digne d'éloges, M. Lardillier, secondé parsa compagne, sut faire, intégralement, son <strong>de</strong>voir.La nuit vient, sans amener <strong>de</strong> changement dans la situation.MM Boutin, Goetz et Fontanille prennent les initiatives dictées parles circonstances. Les meurtrières du château sont dégagées.Chaque porte est protégée par le feu croisé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux créneaux. Leconstructeur <strong>de</strong> l'immeuble avait tout prévu...Chaque meurtrière est <strong>de</strong>sservie par un homme armé. On a faitmonter du moulin, tout proche, <strong>de</strong>s sacs <strong>de</strong> semoule, afin <strong>de</strong>consoli<strong>de</strong>r les points faibles. Au pied du grand escalier intérieurqui <strong>de</strong>ssert les étages et aboutit au grand hall central du rez­<strong>de</strong>chaussée,on installe, avec ces sacs, une série <strong>de</strong> blockauss, <strong>de</strong>façon à pouvoir défendre l'entrée, en cas où elle serait forcée.Les grilles du château ont été garnies <strong>de</strong> barbelés. Dans lesgarages, on a enlevé les phares et les accus <strong>de</strong> tous les véhicules,afin d'avoir <strong>de</strong> l'éclairage, même, si, le moulin étant pris,l'électricité venait à <strong>ma</strong>nquer. <strong>Un</strong> armement individuel, mo<strong>de</strong>ste<strong>ma</strong>is précieux, complète un peu les fusils Gras. On a <strong>de</strong>s fusils <strong>de</strong>chasse, <strong>de</strong>s carabines, <strong>de</strong>s revolvers et <strong>de</strong>s bouteilles <strong>de</strong> dynamite.On a même un parabellum et une cinquantaine <strong>de</strong> balles ! On asurtout un bon moral. On est décidé à se défendre. Mais on songe87


UN DRAME ALGERIENaux nombreux Français qui n'ont pu rejoindre...M. Goetz, l'ingénieur électricien du barrage, qui est l'un <strong>de</strong>sbons ani<strong>ma</strong>teurs <strong>de</strong> la résistance, installe, aux angles <strong>de</strong>l'immeuble, <strong>de</strong> gros phares, pour répondre à une attaque <strong>de</strong> nuit.<strong>Un</strong>e salle <strong>de</strong> pansements <strong>de</strong> fortune est aménagée par M.Fontanille, grâce aux fournitures et produits remis par MmeRou<strong>ma</strong>ingas et sa fille, qui <strong>de</strong>vaient, plus tard, être d'un précieuxsecours auprès <strong>de</strong>s blessés.Le 9 <strong>ma</strong>i, vers une heure du <strong>ma</strong>tin, M. Boutin, directeur dubarrage, fait <strong>de</strong>scendre tout son personnel au château. Les gar<strong>de</strong>schampêtres et les gendarmes, très dévoués, font <strong>de</strong>s ron<strong>de</strong>sincessantes. Toutes les <strong>de</strong>mi­heures, par la poste, on <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssecours. Sétif a prévenu que c'est Bougie qui est chargée <strong>de</strong>débloquer Kerrata. On n'a su que plus tard que la route <strong>de</strong> Bougieavait été coupée par <strong>de</strong> gros blocs for<strong>ma</strong>nt barrages.De 3 à 5 heures, la population afflue à la <strong>ma</strong>ison Dussaix. A 5heures, la ligne téléphonique est définitivement coupée, danstoutes les directions. L'Administrateur envoie, à 6 heures, uncamion à la boulangerie. A 6 h. 30 il avait fait un voyage. Ilretourne au village, situé à 200 mètres du château.A 6 h. 45, on entend un coup <strong>de</strong> feu. Le boulanger Grammontest tombé, victime du <strong>de</strong>voir... Au même moment, arrive lecamion, chargé <strong>de</strong> 99 personnes.Le château est bloqué. On voit <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s d'indigènes monterpar la route <strong>de</strong>s gorges. Il n'y a plus à hésiter ; on ouvre sur eux unfeu nourri. Ils s'égaillent.On entend bientôt plusieurs explosions au village. On ne peutsavoir à quoi elles sont dues. On voit <strong>de</strong>s colonnes <strong>de</strong> fumées'élever du côté <strong>de</strong> la Justice <strong>de</strong> paix, <strong>de</strong> la Poste et non loin <strong>de</strong> lagendarmerie.Dans la <strong>ma</strong>tinée, il y a quelques tentatives <strong>de</strong> « <strong>de</strong>scente » surle château, par groupes isolés. On s'attend à une offensive en règle,88UN DRAME ALGERIENgénéralisée, lorsque les émeutiers auront terminé leur sinistrebesogne au village. On se prépare, On voudrait même réagir,porter secours à ceux qui se battent encore, là­bas. M. Fontanillese fait l'interprète d'un sentiment partagé par beaucoup : il proposeà l'Administrateur l'organisation d'une sortie. Ce <strong>de</strong>rnier s'y oppose<strong>de</strong> façon formelle.On arrive ainsi à 14 heures. 500 personnes sont réunies auchâteau, y compris <strong>de</strong>s prisonniers italiens qui <strong>ma</strong>nifestentouvertement leur volonté <strong>de</strong> participer à la défense.L'inquiétu<strong>de</strong> est gran<strong>de</strong>. Les secours n'arrivent pas. Que sepasse­t­il au village, que <strong>de</strong>viennent la région, les centres, lesfermes isolées? Le mouvement a l'air d'être général. L'angoisseétreint tous les cœurs.14h. 45... <strong>Un</strong>e mitrailleuse crépite... C'est la fuite <strong>de</strong>s insurgés.C'est la délivrance...Plusieurs défenseurs du château se précipitent vers le village.Parmi eux, le jeune ai<strong>de</strong>­<strong>ma</strong>jor. Il va où le <strong>de</strong>voir l'appelle. Queln'est pas son étonnement, en sortant <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison Dussaix, <strong>de</strong> voirarriver une voiture militaire anglaise, ayant à son bord <strong>de</strong>uxofficiers <strong>de</strong> <strong>ma</strong>rine anglais. L'un avait les insignes <strong>de</strong>l'« Intelligence Service ». M. Fontanille s'avance vers eux et leur<strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> d'où ils venaient et comment ils avaient pu parvenirjusqu'à Kerrata. Ils répon<strong>de</strong>nt qu'ils venaient <strong>de</strong> visiter les ruines<strong>de</strong> Djemila (1).M. Fontanille se rend alors au village avec une auto <strong>de</strong> laSociété Dussaix, Mme Fontanille l'accompagne.(1) Renseignements pris par l'auteur : Au moment du <strong>drame</strong>, <strong>de</strong>ux officiers anglais ont bienvisité les ruines <strong>de</strong> Djemila. Il s'agit sans doute <strong>de</strong>s officiers étrangers dont le passage a été signalépar une patrouille surveillant la route <strong>de</strong> Bougie, près du cap Aokas, le 11 <strong>ma</strong>i. Ce seraient alors <strong>de</strong>sofficiers anglais et non américains ?Des détails complémentaires recueillis nous permettent d'ajouter que ces officiers ont couchéau Château Dussaix, sur l'invitation qui leur en était faite. On craignait, en effet, que la route <strong>de</strong>sgorges soit encore bloquée. Ils ont quitté Kerrata le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in <strong>ma</strong>tin, après l'arrivée <strong>de</strong>s secoursvenant <strong>de</strong> Bougie.89


UN DRAME ALGERIENA la Justice <strong>de</strong> paix, ils trouvent le Juge, étendu au travers <strong>de</strong> laporte, dans une <strong>ma</strong>re <strong>de</strong> sang : 3 balles dans la tête, 2 dans lethorax, une quinzaine <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> couteaux, les organes génitauxtranchés.Nous nous excusons <strong>de</strong> donner ces détails horribles, <strong>ma</strong>is celivre est un procès­verbal <strong>de</strong> constat et il faut mettre fin àl'abominable légen<strong>de</strong> qui veut faire passer les assassins pour <strong>de</strong>svictimes.Au premier étage, la femme du <strong>ma</strong>gistrat est étendue. « Leshé<strong>ma</strong>tomes qu'elle présente à la face interne <strong>de</strong>s cuisses ne laissentaucun doute sur le traitement qu'a dû subir la <strong>ma</strong>lheureuse. Elle aété tuée par l'introduction d'un pieu dans l'anus, qui a occasionnéune perforation <strong>de</strong> l'intestin. »Le boulanger Grammont est étendu dans un couloir, où on vient<strong>de</strong> le déposer, « le crâne fendu d'un coup <strong>de</strong> hache », etc.Les survivants du village se sont réfugiés, en hâte au château.Les pauvres gens sont dans un état lamentable.On cherche en vain Mme Barlatier, qui arrive, blessée, avec sespetits enfants... On ne peut s'empêcher d'admirer le courage <strong>de</strong>cette vieille dame, qui, le bras fracturé par une balle, a tenu, pourne pas abandonner ses petits.On s'empresse autour d'elle. Elle reçoit les soins du jeune ai<strong>de</strong><strong>ma</strong>jorqui extrait une balle <strong>de</strong> revolver <strong>de</strong> l'avant­bras gauche <strong>de</strong> lapetite Régina.Ce fut ensuite le défilé <strong>de</strong>s blessés :— un <strong>ma</strong>çon, le pied atteint d'une balle : extraction ;— un contre<strong>ma</strong>ître du barrage : fracture, par balle, <strong>de</strong> l'humérusgauche : excision, attelle ;— un sergent <strong>de</strong>s transmissions : blessé par chevrotines.Radiographié, plus tard, à Maillot, on ne put lui extraire l'uned'elles, logée entre la caroti<strong>de</strong> et la trachée.90UN DRAME ALGERIEN— d'autres blessés légers, et <strong>de</strong>s femmes, en proie à <strong>de</strong>s crises<strong>de</strong> nerfs bien explicables.Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in, 10 <strong>ma</strong>i, dès 7 heures, le lieutenant Bergeret mit àla disposition du village une voiture militaire, pour évacuer lesblessés sur Sétif. Ils <strong>de</strong>vaient, en effet, être opérés et prémunis, parun sérum, contre la gangrène et le tétanos. On coucha, sur <strong>de</strong>s<strong>ma</strong>telas, Mme Barlatier, la petite Régina, le contre<strong>ma</strong>ître. Sur lesbanquettes prirent place le <strong>ma</strong>çon et <strong>de</strong>ux militaires. Commeescorte, avec M. Fontanille, <strong>de</strong>ux légionnaires et un chauffeur.Comme armement : un F.M., <strong>de</strong>ux mousquetons, sept revolvers.Jusqu'à Tizi N'Béchar, le trajet s'effectua sans encombre ouacci<strong>de</strong>nt. Après le village, un barrage, fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux arbres, arrête lavoiture. On dégage la route. Coups <strong>de</strong> feu. Les rafales du F. M.éloignent les agresseurs. On passe. Deuxième barrage dans la<strong>de</strong>scente du col <strong>de</strong> Takitount. Pierres. On les écarte. Troisièmebarrage à la jonction <strong>de</strong> la route <strong>de</strong> Sétif et <strong>de</strong> la traverse allant surPérigotville. On arrive à Sétif au moment <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s funérailles<strong>de</strong> 35 victimes du début <strong>de</strong> l'émeute...Déchargée <strong>de</strong> ses blessés, l'auto rentre à Kerrata, sans nouveauxinci<strong>de</strong>nts. Le centre est revenu au calme, <strong>ma</strong>is que <strong>de</strong> <strong>de</strong>structionsà déplorer, que <strong>de</strong> morts à pleurer...Nous avons eu la bonne fortune d'entrer en relations avec l'un<strong>de</strong>s défenseurs <strong>de</strong> la poste <strong>de</strong> Kerrata, M. Arron<strong>de</strong>au, comptable<strong>de</strong> la Société Dussaix, qui s'est retiré à <strong>Alger</strong>, <strong>de</strong>puis le <strong>drame</strong> du 9<strong>ma</strong>i 1945.M. Arron<strong>de</strong>au, on l'a vu par les récits qui précè<strong>de</strong>nt, a suprendre vaillamment sa part d'action dans la défense du<strong>ma</strong>lheureux Centre <strong>de</strong> colonisation. Il a bien voulu nouscommuniquer le récit du <strong>drame</strong> vécu par lui et ses compagnons.De ce récit qui, d'une façon générale, confirme ceux que nousavons déjà donnés, nous extrayons <strong>de</strong>s détails inédits, cependantédifiants ou intéressants à signaler.91


UN DRAME ALGERIENNous citons :« Le Receveur buraliste <strong>de</strong>s Amouchas, M. Bonici, informeKerrata <strong>de</strong> la situation (dans l'après­midi du 9 <strong>ma</strong>i). Il entend, ditil,frapper à grands coups dans les portes <strong>de</strong>s habitations voisines.Il s'est barricadé chez lui, après avoir essuyé plusieurs coups <strong>de</strong> feuà travers la porte d'entrée du bureau. Il téléphone dans la positioncouchée, pour échapper aux balles. »Voilà un fait qui méritait d'être noté, et qui confirme le souciadmirable du <strong>de</strong>voir dont ont fait preuve tous les préposés français<strong>de</strong>s P.T.T. dans l'accomplissement <strong>de</strong> leur tâche.Nous continuons :« Ont été incendiés, à Kerrata, les immeubles suivants :— La Justice <strong>de</strong> Paix ;— La <strong>ma</strong>ison <strong>de</strong> M. Atlan Abraham et <strong>de</strong> M. Hennene ;— <strong>Un</strong>e <strong>ma</strong>ison appartenant à M. Dieudonné, où logeaientMM. Henri Sax et Runtz ;— L'immeuble appartenant à Mme veuve Louis Dussaix, oùsont installés les bureaux <strong>de</strong> la Poste et plusieurs locataires ; lesémeutiers se sont heurtés là à une résistance armée.« ...M. <strong>de</strong> Fontguyon et le gar<strong>de</strong> champêtre Daynaud, armés <strong>de</strong>fusils Gras, ont défendu l'escalier avec énergie. Les autresdéfenseurs ont pris position <strong>de</strong>rrière les fenêtres métalliques quidonnent sur la rue principale et sur l'agglomération indigène <strong>de</strong>sBéni Meraï. Neuf hommes armés, <strong>ma</strong>is quel armementdérisoire !... »« ...En raison du nombre très restreint <strong>de</strong> cartouches dont nousdisposons, nous décidons <strong>de</strong> ne tirer que lorsque nous seronsattaqués.92UN DRAME ALGERIEN« ...MM. Binosi, chef mécanicien, et Micheli, gardien <strong>de</strong>prison, se sont réfugiés à la gendarmerie. M. Louis Dussaix fils estresté, avec toute sa famille et sa domesticité, dans sa <strong>de</strong>meure. Lesémeutiers, pris sous le feu <strong>de</strong> la gendarmerie et <strong>de</strong> l'immeuble, nepeuvent péné trer dans ce <strong>de</strong>rnier.« ...<strong>Un</strong> indigène du village, le nommé Boukerkour, pénètre avec<strong>de</strong>ux hommes voilés, dans la <strong>ma</strong>ison Fitoun, où se sont réfugiéesMme veuve Fitoun, ses nombreuses jeunes filles, ainsi queplusieurs femmes et jeunes filles <strong>de</strong> leurs amies. Il s'en va aprèsavoir constaté qu'il n'y a pas d'hommes à <strong>ma</strong>ssacrer. <strong>Un</strong> seul, M.Nakach, commerçant, avait cru <strong>de</strong>voir se cacher. Il a ainsi échappéaux émeutiers.« Poursuivant leur œuvre, les bandits pillent les, appartements<strong>de</strong> M. Zemmour Israël, dont la fille a été abattue et <strong>ma</strong>rtyrisée.« Ils incendient l'immeuble <strong>de</strong>s familles Atlan. Cinq personnes<strong>de</strong> ces familles, qui se sont réfugiées dans un réduit situé dans lacour et hors d'atteinte <strong>de</strong> l'incendie, échappent miraculeusement aufeu et au <strong>ma</strong>ssacre. Quinze autres personnes, composant la familleAtlan Simon, réfugiées dans la soupente <strong>de</strong> leur immeuble, qui n'apu être incendié, échapperont également au <strong>ma</strong>ssacre.« Il en est <strong>de</strong> même du propriétaire d'un hôtel, M. Hernan<strong>de</strong>z,que l'on voit surgir <strong>de</strong> la toiture <strong>de</strong> son établissement, lorsque ladélivrance du village a lieu.« A l'hôtel restaurant Dieudonné, le propriétaire et sa familles'étaient réfugiés dans une pièce qui n'a pas été visitée par lesémeutiers.« On frémit d'épouvante et d'horreur, a conclu M. Arron<strong>de</strong>au,en songeant au nombre <strong>de</strong> victimes qui seraient tombées sous lescoups <strong>de</strong>s assassins, si la <strong>ma</strong>jeure partie <strong>de</strong> la population ne s'étaitréfugiée, dès la veille, et au cours <strong>de</strong> la nuit, dans le vasteimmeuble appartenant à la Société Dussaix. »93


UN DRAME ALGERIENLe récit <strong>de</strong> M. Arron<strong>de</strong>au vient compléter très utilement lesdétails que nous avions donnés sur le <strong>drame</strong> <strong>de</strong> Kerrata. Que sonauteur en soit remercié.Signalons quelques infor<strong>ma</strong>tions recueillies par la presse àpropos du <strong>drame</strong> <strong>de</strong> Kerrata :— Le 23 juillet 1945 : condamnations à mort <strong>de</strong> : KsaïrAbdallah ben Belkacem, Brik Salah Mohamed ben Larbi, KhenMahmoud ben Salah, pour assassinat avec préméditation et guetapens,sur M. Baro Joseph, chef d'exploitation <strong>de</strong> l'entrepriseBachelot, aux Babors : c'est là un <strong>drame</strong> que nous n'avions pasencore signalé.— Le 13 octobre 1945, le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantinecondamnait à la peine <strong>de</strong> mort le nommé Khe<strong>ma</strong>che Ali Ben Saïdpour sa participation active aux actes <strong>de</strong> pillage et à l'incendie <strong>de</strong>la Poste.12 autres pillards ont également été frappés <strong>de</strong> condamnationsvariant <strong>de</strong> vingt ans <strong>de</strong> travaux forcés à six mois <strong>de</strong> prison.— Déjà le 24 juillet, avaient été fusillés à Constantine 10émeutiers condamnés par le même tribunal.Cinbani Lakhdar Ben M'Hammed, 37 ans ; Abacha Ab<strong>de</strong>lka<strong>de</strong>r,27 ans ; Djabali Salah, 49 ans ; Hamrouch Abdallah, 23 ans ;tous du douar Kalaoun ;Grioun Saïd, 22 ans ; Aïd Ali, 48 ans ;Saïdani Larbi., dit Attia Ben Abdallah ; Abbas ben Adballahben Amor, 61 ans ;tous quatre du douar Béni Meraï ;Affoun Saïd, dit Sassy, sans origine, 47 ans ; Djabali LamriBen Mohamed, 25 ans, <strong>de</strong> Takitount (1).94UN DRAME ALGERIEN— Le 3 novembre, le chef meneur, Chaabane Messaoud,s'entendait condamner à la peine <strong>de</strong> mort. Son complice RamliRabah, le crieur public qui excitait les you­you <strong>de</strong>s femmes etexhortait les révoltés à être sans pitié, ainsi que trois incendiaires,étaient frappés <strong>de</strong> la peine <strong>de</strong>s travaux forcés à perpétuité.— Le 8 décembre 1945, 3 indigènes étaient présentés à laJustice militaire du chef­lieu du département, pour répondre <strong>de</strong>smeurtres du jeune Onis et <strong>de</strong> Mlle Zemmour. <strong>Un</strong> quatrième accuséétait en fuite.Ont été condamnés :A la peine <strong>de</strong> mort : Kheloufi Mohamed Mani Abdallah etAmour Bachir, ce <strong>de</strong>rnier par contu<strong>ma</strong>ce.A vingt ans <strong>de</strong> travaux forcés et vingt ans d'interdiction <strong>de</strong>séjour : Manadi Areski.— Le 15 décembre 1945, comparaissent 50 inculpés pour lesaffaires <strong>de</strong> pillage, incendies et meurtres <strong>de</strong> Kerrata. Le tribunalprononce six condamnations à mort : Kheloufi Mohamed,Bakouche Lahcène, Aouali Moussa, Bakouche Ahmed, KahmiRabah, Ham<strong>ma</strong>r Mohamed.Tous ces prévenus avaient déjà été condamnés : le premier àmort, les autres à <strong>de</strong>s peines <strong>de</strong> travaux forcés. Les autres accusés(1) Sur plus <strong>de</strong> cent condamnations à mort, il nous a été affirmé que vingt à peine ont étésuivies d'exécutions. La <strong>ma</strong>nsuétu<strong>de</strong> administrative— annulant <strong>de</strong>s décisions judiciaires—est venue an secours <strong>de</strong> ceux dont la culpabilité avait étéétablie, <strong>ma</strong>lgré le silence collectif opposé aux investigations judiciaires. <strong>Un</strong>e mesure <strong>de</strong> grâcecollective a complété l'abdication <strong>de</strong> l'autorité sans lui attirer, du reste, la reconnaissance <strong>de</strong>sintéressés— l'élection du 2 juin 1948, en est la démonstration.— On est allé plus loin : <strong>de</strong>s commissionsfonctionnent pour distribuer sur les fonds publics, alimentés dans la proportion <strong>de</strong> 7/8 par <strong>de</strong>simpôts français, <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnités aux rehelles qui ont résisté à l'Armée et dont les habitations ont étédétruites. Nous pouvons citer le cas du douar Menar <strong>de</strong> Fedj M'Zala, qui a participé à l'odieux<strong>ma</strong>ssacre <strong>de</strong>s familles <strong>de</strong>s forestiers <strong>de</strong> Tamentout. Ce n'est pas sans tristesse que nous enregistrons<strong>de</strong> tels exemples, qui ne peuvent être démentis et qui préparent <strong>de</strong>s nouvelles journées sanglantespour notre <strong>ma</strong>lheureuse Algérie française.95


UN DRAME ALGERIENsont acquittés ou frappés <strong>de</strong> peines diverses. Pour ne pas alourdirnotre exposé, nous ne citons que les noms <strong>de</strong>s condamnés à lapeine capitale.— Le 19 janvier 1946, le Tribunal militaire condamne auxtravaux forcés et à la prison six nouveaux inculpés <strong>de</strong> Kerrata.— Le 17 septembre 1946, a lieu à Constantine l'exécution <strong>de</strong>Barkab Ali et Menad Saou, condamnés les 11 et 12 janvier, pourmeurtres <strong>de</strong> Mme et M. Trabaut, Juge <strong>de</strong> Paix. Trois complices,condamnés également à mort, ont vu leur peine commuée en celle<strong>de</strong> travaux forcés à perpétuité.— Le 17 décembre, les nommés Hakoun et Tordj<strong>ma</strong>ni sontégalement fusillés, pour les crimes <strong>de</strong> Kerrata, ainsi que 8 <strong>de</strong> leurscoreligionnaires pour <strong>de</strong>s attentats divers (assassinats <strong>de</strong> Sétif, <strong>de</strong>Tamentout, et <strong>de</strong> Sekaka).C'est cette <strong>de</strong>rnière exécution qui a été l'objet <strong>de</strong>s protestations<strong>de</strong> la représentation musul<strong>ma</strong>ne au Parlement, protestationsauxquelles a fait droit le ministère Blum, en décidant <strong>de</strong> surseoir àtoute nouvelle exécution relative aux émeutes du 8 <strong>ma</strong>i 1945, lescondamnés <strong>de</strong>vant comparaître <strong>de</strong>vant une commission <strong>de</strong>s grâces.Soulignons simplement sans autre commentaire que c'est lapremière fois que l'on voit en France <strong>de</strong>s élus se grouper pourdéfendre ouvertement <strong>de</strong>s criminels <strong>de</strong> droit commun, condamnéspour <strong>de</strong>s crimes abominables, où les victimes ont été l'objet <strong>de</strong>scruautés les plus infâmes et les plus révoltantes.***Nous avons évoqué, au début <strong>de</strong> ce chapitre, le nom d'EugèneDussaix, qui joua dans sa région, un rôle prépondérant, comme96UN DRAME ALGERIENConseiller Général et délégué financier d'une vaste région for<strong>ma</strong>ntla banlieue Nord <strong>de</strong> Sétif, celle précisément où se sont déroulés lesévénements tragiques dont nous avons tenu à fixer les détails.M. Eugène Dussaix fut pendant <strong>de</strong> longues années l'ani<strong>ma</strong>teurd'une activité familiale qui groupait, nous l'avons dit, plus <strong>de</strong> 300personnes. C'est lui qui construisit l'église et le château se dressant,<strong>de</strong> chaque côté <strong>de</strong> la route <strong>de</strong> Bougie, à l'entrée <strong>de</strong>s gorgesimpressionnantes du Chabet El Akra. C'est donc grâce à lui que laplupart <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Kerrata ont pu trouver unrefuge au cours <strong>de</strong> l'assaut tragique du 9 <strong>ma</strong>i 1945.La générosité <strong>de</strong> ce colon, issu d'une famille <strong>de</strong> Savoyardsreprésentée à l'origine par <strong>de</strong>ux frères venus <strong>de</strong> France avec leursenfants il y a quatre­vingts ans, était proverbiale, l'altruismed'Eugène Dussaix, catholique fervent, s'étendait à tous ceux quil'entouraient ou faisaient appel à lui, quelles que soient leursorigines ou leurs croyances.Homme d'initiative en même temps que <strong>de</strong> valeur, Dussaixavait installé à Kerrata une usine qui, transformée par l'utilisation<strong>de</strong>s chutes <strong>de</strong> l'oued Agrioun, était arrivée à assurer la mouturejournalière <strong>de</strong> 300 sacs <strong>de</strong> blé. <strong>Un</strong>e partie <strong>de</strong> ces revenus étaitaffectée à soulager les misères locales. Il y avait, au châteauDussaix, une liste <strong>de</strong>s pauvres, qui s'allongeait chaque année <strong>de</strong>noms nouveaux. A l'entrée <strong>de</strong> l'hiver, ces <strong>ma</strong>lheureux, tousindigènes, étaient convoqués dans les dépendances du moulin. Etc'est par centaines <strong>de</strong> quintaux <strong>de</strong> blé que se chiffraient lesdistributions qui, chaque année, venaient soulager la détresse <strong>de</strong>sdouars (1).Les indigènes aisés du pays venaient souvent faire appel à la(1) La moyenne <strong>de</strong>s distributions annuelles atteignait du 4 à 500 quintaux <strong>de</strong> céréales.97


UN DRAME ALGERIENdroiture du chef <strong>de</strong>s « douaslas » (pluriel arabisé du nom Dussaix)pour lui <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>r <strong>de</strong> trancher un différend par un arbitrage quetous acceptaient comme une décision <strong>de</strong> <strong>ma</strong>rabout, é<strong>ma</strong>nant <strong>de</strong> lajustice divine.Bienfaiteur attitré <strong>de</strong>s indigènes, Eugène Dussaix ne se faisaitpas d'illusion sur les menaces que pouvait représenter l'avenir, enAlgérie, en présence d'une politique qui ne savait pas toujourss'inspirer <strong>de</strong>s vérités essentielles <strong>de</strong>vant assurer la pérennité <strong>de</strong>l'œuvre française.Les interventions <strong>de</strong> l'élu, au sein du Conseil général <strong>de</strong>Constantine et <strong>de</strong>s Délégations financières d'<strong>Alger</strong>, sont édifiantesà cet égard. Elles constituaient, pour les Pouvoirs publics, <strong>de</strong>savertissements dont une politique fâcheuse <strong>de</strong> laisser aller,d'intérêts personnels, <strong>de</strong> faiblesse et d'incompréhension coupables'est refusée <strong>de</strong> tenir compte, prenant ainsi la responsabilité <strong>de</strong>sscènes tragiques qui sont comme la préface <strong>de</strong> la disparition <strong>de</strong> laFrance en Afrique du Nord.Nous n'exagérons pas, hélas ! en écrivant ces mots.Les scènes tragiques <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945, Eugène Dussaix les avaitprévues. Il les considérait comme fatales, parce qu'elles <strong>de</strong>vaientlogiquement être la résultante <strong>de</strong> directives ouvrant le champ auxrevendications les plus audacieuses <strong>de</strong> groupements ethniques quine peuvent être <strong>ma</strong>intenus dans l'ordre et la voie du progrès quepar une politique d'équité et d'autorité.En décembre 1937, Eugène Dussaix, revenant <strong>de</strong>s Délégationsfinancières, était arrivé à Kerrata, qu'il <strong>de</strong>vait quitter au plus tôtpour subir à <strong>Alger</strong> une opération chirurgicale dont il n'ignorait pasla gravité.Son <strong>de</strong>rnier geste fut <strong>de</strong> convoquer les jeunes <strong>de</strong> la famille,neveux ou alliés. Sa <strong>de</strong>rnière volonté fut <strong>de</strong> les inviter à partir sanstar<strong>de</strong>r à Sétif, a apporter à Mahouan un chargement <strong>de</strong> ciment.98UN DRAME ALGERIENIl compléta sa pensée par ces mots :—Vous ouvrirez notre caveau familial. Vous mettrez sur le sol,bien rangés, les nombreux cercueils <strong>de</strong> ceux qui nous ont quittés,leur tâche accomplie ici­bas. Vous coulerez par­<strong>de</strong>ssus un mortier<strong>de</strong> ciment, <strong>de</strong> façon à former un bloc in<strong>de</strong>structible, mettant noschers morts à l'abri <strong>de</strong> toute profanation ! Il partit à <strong>Alger</strong>, etquelques jours après, la région qui s'étend <strong>de</strong> Bougie à Sétif étaiten <strong>de</strong>uil. Dussaix était mort en donnant une fois <strong>de</strong> plus à sonentourage l'exemple d'une sérénité <strong>de</strong> croyant, ayant toujoursaccompli son <strong>de</strong>voir sur la terre, certain du but vers lequel il sedirige et qui lui donnera la seule récompense à laquelle il n'a cesséd'aspirer.« A l'abri <strong>de</strong> toute profanation. » L'ordre donné s'est justifié...Oserait­on nier aujourd'hui qu'il a traduit une claire vision <strong>de</strong>l'avenir, <strong>de</strong> cet avenir dont quelques Français, hélas ! doiventsupporter, <strong>de</strong>vant l'Histoire, l'entière responsabilité ?***Il ne suffisait pas <strong>de</strong> délivrer Kerrata : <strong>Un</strong>e tâche importante,dangereuse, s'imposait à la troupe : chasser les insurgés <strong>de</strong>s gorgesprofondément encaissées qui, partant du village, aboutissent àl'embranchement <strong>de</strong> Souk El Tenine sur la route <strong>de</strong> Djidjelli àBougie.Le détachement Bergeret accomplit cette mission avec quatreautos mitrailleuses, un peloton <strong>de</strong> la section saharienne portée <strong>de</strong>la Légion et une section d'artillerie <strong>de</strong> 75 (Lieutenant Laplazie).Ces troupes sont accrochées à chaque tournant <strong>de</strong>s gorges, oùles révoltés se cachent facilement, dans les halliers surplombant laroute et tirent avec aisance, sans être vus. « Le combat est dur. Les99


UN DRAME ALGERIENlégionnaires sont <strong>ma</strong>gnifiques. » L'un d'eux, <strong>ma</strong>lheureusement, esttué d'un coup <strong>de</strong> feu.La liaison s'effectue ; on trouve à Souk El Tenine le lieutenantGérald, qui est coupé <strong>de</strong> Bougie, sans nouvelles d'une sectionaccrochée aux environs d'Oued Marsa, on organise aussitôt <strong>de</strong>ssecours dans cette direction (1).Avec les gorges du Chabet El Akra et Souk El Tenine, noussommes entrés dans le territoire <strong>de</strong> la commune mixte <strong>de</strong> l'OuedMarsa qui a joué, dans le <strong>drame</strong>, un rôle <strong>de</strong> première importance.Il convient <strong>de</strong> lui consacrer un chapitre spécial.Nous n'en avons du reste pas terminé avec la commune mixte<strong>de</strong> Takinount qui, avec ses centres <strong>de</strong> colonisation <strong>de</strong> Chevreul,Périgotville, El Ouricia, Takitount et Kerrata, apparaît comme leterritoire le plus frappé par les émeutiers du 8 au 10 <strong>ma</strong>i 1945. Ilnous reste à raconter un <strong>de</strong>rnier <strong>drame</strong>, celui du <strong>ma</strong>ssif forestierd'Aïn­Settah où trois hommes, dont <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>s forestiers, et une<strong>ma</strong>lheureuse Française, Mme Devèze, âgée <strong>de</strong> 48 ans, ont subi unhorrible <strong>ma</strong>rtyre.La liste <strong>de</strong>s victimes n'est donc pas close pour Takitount.(1) La plupart <strong>de</strong>s renseignements qui précè<strong>de</strong>nt é<strong>ma</strong>nent <strong>de</strong>s témoignages recueillis et dutexte d'une brochure déjà citée : Sétif. Mai 1945.UN DRAME ALGERIENDANS LA COMMUNE MIXTED'OUED­MARSALa commune mixte <strong>de</strong> l'Oued Marsa appartient àl'arrondissement, <strong>de</strong> Bougie. Elle couvre plus <strong>de</strong> 55.000 hectares,occupés en gran<strong>de</strong> partie par <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>ssifs forestiers, aux ravinsprofonds, aux crêtes élevées et abruptes. Sa limite nord est fixéepar les rivages méditerranéens, for<strong>ma</strong>nt l'admirable baie qui,partant <strong>de</strong> Bougie, se dirige vers Zia<strong>ma</strong>­Mansouria, et est<strong>de</strong>sservie par le beau boulevard front <strong>de</strong> mer si fréquenté par letourisme.Cette voie front <strong>de</strong> mer constitue la partie terminale <strong>de</strong> la routenationale n° 9 qui relie Sétif à Bougie, en passant par Fer<strong>ma</strong>tou, ElOuricia, Amouchas, Takitount, Kerrata, les gorges du Chabet ElAkra, Souk El Tenine, Cap Aokas et Oued Marsa.Cap Aokas est le siège <strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong> la communemixte. <strong>Un</strong> bordj y réunit le personnel et les bureaux, à 10kilomètres <strong>de</strong> Souk El Tenine, point d'intersection <strong>de</strong> la routevenant <strong>de</strong>s gorges et du chemin arrivant <strong>de</strong> Djidjelli, par Cavallo etZia<strong>ma</strong> Mansouria.100101


UN DRAME ALGERIENPendant une se<strong>ma</strong>ine, les Français <strong>de</strong>s fermes, <strong>de</strong>s exploitationsminières et <strong>de</strong>s habitations isolées en plein bled, appelés en hâteau bordj­refuge, eurent leur part d'émotions et <strong>de</strong> tristesses. Ilsvécurent <strong>de</strong>s heures d'angoisses et <strong>de</strong> douloureuses surprises.Fort heureusement pour la population menacée, la communeétait administrée par un chef qui sut s'entourer <strong>de</strong> collaborateursanimés <strong>de</strong> l'esprit du <strong>de</strong>voir.C'est dans les moments <strong>de</strong> dangers collectifs que se révèlent lestempéraments et les caractères.Mme Brives, née Nicolas épouse <strong>de</strong> l'Administrateur en chef,fit preuve <strong>de</strong> courage et <strong>de</strong> dévouement en recevant les familles<strong>de</strong>s réfugiés, et nombreux sont ceux qui font l'éloge du réconfortqu'elle apporta à tous par son accueil et son exemple.Les journaux sont restés muets sur le <strong>drame</strong> qui, cinq joursdurant, s'est déroulé à l'est <strong>de</strong> Bougie, et au cours duquel près <strong>de</strong>450 personnes n'ont échappé à un <strong>ma</strong>ssacre que grâce à uneorganisation qui a su donner son résultat <strong>ma</strong>ximum. Il y a eu <strong>de</strong>smorts à déplorer comme partout où a sévi la vague <strong>de</strong> barbariedans ce que l'on est convenu, d'appeler le « Constantinois ».Plusieurs doivent à leur impru<strong>de</strong>nce le sort dont ils ont été les<strong>ma</strong>lheureuses victimes. Ceux qui ont répondu à temps à l'appel quileur était adressé par les chefs <strong>de</strong> la commune ont eu la vie sauve.A Cap Aokas, comme ailleurs, en beaucoup d'endroits, ladémonstration a été faite que le courage français a su éviter le pire,chaque fois qu'il a été possible aux victimes <strong>de</strong> se retourner pourfaire face à l'ennemi.Parmi les hommes qui ont apporté à M. Brives unecollaboration utile, souvent précieuse, nous <strong>de</strong>vons citer : sonadjoint, M. Hosteins, dont l'activité courageuse et l'initiative ne sedémentirent pas un instant ; un colon, M. Aubertier qui estlieutenant <strong>de</strong> réserve et fut chargé, à ce titre, <strong>de</strong> l'organisation <strong>de</strong> la102UN DRAME ALGERIENdéfense locale ; et <strong>de</strong> nombreuses personnes, civiles ou militairesqui ont dû faire l'objet, nous n'en doutons pas, <strong>de</strong> citationsélogieuses.L'éveil avait été donné, le 8 <strong>ma</strong>i, vers 17 heures, par le passage,à Cap Aokas, <strong>de</strong> M. Deschanel, entrepreneur <strong>de</strong> transports, dont lavoiture était suivie par un car <strong>de</strong> secours, <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndé à Bougie pourremplacer le car <strong>de</strong> service attaqué en cours <strong>de</strong> route.A 20 heures, M. Deschanel revenait, remorquant le carendom<strong>ma</strong>gé. Il donna <strong>de</strong>s détails sur l'attaque qui s'était produiteaux Amouchas, et les rumeurs qui couraient sur les événements <strong>de</strong>Sétif. <strong>Un</strong> voyageur, <strong>de</strong>scendu à Cap Aokas, confir<strong>ma</strong> le récit.Le 9 <strong>ma</strong>i, <strong>de</strong> bon <strong>ma</strong>tin, on prenait <strong>de</strong>s dispositions <strong>de</strong> défense.On prévenait les Français <strong>de</strong>s fermes environnantes, en leurconseillant <strong>de</strong> se replier à la moindre alerte. Le bordj était mis enétat <strong>de</strong> défense et d'approvisionnements. Ce bordj est composé <strong>de</strong>plusieurs immeubles. C'est un groupement <strong>de</strong> constructionsdésigné sous le nom général <strong>de</strong> Cité Administrative d'Aokas.<strong>Un</strong> détachement militaire passe. Il se dirige sur Souk El Tenine,embranchement <strong>de</strong> la route <strong>de</strong> Kerrata. <strong>Un</strong>e reconnaissance <strong>de</strong>gendarmerie va prospecter les gorges <strong>de</strong> l'oued Agrioun. Elleconstate que le pont qui enjambe le gouffre, à 4 kilomètres <strong>de</strong>Kerrata, est fortement occupé par les rebelles. M. Brives est <strong>de</strong>l'expédition.A 11 heures, <strong>de</strong>ux cars, transportant <strong>de</strong>ux sections <strong>de</strong> tirailleurs,s'avancent dans les gorges. Ils rencontrent un barrage. Il y a unarrêt forcé. On échange <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu. Par les crêtes escarpées,les rebelles encerclent le détachement qui, vers 14 heures, sedégage difficilement et revient à Souk El Tenine, occupé par <strong>de</strong>sgendarmes.A 16 heures, la population française <strong>de</strong> la commune mixte estréunie au bordj administratif d'Aokas. Des armes et <strong>de</strong>s munitions103


UN DRAME ALGERIENsont distribuées aux hommes. Des groupes sont formés pourassurer un service <strong>de</strong> patrouilles.On déplore l'absence <strong>de</strong> plusieurs personnes. La nuit, consacréeà l'organisation <strong>de</strong> la défense, est assez calme.Le 10 <strong>ma</strong>i, on apprend que <strong>de</strong>s concentrations d'émeutiers ontlieu à peu <strong>de</strong> distance. On évalue leur effectif à un millier <strong>de</strong>personnes environ.On conserve la communication sur Souk El Tenine. A 9 heures,<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu y ont été tirés sur la troupe.De Mansouria, M. Clanet, adjoint spécial, a annoncé, la veille,qu'ayant obtenu <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong> guerre, il assurait la sécurité ducentre par <strong>de</strong>s patrouilles.C'est le 10 <strong>ma</strong>i que <strong>de</strong>ux compagnies, avec les capitainesArbola et Guarzulino, se portent au secours <strong>de</strong> Kerrata, en partant<strong>de</strong> Souk El Tenine. Il va falloir percer le passage <strong>de</strong>s gorges, et ilfaut s'attendre à <strong>de</strong>s résistances. On est décidé. On échange <strong>de</strong>scoups <strong>de</strong> feu. Tout à coup, on voit arriver un détachement <strong>de</strong> laLégion Étrangère. On a donc fait la jonction. Kerrata est délivrée,après un <strong>drame</strong> horrible, nous l'avons raconté.On liqui<strong>de</strong> les <strong>de</strong>rnières résistances <strong>de</strong>s rebelles dans lesgorges. <strong>Un</strong> légionnaire est blessé mortellement... Vers 15 h. 30, onentend <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu tirés à <strong>de</strong>ux kilomètres <strong>de</strong> Souk El Tenine.Dans la soirée, Cap Aokas semble encerclé.Des patrouilles partent en reconnaissance. Elles reçoivent <strong>de</strong>scoups <strong>de</strong> feu et se replient. L'une dirigée, par M. Hosteins,constate que les routes sont coupées, que <strong>de</strong>s fils téléphoniques,sectionnés, traînent à terre. Le bruit court que 2.000 émeutierss'apprêtent à attaquer Cap Aokas. Le village est évacué par tous lesfrançais. Des groupes militaires arrivent pour participer à ladéfense. La cité administrative abrite 412 civils dont 71 enfants,UN DRAME ALGERIENsous la direction <strong>de</strong> Mme Brives, qui trouve à chacun sa place etdont le <strong>ma</strong>ri secon<strong>de</strong> la défense <strong>de</strong> Souk El Tenine ; on répartit lessalles <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison commune et <strong>de</strong>s appartements aux réfugiés. Oncampe au mieux. Les enfants sont particulièrement entourés. Leravitaillement a été assuré par les fermes <strong>de</strong>s environs, au moment<strong>de</strong> leur évacuation, à titre bénévole, et aussi par <strong>de</strong>s réquisitionsopérées partout où la chose a été possible.En l'absence <strong>de</strong> son chef, M. Hosteins, Administrateur ensecond, a organisé <strong>de</strong>s patrouilles auxquelles il participe avec uneactivité re<strong>ma</strong>rquable. M. Chambon, chef du secrétariat, a étédélégué au téléphone qui ne tar<strong>de</strong> pas à être coupé.Le 10 au <strong>ma</strong>tin, le sous­préfet <strong>de</strong> Bougie, M. Byr, a réussi àarriver à Souk El Tenine. Il revient à Bougie après s'être renducompte <strong>de</strong> la situation. Il passe à 11 heures à Cap Aokas. Arrivent,en même temps que lui, M. Brives et les Français évacués <strong>de</strong> SoukEl Tenine.Après son départ <strong>de</strong> Cap Aokas, où il ne fait que s'arrêter,survient, vers midi, un détachement <strong>de</strong> 13 fusiliers <strong>ma</strong>rins. Lecamion qui les transporte ai<strong>de</strong> les gendarmes restant à Souk ElTenine à rejoindre le centre <strong>de</strong> la commune mixte.Journée chargée, grosse d'inquiétu<strong>de</strong>. La situation est vraimentgrave. Le téléphone ne fonctionne plus. On a dû couper la ligne.Du bordj, on a envoyé <strong>de</strong>s indigènes dévoués porter versBougie <strong>de</strong>s rapports indiquant l'accroissement du danger. Mais lesémissaires pourront­ils passer ? Ne jugeront­ils pas pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nepas accomplir leur mission et <strong>de</strong> s'arrêter en route ?<strong>Un</strong> mo<strong>de</strong>ste infirmier, âgé <strong>de</strong> 35 ans, nommé Salhi Saïd, seprésente aux chefs <strong>de</strong> la défense. Il expose que si les chemins sontcoupés, il en reste un, accessible, celui <strong>de</strong> la mer. Il offre <strong>de</strong>franchir, à la rame, sur une barque légère, les vingt­cinq kilomètres104105


UN DRAME ALGERIENqui séparent Cap Aokas <strong>de</strong> Bougie ; le succès d'une pareilleentreprise est douteux. Mais le danger est pressant. On accepte,Salhi Saïd affronte l'obstacle.La nuit approche. Les heures passent, rapi<strong>de</strong>s, dans une actionintensive <strong>de</strong> défense collective.On signale bientôt l'attaque d'un camion. M. Hosteins part enreconnaissance, avec cinq hommes, constate que la route <strong>de</strong>Bougie est barrée près d'une ferme indigène, par un groseucalyptus ; que les fils téléphoniques sont sectionnés au mêmeendroit. L'Administrateur rentre à 19 heures au bordj, avec uncouple qui a été arrêté par les émeutiers, puis relâché : une femmefrançaise <strong>ma</strong>riée à un indigène et leur enfant. Le <strong>ma</strong>ri a excipé <strong>de</strong>sa qualité <strong>de</strong> musul<strong>ma</strong>n, on lui a rendu la liberté...Le lieutenant Aubertier, qui patrouille à l'extérieur, est rappelé.On fait replier tous les Européens occupant encore les fermes,ainsi que les personnes logeant à l'hôtel du Cap, situé en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>l'agglomération.On constate <strong>de</strong>s résistances :M. Aubertier Henri, conseiller municipal, refuse d'abandonnersa ferme. Il se fait fort d'organiser sa défense avec son personnel.On saura, plus tard, qu'il n'a pas été inquiété. Les émeutiers ontsans doute pensé qu'il s'était replié au bordj. Ou la crânerie dont ila fait preuve leur en a­t­elle imposé ?M. et Mme Piras, restaurateurs, veulent également rester chezeux. Ils habitent la petite agglomération <strong>de</strong>s falaises, à environ 7kilomètres <strong>de</strong> Souk El Tonine, en direction <strong>de</strong> Mansouria. Dans lanuit du 10 au 11 <strong>ma</strong>i, ils ont été attaqués. M. Piras a été tué. Safemme a été blessée à la fesse droite par <strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> feu. Elles'était sauvée. Après le <strong>drame</strong>, elle a été rétablie par un séjour <strong>de</strong><strong>de</strong>ux se<strong>ma</strong>ines dans une clinique. Elle est <strong>de</strong>puis, partie au Maroc.Pendant plusieurs jours on a été inquiet à Cap Aokas, sur le sort106UN DRAME ALGERIENdu brigadier Leca, qui n'avait pas obtempéré à l'invitation <strong>de</strong> repliqui lui avait été adressée.Il avait rejoint Bougie par ses propres moyens.Des falaises, n'ont pas voulu rejoindre : Mme et M. Vergnau,Mme et M. Samson. Les grottes <strong>de</strong>s falaises leur procurèrent,heureusement, un abri qui aurait bien pu être insuffisant. On estsans nouvelles <strong>de</strong> Mme et M. Lambert, gar<strong>de</strong> forestier, qui ont étéprévenus du danger.A 20 heures, on était très près <strong>de</strong> la chute du jour, on entend <strong>de</strong>savions. On leur fait du bordj, <strong>de</strong>s signaux. Les grands oiseauxcirculent et mitraillent, dans les environs, les attroupements qu'ilspeuvent apercevoir. Cela décongestionne les <strong>ma</strong>isons assiégées.Puis on perçoit une canonna<strong>de</strong>. C'est un aviso qui dégage, parun tir précis, le village et le réduit défensif.C'est là, sans aucun doute, le résultat <strong>de</strong> la tentative du braveinfirmier, dont on n'a pas <strong>de</strong> nouvelles.La nuit arrive. On est plus rassuré. Mais les patrouillescirculent, dans l'obscurité. Il faut éviter une surprise. On se rendcompte que les assaillants ont reculé. Ils sont <strong>ma</strong>intenant à 7 ou800 mètres du bordj. On entend quelques coups <strong>de</strong> feu.Le bureau <strong>de</strong> poste a été évacué. A minuit les émeutiers serapprochent ; on en voit à 50 mètres <strong>de</strong>s murs du réduit défensif.On se prépare à toute éventualité.Le reste <strong>de</strong> la nuit est calme. On ne peut plus causer, autéléphone, avec Mansouria.La journée du 11 <strong>ma</strong>i est consacrée à <strong>de</strong> nombreusespatrouilles, dirigées par M. Hosteins. On éloigne les rebelles. Onrétablit <strong>de</strong>s liaisons téléphoniques grâce à <strong>de</strong>s monteurs <strong>de</strong>s P.T.T.qui ont dû abandonner leur camionnette sur la route. <strong>Un</strong> car aégalement été laissé en hâte par 30 fusiliers­<strong>ma</strong>rins, arrivés laveille au soir. Il <strong>ma</strong>nque <strong>de</strong>ux ca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s. On part à leur recherche.107


UN DRAME ALGERIENOn recueille un <strong>ma</strong>rin qui a pu échapper en simulant la mort. Ilest nu. On lui a enlevé ses effets d'habillement. On trouve, dans lecar brûlé, un cadavre carbonisé : le <strong>de</strong>uxième soldat disparu...On échange <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu avec <strong>de</strong>s petits groupes <strong>de</strong>rebelles. Des tirs efficaces sont exécutés par la <strong>ma</strong>rine. On signale<strong>de</strong>s morts chez les insurgés.Au large, s'avance le « Chasseur 94 ». Il ne peut abor<strong>de</strong>r. Maisun homme saute à la mer et, à la nage, apporte un message dusous­préfet, c'est le courageux Salhi, tout ému et justement fier <strong>de</strong>son exploit.Il est accueilli en ami. On prépare la réponse. Le lieutenantAubertier et Salhi Saïd vont la porter au bateau assurant la liaison.Mais, à mi­chemin, la barque chavire ! Elle coule ! Ses passagersseuls surnagent. Salhi se dirige vers le navire et remet la lettre quiindique les points à bombar<strong>de</strong>r pour atteindre les rebelles. Les tirsqui suivent sont bientôt d'une précision re<strong>ma</strong>rquable (1).Mais dès le <strong>ma</strong>tin, on reçoit <strong>de</strong> tristes nouvelles, laconfir<strong>ma</strong>tion <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> l'hôtelier Piras : puis celle <strong>de</strong>l'assassinat <strong>de</strong> Mme et M. Lambert, qui ont voulu rester à leur<strong>ma</strong>ison forestière <strong>de</strong> Tamsout. On sait également, vers 19 heures,que la population <strong>de</strong> Mansouria s'est réfugiée dans l'île qui faitface au groupement <strong>de</strong>s habitations.<strong>Un</strong> fait curieux, dans le duel tragique qui met aux prises les<strong>de</strong>ux camps ennemis, c'est la transmission rapi<strong>de</strong> du récit <strong>de</strong>sévénements intéressant chaque parti. Il y a <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> liaisonbénévoles qui fréquentent et renseignent les belligérants : lapoignée <strong>de</strong> Français qui se défend avec énergie, d'une part, et la(1) Le 15 août 1947, les journaux ont publié timi<strong>de</strong>ment en une locale : " Oued Marsa " que " lamédaille d'argent, <strong>de</strong> courage et <strong>de</strong> dévouement, vient d'être conférée à l'infirmier <strong>de</strong> l'hôpitalauxiliaire, M. Salhi Saïd ". Le communiqué officiel n'a pas osé dire la belle action accomplie par levaillant indigène, récompensé mo<strong>de</strong>stement... plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans après.108UN DRAME ALGERIENfoule <strong>de</strong> milliers d'émeutiers qui se rue à l'assaut du bordj encerclé,d'autre part. Transmettre c'est savoir, et savoir, c'est être enintelligence avec l'ennemi. Notre logique <strong>de</strong> roumis est imbattablesur ce point. Or, du côté français, on enregistre les nouvellesexactes qui arrivent ; on ne s'émeut pas <strong>de</strong>s complicités qu'ellesdénoncent. On connaît la solidarité qui unit les musul<strong>ma</strong>ns par<strong>de</strong>ssustoutes les barrières et toutes les barrica<strong>de</strong>s. L'habitatafricain a créé, chez les Français, une philosophie que nedéconcerte aucune constatation. A­t­on, du reste, le temps <strong>de</strong> selivrer à <strong>de</strong>s appréciations ? On se bat. On ne pense qu'à cela,...Les communications téléphoniques rétablies par M. Hosteins etles dévoués collaborateurs <strong>de</strong>s P.T.T. sont bientôt coupées ànouveau. Et l'on n'a plus <strong>de</strong> fil pour assurer les réparations.L'isolement s'affirme <strong>de</strong> plus en plus. Les patrouilles continuent àaccomplir leur tâche <strong>de</strong> reconnaissance et <strong>de</strong> refoulement partiel<strong>de</strong>s agresseurs.On apprend, à 20 heures, que <strong>de</strong>ux officiers américains ont étérencontrés sur la route, où ils circulaient librement, dans unevoiture « américaine » venant, disaient­ils, <strong>de</strong> Souk­Ahras. Ilsavaient donc traversé, <strong>de</strong> bout en bout, toutes les régionsinsurgées (1)...Quelques coups <strong>de</strong> feu, dans la nuit. L'aube arrive. Le bordj n'apas été attaqué.Dans la journée, on avait vu, avec étonnement, arriver sur laroute, en tournée d'inspection, le colonel Bourdila, <strong>de</strong> Sétif. Ilavait, dans son auto, son chauffeur et <strong>de</strong>ux hommes armés. Pointeaudacieuse que ce chef, continuant la tradition africaine, trouvaittrès naturelle...(1) Ce sont sans doute les officiers anglais rencontrés à Kerrata aussitôt après la libérationdu village. Cette circulation d'officiers alliés dans les régions sinistrées n'a pas <strong>ma</strong>nqué <strong>de</strong> donnerlieu à <strong>de</strong> nombreux commentaires.109


UN DRAME ALGERIENLe 12 <strong>ma</strong>i au <strong>ma</strong>tin, une patrouille dirigée par MM. Lagaly etAubertier, capitaine et lieutenant <strong>de</strong> réserve, va recueillir les restesdu fusilier <strong>ma</strong>rin Hamond, trouvés dans le car.M. Hosteins et le lieutenant Ottaviani essaient vainementd'atteindre les corps <strong>de</strong> Mme Lambert et <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri, gar<strong>de</strong>forestier. Ils rentrent à 19 heures, n'ayant pu remplir leur mission.A 15 h. 30, le corps <strong>de</strong> M. Piras est inhumé dans la plaine, prèsd'Aokas. <strong>Un</strong>e cérémonie touchante a lieu à cette occasion.A 18 heures, un inci<strong>de</strong>nt attriste la colonie : le conducteureuropéen <strong>de</strong> la camionnette <strong>de</strong>s P.T.T., donne <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong>dérangement cérébral. Il se sauve dans la campagne.A 23 heures, M. Saurel, receveur <strong>de</strong>s P.T.T. semble égalementatteint mentalement. On le <strong>ma</strong>îtrise et on le soigne a l'hôpital.La nuit se termine sans autres inci<strong>de</strong>nts. Les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers sontsignificatifs <strong>de</strong> l'ébranlement nerveux provoqué chez certains parles événements qui se déroulent avec rapidité et dont le récit nepeut donner qu'une idée superficielle.Disons tout <strong>de</strong> suite que le receveur <strong>de</strong>s P.T.T. a reprisrapi<strong>de</strong>ment son équilibre et que le chauffeur européen a étéretrouvé, vingt­quatre heures après sa fugue, à proximité <strong>de</strong>l'agglomération d'Aokas. Il était sain et sauf, heureusement, etavait été simplement un peu désaxé par l'ambiance et une extrêmefatigue.L'aube du 13 <strong>ma</strong>i fait entrer les assiégés dans le cinquième jour<strong>de</strong> leur résistance.Les patrouilles ont permis <strong>de</strong>s visites rapi<strong>de</strong>s aux fermes lesplus proches, afin <strong>de</strong> renouveler les provisions <strong>de</strong> bouchenécessaires aux 400 personnes dont il fallait assurer la subsistance.De ce côté, grâce aux détachements envoyés en reconnaissance, lesassiégés n'ont pas eu trop à souffrir.UN DRAME ALGERIENLe 13 <strong>ma</strong>i, jour dominical, l'activité <strong>de</strong>s défenseurs continue às'exercer. Dès le <strong>ma</strong>tin, M. Hosteins. accompagné d'un groupe <strong>de</strong>fusiliers <strong>ma</strong>rins, avec leur chef M. Schnei<strong>de</strong>r, arrive à joindre lescadavres <strong>de</strong> Mme et M. Lambert, qui sont inhumés sur place. <strong>Un</strong>eenquête est commencée ( 1 ).A 10 heures, à Aokas, le père Moussion, <strong>de</strong>s Pères blancs, ditune messe en plein air, <strong>de</strong>vant le catafalque contenant les restes dufusilier Hamond.Dans la soirée, on constate que les émeutiers se dispersent. Lescolons peuvent aller visiter leurs fermes, <strong>ma</strong>is reviennent au bordj,pour passer la nuit, qui est calme.Le lundi <strong>ma</strong>tin, 14 <strong>ma</strong>i, nouvelles visites <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>isons isolées et<strong>de</strong>s fermes.Le 16 <strong>ma</strong>i, tous les Français réintègrent leurs domiciles. Aokasest sauvé...Les dévouements ont été nombreux. Civils et militaires ontrivalisé <strong>de</strong> zèle. On n'ose citer <strong>de</strong>s noms, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> commettre <strong>de</strong>somissions, c'est­à­dire <strong>de</strong>s injustices.La commune mixte d'Oued Mars a donné un bel exempled'union française et <strong>de</strong> courage collectif en présence du gravedanger dont elle a été menacée, cinq jours durant.L'attaque dont le bordj administratif a été l'objet s'estpoursuivie avec ténacité pendant quatre jours. Il a fallu le cran <strong>de</strong>sdéfenseurs, leur activité <strong>de</strong> jour et <strong>de</strong> nuit, pour que, secondés parles secours envoyés <strong>de</strong> Bougie et d'ailleurs, grâce à l'Armée qui est(1) Notons ici que le 22 décembre 1945, le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine a prononcé cinqcondamnations à mort : Ha<strong>ma</strong>ni Mohamed, Ha<strong>ma</strong>ni Aïssa, Khamli Mohand, Amraoui Ali etAllouache Mohand. Les exécutions n'ont pas eu lieu, nous affirme­t­on. Soixante­cinq inculpés ontcomparu — parmi lesquels, avec les assassins <strong>de</strong> Mme et M. Lambert, se trouvaient les agresseursdu car Deschanel.— Cinquante­six émeutiers se sont vus infliger <strong>de</strong>s peines variant <strong>de</strong>s travauxforcés à perpétuité à un an <strong>de</strong> prison avec sursis. Quatre ont été acquittés.110111


UN DRAME ALGERIENintervenue avec rapidité et énergie, grâce à la Marine et à l'activité<strong>de</strong> M. Byr, sous­préfet, ils aient pu échapper à un <strong>ma</strong>ssacregénéral.Cap Aokas a été le <strong>de</strong>rnier et définitif barrage opposé au flot<strong>de</strong>s agresseurs, qui composaient — quelques rares unités mises àpart, et que nous sommes heureux <strong>de</strong> signaler — l'unanimité <strong>de</strong> lapopulation indigène surexcitée par l'action <strong>de</strong>s Oulé<strong>ma</strong>s, du P.P.A.et <strong>de</strong>s « Amis du Manifeste », <strong>de</strong> Sétif à Bougie en passant parKerrata.La durée du conflit, qui a mis aux prises les Kabyles <strong>de</strong> l'est <strong>de</strong>Bougie et les quelques Français isolés parmi eux, donne la note <strong>de</strong>l'acharnement <strong>de</strong>s agresseurs et du danger <strong>de</strong>s formules optimistespar lesquelles on essaie <strong>de</strong> tromper l'opinion publique dans laMétropole.* * *Ainsi que nous l'avons vu, le petit centre <strong>de</strong> Zia<strong>ma</strong>­Mansouria aeu sa part <strong>de</strong> danger et d'inquiétu<strong>de</strong>s. On peut dire que c'est grâce àla belle attitu<strong>de</strong> et aux initiatives heureuses <strong>de</strong> son Adjoint spécial,M. Clanet, que sa population française est sortie in<strong>de</strong>mne <strong>de</strong>l'épreuve.M. Clanet et la briga<strong>de</strong> <strong>de</strong> gendarmerie ont été prévenus, le<strong>ma</strong>rdi 8 <strong>ma</strong>i, à 23 heures, que <strong>de</strong> graves événements se préparaientdans la région <strong>de</strong> Kerrata.Le mercredi 9 <strong>ma</strong>i, au <strong>ma</strong>tin, M. Clanet s'est rendu à Aokas etest revenu avec 20 fusils et 1.420 cartouches. Ces armes ont étédistribuées par lui dans l'après­midi et un service <strong>de</strong> surveillanceorganisé. M. Clanet a convoqué <strong>de</strong>s notables indigènes, les a misau courant <strong>de</strong> la situation et leur a <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndé d'assurer l'ordre dansle village. Ils ont accepté. Des patrouilles, armées <strong>de</strong> fusils, ont fait<strong>de</strong>s ron<strong>de</strong>s toute la nuit.112UN DRAME ALGERIENVers 23 heures, la patrouille, composée <strong>de</strong> MM Delgado etGabrielli et du gar<strong>de</strong> champêtre Moussaceb, a mis en fuite unedizaine d'individus qui étaient cachés dans une excavation, àproximité du pont <strong>de</strong> l'oued Kemhoum (près du cimetière, à unkilomètre du village). Toute la nuit, M. Clanet et un gendarme sontrestés au téléphone, prêts à faire face à toute éventualité.Le jeudi 10 <strong>ma</strong>i, les communications téléphoniques ayant étécoupées sur <strong>de</strong>ux circuits, avec Bougie, une surveillance plusétroite, <strong>de</strong> jour et <strong>de</strong> nuit, a dû être organisée.Le vendredi 11 <strong>ma</strong>i, M. Clanet téléphone, par Djidjelli, à laPréfecture pour avoir du renfort, car on vient d'apprendre que <strong>de</strong>sban<strong>de</strong>s armées se rapprochent et qu'aux Falaises, M. Piras a été tuéet sa femme grièvement blessée.Les femmes et les enfants <strong>de</strong> Mansouria sont rassemblés dansla <strong>ma</strong>ison cantonnière. <strong>Un</strong>e chenillette, partie <strong>de</strong> Mansouria vers 8heures, montée par <strong>de</strong>ux Européens armés, est arrêtée sur la routedu col <strong>de</strong> Bettacha. Les <strong>de</strong>ux hommes sont désarmés, l'un <strong>de</strong> sonmousqueton, l'autre d'un revolver, et il leur est signifié d'avoir àabandonner la chenillette. Ils ont cependant pu rentrer avec levéhicule, grâce à la mésentente provoquée entre les dissi<strong>de</strong>nts,certains voulant les tuer, alors que d'autres s'y opposaient.Le danger <strong>de</strong>venant plus sérieux et les rebelles se rapprochantdu centre, le village étant cerné, M. Clanet téléphone à nouveau àla Préfecture pour signaler la situation et <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s secoursimmédiats. Au début <strong>de</strong> l'après­midi on déci<strong>de</strong> d'évacuer le villageet la population se transporte sur l'île qui fait face àl'agglomération. Vers 16 h. 30, un gar<strong>de</strong>­côte arrive, M. Clanetmonte à bord et le com<strong>ma</strong>ndant, sur ses indications, fait tirerplusieurs bordées dans la direction <strong>de</strong> la fraction Tizrarane (à l'est<strong>de</strong> Mansouria).113


UN DRAME ALGERIENPlus tard, vers 19 heures, un croiseur, le Triomphant, stoppe aularge <strong>de</strong> l'île. M. Clanet le rejoint et monte à bord accompagné, dugendarme Nicolau. L'adjoint spécial obtient 3 fusils ­ mitrailleurset 4.500 cartouches, <strong>de</strong>s pansements et 20 boîtes <strong>de</strong> lait con<strong>de</strong>nsépour les enfants.Le navire tire plusieurs bordées sur <strong>de</strong>s points indiqués.MM. Clanet et Nicolau regagnent l'île à la nuit. Vers 23 heures,<strong>de</strong>s troupes arrivent au village, et la <strong>ma</strong>tinée du 12 <strong>ma</strong>i estconsacrée à la rentrée <strong>de</strong>s habitants dans leurs <strong>de</strong>meures.Le 13 <strong>ma</strong>i <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> police ont lieu dans les environs.Vers 17 heures, le sous­préfet <strong>de</strong> Bougie, M. Byr, arrive, par mer, àMansouria et se rend compte <strong>de</strong> la situation. Il est accompagné parle com<strong>ma</strong>ndant <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>rine à Bougie.La <strong>ma</strong>rine a joué le rôle principal, par son intervention décisiveà Mansouria On a estimé le nombre <strong>de</strong>s rebelles à 6 ou 700. Grâceaux mesures prises à temps — <strong>ma</strong>is juste à temps —par l'adjointspécial du centre et la gendarmerie, aucune victime n'a étéenregistrée. Le danger couru par les Français <strong>de</strong> Mansouria n'en apas moins été grand.***Ce récit ne serait pas complet si nous ne consacrions une pageau couvent <strong>de</strong>s Pères blancs, qui est installé, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreusesannées, à la sortie <strong>de</strong>s gorges <strong>de</strong> Kerrata, du côté <strong>de</strong> Souk ElTenine.Ces Pères blancs ont rendu <strong>de</strong> nombreux services aux indigènes<strong>de</strong> la région. Nombreux sont ceux qui ont été élevés par eux.Quatre religieux ont été surpris par les événements. Ils n'ont puse replier. Sans doute n'y ont­ils pas songé. Et constatationréconfortante, qui n'a <strong>ma</strong>lheureusement pas été faite partout, ils114UN DRAME ALGERIENont trouvé <strong>de</strong>s défenseurs parmi ceux qu'ils avaient guidés dans lavie. Trente indigènes, armés, se sont institués leurs gar<strong>de</strong>s du corpset leur ont déclaré qu'ils se feraient plutôt tuer que <strong>de</strong> laisser passerles émeutiers. Le chef <strong>de</strong> ces défenseurs a pour nom : Rahmouni ;ses ca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s et lui ont montré que la reconnaissance n'est pas unvain mot, même au contact <strong>de</strong>s propagan<strong>de</strong>s les plus entraînantes.La violence <strong>de</strong> l'attaque dont la région <strong>de</strong> Cap Aokas­Kerrata­Mansouria a été l'objet, la durée <strong>de</strong> la résistance <strong>de</strong>s émeutiers, lesdifficultés que présentaient pour les communications le relieftourmenté <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>ssifs montagneux où se réfugiaient les rebelles,ont obligé les chefs <strong>de</strong> notre armée à prendre <strong>de</strong>s mesuresénergiques, à envisager <strong>de</strong>s opérations d'envergure qui rappelaientles pério<strong>de</strong>s les plus dures <strong>de</strong> la conquête <strong>de</strong> l'Algérie.Disons à l'éloge <strong>de</strong> ces chefs et <strong>de</strong> nos soldats que l'affaire futmenée avec toute la précision et la célérité désirables.Le 22 <strong>ma</strong>i 1945 fut pour la région d'Oued Marsa une journéehistorique. <strong>Un</strong>e cérémonie imposante a eu lieu sur les lieux mêmes<strong>de</strong> la révolte, consacrée à la reddition <strong>de</strong> toutes les tribus mêléesau <strong>drame</strong> qui avait eu lieu quinze jours auparavant. Cérémoniemilitaire, cérémonie d'autorité, présidée par le général HenryMartin, com<strong>ma</strong>ndant le 19e Corps d'Armée, ayant à ses côtés MM.Lestra<strong>de</strong>­Carbonnel, préfet <strong>de</strong> Constantine, le général Duval,com<strong>ma</strong>ndant la Division, le général Weiss, com<strong>ma</strong>ndantl'Aviation. L'amiral A<strong>ma</strong>nrich, com<strong>ma</strong>ndant la Marine. Le généralMoragla <strong>de</strong> l'aviation, MM Byr et Butterlin, sous­préfets <strong>de</strong>Bougie et <strong>de</strong> Sétif, M. Galle, délégué financier, M. Bordj, <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong>Bougie, <strong>de</strong> nombreuses notabilités militaires et civiles.15.000 dissi<strong>de</strong>nts avaient été convoqués pour confirmer la<strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> « d'a<strong>ma</strong>n » qu'ils avaient, <strong>de</strong> guerre lasse, adressée auxreprésentants <strong>de</strong> la France M. Brives, Administrateur principal,115


UN DRAME ALGERIENson adjoint, M. Hosteins, tous ceux qui avaient su faire leur <strong>de</strong>voirau cours <strong>de</strong>s journées tragiques, furent à l'honneur.Le colonel Bourdila, après avoir résumé les opérationsmilitaires ayant permis d'avoir raison <strong>de</strong>s émeutiers, dicta auxfauteurs <strong>de</strong> troubles repentis les conditions exigées pour leurentière soumission.Le général Henry Martin, en termes élevés, dit les parolesfortes qui convenaient, du haut d'une tribune rustique, au pied <strong>de</strong>laquelle étaient rangés 16 caïds aux burnous écarlates brodés d'or.Le Préfet du département, au nom du Gouvernement <strong>de</strong> laRépublique, précisa le programme qui doit assurer, dans l'ordre etla paix, la mission civilisatrice <strong>de</strong> la France en Afrique du Nord.De longs et émouvants compte rendus <strong>de</strong> cette <strong>ma</strong>nifestationont été donnés par les journaux du département, en particulier parla Dépêche <strong>de</strong> Constantine et par l'Echo <strong>de</strong> Bougie, sous la plume<strong>de</strong> notre ami M. Charles Dubar.Soulignons avec plaisir la solennité <strong>de</strong> l'acte accompli. Quantaux voeux qui ont été émis, laissons au temps le soin <strong>de</strong> lesréaliser.Constatons qu'un gros travail <strong>de</strong> soudure reste encoreà assurer. Il sera long. Il sera voué à un échec si l'on continue àappliquer la politique d'abandon et <strong>de</strong> défaillance condamnée partous les Français d'Algérie.L'exemple, désor<strong>ma</strong>is historique, <strong>de</strong>s scènes d'horreurauxquelles nous venons d'assister en Afrique du Nord est uneréplique dure et sans appel pour ceux qui poursuivent l'illusiond'une fusion possible en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> justice etd'autorité. Nous le disons une fois <strong>de</strong> plus, avec une tristesseprofon<strong>de</strong>, aux professeurs <strong>de</strong> chimères qui, retardant les solutionspratiques les plus urgentes, ne font que précipiter <strong>de</strong> nouvellescatastrophes.116UN DRAME ALGERIENLE DRAME DE FEDJ M'ZALAFedj M'Zala est le chef­lieu d'une Commune mixte qui, située à100 kilomètres <strong>de</strong> Constantine, entre cette ville et Sétif, compteprès <strong>de</strong> 110.000 habitants indigènes et environ 750 Françaisd'origine, répartis en cinq villages : Fedj­M'Zala, Lucot,Tiberguent, Rouached, Richelieu et <strong>de</strong>ux groupes <strong>de</strong> fermesfrançaises dans la plaine du Ferdjioua et sur le plateau du Merdj ElKébir, vers Chateaudun du Rhumel.Le territoire <strong>de</strong> cette unité administrative a, vers l'Ouest, unelimite commune avec les centres sétifiens atteints par l'émeute.Les douars Tachouda, Djemila, Ras Ferdjioua, Roussia,Tassadane et Menar, appartenant à Fedj M'Zala, confinent avec lesdouars Ouled Zerga (Saint­Arnaud) Medjounès (Eul<strong>ma</strong>s),Dehemcha, Maouïa et Arbaoun (Takitount), enfin Béni Medjaled(Djidjelli), où se sont déroulées les scènes tragiques que nousvenons <strong>de</strong> rapporter.117


UN DRAME ALGERIENC'est à Roussia, Tassadane et Menar que se sont recrutés unenotable partie <strong>de</strong>s assassins <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>lheureux forestiers <strong>de</strong>Tamentout et Aïn­Settah, dont nous allons parler, après lesévénements <strong>de</strong> Djidjelli.Ainsi que nous l'avons relaté, le 8 <strong>ma</strong>i 1945, avaient eu lieu les<strong>ma</strong>ssacres commis dans les rues <strong>de</strong> Sétif. Puis, les émeutierss'étaient répandus dans la banlieue nord <strong>de</strong> la ville, et leurs ban<strong>de</strong>sse grossissaient <strong>de</strong>s autochtones <strong>de</strong>s pays traversés. Des scèneshorribles s'étaient produites à Sillègue, à Périgotville, à ChevreulKerrata, Tamentout, etc. On comptait bientôt 60 ou 70 Françaisassassinés dans ces régions, parmi lesquels <strong>de</strong>s femmes<strong>ma</strong>rtyrisées, <strong>de</strong>s enfants couverts <strong>de</strong> blessures.Le mercredi 9 <strong>ma</strong>i, au début <strong>de</strong> l'après­midi, on voyait <strong>de</strong>sgroupements s'approcher, par la plaine du Ferdjioua, du centre <strong>de</strong>Fedj­M'Zala. Ces groupes se rejoignaient au pont situé à 800mètres du village sur l'oued Bouslah. Des émissaires envoyés duchef­lieu <strong>de</strong> la commune revenaient avec cette réponse : « Nous nevoulons pas <strong>de</strong> blé ; nous voulons du sang. » Et l'on annonçaitl'attaque pour la nuit.En présence <strong>de</strong> la carence <strong>de</strong> l'Administrateur en chef, sonadjoint, M. l'Administrateur Eschenbrenner et M. Charles Valletjuge <strong>de</strong> paix suppléant non rétribué, avisaient aux mesures àprendre. Ce <strong>de</strong>rnier alerte la gendarmerie <strong>de</strong> Redjas, à 19kilomètres, et obtient l'envoi <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux gendarmes. Puis il part àLucet, centre voisin, accompagner sa femme dans sa famille,prévient les colons <strong>de</strong> ce village, qui s'organisent, et revient à sonposte. La nuit tombait. Il a fallu trois dé<strong>ma</strong>rches auprès du chef <strong>de</strong>la Commune pour obtenir l'entrée <strong>de</strong> la population françaised'origine, dans le bordj administratif, converti en réduit <strong>de</strong> défense.M. Eschenbrenner prend le com<strong>ma</strong>n<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la défense du bordjqu'il conduira avec énergie et sang­froid.Le Juge apprend que M. Marchetti, Receveur <strong>de</strong>s Postes, ayant118UN DRAME ALGERIENaccompagné ses quatre enfants et leur mère au bordj, est revenu àson bureau, pour conserver, aussi longtemps que possible, sesappareils. Il faut aller l'ai<strong>de</strong>r, le défendre. Le Juge propose augendarme Bechouche, d'origine indigène, <strong>de</strong> venir avec lui, à laPoste, le gendarme accepte aussitôt.Les <strong>de</strong>ux hommes trouvent M. Marchetti à son bureau. Il avaitpris <strong>de</strong>s précautions, avait bloqué la porte du public avec une tablebranlante, fermé les fenêtres, heureusement barreaudées, donnantdans la rue, éteint les lumières, ne gardant qu'une petite lampe àpétrole camouflée, pour voir ses fiches. Il a un petit pistolet <strong>de</strong>quatre sous et six cartouches ! Ce pistolet s'enrayera, tout à l'heure,au premier coup tiré.A trois, on fait un inventaire plus réconfortant : on a <strong>de</strong>uxpistolets 6,35 et plus <strong>de</strong> cent cartouches. On a mieux encore : <strong>de</strong>uxpistolets 7,65 et une cinquantaine <strong>de</strong> cartouches, plus lemousqueton du brave gendarme indigène et une vingtaine <strong>de</strong> ballesblindées. Avec cela, on espère tenir. On tiendra. Mais dans quellesconditions !...Très calme, le Receveur parle avec Constantine. Il <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> dusecours. La Poste est cernée, ainsi que le bordj. On entend <strong>de</strong>scoups <strong>de</strong> feu. Ils sont tirés, d'abord contre le réduit défensif Puis, àbout portant, <strong>de</strong>ux balles atteignent la gran<strong>de</strong> fenêtre du bureau <strong>de</strong>poste. L'action est engagée. On entend <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> pasprécipités... Ils s'éloignent, puis reviennent...Le bordj dit qu'il est entouré, qu'on a tiré, <strong>ma</strong>is que lesdéfenseurs se sont abstenus <strong>de</strong> riposter. Il faut économiser lesmunitions pour l'assaut possible.A dix heures et <strong>de</strong>mie, le Général <strong>de</strong> Division téléphone <strong>de</strong>Constantine. M. le général Duval annonce que les troupes nepourront arriver que <strong>de</strong><strong>ma</strong>in (1). Il ajoute : « Vous avez <strong>de</strong> bons(1) Les troupes noires envoyées le 9 au soir, <strong>de</strong> Sétif, ont été arrêtées à Saint­Arnaud, parplusieurs milliers <strong>de</strong> <strong>ma</strong>nifestants auxquels elles ont dû faire face.119


UN DRAME ALGERIENmurs, abritez­vous ! Courage ! A <strong>de</strong><strong>ma</strong>in ! »Vers minuit, les carreaux <strong>de</strong> l'imposte <strong>de</strong> la salle du publicvolent en éclats, puis <strong>de</strong>s blocs sont jetés sur la porte qui résiste.Mais brusquement, elle s'enflamme et brûle, comme une torche :<strong>de</strong> l'extérieur, on l'a arrosée d'essence...Les défenseurs font feu <strong>de</strong> toutes leurs armes. M. Marchettijette <strong>de</strong> l'eau sur le brasier. <strong>Un</strong>e fumée acre, suffocante, envahit la<strong>ma</strong>ison. Dans le bruit et les détonations, dans le fracas <strong>de</strong>s pavésqui s'abattent, la porte éclate. Tout le panneau s'effondre. Le cadreà <strong>de</strong>mi carbonisé tient encore, par ses paumelles et ses ferrures. Lanuit s'ouvre, béante. Puis c'est l'illumination, à travers l'embrasure,d'un bidon américain plein d'essence qui a pris feu, sur la terrassed'entrée et qui éclaire tout, y compris l'intérieur. Les défenseursessaient <strong>de</strong> se mettre à l'abri. Ils tiraillent éperdument.Le courageux Receveur, toujours calme, est à ses appareils,répondant aux appels qui arrivent <strong>de</strong> tous côtés. Le téléphonefonctionne inlassablement. Les centres voisins s'inquiètent, euxaussi. Le bordj a fait connaître que les jardins qui l'entourent sontremplis <strong>de</strong> tireurs bien dissimulés et qu'aucun secours n'estpossible <strong>de</strong> ce côté. La situation <strong>de</strong>vient très grave, dans la <strong>ma</strong>isonouverte.Brusquement — il est un peu moins d'une heure du <strong>ma</strong>tin —une partie du plafond s'effondre, en flammes, dans la chambre <strong>de</strong>travail, sous un gros bloc qui, jeté <strong>de</strong> la toiture découverte, a faitbélier. On a versé <strong>de</strong> l'essence par le toit. Le plafond brûle et sur lesol du bureau, le liqui<strong>de</strong> enflammé se répand. La pièce est commeilluminée. Ce n'est plus tenable, sous la fumée qui prend à la gorgeet donne <strong>de</strong>s angoisses d'asphyxie... Pourtant il faut tenir.M. Marchetti branche les appareils sur le bordj et prend congé...UN DRAME ALGERIENLes trois hommes se replient d'abord dans une pièce, en faisant<strong>de</strong> brusques sorties pour tirer, puis dans une autre, où la fuméeopaque les poursuit et les étouffe.Le plafond brûle toujours et tombe, par petits fragments. Avecla porte ouverte, il y a un appel d'air, car le toit est largementdécouvert. La <strong>ma</strong>ison flambe par le haut.A <strong>de</strong>ux heures et quart, la situation est intenable. Lesdéfenseurs n'y voient plus. Ils se concertent : il faut partir...« Nous nous serions jetés, volontiers, dans la rue, même d'untroisième étage », dira plus tard, l'un d'eux. Et le brave gendarmeajoutera : « Je songeais à conserver une cartouche, pour ne pasmourir brûlé ou <strong>ma</strong>rtyrisé. »Les trois hommes se glissent dans une pièce donnant sur la rueinférieure et for<strong>ma</strong>nt premier étage, avec fenêtre non barricadée.M. Marchetti prend <strong>de</strong>s draps et les noue, tordus en cor<strong>de</strong>, pourai<strong>de</strong>r à la <strong>de</strong>scente. Mais il faut renoncer à ce projet. La croisée,entr'ouverte avec pru<strong>de</strong>nce, permet <strong>de</strong> voir la rue occupée par <strong>de</strong>shommes armés. Il faut retourner au centre <strong>de</strong> l'immeuble et faireface, coûte que coûte... jouer la <strong>de</strong>rnière carte... Sur la proposition<strong>de</strong> M. Marchetti, ses compagnons et lui se barrica<strong>de</strong>nt dans unepetite pièce for<strong>ma</strong>nt couloir et qui est éclairée par une impostedonnant sur la salle <strong>de</strong>s appareils. <strong>Un</strong>e table sert d'échafaudage etles assiégés tirent <strong>de</strong> là, surveillant à la fois la porte ouverte, que lebidon, qui brûle toujours, illumine, les vastes fenêtres barreaudéesqui résonnent sous les coups <strong>de</strong> feu et les pierres, ainsi qu'uneporte secondaire, donnant sur le couloir central et qui débouchedans la rue.Enfin, après une longue attente, la fumée s'éclaircit peu à peu.Et les défenseurs s'aperçoivent que le plafond s'est éteint toutseul... Ils sont un peu plus à l'aise. Ils se relaient par <strong>de</strong>ux, à120121


UN DRAME ALGERIENl'imposte, pendant que le troisième fait face aux portes <strong>de</strong>schambres et surveille les fenêtres qui pourraient brusquementcé<strong>de</strong>r. <strong>Un</strong> poteau double est inquiétant. Il se dresse <strong>de</strong>rrièrel'immeuble, à un mètre du mur ; il collecte les fils du bureau etconstitue une échelle pouvant faciliter aux assiégeants uneescala<strong>de</strong> possible. Il faut tout prévoir.A trois heures un retour offensif précipite les défenseurs à lalucarne. <strong>Un</strong> échange intense <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> fusils, le mousqueton quihurle, <strong>de</strong>s pistolets qui aboient, les pétoires indigènes quirésonnent ; le choc <strong>de</strong>s balles sur les volets, le bruit <strong>de</strong>s pavésprojetés à l'intérieur et qui roulent... Tout cela fait un vacarmeassourdissant et angoissant.M. Marchetti se glisse encore une fois dans la salle dutéléphone, sous la protection <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux compagnons.Il <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> du secours. Mais il n'y a rien à faire. Il faut attendre.Attendre...Brusquement, le bidon qui flambait s'éteint. Il était bien utile,pourtant, car il éclairait la porte d'entrée béante. L'imposte, quibrûle encore, se consume lentement, <strong>ma</strong>is donne une clartéinsuffisante. M. Marchetti se glisse encore une fois dans la salle,pour y porter un lumignon, qu'il dépose dans un angle du guichet ;loin <strong>de</strong>s défenseurs, <strong>ma</strong>is permettant d'éclairer faiblement le seuil,tout noir, <strong>de</strong> la nuit, cette nuit qui ne veut pas finir... et quifinissant rendra peut­être la situation plus intenable.Mais la fusilla<strong>de</strong> décroît peu à peu et s'éloigne. <strong>Un</strong> peu <strong>de</strong> reposest permis. <strong>Un</strong> peu d'espoir dans l'issue <strong>de</strong> la lutte. On continue àépier tous les bruits. Il faut se rendre à l'évi<strong>de</strong>nce : le villagesemble silencieux...Cette attente durera environ une heure, jusqu'à cinq heures et<strong>de</strong>mie, moment où le brave Receveur <strong>de</strong>s postes, toujours protégé122UN DRAME ALGERIENpar ses compagnons, se glisse à nouveau dans la salle et téléphoneau bordj. Au bordj on est surpris. On croyait les défenseurs <strong>de</strong> laposte morts <strong>de</strong>puis longtemps... Pourtant le téléphone a toujoursfonctionné, le bordj ayant été mis en communication directe avecConstantine. Des renforts ont été annoncés ; on les attend.Mais la rue est libre ! Libre !... les trois hommes se regar<strong>de</strong>nt.Voilà un mot en lequel ils n'espéraient plus... De la fenêtre, on voit<strong>de</strong>s fonctionnaires indigènes regagner leurs pénates après un congé<strong>de</strong> douze heures qu'ils se sont librement octroyé...Avant <strong>de</strong> quitter la <strong>ma</strong>ison tragique, les défenseurs font le tourdu propriétaire. L'immeuble a souffert. Ce n'est vraiment pas beauà voir. Tout est noir <strong>de</strong> fumée. Plus <strong>de</strong> porte d'entrée. Le plafon<strong>de</strong>st crevé. Les plâtres encombrent le bureau. Le sol est jonché <strong>de</strong>débris calcinés et <strong>de</strong> gros blocs.Ils sortent. Ils respirent. « Il fait bon vivre! » dit l'un d'eux enriant.<strong>Un</strong>e surprise : <strong>de</strong>hors, sur le trottoir, une <strong>ma</strong>re <strong>de</strong> sang. Plusloin, près du monument aux morts, un cadavre. C'est un jeune,signalé la veille comme l'un <strong>de</strong>s plus exaltés parmi lesassaillants (1).Les trois défenseurs arrivent au bordj. Tous les Français étaientsaufs... A sept heures du <strong>ma</strong>tin, M. Salphati, notaire, second juge<strong>de</strong> paix suppléant, signalait à Constantine qu'il n'y avait eu qu'uneseule défaillance, dont justice a été faite <strong>de</strong>puis.Grâce aux mesures qui ont été rapi<strong>de</strong>ment prises, les Français<strong>de</strong> Fedj M'Zala, fonctionnaires, commerçants et colons ontdignement rempli leur <strong>de</strong>voir.(1) On a dit, <strong>de</strong>puis, dans les douars, que <strong>de</strong>ux autres cadavres avaient été enlevés au cours<strong>de</strong> la nuit tragique, près <strong>de</strong> la poste. Lorsque la troupe est arrivée on a trouvé dans un fondonk unblessé avec une balle <strong>de</strong> revolver dans la cuisse et une <strong>ma</strong>in brûlée par l'essence qui avait incendié laposte.123


UN DRAME ALGERIENIl était bon, pensons­nous, que fut fixée cette page d'histoirelocale, chau<strong>de</strong> <strong>de</strong> vaillance et d'action.Tel est le résumé du <strong>drame</strong> qui s'est produit à Fedj M'Zala, dansla nuit du 9 au 10 <strong>ma</strong>i, au moment même où, surpris par l'émeute,<strong>de</strong>ux villages situés à l'Ouest, dans les montagnes qui bor<strong>de</strong>nt laplaine du Ferdjioua, étaient l'objet d'horreurs sans nom : Chevreul,détruit complètement, où les survivants organisaient, à lagendarmerie, une résistance farouche, Périgotville, où <strong>de</strong>nombreux Français étaient horriblement <strong>ma</strong>ssacrés.Dans l'enquête qui s'est ouverte, et doit se continuer, il est bon<strong>de</strong> fixer <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> repère.Fedj M'Zala n'a pas été pillé. Les <strong>ma</strong>isons particulièresabandonnées par les Français ont été retrouvées intactes. Les<strong>ma</strong>gasins <strong>de</strong> la S.I.P. remplis <strong>de</strong> blé, et dont la gran<strong>de</strong> ported'entrée, vitrée, n'était même pas protégée par <strong>de</strong>s volets, n'ontsubi aucune effraction. <strong>Un</strong>e ferme importante, exploitée parM. Vallet Charles, et située à 3 km. 500 du village, ainsi que lesexploitations agricoles <strong>de</strong> MM. Augier, où se trouvaient <strong>de</strong>nombreux ani<strong>ma</strong>ux et <strong>de</strong>s réserves <strong>de</strong> nourriture, sur les lieuxmêmes envahis par les agresseurs, ont été respectées. <strong>Un</strong>e femmefrançaise, <strong>ma</strong>la<strong>de</strong>, avait refusé <strong>de</strong> se laisser évacuer <strong>de</strong> la fermeVallet : elle n'a pas été inquiétée, non plus que sa jeune fille, restéeavec elle.La vengeance n'a donc pas joué un rôle dans l'affaire. Et cen'était pas davantage la faim qui était la cause du soulèvement. Leshabitations <strong>de</strong>s émeutiers, dans les douars, ont été, du reste,trouvées abondamment approvisionnées en vivres <strong>de</strong> toutessortes : blé, farine, couscous, etc. Ajoutons à ces constatations queles indigènes <strong>de</strong> la commune mixte, soit 110.000 habitants, vivanttous <strong>de</strong> l'agriculture, avaient, dans la proportion <strong>de</strong> 90 %, refusé <strong>de</strong>124UN DRAME ALGERIENlivrer leur récolte <strong>de</strong> 1944 à l'administration. Les Français seulsont observé la loi. L'état <strong>de</strong> misère n'était donc pour rien dans lesdésordres constatés (1).De plus, Fedj M'Zala est habité par <strong>de</strong> nombreuses famillesdont les chefs sont <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>gistrats ou fonctionnaires indigènes :Cadi, a<strong>de</strong>ls, bach­a<strong>de</strong>ls, greffiers, khodjas, employés <strong>de</strong> la S.I.P.,<strong>de</strong> la Justice, <strong>de</strong> l'Administration (2). Aucun <strong>de</strong> ces chefs n'aessayé d'intervenir, la nuit, en faveur <strong>de</strong>s Français menacés, leursamis <strong>de</strong> la veille, leurs supérieurs même dans les administrations.Exception doit être faite pour quelques cavaliers <strong>de</strong> la communemixte retenus au bordj par l'administrateur, en y ajoutant uneaggravation et un correctif : <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> ces fonctionnaires, <strong>de</strong>ces employés, <strong>de</strong> ces cavaliers, ont pris part à l'émeute.Observation qui a également son importance, et qui est uneréplique douloureuse à ceux qui préten<strong>de</strong>nt, avec une apparence <strong>de</strong>logique, que nos bienfaits vis­à­vis <strong>de</strong> nos autochtones sonttoujours <strong>de</strong> bons placements : — Fedj M'Zala est un centre où ontété accumulées, <strong>de</strong>puis trente ans, <strong>de</strong> nombreuses œuvres en faveur<strong>de</strong>s indigènes : ateliers d'artisanat, écoles pratiquesd'apprentissage, etc. Tous les jeunes bénéficiaires <strong>de</strong> cesinstitutions, à peu d'exceptions près, étaient avec les émeutiersvenus du <strong>de</strong>hors. Ils occupaient le village, armés <strong>de</strong> gourdins qui<strong>de</strong>vaient achever les Français. Ils sont rentrés chez eux, à l'aube,pour ne pas compromettre leurs familles. L'enquête ouverte a,(1) Voir document n° 2, in fine.(2) Le Cadi et plusieurs fonctionnaires indigènes ont expliqué, après le <strong>drame</strong>, le calme étantrevenu, qu'ils avaient été surpris et terrorisés par les événements.Précisons, en ce qui concerne Mme Bordj et sa fille, que le village étant entouré <strong>de</strong> groupeshostiles,, et M. Bordj ne pouvant rejoindre sa famille, M. Chartes Vallet avait envové un homme <strong>de</strong>confiance à la ferme pour essayer d'assurer la sécurité <strong>de</strong>s Françaises menacées. Les émeutierspouvaient croire aussi que les Français avaient tous évacué les locaux. En tout cas, la ferme, dont lesécuries étaient rempliee d'ani<strong>ma</strong>ux, n'a pas été inquiétée.125


UN DRAME ALGERIENcependant, établi <strong>de</strong> nombreuses responsabilités.On s'est étonné que le fil reliant la poste du chef­lieu <strong>de</strong> lacommune à Constantine n'ait pas été coupé par les rebelles.L'enquête, commencée le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in, a révélé que l'ai<strong>de</strong>téléphoniste <strong>de</strong> M. Marchetti se trouvait parmi les émeutiers, avecmission, dès que les trois Français auraient été tués, d'appeler laPréfecture et <strong>de</strong> signaler l'inutilité d'envoyer <strong>de</strong>s renforts, le calmecomplet étant revenu dans la région. Cela aurait donné du tempspour exterminer les 102 Français réfugiés au bordj administratif.Et ceci souligne l'organisation qui a présidé à l'attaque duvillage et que d'autres faits viennent encore établir :Les défenseurs du bordj ont entendu nettement lescom<strong>ma</strong>n<strong>de</strong>ments faits, la nuit, aux assaillants, en langue arabe, parexemple : « Le douar Zarza ! à votre tour !... Avancez et tirez !... »Vers onze heures et <strong>de</strong>mie, le bordj a reçu un coup <strong>de</strong> téléphoned'une <strong>ma</strong>ison évacuée du village — où, par conséquent — <strong>de</strong>sémeutiers avaient pénétré : « Sortez vite !... On va attaquer les<strong>ma</strong>gasins <strong>de</strong> la S.I.P. et enlever le blé ! » Simple subterfuge pourexposer les défenseurs du bordj au feu <strong>de</strong>s tireurs dispersés dansles jardins.Les faits dont rémunération précè<strong>de</strong>, et qui ne peuvent être niés,sont donnés simplement pour fixer <strong>de</strong>s points d'Histoire et affirmerle caractère local <strong>de</strong> l'émeute. D'autres faits sont passés soussilence, afin d'éviter <strong>de</strong>s polémiques, toujours fâcheuses enprésence d'un problème qui met en cause l'avenir même <strong>de</strong> laFrance en Afrique du Nord.***Ajoutons les détails suivants au récit qui précè<strong>de</strong> : A 300mètres du village, sur la route <strong>de</strong> Constantine, du côté opposé à126UN DRAME ALGERIENl'arrivée <strong>de</strong>s émeutiers, se trouve l'hôpital <strong>de</strong> Béhagle, où habiteMme Albertini, infirmière visiteuse. On a oublié, au bordj, <strong>de</strong>prévenir cette Française. En effectuant la visite <strong>de</strong> 8 heures du soir,Mme Albertini trouve les salles en émoi. La famille <strong>de</strong> l'infirmier,qui est lui­même en traitement à Constantine, se sauveprécipitamment en lui signalant le danger : « Les émeutiers sontdans le village ! » Des <strong>ma</strong>la<strong>de</strong>s se préparent à fuir. Elle retient lesfemmes et pour leur inspirer confiance, elle continue à leur donnerses soins. Au milieu <strong>de</strong> la nuit, elle sort <strong>de</strong> l'établissement pour serendre compte <strong>de</strong> ce qui se passe. Elle perçoit <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu.Elle voit <strong>de</strong> la lumière sur le village, au­<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s arbres. Elleentend causer tout près d'elle. Faisant bonne contenance, elle dit :« Bonsoir ! », on lui répond, en français : « Aujourd'hui il n'y aplus <strong>de</strong> bonsoir ! » Elle n'insiste pas. Elle rentre dans les salles,prépare du lait, <strong>de</strong>s tisanes. Le jour arrive. Le village est libéré.Elle est sauvée, sans aucun doute, grâce à sa présence d'esprit.***A cinq kilomètres <strong>de</strong> Fedj M'Zala, dans les contrefortsmontagneux <strong>de</strong> la plaine du Ferdjioua, à l'ouest du village, setrouve une exploitation minière dirigée par un ingénieur, M.Gervais. Le chef <strong>de</strong> chantier, Cossu, est au village avec sa femme.Mis au courant <strong>de</strong>s bruits qui circulent, avant la nuit, le ménage sehâte <strong>de</strong> rejoindre la mine, où le directeur ignore ce qui se passe etse trouve seul. Cossu traverse <strong>de</strong>s groupes d'émeutiers, sansinci<strong>de</strong>nts. Il re<strong>ma</strong>rque qu'on plusieurs endroits la lignetéléphonique a été coupée. On a isolé l'exploitation du bureau <strong>de</strong>poste. C'est là un avertissement grave.M. Gervais prévenu, les trois personnes se barrica<strong>de</strong>nt dans la127


UN DRAME ALGERIEN<strong>ma</strong>ison du directeur, attendant les événements. Elles n'ont pasd'armes, ces <strong>de</strong>rnières ont été réquisitionnées, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans, parl'administration. La nuit se passe. Le jour arrive. Avec la troupe, lasécurité est revenue.***On peut conclure : les émeutiers agissaient avec métho<strong>de</strong>. Ils sesont acharnés après les défenseurs <strong>de</strong> la poste. Ceux­ci mis hors <strong>de</strong>cause, l'assaut du bordj aurait eu lieu. La mine, l'hôpital auraienteu leur tour, puis les villages vers Constantine.***Ajoutons que la conduite du gendarme Bechouche Charles areçu sa légitime récompense <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l'autorité militaire. M. legénéral Henry Martin, com<strong>ma</strong>ndant les troupes <strong>de</strong> l'Afrique duNord, a, tenu à apporter lui­même au vaillant soldat, muté dans ledépartement d'<strong>Alger</strong>, la médaille militaire pour son héroïqueconduite. La population française <strong>de</strong> Fedj M'Zala a applaudi à cetacte <strong>de</strong> justice et a exprimé sa vive reconnaissance au général.M. Bechouche Charles est fils <strong>de</strong> naturalisé. Il a vécu en Franceet a épousé une Lorraine. Il n'est pas un Français adapté. C'est unFrançais total, qui élève ses <strong>de</strong>ux enfants dans le culte <strong>de</strong> notrePatrie. Nous sommes heureux <strong>de</strong> lui rendre cet hom<strong>ma</strong>ge.***Nous avons dit que 4 centres <strong>de</strong> colonisation dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> lacommune mixte <strong>de</strong> Fedj M'Zala : Richelieu à 20 kilomètres,Tiberguent à 10 kilomètres, Rouached 12 kilomètres, Lucet,128UN DRAME ALGERIEN5 kilomètres, dans la direction est, vers Mila et Constantine.Richelieu n'a pas été inquiété, pas plus que Tiberguent.Cependant <strong>de</strong>s arrestations avaient eu lieu à Richelieu pour propostenus contre la France, par 4 indigènes, condamnés <strong>de</strong>puis par leTribunal militaire, et relâchés par l'autorité civile.Lucet a été alerté par le juge <strong>de</strong> paix <strong>de</strong> Fedj M'Zala, à 6 heuresdu soir le 9 <strong>ma</strong>i. Les Français du village se sont aussitôt groupés etse sont réfugiés dans le fortin dit bordj­école. M. EdmondPatonnier a pris la direction <strong>de</strong> la défense. Les colons avaient19 fusils, y compris <strong>de</strong>s fusils réformés obtenus à Fedj M'Zala.La poste du centre, toute proche du fortin, a pu <strong>ma</strong>intenir,jusqu'à 3 heures du <strong>ma</strong>tin, la communication vers le chef­lieu <strong>de</strong> lacommune. A cette heure on ne répondait plus aux appelstéléphoniques et l'on mettait, dans l'inquiétu<strong>de</strong> grandissante, leschoses au pire.A 6 heures, au petit jour, les colons sont sortis du bordj pourvérifier les écuries. Tous les khamès <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> étaient partis.D'habitu<strong>de</strong> ils couchaient au village. Vers les champs, on entendaitles petits bergers lançant <strong>de</strong>s appels et criant : « Ouh ! ouh ! »Pendant neuf jours les replis, pour la nuit, ont eu lieu au bordjécole.A Rouached, centre situé dans la montagne, à 6 kilomètres aunord <strong>de</strong> la route allant vers Constantine, la population n'avait pasété prévenue du danger. Ce n'est que vers 3 heures du <strong>ma</strong>tin queM. Gros, adjoint spécial, apprend ce qui se passe à Fedj M'Zala, ilalerte les colons. Chacun prépare ses armes et reste chez soi,attendant le jour.Le <strong>ma</strong>tin, <strong>de</strong>s khamès disent qu'ils ont reçu la visited'émissaires. Tout près <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>isons, dans les ravins, <strong>de</strong> fortsgroupements d'émeutiers se sont réunis, prêts à l'action, attendantun signal, qui <strong>de</strong>vait venir <strong>de</strong> Fedj par un feu annonçant que les129


UN DRAME ALGERIENFrançais étaient exterminés dans ce centre.Des ouvriers indigènes avaient, disaient­ils, protesté. On citaitune ferme arabe, proche <strong>de</strong> l'agglomération, qui avait reçu lesfamilles du chef du groupe du Manifeste <strong>de</strong> la région et d'un caïd,tous <strong>de</strong>ux arrêtés <strong>de</strong>puis, puis graciés, ferme qui, dans la nuit,recevait <strong>de</strong>s visites <strong>de</strong>s émeutiers.La situation était tendue. Rouached s'organise pour la défense.<strong>Un</strong>e patrouille militaire arrive le <strong>ma</strong>tin. On prend <strong>de</strong>s dispositions.Pendant huit nuits, les familles françaises se sont réfugiées dans lebordj­école qui domine le centre.Les fermes françaises <strong>de</strong> Merdj El Kébir et la <strong>ma</strong>isoncantonnière située sur la route allant à Chateaudun du Rhumeln'ont pas été inquiétées. Cependant, sur cette route, trois membresd'une famille indigène influente <strong>de</strong> la région ont été arrêtés le 10<strong>ma</strong>i. Ils étaient à cheval, armés <strong>de</strong> fusils, ceinturés <strong>de</strong> cartouches.Interrogés, ils répondaient : « Nous allons à Chateaudun pour tuerles Français. » L'un d'eux est mort en prison. Les <strong>de</strong>ux autres ontété condamnés par le Tribunal militaire.Par les détails qui précè<strong>de</strong>nt, on voit qu'il s'en est fallu <strong>de</strong> peuque le mouvement insurrectionnel s'éten<strong>de</strong> vers Mila, où <strong>de</strong>sattroupements nocturnes ont, du reste, été signalés, en mêmetemps qu'à Rouached.Fedj M'Zala a donc joué le rôle <strong>de</strong> barrage opposé à l'émeute et,par son attitu<strong>de</strong>, a limité l'étendue du désastre dans l'est <strong>de</strong> larégion sétifîenne.***Pendant trois jours, en septembre 1945, le Tribunal militaire <strong>de</strong>Constantine s'est occupé <strong>de</strong>s événements tragiques <strong>de</strong> Fedj M'Zala.Ces événements s'étant déroulés dans la nuit, les culpabilités n'ontpu être établies pour beaucoup <strong>de</strong> coupables. De nombreuses130UN DRAME ALGERIENarrestations avaient, cependant, été opérées. Presque toutesintéressaient <strong>de</strong>s inculpés qui <strong>de</strong>vaient leur situation et leur moyensd'existence aux Français <strong>de</strong> la région. 57 accusés se pressaientdans la salle d'audience. 27 ont été acquittés.On été condamnés :Aux travaux forcés à perpétuité : Moussi Bachir (parcontu<strong>ma</strong>ce) ;A 20 ans <strong>de</strong> réclusion : Boutraa Ali ;A 15 ans <strong>de</strong> travaux forcés : Boulfous Mohamed et KouicemLarbi ;A 10 ans : Kouicem Tahar et Khalfa Mouloud ;A 2 ans <strong>de</strong> prison dans une colonie pénitentiaire : BenlarbiAb<strong>de</strong>rrah<strong>ma</strong>ne.Ont enfin été frappés par cinq ans <strong>de</strong> travaux forcés lesnommés : Amora Ali, Boukerdja A<strong>ma</strong>r, Belbaali Alloua,Bounegab Azzedine, Boudjab A<strong>ma</strong>r, Ha<strong>ma</strong>ra Messaoud, MermoulTahar, Mermoul Lounis, Mermoul Merouani, Mermoul A<strong>ma</strong>r (ditMohamed), Mermoul Messaoud, Boudjellal Mohamed, BrikaSalab, Mermoul Larbi, Bou<strong>de</strong>rez Mohamed, Leftaha A<strong>ma</strong>r, MaliA<strong>ma</strong>r, Raï Tahar (dit Mohamed).A DJEMILANous en aurons terminé avec la commune mixte <strong>de</strong> FedjM'Zala, lorsque nous aurons relaté, brièvement, les inci<strong>de</strong>nts quise sont produits à Djemila.Le nom <strong>de</strong> Djemila évoque le souvenir <strong>de</strong> Cuicul, l'antique citéro<strong>ma</strong>ine, dont les ruines imposantes se découvrent, chaque jourdavantage, grâce à notre service archéologique, représenté surplace par Mlle Allais, directrice <strong>de</strong>s fouilles.Il y avait peu <strong>de</strong> Français à Djemila : Mme et M. Querard,131


UN DRAME ALGERIENchargé <strong>de</strong> la surveillance <strong>de</strong>s chantiers et Mme et M. Boissel,gérants <strong>de</strong> l'hôtel construit pour l'hébergement <strong>de</strong>s visiteurs. Cesquatre personnes et Mlle Allais ne furent cependant pas épargnéespar la menace qui agitait la région. Les ruines <strong>de</strong> Cuicul setrouvent exactement à 37 kilomètres <strong>de</strong> Saint­Arnaud et à la mêmedistance <strong>de</strong> Fedj M'Zala, chef­lieu <strong>de</strong> la commune mixte, par unembranchement commun <strong>de</strong> 10 kilomètres, aboutissant au chemindépartemental.Alertés <strong>de</strong> nuit et enfermés dans le logement <strong>de</strong> la directrice,les Français <strong>de</strong> Djemila ont eu leur part d'émotion, dans la nuit du9 au 10 <strong>ma</strong>i. Ils ont pu cependant rester en contact avec <strong>de</strong>souvriers fidèles, et constater que le chantier était unanime à rejeterles sollicitations et les appels à la violence qui leur étaient adresséspar <strong>de</strong>s émissaires rebelles.C'est ainsi qu'ils ont pu attendre l'arrivée d'un détachementamené par une auto mitrailleuse détachée <strong>de</strong> Fedj M'Zala, à la<strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce village, légitimement inquiet du sort réservé à sesvoisins.Le 10 <strong>ma</strong>i au <strong>ma</strong>tin, Djemila a été évacué sur Saint­Arnaud,pour peu <strong>de</strong> jours. Les immeubles, confiés à la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ouvriers,ont été retrouvés intacts.132UN DRAME ALGERIENA DJIDJELLILa petite ville <strong>de</strong> Djidjelli, dont la plage accueillante est,chaque année, le ren<strong>de</strong>z­vous <strong>de</strong> nombreux estiveurs, la cité auxrues larges et ombragées, n'a pas été à l'abri <strong>de</strong>s remous hostiles,qui se sont <strong>ma</strong>nifestés un peu partout, en Algérie, et plusparticulièrement dans le département <strong>de</strong> Constantine.Comme ailleurs, en cette journée du 8 <strong>ma</strong>i, transformée en fêtenationale par l'annonce officielle <strong>de</strong> la reddition <strong>de</strong> l'Alle<strong>ma</strong>gne,écrasée par les Alliés, la population française s'était réunie sur laplace principale, pour acclamer la Victoire. Elle était toute à la joie<strong>de</strong> la fin d'un horrible cauche<strong>ma</strong>r. Elle saluait l'ère nouvelle quis'ouvrait et <strong>de</strong>vait assurer à la Patrie, avec un avenir <strong>de</strong> paixchèrement gagné, la possibilité d'un relèvement <strong>ma</strong>tériel et morallongtemps attendu.Au point <strong>de</strong> vue indigène, Djidjelli est réputé comme l'un <strong>de</strong>spoints névralgiques <strong>de</strong> l'Algérie, et vient après Constantine etTlemcen dans la nomenclature <strong>de</strong>s centres où s'agitent le plus lespassions antifrançaises refusant <strong>de</strong> désarmer.133


UN DRAME ALGERIENLa bourga<strong>de</strong> littorale, conquise le 13 <strong>ma</strong>i 1839, par nos soldats,en un assaut mémorable où s'illustra Saint­Arnaud, détruite le 21août 1856 par un tremblement <strong>de</strong> terre, atteinte plus récemmentpar le cyclone du 17 août 1938, avait déjà été gravement menacéeen 1871, lors <strong>de</strong> l'insurrection déclenchée par Mokrani.Depuis, les dégâts causés par la nature et par les hommesavaient été réparés. Sous l'impulsion <strong>de</strong> réalisateurs admirablesdans l'ordre économique, la cité agrandie possè<strong>de</strong> une banlieue quiprovoque les éloges <strong>de</strong>s touristes et <strong>de</strong>s étrangers. On a créé là —au prix d'un effort soutenu, considérable, <strong>de</strong> la richesse publique,et privée, qui assure aux autochtones <strong>de</strong>s travaux agricoles etforestiers importants et per<strong>ma</strong>nents, c'est­à­dire une existence àl'abri <strong>de</strong>s soucis <strong>de</strong> l'avenir. Des routes sillonnent la campagne,œuvre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux représentants qui ont droit à la reconnaissance dupays : MM. Barbe<strong>de</strong>tte et Morinaud.Le 8 <strong>ma</strong>i 1945, au <strong>ma</strong>tin, la population française <strong>de</strong> Djidjellivit, avec étonnement, les abords <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>irie brusquement envahispar <strong>de</strong>s milliers d'indigènes (3 à 4.000), for<strong>ma</strong>nt <strong>de</strong>s groupesporteurs <strong>de</strong> bannières offensantes pour l'autorité. On lisait sur lesban<strong>de</strong>roles : « Libérez Messali ! »« Vive l'indépendance ! », etc.La <strong>ma</strong>nifestation, évi<strong>de</strong>mment préorganisée, avait prisnaissance à l'oasis, point situé à environ 1.500 mètres <strong>de</strong> Djidjelli,et elle se présentait, menaçante, entourant les notables <strong>de</strong> la ville etpoussant <strong>de</strong>s cris divers.Le programme officiel <strong>de</strong>s réjouissances comportait la visite aumonument aux morts. De la <strong>ma</strong>irie, on pouvait accé<strong>de</strong>r aumonument soit par l'avenue Vivonne, soit par l'avenue Gadaigne.Ce <strong>de</strong>rnier trajet est long <strong>de</strong> 500 mètres. Le premier <strong>de</strong> 300 mètres.La foule indigène, obéissant à un mot d'ordre, se précipita tout àUN DRAME ALGERIENcoup sur la rue Gadaigne, pendant que les autorités empruntaientla rue Vivonne. Justement inquiète, la municipalité, la police d'Étatet la police départementale, responsables <strong>de</strong> l'ordre, firent suivreles <strong>ma</strong>nifestants par un détachement <strong>de</strong> Sénégalais, tandis qu'unautre détachement accompagnait le cortège officiel et prenaitposition au monument aux morts.Les autorités furent étonnées <strong>de</strong> trouver près du monument, unefoule <strong>de</strong> femmes indigènes, venues là sans aucun doute, par ordre.On sait le rôle joué par les femmes berbères dans les pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong>troubles — les you­yous excitant les <strong>ma</strong>nifestants et les poussantaux gestes exagérés. Il y avait donc préparation à <strong>de</strong>s événementsgraves. Les soldats n'étaient pas pourvus <strong>de</strong> cartouches. Ils nepouvaient, le cas échéant, que faire usage <strong>de</strong> leurs baïonnettes.Mais les indigènes ignoraient ce détail.La foule, dans un désordre tumultueux, arriva bientôt,bannières déployées. Le <strong>ma</strong>intien <strong>de</strong> l'ordre exigeait uneintervention. Elle eut lieu, <strong>de</strong> façon calme, <strong>ma</strong>is impérative, surl'initiative <strong>de</strong> M. le commissaire Bouquet, chef <strong>de</strong> la police d'État,qui inti<strong>ma</strong> l'ordre aux <strong>ma</strong>nifestants <strong>de</strong> lui livrer les ban<strong>de</strong>rolesprovocatrices. Des cris s'élevèrent : on refusait d'obéir. M. Bouquetréitéra son ordre, en s'adressant personnellement à M. Ben­khalef,conseiller général indigène. Ce <strong>de</strong>rnier répondit : « Ils refusent ! »— Je vais employer la force ! prévint le commissaire. <strong>Un</strong> défitrès net partit <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>sse : « Employez la force ! »<strong>Un</strong>e hésitation pouvait aggraver brusquement les choses. M.Rouquet donna <strong>de</strong>s ordres. Les Sénégalais mirent baïonnette aucanon et s'ébranlèrent, les <strong>de</strong>ux détachements prenant la foule <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux côtés. Ce fut alors une fuite éperdue <strong>de</strong>s perturbateurs.134135


UN DRAME ALGERIENPas pour longtemps. La cérémonie n'était pas terminée que l'onapprenait qu'un appel avait été lancé par les meneurs <strong>de</strong> la villeaux Kabyles <strong>de</strong>s douars, occupant les <strong>ma</strong>ssifs montagneux <strong>de</strong> lagran<strong>de</strong> banlieue. Les scènes tragiques <strong>de</strong> 1871 allaient­elles sereproduire ? La banlieue appartient aux territoires <strong>de</strong> la communemixte <strong>de</strong> Djidjelli, qui avait à sa tête <strong>de</strong>ux fonctionnairesénergiques : M. Boissin, un administrateur jouissant <strong>de</strong> l'estimegénérale, et son adjoint, M. Subrini.On sut que M. Boissin, en présence <strong>de</strong> ces graves conjonctures,avait, sans tar<strong>de</strong>r, pris ses dispositions ! Il s'était, par téléphone,adressé à ses caïds, leur montrant l'importance <strong>de</strong>s responsabilitésqu'ils allaient prendre et les prévenant que <strong>de</strong>s mesures allaient êtreappliquées par la garnison et les Français <strong>de</strong> Djidjelli, si uneattaque se produisait. Le chef fut d'autant plus pressant que sessubordonnés s'avéraient hésitants. On affir<strong>ma</strong>it, cependant, qu'un<strong>de</strong> ces caïds avait déclaré : « Ils me passeront, sur le corps avantd'arriver jusqu'à vous ! »Par précaution, M. Subrini se rendit aux Béni Foughal, auprès<strong>de</strong>s caïds : mission dangereuse, qu'il expliquait, cependant, avecphilosophie, à­ceux qui lui adressaient <strong>de</strong>s recom<strong>ma</strong>ndations <strong>de</strong>pru<strong>de</strong>nce : « Notre profession n'a pas que <strong>de</strong>s avantages. Ellecomporte <strong>de</strong>s risques qu'il faut savoir accepter. »Sur sa route, et même autour <strong>de</strong>s caïds, le fonctionnaire observe<strong>de</strong>s regards <strong>ma</strong>uvais, traduisant <strong>de</strong> la haine et un esprit nettementhostile. Il eut l'attitu<strong>de</strong> qui convenait et put rentrer sain et sauf, àtravers la forêt, pour rendre compte <strong>de</strong> sa mission à son chefM. Boissin n'hésita pas. Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in, 10 <strong>ma</strong>i, il partait versTamentout. On ignorait ce qu'étaient <strong>de</strong>venus les gar<strong>de</strong>s forestierset leurs familles ; nous dirons plus loin ce qui est advenu <strong>de</strong> cetterandonnée, qui, <strong>ma</strong>lgré une sage préparation, aurait pu <strong>de</strong>venirtragique.136UN DRAME ALGERIENGrâce aux mesures prises, l'émeute a échoué, au moment mêmeoù elle était prête à éclater. Les officiers et les quelques militairesnoirs composant la faible garnison <strong>de</strong> la ville jouèrent aussitôtaprès un rôle utile, en rétablissant complètement la situation, uninstant compromise.On peut dire aujourd'hui qu'aucun Français n'avait euconnaissance <strong>de</strong> l'organisation du défilé, qui n'a pu avoir lieu qu'àla suite d'une préparation longue et méticuleuse, et la diffusion <strong>de</strong>nombreux mots d'ordre ou consignes. A Djidjelli, comme ailleurs,la surprise a été totale et l'autorité, aussi bien civile que militaire,laissée dans l'ignorance absolue <strong>de</strong> ce qui était préparé. Lacomplicité du silence, dans une entente collective ne présentantaucune fissure, caractérise, du reste, à travers l'Histoire, tous lesmouvements insurrectionnels en Algérie.La réaction a été ce qu'elle <strong>de</strong>vait être, énergique et calme à lafois. Le 10 <strong>ma</strong>i, les Français <strong>de</strong> Djidjelli étaient munis <strong>de</strong> fusilsGras et <strong>de</strong> cartouches. Le 11, une milice civile fonctionnait enville. Elle montait la gar<strong>de</strong>, avec les Sénégalais. Le conseillergénéral Benkhellaf était arrêté, en même temps que ses collègues al'assemblée départementale : Le Dr Saadane, <strong>de</strong> Biskra, et FerhatAbbas, <strong>de</strong> Sétif. Ces trois personnalités étaient considérées commeles chefs du P.P.A. organisateur <strong>de</strong> l'agitation (1).(1) Benkhellaf a été relâché le 18 octobre 1945, pour cause <strong>de</strong> <strong>ma</strong>ladie. Les <strong>de</strong>ux autres élus ontété relâchés en <strong>ma</strong>rs 1946, à la suite d'une mesure d'amnistie. M. Abbas a tenu à préciser, dans lesjournaux, qu'il avait bénéficié d'un non­lieu. <strong>Un</strong> démenti officiel lui a été opposé, à la tribune duParlement, par le ministre Le Trocquer.137


UN DRAME ALGERIENDans la nuit du 9 au 10, on amis en sécurité, dans la cita<strong>de</strong>lle,sous les ordres <strong>de</strong> M. Duga, capitaine <strong>de</strong> réserve, anciencombattant <strong>de</strong> Verdun, 60 femmes et enfants français.L'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s autochtones est très nette. Ils ont rompu touterelation avec les Français et ne les saluent plus dans la rue.Dans les fermes <strong>de</strong>s environs, les ouvriers indigènes avaientcomplètement disparu. Ils revenaient peu à peu, au bout <strong>de</strong> quinzejours. Et leur attitu<strong>de</strong> embarrassée était révélatrice <strong>de</strong> complicités.Cinq mois après les événements, <strong>de</strong>s témoignages, <strong>de</strong> lasincérité <strong>de</strong>squels on ne peut douter, affir<strong>ma</strong>ient que la situationrestait tendue dans toute la région. Les caïds déclarent qu'ils n'ontplus d'autorité sur leurs administrés : on leur fait grief <strong>de</strong>s ordresqu'ils ont exécutés dans la se<strong>ma</strong>ine dra<strong>ma</strong>tique. Ils en déduisent<strong>de</strong>s conséquences fâcheuses pour leur propre sécurité, et semontrent réticents dès qu'il s'agit <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s détails ou <strong>de</strong>désigner les agitateurs, car ils appréhen<strong>de</strong>nt avec quelque raisonles vengeances possibles, disons le mot : probables.Du reste, si Djidjelli a été sauvée, par <strong>de</strong>s mesures opportunes,appliquées à temps, dans une collaboration étroite entre l'autoritémilitaire et les <strong>de</strong>ux municipalités, <strong>de</strong> plein exercice et mixte, lagran<strong>de</strong> banlieue du Sud, au­<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la station estivale <strong>de</strong> Texenna,a, hélas ! enregistré, <strong>de</strong>s <strong>drame</strong>s dont l'horreur rappelle les scènesles plus tragiques <strong>de</strong> notre Histoire nord­africaine. Nous voulonsparler <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong>s 3 Français <strong>de</strong> Djidjelli, Mme Bovo etMM. Coste et Bovo, ainsi que du <strong>ma</strong>ssacre <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s forestiers <strong>de</strong>Tamentout et <strong>de</strong> leurs familles.Le premier <strong>drame</strong> a été évoqué par nous à propos <strong>de</strong>sévénements <strong>de</strong> Chevreul. Le second fait l'objet d'un chapitrespécial sur la forêt en <strong>de</strong>uil.UN DRAME ALGERIENGrâce au sang­froid, avons­nous dit, <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>l'autorité, la petite ville <strong>de</strong> Djidjelli n'a pas eu à subir les atrocités<strong>de</strong> l'émeute et du pillage en pays berbère.Les enquêtes auxquelles il a été procédé, les constatations faitesavant même la pério<strong>de</strong> douloureuse enregistrée en <strong>ma</strong>i 1945, ontdémontré que, <strong>de</strong>puis longtemps, se préparait le mouvement qui<strong>de</strong>vait se traduire, — dans la pensée <strong>de</strong> ses organisateurs — par unraz <strong>de</strong> <strong>ma</strong>rée <strong>de</strong>stiné à balayer tout ce qui représentait la France enAfrique du Nord.Le 15 octobre 1945, à l'occasion <strong>de</strong> la comparution <strong>de</strong> 82indigènes <strong>de</strong> Djidjelli et <strong>de</strong>s environs <strong>de</strong>vant le Tribunal militaire<strong>de</strong> Constantine, une partie du voile officiel qui cachait au public lavérité sur le complot africain antifrançais s'est soulevé et a permis<strong>de</strong> constater jusqu'où s'étendaient les complicités dans le grand<strong>drame</strong> en préparation.C'est ainsi que l'on a appris qu'en novembre 1944, un officiercom<strong>ma</strong>ndant du C.L.I. <strong>de</strong> Djidjelli était informé <strong>de</strong>s propositionsparvenues à ses subordonnés, pour l'acquisition d'armes <strong>de</strong> guerredont il avait la gar<strong>de</strong> et la responsabilité.Cet officier, le com<strong>ma</strong>ndant Albert Dateau, arrivait <strong>de</strong> France,il avait un passé respectable entre tous. Il avait com<strong>ma</strong>ndé lesecteur Sud <strong>de</strong> Paris, comme chef F.F.I., en août 1944, au moment<strong>de</strong> la reprise <strong>de</strong> la capitale aux Alle<strong>ma</strong>nds.Au lieu <strong>de</strong> mettre fin aux négociations qu'il venait <strong>de</strong> découvrir,il les encouragea secrètement, dans le but <strong>de</strong> pénétrer au cœurmême du complot et <strong>de</strong> saisir les coupables flagrante <strong>de</strong>licto.L'opération réussit.Accueillant les offres qui étaient faites, les militaires pressentis,d'accord avec leur chef, promirent <strong>de</strong> livrer 42 fusils <strong>de</strong> guerre et 2caisses <strong>de</strong> cartouches.138139


UN DRAME ALGERIENLa date <strong>de</strong> livraison fut fixée : le 30 novembre 1944, un fourgonmilitaire, apparemment chargé <strong>de</strong> fûts, sortirait <strong>de</strong> la caserne, et serendrait à un endroit désigné, pour livrer les armes.« Avant <strong>de</strong> quitter Djidjelli, le chauffeur fit monter près <strong>de</strong> lui,ainsi qu'il était convenu, un individu qui servait d'agent <strong>de</strong> liaisonavec les réceptionnaires. Arrivé à proximité du pont <strong>de</strong> la route <strong>de</strong>Bougie, le camion stoppa. Des indigènes se trouvaient là. Deuxd'entre eux grimpèrent sur la plate­forme arrière <strong>de</strong> la voiture.Apercevant <strong>de</strong>s policiers, cachés dans les fûtailles, ils donnèrentl'alarme. Tous les complices prirent la fuite. La poursuites'organisa et l'un <strong>de</strong>s fuyards fut arrêté. Ses aveux <strong>de</strong>vaientpermettre <strong>de</strong> nombreuses arrestations (1). »La poursuite <strong>de</strong>s coupables avait donné lieu à <strong>de</strong>s discussions<strong>de</strong> compétence. L'administration supérieure, mise au courant <strong>de</strong>sfaits, revendiqua le dossier. L'autorité militaire résista et la justicemilitaire obtint le droit déjuger les prévenus. Ceci est heureux pourla justice tout court parce que les bureaux d'<strong>Alger</strong> auraient eutendance à terminer la chose par un classement, sous le prétexte« qu'il ne faut pas alarmer l'opinion publique ».C'est ce prétexte, largement exploité, qui nous a valu la mort <strong>de</strong>près <strong>de</strong> cent Français, lâchement <strong>ma</strong>rtyrisés et assassinés dans lase<strong>ma</strong>ine tragique du 8 <strong>ma</strong>i (2). C'est cette politique qui a provoquéla grâce <strong>de</strong> presque tous les condamnés et leur renvoi dans leursfoyers. La nouvelle commençait à circuler le 18 octobre 1945.UN DRAME ALGERIENElle a eu la plus fâcheuse répercussion sur le peuplementfrançais <strong>de</strong> nos campagnes <strong>algérien</strong>nes.Revenons aux débats qui ont eu lieu <strong>de</strong>vant le Tribunal militaire<strong>de</strong> Constantine, le 15 octobre 1945 :— 82 indigènes, appartenant au territoire <strong>de</strong> Djidjelli,comparaissaient sous l'inculpation d'atteinte à la sûreté extérieure<strong>de</strong> l'État. 71 étaient accusés <strong>de</strong> reconstitution <strong>de</strong> ligue dissoute(P.P.A.), <strong>de</strong> provocations d'indigènes <strong>algérien</strong>s, <strong>de</strong> <strong>ma</strong>nifestationscontre la souveraineté française, d'essai <strong>de</strong> création d'ungroupement armé, avec <strong>de</strong>s insoumis et <strong>de</strong>s déserteurs, au moyend'une caisse autonome appelée « Caisse Noire », etc. Les 12<strong>de</strong>rniers sont impliqués dans l'affaire du pont <strong>de</strong> la route <strong>de</strong>Bougie, les armes <strong>de</strong>vant être remises à un groupement <strong>de</strong> choc.Le Tribunal militaire, après plusieurs jours <strong>de</strong> débats, a rendules jugements suivants (1) :« 72 inculpés, sur 82, ont été condamnés à <strong>de</strong>s peines variant <strong>de</strong>15 ans <strong>de</strong> travaux forcés, 15 ans d'interdiction <strong>de</strong> séjour,dégradation civique et confiscation <strong>de</strong>s biens, à un mois <strong>de</strong> prisonet mille francs d'amen<strong>de</strong>. »« Le tribunal a prononcé 10 acquittements. »Le journal précise les chefs d'accusation et ajoute, d'après letexte <strong>de</strong> la condamnation : « Actes sciemment accomplis, <strong>de</strong>nature à nuire à la défense nationale. »(1) Dépêche <strong>de</strong> Constantine, 16 octobre 1945.(2) Le chiffe <strong>de</strong>s morts français, officiellement proclamé, est 88. Mais combien <strong>de</strong> victimessouffrent encore, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> longs mois, <strong>de</strong>s coups reçus an cours du <strong>drame</strong> <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945140(1) Dépêche, <strong>de</strong> Constantine, du 19 octobre 1945.141


UN DRAME ALGERIENA TAMENTOUTA quelques kilomètres <strong>de</strong> la route qui, <strong>de</strong> Djidjelli se dirige, parDuquesne et Texenna, vers Constantine, un peu avant d'arriver aucol <strong>de</strong> F'Doulès, se trouve Tamentout, siège d'un <strong>ma</strong>rché assezimportant.A Tamentout, en 1872, presque aussitôt après la gran<strong>de</strong>insurrection qui sévit dans les <strong>de</strong>ux Kabylies, était venu s'installerun colon qui a laissé un nom justement respecté dans ledépartement : Jules Lochard.A cette époque, aucune route n'existait dans la région. Destranchées énormes et profon<strong>de</strong>s, constituées par <strong>de</strong>s ouedsencaissés, circulant entre <strong>de</strong>s pics ou <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>ssifs boisés <strong>de</strong> 3 à 500mètres <strong>de</strong> hauteur, donnaient au pays un aspect chaotique etinhospitalier.Jules Lochard, se trouvant un jour à Constantine, las d'attendrela concession officielle pour laquelle il avait postulé, avait acheté<strong>de</strong>vant le tribunal une propriété mise en vente, qui se trouvait,disait l'affiche, quelque part, entre Sétif et Djidjelli. Ce « quelquepart » était dénommé Tamentout. Le jeune colon, parti <strong>de</strong> Sétif,142UN DRAME ALGERIENavait mis quarante­huit heures à dos <strong>de</strong> mulet pour atteindre sapropriété. Tout autre que lui aurait renoncé à s'installer dans undo<strong>ma</strong>ine consistant surtout en broussailles, où tout était à dénicher,où l'isolement était total au milieu <strong>de</strong> populations révoltées contrel'autorité française, où l'on ne pouvait espérer aucune ai<strong>de</strong> ni aucunsecours en cas <strong>de</strong> danger.Lochard était franc­comtois, c'est­à­dire travailleur et entêté. Ilfit le tour <strong>de</strong> son lotissement, et ayant évalué l'effort à accomplir, ilretourna à Sétif pour chercher sa femme et un bébé d'un mois àpeine. Huit jours après, il était à pied d'œuvre, avec une simpletente comme abri pour sa jeune famille, quelques outils et <strong>de</strong>sprovisions alimentaires.L'homme se mesura avec la terre. On peut dire aujourd'hui quela victoire du colon fut complète.A la place <strong>de</strong>s lentisques et <strong>de</strong>s buissons d'essences diverses quicouvraient le sol, se dressent aujourd'hui <strong>de</strong> vastes locauxd'habitation, pour le personnel et <strong>de</strong>s remises pour les ani<strong>ma</strong>ux,entourant une vaste cour. Tout autour, <strong>de</strong>s prairies et <strong>de</strong>s champs àcéréales donnent un aspect <strong>de</strong> coin <strong>de</strong> France à ce paysaged'Afrique voué autrefois à l'inculture pendant <strong>de</strong>s millénaires. <strong>Un</strong>erichesse a été créée, richesse française, qui a profité à tous lesindigènes, <strong>de</strong>venus, à vingt kilomètres à la ron<strong>de</strong>, lescollaborateurs, les associés, les imitateurs du colon défricheur.Tamentout constitue un exemple <strong>de</strong> colonisation qui n'est pasune exception. Ce qui s'est produit là s'est produit à <strong>de</strong>s centainesd'exemplaires, partout où un Français s'est arrêté pour s'installersur le terroir nord­africain. Beaucoup sont morts à la peine.Lochard a vécu, assez longtemps du moins, pour assister au succèscomplet <strong>de</strong> son labeur d'un <strong>de</strong>mi­siècle. Ses <strong>de</strong>ux fils, Jules etAlbert, à qui il a appris le métier <strong>de</strong> colon, ont été ses élèves et ses143


UN DRAME ALGERIENcontinuateurs. Ils ont parachevé, élargi, amplifié l'œuvrepaternelle. En <strong>ma</strong>i 1945, c'était un petit­fils, Abel, qui dirigeait laferme <strong>de</strong> Tamentout, créée il y a soixante­treize ans, préparant,avec sa nombreuse famille une quatrième génération <strong>de</strong> terriensfidèles et obstinément fixés au sol.La ferme est aujourd'hui munie du téléphone. <strong>Un</strong>e route d'unequarantaine <strong>de</strong> kilomètres la relie à Djidjelli, où se trouve le pèredu colon actuel, M. Jules Lochard.Abel Lochard, appelé par ses parents pour fêter la victoire <strong>de</strong>sAlliés, avait consenti à venir à la ville, avec toute sa famille, sansse douter que cette invitation <strong>de</strong>vait tout simplement lui sauver lavie, celle <strong>de</strong> sa femme et <strong>de</strong> ses enfants. L'existence est, souvent,faite <strong>de</strong> ces imprévisions. Le 9 <strong>ma</strong>i au <strong>ma</strong>tin, <strong>de</strong>scendant vers lacôte, l'auto Lochard rencontrait et saluait au passage les occupants<strong>de</strong> l'auto Coste qui allaient, à bonne allure, vers le guet­apens et le<strong>ma</strong>ssacre...L'arrivée à Djidjelli s'effectua sans encombre. Les colons <strong>de</strong>Tamentout assistèrent au défilé, avec bannières et étendardsinsurrectionnels, <strong>de</strong> 3.000 indigènes dans les rues <strong>de</strong> la ville.Lajournée se passa dans une joie, mêlée d'étonnement etd'inquiétu<strong>de</strong> latente.Le 10, au <strong>ma</strong>tin, <strong>de</strong>s bruits d'inci<strong>de</strong>nts graves survenus àTamentout, où se trouvait à quelques centaines <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> laferme une <strong>ma</strong>ison forestière, circulaient à mots couverts.Dans l'après­midi, MM. Boissin, administrateur principal,Subrini, administrateur adjoint, Abel Lochard, le gar<strong>de</strong> général <strong>de</strong>sForêts Attard, et quatre gendarmes se rendaient à Tamentout, pourse renseigner. Après avoir dépassé le village <strong>de</strong> Texenna,M. Boissin et ses compagnons rencontrèrent <strong>de</strong>s indigènes quiparaissaient préparer <strong>de</strong>s barrages sur la route. Les groupess'éloignaient à l'approche <strong>de</strong> la voiture. Sur les crêtes on apercevait144UN DRAME ALGERIENun très grand nombre d'émeutiers. A un tournant du chemin, unouvrier <strong>de</strong> la ferme Lochard se présente et très ému adjure lesvoyageurs <strong>de</strong> ne pas aller plus loin, <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>mi­tour d'urgence.— Tous les Français sont morts à Tamentout, dit­il à sonpatron ; si vous arrivez jusqu'à la ferme, vous serez vous­mêmes<strong>ma</strong>ssacrés. Les révoltés sont si nombreux et si surexcités par lescrimes qu'ils ont commis, que rien ne pourra les empêcher <strong>de</strong> vousfaire subir le même sort qu'aux forestiers. Regar<strong>de</strong>z ! Ils arrivent !Retournez vite à Djidjelli !Le conseil était sage ; qu'auraient pu faire huit Français, mêmedécidés, contre une meute <strong>de</strong> milliers d'agresseurs ? La voiture fit<strong>de</strong>mi­tour. Seule, une force militaire suffisante pouvait avoir raisond'un pays en état <strong>de</strong> folie criminelle.C'est ainsi que la ferme Lochard est restée entre les <strong>ma</strong>ins <strong>de</strong>sémeutiers jusqu'au samedi 12 <strong>ma</strong>i, à midi, heure à laquelle lebataillon du com<strong>ma</strong>ndant Souriac, <strong>de</strong> l'infanterie coloniale,débouchait <strong>de</strong> la forêt, venant <strong>de</strong> Chevreul.Rien n'avait été touché aux abords et à l'intérieur <strong>de</strong>s bâtiments.Il ne <strong>ma</strong>nquait même pas une volaille.Mais un <strong>drame</strong> horrible s'était produit, non loin <strong>de</strong> là, et avaiteu pour cadres les cantonnements forestiers d'Ain­Settah, <strong>de</strong>Tamentout et <strong>de</strong> Biabel.145


UN DRAME ALGERIENLA FORET EN DEUIL...TAMENTOUT, AIN SETTAH, BIABEL,TAMSOUT, ETC.Nous avons relaté, à propos <strong>de</strong>s événements survenus dans lacommune mixte d'Oued Marsa, le <strong>drame</strong> rapi<strong>de</strong>, qui, dans la cour<strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison forestière <strong>de</strong> Tamsout, avait étendu <strong>de</strong>ux cadavres,celui <strong>de</strong> M. Marceau Lambert et celui <strong>de</strong> sa femme, née GabrielleLucas. Ces Français étaient âgés <strong>de</strong> 48 et 44 ans. Ils avaient étéprévenus, par les soins <strong>de</strong> la commune mixte, à Cap Aokas, <strong>de</strong> lagravité <strong>de</strong>s événements, et priés <strong>de</strong> se replier sur le bordjadministratif, où l'on organisait <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> défense.Le gar<strong>de</strong> avait haussé les épaules ; Partir ? Et pour quelleraison ? Il n'avait que <strong>de</strong>s amis dans le pays ! Il avait fait quelquesprocès­verbaux, <strong>ma</strong>is les indigènes ne lui en voulaient pas. Ilfaisait son métier, quoi ! Et ce qui est juste reste juste. Il était sansappréhension. Il en avait vu bien d'autres ! Sa croix <strong>de</strong> guerre, samédaille militaire, encadrant sa médaille forestière, étaient là pourl'attester. Il entendait rester chez lui, à son poste. Sa femme nediscuta même pas. Son <strong>de</strong>voir était d'être à côté <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri.146UN DRAME ALGERIENLe premier groupe d'émeutiers qui se rua sur la <strong>ma</strong>isonforestière abattit sans pitié ce soldat du <strong>de</strong>voir et sa <strong>ma</strong>lheureusecompagne.On apprit la triste nouvelle <strong>de</strong>ux jours après, à Cap Aokas. <strong>Un</strong>epremière patrouille, com<strong>ma</strong>ndée par M. Hosteins, ne put joindreles victimes. Et il fallut plusieurs jours pour arriver enfin àrecueillir leurs corps, leur donner les honneurs <strong>de</strong> la sépulture etcommencer l'enquête pour la recherche <strong>de</strong>s coupables. Lagendarmerie prêta son concours avec son dévouement habituel,pour l'accomplissement <strong>de</strong> ces tâches et for<strong>ma</strong>lités.***Dans la chefferie <strong>de</strong> Bordj Bou Arréridj, briga<strong>de</strong> <strong>de</strong> Lafayette,se trouve un cantonnement soumis à la surveillance <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>isonforestière <strong>de</strong> Bialel.Le gar<strong>de</strong> forestier, qui l'occupait, au moment <strong>de</strong>s troubles, M.Georges Feuvrier, était un jeune : 32 ans. Entendant <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong>cognée dans la forêt proche, il sortit <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>meure et se trouvabientôt en présence <strong>de</strong> délinquants. Il fut rapi<strong>de</strong>ment attaqué etabattu par ces <strong>de</strong>rniers, venus non pour couper du bois, <strong>ma</strong>is pourorganiser un guet­apens.<strong>Un</strong>e nouvelle victime s'inscrivait dans la liste funèbre quimettait la forêt en <strong>de</strong>uil (1).De la <strong>ma</strong>ison forestière <strong>de</strong> Bialel, il ne reste que <strong>de</strong>s ruinescalcinées. L'immeuble a été pillé, puis incendié.***A Tamentout, nous avons vu que la ferme Lochard, dont lesexploitants étaient heureusement absents, avait été respectée.(1) Le 7 août 1945, le Tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine. a. condamné à mort les nommésBelayadi Khelifa, Belayadi Saïd et Bensid Abdallah, ce <strong>de</strong>rnier par contu<strong>ma</strong>ce, pour le crime <strong>de</strong>Bialel.147


UN DRAME ALGERIENL'émeute était dirigée contre <strong>de</strong>s hommes, <strong>de</strong>s Français, et noncontre <strong>de</strong>s propriétés. Il est évi<strong>de</strong>nt que l'on avait obéi là comme àFedj M'Zala, à un mot d'ordre : conserver les exploitations, quiallaient simplement changer <strong>de</strong> <strong>ma</strong>îtres.Mais à quelques centaines <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> la ferme Lochard, étaitune <strong>ma</strong>ison cantonnière importante, habitée par plusieursménages. On y comptait :M. Raphaël Dupont, âgé <strong>de</strong> 55 ans, brigadier <strong>de</strong>s Eaux etForêts, décoré <strong>de</strong> la médaille militaire et <strong>de</strong> la croix <strong>de</strong> guerre ;Mme Raphaël Dupont, née Marguerite Rousseau, âgée <strong>de</strong> 52ans ;Leur fils, M. André Dupont, âgé <strong>de</strong> 30 ans ;Mme André Dupont, née Annie Legland, 24 ans ;Deux enfants issus <strong>de</strong> ce ménage : 13 mois et 3 ans ;M. Gustave Farnier, 47 ans, gar<strong>de</strong> forestier, dont la famille setrouvait heureusement absente.Le 9 <strong>ma</strong>i au <strong>ma</strong>tin, le brigadier Dupont avait donné ren<strong>de</strong>z­vousau gar<strong>de</strong> Morelli, <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison forestière d'Ain­Settah, poureffectuer une tournée d'organisation relative à la récolte du liège.Les <strong>de</strong>ux hommes circulaient dans la forêt, ignorant lesévénements qui, la veille, avaient ensanglanté les rues <strong>de</strong> Sétif Ilsétaient, tous <strong>de</strong>ux, loin <strong>de</strong> leur domicile, lorsque, brusquement, ilsfurent assaillis par une troupe d'émeutiers. Ils firent face, reculantpeu à peu <strong>de</strong>vant le nombre. Ils ne <strong>de</strong>vaient pas tar<strong>de</strong>r àsuccomber. Leurs cadavres ont été retrouvés au fond d'un ravin oùils s'étaient réfugiés. Leur courage n'avait fait que retar<strong>de</strong>r leuragonie.Presque en même temps, d'autres agresseurs se ruaient sur la<strong>ma</strong>ison forestière <strong>de</strong> Tamentout, qui était occupée, nous l'avons vu,par 2 hommes. 2 femmes et 2 enfants. Les assiégés essayèrentd'organiser la défense. <strong>Un</strong>e <strong>de</strong>s portes ayant cédé, les <strong>de</strong>uxfemmes, portant les <strong>de</strong>ux enfants, se sauvèrent par une porte148UN DRAME ALGERIENdérobée. M. Dupont fils et M. Farnier protégeaient leur retraite. Legroupe atteignit un ravin à 800 mètres en contrebas <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison.Les agresseurs avaient beau jeu. A coups <strong>de</strong> feu, ils abattirent les<strong>ma</strong>lheureux fugitifs, qui, pantelants, les virent arriver sur eux,armés <strong>de</strong> couteaux et <strong>de</strong> <strong>ma</strong>traques. Ce qui suivit fut horrible etdépasse les possibilités <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription. Il y eut viol, sadismedans le <strong>ma</strong>rtyre...Ce n'est que quatre jours après que l'on découvrit les cadavresnus, lamentablement mutilés. Les <strong>de</strong>ux enfants vivaient encore !Ils avaient le corps tailladé à coups <strong>de</strong> boussadi, présentant <strong>de</strong>splaies béantes affreuses. Le plus petit s'était approché du cadavre<strong>de</strong> sa mère et essayait <strong>de</strong> têter. On a pu le sauver, son frère aîné estmort en arrivant à l'hôpital <strong>de</strong> Djidjelli.* * *« <strong>Un</strong> <strong>drame</strong> semblable se déroulait aux abords <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>isonforestière d'Aïn Settah, pendant que les <strong>ma</strong>lheureuses victimes <strong>de</strong>Tamentout expiraient dans un ravin, sous les coups <strong>de</strong>s assassins.Ain Settah est un site d'altitu<strong>de</strong> situé à 10 kilomètres environ enligne droite au nord­est <strong>de</strong> Chevreul près <strong>de</strong> la ligne <strong>de</strong> crête <strong>de</strong>sBéni Medjaled el Guebala, dominée par le djebel Tamesguida,atteignant 1.626 mètres au­<strong>de</strong>ssus du niveau <strong>de</strong> la mer.Il y a quelques années, un projet d'installation d'un centred'estivage pour enfants avait été préconisé par M. Boissin, alorsAdministrateur en chef <strong>de</strong> la commune mixte <strong>de</strong> Takitount. Ceprojet a été repris et défendu avec énergie, plus récemment, par M.le Dr Mazzuca, mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> colonisation à Périgotville, auprès duConseil général <strong>de</strong> Constantine. Intention généreuse dont lesévénements <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945 ont compromis singulièrement laréalisation...149


UN DRAME ALGERIENA la <strong>ma</strong>ison forestière d'Aïn­Settah habitaient <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>sforestiers : M. Devèze et M. Morelli. Nous avons vu queM. Morelli avait trouvé la mort aux côtés du brigadier Dupont.M. Devèze était lui­même sorti, le <strong>ma</strong>tin, pour se diriger vers le<strong>ma</strong>rché <strong>de</strong>s Béni Medjaled. Blessé par <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu, il essayait<strong>de</strong> se replier vers son domicile, <strong>ma</strong>is il ne tardait pas à tomber,pour ne plus se relever.Mme Devèze, menacée à son tour, se décida à se réfugier chezun gar<strong>de</strong> indigène voisin, nommé Serhane, qui avait déjà donnél'hospitalité à un prisonnier italien, occupé par l'administration —agent dont le rôle n'a pas été bien défini.Le corps <strong>de</strong> Mme Devèze a été retrouvé, six jours plus tard, enétat complet <strong>de</strong> nudité, dans le bois à 400 mètres <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>isonforestière. On verra plus loin les détails profondémentémotionnants <strong>de</strong> la mort qui a été réservée à cette <strong>ma</strong>lheureuseFrançaise.A propos d'Ain Settah, nous avons parlé d'un prisonnier italien.Ce prisonnier avait été mis à la disposition <strong>de</strong> l'autorité forestièreet se nom<strong>ma</strong>it Magri Guiseppe. Il avait complètement disparu. Cen'est qu'en juillet, trois mois après le <strong>drame</strong>, que <strong>de</strong>s recoupementspermirent <strong>de</strong> retrouver le corps <strong>de</strong> Magri. Ce <strong>de</strong>rnier avait bien étéassassiné, comme les forestiers d'Aïn Settah.Dans la <strong>ma</strong>tinée du 9 <strong>ma</strong>i, il avait été attaqué en forêt, près d'ElArba, par la première ban<strong>de</strong> d'émeutiers circulant dans la région.Assez grièvement blessé à coups <strong>de</strong> bâtons, il réussissait,cependant, à s'enfuir et à se réfugier chez le gar<strong>de</strong> forestierindigène, Serhane, pendant que la cabane qui lui servait <strong>de</strong>campement était mise à sac par ses agresseurs.Dans l'après­midi, Magri quittait la <strong>ma</strong>ison du gar<strong>de</strong>, dansl'intention <strong>de</strong> gagner Djidjelli pour y recevoir <strong>de</strong>s soins. Enarrivant au douar Menar, commune mixte <strong>de</strong> Fedj M'Zala, il était150UN DRAME ALGERIENarrêté par une <strong>de</strong>uxième ban<strong>de</strong> et frappé à nouveau. Pour ne pasfaire supporter à la mechta voisine la responsabilité d'unassassinat, les agresseurs le laissèrent ensuite continuer sonchemin, tout en le suivant <strong>de</strong> loin. Le <strong>ma</strong>lheureux ne pouvait leuréchapper. Arrivé au lieu dit : Chabet Hadjar Touila, il était <strong>de</strong>nouveau rejoint et sauvagement agressé à coups <strong>de</strong> hachette, <strong>de</strong>couteaux, <strong>de</strong> bâton et <strong>de</strong> pierres. Finalement, il avait la gorgetranchée.Le corps fut alors dissimulé dans un trou d'eau, sur les lieux ducrime. Le 2 juillet, les assassins venaient le reprendre et letransportaient au lieu dit : Dar Sidi Ahmed, dans le but <strong>de</strong> lesoustraire aux recherches. Ce transfert fut dénoncé, et la victimeenfin découverte.L'instruction <strong>de</strong> l'affaire, fut longue. Deux ban<strong>de</strong>s séparéesavaient participé à la première et à la secon<strong>de</strong> agression. LeTribunal militaire fut saisi, à Constantine, le 13 décembre. Ilrenvoya les dossiers pour complément d'enquête.L'année 1945 s'est écoulée sans que la justice ait été appelée àse prononcer.***<strong>Un</strong> document dont nous avons pu voir tout récemment le textenous permet <strong>de</strong> donner une idée <strong>de</strong> la cruauté et du cynismeapportés par les émeutiers dans leur action criminelle.Par ce document, nous avons eu connaissance <strong>de</strong> la déposition<strong>de</strong> l'assassin <strong>de</strong> Mme Devèze, la <strong>ma</strong>lheureuse femme du gar<strong>de</strong>forestier, tuée à Ain Settah. Cet assassin se nomme BoudriaAyache ben Hanachi. Il habite le douar Menar, <strong>de</strong> Fedj M'Zala. Il a20 ans. Il dépose simplement « avec le sourire », nous dit notrecorrespondant, « interrompant son récit pour, fumer sa cigarette. »151


UN DRAME ALGERIEN« Je me rendais, dit­il, au <strong>ma</strong>rché d'El Arba (Béni Medjaled)quand je rencontrai le nommé Fouzer, qui me dit : « La guerresainte est déclarée, les Français sont battus partout ; c'est lemoment <strong>de</strong> les exterminer. »« Je retournais prendre mon fusil, chargé <strong>de</strong> chevrotines et, avecenviron 40 indigènes, suivant le même sentier, je me dirigeais versla <strong>ma</strong>ison forestière d'Ain Settah. <strong>Un</strong>e Française, Mme Devèze,était encore là, réfugiée chez le gar<strong>de</strong> indigène; le <strong>ma</strong>ri avait ététué, <strong>de</strong>ux heures auparavant, près du <strong>ma</strong>rché ; le brigadier Dupontet le gar<strong>de</strong> Morelli <strong>ma</strong>ssacrés le <strong>ma</strong>tin, au cours d'une tournée.« <strong>Un</strong> <strong>de</strong>s nôtres pénétrait alors dans la <strong>de</strong>meure du gar<strong>de</strong>indigène et en ressortait, tenant par la <strong>ma</strong>in Mme Devèze. Elleparaissait terrifiée.« Elle fut menée au coin d'un bois et là, l'un après l'autre,chacun <strong>de</strong> nous la violait, sans qu'elle puisse opposer la moindredéfense. Comme j'étais le plus jeune, je passais le <strong>de</strong>rnier. Je la fismettre à genoux et la violais par <strong>de</strong>rrière, puis je prenais mon fusilet le déchargeais dans le dos <strong>de</strong> cette femme. Comme elle n'étaitque blessée, <strong>de</strong>ux autres ca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s l'ont achevée.« Nous nous sommes emparés <strong>de</strong> tous ses vêtements et l'avonslaissée nue dans le bois où les soldats sont venus relever soncadavre, cinq jours après. »Notre correspondant ajoute : « Cette déclaration est contrôlable.L'Administrateur, la gendarmerie et la sûreté l'ont transmise auxchefs compétents. Ils ne pourront que la confirmer, s'il en estbesoin. »Arrêtons­nous, un instant, <strong>de</strong>vant le document dont nousvenons <strong>de</strong> donner le texte. L'horreur <strong>de</strong>s faits qu'il relate, mise àpart, momentanément, il projette un jet <strong>de</strong> lumière sur l'espritcollectif qui anime la <strong>ma</strong>sse indigène dans la plupart <strong>de</strong> nosrégions <strong>algérien</strong>nes. Il constitue un procès­verbal <strong>de</strong> constat dontla valeur ne peut être niée.152UN DRAME ALGERIEN<strong>Un</strong> jeune homme va au <strong>ma</strong>rché. Il accomplit un acte courant,ordinaire <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong>s paysans dans nos campagnes. Il est calme. Ilest inoffensif, il ne pense pas à <strong>ma</strong>l.<strong>Un</strong> coreligionnaire le croise, l'arrête et lui dit : « La guerresainte, El Djihad, est déclarée ! »Sans hésitation, il revient sur ses pas, il va s'armer, se mêle àune foule qui, comme lui, est prête à tous les gestes homici<strong>de</strong>s. Ilpart, décidé, vers l'orgie et le carnage auxquels il était loin <strong>de</strong>penser le <strong>ma</strong>tin en se levant. Il <strong>de</strong>vient criminel, il <strong>de</strong>vientbourreau. Arrêté, il ne songe même pas à atténuer sa culpabilité. Ilraconte avec calme tous les détails du <strong>drame</strong> dont il a été à la foisl'un <strong>de</strong>s témoins et l'un <strong>de</strong>s auteurs. Il trouve cela naturel, logique.Il n'attend pas <strong>de</strong>s félicitations, on sent que, dans son for intérieur,il se les donne à lui­même.Ajoutons que si on lui avait, après sa déposition, présenté unplacet affir<strong>ma</strong>nt son loyalisme, il l'aurait approuvé, <strong>de</strong> sa signatureou <strong>de</strong> son empreinte digitale, avec la même sérénité qui venait <strong>de</strong>le gui<strong>de</strong>r dans ses déclarations.Et cet exemple est la démonstration d'un état d'âme collectif.Avec regret nous pouvons ajouter que, <strong>de</strong> cet état d'âme noussommes responsables, car il n'a pu se <strong>ma</strong>intenir dans les cœurs,s'affermir, se généraliser que parce que nous sommes restésindifférents à la politique sournoise, à la propagan<strong>de</strong> nocive quel'on peut dénoncer, avec raison sans aucun doute, comme venant<strong>de</strong> très loin, <strong>ma</strong>is dont les fourriers ont été, dans la plupart <strong>de</strong>s caset la plupart <strong>de</strong>s régions, ceux que nous avons élevés parl'instruction, ou la faveur, à <strong>de</strong>s situations sociales qu'ils n'auraientpu atteindre sans nous (1).(1) La mort <strong>de</strong> Mme Devèze a donné lieu, le 4 janvier 1946, a <strong>de</strong>ux condamnations à mort parcontu<strong>ma</strong>ce : Merouche Boudje<strong>ma</strong>a et Ayache Boudria dans une audience où comparaissaientquarante­trois inculpés. Arrêté à nouveau Boudria, a vu sa peine transformée on condamnation auxtravaux forcés à temps, en raison, nous a­t­on dit, <strong>de</strong> son jeune âge...153


UN DRAME ALGERIENLe 6 décembre 1945, on apprenait à Constantine que lesassassins du brigadier forestier Dupont et du gar<strong>de</strong> Morellivenaient <strong>de</strong> comparaître <strong>de</strong>vant le Tribunal militaire, grâce autémoignage d'un exploitant forestier indigène qui se trouvait avecles gar<strong>de</strong>s au moment où ils furent, abattus à coups <strong>de</strong> fusils.L'arrestation <strong>de</strong>s bandits fut opérée par la gendarmerie <strong>de</strong> FedjM'Zala, c'est­à­dire dans cette commune. Il en <strong>ma</strong>nquait trois, enfuite, qui ont été jugés par contu<strong>ma</strong>ce. Ce sont les nommés MérichMBahmed, Mékilef et Kram Taieb. Ont été également condamnésà la peine <strong>de</strong> mort quatre <strong>de</strong>s inculpés arrêtés : HabylèsAb<strong>de</strong>l<strong>ma</strong>djid, Dje<strong>ma</strong>ï Larbi, Teu<strong>ma</strong> Mohamed et Hebache Khelifa.Deux autres accusés se sont vu infliger les travaux forcés àperpétuité. D'autres 20 à 5 ans <strong>de</strong> travaux forcés. Le tribunal aprononcé 5 acquittements.Au cours <strong>de</strong>s débats il a été révélé que les effets d'habillement<strong>de</strong>s <strong>ma</strong>lheureuses victimes avaient été volés avec leurs armes. Lescadavres étaient nus...UN DRAME ALGERIEN<strong>de</strong>s forestiers se serait augmenté <strong>de</strong> plusieurs unités.Ajoutons que le 11 <strong>ma</strong>i, la troupe arrivée aux Béni Siar pourrétablir l'ordre a été reçue à coups <strong>de</strong> mitrailleuses par les insurgés.Il a fallu une opération <strong>de</strong> guerre pour avoir raison <strong>de</strong>s révoltés.A TAMENDJAR M'CID ET BENI F''TAHOn verra plus loin, au chapitre El­Milia, que, prévenus à tempsdu danger qui les menaçait, trois gar<strong>de</strong>s forestiers et leurs famillesont pu s'échapper, par miracle, <strong>de</strong> leur rési<strong>de</strong>nce, et gagner, àtravers la forêt, le centre d'El­Hanser, où une résistance avait étéorganisée.AUX BENI SIARA 19 kilomètres <strong>de</strong> Djidjelli et 14 kilomètres <strong>de</strong> Taher, se trouvele douar <strong>de</strong>s Béni Siar, dépendant <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière communemixte (Taher). Le <strong>ma</strong>ssif forestier <strong>de</strong>s Béni Siar était confié à <strong>de</strong>uxgar<strong>de</strong>s français habitant une <strong>ma</strong>ison forestière.Le 8 <strong>ma</strong>i, ces gar<strong>de</strong>s forestiers et leurs familles s'étaient rendusà Taher, pour participer aux réjouissances publiques et fêter lavictoire. Ils ne purent revenir, le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in, à leur domicile. Ilsapprenaient, en effet, que les Béni Siar s'étaient soulevés et avaientdétruit leur <strong>ma</strong>ison par le feu, après l'avoir pillée. Si les<strong>ma</strong>lheureux Français ne s'étaient pas absentés, le <strong>ma</strong>rtyrologe154155


UN DRAME ALGERIENA EL­MILIASituée, géographiquement, entre Djidjelli et Philippeville, ausud­ouest <strong>de</strong> Collo, la région d'El­Milia a ressenti, comme toutesles régions d'Algérie, le frisson collectif annonçant les gravesévénements <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945.El­Milia est le siège d'une commune mixte, où la colonisation aété installée, il y a une trentaine d'années, et s'est <strong>ma</strong>nifestée, unpeu plus récemment, par la création <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux centres, Catinat etArago, en pleine brousse africaine.Les colons d'El­Milia ont été surtout <strong>de</strong>s colons défricheurs. Ilspeuvent être fiers <strong>de</strong> l'œuvre qu'ils ont accomplie. Grâce à leurexemple, le génie français s'est affirmé sous son véritable caractère: tenace, patient, créateur. Mais le soleil d'Afrique fait fondre lesplus belles énergies, lorsque ces <strong>de</strong>rnières ne sont pas épaulées parune autorité supérieure soucieuse <strong>de</strong> faire respecter l'ordre dansl'équité et la protection du travail. Les colons d'El­Milia s'en vont.Ils disparaissent au fur et à mesure que les garanties d'avenir sont156UN DRAME ALGERIENrefusées à leur labeur et à la sécurité <strong>de</strong> leurs enfants. Toutrécemment, l'un d'eux, habitant une ferme isolée, créée par lui,nous disait : « Je m'étais fixé un programme, dont je n'ai pas dévié<strong>de</strong>puis plusieurs années. Je défrichais, et je plantais tous les ans,150 oliviers ; j'arrête cet effort. A quoi bon continuer ? il nousfaudra partir <strong>de</strong><strong>ma</strong>in. Vous a­t­on dit que nous ne pouvons sortirqu'armés dans nos champs proches <strong>de</strong> nos fermes ? Que lorsquenous allons au <strong>ma</strong>rché du chef­lieu <strong>de</strong> la commune, nousemmenons, par pru<strong>de</strong>nce, notre famille avec nous ? Nous voyonsprendre à l'autorité <strong>de</strong>s mesures telles que nous <strong>de</strong>vons nouspréparer à toutes les surprises. Nous ne sommes ni <strong>de</strong>s héros, ni<strong>de</strong>s lâches. Mais nous ne voulons pas être <strong>de</strong>s impru<strong>de</strong>nts. Pensezvousque nous puissions accepter toujours une telle situation ?Nous gar<strong>de</strong>rons le plus longtemps possible les exploitations quenous avons créées, <strong>ma</strong>is la patience hu<strong>ma</strong>ine a une fin. Nouspartirons à notre tour. Nous doutons que l'on puisse nous trouver<strong>de</strong>s remplaçants qui accepteront <strong>de</strong> traverser les difficultésauxquelles nous avons eu à faire face, dans <strong>de</strong>s régionsparticulièrement déshéritées. Et lorsque nos voisins indigènes, quenous défendions et protégions, à l'occasion, et qui n'ont reçu <strong>de</strong>nous que <strong>de</strong>s bienfaits, seront livrés, <strong>de</strong> nouveau, au libre jeu <strong>de</strong>leurs querelles intestines, la haute administration française pourraapprécier les résultats <strong>de</strong> l'œuvre accomplie par elle. Mais sera­telleencore là pour en juger (1)? »De longues se<strong>ma</strong>ines avant le <strong>drame</strong> du 8 <strong>ma</strong>i, on constatait àEl­Milia <strong>de</strong>s organisations clan<strong>de</strong>stines, qui tendaient ouvertementà prendre la place <strong>de</strong> l'autorité française dans le pays. Enparticulier une organisation judiciaire, renouvelant l'institution <strong>de</strong>stribunaux berbères, fonctionnant en Kabylie, il y a quinze ans et(1) En octobre 1946, il ne restait plus qu'un colon habitant Arago.157


UN DRAME ALGERIENréfor<strong>ma</strong>nt les décisions <strong>de</strong>s tribunaux français.On signalait que, dans chaque mechta ou groupementd'habitations, un juge était désigné pour régler les différends ou lesinci<strong>de</strong>nts se présentant entre musul<strong>ma</strong>ns. Pour le village d'El­Milia, ce juge se nom<strong>ma</strong>it Guellil Mohamed. Pour le villagevoisin, indigène, El Adjonkia, c'était un nommé Lebsir Mohamed..Ces juges n'hésitaient pas à intervenir dans un litige où un Françaisétait intéressé. C'est ainsi que M. P... ne pouvant obtenir lerèglement d'une <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> 600 francs, avait eu la curiosité <strong>de</strong>s'adresser à Guellil Mohamed. Ce <strong>de</strong>rnier avait convoqué ledébiteur indigène. En vingt ­ quatre heures, le créancier étaitdésintéressé. Les fonds avaient été avancés, disait­on, par unecaisse commune, alimentée par <strong>de</strong>s cotisations importantes.On ajoutait que Lebsir Mohamed n'avait pas hésité à faire cetteproposition à <strong>de</strong>s gendarmes : « Lorsque vous aurez <strong>de</strong>scontraintes par corps pour mon village, remettez­les moi. J'enréglerai le montant. » Comme on lui <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndait s'il prêterait sonconcours pour la recherche <strong>de</strong>s insoumis et déserteurs, Lebsiraurait répondu : « Donnez­moi les noms, nous examinerons lescas. »Le groupement qui <strong>ma</strong>ndatait les <strong>ma</strong>gistrats occultes, prêts àremplacer les juges français, lorsque l'autorité changerait <strong>de</strong> <strong>ma</strong>ins,était connu, organisé. Il fonctionnait ouvertement, en vertu <strong>de</strong>notre législation sur la liberté d'association. Ce groupement avait<strong>de</strong>s filiales dans toutes les campagnes <strong>algérien</strong>nes. Il avait, danschaque commune, <strong>de</strong>s centaines d'adhérents. Il avait pris ce titre :Les Amis du Manifeste et <strong>de</strong> la Liberté, et cela résu<strong>ma</strong>it, en peu <strong>de</strong>mots, le programme d'é<strong>ma</strong>ncipation intégrale poursuivi par lesorganisateurs et largement financé par la <strong>ma</strong>sse indigène (1).158UN DRAME ALGERIENA El­Milia, une police indigène était créée et fonctionnait en<strong>ma</strong>intes occasions. Elle intervenait dans les cas <strong>de</strong> disputes,d'ivrognerie, etc. Elle le faisait, d'abord, sans violences, avecdouceur, puis, au besoin, plus énergiquement. Elle obtenait <strong>de</strong>srésultats.Des groupes <strong>de</strong> scouts circulaient dans les rues du chef­lieu <strong>de</strong>la commune. <strong>Un</strong> jour, un défilé a eu lieu à Catinat. Les scoutsobservaient <strong>de</strong>s alignements parfaits. Sur la poitrine, comme unedécoration, ils portaient une inscription arabe qui signifie : « Soisprêt. »On ne se faisait aucune illusion, à El­Milia, sur la portée <strong>de</strong> telspréparatifs. On était bien en présence d'une organisation <strong>de</strong> choc et<strong>de</strong> remplacement, prête à agir au premier signal. Les armesabondaient, dans le bled, et c'étaient <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong> guerre... Elles ysont toujours, du reste.Les mouvements à tendance antifrançaise se sont surtout<strong>ma</strong>nifestés à El­Milia à partir <strong>de</strong> janvier 1945. Chaque vendredi,après la prière du soir, dans un local situé près <strong>de</strong> la mosquée, <strong>de</strong>sréunions, auxquelles assistaient une centaine <strong>de</strong> personnes,entendaient <strong>de</strong>s orateurs locaux. <strong>Un</strong> hymne national indigène surl'Algérie libre était chanté dans ce local appelé « La Me<strong>de</strong>rsa ».Dans une réunion tenue le 10 <strong>ma</strong>rs, il fut annoncé que l'unioncomplète était, désor<strong>ma</strong>is, conclue entre le Parti populaire <strong>algérien</strong>(P.P.A.) les oula<strong>ma</strong>s et les partisans <strong>de</strong> Ferhat Abbas. Et l'onaccla<strong>ma</strong> Ferhat Abbas comme chef régional. C'est alors que secréa la section <strong>de</strong>s Amis du Manifeste qui englobait Taher, Collo etEl­Milia. C'est <strong>de</strong>puis lors que s'affir<strong>ma</strong>it plus particulièrement(1) Les instructions ouvertes, un peu partout, à la suite <strong>de</strong> l'émeute du 8 <strong>ma</strong>i, ont recueilli, avecles listes <strong>de</strong>s adhérents, <strong>de</strong>s témoignages d'après lesquels les fonds étaient adressés au Conseillergénéral Abbas, à <strong>Alger</strong>. C'est sans doute, avec ces fonds que cet élu a acheté l'imprimerie Duroux,constituant pour le parti, un moyen d'action <strong>de</strong> premier ordre.159


UN DRAME ALGERIENl'hostilité <strong>de</strong>s indigènes vis­à­vis <strong>de</strong>s Français et qu'ont eu lieu lesdéfilés <strong>de</strong>s scouts.***Telle était la situation à El­Milia, lorsque se présentèrent lesévénements <strong>de</strong> Sétif et <strong>de</strong> sa banlieue. Le territoire <strong>de</strong> la communed'El­Milia présentait environ 300 Français, éparpillés, noyés dansune <strong>ma</strong>sse <strong>de</strong> 80.000 indigènes. Dès le 9 <strong>ma</strong>i, <strong>de</strong>s nouvellesalar<strong>ma</strong>ntes arrivaient, alertant l'autorité locale. Il fallait aviserd'urgence. Les responsabilités furent rapi<strong>de</strong>ment prises parl'Administrateur, M. Sultana, d'une part, et le chef <strong>de</strong> lagendarmerie, l'adjudant Fortassin, un bon Français, qui s'étaitabsenté quelque temps, pour participer au débarquement enFrance, puis à la reprise <strong>de</strong> Paris sur les Alle<strong>ma</strong>nds. Ce passérécent était, pour tous, une garantie <strong>de</strong>s qualités d'énergie que l'onétait en droit d'attendre du chef <strong>de</strong> la briga<strong>de</strong>.L'Administrateur se chargea lui­même d'aller porter <strong>de</strong>s armeset <strong>de</strong>s instructions aux Français isolés <strong>de</strong> sa commune, notammentdans les villages. La gendarmerie s'occupa, avec quelquesSénégalais, <strong>de</strong> nettoyer le chef­lieu <strong>de</strong> tout élément suspect (1).On sut bientôt que l'émeute <strong>de</strong>vait éclater à El Milia le 11 <strong>ma</strong>i,après la prière du vendredi, vers 14 heures. On était prêt à larecevoir. Les <strong>de</strong>ux partis s'observaient, quand, à 16 heures, arrivaitle renfort d'un tabor <strong>ma</strong>rocain. Le 12 <strong>ma</strong>i, <strong>de</strong>s arrestations avaientlieu. Peu, du reste, l'affaire ayant échoué (2).(1) Par précaution, tontes les familles françaises habitant El Milia, Catinat, Arago, les fermesisolées, les <strong>ma</strong>isons forestières, ont été reçues à la caserne, où se trouvaient quelques Sénégalaissous le com<strong>ma</strong>n<strong>de</strong>ment d'un sous­officier. Ces familles ont couché à la caserne les samedi etdi<strong>ma</strong>nche (12 et 13 <strong>ma</strong>i).(2) L'émeute <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945 a­t­elle échoué en réalité ? On prête à un notable <strong>de</strong> la commune d'ElMilia cette réponse à l'un <strong>de</strong> ses coreligionnaires, qui considérait l'œuvre entreprise comme unefaute aux conséquences graves pour l'avenir : "Tu te trompes, cela a déjà un gros succès. Car lesFrançais n'ont plus qu'un objectif, quitter l'Algérie au plus tôt !.., "160UN DRAME ALGERIENC'est le 12 <strong>ma</strong>i que M. Laugier, inspecteur <strong>de</strong>s Eaux et Forêts,se lançait d'El­Milia en compagnie <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>s, sur la routeforestière <strong>de</strong> Tamendjar, M'Cid, Béni F'tah, pour porter secours àtrois gar<strong>de</strong>s forestiers, menacés par <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s armées arrivant <strong>de</strong>smontagnes.Les sauveteurs se trouvèrent, à un tournant du chemin, en présenced'un barrage, formé par un chêne énorme, abattu sur la chaussée, etdéfendu par <strong>de</strong> nombreux indigènes armés <strong>de</strong> fusils. Le combat seprésentait comme trop inégal. Les Français durent se retirer.A leur retour, ils apprenaient que les agents menacés s'étaient,heureusement, repliés avec leurs familles, par <strong>de</strong>s sentiersforestiers, à El­Hanseur, petite station située à 15 kilomètres d'El­Milia. Ils étaient sauvés...Le 13 <strong>ma</strong>i, la situation était éclaircie ; les <strong>ma</strong>sses mobiliséespour l'émeute rentraient dans les méchtas. Le calme régnait, avecl'inquiétu<strong>de</strong> d'un renouveau toujours possible.Les indigènes inculpés <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> barrica<strong>de</strong>s, il y avaiteu plusieurs barrages sur la route conduisant chez les gar<strong>de</strong>sforestiers, ont été arrêtés, <strong>de</strong>puis, au nombre <strong>de</strong> 22, et condamnés à<strong>de</strong>s peines <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux, trois et cinq ans <strong>de</strong> prison. M. Taïeb, avocat,orateur <strong>de</strong> la Mé<strong>de</strong>rsa, arrêté également et condamné à 2 ans <strong>de</strong>prison, a bientôt été gracié. Son retour à El­Milia a été l'occasiond'une réception triomphale, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s indigènes, qui l'ont élu,le 21 octobre 1945, Conseiller général, à l'unanimité.***Nous avons tenu à citer l'organisation constatée à El­Milia,comme un exemple <strong>de</strong> ce qui s'est passé, visiblement, en <strong>ma</strong>intsendroits, sur le territoire <strong>algérien</strong>. <strong>Un</strong> programme très précis, très161


UN DRAME ALGERIENfouillé dans les détails, avait été prévu. Dans beaucoup d'endroits,notamment dans la région <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, les participants à l'émeuteavaient reçu <strong>de</strong>s missions précises. Tel chef français <strong>de</strong>vait être tuépar un tel, <strong>de</strong> tel groupement. La tuerie collective n'attendait qu'unmot d'ordre pour se déclencher. <strong>Un</strong> <strong>ma</strong>lentendu a, heureusementpour les Français, fait échouer la conspiration, qui aurait puprendre l'ampleur <strong>de</strong> celle enregistrée en Indochine et sur laquellela presse française a gardé, longtemps, le silence. L'avenir dira si, àla faveur <strong>de</strong>s faiblesses officielles, constatées chaque jour, l'affaire<strong>ma</strong>nquée n'est pas partie remise.UN DRAME ALGERIENDANS LA REGION GUELMOISEL'ATTAQUE DE GUELMAJusqu'aux jours tragiques <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945, Guel<strong>ma</strong> était la villeréputée la plus tranquille du département. Soumise aux loisfrançaises avant même la cité constantinoise, elle présentait tousles caractères <strong>de</strong> nos villes <strong>de</strong> province dans la métropole. Lesrelations entre Français et indigènes étaient <strong>de</strong>s plus cordiales. Aupoint <strong>de</strong> vue commercial, Guel<strong>ma</strong> était, pour la région, un centred'approvisionnement. Peu à peu, la colonisation, s'étendant trèsloin dans la banlieue, avait mis en valeur <strong>de</strong>s champs autrefoisincultes, abandonnés à l'envahissement <strong>de</strong>s broussailles et auxrandonnées <strong>de</strong>s ani<strong>ma</strong>ux sauvages. Des nombreux villages,<strong>de</strong>sservis par les routes ouvertes <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> sur Philippeville etBône au Nord, Souk­Ahras et Sédrata au Sud, Constantine àl'Ouest, étaient occupés par <strong>de</strong>s Français et <strong>de</strong>s indigènes vivant entrès bonne intelligence. Les fermes isolées apportaient, dans lepaysage, l'aspect réconfortant et accueillant <strong>de</strong> leurs toits rouges162163


UN DRAME ALGERIENsurgissant <strong>de</strong>s frondaisons arborescentes, agrémentés d'unecouronne <strong>de</strong> verdure. La loi du travail créait partout une émulationqu'avaient encore accentuée les difficultés venues <strong>de</strong> la guerre.<strong>Un</strong>e œuvre a été créée là, fruit <strong>de</strong> plus d'un siècle <strong>de</strong> labeur, <strong>de</strong>volonté tenace, <strong>de</strong> sacrifices librement consentis. C'est cette œuvrequ'une poignée d'agitateurs, élevés dans nos écoles, instruits auxfrais <strong>de</strong> la France, ont rêvé <strong>de</strong> détruire, obéissant à <strong>de</strong>s motsd'ordre ou visant <strong>de</strong>s buts inavouables.L'alerte du 8 <strong>ma</strong>i, à Guel<strong>ma</strong>, surprit d'autant plus que, commepartout, en Afrique du Nord, les cœurs étaient à la joie d'unevictoire non encore officielle, <strong>ma</strong>is annoncée comme définitive etsans appel.Ici, notre tâche est gran<strong>de</strong>ment facilitée par un travail que l'on abien voulu nous communiquer et qui constitue l'état chronologiquedu soulèvement <strong>de</strong> la région guelmoise. Ce document a été établipar le comité <strong>de</strong> vigilance qui s'est institué dans cette région et oùtoutes les classes <strong>de</strong> la société française, tous les partis politiquesse sont soudés dans un but <strong>de</strong> défense commune, en un esprit <strong>de</strong>solidarité et <strong>de</strong> collaboration vraiment touchant.Nous n'avons qu'à transcrire, noir sur blanc, un récit qui est unprocès­verbal <strong>de</strong> constat soigneusement expurgé <strong>de</strong> toute passionet <strong>de</strong> toute exagération, une véritable page d'histoire.Mais qu'il nous soit permis <strong>de</strong> dire, avant d'entrer dans le détail<strong>de</strong>s faits relevés, que la ville <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> a été sauvée grâce àl'entente et à l'action <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux hommes qui ont su, au moment dudanger, galvaniser les énergies françaises qui les entouraient etobtenir ainsi un résultat admirable dans l'effort collectif ayant eufinalement raison <strong>de</strong> la plus abominable <strong>de</strong>s agressions.Nous voulons parler <strong>de</strong> M. le sous­préfet Achiary qui seconduisit comme un chef vraiment digne <strong>de</strong> ce nom et se portasans hésiter aux points les plus dangereux, exposant sa vie pour ladéfense commune.164UN DRAME ALGERIENEt également <strong>de</strong> M. Maubert, le vénéré <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>,membre <strong>de</strong> la municipalité <strong>de</strong>puis trente­cinq ans dont l'autoritéseconda très heureusement les efforts du représentant <strong>de</strong>l'administration.Après un recul <strong>de</strong> plusieurs mois déjà, on est frappé,lorsqu'on est appelé à causer avec <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, <strong>de</strong>l'unanimité <strong>de</strong>s éloges s'adressant à <strong>de</strong>ux hommes qui ont su fairetout leur <strong>de</strong>voir en <strong>de</strong>s journées vraiment tragiques pour la cité.Ceci dit, entrons dans le récit rédigé par le Comité <strong>de</strong> vigilance<strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> pour les journées <strong>de</strong>s 8, 9, 10 et 11 <strong>ma</strong>i 1945.« Les populations étaient <strong>de</strong>puis quarante­huit heures dansl'attente <strong>de</strong>s événements qui se déroulaient en Europe, et sepréparaient à recevoir l'annonce <strong>de</strong> la victoire.« Les anciens combattants, chargés officiellement <strong>de</strong>s fêtes<strong>de</strong>vant célébrer le grand événement, décidaient, pour bien yassocier leurs ca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s musul<strong>ma</strong>ns, <strong>de</strong> faire porter le drapeau <strong>de</strong>leur association par le vice­prési<strong>de</strong>nt indigène : M. BoussouriaA<strong>ma</strong>r.« A l'heure fixée, les cloches et la sirène annonçaient laVictoire.« Il y avait, à ce moment, une gran<strong>de</strong> quantité d'indigènes, tant<strong>de</strong> la ville que <strong>de</strong>s campagnes, réunis sur la place Saint­Augustinet principalement au café Regui.« Vers 15 heures, <strong>de</strong>s enfants musul<strong>ma</strong>ns se rendaient engroupe sur la place <strong>de</strong> l'école, munis <strong>de</strong> petits drapeaux. Ilschantaient l'hymne « Oustania » (1). <strong>Un</strong>e foule d'indigènes, quel'on pouvait évaluer à 500 environ, se joignit à eux, créant <strong>de</strong>sremous inquiétants. Cette première tentative <strong>de</strong> troubler l'ordre(1) Chant national musul<strong>ma</strong>n.165


UN DRAME ALGERIENn'eut pas <strong>de</strong> suite et le calme revint immédiatement.« Quelques instants après, M. le Sous­Préfet arrivait sur laplace Saint­Augustin, ainsi que le service d'ordre militaire, quidirigea la foule <strong>de</strong>s indigènes vers les emplacements qui lui étaientréservés. A partir <strong>de</strong> ce moment, les indigènes commencèrent aquitter les lieux, se rendant vers le haut <strong>de</strong> la ville.« C'était le début <strong>de</strong> la cérémonie officielle et l'on pouvaitre<strong>ma</strong>rquer l'absence presque totale <strong>de</strong>s représentants et <strong>de</strong>snotables musul<strong>ma</strong>ns.« Parmi les anciens combattants, <strong>de</strong>ux seulement étaientprésents : Le vice­prési<strong>de</strong>nt, porteur d'un drapeau, et un autre.« Chez les officiers et les sous­officiers <strong>de</strong> réserve, le portedrapeauseulement. <strong>Un</strong> seul élu : M. Bensaci, adjoint au <strong>ma</strong>ire.Parmi les notabilités musul<strong>ma</strong>nes, M. Dahel Mohamed Lakhdar, lecheik Zouani, le muphti, le bach a<strong>de</strong>l et quelques autres.« La <strong>ma</strong>nifestation se passa dans le calme le plus complet etdans l'enthousiasme <strong>de</strong> toute la population européenne. Le cortègeofficiel prévu se déroulait, dans l'ordre, à travers la ville.« Il venait d'arriver au point <strong>de</strong> dislocation lorsque,brusquement, monta <strong>de</strong> la rue Medjez­A<strong>ma</strong>r, une <strong>ma</strong>nifestationd'indigènes composée d'au moins 1.000 individus porteurs <strong>de</strong>pancartes et <strong>de</strong> ban<strong>de</strong>roles sur lesquelles on pouvait lire : Vive ladémocratie ! A bas l'impérialisme ! libérez Messali ! Vive l'Algérieindépendante ! A bas le communisme !« M. le Sous­Préfet, qui se trouvait sur la place, en compagniedu <strong>ma</strong>ire et <strong>de</strong>s autorités, se porta au­<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>nifestation,qu'il réussit à rejoindre rue Victor­Bernès, à hauteur du <strong>ma</strong>gasin« Azzaroé ».« Les premiers rangs <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>nifestants, comprenant surtout la<strong>jeunesse</strong> indigène <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, hurlaient le chant nationaliste, nevoulant rien entendre <strong>de</strong>s paroles <strong>de</strong> sagesse et d'apaisement <strong>de</strong>166UN DRAME ALGERIENM. le Sous­Préfet et du <strong>ma</strong>ire, M. le Sous­Préfet leur rappelantnotamment qu'il les avait conviés à participer à la cérémoniecommune et regrettait que son appel n'ait pas été entendu. « Lesagents du service d'ordre et <strong>de</strong> la gendarmerie étaient arrivés surles lieux. <strong>Un</strong>e poussée profon<strong>de</strong> essaya <strong>de</strong> débor<strong>de</strong>r lespersonnalités européennes et <strong>ma</strong>lgré une intervention <strong>de</strong>M. Fauqueux, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Combat, bouscula le sous­préfet, le<strong>ma</strong>ire et les autres personnalités. Des coups furent portés.« A cet instant, débouchant du café Croce, un indigène, arméd'une énorme <strong>ma</strong>traque, allait, par <strong>de</strong>rrière, assaillir le sous­préfet,qui ne fut épargné que par l'intervention <strong>de</strong>s personnes quil'entouraient.« <strong>Un</strong> coup <strong>de</strong> feu claqua <strong>de</strong> la foule <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>nifestants. Les forces<strong>de</strong> police, commençant à être débordées, ripostèrent en tirant àblanc, puis en l'air. En voyant <strong>de</strong>s blessés dans le service d'ordre(<strong>de</strong>ux agents, <strong>de</strong>ux gendarmes et l'inspecteur <strong>de</strong> la Sûreté), ellescontinuèrent à tir réel.« Après un moment <strong>de</strong> lutte, les <strong>ma</strong>nifestants furent rejetés versle théâtre antique, la rue Saint­Augustin et la rue d'Announa.« Dans la soirée, les autorités prenaient les mesures <strong>de</strong> sécuritéqui s'imposaient : fermeture <strong>de</strong>s cafés, couvre­feu à 21 heures,circulation interdite, carrefours gardés par l'armée, arrestation <strong>de</strong>smeneurs.« A noter qu'en <strong>de</strong>hors du bal public annoncé pour 21 h. 30, lecafé Régui avait prévu l'organisation d'une soirée dansante dans lessous­sols <strong>de</strong> l'établissement, à laquelle auraient été invitées lesautorités civiles et militaires. A la faveur <strong>de</strong>s événements, ce projetétait, a notre avis, <strong>de</strong>stiné à priver <strong>de</strong> leurs chefs toutes lesorganisations <strong>de</strong> la ville, ces personnalités se trouvant, <strong>de</strong> ce fait,isolées dans un lieu où il eût été facile à une poignée d'individus,167


UN DRAME ALGERIENprêts à tout, <strong>de</strong> les tenir à leur merci.« Le mercredi 9 <strong>ma</strong>i, <strong>de</strong>s hor<strong>de</strong>s d'indigènes sont signalées dansles environs. Le <strong>ma</strong>tin, vers 9 heures, la gendarmerie barre la routeà une ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> 500 à 700 émeutiers armés d'armes diverses, ycompris <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong> guerre, route <strong>de</strong> Constantine, vers labriqueterie. Les gendarmes, assaillis, ripostent en battant enretraite vers leur voiture. De nombreux <strong>ma</strong>nifestants semblenttouchés.« A onze heures, le sous­préfet convoque MM. Champ,prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s Anciens Combattants, Garrimel, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> laFrance combattante, et Cheylan, secrétaire <strong>de</strong> l'<strong>Un</strong>ion locale <strong>de</strong>sSyndicats (1) ainsi que le colonel com<strong>ma</strong>ndant d'armes et lecommissaire <strong>de</strong> police. Il était décidé, à la suite <strong>de</strong> la réunion, <strong>de</strong>constituer une milice civile, pour apporter son concours aux forces<strong>de</strong> police pressées <strong>de</strong> toutes parts.« La presque totalité <strong>de</strong> la population française guelmoisevenait se faire inscrire et, en fin <strong>de</strong> soirée, la Milice se voyaitconfier la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s points sensibles, qui ne pouvaient être tenuspar l'armée, en raison <strong>de</strong> ses faibles effectifs, c'est­à­dire : la citéindigène, la porte <strong>de</strong> Constantine, le carrefour du ciné<strong>ma</strong>, lecarrefour du monument aux morts, le quartier <strong>de</strong>s H.B.M., enfinles patrouilles constantes, tant diurnes que nocturnes.« L'après­midi, une colonne <strong>de</strong> 4 à 500 émeutiers armésmontait le ravin venant <strong>de</strong> Millésimo et bordant la route <strong>de</strong>Guel<strong>ma</strong>. <strong>Un</strong>e patrouille <strong>de</strong> gendarmerie s'oppose à leur action auxenvirons <strong>de</strong> la ferme Cheyrol. Après échange <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> feu, lesémeutiers se replient, laissant quelques victimes.« L'après­midi, toujours vers le cimetière <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, <strong>de</strong>scolonnes d'assaillants armés tentent encore d'investir la ville. Ils(1) M. Cheylan a participé à la défense <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>. Il a été <strong>de</strong> ce chef rayé <strong>de</strong> la C.G.T. dYdger.Ses ca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s français <strong>de</strong> la section locale se sont solidarisés avec lui en une éloquente affir<strong>ma</strong>tion.168UN DRAME ALGERIENsont contenus par les tirailleurs et les gendarmes; munis d'armesauto<strong>ma</strong>tiques.« Dans la soirée, l'action salutaire <strong>de</strong> l'aviation parbombar<strong>de</strong>ments et mitraillages dirigés contre <strong>de</strong> nombreuxgroupes entourant la ville fait <strong>de</strong>s dégâts dans les rangs <strong>de</strong>sémeutiers.« Vers le soir et jusqu'à 23 heures, <strong>de</strong>s camions montés par <strong>de</strong>smiliciens partaient dégager le village <strong>de</strong> Petit et ramener lapopulation.« <strong>Un</strong> véhicule se dirigeant sur Bled Gaffar avec <strong>de</strong>s gendarmeset <strong>de</strong>s miliciens était stoppé au 9e kilomètre, avant la fermeDubois, où <strong>de</strong>s hor<strong>de</strong>s excitées, décharnées, ne voulurent rienentendre aux paroles <strong>de</strong> sagesse <strong>de</strong> l'adjudant­chef Cantais, luirépondant :Nous acceptons <strong>de</strong> mourir pour notre cause et notre foi. Levéhicule dut faire <strong>de</strong>mi­tour sans livrer combat, se trouvant dansun état trop grand d'infériorité (1).« Il fallut attendre l'arrivée <strong>de</strong>s renforts militaires en blindéspour aller dégager, les jours suivants, les villages <strong>de</strong> Bled Gaffar,Lapaine, Keller<strong>ma</strong>nn, Gallieni, Gounod.« Le jeudi 10 <strong>ma</strong>i, à Millésimo et à Petit, les tirailleurs, lesSénégalais et les gendarmes entrent plusieurs fois en action.« Dans la vallée <strong>de</strong> la Seybouse et immédiatement au­<strong>de</strong>ssus du<strong>ma</strong>rché aux bestiaux, l'aviation, à plusieurs reprises, bombar<strong>de</strong> etmitraille les points qui entourent la ville et sont occupés par lesagresseurs.« Diverses actions, moins importantes, ont pu avoir lieu,notamment lors <strong>de</strong>s sorties effectuées par les forces <strong>de</strong> policeciviles ou militaires qui se dévouaient pour aller dégager certainesfermes ou <strong>de</strong>s villages.(1) Nous donnons plus loin <strong>de</strong>s détails sur la belle défense <strong>de</strong> la ferme Dubois.169


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIEN« Pendant les trois premiers jours <strong>de</strong>s événements, l'ordre et lasécurité ont donc été assurés en ville et, autant qu'il a été possible,dans la région, par la coordination <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> police, <strong>de</strong> lagendarmerie, <strong>de</strong> l'armée et <strong>de</strong> la milice civique, à l'entièresatisfaction <strong>de</strong> tous. »LA VERITE SUR L'INSURRECTIONUN DOCUMENTC'est bien à une insurrection que la région <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> a dû faireface, ayant le même caractère que les faits insurrectionnels qui sesont produits à Sétif et dans la banlieue.Le mot d'émeute traduit <strong>ma</strong>l, en effet, l'effort <strong>ma</strong>ssif, collectif,auquel nous avons assisté. Ce mot n'a qu'une excuse : tenter <strong>de</strong>minimiser l'importance du mouvement traduisant en actiondéchaînée la politique <strong>de</strong> haine entretenue contre la France <strong>de</strong>puisplusieurs années, au su et au vu <strong>de</strong> tous les pouvoirs publics qui sesont succédés en Afrique du Nord.Les Français d'Algérie se sont vus brusquement engagés dansune action <strong>de</strong> guerre longuement préparée et préméditée,savamment organisée, et qui n'a <strong>ma</strong>nqué son but que par suited'inci<strong>de</strong>nts inattendus. Le but poursuivi n'étant pas atteint, oncherche aujourd'hui à donner une fausse interprétation ausoulèvement du 8 <strong>ma</strong>i, on trompe ouvertement, par <strong>de</strong>s mensonges170171


UN DRAME ALGERIENflagrants, l'opinion publique en France. On invoque la faim, l'état<strong>de</strong> misère <strong>de</strong>s révoltés, on dénonce les victimes françaises commeles organisateurs <strong>de</strong> l'émeute : autant <strong>de</strong> contre­vérités impu<strong>de</strong>ntesqui ne trouvent pas <strong>de</strong> démentis suffisants dans la métropole,laquelle, <strong>de</strong> bonne foi, condamne <strong>de</strong>s Français, frappés parce qu'ilsreprésentaient la France dans un pays qui est, géographiquement,politiquement, historiquement, la suprême espérance <strong>de</strong> notrePatrie dans l'avenir.Mensonges impu<strong>de</strong>nts, disons­nous, et nous pouvons apporterau débat qui s'ouvrira <strong>de</strong><strong>ma</strong>in (1), trop tard peut­être, pour la causefrançaise, <strong>de</strong> nombreux documents.En voici un, démonstratif au possible, qui é<strong>ma</strong>ne d'uneassociation apparentée jusqu'à ce jour aux auteurs <strong>de</strong>s traitsprovocateurs appuyant, en France et en Algérie, les menéesantifrançaises.A Guel<strong>ma</strong>, comme dans toutes les villes françaises existent <strong>de</strong>spartis avancés qui, comme tous les partis, comprennent <strong>de</strong>s agitéset <strong>de</strong>s braves gens. Ces partis avancés organisent <strong>de</strong>s syndicats quisont <strong>de</strong>s centres <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> où les indigènes sont admis avecempressement.<strong>Un</strong> bureau d'<strong>Un</strong>ion locale <strong>de</strong> ces partis groupe plusieurssyndicats : les P.T.T., les cheminots, les employés communaux, lepersonnel civil <strong>de</strong> la guerre, tous fervents a<strong>de</strong>ptes <strong>de</strong> la C.G.T. Enprésence <strong>de</strong> la gravité <strong>de</strong>s événements, le bureau a pris part, auxcôtés <strong>de</strong>s autorités constituées, à la défense <strong>de</strong> la ville. Cela lui aété vivement reproché par le Comité général extraordinaire duparti, qui a traité son action d'« activité antisyndicaliste etdangereuse ».L'<strong>Un</strong>ion locale a riposté, et <strong>de</strong> façon <strong>ma</strong>gistrale, par un rapportqui accuse à la fois une hauteur <strong>de</strong> vues et un patriotisme dignesUN DRAME ALGERIENd'être cités en exemple. <strong>Un</strong> tel document a sa place ici. Il doit êtrecité in extenso. Il constitue un procès­verbal <strong>de</strong> constat en mêmetemps qu'une page d'Histoire. En voici le texte, émouvant <strong>de</strong>franchise et <strong>de</strong> simplicité.ANALYSE DES FAITS« 1° Avant l'insurrection. — Depuis quelques mois le milieusyndicaliste musul<strong>ma</strong>n, qui comprenait la <strong>ma</strong>jorité <strong>de</strong>s adhérentsdans tous les syndicats <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> et sa région, montrait unehostilité très <strong>ma</strong>rquée à l'égard <strong>de</strong>s éléments européens dusyndicalisme. La plus petite revendication, l'inci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> travail leplus insignifiant étaient grossis et déformés intentionnellement parles musul<strong>ma</strong>ns, dans un but <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> antifrançaise d'abord etsurtout pour en arriver à déconsidérer les responsables ou lesmembres européens <strong>de</strong>s différents syndicats. La dé<strong>ma</strong>gogie la plusgrossière et la surenchère se donnaient libre cours et ellessemblaient nettement être la conséquence <strong>de</strong> directives reçues <strong>de</strong>milieux nationalistes. Certains musul<strong>ma</strong>ns qui étaient jusque làrestés fidèles à la cause française adoptèrent même une attitu<strong>de</strong>suspecte qui dénotait la naissance d'un courant profond, d'unevéritable folie collective, qui allaient tout emporter. Dans les<strong>de</strong>rniers jours qui précédèrent les événements, l'arrogance était àson comble et les provocations se succédaient sans cesse ; la lutteétait ouvertement engagée. Sur certains visages on lisait une haineféroce qui allait pouvoir s'assouvir, tandis que d'autres affichaientun sourire entendu qui présageait une explosion très proche : « Çava changer », tel était le slogan en vogue. La conclusion quetiraient les Européens, en général, <strong>de</strong> cette situation et <strong>de</strong> cet étatd'esprit était que les musul<strong>ma</strong>ns comme les Européens attendaient,(1) Ces lignes ont été écrites en décembre 1945,172173


UN DRAME ALGERIENcertes, <strong>de</strong> la victoire toute proche une certaine amélioration <strong>de</strong>leurs conditions <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> travail, en un mot, une vie meilleure,une place plus gran<strong>de</strong> dans la nation unie et fraternelle qui allaitêtre enfantée par cette gran<strong>de</strong> victoire.« Cependant, certains indices qui ne trompaient pas attestaientque la <strong>ma</strong>sse syndicaliste musul<strong>ma</strong>ne ne suivait plus les principesque le syndicalisme défendait, <strong>ma</strong>is se détachait <strong>de</strong> son idéal et serepliait sur un terrain purement nationaliste qui, seul, résoudraittous les problèmes en suspens. Pour les responsables locaux dusyndicalisme, la situation était considérée comme très grave,compte rendu <strong>de</strong> ce que les groupements politiques ou corporatifsperdaient sans cesse la confiance <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>sse pour en arriver à êtreaccusés <strong>de</strong> trahison.« L'annonce <strong>de</strong> la victoire fut accueillie sans joie chez lestravailleurs musul<strong>ma</strong>ns. La fièvre qui précè<strong>de</strong> le combat se<strong>ma</strong>nifestait chez la plupart d'entre eux. La gran<strong>de</strong> croisa<strong>de</strong> allait,en effet, commencer. Le 7 <strong>ma</strong>i à 17 h. 30, dès que la nouvelleofficielle fut connue, à la surprise générale, <strong>de</strong>s musul<strong>ma</strong>ns segroupèrent sur la place Saint­Augustin ; les principaux meneursnationalistes étaient présents, les travailleurs européens étaientdéjà noyautés et le désir perçait déjà chez les musul<strong>ma</strong>ns <strong>de</strong> fêterla victoire. Ce désir, assez inattendu, était, pour le moins, suspect.En accord avec M. le Sous­Préfet, la <strong>ma</strong>nifestation fut remise aulen<strong>de</strong><strong>ma</strong>in 17 heures, c'est­à­dire à l'annonce officielle <strong>de</strong> lavictoire. Cette décision ne fut pas du goût <strong>de</strong>s travailleursmusul<strong>ma</strong>ns et surtout <strong>de</strong>s meneurs. »« 2° L'insurrection. L'insurrection est latente dès 17 heures, le 8<strong>ma</strong>i. Elle couve et elle se traduit par un <strong>ma</strong>laise général. Lestravailleurs musul<strong>ma</strong>ns sont absents en totalité, dans les rangs <strong>de</strong>la C.G.T. au moment <strong>de</strong>s discours officiels.174UN DRAME ALGERIENLes quelques « égarés » qui ne connaissent pas encore le motd'ordre d'insurrection, sont avertis par <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> liaison et levi<strong>de</strong> se fait, total, au <strong>de</strong>rnier discours qui est celui du sous­préfet.Grosse déception dans nos rangs. Le cortège se forme etcommence à défiler dans certaines rues <strong>de</strong> la ville. Quelquesmeneurs s'infiltrent dans le cortège et surveillent le déroulement <strong>de</strong>la <strong>ma</strong>nifestation. Aucun inci<strong>de</strong>nt ne se produit, le cortège, joyeux,passe dans la ville arabe déserte.« La <strong>ma</strong>nifestation est terminée, le sous­préfet remercie toute lapopulation. A cette minute même, un troupeau comprenant 1500personnes environ, <strong>ma</strong>rchant en rangs serrés, débouche à touteallure <strong>de</strong> la rue Medjez­A<strong>ma</strong>r, se dirige vers la rue Saint­Augustin,déployant <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>roles et faisant entendre <strong>de</strong>s chantsnationalistes. Le cortège est arrêté me Victor­Bernes. Tous lessyndicats sont largement représentés. Les travailleurs musul<strong>ma</strong>nssont bien reconnaissables avec leurs vêtements bleus <strong>de</strong> travail quileur ont été récemment distribués. Leur attitu<strong>de</strong> estparticulièrement re<strong>ma</strong>rquée. Ils ne prêchent pas le calme comme ilse doit, <strong>ma</strong>is tentent <strong>de</strong> forcer les barrages <strong>de</strong> police. Les<strong>ma</strong>nifestants sont dispersés après un échange <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> feu.« Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in 9 <strong>ma</strong>i, à 12 heures, les responsables <strong>de</strong> laC.G.T. tentent <strong>de</strong> se mettre en rapport avec les élémentsmusul<strong>ma</strong>ns du syndicalisme, <strong>ma</strong>is ceux­ci sont sourds ouintrouvables. Certains considèrent même les événements <strong>de</strong> laveille comme une provocation <strong>de</strong>s Français. A 14 h. 30, lesmusul<strong>ma</strong>ns surveillent les Européens. Ils observent leurs réactionset semblent même noter ceux qui se mettent à la disposition <strong>de</strong>l'autorité civile pour <strong>ma</strong>intenir l'ordre public. Aucune offre <strong>de</strong>collaboration ou d'apaisement <strong>de</strong>s esprits n'est enregistrée dans lemilieu syndicaliste musul<strong>ma</strong>n. L'arrogance et les commentairessont à leur comble.175


UN DRAME ALGERIEN« L'insurrection paraît pourtant imminente à l'intérieur <strong>de</strong> laville. De l'extérieur, nous arrivent <strong>de</strong>s nouvelles alar<strong>ma</strong>ntes : lesattroupements sont nombreux autour <strong>de</strong> la ville, <strong>de</strong>s Français ontété assassinés. Les lignes téléphoniques et les voies ferrées sontcoupées, les routes barrées et les ponts sautés, la guerre sainte estdéclenchée. Le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> chaque Français est clair, il faut lutter.Tous les travailleurs français sont présents à leurs postes <strong>de</strong>combat. Les travailleurs musul<strong>ma</strong>ns, par contre, sont sourds etmuets.« <strong>Un</strong> jour plein d'angoisse s'écoule. Les combats continuentautour <strong>de</strong> la ville avec la même violence. La ville est encerclée.Aucune preuve <strong>de</strong> loyalisme, n'est faite par <strong>de</strong>s syndicalistesmusul<strong>ma</strong>ns. Les arrestations commencent, le milieu syndicalisteest fortement touché par ces mesures ; les cheminots ont la plusgran<strong>de</strong> place, viennent ensuite les services civils <strong>de</strong> la guerre, lesPonts et Chaussées, les ouvriers agricoles ; les chefs <strong>de</strong>l'insurrection sont presque tous <strong>de</strong>s syndicalistes et les plus lettréset évolués <strong>de</strong> ce milieu. Les troupes <strong>de</strong> choc comprennentévi<strong>de</strong>mment les <strong>ma</strong>sses frustes et parmi celles­ci certains membres<strong>de</strong>s différents syndicats. La trahison est totale ou presque.« Le 4e jour <strong>de</strong> l'insurrection, une dizaine <strong>de</strong> syndicalistesviennent se faire inscrire comme loyalistes. Sans commentaire.Cependant, il est à constater que les syndicats du personnel <strong>de</strong>stransports routiers, <strong>de</strong>s employés communaux <strong>de</strong> l'oued Cherf et<strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> ont fait preuve d'un bon état d'esprit, notamment leca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong> Mokhnachi, secrétaire du syndicat <strong>de</strong>s employéscommunaux <strong>de</strong> l'oued Cherf.« Il est a re<strong>ma</strong>rquer également que certains ouvriers agricolesmusul<strong>ma</strong>ns non syndiqués ont sauvé leurs patrons ou se sont jointsà eux pour assurer leur défense. »176UN DRAME ALGERIEN« 3° Après l'insurrection. — Le milieu syndicaliste musul<strong>ma</strong>nreste sur sa position. La guerre n'est pas terminée et l'hostilité estsour<strong>de</strong>. La peur semble <strong>ma</strong>intenant s'être emparée <strong>de</strong> certainséléments trompés par les meneurs <strong>ma</strong>is cette peur n'est pas,comme on serait tenté <strong>de</strong> le supposer, le commencement <strong>de</strong> lasagesse. Les conciliabules par petits groupes continuent, lesinscriptions sur les murs continuent, sur l'urinoir <strong>de</strong> la gareégalement. « Vous pouvez détruire l'Algérie, vous ne détruirez pasl'islamisme » ; croix gammées sur différents murs <strong>de</strong> la ville, etc.« Le problème reste entier. Le nationalisme vit encore. Quesera l'avenir ? Les événements sont encore trop récents pourconclure. Cependant, il est à penser que les musul<strong>ma</strong>ns nousobservent et nous jugent, en ce moment, à nos actes et à la foi quenous avons dans le triomphe <strong>de</strong> l'esprit français dans ce pays. Ilfaut donc que sur tous les terrains et notamment sur celui dusyndicalisme, la vérité, toute la vérité reprenne ses droits afin ques'affirme, dans l'union, un idéal corporatif nouveau débarrassé <strong>de</strong>toute dé<strong>ma</strong>gogie et duquel seront extirpés tous les miasmes <strong>de</strong> laguerre sainte antifrançaise et tous les nationalistes qui, dans l'étatactuel, ont détruit, à Guel<strong>ma</strong> et dans la région, le sens et l'espritmême du syndicalisme. »CONSIDERATIONS GENERALES« L'insurrection sanglante n'a, du point <strong>de</strong> vue syndicalisme,aucun rapport avec la légen<strong>de</strong> d'un complot faciste, et il n'existe,d'autre part, aucune corrélation entre les insurgés et les« <strong>ma</strong>rcheurs <strong>de</strong> la faim » ou les foules conscientes pleines <strong>de</strong> foiqui partaient à la conquête d'un avenir meilleur tant économiqueque politique et social. Les insurgés, armés <strong>de</strong> fusils, <strong>de</strong> haches, <strong>de</strong>serpes et <strong>de</strong> pioches, fanatisés par une longue campagne177


UN DRAME ALGERIENd'excitation faite sous le couvert <strong>de</strong> la religion par le P.P. A. et les« Amis du Manifeste », ne visaient qu'un seul but : Détruire laFrance dans ce pays en exterminant tous les éléments nonmusul<strong>ma</strong>ns.« Ces troupes d'émeutiers étaient composées <strong>de</strong> tous lesmusul<strong>ma</strong>ns, du plus riche au plus pauvre, du <strong>de</strong>mi­intellectuel àl'ignorant, <strong>de</strong> l'athée au fanatique religieux en passant par lesyndicaliste, le petit bourgeois, l'ancien combattant, l'élu, le scoutet le sportif.« La quasi­unanimité <strong>de</strong>s musul<strong>ma</strong>ns s'est donc réalisée contretout ce qui est français, contre toutes les organisations patriotiques,politiques, corporatives ou autres, qui, à différents titres,représentaient un idéal qui n'est pas le leur.« D'où venaient les insurgés ? De la ville <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> d'abord,où les conditions <strong>de</strong> la vie et le ravitaillement local étaientparticulièrement favorables et où la misère n'avait pas fait sonapparition. Les nombreuses perquisitions opérées dans leshabitations <strong>de</strong>s musul<strong>ma</strong>ns ont permis <strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong>s quantitéstrès importantes <strong>de</strong> blé, <strong>de</strong> farine, <strong>de</strong> semoule, d'huile et toutessortes <strong>de</strong> <strong>de</strong>nrées alimentaires.« Les insurgés venant <strong>de</strong>s environs <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> <strong>de</strong>scendaient <strong>de</strong>shauteurs surplombant la ville (Gounod, Lapaine, Petit, Millésimo,Héliopolis, Guelâat­Bou­Sba, Gallieni, Keller<strong>ma</strong>n, Clauzel,Durenbourg). Toutes ces contrées, très riches, assuraient une viefacile et paisible aussi bien aux Européens qu'aux musul<strong>ma</strong>ns. Lanature, riante et prospère, <strong>ma</strong>lgré le cataclysme qui vient <strong>de</strong>l'en<strong>de</strong>uiller et <strong>de</strong> détruire une partie <strong>de</strong> sa vie, semble adresser unnouvel appel à l'homme qui retourne vers elle, un appel à la vie età la paix. Dans toutes ces régions, les fermes et les villageseuropéens sont détruits, les habitations pillées. Les conduites d'eaudétruites par endroits alors que les fermes et les mechtas <strong>de</strong>smusul<strong>ma</strong>ns, à flanc <strong>de</strong> coteaux, ou sur <strong>de</strong>s pitons ou <strong>de</strong>s hauteurs,178UN DRAME ALGERIENavec leurs terres emblavées, leurs jardins verdoyants, sourientencore au soleil du printemps.« Les insurgés sont donc partis <strong>de</strong> ces régions riches où lamisère non plus n'avait pas fait son apparition, où les stocks <strong>de</strong> blé,par centaines <strong>de</strong> quintaux, d'huile, <strong>de</strong> tissus en ballots, etc., ont étéretrouvés après la fuite <strong>de</strong>s émeutiers en dissi<strong>de</strong>nce. Tous cescroisés d'une époque nouvelle avaient revêtu leur tenue <strong>de</strong> para<strong>de</strong>,ils avaient dans leurs rangs toutes les couches <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ssemusul<strong>ma</strong>ne : du gros terrien au khamès, <strong>de</strong> l'affranchi au fanatiquereligieux, jusqu'au <strong>ma</strong>rabout et à l'ancien militaire qui dirigeait lesopérations du point <strong>de</strong> vue stratégique.« Il est donc avéré que les tristes événements qui viennent <strong>de</strong> sedérouler n'ont rien d'une explosion soudaine provoquée par lesconditions économiques du temps présent. Aucune revendicationparticulière, aucun désir spécial n'ont conduit les insurgés verscette sauvagerie inconnue <strong>de</strong>puis les temps les plus reculés <strong>de</strong> lapacification <strong>de</strong> l'Algérie. Seulement la guerre sainte a galvanisétous ces hommes pour un combat qui dépasse le cadre dusyndicalisme et vise purement et simplement à bouter hors <strong>de</strong>l'Algérie, par le crime et par la plus gran<strong>de</strong> sauvagerie, tous lesEuropéens qui vivent sur son sol.« Il appartient <strong>ma</strong>intenant à tous les Français <strong>de</strong> dégager pourl'avenir un enseignement qui leur soit profitable. La force et la foifrançaises re<strong>de</strong>viennent nécessaires avec, comme corollaire, lajustice, une justice clairvoyante, sereine, <strong>ma</strong>is impitoyable, quisaura aller jusqu'aux sources mêmes du <strong>ma</strong>l pour assainir l'opinionmusul<strong>ma</strong>ne et reconstruire ensuite une union indispensable entretous les Français d'origine et différentes, y compris lesmusul<strong>ma</strong>ns.La France, au cours d'une longue histoire, a vu toujours, <strong>ma</strong>lgrétous les écueils rencontrés <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles, sur les chemins <strong>de</strong> sa179


UN DRAME ALGERIENgran<strong>de</strong>ur, renaître et s'affirmer un idéal <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> fraternité.« Les Français d'Algérie lui font confiance pour les remè<strong>de</strong>s àapporter aune situation qui, si elle n'était pas comprise,constituerait à brève échéance, la perte <strong>de</strong>s trois départements<strong>algérien</strong>s et, partant, la fin <strong>de</strong> l'Afrique du Nord française.« <strong>Un</strong> impérieux <strong>de</strong>voir s'impose à tous les Français : dire lavérité quoiqu'il puisse en coûter aux fils <strong>de</strong> ceux qui ont donné aumon<strong>de</strong> les plus grands principes hu<strong>ma</strong>ins <strong>de</strong> liberté, <strong>de</strong> justice et<strong>de</strong> fraternité. Il faut réfléchir et reconsidérer nos positionspolitiques et économiques respectives vis­à­vis <strong>de</strong>s musul<strong>ma</strong>ns. Ilest urgent <strong>de</strong> s'arrêter un instant et <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r l'avenir en face. Entoute objectivité, les guerres <strong>de</strong> religion ne sont plus <strong>de</strong> notreépoque. La pensée française et la République, <strong>de</strong>puis centcinquante ans, les ont condamnées irrémédiablement.« La tâche primordiale qui s'offre à nous, avant <strong>de</strong> reprendrenotre <strong>ma</strong>rche vers la lumière, vers la cité future, est <strong>de</strong> combattresur cette terre d'Algérie le fanatisme religieux musul<strong>ma</strong>n, danstous les do<strong>ma</strong>ines et partout où il continue à se <strong>ma</strong>nifester. Plustard, les musul<strong>ma</strong>ns nous en sauront gré, et sous les plis dudrapeau tricolore en Algérie, une France nouvelle renaîtra plusbelle et plus généreuse dans la concor<strong>de</strong> et la paix bienfaisantesqui profiteront à tous les Algériens.« Il nous sera possible alors <strong>de</strong> fêter la Victoire du 8 <strong>ma</strong>i 1945.Elle sera notre Victoire <strong>algérien</strong>ne, en tous points comparable à lagran<strong>de</strong> Victoire sur le nazisme. La civilisation aura enfin triomphé<strong>de</strong> la barbarie.« Ce rapport a été adopté à l'unanimité par tous lesresponsables et adhérents <strong>de</strong>s syndicats constituant l'<strong>Un</strong>ion locale<strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> dans la séance du 20 juin 1945. »UN DRAME ALGERIENVoilà un fait nouveau dans l'histoire <strong>de</strong>s partis avancés opéranten ce moment en Afrique du Nord. Soulignons simplement cetavertissement éloquent donné par <strong>de</strong>s participants d'une petite ville<strong>de</strong> province <strong>algérien</strong>ne, dont le témoignage apporte un jet <strong>de</strong>lumière sur l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s autochtones dans nos luttes sociales.Les hommes qui observent <strong>de</strong>puis quelque temps lesévénements politiques au sud <strong>de</strong> la Méditerranée n'ont pas <strong>ma</strong>nquéd'observer l'engouement avec lequel les musul<strong>ma</strong>ns, serviteurs <strong>de</strong>la religion la plus absolue et la plus intransigeante qui soit, ont liépartie avec les groupes les plus avancés et les plus libertaires <strong>de</strong>France.« Les communistes, disait­on, cherchent à « noyauter lesArabes ». D'autres répondaient : « En réalité ce sont les Arabes quivont noyauter les communistes. » Et les <strong>de</strong>ux versions sontaujourd'hui justifiées. Les chefs <strong>de</strong> ban<strong>de</strong>s organisées pour assurerle <strong>ma</strong>ssacre <strong>de</strong>s Français <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> sans distinction <strong>de</strong> partisétaient <strong>de</strong>s ouvriers indigènes adhérents <strong>de</strong> la C.G.T. et bienreconnaissables aux « bleus » qui leur avaient été récemmentdistribués par le bureau <strong>de</strong> la Section locale. Ils exécutaient laconsigne donnée par le P.P.A. et les « Amis du Manifeste » contretous les Français sans exception, y compris les ca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s <strong>de</strong> laveille... »A Guel<strong>ma</strong> comme à Sétif, tout ce qui était français d'origine<strong>de</strong>vait être exécuté.180181


UN DRAME ALGERIENDANS LA COMMUNE DE PETITLe village <strong>de</strong> Petit (1) fut un chef­lieu <strong>de</strong> canton <strong>de</strong>l'arrondissement <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>. Il offre la <strong>de</strong>uxième gare du chemin<strong>de</strong> fer partant <strong>de</strong> cette ville en direction <strong>de</strong> Bône. Pour s'y installer,la colonisation a dû, d'abord, dénicher la brousse qui envahissait larégion, Elle y a trouvé <strong>de</strong> nombreux oléastres qui, dégagés <strong>de</strong> lavégétation qui les étouffait, forment aujourd'hui <strong>de</strong> bellesoliveraies, dont la production est réputée. Création française quiapporte aux populations autochtones <strong>de</strong>s revenus appréciables, parune exploitation dont on aura une idée lorsqu'on aura constaté quela seule cueillette <strong>de</strong>s olives est rétribuée par le partage <strong>de</strong> larécolte, soit 50 % pour le cueilleur, en beaucoup d'endroits.Petit et les fermes qui l'entourent <strong>de</strong>vaient, par leur proximité <strong>de</strong>(1) Le centre <strong>de</strong> Petit doit son nom à un soldat au courage légendaire : le colonel Petit, tombéhéroïquement à la prise <strong>de</strong> Zaateha. le 9 octobre 1849. Le centre est aujourd'hui rattaché au cantond'Héliopolis.182UN DRAME ALGERIENGuel<strong>ma</strong>, recevoir les vagues d'insurgés refoulées <strong>de</strong> cette ville.Le refoulement n'avait, sans aucun doute, pas été prévu par lesorganisateurs <strong>de</strong> l'émeute, l'envahissement <strong>de</strong> la banlieue <strong>de</strong>vantsuivre, simplement, la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> agglomérationprincipale. La campagne ne <strong>de</strong>vait recevoir l'assaut qu'après la<strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la ville. L'échec <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>nifestation du 8 <strong>ma</strong>i, à 17heures, dérangea le plan prévu, <strong>ma</strong>is le reflux obligé, <strong>de</strong>vant larésistance organisée grâce à l'énergie du sous­préfet, jeta un peu <strong>de</strong>confusion parmi les rebelles. Il en résulta un retard dans l'actionconcertée, le programme arrêté.Les contigents mobilisés dans la banlieue <strong>de</strong> Sédrata nerecevant pas le signal <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, un certainflottement se produisit. La victoire totale, rapi<strong>de</strong> et facile,annoncée par les promoteurs ne s'étant pas produite, <strong>de</strong>smécontentements se <strong>ma</strong>nifestèrent. Les groupes arrivant à Guel<strong>ma</strong>dans la <strong>ma</strong>tinée du 9 et trouvant la ville calme, conclurent à latrahison et rebroussèrent chemin. C'est surtout à ces groupes, nousa­t­on dit, qu'il faut attribuer les assassinats <strong>de</strong> Français isolésrencontrés en chemin. Quand ils étaient en nombre, ils n'hésitaientpas à attaquer les fermes avec violence et continuité.On lira plus loin le récit du siège soutenu par le colon Dubois etsa famille.Avant d'arriver à Bled Gaffar, qui fait partie <strong>de</strong> la commune <strong>de</strong>Petit, se trouve la ferme Poggi. Elle fut abordée par une hor<strong>de</strong>menaçante. Le gar<strong>de</strong> indigène sauva le gérant en se mettant entravers <strong>de</strong> la porte et déclarant qu'on le tuerait avant d'entrer dansla <strong>ma</strong>ison. Il finit par se faire obéir ; le flot passa.Plus loin, était la ferme Bezzina Dominique. C'est à coups <strong>de</strong>hache que les émeutiers attaquèrent l'immeuble. La porte était près<strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r. Le colon, grâce aux trous formés par les éclats <strong>de</strong> boisarrachés, reconnut plusieurs <strong>de</strong> ses agresseurs. Il les interpellait,183


UN DRAME ALGERIENles appelant par leurs noms :— Je ne vous ai fait que du bien, que me voulez­vous ?Il venait <strong>de</strong> faire fuir sa femme, ses enfants, un vieux grandpère,par le jardin, dans les fourrés voisins et cherchait à gagner dutemps. Il ne <strong>de</strong>vait pas tar<strong>de</strong>r à succomber. <strong>Un</strong> coup <strong>de</strong> hachel'abattit lorsque la porte détruite put livrer passage auxassassins (1).Sa famille dut passer la nuit dans le <strong>ma</strong>quis et ne fut délivréeque dans la journée du 10.Le 9 au soir, on ignorait tout du <strong>drame</strong> <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, à quelqueskilomètres <strong>de</strong> la ville.C'est ainsi que le fermier Gaucci Antoine se promenait envoiture avec un Italien, prisonnier <strong>de</strong> guerre qui lui avait étéconfié. Les indigènes racontent qu'un groupe s'est approché ducabriolet, disant à Gaucci : « Descends ! on va te tuer. » Il aprotesté, il n'avait fait <strong>de</strong> <strong>ma</strong>l à personne, les Arabes étaient sesamis, etc. Quelques­uns répondirent : « C'est vrai, tu peux t'enaller. »Mais un vieux intervint : « Le Coran a dit que tous ceux quiportent un chapeau doivent disparaître <strong>de</strong> la terre. C'est la loi duprophète ! » Et les <strong>de</strong>ux hommes furent tués. Gaucci était lelocataire du do<strong>ma</strong>ine du Zemzouna, sis à 2 kilomètres <strong>de</strong> Petit. Il aété abattu sur la propriété, avec son employé, à coups <strong>de</strong> feu. Leprisonnier <strong>de</strong> guerre fut presque scalpé par un coup <strong>de</strong> serpe quelui fendit le crâne horizontalement d'arrière en avant. Les <strong>de</strong>uxhommes étaient sans armes et, par suite, sans défense (2).(1) Deux <strong>de</strong>s assassins du.colon Bozzina ont été condamnés à mort par le tribunal militaire <strong>de</strong>Constantine. Ils se nomment Amira Salah et Fedaha A<strong>ma</strong>r (7 décembre 1945). Il n'y a pas eud'exécutions.(2) Le 21 septembre 1946, les assassins <strong>de</strong> M. Gaucci Antoine et du prisonnier Baali Paolo ontcomparu <strong>de</strong>vant le tribunal militaire : douze inculpés <strong>de</strong> pillage et <strong>de</strong> meurtre. On a enregistré unecondamnation à mort par contu<strong>ma</strong>ce, cinq acquittements et <strong>de</strong>s peines <strong>de</strong> prison. Le 5 octobresuivant, quatre prévenus ont été acquittés.184UN DRAME ALGERIENPuis ce fut Vella, qui venait d'être démobilisé et qui était enpromena<strong>de</strong> sur la route avec <strong>de</strong>ux jeunes filles. Vella futbrusquement assailli et tué à coups <strong>de</strong> fusil. Il eut le ventre ouvertlittéralement. Les jeunes femmes, affolées, prirent la fuite. Ellesfurent rattrapées et violées par une dizaine <strong>de</strong> bandits.Sa<strong>ma</strong>ti était coiffeur à <strong>Alger</strong>. Il était arrivé au village <strong>de</strong>puishuit ou dix jours. Il était allé au bord <strong>de</strong> la rivière pour pêcher. Ilfut abordé et tué à coups <strong>de</strong> boussaadi.A la ferme <strong>de</strong> M. Prunetti, à 10 kilomètres <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, setrouvaient les époux Winschel en qualité <strong>de</strong> métayers. Le 9 <strong>ma</strong>i,vers 15 heures, ils étaient agressés et tués. Le personnel indigèneétait attaché à la ferme <strong>de</strong>puis plusieurs années. Certains ouvriers<strong>de</strong>puis vingt ans. Aucun d'eux n'a prévenu les gérants ou lepropriétaire <strong>de</strong> la menace qui pesait sur la région. 5 prisonniersitaliens, à la première alerte, ont abandonné les métayers. Ils ontpris la fuite vers Guel<strong>ma</strong> Ils disent qu'ils ont été arrêtés puisrelâchés sur cette observation d'un chef qu'ils n'étaient pasfrançais (2).Au village <strong>de</strong> Petit, huit <strong>ma</strong>isons ont été complètementdévalisées. Elles furent facilement ouvertes. On recherchait surtoutles étoffes et le linge. Tout fut enlevé, même les ri<strong>de</strong>aux <strong>de</strong>sfenêtres. Quelques bris <strong>de</strong> meubles. Mais les bestiaux et les grainsn'ont pas été touchés.« J'ai l'impression, nous écrit un ami, à la suite <strong>de</strong>s confi<strong>de</strong>ncesqui m'ont été faites, que les biens et le cheptel ont été respectés à lasuite d'un mot d'ordre donné dans la conviction que cela serviraitaux successeurs <strong>de</strong>s Français, dès que ceux­ci seraientdéfinitivement chassés. »(2) Le 4 septembre 1946, 1e Tribunal militaire avait à connaître <strong>de</strong> l'assassinat <strong>de</strong>s épouxWinschel. Sept accusés pour meurtre, un inculpé pour vol comparaissaient <strong>de</strong>vant ce Tribunal.L'affaire a été renvoyée, l'un <strong>de</strong>s inculpés ayant été arrêté la veille et l'instruction <strong>de</strong>vant êtrecomplétée.185


UN DRAME ALGERIENL'ATTAQUEDE LA FERME SAINT­CLAUDEA BLED GAFFARSur la route qui assure la liaison entre Guel<strong>ma</strong> et Sédrata, versle Sud, se trouve un mo<strong>de</strong>ste hameau qui a nom Bled Gaffar, et quiest situé à 8 kilomètres <strong>de</strong> Petit, chef­lieu <strong>de</strong> la commune, et à 13kilomètres <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, siège <strong>de</strong> la sous­préfecture.Avant d'arriver au hameau et tout près <strong>de</strong> la route, côté gaucheen venant <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, exactement à 10 kms 500, est une jolieferme française, bien tenue, créée par une famille <strong>de</strong> colons, dontle chef est M. Louis Dubois, âgé <strong>de</strong> 76 ans, ancien <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> lacommune et jouissant <strong>de</strong> l'estime <strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> toute la région,indigènes compris.M. Dubois vit là, bien tranquille, entouré <strong>de</strong> ses enfants ; un filsd'une quarantaine d'années et <strong>de</strong>ux filles, tous trois nés sur lapropriété. C'est le père <strong>de</strong> Louis Dubois qui a créé l'exploitation, etcela remonte loin dans le passé. La première ferme était plusreculée dans les terres, près d'un ravin hanté par la fièvre.186UN DRAME ALGERIENDes raisons d'hygiène et <strong>de</strong> facilité <strong>de</strong> transports ont décidé lepropriétaire actuel à se rapprocher <strong>de</strong> la route, en construisant uneinstallation plus confortable.C'est là que le vieux père compte finir ses jours et jouit, avecles siens, très légitimement d'un effort <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> soixante ans, caril fut, il peut bien le dire, un ouvrier <strong>de</strong> la première heure dans lebled perdu où il assista, tout jeune, aux débuts <strong>de</strong> la colonisationfrançaise.<strong>Un</strong>e ombre <strong>de</strong> tristesse plane sur la ferme Saint­Clau<strong>de</strong> ; MmeDubois, la <strong>ma</strong><strong>ma</strong>n vénérée, faite <strong>de</strong> dévouement et <strong>de</strong> bonté, estmorte en 1939, succombant à la peine et aux accès répétés dupaludisme. Elle repose dans le cimetière <strong>de</strong> Petit. Elle appartenaità une famille française <strong>de</strong> Bourgogne. Elle était une catholiquefervente, comme son <strong>ma</strong>ri et ses enfants.Les débuts ont été durs pour M. Dubois, comme pour tous lescolons d'Algérie. Beaucoup <strong>de</strong> ses voisins ont disparu. Il a eu lachance <strong>de</strong> résister à l'hostilité <strong>de</strong>s hommes s'ajoutant parfois àl'hostilité du cli<strong>ma</strong>t. Il serait, somme toute, heureux <strong>de</strong> son sort,n'étaient les petites attaques sournoises <strong>de</strong> l'âge, qui diminuent sesfacultés physiques, en laissant cependant intactes ses facultésintellectuelles, qu'il exerce en donnant d'ultimes conseils à ceuxqui le remplaceront un jour sur le terroir dont il a fait — il en estfier à juste titre — un coin <strong>de</strong> terre française, avec ses oliviers, seschamps <strong>de</strong> céréales, ses prairies, prélevés peu à peu sur la brousseinhospitalière.Il a dressé un personnel indigène qui fait assez bonnecontenance, en qui il a confiance, avec les réserves qu'il fauttoujours donner à ce mot, au milieu d'une population qui a <strong>de</strong>squalités, <strong>ma</strong>is présente aussi <strong>de</strong>s défauts <strong>de</strong> versatilité aussiinattendus qu'inexplicables. M. Dubois n'avait pas <strong>ma</strong>nqué, <strong>de</strong>puis<strong>de</strong> longs mois, <strong>de</strong> re<strong>ma</strong>rquer la propagan<strong>de</strong> inquiétante qui, peu àpeu, s'insinuait dans les milieux indigènes <strong>de</strong> la région. Par les187


UN DRAME ALGERIENamis, par les visiteurs qui s'arrêtaient à sa ferme, par lesconversations qu'il surprenait autour <strong>de</strong> lui, il était au courantd'inci<strong>de</strong>nts paraissant anodins, <strong>ma</strong>is dont la signification et lagravité ne pouvaient échapper au vieil Algérien. Mais il savait queles Pouvoirs publics étaient alertés, que les briga<strong>de</strong>s <strong>de</strong>gendarmerie, les chefs <strong>de</strong>s municipalités, dans les communesmixtes et les communes <strong>de</strong> plein exercice, le sous­préfet lui­mêmeavaient tenu les chefs responsables au courant <strong>de</strong>s événements,c'est­à­dire <strong>de</strong>s réunions, <strong>de</strong>s distributions <strong>de</strong> tracts, <strong>de</strong>s allées etvenues <strong>de</strong> personnages suspects prenant, avec le milieuautochtone, <strong>de</strong>s contacts aussi mystérieux que fréquents.A la réflexion, il se disait que l'on en avait bien vu d'autres dansle passé, que du moment que l'autorité connaissait la situation,toutes les mesures utiles avaient dû être prises pour assurer lasécurité.Et, du reste, s'agissait­il bien <strong>de</strong> sécurité menacée ? Dans lesmouvements insolites qu'il constatait, il n'y avait peut­être pasautre chose qu'une préparation aux prochaines élections. Par unedécision que le vieux colon n'arrivait pas à s'expliquer, on avaitdécidé d'inscrire sur les listes électorales françaises, <strong>de</strong> nombreuxindigènes <strong>de</strong>vant former à brève échéance une <strong>ma</strong>jorité. C'étaitcertainement l'espérance <strong>de</strong> cette <strong>ma</strong>jorité, c'est­à­dire leremplacement <strong>de</strong> l'autorité française dans le bled, que visaient les<strong>ma</strong>nœuvres inaccoutumées et <strong>de</strong>venues <strong>de</strong> plus en plus fréquentesauxquelles on assistait dans les campagnes. Et contre cela, quepouvait­on faire, sinon attendre la catastrophe prévue ?L'accoutu<strong>ma</strong>nce aux dangers courus finit par provoquer <strong>de</strong>l'indifférence et une sorte d'atonie.Les Pouvoirs publics étant prévenus, les avertissements affluantdans les bureaux du gouvernement général, tout <strong>de</strong>vait être prêtUN DRAME ALGERIENpour la réaction nécessaire. On pouvait dormir tranquille.Et puis, en cas d'alerte, il y avait la tour, un petit bastioncoiffant un angle <strong>de</strong> la ferme, auquel on accédait parlesappartements, ce qui pouvait permettre d'attendre du secours quine tar<strong>de</strong>rait pas à arriver.Ce bastion datait d'une dizaine d'années. Fantaisie du colon àl'esprit <strong>de</strong> qui s'était souvent posé le problème <strong>de</strong> l'isolement.Fantaisie qui, tout simplement, entrait dans le do<strong>ma</strong>ine <strong>de</strong> la réalitéet atteignait son but, à échéance lointaine, en préservant d'un<strong>ma</strong>ssacre certain une famille <strong>de</strong> quatre bons Français. Le 8 <strong>ma</strong>i ausoir, on ignorait à la ferme Saint­Clau<strong>de</strong>, le <strong>drame</strong> qui,brusquement, venait d'éclater à Guel<strong>ma</strong>. Le 9 <strong>ma</strong>i au <strong>ma</strong>tin, lafamille Dubois eut la surprise <strong>de</strong> voir la bonne, une filletteindigène, rappelée en toute hâte dans sa famille et quitterbrusquement la <strong>ma</strong>ison, tout travail cessant, sans autre explication.Le repas <strong>de</strong> midi se passa nor<strong>ma</strong>lement. Puis le vieux père se retiradans sa chambre, au premier étage, pour faire sa sieste journalière.Le silence était absolu. Les fenêtres <strong>de</strong> l'habitation avaient leursvolets clos pour éviter la communication <strong>de</strong> la chaleur extérieureavec l'intérieur. Le vieux colon s'endormit rapi<strong>de</strong>ment.Vers 13 heures il est réveillé par une fusilla<strong>de</strong> nourrie. Sapremière impression est que l'on tire sur la <strong>ma</strong>ison. Il s'habille enhâte et va ouvrir avec précaution une persienne <strong>de</strong> la tour d'angle,dont les ouvertures com<strong>ma</strong>n<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> la ferme, enparticulier la faça<strong>de</strong> principale, parallèle à la route qui passe à unetrentaine <strong>de</strong> mètres.Il aperçoit, tout près, <strong>de</strong>s guetteurs armés, et il ferme en hâte lafenêtre. A peine avait­il accompli ce geste qu'il recevait, à traversla persienne, une balle blindée qui lui effleurait l'arca<strong>de</strong> sourcilièredroite, en provoquant une assez forte hémorragie. Ses enfants188189


UN DRAME ALGERIENaccourus se hâtaient d'appliquer un pansement sur la blessure,heureusement peu grave.Et le duel, impitoyable et tragique, commença entre les quatreFrançais enfermés dans leur <strong>ma</strong>ison, en plein bled, et plusieurscentaines d'assaillants accourus <strong>de</strong> toutes parts et s'augmentantrapi<strong>de</strong>ment d'unités nouvelles. Il <strong>de</strong>vait durer sept heures,..Sept longues heures pendant lesquelles les assiégés <strong>de</strong>vaientsurveiller toutes les issues <strong>de</strong> l'immeuble qui les abritait, <strong>de</strong>vaientse déplacer <strong>de</strong> la tour au grenier et aux diverges pièces <strong>de</strong>l'appartement. Ils ne disposaient que <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux fusils, <strong>ma</strong>niés par lepère et le fils, qui tiraient à travers les persiennes, les volets oumême la porte d'entrée lorsqu'ils se sentaient trop pressés par leflot <strong>de</strong>s assaillants, que M. Dubois esti<strong>ma</strong>it à plus <strong>de</strong> millecombattants.On sut plus tard, que, rendus furieux par une résistance qu'ilsn'avaient pas prévue, les émeutiers avaient arrêté sur la route uncamion conduit par un indigène et lui avaient enjoint <strong>de</strong> revenir àGuel<strong>ma</strong> et <strong>de</strong> leur apporter <strong>de</strong> l'essence en quantité, à n'importequel prix, pour en finir par le feu avec la ferme Saint­Clau<strong>de</strong>.Or, le conducteur était un Français, revêtu d'un burnous etparlant l'arabe couramment. Il se hâta d'obéir et <strong>de</strong> rebrousserchemin.— Achète même à 1.000 francs le litre !... lui criaient lesrévoltés comme il dé<strong>ma</strong>rrait pour le retour.C'est ainsi que Guel<strong>ma</strong> fut averti du danger couru par les bravescolons et que le sous­préfet, M. Achiary, se hâta d'organiser lessecours.Par <strong>de</strong>ux fois, <strong>de</strong>s volontaires français quittèrent Guel<strong>ma</strong> pouratteindre la propriété assiégée. Ils durent rebrousser chemin enconstatant l'importance <strong>de</strong>s effectifs <strong>de</strong>s rebelles. La nuit gagnant,il ne fallait plus songer à une nouvelle expédition. Du reste, le190UN DRAME ALGERIENchef­lieu <strong>de</strong> l'arrondissement avait fort à faire pour parer à lasituation. Vers 19 heures, M. Dubois père, du grenier dominant lepremier étage, aperçoit un indigène inspectant les ouverturesdonnant sur la faça<strong>de</strong> nord <strong>de</strong> la ferme. C'était le côté faible <strong>de</strong>l'habitation. Et le danger <strong>de</strong>vait s'accentuer si une attaque seproduisait par là.Posément, le colon envoya quelques chevrotines sur l'audacieuxémissaire qui, atteint à la face, s'écroula pour ne plus se relever (1).La situation était momentanément sauvée.A partir <strong>de</strong> ce moment, les agresseurs s'éloignèrentprogressivement <strong>de</strong>s bâtiments. Ils se contentèrent <strong>de</strong> guetter <strong>de</strong>loin et les coups <strong>de</strong> feu cessèrent peu à peu.La nuit vint. On <strong>de</strong>vine les conditions dans lesquelles elle sepassa pour les assiégés, s'attendant à chaque instant à une surprise.Dans l'obscurité, cherchant à expliquer le moindre bruit venantdu <strong>de</strong>hors, chacun d'eux se <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndait comment allait se terminerla sanglante odyssée. Allait­on en arriver au corps à corps ? Lepère allait­il voir supplicier <strong>de</strong>vant lui ses enfants, suprêmeexpression <strong>de</strong> son affection <strong>de</strong> vieillard ? Ces enfants pourraientilsdéfendre jusqu'au bout le chef vénéré pour lequel ils étaientprêts à tous les sacrifices ? Des scènes d'horreur, contées autrefoispar <strong>de</strong>s parents disparus, hantaient l'esprit <strong>de</strong>s quatre Françaislivrés aux hasards d'une lutte sans merci.Seuls les hurlements <strong>de</strong> chiens kabyles se faisaient entendre.Leur écho, proche ou lointain, perçait le silence inquiétants'étendant sur toute la campagne.La nuit fut cependant relativement calme, et le jour fat saluéavec joie par la famille toujours aux aguets.(1) Ou a su plus tard que l'émeutier, blessé seulement, avait pu rejoindre, <strong>de</strong> nuit, la route, oùune camionnette le transporta à Sedrata. Là il osa porter plainte, affirme­t­on, comme victime d'uneagression. Fouillé, il fut trouvé porteur du texte du <strong>ma</strong>nifeste.191


UN DRAME ALGERIENCe n'est qu'à 18 h. 30, dans l'après­midi du 10 <strong>ma</strong>i, après trenteheures <strong>de</strong> lutte, d'alertes et d'émotions, que M. Dubois et sesenfants virent arriver sur la route <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> <strong>de</strong>s chenillettes etcamions, montés par <strong>de</strong>s volontaires venant porter secours auvillage <strong>de</strong> Bled Gaffar. Les voitures arrivaient <strong>de</strong> Sousse, enTunisie. Bien qu'exténués par un long voyage, les conducteursn'avaient pas hésité à repartir, sans retard, <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>.La ferme Saint­Clau<strong>de</strong> était sauvée. Tout au moins sesoccupants.Les domestiques indigènes, qui avaient disparu peu avant lesiège commencé la veille, revenaient, rapi<strong>de</strong>ment. L'autoritémilitaire exigeant l'évacuation <strong>de</strong> la famille française, c'est à cesdomestiques que fut confiée l'exploitation.— Ne pouvant nous défendre — nous dit plus tardM. Dubois — ils avaient, somme toute, bien agi en se sauvant.Ces hommes firent <strong>de</strong> leur mieux, sans doute, <strong>ma</strong>is ne purentempêcher l'enlèvement <strong>de</strong> 400.000 francs <strong>de</strong> bétail qui fut retrouvéen gran<strong>de</strong> partie, quelques jours après, à Gounod, village situé à 32kilomètres <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>.Lorsque M. Dubois et ses enfants purent reprendre contact avecleur do<strong>ma</strong>ine et faire l'inventaire <strong>de</strong>s pertes <strong>ma</strong>térielles subies, ilsconstatèrent que les réparations nécessaires aux immeubles (bris<strong>de</strong> portes et fenêtres), les pertes représentées par le fourrage, leblé, l'avoine détruits sur pied et le bétail non retrouvé, atteignaientun total <strong>de</strong> 70.000 francs.Ils ne se plaignent pas, lorsqu'ils songent aux dangers auxquelsils ont échappé. Ce qu'ils ne disent pas — ce que tout le mon<strong>de</strong> ditpour eux — c'est qu'ils ont été les grands artisans du miracle quiles a sauvés.C'est à leur courage, à leur ténacité, aux qualités bien françaisesUN DRAME ALGERIENdont ils ont fait preuve, qu'ils doivent d'avoir échappé à la mort et,sans aucun doute, au <strong>ma</strong>rtyre qui les attendait.Ce qui montre bien l'acharnement déployé par les agresseursdans l'assaut <strong>de</strong> la ferme Saint­Clau<strong>de</strong>, c'est le chiffe <strong>de</strong>s mortsretrouvés sur place ou accusé par les émeutiers : 12 hommes ontété abattus par les assiégés au cours du combat qui a duré septheures, dit­on dans les douars. Morts ou blessés ? On ne peutpréciser. <strong>Un</strong> silence collectif protège tous les coupables.192193


UN DRAME ALGERIENDANS LA COMMUNE MIXTEDE LA SÉFIAA VILLARSVillars est un joli village situé à 12 kilomètres du chef­lieu <strong>de</strong> lacommune mixte <strong>de</strong> la Séfia : Laverdure. Le centre est doté d'unegendarmerie. Situé en pleine région forestière et d'altitu<strong>de</strong>, il estassez isolé <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>. Ce qui explique que le 10 <strong>ma</strong>i, au <strong>ma</strong>tin,les habitants français <strong>de</strong> Villars ignoraient tout du <strong>drame</strong> quivenait, <strong>de</strong>ux jours durant, d'ensanglanter la cité et la banlieueguelmoises.Ce n'est qu'à Laverdure, où il s'était rendu pour affaire <strong>de</strong>service, que l'adjoint spécial <strong>de</strong> Villars, M. Degoul, apprit, enconfi<strong>de</strong>nce, que la situation <strong>de</strong> la région inspirait <strong>de</strong>s inquiétu<strong>de</strong>s.Ce colon se hâta <strong>de</strong> rentrer chez lui. Il était, du reste, chef adjoint<strong>de</strong> la défense passive <strong>de</strong> son village. A son arrivée, un Européen,se rendant au <strong>ma</strong>rché du Ham<strong>ma</strong>m, lui dit qu'il avait dû faire <strong>de</strong>mitour<strong>de</strong>vant un rassemblement d'indigènes paraissant excités.M. Degoul se rendit à la gendarmerie et obtint qu'une194UN DRAME ALGERIENdistribution d'armes soit faite aux civils français <strong>de</strong> Villars.L'opération terminée, l'adjoint spécial, accompagné d'un ami,rejoignit sa ferme en auto. Les 3 km. 500 qu'il avait à franchir lefurent rapi<strong>de</strong>ment. Il était midi, Mme Degoul avait préparé ledéjeuner. On se mit à table.M. Degoul était plutôt rassuré. On était bien inquiet, dans lepays, à la suite <strong>de</strong> petits inci<strong>de</strong>nts qui paraissaient significatifs,<strong>ma</strong>is, d'un état d'insécurité auquel on était habitué, à déduire unemenace <strong>de</strong> révolte collective brusquée, il y avait une <strong>ma</strong>rge quisoutenait <strong>ma</strong>l la discussion. Il convenait surtout <strong>de</strong> se méfier <strong>de</strong>stendances à l'exagération.Le déjeuner était à peine commencé qu'un ouvrier indigène <strong>de</strong>la ferme se présenta et, en termes pressants, avertissait le colonqu'une <strong>ma</strong>sse <strong>de</strong> gens agités et armés s'avançait dans l'exploitationpour donner l'assaut aux bâtiments. M. Degoul envoyaimmédiatement chercher la femme et la belle­mère <strong>de</strong> son gérantmobilisé, qui habitaient une ferme voisine à 500 mètres. Les <strong>de</strong>uxfemmes, Mme Degoul, ses <strong>de</strong>ux filles et un tout petit­fils dont lepère était aux armées, l'ami <strong>de</strong> M. Degoul et ce <strong>de</strong>rnier se tassaientdans l'auto, tant bien que <strong>ma</strong>l. Comme la voiture dé<strong>ma</strong>rrait, on vitles émeutiers se rapprochant <strong>de</strong>s bâtiments.A un croisement <strong>de</strong> routes, un peu avant l'arrivée à Villars, les5 femmes, le bébé et les 2 hommes furent l'objet d'une fusilla<strong>de</strong>nourrie. L'auto reçut 2 balles,4 chevrotines allèrent se loger dans un pneu qui fat rapi<strong>de</strong>menthors d'usage. Malgré cela on put atteindre le village. Tous leshabitants du bourg et les colons qui avaient pu rejoindre s'étaientréfugiés à la gendarmerie. Femmes et enfants mis en sécurité, aumoins provisoire, on organisait la défense.Sous la conduite <strong>de</strong>s gendarmes, les Français se postèrent en<strong>de</strong>mi­cercle, couvrant le réduit défensif.195


UN DRAME ALGERIENLes émeutiers arrivaient rapi<strong>de</strong>ment. Ils se groupaient entre 300et 500 mètres <strong>de</strong> là, attendant d'être en nombre pour donnerl'assaut. Les plus hardis commencèrent à tirer. Les Français étaientbien armés. Ils ripostèrent ; quelques assaillants tombèrent.Le téléphone n'étant pas coupé, la gendarmerie envoya un appelpour obtenir du renfort. Le nombre <strong>de</strong>s assaillants paraissaitatteindre le chiffre <strong>de</strong> 3.000 révoltés. La situation <strong>de</strong>venaitangoissante lorsque, vers 18 heures, on vit arriver un escadronblindé qui, se rendant à Guel<strong>ma</strong>, avait fait un crochet sur Villars.Le village était sauvé. Il y avait là, en effet, <strong>de</strong>ux 75 et d'autresvoitures avec mitrailleuses. Aux premiers obus, les émeutiersdisparurent. Ces éléments blindés arrivaient <strong>de</strong> Tunisie.La place étant nettoyée, les civils et les militaires partirent avecles voitures pour débloquer une ferme appartenant à M. Luzet etdont on était sans nouvelles.Lorsque M. Degoul put rejoindre sa ferme, accompagné d'unbrave gendarme, une partie <strong>de</strong>s émeutiers finissait <strong>de</strong> piller lesbâtiments. Entendant le bruit d'une auto, ils crurent avoir affaireavec les blindés militaires. Ils prirent la fuite. M. Degoul étaitinquiet sur le sort <strong>de</strong> 4 prisonniers italiens travaillant surl'exploitation. Ils étaient in<strong>de</strong>mnes grâce à la protection <strong>de</strong>quelques ouvriers <strong>de</strong> la ferme. Du reste, en général, les prisonniersitaliens ont été respectés : ils n'étaient pas français.Dans les logements et les <strong>ma</strong>gasins, tout avait été dévasté. Il nerestait plus rien. L'immeuble lui­même était inhabitable. Lesécuries étaient vi<strong>de</strong>s. Mulets et chevaux, qui étaient au travail aumoment <strong>de</strong> l'insurrection, avaient été pris pour emporter le butin.Les émeutiers avaient menacé certains ouvriers pour avoirprévenu leurs patrons et leur avoir ainsi permis d'échapper au<strong>ma</strong>ssacre projeté.UN DRAME ALGERIENLa population <strong>de</strong> Villars passa huit jours à l'abri <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> lagendarmerie. Des visites irrégulières <strong>de</strong> voitures blindéesassuraient la liaison avec le <strong>de</strong>hors. Puis les colons ont réintégréleurs <strong>de</strong>meures.M. Degoul essaie <strong>de</strong> réparer sa ferme. Mais il ne peut seprocurer <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>tériaux, en particulier <strong>de</strong>s planches. <strong>Un</strong>e partie <strong>de</strong>sa récolte en fourrages et céréales a été piétinée par les révoltés.Devant les réactions <strong>de</strong> la troupe, ses bêtes, relâchées par lesvoleurs, ont repris le chemin <strong>de</strong> l'exploitation.<strong>Un</strong>e certaine partie du linge et <strong>de</strong>s vêtements volés a étéapportée par le fils d'un <strong>ma</strong>rabout qui, avant le <strong>drame</strong>, distribuait àses coreligionnaires <strong>de</strong>s cartes d'adhérents aux Amis du Manifesteet cherche <strong>de</strong>puis à se réhabiliter. M. Degoul ayant refusé d'assisterà un repas offert par le <strong>ma</strong>rabout, les restitutions ont brusquementcessé. <strong>Un</strong> caïd, cependant, a rapporté quelques effets. Quand àl'argenterie, aux ustensiles <strong>de</strong> cuisine, ils ne sont pas revenus.Des enquêteurs passent dans le pays pour se renseigner. Ilscherchent les relations qu'il pourrait bien y avoir entre les émeuteset la politique <strong>de</strong> Vichy. Le plus fort, c'est que parfois, ils entrouvent...A Villars, comme partout, on fait l'éloge du sous­préfet,M. Achiary, dont les efforts ont réussi à réduire au minimum lesconséquences <strong>de</strong> la révolte dans la région.196197


UN DRAME ALGERIENLA MORT D'UN COLONNous avons à relater, ici, la mort horrible réservée à un jeunecolon qui fut le gendre d'un homme estimé <strong>de</strong> tous dans la région :M. Luzet.On a bien voulu nous communiquer une lettre écrite par la<strong>ma</strong>lheureuse veuve du colon Halbe<strong>de</strong>l, document évoquant lesdétails atroces <strong>de</strong> la scène qui a ensanglanté une ferme isolée, oùse débattaient en vain un ménage français et une fillette <strong>de</strong> 7 ans.Le <strong>ma</strong>tin du <strong>drame</strong>, la ferme gérée par M. Halbe<strong>de</strong>l étaittranquille, comme à l'ordinaire. Le personnel accomplissait latâche coutumière sans que rien puisse faire prévoir la scènetragique qui allait avoir lieu. Le temps était au beau : une journée<strong>de</strong> printemps.A 8 heures, ayant fait le tour du propriétaire dans les écuries etles <strong>ma</strong>gasins, André Halbe<strong>de</strong>l fait atteler son cheval et part envoiture à la ferme voisine, dont il a la surveillance, qui appartientégalement à son beau­père, et que l'on a coutume d'appeler encore,par une vieille habitu<strong>de</strong>, la ferme Boijol. Il va chercher <strong>de</strong> la198UN DRAME ALGERIENnourriture à distribuer a ses khamès.Il avait terminé ce qu'il avait à faire ; il se préparait à repartirlorsqu'un indigène s'approche <strong>de</strong> lui et, en confi<strong>de</strong>nce, lui dit quece qui se passe est <strong>ma</strong>uvais, qu'il ne <strong>de</strong>vrait plus retourner chez lui,<strong>ma</strong>is partir au village où il serait en sécurité.— Mais, objecte le jeune français, il faut que j'aille chercher <strong>ma</strong>femme et <strong>ma</strong> petite fille !— Ne fais pas cela ! insiste l'ouvrier. Elles ne craignent rien. Ilsne leur feront pas <strong>de</strong> <strong>ma</strong>l. Mais toi, pars tout <strong>de</strong> suite au village, etvite !Halbe<strong>de</strong>l ne voit qu'une chose : sa femme et sa fille en danger.Résolument, il saute dans sa voiture et va rejoindre sa famille pourl'emmener avec lui, L'avertissement qu'il vient <strong>de</strong> recevoir nesaurait l'étonner. Depuis longtemps, on sent dans le pays unetension anor<strong>ma</strong>le <strong>de</strong>s esprits. Il ne faut s'effrayer <strong>de</strong> rien, <strong>ma</strong>iss'attendre à tout.Et le colon presse son cheval. Il lui tar<strong>de</strong> d'arriver à Sekaka, telest le nom <strong>de</strong> son exploitation. Il arrive à quelques mètres <strong>de</strong> laferme. Il reçoit une grêle <strong>de</strong> pierres lancées par une centained'indigènes qui se trouvent là, en proie à une excitation très vive.Le cheval s'affole. Le conducteur saute à terre et, prenant la bêtepar la bri<strong>de</strong> il traverse, en courant, la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>s agresseurs etpénètre dans la cour, par le portail ouvert.La meute le suit. Il abandonne son cheval et bondit dans sa<strong>ma</strong>ison d'habitation par la porte donnant sur la cuisine. Il trouve safemme très émue qui lui explique, en phrases saccadées, qu'unindigène la surveille et vient, à chaque instant, s'assurer <strong>de</strong> cequ'elle fait. A toute éventualité, elle a préparé les trois carabines etles cartouches. Deux prisonniers italiens sont là, pour remplacer la<strong>ma</strong>in­d'œuvre qui se raréfiait <strong>de</strong>puis quelque temps. Ils sontimmobiles et muets.199


UN DRAME ALGERIENTout à coup, on entend <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> hache portés par lesémeutiers sur la <strong>de</strong>uxième porte <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison, celle qui donne surun vestibule accédant à l'escalier du premier étage. La hache estl'instrument <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s indigènes <strong>de</strong> la région, tous plus oumoins bûcherons. On entend la porte craquer et tomber enmorceaux. Les agresseurs sont dans l'immeuble, il faut se hâter.Rapi<strong>de</strong>ment Halbe<strong>de</strong>l charge les carabines et en tend <strong>de</strong>ux auxprisonniers, qui se sauvent sans prendre les armes. Le colon sebattra seul. La salle à <strong>ma</strong>nger est envahie. Le père, décidé à tenirtête, crie à sa femme <strong>de</strong> se sauver et d'aller se cacher avec la petiteJosée dans le « roncier ». On appelle ainsi une petite étendue <strong>de</strong>terrain non défriché qui sépare le jardin <strong>de</strong> la forêt. Il y a là <strong>de</strong>sbuissons épais, envahis par <strong>de</strong>s ronces, où <strong>de</strong>s passages étroitspermettent <strong>de</strong> pénétrer et <strong>de</strong> se cacher.Toute à son enfant, n'ayant plus aucun réflexe d'initiativepersonnelle, la mère obéit. En <strong>de</strong>scendant les escaliers qui, <strong>de</strong> laterrasse, font accé<strong>de</strong>r au jardin, elle entend le crépitement d'unemitrailleuse. Elle ne s'y trompe pas. C'est son père qui arrive. Il vales sauver. Elle reprend courage et remercie la Provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> cesecours attendu et qui vient à temps. Mais le crépitement a cessé.Que s'est­il passé ?La <strong>ma</strong>lheureuse femme a su, plus tard, les circonstances qui ontempêché son père, M. Luzet, <strong>de</strong> venir jusqu'à elle...Elle se réfugie dans le roncier. Elle entend les coups portés parla carabine <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri. Elle voit ce <strong>de</strong>rnier, fuyant à son tour la<strong>ma</strong>ison envahie, arriver en hâte près d'elle. Il va se cacher àquelques mètres <strong>de</strong> sa femme. On le poursuit. <strong>Un</strong> indigènedécouvre Mme Halbe<strong>de</strong>l, il l'oblige à sortir du fourré. Elle tient safille dans ses bras. Celui qui la menace est bien connu d'elle : c'estle fils et le frère <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux khamès <strong>de</strong> l'exploitation. Il est réputécomme <strong>ma</strong>uvais sujet.200UN DRAME ALGERIENLa femme du colon subit un rapi<strong>de</strong> interrogatoire :— Où est ton <strong>ma</strong>ri ?— Je ne sais pas.— Dis­moi où il est ou je te tue !Et le bandit présente son fusil, prêt à tirer.Devant cette menace, André se découvre. — Me voilà, dit­ilsimplement.L'émeutier l'ajuste, à 7 ou 8 mètres à peine. Il tire. Le Françaisreste <strong>de</strong>bout ; il semble ne pas avoir été touché. Cependant, il neréagit pas. Sa femme re<strong>ma</strong>rque que sa carabine tourne <strong>de</strong> façonétrange dans sa <strong>ma</strong>in droite. Il doit avoir le poignet brisé. L'armene tombe pourtant pas. André s'avance, sans trébucher. Il reçoit<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> cailloux. Il est ensanglanté, <strong>ma</strong>is il est calme. Ondirait qu'il se recueille. S'adressant à sa femme, il lui ditsimplement :— Chérie, rentrons à la <strong>ma</strong>ison.Mme Halbe<strong>de</strong>l, obéissant, se hâte. Sa fille Josée, la figureapeurée, se crispe contre elle. La mère se retourne à temps pourvoir son cher André s'effondrer sans un cri, sans un mot. Elle sejette vers lui, l'appelle avec <strong>de</strong>s expressions <strong>de</strong> tendresse. Il nerépond pas... Il ne répondra plus.Tout à coup, une hache s'abat, le coup porte <strong>de</strong>rrière la tête <strong>de</strong>la victime inanimée. La tête est presque séparée du corps. <strong>Un</strong><strong>de</strong>uxième coup <strong>de</strong> hache, porté par le même bandit, ouvre uneénorme blessure à la cuisse droite, qui est cassée.La pauvre femme pousse <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> détresse : « Pitié pour unmort ! Mon pauvre chéri ! » C'est alors contre elle que s'exercentles agresseurs. Ils la frappent avec le côté non tranchant <strong>de</strong> lahache et avec <strong>de</strong>s bâtons. Ils ne veulent pas la tuer, ce serait sifacile ! Ils la réservent pour une autre fonction. La sauvage tuerie aun programme, prévu d'avance.Les coups continuent à pleuvoir sur le cadavre pantelant et201


UN DRAME ALGERIENdéchiré, cependant que la mère a <strong>de</strong> la peine à soustraire sa petiteJosée aux bâtons <strong>de</strong>s agresseurs La bouche <strong>de</strong> l'enfant est toutesanglante. <strong>Un</strong> coup a porté dans la figure. La <strong>ma</strong>lheureuse femmeest à bout <strong>de</strong> résistance. Elle se tourne vers son <strong>ma</strong>ri ; on est entrain <strong>de</strong> l'égorger. C'en est trop ! Elle s'effondre à son tour. Elle aune sensation <strong>de</strong> crispation nerveuse qui la laisse sans force, dansune sorte d'inconscience.Pendant peu <strong>de</strong> temps... Elle est rappelée à la raison, à sonatroce douleur, par <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> l'enfant dont le sang coulelentement <strong>de</strong>s lèvres tuméfiées.L'indigène qui, le premier, a tiré sur son <strong>ma</strong>ri, la pousse vers la<strong>ma</strong>ison. Elle obéit. Elle n'a plus <strong>de</strong> réflexe <strong>de</strong> résistance. Elle est,moralement, effondrée. Le pillage avait commencé ; il continue.Tout était brisé. Il ne restait plus un carreau aux fenêtres, Les sacs<strong>de</strong> provisions étaient éventrés, le contenu jeté à terre. Lesagresseurs n'avaient pas faim. Ils voulaient piller et détruire. Lelinge, les <strong>ma</strong>telas, les vêtements, tout était enlevé.Entre temps, la pauvre femme voyait <strong>de</strong>s sabres la menacer, <strong>de</strong>spistolets s'approcher <strong>de</strong> sa poitrine. Peu lui importait le pillage.Elle suppliait ses bourreaux <strong>de</strong> la laisser aller près <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri. Ilsricanaient, l'insultaient, lui crachaient à la figure, lui criaient, dansle bruit infernal qui accompagnait le bouleversement dé la<strong>ma</strong>ison :— Tu es notre prisonnière ! Tu es à notre disposition ! Nousferons <strong>de</strong> toi ce que nous voudrons ! Fini, l'Algérie à la France ! Anous les femmes françaises ! Ce soir, tu auras un <strong>ma</strong>ri arabe !Profitant d'un moment où elle n'était pas surveillée, MmeHalbe<strong>de</strong>l, dans un sursaut d'énergie, s'empare d'un drap qui traînaitet s'éva<strong>de</strong> <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison, tenant toujours dans ses bras son cherfar<strong>de</strong>au, sa petite Josée. Elle court vers le hallier près duquel étaitUN DRAME ALGERIENtombé son cher André. Il était là couvert du sang qui avait cessé <strong>de</strong>couler <strong>de</strong> ses blessures hi<strong>de</strong>uses. Elle voulut le recouvrir du drapqu'elle avait apporté. En gestes désordonnés, vivant comme en unrêve affreux, elle essayait <strong>de</strong> « faire sa toilette », lui parlant commes'il était vivant encore...Les <strong>de</strong>ux Italiens qui s étaient sauvés ne revenaient pas.Timi<strong>de</strong>ment, le gardien <strong>de</strong> la ferme s'approche d'elle. Obéissant etapitoyé, il l'ai<strong>de</strong> à mettre le corps d'André sur le drap, étendu sur lesol. A plusieurs reprises, il essaie, avec elle, <strong>de</strong> transporter lecadavre . dans la <strong>ma</strong>ison, évacuée par les émeutiers. Il faut yrenoncer. Il aurait fallu <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong>, ou d'autres porteurs qu'un hommedéjà âgé et une femme anéantie par la douleur.Après... Mme Halbe<strong>de</strong>l ne se souvient plus très bien. Il était 13heures passées lorsqu'elle quitta la ferme avec sa fille. Elle afranchi 3 kilomètres pour atteindre la ferme Boijol où elle comptaittrouver <strong>de</strong>ux Italiens qui lui prêteraient <strong>ma</strong>in forte pour enlever lecorps <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri. Partis également, réfugiés, sans doute, commeles autres, dans la forêt, où est un chantier <strong>de</strong> scieurs <strong>de</strong> long.Deux ouvriers indigènes recueillent la pauvre mère et sonenfant, à bout <strong>de</strong> souffle, sans aucune résistance.Des blindés arrivent. Elles sont délivrées. La jeune femme sejette, en larmes, dans les bras <strong>de</strong> son père retrouvé.Et la journée tragique s'achève par une expédition à la ferme <strong>de</strong>Sekaka, où le corps, affreusement mutilé, du colon Halbe<strong>de</strong>l reçoitenfin les égards qui lui sont dus... (1)(1) Le 21 novembre 1945, se terminait <strong>de</strong>vant le tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine, la cinquièmeaudience consacrée au <strong>drame</strong> <strong>de</strong> Sekaka, Débats émotionnants, au cours <strong>de</strong>squels Mme Halbe<strong>de</strong>l,mise en présence <strong>de</strong>s assassins <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri, s'effondra brusquement en pleine audience, inanimée.202203


UN DRAME ALGERIENCeci n'est pas du ro<strong>ma</strong>n, ceci traduit très exactement, par lerécit <strong>de</strong> témoins qui ne peuvent être démentis, ce qui s'est passédans l'une <strong>de</strong>s fermes Luzet, <strong>de</strong> la commune mixte <strong>de</strong> la Séfia, aucours <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière journée <strong>de</strong>s troubles qui ont ensanglanté larégion <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>.LES ANGOISSES D'UN VIEUX PIONNIERLe récit qui précè<strong>de</strong> ne serait pas complet s'il n'expliquait pascomment le secours apporté par le beau­père <strong>de</strong> la victime n'a puarriver à temps à la ferme <strong>de</strong> Sekaka.Seul M. Luzet pouvait nous donner les renseignements utiles.Nous avons écrit au vieux colon <strong>de</strong> Villars, un vétéran français <strong>de</strong>la région. Nous ne pouvons mieux faire que <strong>de</strong> reproduire saréponse, où il ne se contente pas d'énoncer <strong>de</strong>s faits, <strong>ma</strong>is où iltraduit, avec une émotion non dissimulée, les angoisses quiétreignent tous les Français appelés à vivre dans les campagnes<strong>algérien</strong>nes, colons ou fonctionnaires isolés dans le bled, exposés à<strong>de</strong>s explosions <strong>de</strong> fanatisme contre lesquelles ils sont d'autant plusdésarmés que les meneurs, auteurs principaux <strong>de</strong>s <strong>drame</strong>s ainsiprémédités, jouissent d'une impunité que la saine raison ne peutexpliquer. Nous passons la parole au vieux colon Luzet :« Six <strong>de</strong>s cent­vingt émeutiers qui comparaissaient <strong>de</strong>vant les juges, sous l'inculpationd'assassinat, tentative d'assassinat, pillage et vol, ont été condamnés à la peine <strong>de</strong> mort, nous dit laDépêche <strong>de</strong> Constantine. Ils se nomment Brahmia Bâcha, Soualmia Mohamed, Afaïfa Ahmed,Souaglia Belkacem. Azaïza Lakhdar, Se<strong>ma</strong>ou A<strong>ma</strong>ra. Les autres ont été condamnés à <strong>de</strong>s peinesvariables, <strong>de</strong> prison et <strong>de</strong> travaux forcés. Dix ont obtenu le sursis. Trente accusés ont été acquittés.Sur les condamnés à mort, les <strong>de</strong>ux premiers seulement ont été fusillés, le 17 décembre 1946,ce qui a provoqué une protestation violente dont nous parlons par ailleurs, auprès du gouvernement<strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s députés musul<strong>ma</strong>ns du département.204UN DRAME ALGERIEN« Villars, 7 septembre 1945.« Cher Monsieur,« Je réponds à votre lettre en vous donnant quelques détails surles événements que j'ai vécus à Villars.« Arrivé très jeune à Villars, je pourrais presque dire que j ' ysuis né. J'y possè<strong>de</strong> terres et <strong>ma</strong>isons qui sont non seulement monœuvre, <strong>ma</strong>is celle <strong>de</strong> mon grand­père et <strong>de</strong> mon père. Ils m'ontlégué, à force <strong>de</strong> travail et d'économies, un patrimoine que j'aiconservé, amélioré, agrandi par mes propres efforts. Mon père etmon grand­père furent <strong>de</strong> vrais pionniers.« Venus en pleine brousse, il leur a fallu tout défricher. Ils ontdû loger pendant <strong>de</strong> longs mois dans un immense gourbi fait <strong>de</strong>branches et <strong>de</strong> diss. Pas <strong>de</strong> ligne <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong> fer. Ce sont eux quifaisaient les transports <strong>de</strong> Bône à Souk­Ahras (107 kilomètres) encharrettes. J'ai vécu tout cela, et cette vie ru<strong>de</strong> ne m'a pas effrayépuisque, plus tard, j'en ai fait autant.« Parti à Gambetta, puis à Aïn Babouch, j'ai pu acheter, àVillars, <strong>de</strong>ux fermes. Ce sont ces <strong>de</strong>ux exploitations qui setrouvent sur la route <strong>de</strong> Villars à Guel<strong>ma</strong> Elles étaientcomplètement en ruines, abandonnées. J'ai dû tout refaire. Elles setrouvent à 3 et 7 kilomètres <strong>de</strong> notre centre. C'est dans cette<strong>de</strong>rnière, dans la vallée <strong>de</strong> l'oued Righan, si riante et si riche, ques'est déroulé le <strong>drame</strong> affreux qui s'est terminé par la mort <strong>de</strong> mongendre.« Arrivé à l'âge <strong>de</strong> 70 ans, dois­je en un jour voir anéantirl'œuvre <strong>de</strong> quatre générations ? Ce serait trop fort, et ce serait troptriste !... De vieux colons comme moi ne peuvent pas se consoler<strong>de</strong> voir égorger leurs enfants, se résigner à sombrer d'aussilamentable façon renoncer aux espoirs qu'ils avaient confiés a laterre <strong>algérien</strong>ne, <strong>de</strong>venue française...« J'ai vécu, en ces terribles journées <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i, les moments lesplus atroces <strong>de</strong> <strong>ma</strong> vie...205


UN DRAME ALGERIEN« Ignorant tout du danger qui nous menaçait, je <strong>de</strong>scendais àpied à <strong>ma</strong> ferme la plus proche (l'ancienne ferme Boijol), quand ungendarme vint me dire que le docteur revenant du <strong>ma</strong>rché <strong>de</strong>Nador avait averti qu'une gran<strong>de</strong> effervescence y régnait et qu'il n'yavait pas <strong>de</strong> <strong>ma</strong>rché. Infor<strong>ma</strong>tion prise à Guel<strong>ma</strong>, le gendarmeavait ordre d'aller sur les lieux se rendre compte <strong>de</strong> la situation.« Je pense aussitôt à mes enfants, si proches <strong>de</strong> Nador : 9kilomètres. J'offre d'emmener dans mon auto <strong>de</strong>ux gendarmes et lecaïd qui nous protégera « <strong>de</strong> son burnous », s'il y a lieu. Au <strong>de</strong>rniermoment, l'un <strong>de</strong>s gendarmes juge à propos <strong>de</strong> ne pas monter dans<strong>ma</strong> voiture. Elle n'est pas très confortable, et je n'ai pas <strong>de</strong> coussinpour le siège arrière. Il préfère attendre la voiture d'un autre colon.Le caïd en fait autant. J'ai leur promesse qu'ils nous rejoindront.Avec mon seul compagnon, nous prenons un fusil chacun et nousvoilà tous <strong>de</strong>ux en route.« Nous re<strong>ma</strong>rquons bien, par­ci, par­là, <strong>de</strong>s groupes d'indigèneséparpillés dans les champs. Mais sur la route, rien. Nousdépassons <strong>ma</strong> première ferme et arrivons sans encombre à unabreuvoir, dans un virage, à 700 mètres <strong>de</strong> <strong>ma</strong> secon<strong>de</strong> ferme, aulieu dit « Aïn Embarek ». Il y a là quelques Arabes, sous <strong>de</strong>sarbres. Le gendarme me dit : « Arrêtez, je vais les interroger. » Jestoppe. Mais avant même que nous ayions eu le temps <strong>de</strong> formulerla moindre question, nous essuyons, à bout portant, une salve <strong>de</strong>coups <strong>de</strong> fusils. <strong>Un</strong>e balle traverse le pare­brise à <strong>ma</strong> hauteur, m'enprojette <strong>de</strong>s éclats <strong>de</strong> verre en plein visage, me blessant à la jouedroite et va, se loger dans la carrosserie arrière <strong>de</strong> la voiture. Jesuis aveuglé par le sang qui m'inon<strong>de</strong> le visage. Nous <strong>de</strong>scendons<strong>de</strong> voiture. Je tire tout <strong>de</strong> suite dans la direction <strong>de</strong> celui qui m'a sibien visé. Il m'avait pris en pleine tête. Je n'ai dû mon salut qu'auUN DRAME ALGERIENmouvement que j'ai fait pour ouvrir <strong>ma</strong> portière ; Je tire dans letas, <strong>de</strong>vant moi, bondis sur eux ; j'escala<strong>de</strong> le talus à leurpoursuite, car ils fuient. Les balles sifflent autour <strong>de</strong> moi. Je ne merends pas compte du danger que je cours, ainsi a découvert.Heureusement que le gendarme, resté un peu en arrière, meprotège. Les agresseurs vont se cacher dans un ravin, assez loin <strong>de</strong>la route. Nous jugeons inutile <strong>de</strong> les poursuivre davantage. Nousvenons <strong>de</strong> déloger une embusca<strong>de</strong> <strong>de</strong> 70 individus.« C'est alors qu'arrive la <strong>de</strong>uxième voiture; avec le <strong>de</strong>uxièmegendarme, et le caïd. Je n'ai pas le temps <strong>de</strong> m'approcher d'eux,que déjà le chauffeur et le caïd ont laissé le gendarme au bord <strong>de</strong> laroute et qu'ils repartent. J'interroge ; ils sont allés chercher durenfort au village. Je propose aux gendarmes <strong>de</strong> pousser avec <strong>ma</strong>voiture jusqu'à la ferme. Le premier m'objecte qu'il n'a plus <strong>de</strong>munitions. Le second en ajuste pour lui. Moi je n'ai plus qu'unevingtaine <strong>de</strong> cartouches. C'est peu. Que faire ? Attendre sur laroute ? Il vaut mieux retourner, pour hâter les renforts.« Hélas ! c'était l'ultime moment pour sauver mon gendre !C'est l'instant, où, à la ferme, les émeutiers enfoncent les portes, où<strong>ma</strong> fille fuit, va se cacher dans un roncier...« Sur la route, je tourne avec tristesse <strong>ma</strong> voiture vers le village.A Villars, on se rend compte du danger. On hésite. Vais­jeabandonner mes trois enfants à leur triste sort ? Je me déci<strong>de</strong> àaller chercher un gérant et sa famille, que j'ai dans une autre ferme,moins exposée, au­<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la vallée.A mon retour, je constate que les émeutiers se sont rapprochés<strong>de</strong> Villars. Il faut se porter en avant. On esquisse le mouvement.Nous sommes 11 à nous déplacer en avant du village. Lesémeutiers, <strong>ma</strong>ssés sur les crêtes dominantes, nous arrosent avecleurs armes auto<strong>ma</strong>tiques. Les balles sifflent au milieu <strong>de</strong> nous.206207


UN DRAME ALGERIENHeureusement, personne n'est atteint. Nous évaluons à 2.000 lenombre <strong>de</strong>s agresseurs. Tout à coup, <strong>de</strong>s « you­yous » <strong>de</strong> femmesretentissent. Nous voyons s'avancer les bandits à l'assaut. Nousnous sommes abrités autant que possible et nous tirons par salves.A chacune <strong>de</strong> nos rafales, nous voyons leurs rangs se courber. Ilscherchent à éviter les balles. Ils n'osent plus avancer. Et c'est ainsique nous les tenons en échec jusqu'au soir. Il est bientôt 6 heures.Des blindés arrivent sur la route <strong>de</strong> Laverdure. Nous les voyonstrès bien, <strong>ma</strong>is les indigènes ne paraissent pas s'en inquiéter. Ilscontinuent à tirer.« Les auto­mitrailleuses ne sont plus guère qu'à 2 kilomètreslorsqu'elles ouvrent le feu. Les balles crépitent. Elles arrivent àleur but. Alors, on entend les <strong>de</strong>rniers « you­yous », puis c'est lesignal du repli, C'est la poursuite <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s qui s'éparpillent et secachent dans les ravins pour gagner la montagne.« C'est aussi, pour nous, l'arrivée à la ferme déserte etsilencieuse. C'est, au pied <strong>de</strong> la terrasse, la découverte du corps,affreusement mutilé, <strong>de</strong> mon gendre. Ils ont osé, en se repliant,outrager encore ce cadavre... Ils ont sans doute voulu se venger <strong>de</strong>la fuite <strong>de</strong> <strong>ma</strong> fille et <strong>de</strong> <strong>ma</strong> petite fille. Ma fille, voulant mettredans la <strong>ma</strong>ison le corps <strong>de</strong> son <strong>ma</strong>ri, était venue <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>r <strong>de</strong>l'ai<strong>de</strong> à la ferme voisine, <strong>ma</strong>is on l'en dissuadait et on l'obligeait àse cacher avec son enfant dans la <strong>ma</strong>ison d'un khamès, le seul quinous soit resté fidèle. C'est dans cette ferme que je les ai trouvéesau retour, toutes <strong>de</strong>ux vêtues <strong>de</strong> blanc, symbole, sans doute, <strong>de</strong>leur entrée dans la religion musul<strong>ma</strong>ne...« Cela doit­il être le résultat <strong>de</strong> nos cent quinze ans <strong>de</strong>colonisation ? Nos fils égorgés et nos filles converties à l'Islam?Est­ce là le digne couronnement <strong>de</strong> nos efforts ? Alors, que, lasd'une vie ru<strong>de</strong> <strong>de</strong> travailleur du bled, j'étais heureux <strong>de</strong> laisser <strong>ma</strong>208UN DRAME ALGERIENplace à mes enfants ; dois­je assister à leur <strong>ma</strong>ssacre ? Non, cela,nul ne peut l'accepter. Et il faut avoir vu <strong>de</strong> ses yeux ce quej'ai vupour comprendre l'horreur d'un semblable <strong>drame</strong>.« Notre tâche, que nous pensions terminée, n'est pas finie. Nous<strong>de</strong>vons défendre encore notre terre d'Algérie que nous avons faitenôtre et qui doit rester française ! Il faut en finir avec cettepolitique injuste et mensongère, entreprise contre nous et qui nepeut avoir qu'un résultat : chasser la France <strong>de</strong> ses colonies...« Veuillez agréer,...M. LUZET. »Nous ne voulons ajouter aucun commentaire à cette lettre. Elleconstitue mieux qu'un avertissement. Elle dicte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs. Puisseson éloquence sobre et nette dissiper les <strong>ma</strong>lentendus quis'affirment, et rapprocher ceux qui dirigent <strong>de</strong> ceux qui souffrent...injustement...***Pour en terminer avec la Séfia, disons que cette communemixte a accusé le départ <strong>de</strong> 5.000 émeutiers originaires <strong>de</strong>s douarsDaouara, Mechaala, Sfahli, Aouaïa et Mahaïa, partis du <strong>ma</strong>rché duHam<strong>ma</strong>m en direction <strong>de</strong> Villars. Les meneurs étaient composés<strong>de</strong> notables, <strong>de</strong> déserteurs et <strong>de</strong> travailleurs saisonniers étrangers àla commune.Dans la même journée du 10 <strong>ma</strong>i, 2 à 3.000 émeutiers <strong>de</strong>sdouars Ain Ketone, Kef Rih et Sfahli déferlaient sur la route <strong>de</strong>Sédrata à Guel<strong>ma</strong>. Le village <strong>de</strong> Lapaine, entièrement encerclé,était pillé et détruit.Le même jour encore, 5 à 600 émeutiers <strong>de</strong> la commune <strong>de</strong>Petit et <strong>de</strong>s douars Nador et Béni Mezzeline attaquaient diverses209


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENfermes <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière fraction ainsi que la gare <strong>de</strong> Nador. Grâceà l'activité et à l'énergie du caïd du douar Béni Mezzeline, quiorganisa la défense, les assaillants purent être repoussés.Il n'est que juste <strong>de</strong> rendre hom<strong>ma</strong>ge aux rares indigènes qui,dans la tourmente, ont su discerner et choisir le chemin du <strong>de</strong>voir.La commune mixte <strong>de</strong> la Séria compte 11 douars. En tenantcompte <strong>de</strong>s renseignements qui précè<strong>de</strong>nt, on peut donc dire que9 douars se sont soulevés, en tout ou en partie.A LAPAINE ET SEDRATALapaine est un tout petit centre groupant 3 ou 4 colons français,<strong>de</strong>rniers témoins d'un effort colonisateur qui fut important. Il yavait à Lapaine dépendant <strong>de</strong> la commune mixte <strong>de</strong> l'oued Cherf,et distant <strong>de</strong> Bled Gaffar <strong>de</strong> 7 ou 8 kilomètres, exactement 4hommes et 9 femmes, dont la receveuse <strong>de</strong>s postes, Mme Ménar<strong>de</strong>t sa fille.Sauf pour ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières, restées à la poste à la premièrealerte, le 9 <strong>ma</strong>i, tout le mon<strong>de</strong> se réfugie chez M. Messerschmitt.Si petit soit­il, le village était divisé en <strong>de</strong>ux camps... politiques sil'on peut dire. Ce jour­là sans hésitation, on fit bloc. Et <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>insqui ne s'étaient pas unies <strong>de</strong>puis longtemps se serrèrent aveceffusion, dans une fraternité retrouvée. Cela s'est, du reste,reproduit ailleurs.Vers 15 heures, on entend une voiture automobile s'arrêter<strong>de</strong>vant la <strong>ma</strong>ison convertie en réduit défensif. C'est peut­être dusecours. Mais on voit cinq jeunes gens <strong>de</strong>scendre d'unecamionnette chargée <strong>de</strong> cageots d'approvisionnements, sur lesquels210211


UN DRAME ALGERIENils étaient juchés, tant bien que <strong>ma</strong>l. On accueillit les nouveauxarrivants, qui racontèrent leur triste odyssée.Collégiens arrivés <strong>de</strong> Bône en permission d'armistice, ilsavaient pris à Guel<strong>ma</strong>, <strong>de</strong>ux heures auparavant, la camionnetteconduite par Ahmed Caoucaou, se rendant à Sédrata, où setrouvaient leurs parents. Ces collégiens avaient nom :Zammith Marcel, 18 ans ;Ru<strong>de</strong><strong>ma</strong>n Marc, 18 ans ;Tivol Guy, 16 ans ;Tivol Marcel, 15 ans ;Carré Ferdinand, 15 ans.Arrivés à un kilomètre <strong>de</strong> Lapaine, à la ferme Ben Ikhlef, aprèsavoir passé Bled Gaffar, ils avaient été arrêtés dans la petite forêtd'oliviers qui ombrage ce site, par une foule d'indigènes surexcités.Il y en avait <strong>de</strong>s milliers, dirent les jeunes gens. Ces <strong>de</strong>rniers furentaussitôt l'objet d'un interrogatoire :— Etes­vous Français ou Juifs ? leur <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndait­on.Sentant que leur réponse allait déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> leur sort, lescollégiens ne répondaient pas. Ils étaient entourés <strong>de</strong> gens armés<strong>de</strong> fourches, couteaux, pelles, haches, faucilles. Ils étaient assis enposition instable, sur <strong>de</strong>s cageots <strong>de</strong> légumes et ne pouvaientopposer <strong>de</strong> résistance, exposés, au moindre mouvement, à unerupture d'équilibre. La fin <strong>de</strong> l'histoire s'annonçait comme <strong>de</strong>vant<strong>de</strong>venir tragique. Les jets <strong>de</strong> pierres commencèrent.Le conducteur, propriétaire <strong>de</strong> la voiture, affolé, voyant sonpare­brise en morceaux, suppliait les <strong>ma</strong>nifestants <strong>de</strong> ne pas lecompromettre. Il était responsable <strong>de</strong> ses voyageurs. C'est lui,musul<strong>ma</strong>n, qui serait frappé si les choses s'aggravaient. Qu'on luipermette au moins, <strong>de</strong> laisser les jeunes Français au village voisin.UN DRAME ALGERIENDeux vieux prirent parti pour le chauffeur. — « Ce sont <strong>de</strong>senfants », disaient­ils aux jeunes, désireux d'en finir avec lesvictimes que leur offrait le hasard. Mais les jeunes répondaient :« Ils grandiront ! Il vaut mieux les tuer tout <strong>de</strong> suite ! » Et lescoups pleuvaient sur la camionnette.Tivol Guy avait l'épaule gauche meurtrie par un énorme caillou.Il n'a pu, plus tard, rejoindre l'école avec ses ca<strong>ma</strong>ra<strong>de</strong>s. Zammithaccusait une énorme ecchymose sur la tête. Il en conservera latrace sur le cuir chevelu. Carré Ferdinand avait reçu <strong>de</strong>s coupsdans les reins. Enfin Ru<strong>de</strong><strong>ma</strong>n, qui avait les jambes pendantes,hors <strong>de</strong> la voiture, a évité <strong>de</strong> justesse un coup <strong>de</strong> hache qui a briséla planche servant <strong>de</strong> ri<strong>de</strong>lle, sur laquelle il était assis ; s'il n'avaitbrusquement replié ses jambes, l'une d'elles au moins aurait ététranchée.La discussion se prolongea pendant plus d'une heure. Leconducteur fut enfin autorisé à continuer sa route, à la conditionqu'il laisserait ses voyageurs à Lapaine, où sa responsabilité seraitainsi dégagée. On verrait ensuite...Ce qui fut fait. Ahmed, délesté <strong>de</strong> son chargement hu<strong>ma</strong>in et <strong>de</strong>sa responsabilité, put ainsi rejoindre Sédrata, où il fit part <strong>de</strong> sonémotion, et où, bribe par bri<strong>de</strong>, les parents inquiets furent aucourant <strong>de</strong>s événements.La <strong>ma</strong>ison Messerschmitt, <strong>de</strong> Lapaine, se vit donc renforcée<strong>de</strong>s 5 nouveaux arrivants. Renforcée n'est peut­être pas le mot quiconvient, car le danger augmentait d'heure en heure.On soigna d'abord les blessés, avec les moyens mo<strong>de</strong>stes donton disposait.Peu <strong>de</strong> temps après, on reçut du <strong>de</strong>hors un ulti<strong>ma</strong>tum : un billetporté par un indigène som<strong>ma</strong>it les Français d'avoir à donner leursarmes, sous peine d'assaut et <strong>de</strong> mort. On délibéra ; on avait peu <strong>de</strong>212213


UN DRAME ALGERIENcartouches. On ne pourrait résister longtemps. Que faire ? Oncéda. On donna les 3 fusils <strong>de</strong> chasse que l'on avait. On espéraitainsi...L'assaut continua... Des pierres énormes étaient projetéescontre les portes et les fenêtres, sur les tuiles mêmes <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison,qui tombaient en morceaux, sur les plafonds, avec un bruit sourd.La nuit vint, et une veillée angoissante et tragique commençapour les assiégés — qui se <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndaient ce qui se passait au loin,dans les villages <strong>de</strong> la région. Le soulèvement était­il général ?Fallait­il, alors, désespérer <strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong>s secours ?Vers 8 heures du <strong>ma</strong>tin, on perçoit <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu dans levillage, suivis d'une rumeur <strong>de</strong> foule en fuite. Puis un bruit <strong>de</strong>moteur qui s'arrête.C'est l'Administrateur <strong>de</strong> Sédrata, M. Seguy­Villevaleix, quiarrive pour apporter ai<strong>de</strong> et protection aux lycéens <strong>de</strong> sa commune,dont la situation critique lui a été signalée. Il n'est pas seul. Il estaccompagné <strong>de</strong> volontaires, <strong>de</strong> l'adjudant Cuki, <strong>de</strong>s douaïrs, dugendarme Guillard, <strong>de</strong> M. Lo­Pinto André, adjudant en permission<strong>de</strong> détente, affecté à l'artillerie <strong>de</strong> Constantine, après un séjour enAlle<strong>ma</strong>gne, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux douaïrs, plus le chauffeur, employé <strong>de</strong> la S.I.P.<strong>de</strong> Sédrata.Le camion <strong>de</strong> Sédrata est venu butter contre un barrageconstruit par les indigènes à l'entrée du village. Ce barrage a étéfait avec <strong>de</strong>s <strong>de</strong>mi­buses en ciment <strong>de</strong>stinées à la confection <strong>de</strong>canaux. Le camion bloqué a été l'objet d'une fusilla<strong>de</strong> <strong>de</strong>sémeutiers. M. Seguy­Villevaleix a donné l'exemple, bientôt suivipar tous les arrivants, en sautant à terre et en ouvrant le feu.3 indigènes restent sur le terrain. Les autres se sauvent. Leurnombre est estimé, en cet endroit, à 400.Depuis 20 kilomètres déjà, les sauveteurs voyaient <strong>de</strong>s groupesse hâter vers la route, gardée, <strong>de</strong> loin en loin par <strong>de</strong>s indigènes.214UN DRAME ALGERIENL'Administrateur a, plusieurs fois, posé la question :— Où allez­vous ?On lui répondait : « A Guel<strong>ma</strong>, où l'on nous appelle. »Les défenseurs du barrage ayant disparu, on laisse là la voitureet l'on se hâte vers la <strong>ma</strong>ison Messerschmirt. On frappe. Del'intérieur on hésite à ouvrir. Ce sont les étudiants <strong>de</strong> Sédrata qui,reconnaissant la voix <strong>de</strong> l'Administrateur, lui permettent d'entrer.Avec la population <strong>de</strong> Lapaine, il y a, dans la <strong>ma</strong>ison assiégée,M. Aréla, <strong>ma</strong>rchand d'essence à Guel<strong>ma</strong>, qui, ayant quitté cetteville, le <strong>ma</strong>tin <strong>de</strong> bonne heure, se rendant avec son auto à Sédrata,avait été obligé <strong>de</strong> s'arrêter à Lapaine, en présence <strong>de</strong> l'hostilité<strong>ma</strong>nifestée par les indigènes. Il a dû laisser sa voiture dans la rue,où il la retrouvera hors d'état <strong>de</strong> rouler, brisée par les <strong>ma</strong>nifestants.***Ouvrons ici une parenthèse :Indépendamment <strong>de</strong> la <strong>ma</strong>ison Messerschmitt, un autreimmeuble avait reçu l'assaut <strong>de</strong>s insurgés : le bureau <strong>de</strong> poste, quela receveuse, Mme Ménard, avait refusé d'évacuer, et qu'elleoccupait, par <strong>de</strong>voir professionnel, avec sa jeune fille, âgée <strong>de</strong> 16ans. Là aussi la situation était, rapi<strong>de</strong>ment, <strong>de</strong>venue tragique. A 2heures du <strong>ma</strong>tin, les volets <strong>de</strong> la fenêtre du bureau commençaient àcé<strong>de</strong>r sous les pierres projetées du <strong>de</strong>hors. Pendant trois heures, lescoups avaient redoublé. Il fallait envisager l'éventualité <strong>de</strong> l'entrée<strong>de</strong>s <strong>ma</strong>lfaiteurs dans le local occupé par les <strong>de</strong>ux femmes.<strong>Un</strong> ami, parent <strong>de</strong> la receveuse, nous a confié ce détailpoignant : Devant l'imminence du danger, la pauvre mère s'étaitglissée dans la cuisine et en avait rapporté un couteau effilé qu'elleavait déposé, sans mot dire, sur sa table <strong>de</strong> travail. Elle étaitdécidée, si le pire arrivait, si les forcenés entraient dans le bureau,215


UN DRAME ALGERIENà poignar<strong>de</strong>r sa fille et à se tuer ensuite. Ils n'auraient pas, dumoins, son enfant,...Le moindre commentaire affaiblirait la portée <strong>de</strong> ce geste,digne d'une gran<strong>de</strong> Française...***Revenons à M. Seguy­Villevaleix.L'Administrateur a un grand camion américain <strong>de</strong> 3 tonnes et<strong>de</strong>mie. Il examine la situation : ne peut­on emmener tout lemon<strong>de</strong> ? 21 personnes avec les enfants. C'est beaucoup. Mais en seserrant bien... Et l'on s'entasse dans le véhicule, en positioncouchée, pour n'être pas trop exposés aux balles, grâce aux ri<strong>de</strong>llesd'acier qui forment balustra<strong>de</strong>s protectrices. Car il va falloir sebattre au retour, contre <strong>de</strong>s attaques probables, prévues commecertaines.La prévision se réalise. Les indigènes ont eu le temps <strong>de</strong>construire 3 barrages, contre lesquels on va avoir à lutter. Lepremier est à 3 ou 4 kilomètres <strong>de</strong> Lapaine. Il est formé <strong>de</strong> grosblocs entassés sur la route. On les écarte. On passe sans trop <strong>de</strong>retard.Le <strong>de</strong>uxième est à 800 mètres plus loin. On le franchit sans<strong>de</strong>scendre <strong>de</strong> voiture, en tenant les agresseurs à distance parquelques coups <strong>de</strong> fusil. Il n'est pas haut.Le troisième, à un kilomètre, est formé <strong>de</strong> gros blocs. Il a 50centimètres <strong>de</strong> hauteur. Il faut <strong>de</strong>scendre pour se frayer un passage.Devant les coups <strong>de</strong> fusil, les indigènes s'écartent <strong>de</strong> la route.Ils gagnent les hauteurs. Mais leur nombre est inquiétant.— Ah ! monsieur l'Administrateur ! Quelle reconnaissancenous vous conserverons jusqu'à la fin <strong>de</strong> vos jours ! dit une femmefrançaise.216UN DRAME ALGERIENM. Villevaleix riposte eu riant ; « Merci, <strong>ma</strong>dame, <strong>ma</strong>is vous nevous engagez peut­être pas pour bien longtemps, avec ce qui sepasse ».Le danger, en effet, est réel. Après le troisième barrage, prèsd'un pont à moitié démoli par les émeutiers, au lieu ditBensemech, la voiture reçoit un coup <strong>de</strong> feu d'un indigène,camouflé au bord <strong>de</strong> la route. L'adjudant Lo­Pinto est touché parles plombs, à la figure, aux <strong>de</strong>ux <strong>ma</strong>ins, au ventre ; 3 plombs quientrent dans la gorge seront extraits à l'arrivée.Le gendarme Guillard est atteint aussi, moins gravement.On réussit à passer.A 10 kilomètres <strong>de</strong> Lapaine, une panne ! Le radiateur est percé,il ne conserve plus l'eau <strong>de</strong> refroidissement. Le moteur chauffe. Onprend en hâte <strong>de</strong> l'eau dans les ruisseaux, on craint l'arrêt définitifet fatal.Trois fois on s'arrête pour la même opération. On s'énerve. Oncommence à désespérer <strong>de</strong> pouvoir arriver à <strong>de</strong>stination. Et,partout, on voit <strong>de</strong>s gens hostiles.On atteint enfin la limite <strong>de</strong> la commune mixte <strong>de</strong> Sédrata.L'Administrateur rassure ses compagnons. Ici, le danger est bienmoindre. Il a pris <strong>de</strong>s dispositions pour cela. C'est bientôt l'arrivéeà Sédrata. Le convoi est sauvé, la joie est générale. La populationreçoit les rescapés, les jeunes étudiants retrouvent leurs parents.On félicite les sauveteurs...<strong>Un</strong>e certaine inquiétu<strong>de</strong> régnait cependant au chef­lieu <strong>de</strong> lacommune mixte.Le 9 <strong>ma</strong>i, c'est­à­dire la veille du jour tragique pour Lapaine, lepays avait été mis en état d'alerte. Vers 11 heures du soir, lagendarmerie avait distribué <strong>de</strong>s armes aux Européens. On avaitassuré le repli <strong>de</strong>s Français isolés dans les fermes. On était prêt àtout événement.217


UN DRAME ALGERIENLe 10 <strong>ma</strong>i au <strong>ma</strong>tin, en voyant partir les sauveteurs <strong>de</strong> Lapaine,les indigènes qui ne paraissaient pas hostiles avaient affirmé : « Ilsne reviendront pas ! Ils sont perdus ! » Ces hommes, qui n'étaientpas nos ennemis, étaient donc au courant <strong>de</strong> l'importance dumouvement insurrectionnel projeté. Ils savaient. Ils n'avaient riendit.Le vendredi 11, au <strong>ma</strong>tin, on re<strong>ma</strong>rque une grosseagglomération d'indigènes en haut du bourg. Leur nombreaugmente rapi<strong>de</strong>ment.Les Européens — 120 hommes environ plus les femmes et lesenfants — ont été répartis, pour être prêts à la défense, dans lesécoles, la gendarmerie, les <strong>ma</strong>isons présentant <strong>de</strong>s garanties <strong>de</strong>solidité permettant <strong>de</strong> soutenir un siège. Toute la nuit, on avaitveillé sur les fortins improvisés.Dans l'après­midi, entre 2 et 3 heures, <strong>de</strong>s avions se fontentendre. Ils survolent le village. Ils constatent la présence <strong>de</strong>sémeutiers. Quelques bombes lâchées autour <strong>de</strong>s habitationsdonnent le signal d'un éparpillement rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>nifestants.Quelques coups <strong>de</strong> mitrailleuses, tirés en l'air par les aviateurs,achèvent, <strong>de</strong> nettoyer la place.Par pru<strong>de</strong>nce on est resté huit jours sur le qui­vive à Sédrata.Grâce aux mesures prises par l'Administrateur, secondé par lagendarmerie, par les douaïrs et les Français vali<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> grands<strong>ma</strong>lheurs ont été évités.***Lorsque les habitants <strong>de</strong> Lapaine ont pu rejoindre leurs<strong>de</strong>meures, tout avait été saccagé. Les portes et les meubles avaientété brisés à coups <strong>de</strong> haches et <strong>de</strong> <strong>ma</strong>ssues ; le linge, lesvêtements, les <strong>ma</strong>telas volés ; le <strong>ma</strong>tériel agricole était enmorceaux.UN DRAME ALGERIENLes conserves alimentaires, farine, etc., avaient été jetées sur lesol et souillées d'huile et <strong>de</strong> pétrole. Il n'y avait plus un objet <strong>de</strong>vaisselle, même pas une fourchette, rien qui puisse servir. Plus unevitre aux fenêtres. Tout était à réinstaller, les immeubles àreconstruire.Comme Chevreul, Lapaine avait été détruit.Détruite également, la <strong>ma</strong>ison <strong>de</strong> la Poste où Mme Vve Ménarda vécu, du 9 au 10 <strong>ma</strong>i, une nuit tragique près <strong>de</strong> son bureau, letéléphone ayant été coupé par les émeutiers. Les bureaux <strong>de</strong> poste,partout où se sont trouvés <strong>de</strong>s agents français, ont été gardésjusqu'à l'extrême limite...L'émeute, qui enregistra tant <strong>de</strong> crimes atroces, s'illustra ainsi<strong>de</strong> ces résistances à la fois simples et héroïques.***Autour <strong>de</strong> Lapaine d'autres dégâts sont constatés lorsquel'Autorité a pu, enfin, dominer la situation. La conduite d'eau a étécoupée. Les lignes et poteaux du service <strong>de</strong>s P.T.T. ont été enlevés.<strong>Un</strong> pont qui se trouve au 3e kilomètre a été détruit. <strong>Un</strong> autre pont,au 22e kilomètre, très abîmé. De grosses dépenses ont éténécessaires pour tout remettre en état.218219


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENPlusieurs centaines d'indigènes sont venus, armés, <strong>de</strong>s douarsBéni Ahmed (Jem<strong>ma</strong>pes mixte), Sounlia (Oued­Zenati ­ P. E. ) etKhanguet­ Sabath (Oued Cherf) jusqu'à <strong>de</strong>ux kilomètres duvillage. Ils ont encerclé la ferme Mottaz, laissant leurs monturespaître dans les champs <strong>de</strong> céréales <strong>de</strong> ce colon, qui ont étésysté<strong>ma</strong>tiquement ravagés. Des menaces ont été proférées, nonsuivies d'effets.MOUVEMENT GENERALISEPour avoir le récit complet <strong>de</strong>s événements qui ont bouleverséle département <strong>de</strong> Constantine dans la première quinzaine <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i1945, il faudrait citer tous les villages habités par <strong>de</strong>s Français.Partout se sont affirmés <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts démontrant une hostilitéconcertée préparant <strong>de</strong>s événements graves, qui <strong>de</strong>vaient segénéraliser sur tout le territoire <strong>algérien</strong>.Nous avons parlé <strong>de</strong>s centres principaux <strong>de</strong> la région <strong>de</strong>Guel<strong>ma</strong>, où la situation a brusquement pris un caractère tragique ;sur d'autres points, cette situation a été plus que tendue. Nouspouvons citer encore, toujours dans la région <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> :BORDJ SABATHLà était installé, dès le 8 <strong>ma</strong>i, le Comité local <strong>de</strong>s « Amis duManifeste », siégeant en per<strong>ma</strong>nence, distribuant <strong>de</strong>s mots d'ordre.220A ROKNIACe centre a été investi, pendant plusieurs heures par leshabitants du douar Taya, qui, finalement, faute sans doute <strong>de</strong>sdirectives attendues, ne sont pas passés à l'action.A GOUNODLa première <strong>ma</strong>nifestation se traduit par la rupture <strong>de</strong>s relationstéléphoniques avec Guel<strong>ma</strong>.Le 10 <strong>ma</strong>i au <strong>ma</strong>tin, le courrier Gounod­Guel<strong>ma</strong> avait pris laroute. L'autocar a dû rebrousser chemin du P.K. 17. Les <strong>de</strong>uxEuropéens qu'il transportait ont été menacés <strong>de</strong> mort. Des équipesd'indigènes abattent les poteaux téléphoniques et démolissent laroute à coups <strong>de</strong> pioches. Le village est encerclé par <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>sarmées.Vers 11 heures, un colon, rentrant du travail, est l'objet d'uneagression à <strong>ma</strong>in armée et échappe <strong>de</strong> justesse à la mort. Lapopulation se replie sur la gendarmerie.<strong>Un</strong>e réunion <strong>de</strong> dirigeants indigènes et <strong>de</strong> notables européens alieu, Les émeutiers se déclarent en mesure <strong>de</strong> garantir la sécurité àla population française si celle­ci dépose les armes. Lesattroupements <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus menaçants. Des cavaliers221


UN DRAME ALGERIENarrivent et réclament l'extermination <strong>de</strong>s Français.A 21 heures, les troupes stationnées à Oued­Zenati arrivent àGounod. L'atmosphère se détend.A OUED ZENATILes troupes dont nous venons <strong>de</strong> parler avaient rétabli lasécurité. Des scènes fâcheuses avaient eu lieu. Attroupements,arrachage <strong>de</strong> drapeaux français ornant les immeubles pour fêter laVictoire. Tout le pays était en effervescence. Les routes étaientoccupées par <strong>de</strong> nombreux cavaliers armés.A BLED GAFFARLe téléphone a été coupé le 9, vers 11 h. 15.Des groupes défilaient sur la route, criant : « En avant ! AGuel<strong>ma</strong> ! On reviendra ensuite ici ! » Beaucoup <strong>de</strong> cavaliers, dontun faisait la navette, pour encourager les gens.L'enthousiasme, général, faisait prévoir <strong>de</strong>s événementssanglants et la certitu<strong>de</strong> du succès.Chez Dominique Bezzina, la bonne <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier n'a pas voulurester pour <strong>ma</strong>nger, disant qu'il allait y avoir du vilain. Bezzinaétait tué vers 12 h. 15.Le soir, vers 19 h. 45, trois indigènes, habillés en soldats,reviennent en disant n'avoir rien pu faire. Ils venaient se ravitaillerpour prendre Guel<strong>ma</strong> le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in.Le jeudi 10, on constate que l'alimentation en galettes <strong>de</strong>sémeutiers était assurée par la ferme Benyakhlef Ce <strong>de</strong>rnier est vupassant au galop.222UN DRAME ALGERIENA MILLESIMOLe mercredi 9 <strong>ma</strong>i, vers 14 h. 30, on constate la présence <strong>de</strong>plus <strong>de</strong> 1.000 hommes dans la vallée <strong>de</strong> la Seybouse et en haut <strong>de</strong>la gare.Vers 16 h. 30, on reçoit le corps <strong>de</strong> Missud, lardé <strong>de</strong> coups <strong>de</strong>couteau. Il se trouve dans sa voiture hippomobile, ramené par sabête. Ce crime a été commis dans la vallée <strong>de</strong> l'Oued Zimba. <strong>Un</strong>peu après, la gendarmerie arrive, avec M. Gerbaulet et le gar<strong>de</strong>champêtre,qui apportent <strong>de</strong>s armes. La population se défendpendant trois jours, ne bénéficiant que du passage <strong>de</strong>patrouilles (1).A HÉLIOPOLISLe 8 <strong>ma</strong>i, à l'occasion <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong> la Victoire, il avait étépréparé un couscous pour 1.000 indigènes. Il n'en vint que 18, dont10 <strong>de</strong>vaient assurer le service. Les chefs <strong>de</strong>s « Amis duManifeste » étaient absents.A noter que, dans tout le département, sur <strong>de</strong>s points trèséloignés les uns <strong>de</strong>s autres — nous pouvons citer Edgar­Quinet,par exemple — la même générale abstention a répondu à la mêmeinitiative. Il est donc difficile <strong>de</strong> ne pas conclure à un vastemouvement collectif.A Héliopolis, dès que l'on a eu connaissance <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong>Guel<strong>ma</strong>, et <strong>de</strong> l'ani<strong>ma</strong>tion qui régnait dans le mon<strong>de</strong> indigène, lapopulation française décida son repli sur le moulin Lavie, pouvantse prêter à une défense possible.(1) Le 20 décembre 1946, le nommé Labrèche Amor ben Ali, originaire <strong>de</strong> la Mechta Zimba,venait répondre <strong>de</strong>vant le tribunal militaire <strong>de</strong> Constantine <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Missud Joseph. Il invoquaitun alibi. L'affaire était renvoyée pour complément d'infor<strong>ma</strong>tion. Nous ignorons la suite donnée à cedossier.223


UN DRAME ALGERIEN<strong>Un</strong>e première liaison est effectuée entre Héliopolis et Guel<strong>ma</strong>.Des patrouilles rencontrent <strong>de</strong>s gendarmes venant <strong>de</strong> la ville.Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in <strong>ma</strong>tin, mercredi, une pointe est poussée <strong>de</strong> bonneheure, vers la vallée <strong>de</strong> la Seybouse. A 6 h. 45 on constate <strong>de</strong>srassemblements à 4 kilomètres <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> A 8 heures, cesrassemblements avaient doublé. Le danger s'affir<strong>ma</strong>it.Vers 15 heures, on constate la présence <strong>de</strong> 200 indigènes vers lecimetière d'Héliopolis : gens armés et possédant <strong>de</strong> l'essence. Cegroupe dispose d'environ 150 grena<strong>de</strong>s, 2 mitraillettes, <strong>de</strong>s fusilsalle<strong>ma</strong>nds tirant <strong>de</strong>s cartouches anglaises. <strong>Un</strong> autre groupe d'unecentaine d'individus est à l'est du moulin, dans un ravin.Vers 10 heures, <strong>de</strong>s avions passent. Les groupes ont tendance àse disperser.Vers 19 heures, les notables du village causent avec le <strong>ma</strong>ire,M. Guiraud. Ce <strong>de</strong>rnier les prévient : si les Français sont menacés,toutes les <strong>ma</strong>isons du village seront rasées. Comme les indigènessont propriétaires <strong>de</strong>s trois quarts <strong>de</strong>s immeubles, ils s'efforcent <strong>de</strong>calmer les groupes d'assaillants.La nuit se passe sans inci<strong>de</strong>nts.Jeudi 10. Toujours même situation. Vers 6 heures, MM.Guiraud et Lavie fils (M. Lavie Marcel, père, délégué financier, setrouvait à <strong>Alger</strong>, retenu par ses fonctions) sont entourés, <strong>de</strong>vant la<strong>ma</strong>irie, par un groupe d'indigènes. Ces <strong>de</strong>rniers leur donnentl'assurance que le village ne sera pas touché, et <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>nt à lapopulation européenne <strong>de</strong> revenir dans ses habitations. Le nomméBouarrour Ahmed déclare qu'en se retirant, la population françaisea commis un acte <strong>de</strong> provocation !Des patrouilles et <strong>de</strong>s liaisons avec Guel<strong>ma</strong> sont effectuées avecune camionnette armée <strong>de</strong> miliciens locaux. En ce qui concerne lamine <strong>de</strong> soufre <strong>de</strong> la région, le personnel <strong>de</strong> l'exploitation avaitassuré sa sécurité par l'installation <strong>de</strong> mines, avec déclenchement224UN DRAME ALGERIENélectrique. Le personnel s'était retiré dans une galerie, avec <strong>de</strong>svivres et <strong>de</strong> l'eau pour un mois.Le vendredi 11, on constate une diminution <strong>de</strong> la tension, enraison <strong>de</strong> la tournure générale <strong>de</strong>s événements.Valensi Baptiste, cantonnier, a été assassiné dans l'alléejoignant sa <strong>ma</strong>ison à la route, le jeudi soir.A GUELLAT BOU SBAHLe mercredi 9, le soir, à la cessation du travail, on constate uneagitation inaccoutumée parmi les indigènes. <strong>Un</strong> ouvrier <strong>de</strong>M. Bourger, <strong>ma</strong>ire du village, avertit confi<strong>de</strong>ntiellement l'épouse<strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier que si, durant la nuit, on appelle le patron, il nefaudra pas répondre, même si la voix est connue.La population se replie sur la cave <strong>de</strong> M. Boivin.A GALLIÉNILe 8, à l'occasion <strong>de</strong>s fêtes <strong>de</strong> la Victoire, invitation <strong>de</strong>s kebarsau Méchoui. Ne sont venus que le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s « Amis duManifeste » et le caïd Kennet.Jeudi 10, un prisonnier est sollicité par <strong>de</strong>ux indigènes àparticiper à une action. Le <strong>ma</strong>ire veut aviser le sous­préfet, <strong>ma</strong>is laligne est occupée.A CLAUZELLe mercredi 9, à 9 h. 30, cessation du travail par les ouvriersindigènes dans toutes les fermes. On constate <strong>de</strong> leur part un va­etvient.A 23 heures, 3 à 400 hommes armés se trouvent au­<strong>de</strong>ssousdu village. Ils sont contenus par un indigène. Il y a lieu <strong>de</strong> noter225


UN DRAME ALGERIENqu'une patrouille <strong>de</strong> Sénégalais, venant d'Oued­Zénati, était déjàpassée.Le jeudi 10, réunion <strong>de</strong>s notables chez le <strong>ma</strong>ire. Ils promettentla sécurité sous la condition que les Européens rentrent chez eux.Vers 23 heures, trois coups <strong>de</strong> fusil sont tirés sur la <strong>ma</strong>ison <strong>de</strong>M. Sa<strong>de</strong>ler.La ligne téléphonique a été coupée sur Constantine­Guel<strong>ma</strong> etla gare.A HAMMAM MESKOUT1NEHam<strong>ma</strong>m Meskoutine est l'avant­<strong>de</strong>rnière station du chemin <strong>de</strong>fer qui, partant <strong>de</strong> Constantine, arrive à Guel<strong>ma</strong>, pour se dirigerensuite sur Bône, Ce nom évoque la présence <strong>de</strong> nombreusessources hydrominérales et d'un établissement important qui reçoit,chaque année, <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> <strong>ma</strong>la<strong>de</strong>s, convalescents ou déprimésvenant <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>r aux eaux chau<strong>de</strong>s une rapi<strong>de</strong> et définitiveguérison. Site admirable, fréquenté à travers les âges par toutes lesgénérations ayant pris contact avec l'Afrique du Nord. Siteamélioré <strong>de</strong>puis notre arrivée par <strong>de</strong>s installations balnéaires et lacréation <strong>de</strong> jardins et <strong>de</strong> promena<strong>de</strong>s agrémentées <strong>de</strong> plantationsd'arbres venant compléter <strong>de</strong>s peuplements d'oliviers centenaires.Au moment où Guel<strong>ma</strong> était menacé par la révolte <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945,les <strong>de</strong>ux hôtels d'Ham<strong>ma</strong>m Meskoutine abritaient quarantefamilles <strong>de</strong> baigneurs. La journée du 8 <strong>ma</strong>i avait été calme, commeà l'ordinaire. Rien <strong>de</strong> suspect ne s'était <strong>ma</strong>nifesté, lorsque le 9 <strong>ma</strong>iau <strong>ma</strong>tin, on vit arriver un groupe affairé <strong>de</strong> 150 indigènesenviron, venant <strong>de</strong> Taya et se dirigeant vers Guel<strong>ma</strong> Passant <strong>de</strong>vantla Poste, ces <strong>ma</strong>nifestants arrachèrent le drapeau français placé au<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la porte d'entrée, puis ils continuèrent à suivre leurchemin. Première alerte, qui jeta un peu d'inquiétu<strong>de</strong> parmi la226UN DRAME ALGERIENpopulation française installée dans les hôtels.Le 10 <strong>ma</strong>i au <strong>ma</strong>tin, on constatait <strong>de</strong> nombreux rassemblementsd'indigènes ans environs <strong>de</strong> l'agglomération et non loin <strong>de</strong> la gare.Le directeur <strong>de</strong> l'établissement, M. Fourquet, ancien officier, serendant compte du danger, crut <strong>de</strong>voir prier un ami <strong>de</strong> Constantine<strong>de</strong> <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>r à la Division une protection nécessaire. Peu après leslignes téléphoniques et télégraphiques <strong>de</strong>sservant Ham<strong>ma</strong>mMeskoutine étaient coupées sur Taya, Clauzel, Guel<strong>ma</strong> et Medjez­A<strong>ma</strong>r. Les poteaux soutenant ces lignes avaient été abattus le long<strong>de</strong> la voie ferrée. La gare était complètement isolée. Mais par laPoste la ligne <strong>de</strong> Roknia était encore utilisable.A 11 heures du soir, 60 Sénégalais arrivaient <strong>de</strong>vant les hôtels,venant <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, à 22 kilomètres. Le 11 <strong>ma</strong>i, au <strong>ma</strong>tin, <strong>de</strong>uxmichelines étaient en gare et évacuaient vers Constantine lesclients <strong>de</strong> l'établissement. Le même jour, aune heure <strong>de</strong> l'aprèsmidi,une section militaire, envoyée par la Préfecture, procédait àl'évacuation <strong>de</strong> tous les Français résidant encore à Ham<strong>ma</strong>mMeskoutine. Les hôtels, la poste, la gare et les do<strong>ma</strong>ines, tout étaitabandonné par ordre. Les insurgés avaient beau jeu pours'abandonner au pillage. Renseignés sur les événements et sur larésistance énergique opposée à Guel<strong>ma</strong> au mouvementinsurrectionnel, ils se sont abstenus <strong>de</strong> continuer leurs<strong>ma</strong>nifestations. Mais Ham<strong>ma</strong>m Meskoutine avait bien été comprisdans le programme <strong>de</strong>s organisateurs du complot. Quelques joursaprès l'alerte on recevait <strong>de</strong>s confi<strong>de</strong>nces, on citait tel indigène <strong>de</strong>l'établissement comme ayant été spécialement chargé <strong>de</strong> couper lecou <strong>de</strong> tel ou tel Français. Des rôles avaient été distribués. Onnotait, cependant, <strong>de</strong>s exceptions. Des gens dévoués affir<strong>ma</strong>ient ladécision qu'ils avaient prise <strong>de</strong> rester fidèles aux Roumis, <strong>ma</strong>isavouaient que leur action n'aurait pu se <strong>ma</strong>nifester que dans uneabstention simplement réprobative <strong>de</strong>s crimes inévitables.227


UN DRAME ALGERIENA KELLERMANNLe 5 <strong>ma</strong>i, le secrétaire <strong>de</strong>s « Amis du Manifeste » avait déjàdéclaré qu'il ne travaillerait plus pour les Français.Le <strong>ma</strong>rdi 9 <strong>ma</strong>i, au <strong>ma</strong>tin, un vieux musul<strong>ma</strong>n dit au <strong>ma</strong>ire quecela ne va pas. Dans la soirée, on constate que les indigènes duvillage s'informent près <strong>de</strong> ceux qui reviennent <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>.Le mercredi 9, le <strong>ma</strong>tin, distribution d'armes aux Européens. A23 heures, les fils téléphoniques sont coupés. On signale laprésence, au village, d'un vieux <strong>ma</strong>rabout, étranger. Le gar<strong>de</strong>champêtreindigène a avisé M. Chevance <strong>de</strong> ne pas bouger <strong>de</strong> chezlui si on l'appelle ou s'il entend quelque chose.Le jeudi 10, le vieux <strong>ma</strong>rabout est toujours là. Les ouvriersindigènes cessent le travail. Destructions partielles <strong>de</strong> la conduited'eau. Arbres abattus pour barrer la route.Dans la journée, la population se replie sur Guel<strong>ma</strong>.A LA MAHOUNAA la ferme du télégraphe, le mercredi, vers 18 heures, <strong>de</strong>sindigènes sont venus réclamer « le Roumi » en disant qu'il le leurfallait à tout prix.Les Français ne furent sauvés que par le dévouement <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxouvriers qui les cachèrent.SUR LES ROUTESLes émeutiers circulent en grand nombre.On re<strong>ma</strong>rque :228UN DRAME ALGERIEN— Sur la route <strong>de</strong> Sédrata : Le mercredi 9, vers 14 h. 30, unvoisin <strong>de</strong> M. Palluel annonce à ce <strong>de</strong>rnier qu'il y a grandrassemblement. On constate, en effet, la présence <strong>de</strong> 1500 à 2.000indigènes, dont beaucoup <strong>de</strong> cavaliers, entre le 3e et le 4ekilomètres, sur la route <strong>de</strong> Sédrata. Ces indigènes se sont partagésen trois groupes : un sur la route <strong>de</strong> Sédrata, un <strong>de</strong>vant la fermePalluel, un sur la route <strong>de</strong> Gounod.Ce <strong>de</strong>rnier groupe rencontre Winschell et sa femme au 3ekilomètre. Ils doivent faire <strong>de</strong>mi­tour. Ils reçoivent une vingtaine<strong>de</strong> coups <strong>de</strong> feu. Les chevaux <strong>de</strong> leur voiture s'emballent. Les<strong>ma</strong>lheureux sont tués à 300 mètres du lieu où ils se sont arrêtés.On re<strong>ma</strong>rque sur la route une gran<strong>de</strong> discipline. Les émeutiers<strong>ma</strong>rchent en tirailleurs, <strong>de</strong>ux par <strong>de</strong>ux, comme sur la route <strong>de</strong>Saint­Arnaud à Fedj M'Zala, pour diminuer, a­ton dit, l'efficacité<strong>de</strong>s tirs d'avions. Ils sont armés <strong>de</strong> fusils <strong>de</strong> serpes, faucilles. Achaque troupe <strong>de</strong> 10 à 12, un chef <strong>de</strong> file habillé en bleu. Il fautconclure à une préparation méthodique dans l'organisation dumouvement.Les <strong>de</strong>rniers émeutiers passaient quand les avions tirèrent lespremières rafales <strong>de</strong> mitrailleuses. Ils ont alors fait un mouvement<strong>de</strong> recul par trente ou quarante. Ceux <strong>de</strong> Gounod se retirent sur leDjebel Hallouf<strong>Un</strong> autre groupe se reforme dans la vallée <strong>de</strong> Bousserah et uneautre partie se dirige vers L'Oued Zimba, où l'aviation lesretrouvera le jeudi 10 (1).Le mercredi soir, à la tombée <strong>de</strong> la nuit, on dégage la fermeZara qui se trouve à 4 kilomètres <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> Le vieux Zara, âgé <strong>de</strong>80 ans, n'a pas voulu quitter sa ferme. Il est retrouvé assassiné lejeudi.— Sur la route <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> à Sédrata : Au quatrième kilomètre,(1) Les renseignements que nous donnons, dans ce chapitre, sont puisés, en gran<strong>de</strong> partie, dansun re<strong>ma</strong>rquable exposé chronologique établi sur l'ordre du Comité <strong>de</strong> défense crée à Guel<strong>ma</strong>.229


UN DRAME ALGERIENle mercredi 9, entre 13 heures et 13 h. 15, il se forme unrassemblement.A la ferme Bezzina, une discussion éclate entre les ouvriers <strong>de</strong>ce <strong>de</strong>rnier et les émeutiers, qui préten<strong>de</strong>nt attraper le patron, mêmeà Guel<strong>ma</strong>. Les émeutiers déclarent que les ordres sont d'abord <strong>de</strong>prendre la ville et <strong>de</strong> s'occuper ensuite <strong>de</strong>s fermes.On re<strong>ma</strong>rque <strong>de</strong>s cavaliers armés <strong>de</strong> sabres, <strong>de</strong>s piétons armés<strong>de</strong> fusils, <strong>de</strong> mitraillettes, <strong>de</strong> serpes, <strong>de</strong> faucilles et d'outils divers.Après le repli, les émeutiers déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> se rassembler à BledGaffar. Vers 18 heures, <strong>de</strong>s avions arrivent. Certains émeutierscrient : « Voilà les avions américains qui viennent nous ai<strong>de</strong>r ! »Ceci dénonce une <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> la propagan<strong>de</strong> entreprise par lesmeneurs, affir<strong>ma</strong>nt que la révolte s'appuie sur <strong>de</strong>s encouragementsé<strong>ma</strong>nant <strong>de</strong>s puissances alliées à la France, encouragementsprécédant <strong>de</strong>s appuis <strong>ma</strong>tériels.Le mercredi, vers 21 h. 20, les émeutiers, qui s'étaient repliéssur la route <strong>de</strong> Gounod, montent à la ferme Dittlo. Ils brutalisentles ouvriers et les prisonniers qui s'y trouvent et pillent la ferme.Nous en aurons terminé avec le récit <strong>de</strong>s événements duConstantinois, en <strong>ma</strong>i 1945, lorsque nous aurons, en quelqueslignes, résumé les « inci<strong>de</strong>nts qui se sont produits à Bône.230UN DRAME ALGERIENA BONEBône... Bougie... cela fixe un front soulignant l'ampleur prisepar l'insurrection qui a déferlé, comme une lame <strong>de</strong> fond, surl'Afrique du Nord française... Ce front représente 215 kilomètres.Bône, désignée, <strong>de</strong>puis longtemps, comme <strong>de</strong>vant être le sièged'une préfecture, est <strong>de</strong>venue une cité importante, un port trèsfréquenté, où, avant la guerre, venaient se déverser les produitsagricoles et les produits miniers d'un hinterland transformé par laloi du travail et par les initiatives officielles et privées. Sapopulation européenne et indigène s'acroissait d'année en année. Etcette <strong>de</strong>rnière n'avait pas <strong>ma</strong>nqué d'être touchée par la propagan<strong>de</strong>xénophobe organisée par les partis <strong>de</strong>s P.P.A. <strong>de</strong>s Oulé<strong>ma</strong>s, <strong>de</strong>s« Amis du Manifeste » et <strong>de</strong>s organisateurs <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>rsas, dont lesactions conjuguées ont abouti au mouvement actuel.On peut donc dire qu'à Bône comme ailleurs, le terrain étaittout préparé. Les inci<strong>de</strong>nts isolés, alimentés par un esprit collectiftrès nettement affirmé ne s'y comptaient plus.231


UN DRAME ALGERIENLe 1er <strong>ma</strong>i, un défilé menaçant s'était produit avec <strong>de</strong>spancartes protestant contre l'arrestation du chef Messali. Deuxjours après, la nouvelle <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> Berlin par les Alliés était lesignal <strong>de</strong> l'organisation <strong>de</strong> groupements hostiles dans la ville.Intervention <strong>de</strong> la police, arrestations, jugements du Tribunalmilitaire. Le jour <strong>de</strong> la reddition alle<strong>ma</strong>n<strong>de</strong> approche et <strong>de</strong>sprécautions s'imposent. Les personnalités responsables <strong>de</strong> l'ordre,M. le Sous­Préfet Troussel, un vieil Algérien, à l'esprit averti eténergique, le colonel Monnot, com<strong>ma</strong>ndant la subdivision, le<strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> Bône, M. Sens­Olive, le commissaire central, sepréoccupent <strong>de</strong> la situation et <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces possibles. Il semblequ'on est paré.Le 8 <strong>ma</strong>i, on fête officiellement la Victoire. Défilé <strong>de</strong> 6 à 7.000enfants dans les rues, en un ordre impressionnant. On évalue lafoule à 10.000 Européens, Les indigènes, invités à participer à la<strong>ma</strong>nifestation, se sont récusés. Ils enten<strong>de</strong>nt se grouper à part. Onleur donne le <strong>ma</strong>ximum <strong>de</strong> satisfactions, avec lesrecom<strong>ma</strong>ndations qui s'imposent.Lorsque le cortège se met en <strong>ma</strong>rche, ils cherchent à le couperpour prendre place <strong>de</strong>rrière les enfants, que suivent les autorités.Premier remous inquiétant ; l'ordre est rétabli.A l'arrivée au Monument aux Morts, la <strong>ma</strong>sse indigène esténorme. Des bannières sont déployées. Elles portent <strong>de</strong>sinscriptions intolérables : « A bas le colonialisme ! Vive Messali !Libérez Messali ! » Le commissaire <strong>de</strong> police intervient. Lasituation <strong>de</strong>vient brusquement grave. Des <strong>ma</strong>traques se montrent,<strong>de</strong>s boussâadis sortent <strong>de</strong> leurs gaines, <strong>de</strong>s couffins remplis <strong>de</strong>pierres ont été apportés. Des projectiles sont lancés sur le serviced'ordre. Des coups <strong>de</strong> revolvers éclatent enfin. Le sang coule,plusieurs agents sont blessés. La gendarmerie prête <strong>ma</strong>in forte à lapolice.232UN DRAME ALGERIENLa bataille s'engage jusque dans les rues <strong>de</strong> la ville. Les coups<strong>de</strong> feu continuant, les agents se défen<strong>de</strong>nt en ripostant.Plusieurs Français tombent : M. Camilieri est roué <strong>de</strong> coups<strong>de</strong>vant la sous­préfecture. M. Marchetti Pierre est terrassé, insulté,frappé. Il <strong>de</strong>vait survivre quinze jours à ses blessures et mourirdans <strong>de</strong>s souffrances atroces. On compte d'autres victimes. Lebilan <strong>de</strong> la tragédie se traduit par 47 blessés, dont 28 agents et unmort du côté européen, 2 morts et 16 blessés du côté <strong>de</strong>s émeutiers.Pour éviter <strong>de</strong> nouveaux inci<strong>de</strong>nts, il a fallu organiser <strong>de</strong>sgar<strong>de</strong>s civiques. <strong>Un</strong>e centaine d'arrestations ont eu lieu, dont celledu prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s Oulé<strong>ma</strong>s.Le danger passé, <strong>ma</strong>is la menace persistant, M. le GouverneurChataigneau est venu rendre visite à Bône, par mer. Les élusfrançais lui ont exposé la gravité <strong>de</strong> la situation l'insuffisance <strong>de</strong>smesures prises. Ils ont <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndé <strong>de</strong>s affir<strong>ma</strong>tions d'autorité, afind'éviter <strong>de</strong> nouveaux <strong>drame</strong>s. Le chef <strong>de</strong> la Colonie a répondu :« Fraternité !... »Il a ensuite regagné l'aviso qui l'avait amené, renonçant, <strong>ma</strong>lgréles plus vives insistances, à se rendre à Guel<strong>ma</strong>.L'impression, à Bône, comme en beaucoup d'endroits, est quele danger persiste, <strong>de</strong> nouvelles surprises sont à craindre.***Le 18 juillet 1945 un tribunal militaire, siégeant à Bône, acondamné à mort les nommés Ouahim S<strong>ma</strong>ïn ben Laribi et SoltaniNoui ben Hacène, pour homici<strong>de</strong> sur un agent <strong>de</strong> la force publiquedans l'exercice <strong>de</strong> ses fonctions.Il n'est pas parvenu à notre connaissance que ces exécutionsaient eu lieu.233


UN DRAME ALGERIENTOUT EST CALME...On a lancé l'affir<strong>ma</strong>tion que les événements tragiques du 8 <strong>ma</strong>in'avaient, somme toute, atteint qu'une très faible partie du territoireNord africain. Et le ministre <strong>de</strong> l'Intérieur, par une opérationarithmétique fort simple, en a conclu qu'un pourcentage infime <strong>de</strong>la population avait <strong>ma</strong>nifesté contre la France.La vérité (qui se fait jour <strong>de</strong> plus en plus) <strong>ma</strong>lgré la consignedu silence, répondant à ce que l'on a appelé la politique <strong>de</strong>l'autruche, contredit les affir<strong>ma</strong>tions optimistes ou officielles.Le danger était grand, partout en Algérie, avant les émeutes . Ils'est aggravé partout avec ces <strong>de</strong>rnières. Il s'est affirmé partout,après les troubles ; il s'aggrave a nouveau, partout, par les mesures<strong>de</strong> pardon que l'on prend et qui se traduisent, pour la <strong>ma</strong>sse <strong>de</strong>sautochtones, par la crainte que nous éprouvons à sévir et parl'affir<strong>ma</strong>tion <strong>de</strong> la solidarité musul<strong>ma</strong>ne dans une action dont il estUN DRAME ALGERIENdifficile <strong>de</strong> dire qu'elle n'est pas dirigée contre la France (1).Que l'on cherche à minimiser une catastrophe, à diminuer sonimportance, cela s'explique et entre bien dans le rôle d'ungouvernement qui veut circonscrire les conséquences d'unévénement social fâcheux pour l'avenir.Cela peut être bon pour la France, où, à part quelquesexceptions, la presse est le principal agent <strong>de</strong> l'infor<strong>ma</strong>tionpublique. Cela est inopérant et fâcheux dans une sociétémusul<strong>ma</strong>ne où nos raisonnements d'Occi<strong>de</strong>ntaux ne peuvent avoiraucune action.Nous sera­t­il permis <strong>de</strong> <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>r ici, sans mettre en cause làloyauté et le désir <strong>de</strong> bien faire ani<strong>ma</strong>nt les personnalités venues enAfrique du Nord, pour enquêter sur la situation, à quoi peut bienviser l'affir<strong>ma</strong>tion que quelques coins seulement <strong>de</strong> l'Algérie ontété atteints par l'esprit <strong>de</strong> rébellion ?Partir d'une affir<strong>ma</strong>tion fausse, n'est­ce pas se diriger vers unesolution fausse du problème que l'on cherche à résoudre ?Or, il est faux que les événements <strong>de</strong>s 8 et 10 <strong>ma</strong>i 1945 aient été<strong>de</strong>s <strong>ma</strong>nifestations locales. Malgré le silence <strong>de</strong> la presse, tout lemon<strong>de</strong> sait, en Algérie, que d'un bout à l'autre <strong>de</strong> la Colonie, lesesprits étaient prêts à <strong>ma</strong>nifester dans le sens <strong>de</strong>s émeutes <strong>de</strong> Sétifet <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>. Des inci<strong>de</strong>nts qui se sont produits un peu partout ensont la démonstration la plus indéniable.Veut­on <strong>de</strong>s exemples ? Voici quelques faits probants, nouspourrions en citer d'autres :***Peu avant les émeutes, dans la région <strong>de</strong> Zéralda, à l'ouestd'<strong>Alger</strong> — nous voilà loin <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>, même <strong>de</strong> Sétif— en avril234(1) Ces lignes datent <strong>de</strong> septembre 1945.235


UN DRAME ALGERIEN1945, le gar<strong>de</strong> forestier Renier était, chez lui, occupé à <strong>de</strong> petitstravaux, dans la pièce d'entrée <strong>de</strong> son habitation, isolée en pleinbois (forêt <strong>de</strong>s Planteurs). Deux fenêtres étaient ouvertes au rez<strong>de</strong>­chaussée.Deux indigènes armés <strong>de</strong> fusils se présentent, un àchaque fenêtre. Ils le visent et l'immobilisent, en lui disant : « Nebouge pas ou tu es mort ! ».Aussitôt la porte s'ouvre. Le gar<strong>de</strong>, désarmé, reçoit l'ordre <strong>de</strong> secoucher, la face contre terre. Il ne peut qu'obéir. Sa femme et safille, 22 ans, arrivent. La pièce est envahie. On les fait coucherégalement, dans la même position.Les agresseurs leur ban<strong>de</strong>nt les yeux et se mettent à piller la<strong>ma</strong>ison. Tout à coup, Renier entend sa fille l'appeler : Papa, ausecours ! La <strong>ma</strong>lheureuse est victime d'un acte <strong>de</strong> lubricité. Lepère bondit. <strong>Un</strong> coup <strong>de</strong> feu le fait retomber. Il est mort. La mèreest abattue, et la fille subit les pires outrages <strong>de</strong>s bandits.Depuis ces faits, que la presse n'a pas relatés, on a dû prendre<strong>de</strong>s mesures pour assurer la sécurité dans la région. On a installéou l'on va installer une briga<strong>de</strong> <strong>de</strong> gendarmerie à Zéralda. Mais lesvols se multiplient dans les villas, les fermes, les <strong>ma</strong>isonsfrançaises isolées. La côte présente <strong>de</strong> belles plages et était trèsfréquentée par les baigneurs. On ne peut plus désor<strong>ma</strong>is s'isolerdans la belle saison et prendre un bain sans risquer <strong>de</strong> voirdisparaître les effets, les portefeuilles, les bijoux déposés sur le solou dans les autos. Ce sont <strong>de</strong>s jeunes qui opèrent à l'instigation <strong>de</strong>sparents, la forêt est proche. Les délinquants ont vite fait <strong>de</strong>disparaître. Ils échappent ainsi à toutes les recherches. Le silencecollectif les couvre. C'est là une forme grave <strong>de</strong> rébellion.Pendant que se déroulaient les événements du Constantinois,les « Amis du Manifeste » et le P.P.A. fonctionnaient égalementUN DRAME ALGERIENdans la région <strong>de</strong> Cherchell. <strong>Un</strong> complot <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> envergure avaitété organisé dans le département d'<strong>Alger</strong>, contre la France. Il avait<strong>de</strong>s ramifications et une ampleur importantes : Il visait àl'insurrection. Il avait gagné les élèves <strong>de</strong> l'École militaireindigène. On en a connu les détails le 17 septembre 1945, lorsquese sont déroulés les débats <strong>de</strong> cette affaire, qui ont duré plusieursjours, <strong>de</strong>vant le Tribunal militaire d'<strong>Alger</strong>. De nombreusesarrestations ont été opérées en <strong>ma</strong>i. Le chef du P.P.A. local avaitfait <strong>de</strong>s aveux. Des gradés militaires indigènes avaient été gagnés àla cause <strong>de</strong> l'é<strong>ma</strong>ncipation intégrale.Les condamnations prononcées dans cette affaire par leTribunal militaire per<strong>ma</strong>nent d'<strong>Alger</strong>, le 21 septembre 1945, ontété les suivantes :3 condamnations à mort, dont 2 accusés militaires ;Travaux forcés à perpétuité pour un civil ;Diverses condamnations aux travaux forcés et à la prison.<strong>Un</strong> acquittement.Chose curieuse : <strong>de</strong>s inculpés ont reproché au mouvement <strong>de</strong>Sétif d'être pré<strong>ma</strong>turé. Le soulèvement <strong>de</strong>vait avoir lieu, <strong>ma</strong>is êtregénéral. C'était la condition même <strong>de</strong> son succès.Nous voilà prévenus. Il y a eu <strong>ma</strong>ldonne. On recommencera.<strong>Un</strong> fait, qui s'est passé à <strong>Alger</strong> même, démontre quel'organisation <strong>de</strong> l'émeute avait été préparée <strong>de</strong> longue <strong>ma</strong>in etdonne <strong>de</strong>s précisions sur les responsabilités engagées.Deux indigènes, dont le nommé Ladjali Mohamed Saïd,secrétaire <strong>de</strong> la section communiste <strong>de</strong> la Casbah, étaient surpris236237


UN DRAME ALGERIENen ville, le 18 <strong>ma</strong>i 1945, à 2 heures du <strong>ma</strong>tin, par une patrouille.L'un d'eux disparaissait dans la nuit et ne put être rejoint, disent lesjournaux. Ladjali, après avoir essayé <strong>de</strong> fuir, engageait la lutte. Ilétait armé d'un pistolet auto<strong>ma</strong>tique, dont il fit usage. La patrouilleriposta. Ladjali tomba. Il ne tardait pas à expirer. Il avait unesacoche dans laquelle on trouva : un colt auto<strong>ma</strong>tique, <strong>de</strong>smunitions <strong>de</strong> guerre, <strong>de</strong> nombreux faux cachets (Comité français<strong>de</strong> la libération nationale, Commissariat à la Justice, Ministère <strong>de</strong>l'Agriculture, Direction <strong>de</strong> la Sécurité générale <strong>de</strong> l'Algérie, Villed'<strong>Alger</strong>, Commissariat central, Service <strong>de</strong> la circulation, etc.) ; 200imprimés, en langue arabe, <strong>de</strong> l'hymne du P.P.A. ; une partie <strong>de</strong>sarchives du Comité central <strong>de</strong>s « Amis du Manifeste » et <strong>de</strong> laLiberté, dissous par l'autorité administrative, le 14 <strong>ma</strong>i 1945.Ajoutons que Ladjali a eu <strong>de</strong>s obsèques imposantes. <strong>Un</strong>e fouleénorme for<strong>ma</strong>it le cortège. Sur la tombe, trois orateurs ont plis laparole au nom du Parti communiste, pour rendre hom<strong>ma</strong>ge audéfunt.Ne sommes­nous pas en droit <strong>de</strong> conclure que l'affaire <strong>de</strong> larébellion était organisée jusque dans ses détails, et que le parti <strong>de</strong>la révolte avait un grand état­<strong>ma</strong>jor, siégeant a <strong>Alger</strong>, avec <strong>de</strong>scomplicités bien établies ?Le 8 <strong>ma</strong>i 1945, les mêmes scènes qui avaient lieu à Sétif seproduisaient à Blida, à 50 kilomètres d'<strong>Alger</strong>. La « Ville <strong>de</strong>sroses » était brusquement envahie par une foule d'indigènes armés(2.000 environ). Ban<strong>de</strong>roles, cris, menaces, bagarres. Denombreux agents du service d'ordre sont blessés. 15 arrestations.Des peines allant <strong>de</strong> l'emprisonnement à 20 ans <strong>de</strong> travaux forcés,avec interdiction <strong>de</strong> séjour et dégradation civique, sontprononcées, le 24 <strong>ma</strong>i, par le Tribunal militaire. Nous voilà loin duConstantinois...UN DRAME ALGERIEN***Ainsi donc, le département d'<strong>Alger</strong> était également atteint par lavague <strong>de</strong> haine qui a failli submerger tout le territoire duConstantinois. Est­ce à dire que la province d'Oran était in<strong>de</strong>mne<strong>de</strong> toute <strong>ma</strong>nifestation d'hostilité contre la France en <strong>ma</strong>i 1945 ?M. Pascal Muselli, député <strong>de</strong> l'Oranie à l'AssembléeConsultative Provisoire, a répondu à cette question, dans sondiscours du 10juillet.« Dans la nuit du 18 au 19 <strong>ma</strong>i, a­t­il dit, le feu est mis à la<strong>ma</strong>irie <strong>de</strong> Saïda. 17 lignes téléphoniques privées sont coupées ; lesréserves <strong>de</strong> bois <strong>de</strong> l'Intendance sont incendiées. Affolementgénéral et recherches. On découvre les auteurs <strong>de</strong> ces méfaits. Ilsfont <strong>de</strong>s aveux. Ils déclarent tout bonnement qu'ils avaient reçul'ordre d'assassiner les autorités locales et que s'ils ne l'avaient pasfait, ce qu'ils regrettaient, c'est parce qu'ils étaient insuffisammentarmés et ne possédaient pas assez <strong>de</strong> munitions !« A la suite <strong>de</strong> perquisitions opérées chez les auteurs <strong>de</strong> cetteaction, on a découvert tout le système d'organisation <strong>de</strong>s « Amisdu Manifeste » en Oranie et toute la liste <strong>de</strong>s Musul<strong>ma</strong>ns qui<strong>de</strong>vaient opérer dans le département d'Oran. De nombreusesarrestations ont été faites, plusieurs centaines, je crois.L'administration a été enfin en mesure <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s dispositionspour éviter le renouvellement <strong>de</strong> pareils faits. Cependant, il estprouvé que tout le système <strong>de</strong> l'insurrection étendait sa toiled'araignée sur l'Algérie entière. Si cette insurrection n 'a pas étégénérale, c 'est parce qu'elle a été pré<strong>ma</strong>turée et que l'inci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>Sétif, qui est l'origine <strong>de</strong>s événements, a éclaté inopinément. Lesinstructions étaient formelles : l'insurrection ne <strong>de</strong>vait avoir lieuqu'à une date qui <strong>de</strong>vait être fixée par les dirigeants et lesagitateurs.238239


UN DRAME ALGERIEN« Il est pénible <strong>de</strong> constater qu'une administration informée, àlaquelle nous disions tous les jours : « Méfiez­vous ! De gravesévénements vont se produire. Il faut prendre <strong>de</strong>s précautions etsauvegar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s vies hu<strong>ma</strong>ines françaises et musul<strong>ma</strong>nes ! » n'aitpas pris les dispositions nécessaires. Car une fois déclenchés, onne sait pas où ces sortes d'inci<strong>de</strong>nts peuvent s'arrêter. »Nous n'avons rien à ajouter ni à retrancher à cette déclaration,faite à la tribune <strong>de</strong> l'Assemblée Nationale.***La formule administrative employée pour ramener l'apaisementdans le pays est à la fois simple et dangereuse.« Maintenant tout est calme !.» constatent les Pouvoirs publics.En Afrique du Nord, le calme a toujours précédé l'orage. On adit, avec raison, qu'en Algérie, l'émeute est toujours une explosion.Le calme ne saurait donc être une démonstration <strong>de</strong> sécurité.Surtout lorsque se produisent <strong>de</strong>s faits qui sont démonstratifs aupossible, tel l'inci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Mac­Mahon, ce chef­lieu <strong>de</strong> communemixte qui est entré dans l'histoire en 1917, par le <strong>ma</strong>ssacre du souspréfetCasinelli, <strong>de</strong> l'administrateur Marseille, du brigadierforestier Terezano, pour ne citer que les principales victimes.Le 14 juillet 1945, <strong>de</strong>ux mois après les émeutes duConstantinois, le village <strong>de</strong> Mac­Mahon était calme. On avaitcélébré comme il convenait la fête nationale. Le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in, onavait repris la tâche journalière. Le détachement <strong>de</strong> spahis installédans le village, les colons avaient mené, comme d'habitu<strong>de</strong>, à lapremière heure, les bêtes à l'abreuvoir communal avant <strong>de</strong>distribuer la ration d'orge. Le travail reprenait nor<strong>ma</strong>lement.240UN DRAME ALGERIENTout à coup, grosse émotion : les bêtes qui avaient bu tombaientbrusquement, pour ne plus se relever. Aux écuries militaires, onconstatait la mort, presque foudroyante, <strong>de</strong> 32 chevaux <strong>de</strong> service.Chez M. Tacon, colon, 10 bêtes sur 12 étaient tuées : exactement 3chevaux, 4 mulets, et 3 juments. En tout une cinquantaine <strong>de</strong> bêtesatteintes mortellement.<strong>Un</strong>e enquête a démontré :1° Que l'eau <strong>de</strong> l'abreuvoir avait reçu <strong>de</strong> l'arseniate <strong>de</strong> sou<strong>de</strong>provenant, sans doute, du son empoisonné distribué dans lescampagnes pour la lutte contre les sauterelles.2° Qu'aucune bête appartenant aux indigènes du village n'avaitété menée, ce <strong>ma</strong>tin­là, à l'abreuvoir.Est­il nécessaire <strong>de</strong> conclure ?Ajoutons que Mac­Mahon n'a pas constitué un fait isolé <strong>de</strong>tentative criminelle par l'emploi du son empoisonné. <strong>Un</strong> jeunecolon <strong>de</strong> Catinat, quelque temps auparavant, a failli absorber uncafé au lait nocif en rentrant chez lui, après une veillée <strong>de</strong> nuit, sursa place à battre. M. Deffobis surpris par l'amertume du liqui<strong>de</strong>qui lui était servi avait pu cracher à temps la première gorgée qu'ilse préparait à absorber et jeter le contenu <strong>de</strong> son bol par la fenêtre.Des poules, picorant aussitôt le pain mis dans le café, sonttombées foudroyées. Le garçon indigène du colon a avoué satentative criminelle <strong>de</strong>vant la gendarmerie : emploi <strong>de</strong> son nocif.Après plusieurs mois d'arrestation, il a été relâché... faute <strong>de</strong>preuves...Jusqu'à la transfor<strong>ma</strong>tion en eau arseniquée du contenu <strong>de</strong>l'abreuvoir <strong>de</strong> Mac­Mahon, nous <strong>de</strong>vons reconnaître que tout étaitcalme sur le territoire <strong>de</strong> la commune mixte d'Aïn Touta. Onvoudra bien nous permettre d'ajouter qu'en l'occurrence, ce calmeétait, au moins, trompeur. Le vieux proverbe reste toujours vrai ! Ilfaut se méfier <strong>de</strong> l'eau qui dort... même dans un abreuvoir...241


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIEN***Retenons enfin ce fait significatif :Les élections dites cantonales qui ont eu lieu en septembre 1945ont envoyé dans les Conseils généraux <strong>algérien</strong>s <strong>de</strong>s indigènes quiavaient pris position contre la France en signant les différents<strong>ma</strong>nifestes <strong>de</strong><strong>ma</strong>ndant la disparition <strong>de</strong> notre autorité et <strong>de</strong> notredrapeau <strong>de</strong> l'Afrique française. C'est à <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>jorités écrasantes queces hommes ont été élus par leurs coreligionnaires. Plusieursétaient en prison, détenus et accusés <strong>de</strong> faits graves, à la suite <strong>de</strong>sémeutes <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945. Voilà qui augmente <strong>de</strong> façon sensible lepourcentage relevé par le ministre <strong>de</strong> l'Intérieur, M. Tissier, quiétait du reste dans son rôle en essayant d'atténuer la portée <strong>de</strong>sfaits, afin <strong>de</strong> diminuer les appréhensions <strong>de</strong> l'opinion publique.La vérité vraie, hélas ! n'est pas d'accord avec la véritéofficielle.Et le danger persiste en Algérie et, on peut le dire, dans toutel'Afrique du Nord.242LES LEÇONS DU PASSEGouverner c'est prévoir, a­t­on dit souvent. Nous pouvonsajouter : prévoir, c'est surtout s'inspirer <strong>de</strong>s leçons du passé. Or,après cent quinze ans, les leçons du passé sont nombreuses pournous, en Afrique du Nord. Les émeutes <strong>de</strong> 1945 ont eu <strong>de</strong>sprécé<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> nature à nous instruire sur le caractère et lesdispositions <strong>de</strong>s indigènes à notre égard dès que l'on fait appelchez eux à la passion religieuse. Quelles conclusions utiles pournotre défense avons­nous tiré <strong>de</strong>s événements sanglants dont nousavons été trop souvent les victimes ? Nous pouvons sans hésiterrépondre : Aucune.Prenons un exemple :Le 12 novembre 1916, on apprenait avec quelque émotion, auGouvernement général <strong>de</strong> l'Algérie, qu'une révolte venaitbrusquement d'éclater à Mac­Mahon, chef lieu <strong>de</strong> la communemixte d'Ain Touta, dans l'arrondissement <strong>de</strong> Batna, qui fait partie,comme Sétif et Guel<strong>ma</strong>, du Constantinois. Les événements avaient243


UN DRAME ALGERIENrapi<strong>de</strong>ment tourné au tragique : le sous­préfet, M. Gasinelli, entournée <strong>de</strong> révision dans la région, surpris la nuit, en pleinsommeil par l'attaque du bordj administratif, était sorti <strong>de</strong> sachambre, pour se rendre compte <strong>de</strong> ce qui se passait.Il avait été assommé à coups <strong>de</strong> <strong>ma</strong>traques par les émeutiers,après une belle et inutile résistance. L'Administrateur <strong>de</strong> lacommune mixte, M. Marseille, <strong>de</strong>scendant rapi<strong>de</strong>ment l'escalierqui <strong>de</strong>sservait son appartement, était tué à coups <strong>de</strong> feu avantd'atteindre le rez­<strong>de</strong>­chaussée ; sa fillette, affolée, voyant tomberson père, s'était précipitée sur son corps et recevait une balle quimit, pendant plusieurs se<strong>ma</strong>ines, ses jours en danger ; le bordj étaiten feu, il <strong>de</strong>vait être en partie détruit ; Mme Marseille dutl'abandonner avec ses enfants, sans avoir eu le temps <strong>de</strong> prendre<strong>de</strong>s vêtements indispensables.<strong>Un</strong> piquet <strong>de</strong> zouaves, amené la veille à Mac­Mahon (unedizaine d'hommes), réussit à dégager la <strong>ma</strong>ison commune. Lesémeutiers se répandirent alors dans le village et dans la campagne,dans un but <strong>de</strong> meurtre et <strong>de</strong> pillage. Le brigadier forestierTerrezano, surpris chez lui, fut assassiné à son tour. Le chef <strong>de</strong>gare ne dut son salut qu'au dévouement d'une femme indigène.Il fallut toute une expédition militaire pour mettre à la raison lesrévoltés. <strong>Un</strong>e fois <strong>de</strong> plus le plateau <strong>de</strong> la Mestaoua, entouré <strong>de</strong>ravins profonds, qui avait déjà servi <strong>de</strong> camp retranché auxinsurgés <strong>de</strong> 1871, fut le refuge <strong>de</strong>s tribus soulevées contre notreautorité. Nous avons eu <strong>de</strong> nouveaux morts à déplorer, <strong>de</strong>véritables expéditions punitives à assurer. Alors que nous étions enguerre en Europe, il fallut faire venir <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong> France.Il fut démontré que l'autorité avait été prise au dépourvu. Elleavait cependant été alertée à la session récente d'octobre auConseil général <strong>de</strong> Constantine, où <strong>de</strong>s élus avaient affirmé que laUN DRAME ALGERIENsituation était plus qu'inquiétante et qu'il fallait s'attendre à <strong>de</strong>sévénements graves.Le calme revenu, après bien <strong>de</strong>s efforts et <strong>de</strong> douloureuxsacrifices, on prescrivit une enquête ; un vieux fonctionnaire en futchargé ; il se nom<strong>ma</strong>it M. Depont, il était chef du service <strong>de</strong>l'Inspection générale <strong>de</strong>s communes mixtes en Algérie et assuraitla direction intéri<strong>ma</strong>ire <strong>de</strong>s Territoires du Sud.Son rapport ne vit ja<strong>ma</strong>is le grand jour <strong>de</strong> la publicité ; il futclassé parmi les documents secrets. Ses conclusions ne furentconnues <strong>de</strong> personne ou à peu près, ce qui fit penser qu'ilconstituait une défense tellement exagérée <strong>de</strong>s formulesadministratives en <strong>ma</strong>tière <strong>de</strong> politique indigène qu'il valait mieux,dans un sentiment <strong>de</strong> pu<strong>de</strong>ur compréhensif, ne pas le diffuser.On se trompait ; le rapport <strong>de</strong> M. Depont est un travailconsciencieux et courageux, qui a dit la vérité sur le <strong>drame</strong> d'AïnTouta et a signalé, avec une indépendance qui est toute à l'éloge <strong>de</strong>son auteur, les fautes commises et la conduite à observer dansl'avenir, afin d'éviter le retour <strong>de</strong> faits aussi graves que fâcheuxpour la sécurité et la dignité françaises.Les fonctions que nous avons occupées dans les assembléesd'<strong>Alger</strong> nous ont valu, il y a quelques années, la faveurexceptionnelle d'obtenir l'autorisation <strong>de</strong> lire ce document. Nousen avons retenu une impression réconfortante, celle que lesFrançais d'Algérie ne <strong>ma</strong>nquent ja<strong>ma</strong>is d'avoir en présence d'unfonctionnaire sachant rester, en toute occasion, vraiment digne <strong>de</strong>la tâche qui lui a été confiée.La leçon d'Histoire donnée à ses chefs par M. Depont, àl'occasion <strong>de</strong> la tragédie <strong>de</strong> Mac­Mahon, méritait vraiment d'êtrepubliée. Elle est d'une haute portée morale et constitue unenseignement qui aurait dû nous éviter le retour aux éternelles244245


UN DRAME ALGERIENerreurs, se terminant chez nous par <strong>de</strong> continuelles catastrophes.Mais combien <strong>de</strong> Gouverneurs, combien <strong>de</strong> Préfets, combien <strong>de</strong>hauts fonctionnaires ont eu la curiosité ou le temps <strong>ma</strong>tériel <strong>de</strong>s'imprégner <strong>de</strong>s vérités hautement éducatives qui ont étéconsignées dans un document confi<strong>de</strong>ntiel datant déjà <strong>de</strong> près <strong>de</strong>trente années ?Nous regrettons <strong>de</strong> n'avoir retenu <strong>de</strong> cette lecture que quelquesnotes éparses recueillies par nous avec une ferveur reconnaissante.M. Depont examine les faits « au microscope » pour employerl'expression du regretté professeur Gautier. Dans l'affaire d'AïnTouta, il relève jusqu'aux excitations turques, <strong>ma</strong>squées par « <strong>de</strong>nouvelles et abondantes déclarations <strong>de</strong> loyalisme dans nosprovinces <strong>algérien</strong>nes », <strong>ma</strong>is entretenues par <strong>de</strong>s « missidominici » tolérés par l'autorité, tel cet agitateur otto<strong>ma</strong>n,séjournant au M'Zab avec notre autorisation, l'agitationgrandissante, succédant à la raréfaction <strong>de</strong>s attentats qui s'étaitproduite au début <strong>de</strong> la guerre, l'année 1915 favorisant ensuite unecrise <strong>de</strong> banditisme en Kabylie du département d'<strong>Alger</strong> et dans lesrégions <strong>de</strong> Bône, puis <strong>de</strong> Bougie, Orléansville, Mostaganem,Batna, crise qui ne fut complètement jugulée qu'en <strong>ma</strong>i 1916.L'auteur constate que le rôle primordial fut tenu, dans cesmouvements, par les insoumis et les déserteurs indigènes. Au 31décembre 1916, 40.470 engagés volontaires étaient obtenus parmiles autochtones <strong>algérien</strong>s, <strong>ma</strong>is on signalait <strong>de</strong> nombreusesévasions chez les engagés et chez les appelés.« Les métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> paix, dit­il, avec leur for<strong>ma</strong>lisme, leurshésitations, leurs scrupules <strong>de</strong> l'égalité, que nous finissonstoujours, avant <strong>de</strong> les abandonner, par payer fort cher, avaient dûfaire place aux métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> guerre, pour faire face à la situation etaux mouvements d'insurrection dont nous serons encore longtempsmenacés. »Et M. Depont ajoute : « Le seul remè<strong>de</strong> à apporter à ces246UN DRAME ALGERIENsituations consiste en <strong>de</strong>s répressions aussi immédiates quesévères. Temporiser est ici la pire <strong>de</strong>s choses.« C'est pour ne pas avoir réprimé à temps, c'est­à­dire lorsque lalégitime défense nous le com<strong>ma</strong>ndait, que les choses se sont gâtéesdans l'arrondissement <strong>de</strong> Batna.« Nous avions trop oublié que toute société islamique n'obéitqu'à la force qui, aux yeux <strong>de</strong>s Musul<strong>ma</strong>ns, nous vient <strong>de</strong> Dieu. Etqui donc pourrait être fort contre la volonté <strong>de</strong> Dieu ? Voilàpourquoi tout fléchissement, toute diminution <strong>de</strong> notre puissanceest un signe que Dieu se retire <strong>de</strong> nous et nous livre à la guerresainte.« A Barika (la veille du <strong>drame</strong> <strong>de</strong> Mac­Mahon), nous avonslaissé attaquer à coups <strong>de</strong> fusil sans répondre, chose inouïe,inconnue peut­être dans les annales <strong>de</strong> la guerre d'Afrique, etmême dans les simples opérations <strong>de</strong> police, une patrouille <strong>de</strong>spahis détachée d'une colonne suffisante pour mettre sur­le­champ<strong>de</strong>s rebelles à la raison.« Si l'ordre <strong>de</strong> tirer avait été donné à cette patrouille les chosesn'eussent assurément pas pris une aussi vilaine tournure. Pourquoicet ordre n'a­t­il pas été prescrit ? »Ces constatations sont à rapprocher <strong>de</strong> l'histoire du <strong>ma</strong>ssacre<strong>de</strong>s Juifs <strong>de</strong> Constantine, le 5 août 1934, où en l'absence d'<strong>Alger</strong>,<strong>de</strong> M. Car<strong>de</strong>, Gouverneur général, <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> téléphonepartaient <strong>de</strong>s bureaux administratifs, som<strong>ma</strong>nt la Préfectured'interdire aux troupes <strong>de</strong> tirer sur les émeutiers qui assassinaientleurs victimes dans la rue. Il a fallu l'arrivée du <strong>ma</strong>ire, M. Morinaud,ordonnant la distribution <strong>de</strong>s cartouches aux troupes, pourque, comme par enchantement, la ville soit libérée <strong>de</strong> sesagresseurs.Pendant les journées sanglantes du Constantinois, en <strong>ma</strong>i 1945,n'a­t­on pas entendu au téléphone les mêmes bureauxrecom<strong>ma</strong>n<strong>de</strong>r d'atténuer la répression ?247


UN DRAME ALGERIENCela se traduisait par cette phrase, répercutée <strong>de</strong> bureau enbureau : « Allez­y mou ! » au moment même où les incendies etles meurtres faisaient rage contre les Français <strong>de</strong>s campagnes.La leçon <strong>de</strong> 1916 n'a pas plus servi en 1934 qu'en 1945.Tout serait à reprendre dans l'étu<strong>de</strong>, documentée et fouillée dueà la plume <strong>de</strong> M. Depont. Citons encore quelques phrases <strong>de</strong> cehaut fonctionnaire, qui restent d'actualité :« Les <strong>de</strong>ux fonctionnaires tombés à leur poste (le Sous­préfet etl'Administrateur) victimes du <strong>de</strong>voir professionnel étaient partoutestimés et réputés l'un et l'autre pour leur douceur et leurssentiments très bienveillants à l'égard <strong>de</strong>s indigènes. » On peut endire autant en 1945, du <strong>ma</strong>ire <strong>de</strong> Sétif, M. Deluca, <strong>de</strong>s instituteurs,dont l'un, M. Peguin, a eu la figure écrasée par un <strong>de</strong> ses élèves,<strong>de</strong>s chefs cantonniers ou gar<strong>de</strong>s champêtres, du juge <strong>de</strong> paix <strong>de</strong>Kerrata, M. Trabaud, <strong>de</strong>s Administrateurs Rousseau et Bancel <strong>de</strong>Périgotville, <strong>de</strong> l'abbé Navarro, et <strong>de</strong> toutes les victimes <strong>de</strong>l'odieuse tuerie <strong>de</strong>s 8 et 9 <strong>ma</strong>i... Nous ne parlons pas <strong>de</strong>s femmesqui furent souvent les bienfaitrices <strong>de</strong> nos indigènes dans lescampagnes....« Expliquons­nous : on ne gouverne ni on n'administre pas cepeuple avec <strong>de</strong> la bienveillance exclusivement, en toutes choses,sous peine <strong>de</strong> voir le système tomber dans la faiblesse, qui est ici lapire <strong>de</strong>s extrémités. Il y faut encore beaucoup <strong>de</strong> fermeté et <strong>de</strong>smoyens rapi<strong>de</strong>s d'obéissance et <strong>de</strong> soumission....« En tous cas, d'où qu'elle provienne, aux yeux <strong>de</strong>s indigènes,toute faiblesse <strong>de</strong> l'autorité est une faute, qu'il nous faut toujourspayer cher.....« La répression par les armes était nécessaire. La répressionadministrative, avec les tempéraments que nous allons exposer, nel'est pas moins, les tribus révoltées <strong>de</strong>vaient subir jusqu'au bout lesconséquences <strong>de</strong> leurs actes insurrectionnels. Elles ne se248UN DRAME ALGERIENsoumettront définitivement que si elles sentent peser un longtemps, sur elles, la puissance <strong>de</strong> la France, dont elles ont douté. Or,actuellement, nous l'avons dit, elles n'ont que l'apparence <strong>de</strong>soumission. »Ces lignes sont datées du 1er septembre 1917, un an après le<strong>drame</strong> d'Aïn Touta....« Toutes ces insurrections (<strong>de</strong> 1845 à 1916) présentent un traitcommun. Elles ont toutes pour causes le fanatisme religieux, lemécontentement, l'ambition ou <strong>de</strong>s rivalités <strong>de</strong> grands chefsindigènes. Ces divers mobiles se sont trouvés quelquefois réunis.Mais le premier se retrouve dans toutes les révoltes. Il estl'argument irrésistible pour soulever les <strong>ma</strong>sses simples etcrédules....« Il est à noter que les gran<strong>de</strong>s insurrections : 1864­1871­1881, ont correspondu à <strong>de</strong>s réductions <strong>de</strong> nos forces militaires :Mexique en 1864 ; Guerre <strong>de</strong> 1870­1871 ; Expédition <strong>de</strong> la Tunisieen 1881 ; la même observation s'applique aux troubles <strong>de</strong> 1916. »Nous pouvons aujourd'hui ajouter : et aux <strong>ma</strong>ssacres <strong>de</strong> 1945...Arrêtons là nos citations, et ajoutons cette observation, quirésulte <strong>de</strong> constatations non discutables : le respect <strong>de</strong> l'autoritédisparaît <strong>de</strong> plus en plus en Afrique du Nord. De concession enconcession, en tolérant partout une propagan<strong>de</strong> dite politique, qui<strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus agressive, nous avons donné aux indigènes,qui n'ont <strong>de</strong> respect que pour la force, alliée à la justice, la plusfâcheuse idée <strong>de</strong> nos possibilités. Et cela se traduit par <strong>de</strong>s phrasestelles que celle recueillie <strong>de</strong> la bouche d'un caïd <strong>de</strong> la régiond'Oued­Zenati :« Quand on parle <strong>de</strong> la France, dans mon douar, tout le mon<strong>de</strong>rigole. »Comment s'étonner, dès lors, <strong>de</strong>s émeutes <strong>de</strong> Sétif et <strong>de</strong>Guel<strong>ma</strong> ?249


UN DRAME ALGERIENEN MANIERE DE CONCLUSIONLes différents récits qui précè<strong>de</strong>nt n'ont pas la prétention <strong>de</strong>résumer tous les inci<strong>de</strong>nts qui se sont produits au cours <strong>de</strong>sémeutes <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945, en Algérie. Beaucoup <strong>de</strong> <strong>drame</strong>s locaux sesont déroulés qui n'ont pas eu encore d'écho dans le public, l'effortofficiel tendant ouvertement à faire le silence pour « rassurerl'opinion », ce qui est, nous l'avons dit, un moyen discutable.Il se dégage cependant, <strong>de</strong>s faits connus, libérés <strong>de</strong>sdéfor<strong>ma</strong>tions qui sont à la base <strong>de</strong> transmissions orales ou mêmeécrites, <strong>de</strong>s vérités d'évi<strong>de</strong>nce qui ne sauraient être niées.Essayons <strong>de</strong> définir quelques­unes <strong>de</strong>s constatations d'ordregénéral, méritant d'être retenues.— La surprise a été totale pour les Français menacés etagressés, aussi bien dans les villes que dans les villages ou lescampagnes. Si <strong>de</strong>s avertissements ont pu, avant les journéestragiques, être adressés à l'Autorité responsable <strong>de</strong> l'ordre, c'estqu'une tension générale,UN DRAME ALGERIEN<strong>de</strong>venue <strong>de</strong> plus en plus anor<strong>ma</strong>le, s'affir<strong>ma</strong>it dans le mon<strong>de</strong>indigène — phénomène qui ne pouvait échapper à l'attention <strong>de</strong>sobservateurs français habitués à analyser les réactions <strong>de</strong> l'âmemusul<strong>ma</strong>ne.Ces réactions étaient, évi<strong>de</strong>mment, le résultat d'une propagan<strong>de</strong>suractivée, exacerbée, que l'on sentait en état d'impatienced'arriver à un but assigné à l'avance, poursuivi avec nervosité —propagan<strong>de</strong> ouverte, à laquelle n'était opposée aucune mesureofficielle <strong>de</strong> nature à faire hésiter ou réfléchir les meneurs.Mais à très peu d'exceptions près, un silence collectif,soulignant une complicité générale tacite, a été le caractèreprincipal <strong>de</strong> la préparation du soulèvement du 8 <strong>ma</strong>i 1945.— L'Administration et la population française se sont trouvéesen présence d'un complot savamment préparé, mûri, dont l'ampleur<strong>de</strong>vait s'étendre à tout le territoire <strong>de</strong> nos trois départements<strong>algérien</strong>s. Tous les détails avaient été prévus. L'application d'un telprogramme, dont le succès pouvait être raisonnablement escompté,en un moment précisément où les moyens <strong>de</strong> défense <strong>ma</strong>nquaienten Afrique du Nord, pouvait provoquer un raz­<strong>de</strong>­<strong>ma</strong>rée <strong>de</strong>s plusfâcheux pour la situation <strong>de</strong> la France au Sud <strong>de</strong> la Méditerranée.— Il est logique <strong>de</strong> penser que ce programme, pour atteindre untel développement, a pu recevoir l'appui d'encouragementsétrangers au pays, encouragements faisant suite aux campagnes <strong>de</strong>propagan<strong>de</strong> d'origine alle<strong>ma</strong>n<strong>de</strong> et italienne. L'action entreprisen'était pas d'ordre local. Elle faisait partie d'un plan à alluremondiale. Les chefs locaux — dont la responsabilité reste,évi<strong>de</strong>mment, entière — étaient <strong>de</strong>s comparses, <strong>de</strong>s participantsayant reçu <strong>de</strong>s directives et <strong>de</strong>s moyens d'action puissants. Ilsavaient à leur disposition, sur place, un levier <strong>de</strong> premier ordre, lefanatisme religieux.250251


UN DRAME ALGERIEN— La misère ne peut en rien être retenue, comme provocatricedu <strong>drame</strong>. La démonstration a été faite partout que la faim nesévissait pas dans les régions soulevées. Partout <strong>de</strong>sapprovisionnements ont été trouvés chez les émeutiers. Lespillages ont provoqué <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s révoltés un gaspillage énorme<strong>de</strong> <strong>de</strong>nrées alimentaires. Des stocks considérables <strong>de</strong> blé, semoule,farine existaient à Kerrata, Fedj­M'Zala, qui ont été retrouvésintacts après le soulèvement.— Il a été établi que les régions pauvres du département,vraiment atteintes par le dénuement, n'ont pas enregistré <strong>de</strong>troubles sanglants ni <strong>de</strong> réactions <strong>de</strong> révoltes — <strong>ma</strong>lgrél'insuffisance <strong>de</strong>s secours mis à la disposition <strong>de</strong>s populations,atteintes par une série d'années à productions déficitaires.— Il est également à noter que les mesures <strong>de</strong> restrictions, lesréquisitions <strong>de</strong> récoltes ne se sont pas exercées en fait, à très peud'exceptions près, sur le mon<strong>de</strong> indigène — qui a refusé, dansl'ensemble, <strong>de</strong> respecter les règlements édictés. Seuls les colonsfrançais ont livré leurs récoltes et d'une façon générale, les<strong>ma</strong>gasins <strong>de</strong>s Sociétés indigènes <strong>de</strong> Prévoyance ont été surtoutalimentés, <strong>de</strong>puis trois ans, par du blé <strong>de</strong> culture française. Lespoursuites exercées contre les autochtones délinquants ont eu lieuau ralenti. Quelques condamnations ont bien été prononcées, <strong>ma</strong>iselles ont été très atténuées en appel. La volonté, qui s'affir<strong>ma</strong>it <strong>de</strong>ne pas sévir, a augmenté, par la suite, la résistance. On peut doncdire que les indigènes d'Algérie, tout au moins les 9/10,représentant <strong>de</strong>s agriculteurs, ont joui, d'un régime privilégié, dansla pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> guerre, puisqu'ils n'ont pas livré leur productionagricole et ont participé néanmoins aux répartitions <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nréesalimentaires.— Le mouvement a été nettement hostile à tout ce qui étaitfrançais dans le pays, sans distinction entre les classes sociales, lesprofessions ou les partis politiques.252UN DRAME ALGERIENTout ce qui n'était pas musul<strong>ma</strong>n <strong>de</strong>vait être détruit, anéanti.Témoin ce jeune berbère <strong>de</strong> Kerrata, récemment converti enFrance, au catholicisme. Témoin cette jeune israélite, MlleZemmour, du même centre, tous <strong>de</strong>ux <strong>ma</strong>ssacrés impitoyablement.Témoins également les Français appartenant à <strong>de</strong>s partis avancés,qui ont été horriblement <strong>ma</strong>ssacrés, à Sétif et ailleurs, <strong>ma</strong>lgré lesprotestations d'amitiés qu'ils prodiguaient à leurs agresseurs.— Les observations faites à Guel<strong>ma</strong>, à propos <strong>de</strong>s adhérentsmusul<strong>ma</strong>ns aux organisations ouvrières, donnent la note exacte <strong>de</strong>la soudure à espérer entre les éléments indigènes en Afrique duNord et les groupements à tendances occi<strong>de</strong>ntales ou européennes.La propagan<strong>de</strong> faite <strong>de</strong>puis quelque temps, avec une intensitéaccrue, par les partis politiques, pour entraîner les indigènes vers<strong>de</strong>s idéologies extrémistes, s'est avérée inopérante dès qu'il s'estagi d'affirmer l'unité musul<strong>ma</strong>ne.— Enfin, compte tenu <strong>de</strong> l'horreur <strong>de</strong> la tragédie, dont unepartie <strong>de</strong> la province <strong>de</strong> Constantine a été le théâtre, l'émeute aabouti à un échec. Pourquoi ?Parce que le mouvement a été déclenché par erreur. Parce que<strong>de</strong> ce fait, il n'a pas été généralisé, comme prévu au programmeinitial établi. Ce qui a permis d'organiser une réaction militaire,venant épauler énergiquement les résistances locales opposées parles Français dans les villes <strong>de</strong> Sétif et <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> et dans lescentres <strong>de</strong> colonisation qui ont eu à faire face à l'émeute.Partout, dans les douars et les cités populeuses, on étaitprévenu. On attendait le signal annoncé. On se préparait à l'action.Pour mieux préparer les esprits à cette action, les chefs avaientdonné l'ordre <strong>de</strong> répondre à toutes les <strong>ma</strong>nifestations en faveur <strong>de</strong>la cause française par <strong>de</strong>s contre­<strong>ma</strong>nifestations <strong>de</strong> protestation.Les bannières et les inscriptions revendicatrices étaient253


UN DRAME ALGERIENrecom<strong>ma</strong>ndées. C'était là une <strong>ma</strong>nœuvre dangereuse, pouvantprovoquer brusquement une explosion. C'est ce qui s'est produit àSétif— principal foyer <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> dans le département.Le <strong>drame</strong> <strong>de</strong> Sétif a fait croire au déclenchement du signalattendu. Des émissaires, déjà désignés pour le grand jour, sontpartis, annonçant la guerre sainte : « El djihad. »Sétif a­t­il été la cause du soulèvement <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong> ? Lanouvelle du <strong>ma</strong>ssacre survenu dans la première ville a­t­elle étél'étincelle qui a mis le feu au foyer surchauffé que présentait lasecon<strong>de</strong> ? Il est difficile <strong>de</strong> répondre à ces questions. Il estpossible, il est plausible que les mêmes causes ont pu produire,simultanément, les mêmes effets, sur <strong>de</strong>ux points différents duterritoire. Nous avons vu qu'en <strong>de</strong> nombreuses régions, les contre<strong>ma</strong>nifestationsindigènes ont atteint <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> tension qui ontfait craindre <strong>de</strong>s explosions <strong>de</strong> fanatisme.La journée <strong>de</strong> la Victoire ne <strong>de</strong>vait­elle pas êtreparticulièrement douloureuse pour ceux qui prêchaient lalibération du territoire nord­africain contre la nation victorieuse ?***Des mois se sont écoulés <strong>de</strong>puis l'explosion qui, dans l'esprit <strong>de</strong>ses auteurs, <strong>de</strong>vait jeter hors <strong>de</strong> l'Afrique du Nord l'œuvre et lenom français.<strong>Un</strong>e grave question reste posée, à laquelle doivent répondreceux qui ont la responsabilité <strong>de</strong> l'avenir <strong>de</strong> la France dans lemon<strong>de</strong>.Qui peut nier désor<strong>ma</strong>is, le rôle important joué pour lacivilisation et par notre Pays, sur la plate­forme Maroc ­ Algérie ­Tunisie, après les événements <strong>de</strong> novembre 1942 ! Qui oseraitprétendre que porter atteinte à notre autorité dans ces vastesUN DRAME ALGERIENrégions ne serait pas compromettre du même coup la situation <strong>de</strong>notre Métropole au sein du Concert <strong>de</strong>s Nations qui s'élaboredifficilement <strong>ma</strong>is progressivement dans les gran<strong>de</strong>s capitales <strong>de</strong>la civilisation mo<strong>de</strong>rne ?Que nous le voulions ou non, nous en sommes arrivés à cesta<strong>de</strong> <strong>de</strong> nos préoccupations, dans le problème qui se pose pournous au sud <strong>de</strong> la Méditerranée : La France peut­elle conserver sonprestige dans ses possessions nord­africaines, si ses nationauxd'origine sont mis dans l'obligation d'évacuer ces territoires ?Du côté <strong>de</strong> la population française, nous avons enregistré <strong>de</strong>sconstatations réconfortantes. Au cours <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts tragiquesvécus dans nos campagnes et dans les <strong>de</strong>ux villes attaquéesbrusquement, les Français surpris, isolés, démunis souvent <strong>de</strong> toutarmement, on fait face au danger avec une crânerie qui leur faithonneur. Extrêmement rares ont été les cas <strong>de</strong> défaillanceindividuelle.L'armée, com<strong>ma</strong>ndée par <strong>de</strong>s chefs vraiment dignes <strong>de</strong> ce nom,encadrée par <strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong> haute valeur, <strong>de</strong>s sous­officiersméritant les plus grands éloges, a été admirable d'abnégation et <strong>de</strong>sang­froid, dans les circonstances les plus difficiles. Mise souventen présence <strong>de</strong> constatations qui révoltent la conscience hu<strong>ma</strong>ine :cadavres <strong>de</strong> femmes <strong>ma</strong>rtyrisées, enfants <strong>de</strong> quelques mois lacérés<strong>de</strong> coups <strong>de</strong> couteaux, corps horriblement mutilés et profanés, ellen'a sévi que dans les milieux où s'étaient réfugiés les auteurs <strong>de</strong>ces forfaits. On peut dire qu'en <strong>ma</strong>ints endroits l'interventionrapi<strong>de</strong>, souvent téméraire, <strong>de</strong> petits détachements, a sauvé <strong>de</strong> lamort <strong>de</strong> nombreuses victimes, qui étaient à bout <strong>de</strong> résistance —comme à Kerrata et à Chevreul. Sur le littoral, dans la baied'Aokas, la <strong>ma</strong>rine est venue, <strong>de</strong> façon brillante, secon<strong>de</strong>r lesefforts <strong>de</strong>s patrouilles civiles et <strong>de</strong>s groupes militaires circulant254255


UN DRAME ALGERIENdans une région extrêmement difficile à défendre.Cet effort militaire n'a pas été suivi <strong>de</strong>s décisions énergiquesattendues <strong>de</strong> l'autorité civile. Malgré la gravité <strong>de</strong> la situation, lesrescapés ont constaté que l'on cherchait à apporter <strong>de</strong>s atténuationsaux mesures prises par la Justice, dans le cadre naturel <strong>de</strong>s lois envigueur. On a relaxé <strong>de</strong>s prévenus, renvoyé dans leurs foyers <strong>de</strong>saccusés, pris <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> grâce qui ont étonné les bénéficiaireseux­mêmes. Dans <strong>de</strong>s procla<strong>ma</strong>tions décla<strong>ma</strong>toires, on a annoncéque les <strong>ma</strong>isons détruites par les émeutiers seraient reconstruites,en même temps que celles <strong>de</strong>s assassins.Des décisions <strong>de</strong>s tribunaux militaires, prononçant <strong>de</strong>scondamnations à mort, atten<strong>de</strong>nt encore d'être exécutées. On aannoncé une amnistie générale, pour faciliter « le rapprochement<strong>de</strong>s cœurs ». Malgré <strong>de</strong> légitimes protestations, cette amnistie a étéprononcée.On semble ignorer que <strong>de</strong> telles mesures sont considérées par lemilieu qui en est l'objet comme <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> faiblesse et unencouragement à persévérer dans le but poursuivi. De<strong>ma</strong>in, <strong>de</strong>smeneurs, les grands chefs, seront rendus à la liberté et reprendrontla propagan<strong>de</strong> interrompue jusqu'à satisfaction complète.Et cela nous promet <strong>de</strong> nouveaux troubles, <strong>de</strong> nouvellesémeutes, <strong>de</strong> nouvelles scènes <strong>de</strong> circoncellions.Et cela nous rappelle la recom<strong>ma</strong>ndation du vieux caïd, à sonami français :« L'Arabe, c'est comme le diss. Lorsque tu grimpes dans lamontagne, si tu le prends à pleine <strong>ma</strong>in, en serrant fort, il tesoutient et te protège. Si tu lâches un peu, il te coupe les doigts. »Doit­on s'étonner qu'en présence <strong>de</strong> cette situation, les Françaisqui, au len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in du <strong>drame</strong>, dans un sursaut <strong>de</strong> protestations,avaient affirmé leur volonté <strong>de</strong> rester, <strong>ma</strong>lgré tout, sur les positionsqu'ils avaient doublement conquises, se sentent gagner <strong>de</strong> proche256UN DRAME ALGERIENen proche par la lassitu<strong>de</strong>, la désillusion, le découragement ? Oùest pour eux la garantie <strong>de</strong> sécurité à laquelle ils ont droit, que l'ondoit leur assurer, dans un intérêt national ? Qui peut répondre, ence moment, au colon, au fonctionnaire habitant le bled, au gar<strong>de</strong>forestierperdu dans la forêt, <strong>de</strong> la sécurité <strong>de</strong> sa famille, lorsqueses obligations professionnelles l'éloigneront <strong>de</strong> sa ferme ou <strong>de</strong> sa<strong>de</strong>meure ?Le cli<strong>ma</strong>t moral régnant aujourd'hui sur l'Afrique française estexactement le même que celui qui y régnait dans les <strong>de</strong>rniers jours<strong>de</strong> <strong>ma</strong>rs 1945. Avec aggravation. Les élections qui ont eu lieu ontdonné aux indigènes, par l'application <strong>de</strong> la décision du 7 <strong>ma</strong>rs1944, la certitu<strong>de</strong> d'être à brève échéance les <strong>ma</strong>îtres <strong>de</strong>smunicipalités <strong>algérien</strong>nes. L'administration du pays va changer <strong>de</strong><strong>ma</strong>ins. Peut­on, dès lors, jeter la pierre aux Français qui songent àcet avenir prochain et se laissent entraîner à <strong>de</strong>s préparatifs <strong>de</strong>départ ?Constatons avec tristesse que le mouvement d'émigration acommencé. Des liquidations ont déjà eu lieu. Des achats sepratiquent en France <strong>de</strong> propriétés agricoles. Ce serait tant mieuxpour les campagnes <strong>de</strong> la Métropole qui n'étaient plus repeupléesque par <strong>de</strong>s éléments étrangers, si la contre­partie au sud <strong>de</strong> laMéditerranée ne venait s'affirmer comme désastreuse pour notreNation.Nous savons, d'autre part, que <strong>de</strong>s correspondances s'échangententre l'Afrique et le Canada. Des projets s'ébauchent. Des parentsparlent <strong>de</strong> se rapprocher. Partir là­bas, c'est rester encore français.Le déchirement <strong>de</strong> la séparation semble s'atténuer.Par ailleurs, nous apprenons que les États­<strong>Un</strong>is d'Amériqueviennent <strong>de</strong> nous rendre les 2 ou 3.000 jeunes aviateurs françaispartis à New­York pour y perfectionner leur apprentissage. Cesjeunes sont touchés par la démobilisation française. Ils rentrent257


UN DRAME ALGERIENdans leurs foyers. Ils rejoignent leur famille. Ils ont su se faireapprécier chez nos alliés, puisque, nous dit­on, la plupart d'entreeux ont rapporté, épinglé à leur feuille <strong>de</strong> route, un billet <strong>de</strong> retourgratuit au Nouveau­Mon<strong>de</strong>, valable pour six mois. Beaucoupd'Algériens figurent parmi ces libérables. On nous affirme queplusieurs déjà ont répondu à l'appel qui leur était adressé. On nousa cité <strong>de</strong>s noms.Allons­nous assister à la disparition <strong>de</strong>s meilleurs éléments <strong>de</strong>la prospérité <strong>de</strong> nos territoires nord­africains ? Allons­nous laisserproclamer la faillite <strong>de</strong> l'œuvre française en ces immenses régions,faute d'avoir pris les mesures <strong>de</strong> dignité qui s'imposaient pour yfaire respecter la paix française ?Au point <strong>de</strong> vue national, nous avons dit les répercussions queprovoquerait une telle situation.Au point <strong>de</strong> vue économique, les indigènes eux­mêmes — nousentendons ceux qui désirent notre départ — ne tar<strong>de</strong>raient pas àtomber dans une crise sociale qui appellerait d'urgence <strong>de</strong>nouveaux <strong>ma</strong>îtres sur la terre africaine.On sait, en effet, par <strong>de</strong>s chiffes précis, autant qu'éloquents, quetoute l'économie du pays n'est assurée que par l'effort et le travailfrançais,800.000 Français alimentent presque seuls le budget <strong>algérien</strong>,en payant huit fois plus d'impôts que les 8 millions d'indigènes quipeuplent aujourd'hui l'Algérie (1), alors que la fortune publique estrestée entre les <strong>ma</strong>ins <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers, dans la proportion justifiéepar leur nombre.Appuyons par <strong>de</strong>s chiffres cette affir<strong>ma</strong>tion : Dans unebrochure publiée en 1939 par les services <strong>de</strong> l'Économie sociale duGouvernement général <strong>de</strong> l'Algérie, au sujet <strong>de</strong> l'artisanat(1) Déclaration du général Catroux avant son départ du Gouvernement général.258UN DRAME ALGERIENindigène, il est précisé que les indigènes <strong>algérien</strong>s cultivaient :— 1.022.000 hectares <strong>de</strong> blé sur 1.308.000 hectares. Ce quipermet <strong>de</strong> dire que la culture européenne ressort à 286.000hectares ;— 1.152.000 hectares d'orge sur 1262.000 hectares, d'où unepart, pour l'Européen, <strong>de</strong> 110.000 hectares ;— 15.823 hectares <strong>de</strong> tabac, sur 22.289, d'où une part <strong>de</strong> 6.466hectares pour l'Européen.On ajoute que les « indigènes possè<strong>de</strong>nt la presque totalité dubétail ». 170.000 chevaux, 773.000 bovins, 5.181.000 ovins, les 6/7<strong>de</strong>s figuiers, les 5/8 <strong>de</strong>s oliviers, à peu près tous les palmiers duSud.Et voilà, d'un seul coup, brisé le slogan abominable querépan<strong>de</strong>nt en France certains partis affir<strong>ma</strong>nt que le colon françaisa réduit en un état d'esclavage le <strong>ma</strong>lheureux indigène <strong>algérien</strong>,dont la misère justifie ainsi les révoltes et les soulèvements...Car cette diffa<strong>ma</strong>tion a cours dans <strong>de</strong>s journaux <strong>de</strong> laMétropole, répandus effrontément dans nos trois départementsafricains. Et cela est <strong>de</strong> nature à fausser, en France, une opinionpublique admettant, <strong>de</strong> bonne foi, <strong>de</strong> telles affir<strong>ma</strong>tions (1).La vérité est que la Colonisation française n'a pas refoulél'indigène. Elle a créé <strong>de</strong> la richesse en mettant en valeur <strong>de</strong>schamps incultivés <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s millénaires. Elle a défrichéd'immenses étendues envahies par la brousse, les a transforméesen campagnes <strong>de</strong> France, en prairies, en vignes, en champs <strong>de</strong>(1) Les chiffes ainsi relevés dans un document officiel démontrent que l'indigène est <strong>ma</strong>îtrechez lui, dans les 7/8 <strong>de</strong>s territoires <strong>algérien</strong>s. Sur les 7/8 <strong>de</strong> la superficie ainsi fixée, il ne sauraitdonc y avoir d'esclavage. Restent les terrains occupés par la colonisation française, soit 1/8. Or, il estdémontré que c'est là, précisément, que l'indigène a, dans le passé, au cours <strong>de</strong>s crises les plusgraves, le moins souffert <strong>de</strong> la misère. Esclavage ? misère provoquée par nous ? Comment expliqueralors que, <strong>de</strong>puis trente ans, les achats <strong>de</strong> terres par les indigènes aux Français sont plusconsidérables que les achats faits par les Européens aux indigènes ?259


UN DRAME ALGERIENcéréales. Elle a donné du travail rémunérateur aux autochtonesinoccupés jusqu'alors. La protection française a abouti à cerésultat, en un siècle, <strong>de</strong> faire passer une population <strong>de</strong> 2 millionsd'êtres hu<strong>ma</strong>ins à 8 millions, chiffre qui va être accusé, affirme­ton,par le prochain recensement <strong>de</strong> la population.Les Français d'Algérie ont le droit d'être fiers <strong>de</strong> leur œuvre.Par le labeur <strong>de</strong> cinq générations, ils ont donné à la Mère­Patrie undo<strong>ma</strong>ine qui double la superficie <strong>de</strong> la Métropole. Ils ont créé, ausud <strong>de</strong> la Méditerranée, une pépinière <strong>de</strong> citoyens soldats, quiavaient déjà brillamment fait leurs preuves lors <strong>de</strong> la guerre 1914­1918. Cinq pour cent <strong>de</strong>s contingents enrôlés sur le front sonttombés, face à l'ennemi. Les survivants ont fait mieux <strong>de</strong>puis. En1939, ces Français ont été <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> tourmente. En 1943, ilsfaisaient partie <strong>de</strong>s troupes qui ont opposé un barrage à l'arméealle<strong>ma</strong>n<strong>de</strong> se préparant à envahir l'Algérie près <strong>de</strong> Tebessa, qui ontfait la reconquête <strong>de</strong> la Tunisie avec nos alliés, qui se sont illustréssur les champs <strong>de</strong> bataille <strong>de</strong> Sicile et d'Italie et qui ont participé àla libération <strong>de</strong> nos vieilles provinces, <strong>de</strong>puis le Midi jusques et au<strong>de</strong>là <strong>de</strong> Belfort, pour entrer en vainqueurs dans les pays rhénans,après l'Alsace et la Lorraine reconquises.Cet effort a été accompli par <strong>de</strong>s Français <strong>de</strong> l'Afrique du Nord,encadrant <strong>de</strong>s contingents indigènes tous confondus dans notreesprit en un même sentiment <strong>de</strong> reconnaissance et <strong>de</strong> fiertépatriotiques.A tous les Français d'adoption qui ont fait <strong>ma</strong>gnifiquement leur<strong>de</strong>voir, nous <strong>de</strong>vons notre protection clairvoyante et fraternelle.Nous <strong>de</strong>vons leur éviter d'être entraînés dans la folle propagan<strong>de</strong>qui doit, <strong>de</strong><strong>ma</strong>in, les jeter, pantelants, dans les pires aventures.Nous <strong>de</strong>vons donner à ce pays d'Afrique, qui est le leur comme ilest le nôtre, cette paix française qu'ils ont bien méritée et qui doitêtre faite <strong>de</strong> justice impartiale et <strong>de</strong> fermeté assurant le respect <strong>de</strong>260UN DRAME ALGERIENl'ordre social et le libre développement <strong>de</strong>s initiativesindividuelles, sous l'égi<strong>de</strong> du travail collectif, principal facteur <strong>de</strong>la prospérité commune.Pour arriver à ce résultat, il n'y a plus une faute à commettre.Ceci est un <strong>de</strong>s côtés <strong>de</strong> la question africaine. Il a sa valeur.Mais il est dominé par le principe même du <strong>ma</strong>intien <strong>de</strong> l'autoritéfrançaise au sud <strong>de</strong> la Méditerranée.261


UN DRAME ALGERIENPOST­SCRIPTUMVERS L'IRRÉPARABLELes lignes qui précè<strong>de</strong>nt et que nous avions données « en<strong>ma</strong>nière <strong>de</strong> conclusion » datent <strong>de</strong> neuf mois. Elles ont été écritesen décembre 1945. Nous ne sommes, du reste, pour rien dans leretard apporté à leur publicité, car nous n'ignorons pas qu'il estgrand temps <strong>de</strong> faire entendre les vérités nécessaires.Depuis cette époque, <strong>de</strong>s faits nouveaux se sont produits, quiaccentuent encore la gravité <strong>de</strong> la situation créée à la France enAfrique du Nord.A Paris, on légifère en hâte. On est plus pressé <strong>de</strong> faire, pourl'Algérie, du définitif que du raisonnable. On fait œuvre <strong>de</strong>démolition, sans souci du len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in — à part celui <strong>de</strong> faire placenette, pour installer on ne sait quel régime <strong>de</strong> désordre etd'anarchie, dont les indigènes seront les victimes, au même titreque les Français d'origine.Apparemment, on vise à donner <strong>de</strong>s satisfactions aux « Amisdu Manifeste », <strong>de</strong> ce « Manifeste » signé par tous les élus262UN DRAME ALGERIENmusul<strong>ma</strong>ns siégeant actuellement à la Constituante, au titre<strong>algérien</strong>, et qui récla<strong>ma</strong>it, en termes autoritaires et agressifs, enfévrier 1943 :— La libération totale <strong>de</strong> l'Algérie, par le départ <strong>de</strong>l'Administration et <strong>de</strong> l'influence françaises ;— Le remplacement du drapeau tricolore par le drapeau <strong>de</strong>l'Islam dans les cantonnements et les <strong>ma</strong>nifestations militaires ;— La constitution <strong>de</strong> l'Algérie en État <strong>algérien</strong>, dès la fin <strong>de</strong>shostilités, Constitution élaborée par une assemblée <strong>algérien</strong>ne,élue au suffrage universel, par tous les habitants <strong>de</strong> l'Algérie.Le 7 <strong>ma</strong>rs 1944, un an après, une Ordonnance, sous laquelle onétait étonné <strong>de</strong> trouver un nom respecté, celui du général <strong>de</strong>Gaulle, avait fait entrer le pays dans la voie ainsi tracée : les listesélectorales françaises étaient largement ouvertes aux indigènes,admis à conserver leur statut personnel.Cette <strong>de</strong>rnière stipulation était la reconnaissance officielle parnotre pays, la légalisation <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> servage <strong>de</strong> la femmemusul<strong>ma</strong>ne...Depuis décembre 1945, d'autres décisions sont venues encorerenforcer l'Ordonnance <strong>de</strong> 1944, en faisant litière <strong>de</strong>s principes quiavaient le plus honoré, jusqu'à ce jour, les traditions françaises,nous voulons parler du respect <strong>de</strong> la Justice.Par une série <strong>de</strong> mesures, l'Autorité supérieure est arrivée : àfaire classer <strong>de</strong> nombreuses affaires criminelles, intéressant lesémeutes <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945, avant jugement, à vi<strong>de</strong>r les camps <strong>de</strong>concentration, où avaient été relégués, en attendant <strong>de</strong>s sanctions,<strong>de</strong> nombreux inculpés, à relâcher <strong>de</strong>s condamnés <strong>de</strong> droit communavant l'expiration <strong>de</strong> leurs peines ; à annuler l'exécution <strong>de</strong>décisions <strong>de</strong>s tribunaux militaires ayant prononcé <strong>de</strong>s peinescapitales contre les principaux auteurs <strong>de</strong>s scènes atroces dontnous vous avons cité quelques exemples. On affirme que sur 120263


UN DRAME ALGERIENcondamnations environ, prononcées à ce titre, 25 à peine ont étésuivies d'exécution.Enfin est arrivée l'amnistie générale, qui couvre à peu près tousles coupables et leur permet <strong>de</strong> revenir, libérés et insolents, parmileurs victimes et leurs complices.Et comme si <strong>de</strong> tels défis au bon sens et à l'équité n'étaient passuffisants, on intensifie à plaisir les campagnes <strong>de</strong> calomniescontre les <strong>ma</strong>rtyrs <strong>de</strong> l'hécatombe <strong>de</strong>s 8 et 9 <strong>ma</strong>i 1945. La presse etla T.S.F. propagent les mensonges les plus odieux sur <strong>de</strong>s faitsdont l'Administration a empêché la libre divulgation.Les partis extrémistes — qui ont une gran<strong>de</strong> part dans lesévénements <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i, et les élus indigènes — continuent à crier auscandale <strong>de</strong>puis que, le calme relatif étant revenu, l'émeute ayantété circonscrite d'abord, puis jugulée — l'ordre public allait, enfin,être restauré dans le pays.Le scandale, ce n'est pas le <strong>ma</strong>ssacre <strong>de</strong>s Français isolés etsurpris, sans défense, <strong>de</strong>s femmes <strong>ma</strong>rtyrisées et <strong>de</strong>s petits enfantslacérés <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> couteaux. Le scandale, c'est la répression tropbrutale <strong>de</strong> l'émeute. Nos soldats ont été <strong>de</strong>s bourreaux...Ce renversement, au moins audacieux, <strong>de</strong>s rôles, a évi<strong>de</strong>mmentpour but <strong>de</strong> tromper l'opinion publique dans la Métropole. Mais ilcrée une situation intolérable en Algérie, où tout le mon<strong>de</strong> est fixé,même la <strong>ma</strong>sse indigène, qui est étonnée, aujourd'hui encore, quele châtiment n'ait pas été plus exemplaire.Notre armée — qui reste toujours la « gran<strong>de</strong> muette » — nepeut, évi<strong>de</strong>mment, répondre aux diffa<strong>ma</strong>tions dont elle est l'objet.Aucun communiqué officiel n'est venu rétablir la vérité. <strong>Un</strong>e miseau point s'est esquissée dans la presse indépendante <strong>de</strong> la Colonie.Elle a été insuffisante, à notre sens, et n'a pas atteint les milieux264UN DRAME ALGERIENinfluencés par les mensonges répandus à profusion. Pourquoi nepas dire toute la vérité ?Nous ne voudrions pas que l'on puisse, ici, se méprendre sur laportée <strong>de</strong> nos affir<strong>ma</strong>tions, lorsque nous dirons que nous ne nionspas la répression qui a eu lieu en certains endroits.Nous savons qu'à Sétif, il y a eu peu d'exécutions <strong>de</strong> criminelsau cours <strong>de</strong>s émeutes. L'usage <strong>de</strong>s armes à feu avait été interdit à latroupe. Nous avons dit que les hommes n'avaient pas <strong>de</strong>cartouches. Mais ailleurs en rase campagne, partout où nossoldats, allant délivrer les fermes ou les villages, ont été reçus àcoups <strong>de</strong> mitrailleuses ou <strong>de</strong> mitraillettes — comme cela s'estproduit, par exemple, le 8 au soir et le 9 au <strong>ma</strong>tin, près <strong>de</strong>Périgotville, le len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in 10 <strong>ma</strong>i, à Chevreul, où <strong>de</strong>s barrages, surla route, étaient défendus à coups <strong>de</strong> fusils, plus tard à Taher, oùles <strong>ma</strong>isons forestières, incendiées, ne furent dégagées qu'après <strong>de</strong>scombats contre les émeutiers, plus tard enfin au douar Menar, <strong>de</strong>Fedj­M'Zala —partout où la résistance armée, ouverte, a succédé àl'émeute, il y a eu riposte vigoureuse <strong>de</strong> nos for<strong>ma</strong>tions militaires,il y a eu assaut, répression, châtiment.Quel esprit sensé, raisonnable, oserait s'élever contre l'attitu<strong>de</strong><strong>de</strong> nos soldats se trouvant en état <strong>de</strong> légitime défense ? N'était­cepas le seul moyen, du reste, <strong>de</strong> limiter les dégâts, <strong>de</strong> mettre fin à unmouvement qui avait la prétention <strong>de</strong> s'étendre sur toute l'Algérie,pour gagner, ensuite, la Tunisie et le Maroc ?Nous l'avons dit déjà, c'est à l'énergie <strong>de</strong> notre armée et <strong>de</strong> seschefs, à leur sens profond du Devoir et <strong>de</strong> l'Honneur français quenous <strong>de</strong>vons d'avoir échappé à un <strong>drame</strong> généralisé et savammentpréparé.Les Pouvoirs publics, pour <strong>de</strong>s raisons que nous ne saurionsapprouver, ne le disent pas, <strong>ma</strong>is les dispositions militairesauxquelles nous assistons en ce moment, sont la démonstration265


UN DRAME ALGERIENque l'on considère que le danger n'est pas complètement écarté.Le <strong>ma</strong>l était profond en <strong>ma</strong>i 1945. Il l'est toujours, un an et<strong>de</strong>mi après. Il le <strong>de</strong>vient chaque jour davantage. Il serait plusqu'impru<strong>de</strong>nt, pour le juger, <strong>de</strong> se fier aux déclarations officielles,lesquelles s'efforcent <strong>de</strong> <strong>ma</strong>squer la vérité en affir<strong>ma</strong>nt qu'il nefaut pas confondre quelques meneurs avec la <strong>ma</strong>sse. La <strong>ma</strong>sse,elle, obéit par contrainte, aux meneurs, quand elle n'obéit pas parenthousiasme. Nous n'en voulons pour preuve que ces exemples,constatés partout. Lorsqu'un indigène, compromis dans lesémeutes <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i, sort <strong>de</strong> prison, il est acclamé par tous sescoreligionnaires. S'il est candidat aux élections prochaines, c'estl'unanimité <strong>de</strong>s suffrages qui s'affirme sur son nom. Et cela est lacondamnation <strong>de</strong> formules qui ne répon<strong>de</strong>nt à rien : ni à la vérité,ni à la logique, ni à la probité tout court — et que l'on ne peutexpliquer que par un but : tromper l'opinion et les Pouvoirs publicsdans la Métropole.Des amis <strong>de</strong>s Français, on en trouvait beaucoup, avant laguerre, parmi nos indigènes. Ils se sont raréfiés, non pas qu'ilsaient eu à se plaindre <strong>de</strong> leurs voisins, qui étaient leurs conseillerset leurs protecteurs, dont ils connaissaient la sympathie agissante— <strong>ma</strong>is parce qu'ils savent qu'ils ne trouveront aucune protectionefficace <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l'Administration supérieure, lorsque, par leurattitu<strong>de</strong> indépendante, ils se seront mis en <strong>ma</strong>rge <strong>de</strong> leur famillemusul<strong>ma</strong>ne. L'histoire <strong>de</strong>s cimetières, dont on refusait l'entrée auxnaturalisés français, en Tunisie, et à Tebessa, s'est aggravée <strong>de</strong>nombreux autres exemples, non moins significatifs (1).(1) En 1934, un inci<strong>de</strong>nt grave s'est produit à Tébessa. <strong>Un</strong> fonction naire indigène, naturaliséfrançais, ayant perdu un enfant se dirigeait avec un cortège d'amis, vers le cimetière, aux finsd'inhu<strong>ma</strong>tion. 200 musul<strong>ma</strong>ns occupaient l'accès du lieu <strong>de</strong> repos.Ils s'opposèrent avec violence à l'ensevelissement <strong>de</strong> la pauvre dépouille. La terre musul<strong>ma</strong>ne266UN DRAME ALGERIENVoilà ce que l'on ignore en France, où l'opinion est faussée par<strong>de</strong>s slogans inadmissibles et profondément injustes, qui produisentla plus fâcheuse impression sur les Français d'Algérie.Nous avons eu, récemment, sous les yeux, <strong>de</strong>s lettres ; nousavons entendu <strong>de</strong>s conversations qui révèlent qu'au nord <strong>de</strong> laMéditerranée, nos compatriotes se <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>nt quelle attitu<strong>de</strong>blâ<strong>ma</strong>ble nous avons pu avoir vis­à­vis <strong>de</strong>s indigènes pour nousattirer une explosion <strong>de</strong> révolte telle que celle du 8 <strong>ma</strong>i.Tel est le résultat <strong>de</strong> la campagne perfi<strong>de</strong> menée par certainspartis, qui se qualifient <strong>de</strong> nationaux, <strong>ma</strong>is creusent, délibérément,un fossé infranchissable entre la Métropole et ses territoiresd'outre­mer.Et cette situation risque <strong>de</strong> créer un cli<strong>ma</strong>t <strong>de</strong> désaffection pourles Français <strong>de</strong> France, chez leurs frères, les Français d'Algérie.Car l'injustice ou l'hostilité, venant <strong>de</strong>s êtres qui nous sont chers,est plus corrosive que celle d'un adversaire déclaré, n'ayant avecnous qu'un lien <strong>de</strong> parenté éloignée.***Les Français d'Algérie ont quelque raison <strong>de</strong> s'émouvoir <strong>de</strong>scalomnies par lesquelles on cherche à les déshonorer, ainsi que <strong>de</strong>smenaces que l'on dresse contre leur existence même. Les pages quiprécè<strong>de</strong>nt montrent par <strong>de</strong> nombreux exemples qu'ils sontcapables, lorsque le temps leur en est donné, <strong>de</strong> résister auxattaques brutales. Ils sont plus sensibles encore aux diffa<strong>ma</strong>tionsdirigées contre leur œuvre.ne <strong>de</strong>vait pas être profanée par un membre d'une famille <strong>de</strong> renégats ou « metournis » ! Des coups<strong>de</strong> feu éclatèrent la police dut intervenir.En Tunisie, à la même époque, <strong>de</strong>s scènes semblables se sont produites en différents endroits,et l'on a vu <strong>de</strong>s naturalisés, terrorisés, publier dans les journaux leur renonciation à leur qualité <strong>de</strong>Français, en termes humiliants pour nous.267


UN DRAME ALGERIENLeur œuvre, ils ont le droit d'en être fiers. Elle honore la patriedont ils se réclament et qu'ils représentent, ici, <strong>de</strong>puis plus d'unsiècle. Ils ont trouvé, en Algérie, <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>rais et <strong>de</strong>s broussailles. Ilsont assaini les tourbières hantées <strong>de</strong> fièvres meurtrières ; ils ontdéniché les taillis, repaires <strong>de</strong>s fauves, ennemis <strong>de</strong>s troupeaux.Plusieurs générations ont succombé <strong>de</strong>vant l'effort librementconsenti. Les petits cimetières <strong>de</strong> nos campagnes conservent lesreliques d'un passé qui fut héroïque.Les Français venus en Algérie ont fait mieux encore. Ils ontpréparé la pépinière <strong>de</strong>s premiers colons qui ont transformé laTunisie et le Maroc. Ils ont pris les autochtones sous leurprotection. Ils les ont défendus contre les <strong>ma</strong>ladies endémiques etla faim per<strong>ma</strong>nente. Grâce à eux, les 1.350.000 indigènes quipeuplaient nos trois départements d'<strong>Alger</strong>, Oran et Constantinesont <strong>de</strong>venus 8 millions en cent ans.Voilà leur œuvre... Elle est à la mesure <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong>scolons <strong>de</strong> Boufarik, dont le calvaire <strong>ma</strong>rque l'une <strong>de</strong>s premièrespages <strong>de</strong> l'Histoire <strong>de</strong> notre Algérie française. Elle parle haut, enparlant français.On a osé dire que le colon s'est enrichi <strong>de</strong>s dépouilles <strong>de</strong>sindigènes. C'est là un mensonge odieux. Hélas... tous les colons<strong>algérien</strong>s sont loin d'être riches. En gran<strong>de</strong> <strong>ma</strong>jorité, ils sont <strong>de</strong>mo<strong>de</strong>stes cultivateurs, alors que l'on, ne compte plus, à l'heureactuelle, les fortunes berbères qui oscillent entre 50 et 100 millionset dépassent même ce <strong>de</strong>rnier chiffe (1).Les indigènes détiennent, nous l'avons vu, les 7/8 <strong>de</strong> la fortunepublique <strong>algérien</strong>ne. Ils en auront bientôt les 9/10, avec la ca<strong>de</strong>nce<strong>de</strong>s achats <strong>de</strong> terres et d'immeubles bâtis qui se pratiquent en cemoment et font <strong>de</strong> plus en plus pencher la balance <strong>de</strong> leur côté. Ce(1) N'a­t­on pas cité <strong>de</strong>s indigènes dont la fortune dépasse le milliard ?268UN DRAME ALGERIENqui ne les empêche pas d'être exonérés <strong>de</strong> la plus lour<strong>de</strong> part <strong>de</strong>scharges fiscales, dont ils ne supportent que le huitième, selon ladéclaration du général Catroux, faite en novembre 1943. Par unedécision qui date <strong>de</strong> plusieurs années, ils ont été exonérés <strong>de</strong>sdroits <strong>de</strong> succession. Et l'on a vu <strong>de</strong>s fortunes <strong>de</strong> plusieurscentaines <strong>de</strong> millions échapper aux droits fiscaux, qui sont silourds pour les successions <strong>de</strong>s Français d'origine. Aucune raisonacceptable n'a, jusqu'à ce jour, été donnée à cette mesure. <strong>Un</strong> essai<strong>de</strong> l'établissement <strong>de</strong> ces droits n'a pas encore donné <strong>de</strong>résultats (1).***On ne <strong>ma</strong>nque ja<strong>ma</strong>is <strong>de</strong> faire état, pour justifier lesrevendications <strong>de</strong>s « Amis du Manifeste », <strong>de</strong>s services militairesrendus à la France par les troupes <strong>algérien</strong>nes. Il y a là un fond <strong>de</strong>vérité, auquel il convient, cependant, <strong>de</strong> fixer d'équitablesproportions.Les vieux engagés volontaires, qui ont participé à nosexpéditions lointaines, dans le passé, et, plus tard au conflit <strong>de</strong>1914/1918, ont droit à notre gratitu<strong>de</strong> et ont laissé dans nos cœursun souvenir ému. De même ceux qui sont tombés, à un titrequelconque, sur les champs <strong>de</strong> bataille, en combattant pour lacause <strong>de</strong> la civilisation. Ceux­là, les Français d'Algérie, dont ilsfurent les dignes compagnons d'armes, les ont toujours défendus.Pour les survivants <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s épopées, l'accession à la qualité <strong>de</strong>français a toujours été largement ouverte. Pour eux, la France a suse montrer reconnaissante et généreuse. Et c'était justice.Beaucoup pourraient dire que c'est, particulièrement, <strong>de</strong> leurs(1) L'Administration affirme que l'on se retrouve en présence d'une impossibilité <strong>ma</strong>tériellepour appliquer <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> successions à notre milieu indigène. Cette affir<strong>ma</strong>tion, renouvelée sur<strong>de</strong>s plans différents, est une jolie réponse à ceux qui, nouveaux venus dans ce pays, préten<strong>de</strong>nt luiimposer la législation <strong>de</strong> France.269


UN DRAME ALGERIENcoreligionnaires qu'ils ont à se plaindre.Les événements d'Aïn­Touta, en 1916, et <strong>de</strong> nombreux exemplesqui se sont produits <strong>de</strong>puis, justifient les réserves faites par <strong>de</strong>nombreux officiers sur les recrues provenant du service obligatoireinstitué à la fin <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> guerre <strong>de</strong> 1914­1918. Rappelonsseulement, pour mémoire, le scandale qui eut lieu à cette époque etauquel mit fin Clemenceau : nous voulons parler <strong>de</strong>s entreprisesd'engraissement hu<strong>ma</strong>in, fournissant aux familles bourgeoises <strong>de</strong>sremplaçants, payés au poids, pour leurs enfants atteints par letirage au sort.En nous gardant <strong>de</strong> vouloir forcer la note, rappelons quelqueschiffres, é<strong>ma</strong>nant <strong>de</strong> statistiques officielles :Dans la tourmente <strong>de</strong> 14­18, l'Algérie a fourni à la mère­patrie :— 115.000 soldats d'origine française, soit 1/5 <strong>de</strong> lapopulation ;— 157.000 soldats d'origine berbère, soit 1/30 <strong>de</strong> la population.Les chiffes <strong>de</strong>s tués ont été les suivants :— 18.000 Français, soit 15,65 % <strong>de</strong>s partants ;— 19.000 indigènes, soit 12,10 % <strong>de</strong>s partants. Par l'histoire <strong>de</strong>sremplaçants, on peut déduire la place que prennent dans ceschiffes les représentants <strong>de</strong> l'élite musul<strong>ma</strong>ne qui se réclame <strong>de</strong>l'impôt du sang.Le système <strong>de</strong> recrutement, institué en 1916, subsiste encore en1946. Nous lisons, dans un communiqué du Ministère <strong>de</strong> laGuerre, daté <strong>de</strong> 1939 :« Rapport entre le nombre <strong>de</strong>s indigènes <strong>algérien</strong>s inscrits etcelui <strong>de</strong> la population : 1,70 %.« Rapport entre le nombre <strong>de</strong>s incorporés et celui <strong>de</strong>s inscritsindigènes : 10 %.« Pour la population française, ce <strong>de</strong>rnier rapport est <strong>de</strong> 93 %.En France métropolitaine, il est <strong>de</strong> 91 %..270UN DRAME ALGERIEN« Sur 6.300.000 indigènes, il n'est pris, tous les ans, enmoyenne, que 10.500 hommes pour le service militaire. Lesindigènes bénéficient, à cet égard, d'une exonération <strong>de</strong> 85 % parrapport au service fourni par les citoyens français. »Ajoutons à ces renseignements, qui sont officiels, que <strong>de</strong>puisnovembre 1942, date <strong>de</strong> la reconstitution <strong>de</strong> l'armée <strong>de</strong> l'Empire,une légère modification a été apportée à ce régime, <strong>ma</strong>is que <strong>de</strong>nombreux cas <strong>de</strong> dispenses ont été appliqués aux indigènes<strong>algérien</strong>s, que ne connaissent pas les Français d'origine. C'est cequi explique que pour les <strong>de</strong>rnières campagnes <strong>de</strong> Tunisie, Italie,France et Alle<strong>ma</strong>gne, il a été prélevé, en Afrique du Nord —Maroc compris : 16 % <strong>de</strong> la population française d'origine, et 2 %<strong>de</strong> la population indigène. Et c'est ce qui souligne l'importanceproportionnelle <strong>de</strong>s pertes subies par ceux­là mêmes qui ont toutdonné à leur Patrie et que l'on récompense en les chassantd'Algérie...Constatons, en outre, que l'on déforme singulièrement la vérité,en prétendant que notre défense nationale joue entièrement sur lescontingents fournis par les indigènes.***On chasse les Français d'Algérie. C'est là un fait qui ne peutêtre nié et qui met en cause les <strong>de</strong>stins mêmes <strong>de</strong> la France enAfrique du Nord. Il est profondément attristant d'enregistrer cetteconstatation qui sera, <strong>de</strong><strong>ma</strong>in, une réalité poignante.Le mouvement est commencé. Il s'accentue rapi<strong>de</strong>ment.L'Administration s'en est aperçue, puisqu'elle a essayé <strong>de</strong> freinerles départs, en refusant d'approuver, pendant un temps, les ventes<strong>de</strong> propriétés françaises aux indigènes. Mais elle continue àfavoriser ceux qui, <strong>ma</strong>lgré tout, voulaient rester. J'attribuais les271


UN DRAME ALGERIENles mesures qui précipitent la catastrophe.Les Pouvoirs publics n'ont pas réagi lorsqu'il en était tempsencore, lorsqu'ils ont été prévenus <strong>de</strong> l'imminence du <strong>drame</strong> qui sepréparait. Or, ils avaient été largement alertés par <strong>de</strong> nombreuxrapports officiels <strong>de</strong> fonctionnaires <strong>de</strong> tous ordres, y compris leschefs <strong>de</strong> gendarmerie et par <strong>de</strong>s appels pressants d'élus.Le <strong>drame</strong> accompli, l'Autorité, nous l'avons dit :— a couvert d'une protection non déguisée les émeutierséchappés, aux constatations <strong>de</strong>s flagrants délits ;— a gracié les coupables arrêtés et condamnés par lestribunaux militaires ;— a prononcé, récemment, une amnistie à peu près générale,qui a permis aux perturbateurs <strong>de</strong> rentrer dans les douars la têtehaute, <strong>de</strong> reformer les groupements d'assaut, genres « Mé<strong>de</strong>rsas »,« Amis du Manifeste » ou Scouts, qui avaient été dissous, et <strong>de</strong>reprendre leur programme d'hostilité et <strong>de</strong> menaces <strong>de</strong> mort contrel'élément français, témoins ces papiers répandus dans lescampagnes en avril 1946, ou jetés dans les boîtes aux lettres <strong>de</strong>svilles :« Français, préparez vos valises ou vos cercueils !... »Et comme si l'Algérie française était coupable <strong>de</strong> ne passuccomber sous l'action d'un tel régime, le législateur <strong>de</strong> France yajoute la certitu<strong>de</strong> d'une asphyxie totale ; la noya<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Françaissur les prochaines listes électorales, par l'inscription <strong>de</strong> nouveauxcontingents d'électeurs indigènes, tels que les titulaires <strong>de</strong>certificats d'étu<strong>de</strong>s pri<strong>ma</strong>ires (1) !<strong>Un</strong> agriculteur du littoral, qui a créé un <strong>ma</strong>gnifique vignobledans une région autrefois occupée par <strong>de</strong>s taillis <strong>de</strong> lentisques,nous disait, ces jours <strong>de</strong>rniers, avec un calme qui dissimulait <strong>ma</strong>lUN DRAME ALGERIENson amertume : « J'étais <strong>de</strong> ceux qui, <strong>ma</strong>lgré tout, voulaient rester.J'attribuais les injustices dont nous sommes l'objet à la crised'après­guerre. Je pensais que cela passerait, par l'excès même du<strong>ma</strong>l, que l'on reviendrait à la logique, au bon sens du respect <strong>de</strong>l'autorité. Mais je vois que l'on fait du définitif et <strong>de</strong> l'irrémédiable.Alors, je me prépare à liqui<strong>de</strong>r, avant que les municipalitéschangent <strong>de</strong> <strong>ma</strong>ins, car la vie ne tar<strong>de</strong>ra pas à être insupportable, jene veux pas risquer — sur un mot d'ordre contre lequel je seraiimpuissant — <strong>de</strong> ne pouvoir ra<strong>ma</strong>sser mon raisin, au moment <strong>de</strong>svendanges. »Et les mouvements <strong>de</strong> départs s'accentuent dans la Colonie —soulignant le suici<strong>de</strong> <strong>de</strong> la France en Afrique du Nord — non pasparce qu'il y a eu <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>ssacres en <strong>ma</strong>i 1945, <strong>ma</strong>is parce que l'onassiste à la collusion <strong>de</strong> nos forces officielles avec les forces <strong>de</strong> ladé<strong>ma</strong>gogie et <strong>de</strong> la xénophobie orientales...Quelles responsabilités, dans l'Histoire, prennent aujourd'huinos dirigeants !...22 AOUT 1946.(1) Cette disposition a été annulée <strong>de</strong>puis.272273


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENOCTOBRE 1947Les <strong>de</strong>rnières pages <strong>de</strong> ce volume datent <strong>de</strong> seize mois. Lespremières ont été écrites peu <strong>de</strong> se<strong>ma</strong>ines après le <strong>drame</strong> <strong>de</strong> 1945.Nous avons dit les raisons qui ont empêché, à cette époque, leurpublication.En présence <strong>de</strong>s retards qui nous étaient imposés, nous avionsfini par nous dire que mieux valait, peut­être, laisser le silence sefaire sur un passé dont les enseignements douloureux ne pouvaientque faire réfléchir les meneurs responsables et leurs protecteursplus ou moins officiels.Nous étions dans l'erreur en raisonnant ainsi.Les débats, qui viennent d'avoir lieu au Parlement français etqui ont abouti au vote d'un statut <strong>algérien</strong> constituant unecapitulation nationale unique dans l'Histoire, ont démontré que lepublic métropolitain et ses <strong>ma</strong>ndataires dans les conseils <strong>de</strong> la IVeRépublique ignorent tout <strong>de</strong> la situation qui est faite à la Francedans son Empire, et que, forts <strong>de</strong> cette ignorance et <strong>de</strong>s274complaisances politiques s'offrant à eux, les prêcheurs <strong>de</strong> haineaffirment plus violemment que ja<strong>ma</strong>is leur volonté <strong>de</strong> chasser lesFrançais d'un Empire qui est le résultat <strong>de</strong>s sacrifices et du labeur<strong>de</strong> cinq générations.Et les campagnes reprennent avec une virulence qui permet <strong>de</strong>prédire <strong>de</strong> prochains <strong>drame</strong>s s'inspirant <strong>de</strong> celui du 8 <strong>ma</strong>i.Des journaux que l'autorité tolère — alors qu'elle refuse lesautorisations d'achats <strong>de</strong> papier aux organes <strong>de</strong> presse désireuxd'apporter une réplique nécessaire, au nom <strong>de</strong> la dignité française— ouvrent à nouveau <strong>de</strong>s campagnes <strong>de</strong> violence et <strong>de</strong>provocation, en se basant sur <strong>de</strong>s affir<strong>ma</strong>tions exagérées etinacceptables.Par <strong>de</strong>s récits <strong>de</strong> faits locaux, qui sont loin <strong>de</strong> traduire la vérité,on cherche à fausser l'Histoire pour préparer <strong>de</strong> nouvelles scènes<strong>de</strong> désordres et <strong>de</strong> conflits sanglants.Les journaux qui, courageusement, ont pris la défense <strong>de</strong>sFrançais en Afrique du Nord, sauront répondre comme il convientà la propagan<strong>de</strong> ainsi, entreprise. Nous n'avons pas à engager <strong>de</strong>spolémiques dans un livre qui n'a qu'un but : apporter unedocumentation à l'enquête qui <strong>de</strong>vait s'ouvrir et être suivie <strong>de</strong>sanctions nécessaires.Cette documentation est le fruit d'une sélection qui a rejeté tousles faits sur lesquels plusieurs versions contradictoires se sontproduites. Elle ne contient que <strong>de</strong>s témoignages irréfutables. Nousla dédions à ceux qui ont besoin d'apprendre, à l'opinion publique<strong>de</strong> notre Métropole.Arrivé a un âge avancé, n'ayant plus rien à <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>r à la vie,nous considérons que c'est là, pour nous, un <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>voirpatriotique à accomplir, dans l'intérêt <strong>de</strong> la justice et <strong>de</strong> la vérité,pour ceux qui restent encore en Afrique du Nord, <strong>de</strong>rniers275


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENdéfenseurs <strong>de</strong> la pensée française — dans l'intérêt aussi d'uneœuvre qui fut gran<strong>de</strong> et qui fut généreuse, quoique l'on veuille endire, et dont les indigènes <strong>algérien</strong>s ont largement profité.DOCUMENTS ANNEXESIA propos <strong>de</strong>s événements qui ont ensanglanté le Constantinoisdans les premiers jours <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1945, une observation a été faite,tendant à souligner que l'autorité administrative a été surprise parl'émeute. On ne s'attendait pas à ce mouvement, a­t­on dit.Cette excuse ne traduit pas la vérité. La lettre ci­après en est ladémonstration, en <strong>de</strong>hors même <strong>de</strong>s nombreux rapports é<strong>ma</strong>nant<strong>de</strong>s gendarmeries, <strong>de</strong>s municipalités et <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> police.Cette lettre, précise et pressante, remise par les signataires auPréfet <strong>de</strong> Constantine, M. Lestra<strong>de</strong>­Carbonnel — qui l'a aussitôttransmise à <strong>Alger</strong> — est datée du 24 avril 1945. Les <strong>ma</strong>ssacres ontcommencé le 8 <strong>ma</strong>i suivant — quatorze jours après.276277


UN DRAME ALGERIENCONSEIL GENERAL DE CONSTANTINEConstantine, le 24 avril 1945Monsieur le Préfet,Les conseillers généraux soussignés, réunis à Constantine, àl'occasion <strong>de</strong> la session ordinaire d'avril,Tiennent à vous faire part <strong>de</strong> l'émotion qui ne cesse <strong>de</strong> grandir,dans les campagnes <strong>algérien</strong>nes, <strong>de</strong>puis un an, chez les colonsd'origine française.Depuis longtemps, ceux qui, par eux­mêmes ou par leursascendants, ont assuré une œuvre économique faisant, dans leNord <strong>de</strong> l'Afrique, le plus grand honneur au génie français, voients'affirmer autour d'eux <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>nifestations d'inimitié qui paraissentconcertées et obéir à <strong>de</strong>s mots d'ordre venant <strong>de</strong> très loin.Brusquement, et coïncidant avec les mesures généreuses prisespar les Pouvoirs publics en faveur <strong>de</strong>s populations autochtones,l'inimitié a fait place à une hostilité qui prend figure <strong>de</strong> hainecollective. Les passions sont déchaînées dans <strong>de</strong>s milieux quiétaient calmes jusqu'à ce jour. Elles se traduisent d'un bout à l'autredu territoire par <strong>de</strong>s incorrections <strong>de</strong> langage, <strong>de</strong>s provocations et<strong>de</strong>s injures, parfois <strong>de</strong>s menaces qui n'épargnent ni les femmes niles enfants français <strong>de</strong> naissance.Partout, <strong>de</strong>s hommes, hier inoffensifs, heureux <strong>de</strong> collaboreravec les colons, les fonctionnaires, les commerçants, sont <strong>de</strong>venusarrogants et annoncent leur volonté <strong>de</strong> rester seuls sur la terre <strong>de</strong>leurs ancêtres et <strong>de</strong> proclamer l'indépendance totale qui a fait, enfévrier 1943, l'objet <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>nifestes <strong>de</strong>s élus musul<strong>ma</strong>ns à <strong>Alger</strong>, aumépris <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la France. Les indigènes qui nous étaientacquis sans réserve ont eux­mêmes changé d'attitu<strong>de</strong>. Ils n'osentplus affirmer leurs sympathies, dans la crainte d'être rejetés ousacrifiés par leurs coreligionnaires.Partout, l'insécurité grandit. On signale <strong>de</strong>s atteintes à lapropriété, <strong>de</strong>s bris <strong>de</strong> conduites d'eau alimentant les villages, <strong>de</strong>smenaces non déguisées contre la vie <strong>de</strong>s Français isolés. Les ruesUN DRAME ALGERIEN<strong>de</strong>s villes, <strong>ma</strong>lgré les interdictions officielles <strong>de</strong> former <strong>de</strong>scortèges, sont parcourues par <strong>de</strong>s <strong>ma</strong>nifestants criant ouvertementque l'Algérie appartient aux Arabes. On assiste à <strong>de</strong>s organisationslocales qui sont <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> combat et <strong>de</strong> remplacement<strong>de</strong> l'Administration française, telle que celle qui fonctionne à ElMilia ou à Châteaudun.Tous ces faits réunis sont <strong>de</strong>s signes inquiétants au possibled'événements graves, pouvant survenir <strong>de</strong><strong>ma</strong>in et mettre en péril lavie <strong>de</strong>s Français isolés dans les campagnes <strong>algérien</strong>nes, dans cesmêmes campagnes où un commerce clan<strong>de</strong>stin d'armes <strong>de</strong> guerrese fait pour ainsi dire ouvertement <strong>de</strong>puis trois ans. Si l'on songeque l'Algérie est à la veille d'une disette agricole sans précé<strong>de</strong>nt<strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années, et que cette situation peut provoquerun <strong>drame</strong> général brusqué, dont il serait difficile <strong>de</strong> limiter lesdésastreuses conséquences, il apparaît bien aux esprits les moinsprévenus que ce n'est plus par <strong>de</strong>s paroles <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce et <strong>de</strong>sappels aux sentiments que l'on peut conjurer le <strong>ma</strong>l qui s'annonceet que <strong>de</strong>s mesures comportant <strong>de</strong>s avertissements sévères sontseules <strong>de</strong> nature à éviter toute surprise fâcheuse pour l'ordre publicet la dignité <strong>de</strong> la France.Déjà, les chantiers privés, dans les propriétés françaises <strong>de</strong>scampagnes, sont désertés par les travailleurs indigènes. Et l'onpeut prédire sans être taxé d'exagération que, dans <strong>ma</strong>ints endroits,ce que la sécheresse laissera dans les récoltes ne pourra êtrerecueilli, faute <strong>de</strong> <strong>ma</strong>in­d'œuvre.Les soussignés, Monsieur le Préfet, ont montré en touteoccasion, et notamment au cours <strong>de</strong>s événements qui se déroulent<strong>de</strong>puis septembre 1939, leur volonté <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>r sans réserve,d'appuyer, sans la contrarier en quoi que ce soit, l'actionadministrative dans l'œuvre délicate, souvent difficile, qu'elles'efforce d'accomplir. Leur dé<strong>ma</strong>rche d'aujourd'hui ne saurait doncêtre traduite comme une initiative visant à porter atteinte àl'autorité dont vous êtes, ici, le représentant qualifié.


UN DRAME ALGERIENMais, étant en contact journalier avec les hommes et les choses<strong>de</strong> la campagne, connaissant bien l'âme musul<strong>ma</strong>ne et lesentraînements auxquels elle peut être exposée, ils estiment que lasituation a pris une gravité telle que <strong>de</strong>s décisions sont à prendre àbrève échéance si l'on veut éviter <strong>de</strong>s événements irréparables.Les soussignés, vous apportant ce témoignage, vous <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>ntinstamment au nom <strong>de</strong>s populations qui les ont <strong>ma</strong>ndatés au seindu Conseil général <strong>de</strong> Constantine, <strong>de</strong> vouloir bien être leurinterprète auprès <strong>de</strong>s Pouvoirs publics pour que soient prises, sanstar<strong>de</strong>r, <strong>de</strong>s mesures propres à ramener l'ordre et la confiance dansles territoires français situés au sud <strong>de</strong> la Méditerranée.Ces mesures entrent dans le cadre <strong>de</strong>s missions confiées àl'autorité dans ce pays. Les élus <strong>de</strong>s campagnes estiment quemême en la situation actuelle, dangereusement aggravée par <strong>de</strong>sexagérations <strong>de</strong> meneurs ayant perdu le sens <strong>de</strong>s réalités en mêmetemps que celui <strong>de</strong> la reconnaissance — <strong>de</strong>s mesures très nettes,affirmées sans ambage, atteindront le but désiré. Ainsi pourra êtreramenée, dans nos populations, la confiance qui, avec la Paix, estsi nécessaire pour préparer et assurer l'œuvre <strong>de</strong> redressementéconomique attendu par la France au len<strong>de</strong><strong>ma</strong>in <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>victoire qui s'affirme en Europe.L'Algérie a donné l'intégralité <strong>de</strong> ses contingents fiançaisd'origine à la défense <strong>de</strong> la patrie. Des contingents indigènes ontégalement participé à la lutte commune en Tunisie, en Sicile, enItalie, en France, et sur les champs <strong>de</strong> bataille qui s'éten<strong>de</strong>ntaujourd'hui jusqu'à Berlin. Tous ces combattants ont droit à notregratitu<strong>de</strong> émue. Le meilleur hom<strong>ma</strong>ge que l'on puisse rendre àceux qui, <strong>de</strong><strong>ma</strong>in, reviendront, le grand <strong>de</strong>voir accompli, dansleurs foyers africains, n'est­il pas <strong>de</strong> leur assurer un retour paisibledans un pays où doivent régner la concor<strong>de</strong> et la paix ?C'est dans cette pensée, qui traduit la ferveur patriotique <strong>de</strong>spopulations qu'ils représentent, que les soussignés vous <strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> vouloir bien être leur interprète, pour que cette concor<strong>de</strong> et cetteUN DRAME ALGERIENpaix soient assurées par tous les moyens dont dispose l'autoritéfrançaise.Les soussignés vous prient d'agréer, Monsieur le Préfet,l'expression <strong>de</strong> leurs sentiments déférents et dévoués.Signé :VALLET Eugène, LAVIE Marcel, DEYRON Léon, MEYEREugène, FOURNIER Roger, VERDIN Raoul, CUSIN Pierre,Conseillers généraux.II<strong>Un</strong>e indication, presque généralisée, ressort <strong>de</strong>s récits locauxdu grand <strong>drame</strong> qui a <strong>ma</strong>rqué les premiers jours <strong>de</strong> <strong>ma</strong>i 1940 dansle département <strong>de</strong> Constantine : le mépris <strong>de</strong>s insurgés pour les<strong>ma</strong>tières alimentaires dans les pillages qui ont suivi les <strong>ma</strong>ssacres<strong>de</strong>s Français. Les <strong>ma</strong>gasins d'approvisionnement ont été respectés.Le blé, la semoule, la farine, l'huile même ont été répandus à terreet n'ont été enlevés qu'à <strong>de</strong> rares exceptions près. La faim n'a doncpas servi d'excuse au soulèvement organisé.On a souligné avec raison que les régions atteintes par larévolte jouissaient d'une prospérité relative s'étendant sur toute lapopulation sans distinction d'origine.Ce que l'opinion publique <strong>de</strong> la Métropole ignore certainement,c'est que l'économie dirigée, dont la réglementation théoriques'étendait aussi bien à la France qu'à ses possessions d'Outre­Mer,n'a pas été appliquée aux indigènes <strong>de</strong> l'Afrique du Nord. Ces<strong>de</strong>rniers, <strong>de</strong> façon pour ainsi dire générale, se sont abstenus <strong>de</strong>répondre aux appels <strong>de</strong> l'autorité en ce qui concerne le stockage<strong>de</strong>s céréales et <strong>de</strong> l'huile en particulier. C'est la populationfrançaise, ce sont les colons qui ont assuré les approvisionnements<strong>de</strong>s sociétés indigènes <strong>de</strong> prévoyance, approvisionnementsauxquels ils n'avaient pas été appelés à participer avant 1939.Veut­on un exemple ?281


UN DRAME ALGERIENNous pouvons citer une Commune mixte du département <strong>de</strong>Constantine, dont la superficie est <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 138.000 hectares(l/30e <strong>de</strong> la surface <strong>de</strong> la France, ou trois fois celles dudépartement <strong>de</strong> la Seine).La population <strong>de</strong> cette commune est <strong>de</strong> 110.000 habitants, dontun millier <strong>de</strong> Français, répartis sur 1.000 kilomètres carrés <strong>de</strong>territoire. La profession agricole y est représentée par 3.000 chefsd'exploitations indigènes cultivant 30.000 hectares, et 45 colonsfrançais d'origine cultivant 6.000 hectares, en blé principalement.Rappelons ici que la même région faisait partie <strong>de</strong> l'antiqueNumidie, qui alimentait par l'Annone, en blé dur, la gran<strong>de</strong>métropole ro<strong>ma</strong>ine.En Algérie, comme en France, a été appliquée uneréglementation <strong>de</strong>stinée à assurer la subsistance locale ainsi queles ensemencements, le surplus <strong>de</strong>vant participer aux envois à fairepour venir en ai<strong>de</strong> à la Mère patrie.Dans la commune qui nous intéresse, nous pouvons donner <strong>de</strong>schiffres sur les résultats obtenus par cette opération <strong>de</strong> réquisitionlégale, pendant trois campagnes agricoles récentes. Ces chiffresdémontrent la résistance opposée par les milieux autochtones à lacollecte à laquelle ils étaient soumis obligatoirement par la loi.En 1944, les Français d'origine ont livré 16.139 quintaux, lesindigènes 5.475, soit, pour ces <strong>de</strong>rniers, 55 kilos par hectare.L'année représentait une petite moyenne comme récolte.En 1945, année moyenne, les colons ont livré 22.000 quintaux,les indigènes 400 quintaux.En 1946, la récolte a été abondante. L'administration, sollicitéepar la Métropole, s'est efforcée <strong>de</strong> faire pression dans les douarspour obtenir enfin un résultat moins décevant que les annéesprécé<strong>de</strong>ntes. Les résultats suivants ont été obtenus après une activepropagan<strong>de</strong> auprès <strong>de</strong>s chefs locaux, Caïds et Ouakafs : 62.000284UN DRAME ALGERIENquintaux ont été versés par les colons français, 23.000 par lesindigènes, soit 76 kilos <strong>de</strong> blé par hectare pour ces <strong>de</strong>rniers.Ajoutons que 113 procès­verbaux ont été dressés à l'encontred'indigènes qui n'avaient même pas fait <strong>de</strong> déclaration <strong>de</strong> récolte.Mais ces constats n'ont pas été suivis <strong>de</strong> sanctions.La commune dont nous parlons compte, sur la partie nord <strong>de</strong>son territoire, <strong>de</strong> nombreux petits exploitants d'oliviers. Pas unlitre d'huile n'a été recueilli chez les récoltants qui ont, presquetous, bénéficié du ravitaillement familial en huile, organisé parl'administration.Aucun démenti ne peut être opposé aux affir<strong>ma</strong>tions quiprécè<strong>de</strong>nt, même lorsque nous dirons que dans 95 % <strong>de</strong>scommunes <strong>algérien</strong>nes une situation i<strong>de</strong>ntique s'est présentée.Que sont <strong>de</strong>venues les céréales et l'huile qui ont échappé auxréquisitions administratives ? Elles sont passées au <strong>ma</strong>rché noir, oùl'on a vu le prix du blé atteindre jusqu'à 7.000 francs la charge <strong>de</strong>144 kilos.Ce <strong>ma</strong>rché noir s'est enrichi d'autres <strong>de</strong>nrées fournies grâce àune carence presque totale <strong>de</strong> l'autorité.Tout Algérien, habitant le pays, même <strong>de</strong>puis peu <strong>de</strong> temps, saitqu'avant la guerre, les indigènes ne consom<strong>ma</strong>ient que peu <strong>de</strong>sucre et <strong>de</strong> café, bien moins encore <strong>de</strong> chocolat. La première<strong>de</strong>nrée n'était utilisée que par le chef <strong>de</strong> certaines familles, c'est­àdirepar une personne sur 20, au grand <strong>ma</strong>ximum. Or, leravitaillement n'a voulu exclure personne <strong>de</strong> ses distributionsmensuelles. Et c'est ainsi que le <strong>ma</strong>rché a été rapi<strong>de</strong>ment sursaturé<strong>de</strong> produits non consommés en milieu indigène, <strong>ma</strong>is trèsutilisables sur le <strong>ma</strong>rché voisin dit « parallèle ». L'abondance dusucre a été telle que dans certaines régions, la <strong>ma</strong>rchandise estofferte, au prix officiel, sur les <strong>de</strong>ux <strong>ma</strong>rchés, avec ou sans bons <strong>de</strong>ravitaillement.285


UN DRAME ALGERIENAu sujet du blé, une constatation édifiante s'est produite aucours <strong>de</strong> l'hiver 1946­1947. En janvier 1947, les Sociétés indigènes<strong>de</strong> prévoyance (S.I.P.) avaient fermé leurs portes, faute <strong>de</strong> ven<strong>de</strong>urs<strong>de</strong> céréales. Mais la saison pluvieuse avait été particulièrementabondante en précipitations. Beaucoup <strong>de</strong> blé atteint par l'eaumenaçait <strong>de</strong> s'avarier : grosse émotion dans les campagnes. Onvida les silos inondés. Sur le <strong>ma</strong>rché clan<strong>de</strong>stin l'offre dépassa la<strong>de</strong><strong>ma</strong>n<strong>de</strong>. Les pris baissèrent bien au­<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ceux fixés par lataxation officielle. L'Administration généreuse vint au secours <strong>de</strong>ceux qui, volontairement, s'étaient mis en <strong>ma</strong>rge <strong>de</strong> la loi. Elleouvrit à nouveau les portes <strong>de</strong> ses <strong>ma</strong>gasins et acheta le blé auxprix <strong>de</strong> la taxe. Et elle fut mise à même <strong>de</strong> constater que les stocksreprésentant le trop plein du <strong>ma</strong>rché noir contenaient <strong>de</strong>s blésdatant <strong>de</strong> plus d'un an...Le <strong>ma</strong>rché parallèle du blé reprit rapi<strong>de</strong>ment son activité. Etpendant que s'exercent les mesures <strong>de</strong> restriction frappant lapopulation européenne, les boulangeries officielles distribuent laration <strong>de</strong> 200 grammes <strong>de</strong> pain bis obtenu par <strong>de</strong>s mélanges <strong>de</strong>farines basses, tandis que dans les rues étroites <strong>de</strong> chaque« médina » du Maroc, ou <strong>de</strong>s villes d'Algérie et <strong>de</strong> Tunisie, se vendcouramment le bon pain blanc <strong>de</strong> semoule offert aux acheteursfortunés.Sera­t­on taxé d'exagération en disant :— que toutes les statistiques qui ont été données par l'autoritésur les récoltes dites <strong>de</strong> guerre ne peuvent être exactes et que l'onse trouve, en Algérie, dans l'impossibilité <strong>de</strong> dire dans quellesproportions le ravitaillement est assuré par les stocks existants ;— que le <strong>ma</strong>rché noir a été encouragé gran<strong>de</strong>ment, sinon créépar l'action administrative obéissant, par<strong>de</strong>ssus tout, à unsentiment : la peur <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts pouvant provoquer <strong>de</strong>s286UN DRAME ALGERIENtroubles, en présence <strong>de</strong>squels on serait obligé <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>smesures énergiques ;— que notre Métropole a souffert et souffre encore du <strong>ma</strong>nque<strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> rations qui, mensuellement, viennent alimenter le<strong>ma</strong>rché noir <strong>de</strong> l'Afrique du Nord?Ce que nous avons dit du blé, du café, du sucre, du chocolatpeut se dire aussi du lait, du savon, <strong>de</strong>s étoffes, <strong>de</strong>s allumettes, etc.<strong>Un</strong>e décision dictée par un bon sentiment a fait bénéficier lesmères indigènes et les nourrissons <strong>de</strong> rations <strong>de</strong> lait frais oucon<strong>de</strong>nsé. Ce lait a bien été livré, <strong>ma</strong>is l'on constate que 98 % dumontant <strong>de</strong>s bons passent au <strong>ma</strong>rché noir et constituent unvéritable traitement mensuel pour <strong>de</strong> nombreuses familles, audétriment <strong>de</strong>s enfants, privés, par leurs parents, <strong>de</strong> leurs rations <strong>de</strong>croissance.<strong>Un</strong>e autre considération a été l'un <strong>de</strong>s facteurs qui nous ontdécidé à publier ces pages, apportant <strong>de</strong>s détails inédits à un <strong>drame</strong>qui appartient à l'Histoire <strong>de</strong> notre Afrique du Nord.Pourrait­on nier <strong>de</strong> bonne foi que ce <strong>drame</strong> est la conséquencedirecte d'une politique <strong>de</strong> faiblesse, appliquée <strong>de</strong>puis troplongtemps dans nos rapports avec quelques agitateurs <strong>de</strong>vant leursituation à la France, dont, cependant, ils se déclarent, dans lapresse, les assemblées et les réunions publiques, les ennemisirréconciliables ?Cette politique, que rien ne saurait expliquer et que rienn'excuse, continue à se pratiquer, <strong>ma</strong>lgré les leçons sévères reçuespar nous dans le passé. Elle nous mène droit à <strong>de</strong> nouveauxtroubles que la situation mondiale actuelle peut rendrecatastrophiques.Le conflit européen ouvert en 1914 n'est pas terminé. Ladémonstration se fait, chaque jour, <strong>de</strong> préparatifs annonçantd'ultimes combats entre <strong>de</strong>ux civilisations très opposées dans leurs287


UN DRAME ALGERIENprincipes et leurs voies sociales : la civilisation latine etl'organisation slave, prête à mettre à profit les moyens puissantsrévélés par la Science et les nouvelles métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> guerre. Desdéplacements <strong>de</strong> gros effectifs hu<strong>ma</strong>ins peuvent provoquer, enquelques heures, un choc d'extermination aux conséquencesredoutables :Notre Afrique du Nord, plate­forme nécessaire pour la défense<strong>de</strong> notre cause, n'est pas à l'abri <strong>de</strong> cette éventualité.Les hommes qui gouvernent la France, qui ont la responsabilité<strong>de</strong> son avenir et <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>stins, ont­ils le droit <strong>de</strong> continuer àtolérer, sur notre territoire, la reconstitution et le renforcementd'organisations berbères qui ont fait, récemment, la preuve <strong>de</strong> leuraction antifrançaise et peuvent, brusquement, paralyser nosmoyens d'action, en cas <strong>de</strong> danger ?Poser cette question, n'est­ce pas prendre la défense <strong>de</strong> nosintérêts nationaux menacés et <strong>de</strong>s populations, aussi bienfrançaises d'origine qu'autochtones, du sud <strong>de</strong> la Méditerranée,lesquelles seraient entraînées dans un <strong>drame</strong> plus terrible que tousceux, horriblement tragiques, qui se sont produits au cours <strong>de</strong> ces<strong>de</strong>rnières années ?TABLE DES MATIERESUN DRAME ALGERIENPro memoria................................................ 7Le <strong>drame</strong> <strong>de</strong> Sétif........................................ 14A Sillègue.................................................... 29A Saint­Arnaud,........................................... 34Aux Amouchas............................................. 36A El­Ouricia................................................ 36A Aïn­Abessa.............................................. 36Dans les Rirhas............................................ 38A La Fayette................................................ 38A Périgotville.............................................. 41A Chevreul.................................................. 52Sur la route... un <strong>drame</strong> horrible................. 65A Kerrata..................................................... 71A Oued Marsa ­ Cap Aokas........................ 101A FedjM'Zala.............................................. 117A Djemila................................................... 131A Djidjelli................................................... 133A Tamentout. :............................................ 142La forêt en <strong>de</strong>uil......................................... 146A El­Milia .:............................................... 156Dans la région guelmoise............................ 163L'attaque <strong>de</strong> Guel<strong>ma</strong>................................... 163La vérité sur l'insurrection. <strong>Un</strong> document.. 171Dans la commune <strong>de</strong> Petit.......................... 182L'attaque <strong>de</strong> la ferme Saint­Clau<strong>de</strong>............ 186288289


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIENTABLE DES MATIERESDans la commune <strong>de</strong> la Séfia. A Villars.......... 194La mort d'un colon, M. Halbe<strong>de</strong>l............... 198Les angoisses d'un vieux pionnier..................... 204A Lapaine et Sedrata....................... 211Mouvement généralisé Bordj Sabath........... 220Roknia – Gounod.......................... 221Oued Zenati ­ Bled Gaffar,................... 222Millesimo – Héliopolis....................... 223Guellat Bou Sbah­Gallieni – Clauzel....... 225A Ham<strong>ma</strong>m Meskoutine..................... 226Keller<strong>ma</strong>nn ­ A la Mahouna ­ Sur les routes..... 228A Bône.......................................................... 231Tout est calme................................................. 234Les leçons du passé....................................... 243En <strong>ma</strong>nière <strong>de</strong> conclusion.............................. 250Vers l'irréparable........................................... 262Octobre 1947................................................. 274Annexes........................................................ 277ACHEVE D'IMPRIMERSUR LES PRESSES DESIMPRIMERIES BELLENANDA FONTENAY­AUX­ROSES(SEINE) 65.722.Dépôt légal Éditeur 2e trimestre 1948.


UN DRAME ALGERIENUN DRAME ALGERIEN

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