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l'invention d'un territoire - Parc naturel régional Livradois-Forez

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l ’ i n v i t éCertains font leur vie en ligne droite,le même métier des annéesdurant, un plan de carrière.D’autres, par goût ou par nécessité,empruntent des chemins de traverse, dessentes buissonnières. Au bout du compteon peut avoir, dans les deux cas, le sentimentd’une mission accomplie ; simplementle récit des vies aventurières estsouvent plus agréable à entendre. Frédoraconte bien. Il est à son poste, à l’aubergedu Refuge, assis près de la fenêtre, duregard surveillant le col de Saint-Thomas.La voix mangée de tabac, il raconte avecbonhomie et distance, le trait d’humourplacé au bon endroit.Du thé et du rhumFrédo est né le 22 août 1928, dans le Vald’Aoste. Pour l’état-civil, il se nommeEphraïm Jules Innocent Dayné. Ephraïm estun nom biblique; Innocent? la maréchausséene voulut pas toujours le croire surparole; Jules? ce n’est que beaucoup plustard qu’on entendra dire, du côté d’Arconsat:“Mais c’est le Jules de la Madeleine!” Ilest le descendant d’une lignée de gardechasse.Son arrière grand-père, FidèleAmbroise, eut les honneurs de quelquesgazettes de Londres pour avoir guidé, en1850, un groupe d’Anglais jusqu’au sommetde La Grivola qui culmine à 3850 mètres.“De la fréquentation des Britanniques, ilavait pris l’habitude de consommer du théet du rhum qu’il dosait à sa façon: quelquesgouttes de thé au fond de la tasse qu’ilemplissait de rhum.” Son grand-père, BalthazarMichel, accompagne le roi quand ilvient chasser le bouquetin dans le massifdu Grand Paradis.On imagine que fort d’une telle compagniele petit Eprhaïm part d’un bon pas dansl’existence, sauf qu’il s’agit d’une enfance autemps de Mussolini. “Comme tous lesgamins, je devais participer à l’instructionmilitaire chaque samedi. J’aimais le sport, lemaniement des armes, je me souviens que lesfusils étaient des Flaubert. J’aimais moins ladiscipline et d’être obligé de crier Vive il Duce.Mon père, qui était antifasciste, ne voyait pascela d’un bon œil bien sûr. Il a vécu de braconnageet de contrebande pendant toutecette période. Et j’ai dû tripler la troisièmeparce que le mari de l’institutrice qui étaitgarde-chasse, lui avait fiché un procès-verbal.Mais ce n’est que plus tard, au début dela guerre, que j’ai vraiment pris consciencede l’injustice et que j’ai compris ce que disaitmon grand-père: Mussolini commande, leroi obéit, le pape bénit et le peuple pâtit.” Il ya toujours un grand-père qui dit la morale del’histoire mieux que personne.Filer vers le sudL’adolescent s’exerce comme il peut audur “métier de vivre” en temps de guerreet d’oppression. “J’allais chercher du riz etle montagnardle moins souvent possible.du tabac chez les paysans de la plaine duPô, du sel à Val d’Isère ou à Bonneval-sur-Arc. Je connaissais les chemins, j’avaissouvent accompagné les bergers quandj’étais gamin. On échangeait un kilo de rizcontre trois kilos de sel, un kilo de selcontre un kilo de beurre. J’ai fini par mefaire prendre par un général de l’arméeaméricaine, heureusement le temps étaitPhoto : Claudy CombeFrédole moinsFrédo,en trentenaire fringantdevant son libre-service.venu de l’indulgence.” Et le temps, l’enviede voir de nouveaux horizons.Le 8 octobre 1946, Ephraïm salue la familleet, baluchon à l’épaule, il part pour laFrance. Il marche jusqu’à Bourg-Saint-Maurice, pousse jusqu’à Montmélian. Il estsur la place avec d’autres jeunes, desemployeurs s’avancent qui les toisent, lesjaugent, tâtent le muscle aux avant-bras.Quand son tour vient, l’attouchement n’estpas du goût d’Ephraïm, il se rebiffe, bousculel’impudent qui se retrouve le cul parterre. “Ça m’a coûté une nuit de prison.Puis j’ai embauché aux Forges de Gueugnon,en Saône-et-Loire, où je suis restéprès de deux ans. Les cartes d’alimentationétaient encore en vigueur, on avait droit à7 kilos et demi de pain par mois en tantque travailleur de force.” Une escapade àMâcon lui vaut un mois de prison pourvagabondage. “Je n’avais pas le droit decirculer hors de la commune de Gueugnon.Quand j’ai pu avoir des papiers enbonne et due forme, j’ai décidé de filer versle sud… Enfin, en direction de l’Allier. Jetravaillais dans les fermes quand on avaitbesoin de main d’œuvre. Je regardais lebétail, surtout les chiens : s’ils étaient grasje m’arrêtais considérant que là où les bêtessont bien traitées, les hommes doivent l’êtreaussi.” Décidément rétif à la ligne droite,on le retrouve à Firminy, à La Chaise-Dieu,il passe sur le pont de Courpière…Dansez jeunesse !Le vent tourmente les sapins au col deSaint-Thomas. Frédo connaît la rudesse dela montagne, elle est depuis toujours sacompagne. Il souffle l’air bleu de sa Gauloisedans la pénombre de la pièce etreprend le fil. “Après cette péripétie, j’aitravaillé dans des scieries, à Thiers, à Vollore-Montagne,puis je me suis mis bûcheronà mon compte.” Il s’installe au Crosd’Arconsat et rencontre Madeleine. “J’ai sutout de suite que j’avais affaire à un puissantdémon.” C’est sa manière de dire lecoup de foudre et un indéfectible amour,il ne voudrait pas qu’on le croit sentimental.Certains, déjà, l’appelaient Frédo maisMadeleine consacre l’usage. “Elle m’a toutpris, mon nom et ma vertu.” Il feint d’avoiroublié la date du mariage, il se souvient dela naissance de Jean-Michel, en mars 1958.Et la vie continue, c’est ce qu’elle fait demieux. “J’ai créé un atelier de polissage,avec la belle famille nous avons poli destonnes de fourchettes à fondue.” L’atmosphèreconfinée de l’atelier ne lui convientguère. “J’ai pris une patente de forain etavec Madeleine nous courions les foires etles abattoirs pour vendre des couteaux, destranchants. On allait en Isère, en Savoie,toujours en direction de chez moi.” Il estresté dix-huit ans sans revoir le Val d’Aosteoù son frère a toujours une entreprisede transport. Pendant longtemps, quandils y retournaient ensemble et en voiture,Madeleine le déposait à Val d’Isère et ilfinissait la route à pied, empruntant leschemins de contrebande de sa jeunesse.Dans les années 60, sans stratégie bienconcertée, il implante un libre-service aucol de la Charme. “J’avais remarqué queles bûcherons avaient souvent soif et queles cueilleurs de myrtilles ne répugnaientpas à boire un coup.” Un comptoir rustique,un toit de branchages, un trou dansla terre pour tenir les boissons au frais…“Les gens se servaient et mettaient l’argentdans une caissette posée sur le plateau debois. La bière ou le Pschitt coûtaient 80francs, souvent ils laissaient 100 francs.” Ilreprend aussi la buvette du col de Saint-Thomas. “Un 15 août – Madeleine sauraitvous dire l’année - le chalet a brûlé, à cinqheures du matin. À dix heures, on servaitdu vin et on a fait une très bonne recettegrâce aux curieux qui venaient voir lesdégâts de l’incendie.” Il organise aussi desbals, toujours dans les Bois Noirs et en altitude.Un accordéon, un saxophone etdansez jeunesse! Dès que la fête est finie,➜ Auberge du Refuge,col de Saint-Thomas,63250 ArconsatC’est dans les années 50,Frédo vient de La Chaise-Dieu,il a beaucoup marché,dormi à la belle étoilesans doute.Quand il franchitle pont de Courpière,la maréchausséel’interpelle,il montre ses papiersmais ne peut réunirles dix francsréglementaires.Il passera quelquessemaines en prison,à Thiers, pour délitde vagabondage.Il est sans rancune mais,quand même,il descend dans la plaineTél. 04 73 94 21 14il retourne au chantier du moment: laconstruction de l’auberge du Refuge.En trente-cinq ans d’activité, l’établissementn’a jamais eu recours à la publicité.“Les gens viennent par hasard ou parcequ’on leur a recommandé l’adresse. Ilsreviennent et, souvent, deviennent desamis.” On revient parce que la cuisine estgénéreuse et qu’on peut être assuré quetout ce que l’on a dans l’assiette a un jourgambadé dans les prairies et les bois alentour.“Et les confitures de myrtille de Madeleine,vous en avez déjà mangé demeilleures? Et les crêpes de Jean-Michel,vous en connaissez de plus fines ?” Jean-Michel est le restaurateur en chef depuiscinq ans, il laisse son père s’occuper de laréclame.Du temps à rattraperMais Frédo n’a pas que ça à faire. Il donneencore la main à la station de ski defond des Bois Noirs dont il est le cofondateuravec Jean Brisset. Il surfe sur Internet,comme un jeune. “Ici nous n’avons l’électricitéque depuis deux ans, j’ai du temps àrattraper.” Dès qu’il a pu se connecter, il atapé Grand Paradis et il est tombé sur uneliste impressionnante de discothèques etde jeunes femmes aux formes avenantes.Madeleine a haussé les épaules mais Frédoa fini par retrouver sa montagne. Il doitaussi aller faire des images pour ce filmqu’il est en train de réaliser avec ses amisde la Sorbonne, Paul Châtelain et XavierBrowaeys. Bien sûr il serait intéressant desavoir comment Frédo est devenu cameramanet monteur d’images, comment il enest venu à sympathiser avec des sorbonnards,seulement il y a dans l’assiette unesaucisse pur porc et des pommes de terresautées qui ne peuvent attendre. Et les histoiresque raconte un montagnard venudu Val du d’Aoste, il faut les entendre aucol de Saint-Thomas pour les croire. ■

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