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2ème partie (pdf) - Master Arbitrage & Commerce International

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D OCTRINEDROIT SOCIALLa loi du 20 juillet 2011 étend cette protection des médecins dutravail à toutes les autres situations de rupture contractuelles autresque la démission du médecin, soumettant les décisions de l’employeurà cette autorisation administrative :— rupture conventionnelle (20) ;— rupture avant l’échéance du terme ou à l’arrivée du terme d’uncontrat à durée déterminée lorsque l’employeur n’envisage pas derenouveler le contrat comportant une clause de renouvellement (21) ;— arrivée du terme du contrat à durée déterminée d’un médecin dutravail doit donner lieu à la constatation par l’insepcteur du travailque celle-ci n’est pas en lien avec l’exercice de ses missions et neconstitue pas une mesure discriminatoire (22) ;— transfert d’un médecin du travail compris dans un transfert <strong>partie</strong>lde service de santé au travail ne peut intervenir qu’après autorisationde l’inspecteur du travail dont dépend le service de santé autravail ; l’inspecteur du travail s’assure que le transfert n’est pas enlien avec l’exercice des missions du médecin du travail et ne constituepas une mesure discriminatoire (23).C. Un début d’articulation de l’action des servicesinterentreprises avec les politiques de santé publiqueLes services de santé au travail interentreprises comprennent unservice social du travail ou coordonnent leurs actions avec cellesdes services sociaux du travail qui doivent être organisés dans toutétablissement employant habituellement 250 salariés et plus en applicationde l’article L. 4631-1 du Code du travail (24).Cette disposition n’a subi aucune modification.Les priorités des services de santé au travail sont précisées, dans lerespect :— des missions générales prévues à l’article L. 4622-2 ;— des orientations de la politique nationale en matière de protectionet de promotion de la santé et de la sécurité au travail, d’améliorationdes conditions de travail ;— ainsi que de son volet régional ;— et en fonction des réalités locales.La définition de ces priorités fait l’objet d’un contrat pluriannueld’objectifs et de moyens conclu :— entre le service, d’une part ;— l’autorité administrative et les organismes de sécurité sociale compétents,d’autre part ;— après avis des organisations d’employeurs, des organisations syndicalesde salariés représentatives au niveau national et des agencesrégionales de santé.Les conventions prévues à l’article L. 422-6 du Code de la sécuritésociale sont annexées à ce contrat.La durée, les conditions de mise en œuvre et les modalités de révisiondes contrats d’objectifs et de moyens prévus ci-dessus sontdéterminées par décret (25).Henri PESCHAUDAvocat au barreau de Paris(20) C. trav., art. L. 1237-15.(21) C. trav., art. L. 4623-5-1.(22) C. trav., art. L. 4623-5-2(23) C. trav., art. L. 4623-5-3.(24) C. trav., art. L. 4622-9.(25) C. trav., art. L. 4622-10 nouveau.8 - Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N O 227 En ligne sur Lextenso.fr


CHRONIQUEDROIT DEL’ARBITRAGECHRONIQUE DE DROIT DE L’ARBITRAGE N O 8(Suite et fin) (*)Par le <strong>Master</strong> professionnel <strong>Arbitrage</strong> & <strong>Commerce</strong>international de l’université de Versailles-Saint-QuentinSous la direction de Thomas Clay, directeur du <strong>Master</strong>et doyen de la faculté de droit et de science politiquede l’université de Versailles-Saint-QuentinPLAN :Dans ce numéro :V. Le refus des arbitres de contrôler la conventionnalité du droit français,note sous Cass. 1 re civ., 29 juin 2011, Sté Smeg, par Jérémy Jourdan-MarquesVI. Loyauté procédurale et principe du contradictoire dans le procès arbitral,note sous CA Paris, 7 avr. 2011, Sté Mérial, par Marie ValentiniVII. La liberté de l’arbitre conditionnée par le strict respect du contradictoire,note sous Cass. 1 re civ., 29 juin 2011, CNN, par Stéphanie SmattVIII. La confusion des genres : le manquement au principe de la contradictioncomme fondement de la responsabilité contractuelle du centre d’arbitrage,note sous TGI Nanterre, 1 er juill. 2010, Sté Filature Française de Mohair,par Caroline CatinoIX. <strong>Arbitrage</strong> et secret-défense, note sous CA Paris, 9 juin 2011, Thales,par Marie-Emma BoursierV. LE REFUS DES ARBITRES DE CONTRÔLER LA CONVENTIONNALITÉDU DROIT FRANÇAISCass. 1 re civ., 29 juin 2011, n o 10-16680, Sté SmegAttendu, d’une part, qu’ayant relevé que le litige soumis auxarbitres avait pour objet l’appréciation du bien-fondé de la ruptureunilatérale du contrat, la cour d’appel, juge de l’annulation, quin’avait pas le pouvoir de réviser la décision au fond, a pu en déduireque les arbitres, en se déclarant, fût-ce à tort, incompétents pourstatuer tant sur la conformité au droit communautairede la décision de refus d’agrément, prise par l’ONIC en applicationde la réglementation nationale alors en vigueur, que sur la légalitéde l’article L. 211- 16 du Code rural au regard des règlescommunautaires, et en déclarant la résiliation fondée, s’étaientconformés à leur mission.Et attendu, d’autre part, que la solution du litige, donnée parla sentence, selon laquelle la résiliation d’une vente de céréalesétait, en l’état des textes nationaux en vigueur, fondée, ne constituepas une violation flagrante, effective et concrète de l’ordre publicinternational.MOTS-CLÉS(*) V. la première <strong>partie</strong> parue in LPA 14 nov. 2011, p. 5à 20.<strong>Arbitrage</strong> international. Contrôle du respect par l’arbitre de sa mission. Ordrepublic international. Intensité du contrôle. Contrôle de conventionnalité du droitfrançais.En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N o 227 - 9


C HRONIQUEDROIT DE L’ARBITRAGE(57) Cette manœuvre a été contournée par l’arrêt :CA Paris, 29 mars 1991, Ganz : Rev. arb. 1991. 478, noteL. Idot.(58) Cette manœuvre a été rendue définitivementinefficace par l’arrêt : Cass. 1 re civ., 5 janv. 1999, Zanzi :Bull. civ. 1999, I, n o 2 ; Rev. arb. 1999. 260, noteP. Fouchard ; RCDIP 1999. 546, note D. Bureau ; Clunet1999. 784, note S. Poillot Peruzzetto ; D. aff. 1999. 474,note X. Delpech ; RTD com. 1999. 380, obs. E. Loquin ;RGDP 1999. 409, obs. M.-C. Rivier ; Dr. et patr. 2000.2514, obs. P. Mousseron.(59) Cette manœuvre a été rendue bien plus délicatedepuis l’arrêt : Cass. 1 re civ., 4 juin 2008, Bull. civ. 2008,I, n o 162 ; D. 2008, AJ 1684, obs. X. Delpech ; JCP G2008. I. 164, § 8, obs. C. Seraglini ; JCP G 2008, act.p. 430, note J. Ortscheidt ; LPA 2008, n o 199, p. 21, noteP. Duprey ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; RTDcom. 2008. 518, obs. E. Loquin ; Clunet 2008. 1107, noteA. Mourre ; D. 2008, pan., p. 2560, obs. L. d’Avout etS. Bollée ; D. 2008, pan., p. 3118, obs. T. Clay ; JCP G2009. I. 107, § 15, obs. D. Lawnicka ; LPA 2009, n o 61,p. 8, note A. Malan ; Spain Arb. Rev. 2009/6, p. 127, noteY. Derains et S. Adell.(60) CA Paris, 16 oct. 2008, SA Prim’Nature : Rev. arb.2010. 105 (3 e esp.), obs. C. Chainais, p. 3, spéc. p. 38 ;RTD com. 2010. 545, obs. E. Loquin ; D. 2010. 2941, obs.T. Clay.(61) Cass. 1 re civ., 29 juin 2011 : D. 2011. 1910, obs.X. Delpech ; D. 2011, pan. p. 2439, obs. L. d’Avout ;JCP G 2011, doct. p. 1064, § 8, obs. C. Nourissat ;Procédures 2011, 306, obs. L. Weiller.(62) Il semble qu’une erreur de plume se soit glisséedans l’arrêt : il est fait référence à l’article 1502-2°,relatif à la constitution du tribunal arbitral, alors quec’est le non-respect de sa mission par l’arbitre qui estinvoqué, et donc l’article 1502-3°.(63) Qui s’est depuis mise en conformité avec le droitde l’Union européenne : v. D. n o 2007-870, 14 mai 2007,relatif au régime de la collecte des céréales et portantmodification du titre II du livre VI du Code rural.(64) Il faut ici rappeler que le contrôle de la compétencese fait sur le fondement de l’article 1502-1° alors quecelui de l’incompétence se fait sur le fondement del’article 1502-3°. Pour plus de précisions : J.-B. Racine,« La sentence d’incompétence » : Rev. arb. 2010. 729.Cette spécificité a été gommée par le nouvelarticle 1520-1°.(65) CA Paris, 29 mars 1991, Ganz, préc.(66) On ne peut donc abonder dans le sens d’un auteurestimant que la Cour de cassation a reconnuimplicitement aux arbitres le pouvoir de se prononcersur ces questions. V. X. Delpech, obs. sous Cass. 1 reciv., 29 juin 2011, préc. ; L. d’Avout, préc. ; L. Weiller,préc. Contra : C. Nourissat, préc. Ce dernier considèrequ’en vertu du principe dispositif, la question seraitinsusceptible d’être examinée par l’arbitre.(67) Cass. 1 re civ., 6 oct. 2010, n o 08-20563, Abela : Bull.civ. 2010, I, n o 185 ; JCP G 2010, 1028, note P. Chevalier ;Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; RCDIP 2011. 85,note. F. Jault-Seseke ; D. 2010. 2943, obs. T. Clay ;D. 2010, act., p. 2441, obs. X. Delpech ; JCP G 2010, I,1286, § 6, obs. J. Orscheidt ; LPA 2011, n o 38, p. 6, obs.A. de Keyzer ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011, p. 14, obs.D. Bensaude.(68) J.-B. Racine, « L’affaire Abela ou les vicissitudesdu contrôle de la compétence arbitrale » : Gaz. Pal.2009. 2324.Les plaideurs n’ont de cesse detrouver de nouveaux argumentspour contester la sentence. Aprèss’être attaqués à l’arbitrabilité dulitige (57), à la validité de la clause compromissoire(58) ou au respect de l’ordrepublic (59), les arguments les plus fertilesse trouvent désormais dans le respect ducontradictoire (60) et de sa mission parl’arbitre. La Cour de cassation met unfrein à cette dérive en limitant la missionde l’arbitre au champ d’application rationemateriae de la clause compromissoire.Les faits de l’espèce sont suffisammentsubtils pour mériter d’être rappelés (61).La société belge Smeg a acheté du bléfourrager à la société française Poupardine.La venderesse a ensuite refusé d’exécuterson obligation, excipant de la pertede l’agrément de « collecteur-exportateur» par la société Smeg, suite à unedécision de l’Office national interprofessionneldes céréales. Celle-ci a saisi lachambre arbitrale de Paris en applicationd’une clause compromissoire. La demanderessea soulevé, devant le tribunal arbitral,la contrariété du droit françaisayant fondé le retrait de son agrémentavec le droit communautaire. Cependant,les arbitres se sont déclarés incompétentspour se prononcer sur cette demande, etont débouté le requérant de l’ensemblede sa demande d’indemnisation.Un recours en annulation fut formé contrela sentence, sur le fondement des anciensarticles 1502-2° (62) et 1502-5° du Codede procédure civile, critiquant la décisiondes arbitres de se déclarer incompétentspour statuer sur la conformité au droitcommunautaire du retrait de l’agrément.Entre-temps, la société Smeg avait saisi laCommission européenne d’une plainte.Cette dernière a estimé que la réglementationfrançaise en matière de collecte etde commercialisation des céréales est contraireaux principes de liberté d’établissementet de libre prestation de services.Malgré cette condamnation de la France(63), la cour d’appel rejette le recours,NOTEconsidérant qu’il n’entrait pas dans la missiondu tribunal arbitral d’examiner laconformité du Code rural au droit communautaire,et que la validation de l’évictionde la société Smeg ne constituait pasune violation flagrante, effective et concrètede l’ordre public international français.La Cour de cassation rejette le pourvoi endeux temps. Elle indique en premier lieuque les arbitres ont respecté leur missionen se déclarant incompétents pour se prononcersur la conformité du Code rural auregard du droit communautaire (64). Elleétablit un lien entre la compétence de l’arbitreet le champ d’application ratione materiaede la clause compromissoire. La clauselimitait la compétence des arbitres aux litigesentre les <strong>partie</strong>s dans l’exécution ducontrat. Si l’arbitre a été reconnu compétentdepuis bien longtemps pour se prononcersur la conformité du contrat auxrègles supranationales (65), il en va différemmentsi c’est la conventionnalité d’untexte national qui est remise en cause. LaCour valide ainsi un raisonnement selonlequel l’arbitre, juge de l’action, n’est pasjuge de l’exception, dès lors que celle-cioutrepasse le domaine de la clause compromissoire(66).Par ailleurs, la Cour de cassation relèveque les arbitres se sont potentiellementdéclarés incompétents « à tort ». En admettantque les arbitres aient pu se prononcerdans le mauvais sens, sans pourautant le vérifier, elle atténue fortementl’intensité de son contrôle. Les juges paraissentdonc prendre le contre-pied deleur jurisprudence relative au contrôleplein des griefs de compétence et d’incompétencedes arbitres (67). Cette affirmationest d’autant moins anodine qu’ilest précisé que le juge de l’annulation n’apas « le pouvoir de réviser la décision aufond ». Alors que l’on pouvait penser quece principe n’était pas applicable au contrôlede la compétence de l’arbitre (68),voilà que la Cour se prononce en sensopposé. De là à voir un infléchissementde la toute récente jurisprudence Abela, il10 - Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N O 227 En ligne sur Lextenso.fr


........................................................................................................................................................................n’y a qu’un pas... que certainsaimeraient voir franchi (69).La Cour de cassation pose dans unsecond temps une règle qui paraîtrelever du bon sens : il ne peut y avoirviolation de l’ordre public internationallorsque les arbitres se conforment à untexte national en vigueur. Tout d’abord,parce qu’il s’agit avant tout de l’ordre publicinternational français, et que considérerqu’un arbitre puisse le violer en appliquantle droit français apparaît schizophrène.Ensuite, parce que l’arbitre n’est pasle juge de la conventionnalité du droitfrançais. Une telle charge, que nos jugesnationaux hésitent déjà à endosser, ne doitpas être supportée par l’arbitre.Elle est d’autant moins adaptée qu’entoute logique, si l’arbitre est compétentpour contrôler la conventionnalité du droitfrançais, pourquoi ne le serait-il pas égalementpour contrôler la constitutionnalitéde celui-ci (70) ? Il nous semble quel’arbitre doit demeurer dans sa sphère,celle de juge du comportement des <strong>partie</strong>s,y compris au regard du droit communautaire.Mais il ne doit pas s’érigeren juge des législations étatiques (71).Néanmoins, cet arrêt ne manquera pas derelancer le débat, qui pourrait bien deveniréternel, sur la possibilité pour un tribunalarbitral de transmettre des questionspréjudicielles à la Cour de justice del’Union européenne (72), mais égalementdes QPC au Conseil constitutionnel (73).En réalité, dans cette affaire, le demandeura péché par précipitation. Plutôt que desaisir in limine litis la Commission européennede sa plainte et de demander auxarbitres de surseoir à statuer, il a attenduque les arbitres se prononcent défavorablement.Ironie de l’histoire donc, puisque lasociété qui a contraint la France à se mettreen conformité avec le droit de l’Unioneuropéenne n’en bénéficiera jamais.Jérémy JOURDAN-MARQUESDoctorantDiplômé du <strong>Master</strong> <strong>Arbitrage</strong>& <strong>Commerce</strong> international(Promotion Berthold Goldman)Chargé d’enseignement contractuelà l’université Versailles-Saint-QuentinMembre de l’équipe arbitragedu Laboratoire DanteVI. LOYAUTÉ PROCÉDURALE ET PRINCIPE DU CONTRADICTOIREDANS LE PROCÈS ARBITRALCA Paris, 7 avr. 2011, n o 10-09268, Sté MérialIl résulte du procès-verbal établi à l’issue de l’audience, signé sansréserve par les représentants des <strong>partie</strong>s et leurs conseils, queles intéressés ont été mis en mesure de faire valoir de nouvellesobservations au cours des débats, et de produire de nouvellespièces, et que la clôture a été prononcée sans que soit formuléede demande de dépôt de note en délibéré.MOTS-CLÉSMission de l’arbitre. Demandes incidentes. Demandes nouvelles. Principe ducontradictoire. Loyauté procédurale. Estoppel.(69) T. Clay, in D. 2009. 3118 et 2010. 2933 ;P. Chevalier, note sous l’arrêt Abela, préc.(70) V. pour une approche similaire et particulièrementdétaillée : P. Mayer, « L’arbitre international et lahiérarchie des normes » : Rev. arb. 2011, p. 361 et s. ;contra, J. Paulsson, « Unlawful Laws And theAuthority of <strong>International</strong> Tribunals » : ICSID ReviewForeign Investments Law Journal 2008, vol. 23, n o 2,p. 215 et s.(71) Sous réserve, bien entendu, du droit desinvestissements, où il est précisément de l’office del’arbitre de se prononcer sur les législationsnationales.(72) CJCE, 27 janv. 2005, n o C-125/04, Guy Denuit etBetty Cordenier c/ Transorient – Mosaïque Voyages etCulture SA : RTD com., 2005. 440, obs. M. Luby, etp. 488, obs. E. Loquin ; Rev. arb., 2005. 765, noteL. Idot ; JCP G 2005, I, 183, § 17, obs. T. Clay, et II,10079, note G. Chabot ; D. 2005. 3050, obs. T. Clay.(73) Cass. com., 28 juin 2011, n o 11-40030, A. c/ F., obs.L. Bernheim, supra, dans la présente chronique.En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N o 227 - 11


C HRONIQUEDROIT DE L’ARBITRAGE(74) CA Paris, 9 oct. 2008, n o 07-06619, Sté Merial c/Sté Klocke Verpackungs – Service GmbH : Rev. arb.2009. 352, note J.-G. Betto ; JCP G 2009, I, 148, § 9, obs.J. Béguin ; RTD com. 2009. 543, obs. E. Loquin.(75) Sur le sujet, v. « Rapport final sur les opinionsdissidentes et exprimées séparément » : Bulletin CCI1991, vol. 2, n o 1, p. 32 – CA Paris, 1 re ch. C, 11 avr.2002 : Rev. arb. 2003. 43.(76) Cass. ass. plén., 27 févr. 2009, Rapport annuel2009 : Bull. civ. 2009, ass. plén. n o 1 ; LPA 2009, n o 95,p. 7, avis R. de Gouttes ; D. 2009. 723, note X. Delpech ;D. 2010, chron. p. 287, obs. E. Agostini ; JCP G 2009, II,10073, note P. Callé ; D. 2009. 1245, note D. Houtcieff ;JCP G 2009, I, 142, § 7, obs. Y.-M. Serinet ; Procédures2009, repères n o 4, note H. Croze ; Gaz. Pal. 19 mars2009, p. 10, note T. Janville ; D. 2010, pan., p. 172, obs.N. Fricero.(77) Cass. 1 re civ., 3 févr. 2010 : Bull. civ. 2010, I, n o 25 ;Rev. arb. 2010. 93, note L. Weiller ; D. 2010, act. p. 448,obs. X. Delpech ; JCP G 2010, act. p. 178, obs.J. Ortscheidt ; JCP G 2010, II, 626, note D. Houtcieff ;JCP G 2010. I. 546, § 10, obs. T. Clay ; JCP G 2010, I,644, § 7, obs. J. Béguin ; JCP G 2010, act., p. 303, obs.E. Kleiman ; D. 2010. 2940, obs. T. Clay ; Gaz. Pal.29 mai 2010, p. 39, note F.-X. Train ; Bull. ASA 2010.406, note S. Adeline ; LPA 2011, n o 37, p. 12, obs.D. Mouralis.(78) Cass. 1 re civ., 25 mars 2009, n o 08-10815,C. Missère et a. c/ M. Rigault : Bull. civ. 2009, I, n o 63 ;Rev. arb. 2010. 85, note P. Théry ; JCP G 2009, I, 148,§ 2, obs. J. Béguin ; JCP G 2009, act. n o 193, obs.J. Béguin ; D. 2009, act. p. 1025, obs. X. Delpech ; RTDcom. 2009. 541, obs. E. Loquin ; LPA 2009, n o 144, p. 14,note M. Gadria. Adde G. Bolard, « Les demandesnouvelles dans le procès arbitral », note sous Cass.2 e civ., 8 juill. 2004 : Rev. arb. 2005. 665.Saisie d’un recours en annulationformé par la société Mérial, aprèsrenvoi de la Cour de cassation, lacour d’appel de Paris apporte sapierre à un litige riche d’enseignementsquant à la loyauté dans le procès arbitral.NOTELa société française Mérial avait concluen 2001 un contrat de conditionnementde produits pharmaceutiques vétérinairesavec la société allemande Klocke. Lecontrat contenait une clause compromissoire.Un différend étant survenu dansl’exécution du contrat, la société Mérial aengagé en 2005 une procédure d’arbitragesous l’égide de la CCI. La sentencen’a fait que <strong>partie</strong>llement droit à ses demandes,le tribunal arbitral ayant mêmeaccueilli les demandes reconventionnellesde la défenderesse.Le recours en annulation formé par la sociétéMérial fut rejeté une première foispar la cour d’appel de Paris (74). Celle-ciavait estimé que la seule émission d’uneopinion dissidente par l’un des arbitres neconstituait pas une violation du secret dudélibéré (75) et qu’en tout état de cause,une telle violation ne constituait pas automatiquementune cause d’annulation. Lacour avait en outre considéré que les arbitresqui avaient statué sur des demandesreconventionnelles de nature délictuellen’avaient pas outrepassé leur mission, mêmesi l’acte de mission ne s’attachait qu’aucontrat. En effet, selon les magistrats parisiens,le comportement procédural de lasociété Mérial, qui n’avait pas contestél’ordonnance par laquelle les arbitres avaientdéclaré recevables les demandes reconventionnelleset qui avait même signé le procès-verbalde clôture des débats, était constitutifd’une violation de l’estoppel.Dans un arrêt remarqué, cette qualificationfut rejetée par la Cour de cassation qui,s’inscrivant dans la lignée d’un arrêt deprincipe sur l’estoppel (76), en retint uneconception étroite, défini comme le « comportementprocédural constitutif d’un changementde position, en droit, de nature àinduire en erreur sur ses intentions », cedont ne s’est pas rendue coupable la sociétéMérial. Cassation donc (77).Pour la cour d’appel de Paris statuant surrenvoi le 7 avril 2011 les mêmes motifs(irrecevabilité des demandes reconventionnellesde la défenderesse entraînant lanullité de la sentence) entraînent la mêmepunition : le recours est rejeté. Elle jugequ’en cas de violation du secret du délibéré,la sentence ne peut être annuléepour violation de l’ordre public internationalque si les principes de collégialitéou de réalité du délibéré sont méconnus,ce qui n’était pas le cas en l’espèce. L’argumenttiré de la violation de l’ordre publicinternational est donc rejeté. Elleconfirme par ailleurs que les arbitres, ense prononçant sur les demandes incidentes,n’ont pas statué ultra petita puisquela clause compromissoire visait tous leslitiges « en relation » avec le contrat ; laclause couvrait ainsi toute demande relevantd’une qualification délictuelle. Elleécarte à nouveau l’argument du dépassementpar les arbitres de leur mission, dèslors que les demandes incidentes de ladéfenderesse se rattachaient « par un liensuffisant [à ses] prétentions originaires ».Cette solution, déjà largement consacrée,doit être approuvée puisque le litige peutévoluer au cours de l’instance dans le respectdu cadre posé par la clause compromissoire(78).La demanderesse prétendait ne pas avoireu la possibilité de répondre aux demandesincidentes, demandes « nouvelles parleur quantum et leur fondement juridique». Mais la cour rejette l’argument dela violation des principes de la contradiction,de l’égalité des <strong>partie</strong>s et de la loyautéprocédurale. Elle considère que la sociétéMérial a bien été en mesure de débattredes demandes adverses, par conclusionsou plaidoiries. Elle constate que toutes lesdemandes formulées par la défenderesse,y compris les demandes litigieuses viséespar la société Mérial dans son recours,étaient articulées autour d’arguments techniques« qui ne différaient pas substantiellementde ceux qui fondaient les pré-12 - Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N O 227 En ligne sur Lextenso.fr


........................................................................................................................................................................tentions initiales de la défenderesse» ; il ne s’agit donc pas de demandesnouvelles.En jugeant que les demandes reconventionnellesn’étaient pas nouvelles,alors qu’elles avaient été, au cours de laprocédure, à la fois réévaluées et assises surdes fondements juridiques différents, lacour semble appliquer une solution classiqueselon laquelle le litige peut évoluer aucours de l’instance dans les limites poséespar la clause compromissoire et l’acte demission. Pour autant, la solution adoptéeen l’espèce peut surprendre : en cours d’instance,le montant de la demande initialementporté à 5 millions d’euros a été réévaluéà 22 millions d’euros. On peut sedemander, dans ces conditions, si les demandesreconventionnelles ont été véritablementdébattues et si le principe ducontradictoire a été respecté. Il est permisd’en douter.Marie VALENTINIDiplômée du <strong>Master</strong> <strong>Arbitrage</strong>& <strong>Commerce</strong> international(Promotion Berthold Goldman)AvocatAugust & DebouzyLL.M. WestminsterVII. LA LIBERTÉ DE L’ARBITRE CONDITIONNÉE PAR LE STRICT RESPECTDU CONTRADICTOIRECass. 1 re civ., 29 juin 2011, n o 10-23321, Commercial Caribbean NiquelL’arrêt constate exactement que, dans leur raisonnement,les arbitres ont substitué à l’indemnisation réclamée fondéesur la perte de gain qui leur paraissait inadéquate,une indemnisation fondée sur la perte de chance de voirse concrétiser le projet, qui n’avait pas été invoquéeet que cette substitution ne constituait pas une simple modalitéd’évaluation du préjudice mais modifiait le fondementde l’indemnisation ; que la cour d’appel en a déduit à bon droitqu’en omettant d’inviter les <strong>partie</strong>s à s’expliquer sur ce point,les arbitres avaient méconnu le principe de la contradiction ;que le moyen n’est pas fondé.MOTS-CLÉSArbitre. Principe du contradictoire. Ordre public procédural. Jura novit curia.Recours en annulation. Évaluation du préjudice économique.NOTEEn l’absence de choix des <strong>partie</strong>s,l’arbitre est libre de déterminer ledroit applicable au fond du litige.Il jouit, en principe, de la facultéde soulever les moyens qu’il estime pertinentspour résoudre le différend dont ilest saisi et qui n’auraient pas été portésaux débats par les <strong>partie</strong>s (79). Mais cettelatitude reconnue à l’arbitre dans l’exercicede son office est strictement encadréepar la loi des <strong>partie</strong>s et par celle applicableà la procédure, comme en témoigne l’arrêtrendu par la Cour de cassation le 29 juin2011 (80). La décision invite à s’interrogersur les véritables contours de cette libertéconditionnelle.En l’espèce, un tribunal arbitral avaitcondamné, en octobre 2008, la société(79) Et non de l’obligation, sous réserve de l’applicationdes dispositions d’ordre public.(80) Cass. 1 re civ., 29 juin 2011, n o 10-23321,Commercial Caribbean Niquel : Procédures, 2011, 307,obs. L. Weiller.En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N o 227 - 13


C HRONIQUEDROIT DE L’ARBITRAGE(81) À noter que ce fondement avait été soulevé parCNN dans le cadre de sa demande reconventionnelle.(82) CA Paris, 25 mars 2010, n o 08-23901 : JCP G 2010.I. 644, § 2, obs. C. Seraglini ; Intern. Arb. and BusinessLaw Rev. 2010. 6, obs. J.-R. Costargent ; D. 2010. 2941et 2945, obs. T. Clay ; Global Arbitration Review, 26 avr.2010, obs. T. Toulson.(83) Pour une autre illustration récente d’un telcontrôle : Cass. 1 re civ., 28 sept. 2011, n o 10-18320, StéCarrefour Proximité France : D. 2011. 2410, obs.X. Delpech ; Procédures 2011, 339, obs. L. Weiller.(84) Notamment en application de l’adage « Jura novitcuria » et du nouvel article 1511 du CPC.(85) G. Bolard : « Les principes directeurs du procèsarbitral » : Rev. arb. 2004, p. 511.(86) C. Jarrosson, La notion d’arbitrage, préf.B. Oppetit, LGDJ, 1987, n o 581.(87) CPC, art. 1510.(88) C. Chainais, « L’arbitre, le droit et la contradiction :l’office du juge arbitral à la recherche de son pointd’équilibre » : Rev. arb. 2010, p. 3.(89) G. Bolard, op. cit., spéc. n o 2.(90) C. Chainais, op. cit., spéc. p. 7.(91) CA Paris, 15 mai 2008, n o 06-15435 : Rev. arb.2010, p. 105 (1 re esp.), obs. C. Chainais – CA Paris,3 déc. 2009, n o 08-13618, Sté Engel Austria GmbHc/ Sté Don Trade : Rev. arb. 2010, p. 105, obs.C. Chainais ; RTD com. 2010. 545, obs. E. Loquin –Cass. 1 re civ., 23 juin 2010, n o 08-16858, Sté Malincorp,et n o 09-67182, Sté Top Bagage <strong>International</strong>, inédits.(92) Pour une critique sévère de la decision de la courd’appel de Paris dans cette affaire, v. les observationsdes professeurs T. Clay et C. Seraglini publiées sousl’arrêt.(93) L’article 1149 du Code civil dispose : « Lesdommages et intérêts dus au créancier sont, engénéral, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a étéprivé (...) ».........................................................................................................................................................................cubaine Commercial CaribbeanNiquel (CNN) à verser à la sociétéOverseas Mining Investments Ldt(OMI) une indemnité d’un montantapproximatif de 46 millions de dollarsen réparation du préjudice subi pour n’avoirpas été mise en mesure de participer à unappel d’offres pour la construction d’unimportant projet minier à Cuba.La cour d’appel de Paris saisie d’un recoursinitié par la société CNN avait prononcél’annulation de la sentence, au motifqu’en substituant au gain manqué laperte de chance comme fondement de lademande en réparation de la société OMIsans recueillir les arguments des <strong>partie</strong>ssur ce point (81), le tribunal arbitral avaitviolé le principe du contradictoire. Ainsi,les juges du fond ont considéré que lasubstitution de fondement opérée par lesarbitres ne constituait pas « une simplemodalité d’évaluation du préjudice » maismodifiait le fondement de l’indemnisationd’OMI. De ce fait, « en omettantd’inviter les <strong>partie</strong>s à s’expliquer sur cepoint, les arbitres ont méconnu le principedu contradictoire » (82).En entérinant les termes de l’arrêt de lacour d’appel de Paris, la première chambrecivile entend affirmer une nouvellefois ses pouvoirs de contrôle de l’ordrepublic procédural, au détriment de la libertédes arbitres qui tend à se réduirecomme peau de chagrin (83).Il est admis que l’arbitre a la faculté desoulever d’office des moyens de droit (84),dans la limite de la volonté contractuellementexprimée par les <strong>partie</strong>s et de la sauvegardede son indépendance. L’arbitre est,par ailleurs, tenu de garantir le respect dela contradiction entre les <strong>partie</strong>s tout aulong du procès arbitral, sous peine de voirsa sentence annulée ou dépourvue d’exequatur.Ces deux principes — qui comptent parmiles principes directeurs du procès arbitral(85) — ont été consacrés par la récenteréforme de l’arbitrage opérée par ledécret n o 2011-48 du 13 janvier 2011. Letexte inclut dans les principes directeursdu procès les alinéas 2 et 3 de l’article 12du Code de procédure civile (« maladroitement» oublié par les rédacteurs des textesantérieurs (86)). En matière internationale,le nouveau décret prévoit même expressémentl’obligation pour l’arbitre degarantir l’égalité des <strong>partie</strong>s et le respectdu principe de la contradiction (87).L’arrêt commenté rappelle la nécessité detrouver un équilibre raisonnable entre leprincipe dispositif et le principe du contradictoire(88) ; entre les prérogatives des<strong>partie</strong>s et les pouvoirs des arbitres.La difficulté réside dans le caractère « composite(89) » de l’arbitrage qui, de par sonorigine contractuelle et sa vocation juridictionnelle,se trouve « au confluent dedeux fleuves juridiques — l’un conventionnell’autre légal » (90). L’équilibre nenous semble pas encore avoir été trouvé.En effet, si la solution s’inscrit dans unmouvement jurisprudentiel récent (91),elle contrarie par sa sévérité et laisse dubitatifquant à sa motivation (92).En l’espèce, devait principalement être débattuepar les <strong>partie</strong>s et tranchée par l’arbitrela question de la responsabilité contractuellede CNN avant, le cas échéant,celle de l’évaluation du préjudice subi. Àsupposer que la responsabilité soit admise,le demandeur avait sollicité des dommageset intérêts au titre du gain manqué résultantde la résiliation fautive par CNN del’accord de coopération conclu avec OMI.Or parce qu’ils ont fondé l’indemnisationdu demandeur sur la perte de chance devoir concrétiser son projet, les arbitres ontvu leur décision annulée. Ce n’est pas larequalification en elle-même, mais le changementde fondement, voire seulement laméthode de calcul du préjudice sans discussionpréalable entre les <strong>partie</strong>s, que lesjuridictions judiciaires ont entendu sanctionner.À cet égard, la perte de chance est le plussouvent considérée comme un élémentconstitutif du gain manqué dans l’appréciationdu préjudice économique (93).Dans ces conditions, il n’est pas évidentque la qualification d’un préjudice comme14 - Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N O 227 En ligne sur Lextenso.fr


........................................................................................................................................................................perte de chance ne soit pas unesimple modalité d’indemnisation.Dès lors que les <strong>partie</strong>s ont eu leloisir de débattre contradictoirementdevant le tribunal arbitral du quantumdu préjudice invoqué, l’arbitre devrait,semble-t-il, être libre de le qualifierde gain manqué ou de le limiter à la pertede chance.En l’espèce, en annulant la sentence rendue,les tribunaux semblent indirectements’immiscer dans l’évaluation de préjudiceopérée par les arbitres, laquelle relève dufond de la sentence et n’est donc en principepas susceptible de révision par le jugejudiciaire. Sur ce point, la position adoptéepar la Cour de cassation se distingue decelle des juges du fond qui ont récemmentreconnu aux arbitres la liberté d’évaluer ledommage en équité même dans le cas oùceux-ci n’ont pas statué en qualité d’amiablecompositeur (94). La solution est d’autantplus sévère que la Cour de cassationprétend, à l’instar des juges du fond, que lacirconstance que la perte de chance avaitété soulevée par la société CNN dans sademande reconventionnelle était sans incidence,dès lors que les <strong>partie</strong>s n’ont pas eule loisir d’en débattre contradictoirement.Dans ce contexte, se pose l’épineuse questionde la preuve du contenu des débats.Il paraît peu probable que le juge secontente de la retranscription des plaidoiries(95). Le fait pour les <strong>partie</strong>s des’expliquer sur un fondement soulevé d’officepar le tribunal arbitral dans leur mémoirepost-audience serait-il en revanchesuffisant pour prouver l’existence de discussionscontradictoires ?Cette police du contradictoire exercée parle juge français ne saurait que déplaireaux fervents défenseurs de Paris commeplace d’arbitrage que nous sommes, c’estpourquoi à l’instar du professeur ThomasClay (96), nous pouvons appeler de nosvœux la juste mesure du juge judiciaire.Stéphanie SMATTDiplômée du <strong>Master</strong> professionnel<strong>Arbitrage</strong> & <strong>Commerce</strong> international (2006)Avocat à la courVIII. LA CONFUSION DES GENRES : LE MANQUEMENT AU PRINCIPEDE LA CONTRADICTION COMME FONDEMENT DE LA RESPONSABILITÉCONTRACTUELLE DU CENTRE D’ARBITRAGETGI Nanterre, 1 re ch., 1 er juill. 2010, n o 07-13724, Sté Filature Françaisede MohairLe centre d’arbitrage en proposant des services relatifs àl’organisation d’arbitrage (...), émet une offre permanentede contracter. Ladite offre a été acceptée (...), par la demanded’arbitrage (...). Il résulte de l’article 1460 du Code de procédurecivile que les arbitres sont tenus de respecter le principe de lacontradiction et que la transmission du courrier litigieux du 24 juin2004, sans communication à la <strong>partie</strong> adverse, viole ce principe.Dès lors, le centre d’arbitrage a commis une faute dansl’organisation des opérations d’arbitrage dont il avait la charge.Si la première procédure a été annulée, il n’est pas contesté qu’unenouvelle instance arbitrale était encore possible. Le seul fait quel’issue de cette nouvelle instance ne soit pas certaine ou qu’elleengendre de nouveaux frais n’est pas pertinent au regardde l’analyse d’une perte de chance.(94) CA Paris, 17 janv. 2008, SA SDMS <strong>International</strong> :Rev. arb. 2008. 333, note N. Mélin ; JCP G 2008, I, 164,§ 7, obs. J. Béguin ; LPA 2008, n o 199, p. 18, noteA.-L. Roy.(95) Sur ce point, v. C. Duclercq : « Le principe ducontradictoire : l’incertitude persiste... », note sousCA Paris, 3 déc. 2009, Sté Engel : LPA 2010, n o 202,p. 25.(96) T. Clay, D. 2010, p. 2933.En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N o 227 - 15


C HRONIQUEDROIT DE L’ARBITRAGEEn effet, dans la mesure où la demanderesse ne démontre pasqu’elle a perdu, de manière définitive, toute chance d’obtenir uneissue favorable du seul fait de la faute du centre d’arbitrage et nonde sa propre inertie, elle ne démontre pas l’existence d’un lien decausalité certain entre la faute relevée et le préjudice allégué.Il est constant que les frais afférents à ce recours [en annulation]sont la conséquence directe du non-respect du principe ducontradictoire par le centre d’arbitrage, que la cour d’appel asanctionné par l’annulation de la sentence.MOTS-CLÉS<strong>Arbitrage</strong> institutionnel. Contrat d’organisation de l’arbitrage. Règlementd’arbitrage. Obligations du centre dans l’administration de la procédurearbitrale. Principe de la contradiction (violation). Annulation de la sentence.Responsabilité contractuelle du centre d’arbitrage. C. civ., art. 1147.Nature du préjudice réparable.(97) E. Silva Romero, « Les apports de la doctrine et dela jurisprudence française à l’arbitrage de la chambrede commerce internationale » : Rev. arb. 2005, p. 421.(98) TGI Nanterre, 1 er juill. 2010 : JCP G 2010, I, 1286,§ 8, obs. J. Ortscheidt ; Paris Journ. intern. arb. 2011,401, note P. Stoffel-Munck.(99) Règl. de la FFILC, art. 1 er et 16.(100) L’article 16 du règlement d’arbitrage limitait lerôle du centre en matière de communication de piècesjusque la saisine de l’arbitre : « Les arbitres statuent,en principe, sur les seules pièces qui leur sontadressées, en même temps que le procès verbald’arbitrage, par le secrétariat de la Commissiond’arbitrage et de médiation. Ils peuvent demander aux<strong>partie</strong>s toutes pièces ou explications qu’ils jugeraientutiles (...), en assurant le respect du contradictoire ».(101) T. Clay, L’arbitre, Dalloz, 2001, coll. Nouvellebibliothèque de thèses, n os 915 et s.Le jugement rendu le 1 er juillet 2010par le tribunal de grande instancede Nanterre pose une pierre supplémentaireà l’édification du régimede la responsabilité contractuelle (97)des centres d’arbitrage à l’égard des <strong>partie</strong>slitigantes et admet, pour la première fois ànotre connaissance, qu’une telle responsabilitésoit engagée (98).NOTEPar suite d’un arbitrage initié le 13 octobre2003 et conduit sous l’égide de laCommission d’arbitrage de la Fédérationfrançaise des industries lainière et cotonnière(FFILC), une sentence avait été renduele 30 août 2004, condamnant la sociétéSisa à payer 62 471 T de dommageset intérêts à la société Filature françaisede mohair (FFM) au titre de contrats devente litigieux.Presque deux ans après l’introduction durecours en annulation de la sentence parla société espagnole Sisa, la cour d’appelde Paris a prononcé l’annulation de lasentence le 21 septembre 2006 au motifde la violation du principe de la contradictionpar... le centre d’arbitrage, sur lefondement de l’ancien article 1460 duCode de procédure civile et, plus spécifiquement,des dispositions expresses durèglement d’arbitrage (99).En l’espèce, une pièce avait été transmise àl’arbitre unique par une société tierce aulitige par l’intermédiaire du centre. Mais lapièce n’avait pas été communiquée auxlitigants. Se faisant l’ombre de l’arbitredans la communication de pièces au coursde l’instance arbitrale, le centre s’était octroyé,de facto, une prérogative qu’il nepossédait pas, notamment en l’absenced’une stipulation de son règlement en cesens (100). Perdant le bénéfice de la sentencearbitrale annulée, la <strong>partie</strong> qui avaittriomphé à l’arbitrage assigna le centre enresponsabilité civile contractuelle pour fautedans l’administration de la procédure arbitrale.Par jugement rendu le 1 er juillet 2010, letribunal de grande instance de Nanterre aadmis la responsabilité du centre d’arbitrage,au visa exprès de l’article 1147 duCode civil. Notons à titre liminaire que lejuge rappelle clairement la nature contractuellede la relation qui lie les <strong>partie</strong>s litigantesau centre d’arbitrage en cas d’arbitrageinstitutionnel. L’existence du contratd’organisation de l’arbitrage n’est plus àdémontrer (101). La présente décision re-16 - Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N O 227 En ligne sur Lextenso.fr


........................................................................................................................................................................prend les expressions déjà consacréespar les arrêts Cubic (102) etSNF (103) selon lesquelles les centresd’arbitrage se trouvent dansune position d’offre permanente de contracter.Le tribunal de grande instance de Nanterreaffirme que le contrat d’organisationde l’arbitrage a été conclu lorsque l’offre decontracter émise par le centre, et matérialiséepar la publication de son règlement,est acceptée par les litigants, lors de la demanded’arbitrage. À cet égard, le tribunalde grande instance de Nanterre considèreque ledit contrat est conclu à la date d’introductionde la demande d’arbitrage, reprenantune proposition doctrinale (104),qui avait déjà été consacrée par la courd’appel de Paris (105).Le règlement d’arbitrage prévoyait qu’aprèsla saisine de l’arbitre, il appartenait uniquementà ce dernier de prendre les mesuresrelatives à la communication de pièces.Assurer le respect du principe du contradictoireest l’une des obligations procéduralesrésultant de la nature juridictionnellede la mission de l’arbitre (106). Mais dèslors que le centre d’arbitrage interfère avecles prérogatives réservées à l’arbitre, il luiincombe d’assurer aux litigants les mêmesgaranties procédurales qui incombent normalementà ce dernier. À défaut, la responsabilitécontractuelle de l’institutiond’arbitrage peut être retenue. Sans douteque, si l’arbitre avait été à l’origine de lademande de communication de pièce sanspermettre le débat contradictoire des <strong>partie</strong>s,à l’instar du comportement de laFFILC, sa responsabilité aurait pu être engagée.Toutefois, l’immixtion du centredans l’exercice des prérogatives et des obligationsde l’arbitre est en elle-même fautive.Elle est alors considérée comme unmanquement du centre à son obligationcontractuelle première qui est de respecterles termes du contrat d’organisation del’arbitrage et même du contrat d’arbitre.Le règlement d’arbitrage du centre déterminele contenu de ces contrats et constituela loi des <strong>partie</strong>s qui doivent donc respectertout le règlement, mais rien que lerèglement (107). Si cela avait été le cas, ladistinction entre, d’une part, les fonctionsd’organisation et d’administration de l’arbitrageim<strong>partie</strong>s au centre et, d’autre part,les fonctions juridictionnelles (108) conféréesà l’arbitre aurait été maintenue plusstrictement (109). La motivation du jugementaurait, quant à elle, paru sans nuldoute moins confuse.Les caractéristiques d’une organisation etd’une administration appropriée de laprocédure arbitrale par un centre d’arbitrageont été définies à plusieurs reprisespar la jurisprudence (110). Ainsi, l’institutiondoit fournir une structure permettantun arbitrage efficace, se déroulantconformément aux règles choisies et dontla sentence puisse faire l’objet d’un exequatur(111). Dès lors, tout manquementconduisant directement à un défaut del’une de ces qualités, comme l’annulationde la sentence résultant d’une faute dansl’administration de la procédure arbitrale,peut être sanctionné par la mise en œuvrede la responsabilité contractuelle du centre.De plus, l’appartenance du principede la contradiction à l’ordre public internationaln’est certainement pas étrangèreà la détermination d’une telle décision.La responsabilité de l’arbitre n’ayant jamaisété, à notre connaissance, mise encause en l’espèce, il fallait bien un responsable.Le voilà tout trouvé en la personnedu centre d’arbitrage jugé intrusif.Soulignons à cet égard, qu’en l’absenced’immixtion du centre, la communicationnon contradictoire de la pièce litigieuseà la demande de l’arbitre auraitconstitué une violation du principe de lacontradiction qui n’aurait pu être reprochéeau centre (112). Sans doute n’est-ilpas inexact d’affirmer, qu’en toutes hypothèses,l’arbitre exerçant seul la fonctionjuridictionnelle de laquelle émanel’obligation de garantir le respect du principede la contradiction, il lui appartenait,indépendamment de l’immixtion ducentre d’arbitrage, de s’assurer que la piècelitigieuse avait été communiquée aux <strong>partie</strong>slitigantes.(102) TGI Paris, 21 mai 1997, Sté Cubic : Rev. arb. 1997,417 ; RDAI 1997, 1044, obs. C. Imhoos ; et sur appel,rejeté : CA Paris, 15 sept. 1998 : Rev. arb. 1999, 103,note P. Lalive ; Clunet 1999, 162, note E. Loquin ; RGDP1999, 407, obs. M.-C. Rivier ; RDAI 1999. 480, obs.C. Imhoos ; et sur pourvoi, rejeté : Cass. 1 re civ., 20 févr.2001 : Rev. arb. 2001, 511, note T. Clay ; Rev. crit. DIP2002, 124, note C. Seraglini ; Gaz. Pal. 2002 ; Cah. arb.n o 1, p. 35, note M.-L. Niboyet ; Décideurs jur. et fin.juill. 2001, p. 3, obs. E. Gaillard ; Rev. arb. 2001, 489,note G.-F. Gosi.(103) TGI Paris, 10 oct. 2007, SNF : Rev. arb. 2007, 847,note C. Jarrosson ; D. 2007. 2916, note T. Clay ; D. 2008,pan., p. 190, obs. T. Clay ; LPA 24-25 mars 2008, p. 32,note E. Loquin – CA Paris, 22 janv. 2009 : Clunet 2009.617, note T. Clay ; LPA 2009, n o 143, p. 16, obs.C. Jallamion ; Rev. arb. 2010, 314, note C. Jarrosson ;D. 2009, pan., p. 2969, obs. T. Clay ; RTD com. 2010,542, obs. E. Loquin ; Paris Journ. intern. arb. 2010. 219,note Y. Derains et C. Schrœder ; Journ. of Intern. Arb.,vol. 26, n o 4, 2009, 579, obs. L. Kiffer ; Siar 2009, vol.n o 1, p. 13, obs. E. Kleiman ; JCP G 2009. I. 148, § 12,obs. J. Ortscheidt ; Spain Arb. Rev. 2009/6, p. 138, noteV. Allan.(104) T. Clay, L’arbitre, op. cit., spéc. n os 722-740 ;« Ombres et lumières sur le contrat d’organisation del’arbitrage », note sous CA Paris, 22 janv. 2009, préc. ;C. Jallamion : « Quand une question en cache uneautre : le moment de la formation du contratd’organisation de l’arbitrage et la question durèglement d’arbitrage applicable », note sous CA Paris,22 janv. 2009, préc.(105) CA Paris, 22 janv. 2009, préc.(106) T. Clay, L’arbitre, op. cit., spéc. n os 915-925.(107) T. Clay, « Ombres et lumières sur le contratd’organisation de l’arbitrage », op. cit.(108) E. Loquin, « La responsabilité des institutionsd’arbitrage et ses limites », note sous TGI Paris, 10 oct.2007, op. cit.(109) T. Clay, L’arbitre, op. cit., spéc. n os 915-964.(110) CA Paris, 15 sept. 1998, Cubic, préc., et surpourvoi : Cass. 1 re civ., 20 févr. 2001, préc. – CA Paris,22 janv. 2009, SNF, préc.(111) E. Kleiman, « The SNF v. <strong>International</strong> Chamberof <strong>Commerce</strong> Case and the Obligation to ConductArbitration Proceedings with « ExpectedDispatch » » : Stockholm <strong>International</strong> ArbitrationReview 2009 (1), p.13-42.(112) C. Kessedjian, « Principe de la contradiction etarbitrage » : Rev. arb. 1995, p. 381.En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N o 227 - 17


C HRONIQUEDROIT DE L’ARBITRAGE(113) En ce sens, v. P. Stoffel-Munck, « Responsabilitéd’un centre d’arbitrage pour nullité de la sentence »,note sous ce jugement, préc.(114) Selon P. le Tourneau, « pour qu’il y ait perte d’unechance, la victime ne doit plus pouvoir remédier àl’impossibilité de survenance de l’événement » : Droitde la responsabilité et des contrats, Dalloz Action,2010-2011, n o 1418.........................................................................................................................................................................Outre le prononcé de la violationdu principe de la contradictioncomme fondement à la mise enœuvre de la responsabilité civilecontractuelle du centre d’arbitrage, le jugementcommenté précise la nature dupréjudice réparable, ce qui n’est pas lemoindre de ses intérêts. La demanderesseà l’action engagée contre le centre d’arbitrageréclamait la réparation de plusieurspréjudices, alléguant qu’ils résultaient directementde l’annulation de la sentence.Dans son jugement, le tribunal de grandeinstance de Nanterre n’a fait droit qu’à lamoitié des demandes. L’intérêt principalporte sur celles de 62 471 T correspondantau montant des dommages-intérêtsalloués par la sentence annulée, de10 000 T au titre de l’article 700 du Codede procédure civile dans le cadre du recoursen annulation et de 1 000 T pour le« temps passé » et le « souci » occasionnépar le procès.La demanderesse sollicitait donc principalementle paiement des dommagesintérêtsque lui avait attribué la sentenceultérieurement annulée. Ce préjudice étantanalysé comme une perte de chance, letribunal de grande instance de Nanterre arefusé de le faire réparer par le centred’arbitrage. Néanmoins, la sentence étantun titre de créance certain, son annulationpourrait être apparentée à un gainmanqué. En effet, ne pouvant plus se prévaloirde son exécution, la <strong>partie</strong> en faveurde laquelle la sentence avait été rendue,a définitivement perdu le bénéfice dela condamnation. Mais la qualification,par les juges du fond, du préjudice enperte de chance, qui consiste en la nonréalisationd’un événement favorable n’enest pas moins juste ; pour au moins troisraisons.En premier lieu, nul ne sait ce qu’auraitété l’issue de la procédure arbitrale enl’absence de violation du principe de lacontradiction. Il n’est pas certain que lasentence arbitrale eut été la même si leprincipe du contradictoire avait été respecté.En l’absence de faute du centred’arbitrage, fondement de l’annulation dela sentence, il n’est pas évident que lademanderesse ait obtenu une solutionidentique du tribunal arbitral. Par conséquent,la finalité de la responsabilité civileétant de replacer la victime dans lasituation où elle se serait trouvée en l’absencedu fait générateur (en l’occurrencela violation du principe de la contradiction),le tribunal de grande instance quiaurait accepté de condamner le centre àindemniser la <strong>partie</strong> du montant de lasentence annulée, aurait admis que la décisionissue d’une procédure arbitraleexempte de tout vice aurait été identique.Or cette affirmation eût été aventureuse.En second lieu, à considérer le préjudiceallégué comme un gain manqué, le centred’arbitrage aurait dû payer une condamnationprononcée à l’encontre de l’autre<strong>partie</strong> litigante à l’instance arbitrale. Ilaurait alors fallu opérer une sorte de subrogationentre le centre et la <strong>partie</strong> litiganteconcernée (113).En troisième et dernier lieu, la qualificationdu dommage en une perte de chanceouvre droit à une indemnisation égale àune fraction de la valeur de l’événementfavorable qui aurait dû se réaliser mais nes’est pas produit.Toutefois, pour être indemnisé, encorefaut-il que la non-réalisation de cet événementsoit irrémédiable (114). Or, enl’espèce, le tribunal relève qu’il était toujourspossible de recommencer un arbitrage.Aucune chance qu’un événement favorablese produise n’ayant été définitivementperdue, aucune indemnisation nepeut avoir lieu en l’absence de dommage.C’est donc pertinemment que le tribunalde grande instance de Nanterre rejette, enl’espèce, la demande d’indemnisation dumontant de la sentence annulée.En revanche, le tribunal de grande instancea condamné le centre, sur le fondementde l’article 700 du Code de procédurecivile, à payer les sommes engagéespar la demanderesse dans les procéduresqu’elle a subies en raison de la fautecommise par le premier, à savoir la pré-18 - Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N O 227 En ligne sur Lextenso.fr


........................................................................................................................................................................sente procédure ainsi que le recoursen annulation. De plus, letribunal de grande instance admetla réparation d’un préjudice quel’on peut qualifier de moral en ce qu’ilcouvre le « temps passé » et le « souci »causé par les différentes procédures, recoursen annulation et action en responsabilité,initiées sur le fondement de lafaute commise par le centre d’arbitrage.Force est de considérer qu’admettre la responsabilitécivile contractuelle du centred’arbitrage sur le fondement d’un manquementau principe de la contradiction,alors que sa fonction est, en principe, denature administrative n’est pas correct,sauf à vouloir entretenir une confusionpréjudiciable des rôles entre le centre d’arbitrageet l’arbitre. En dépit de certainesaffirmations (115), il nous semble que, enl’espèce, le tribunal de grande instance deNanterre, loin d’encourager l’immixtiondes institutions dans la direction de la procédure,a pu vouloir au contraire les endissuader en les mettant en garde : celuiqui dirige effectivement la procédure doiten assurer les garanties et donc en supporterla responsabilité. Fort de cette décision,il est peu probable que les centresd’arbitrage conçoivent favorablement unélargissement des fondements de la miseen œuvre de leur responsabilité contractuelleà l’égard des <strong>partie</strong>s litigantes.N’est-il pas légitime de craindre qu’unetelle juridictionnalisation du contentieuxpost-arbitral menace l’efficacité de l’arbitrageet nuise à sa pérennité ? Il est possiblede s’interroger sur le bien-fondé dudéveloppement de procédures connexes àl’arbitrage tendant à en contester l’issuedevant les juridictions étatiques.Dans une perspective de concurrence desdifférentes places de l’arbitrage, la positiondes juridictions françaises qui tend àdévelopper la responsabilité des centresd’arbitrage se situe aux antipodes des solutionsprescrites par la législation britannique(116) et la jurisprudence américaine(117) qui prévoient leur immunité.Voilà qui permet de maintenir laconcurrence entre les différentes places del’arbitrage. Enfin, le régime de la responsabilitécontractuelle des centres d’arbitrage,tel qu’il résulte de la jurisprudencefrançaise, apparaît comme le dernier bastiondu contentieux postérieur à la redditionde la sentence pour la <strong>partie</strong> déçuepar l’issue de la procédure d’arbitrage(jusqu’à la procédure d’exequatur ou durecours en annulation).Et pour reprendre des termes déjà employésen doctrine, il semble que tous lesmaux de l’arbitrage (118) soient du ressortde la responsabilité des centres d’arbitragelorsqu’il a lieu dans un cadre institutionnel.Caroline CATINODiplômée du <strong>Master</strong> professionnel<strong>Arbitrage</strong> & <strong>Commerce</strong> international(Promotion Salomon)LLM <strong>International</strong> Business Law(University College London)(115) Selon P. Stoffel-Munck : « Les arbitres mènent laprocédure, ils en répondent ; en faire répondre lecentre, c’est le pousser à diriger la procédure », notepréc.(116) Section 74 de l’English Arbitration Act de 1996 quiprévoit une immunité absolue des centres d’arbitrageet de leurs employés sous réserve des actes commisde mauvaise foi.(117) Corey v. New York Stock Exchange, 691 F.2d 1205(6th Cir. 1982) ; Austern v. Chicago Bd. OptionsExchange, Inc., 898 F.2d 1205 (2 nd Cir. 1990), cités parL. Kiffer dans « Comments on the Paris Court ofAppeal Decision, in SNF v. <strong>International</strong> Chamber of<strong>Commerce</strong> », Journal of <strong>International</strong> Arbitration 2009.26 (4), p.579-589.(118) T. Clay, « La responsabilité civile du centred’arbitrage », note TGI Paris, 10 oct. 2007, préc.En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N o 227 - 19


C HRONIQUEDROIT DE L’ARBITRAGEIX. ARBITRAGE ET SECRET-DÉFENSECA Paris, 9 juin 2011, n o 10-11853, Thales (affaire des Frégates de Taïwan)Considérant, en premier lieu, qu’il entre dans l’office de l’arbitre —comme de tout juge —, sans qu’il soit pour autant privé de sonpouvoir de trancher le fond du litige, d’apprécier l’admissibilitédes preuves présentées devant lui et d’écarter des débats lespièces qui ne sont pas légalement produites ; que, par suite, il estsans incidence sur la régularité de la sentence que des documentsque Thales prétend couverts par le secret-défense qui ont étéretirés des débats et dont les références et le contenu ont étéoblitérés dans les conclusions de ROCN — soient demeurésplusieurs mois, sans faire l’objet d’une discussion contradictoiresur le fond, à la disposition des arbitres, dès lors que ces derniersn’en ont tiré aucun élément au soutien de leur décision.Considérant qu’en l’espèce le tribunal arbitral mentionne, à chaqueétape de son raisonnement, les moyens articulés par les <strong>partie</strong>sainsi que les pièces sur lesquelles il fonde sa propre appréciation,qu’il n’apparaît pas, et qu’il n’est d’ailleurs pas allégué, que parmices arguments et ces documents figurent des explicationscancellées dans le mémoire de ROCN ou des pièces écartéesdes débats conformément aux prescriptions des jugesd’instruction ; que la première branche n’est pas fondée.Considérant que, contrairement à ce que soutient Thales,il n’apparaît pas qu’en se fondant sur de tels éléments de preuveles arbitres aient méconnu l’ordre public international ou les loisde police françaises ; que la deuxième branche du moyen n’estdonc pas fondée.Considérant que, pour justifier leur décision, les arbitres ontretenu, outre des considérations d’opportunité, la circonstanceque l’indemnisation du préjudice civil résultant de manquementsaux stipulations contractuelles n’était pas de même nature quela confiscation du produit d’un délit pénal dans une perspectivede prévention de l’utilisation des biens d’origine criminelle.Considérant qu’en se déterminant ainsi, les arbitres qui,contrairement à ce que soutient Thales, n’ont pas refusé detrancher une <strong>partie</strong> du litige et n’ont donc pas méconnu leurmission, n’ont violé aucun principe d’ordre public international.MOTS-CLÉSCorruption. Secret-défense. Obstacle probatoire (non). Existence d’informationssimilaires d’origine différente. Recevabilité (oui). Violation du contradictoire(non). Possibilité de démonter l’origine non délictueuse des fonds (oui). Doubleindemnisation. Distinction indemnisation contractuelle et confiscation du produitd’un délit pénal.20 - Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N O 227 En ligne sur Lextenso.fr


C HRONIQUEDROIT DE L’ARBITRAGE........................................................................................................................................................................cret-défense (I) et sur la questionde la double indemnisation invoquéepar la société Thales (II).I La question du secret-défensefut au cœur de l’affaire car la classificationde l’ensemble des documents concernantle contrat Bravo après avoir représentéeun temps un obstacle procédural— balayé par la décision de la cour d’appelde Paris du 11 mai 2010 précitée —,est aujourd’hui considérée comme inopérante.En effet, la société Thales faisait valoirque la production par la ROCN, au débutde l’instance arbitrale, de pièces identiquesaux documents classés secretdéfenseavait nécessairement eu une influencesur le tribunal arbitral. Ces piècesrestées deux années dans le dossier avantd’être retirées à la suite d’une lettre pardeux juges d’instruction du tribunal degrande instance de Paris au tribunal arbitral,avaient donc nécessairement eu,selon la demanderesse, une influence surles arbitres.La cour d’appel rejette cette argumentationen précisant qu’« il était sans incidencesur la régularité de la sentence quedes documents que Thales prétend couvertspar le secret-défense — qui ont étéretirés des débats et dont les références etle contenu ont été oblitérés dans lesconclusions du ROCN — soient demeurésplusieurs mois sans faire l’objet d’unediscussion contradictoire sur le fond, à ladisposition des arbitres, dès lors que cesderniers n’en ont tiré aucun élément ausoutien de leur décision ».L’argumentation qui jouait habilementsur la notion d’impartialité subjectiveréelle mais surtout apparente au sens dela jurisprudence européenne est donc écartée.La cour fonde sa décision sur la descriptiontrès détaillée des éléments surlesquels le tribunal arbitral a appuyé sasentence.Il s’agit, d’une part, d’éléments issus de laprocédure d’entraide judiciaire initiée parla République de Chine auprès des autoritéshelvétiques et tendant notamment àla restitution des fonds liés à cette affaire: communiqués de presse de l’Officefédéral de la justice de la Confédérationhelvétique, ordonnance de clôture renduepar le juge d’instruction dans cette procédure.Il s’agit, d’autre part, des « aveux » et dessilences de la société Thales au regard dela violation de l’article 18-2 du contrattant à l’égard du réseau A que du réseauB : aveux à raison des écritures danslesquelles la société a admis le recours àun certain nombre d’intermédiaires sansjustifier l’information donnée à son contractanten ce sens ; silences sur les sommessupposées destinées aux pactes decorruption quant à leur quantum et leurorigine.Finalement, une procédure de coopérationjudiciaire internationale — souventconsidérée comme longue, complexe voirepeu efficace — et la participation de lasociété Thales à sa propre « incrimination» constituent le fondement d’une décisionde condamnation à réparer lesconséquences contractuelles de la commissiond’un délit de corruption.Confortant sa position, la cour démontrel’absence de violation du secret-défense.Elle rejette l’argumentaire de la sociétéThales tendant à démontrer que l’ensembledes documents utilisés étaient couvertspar celui-ci, arguant notamment de la classification« rétrospective » d’une <strong>partie</strong> desdocuments querellés. La cour démontre eneffet que les dispositions des articles 413-9du Code pénal et R. 2111-1 du Code de ladéfense visent les pièces et les informationsqui en sont extraites et susceptibles d’êtrereproduites sur un autre support. En revanche,elles ne sauraient « s’étendre à desrenseignements dont il est prétendu qu’ilssont identiques à ceux contenus dans desdocuments classifiés mais qui procèdent desources entièrement distinctes, identifiéesde manière précise et certaine ».L’infraction protégeant le secret-défensevise à préserver les intérêts fondamentauxde l’État en fonction de décisions, certes,régaliennes mais nécessairement limitées22 - Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N O 227 En ligne sur Lextenso.fr


........................................................................................................................................................................par le respect de la souverainetédes autres États. Dès lors, les informationsidentiques issues desources différentes, et notammentd’États tiers, constituent des élémentsrecevables exempts de toute atteinte à lavaleur protégée par l’incrimination pénale.In fine, le secret-défense est relatifdans les contrats du commerce internationalsurtout lorsqu’il est aussi mal gardé.II Les moyens fondés sur la violation del’ordre public international et la méconnaissancede leur mission par les arbitresen ce qu’ils auraient permis la double indemnisationde la ROCN en refusant destatuer sur les mesures tendant à prévenircette situation sont également écartés.La société Thales arguait que la Républiquede Chine avait présenté aux autoritéshelvétiques une demande d’entraide judiciairetendant à la restitution des fondsliés à cette affaire — fonds saisis en 2001et 2003 — et que, dès lors, « elle a réclamédes montants identiques dans l’arbitrageet devant les autorités suisses,pour un même préjudice, à savoir le prétendugonflement du prix des frégates ».La cour d’appel se fonde sur les considérationsd’opportunité retenues par les arbitresmais également sur la circonstance« que le préjudice civil résultant de manquementsaux stipulations contractuellesn’était pas de même nature que la confiscationdu produit d’un délit pénal dansune perspective de prévention de l’utilisationdes biens d’origine criminelle »pour rejeter cette argumentation.Elle place cette décision dans la ligne dela jurisprudence arbitrale, comme le rappelleun auteur (127), mais s’inscrit égalementdans les évolutions récentes dudroit pénal français qui inaugure une nouvelleculture de lutte contre le patrimoinecriminel.La loi n o 2010-768 du 9 juillet 2010 visantà faciliter la saisie et la confiscation enmatière pénale renouvelle l’article 131-21du Code pénal qui étend désormais laconfiscation à toutes les infractions puniesd’une peine d’une durée supérieure à unan et notamment à « la chose qui a serviou qui était destinée à commettre l’infraction». C’est évidemment le cas en l’espècedes commissions versées au titre des pactesde corruption réalisés. Ces sanctions pénalessont distinctes des réparations civilesliées à la commission des infractions et afortiori de toute réparation contractuelle.In fine, alors que la procédure arbitraledemeure <strong>partie</strong>llement étrangère au droitpénal (128), un tribunal arbitral sanctionneplus sûrement des faits de corruptionque n’aurait pu le faire un juge pénalarrêté par le secret-défense, le droit du misen cause de ne pas s’auto-incriminer etenfin la présomption d’innocence. Et démontre,s’il le fallait encore, la volonté desarbitres de lutter contre ce fléau du commerceinternational et donc de s’instaurerjuges à part entière du commerce international.Marie-Emma BOURSIERMaître de conférencesDirectrice du <strong>Master</strong> de droit pénalde l’entreprise de l’universitéde Versailles-Saint-QuentinDirectrice de la Fondationde la faculté de droit et de science politique(127) L.-C. Delanoy : « Les arrêts frégates de Taïwanou le nouveau théorème de Thales : si 0 = 0, alors 1 =2 », note sous CA Paris, 11 mai 2010, 1 er juill. 2010 et9 juin 2011, préc.(128) Contra : D. Chilstein : « Droit pénal etarbitrage » : Rev. arb. 2009, 3.En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 15 NOVEMBRE 2011 - N o 227 - 23


CULTUREHISTOIRES DEL’HISTOIREUNE HISTOIRE DE FRANCE SI DIFFÉRENTE DES AUTRESSi la production de livres est constante, il est une évidence de souligner que certainsprésentent plus d’intérêt que d’autres, tandis qu’il est impératif d’en lire quelques-uns.À cette catégorie ap<strong>partie</strong>nt assurément cette Histoire buissonnière de la France que nousoffre, chez Flammarion, l’excellent historien, Graham Robb qui, pour être sujet britannique,n’en connaît pas moins la France comme sa poche, mieux que ses confrères françaisen tous cas.Est-ce parce que celui-ci parcourt l’Hexagone à vélo, depuis des décennies, ou parce queson regard judicieux sait d’instinct trouver les archives les plus inédites ou puiser dansles textes les plus méconnus, qui lui ont déjà inspiré tant d’ouvrages ?• Une histoire buissonnièrede la France,par Graham Robb,Flammarion, 2011.Il y a, en tous cas, dans sa démarche, une incontestable originalité qui, jointe à une vasteculture et un regard toujours pertinent, aboutit à une sorte d’extraordinaire résurrectionde l’entité France, en marge de l’histoire conventionnelle et répétitive qu’on impose tropsouvent.Mais de quoi s’agit-il ? D’une sorte de radiographie de la France de la fin du XVII e siècleau début du XX e , tour à tour guide historique et analyse géographique, sociale et mentalede ses habitants qui, pendant plus longtemps qu’on ne le croit, ne se sont nullementsentis français, parce qu’ils habitaient des territoires isolés, parlaient leur propre langue,entretenaient des usages et des coutumes différentes, et même n’imaginaient pasqu’ailleurs vivaient d’autres communautés.Analysant avec intérêt et parfois humour ces tribus inexplorées occupant des territoiresinconnus, Graham Robb nous raconte comment l’État français — de Louis XIV à la III eRépublique, en passant par la Révolution — a tout essayé pour mieux l’unifier, malgré lesdifficultés engendrées par les contestations populaires, dont la plus symbolique demeurel’assassinat d’un des géographes chargés d’établir la grande carte de Cassini...Le mot province ne vient-il pas du latin « vaincre » ? Il illustre d’une manière très clairecomment l’unification progressive de la France a été une véritable « colonisation » forcéequi, autoritaire, glottophage et absolutiste, a sciemment brisé les particularismes linguistiques,religieux et culturels pour mettre au pas les « indigènes » et unifier le droit, enmême temps qu’une formidable entreprise scientifique qui, de Casini à Delambre travaillantvingt ans durant à la création du mètre étalon, a supprimé l’offense à la philosophiequ’était, jusque-là, la multiplication des poids et mesures.Cerise sur le gâteau, reste le voyage romantique, à l’époque de la diligence, qui a achevé,en inventant le tourisme, cette quête de l’identité France, à laquelle mit fin le chemin defer mettant Paris à moins de deux jours de ses points les plus éloignés.Une magnifique démonstration, servie par une plume impeccable, pour nous permettrede mieux connaître « le cher et vieux pays » et par là même de l’aimer.Jean-Pierre ThomasDIRECTEUR DE LA PUBLICATION, RESPONSABLE DE LA RÉDACTION : BRUNO VERGÉLES PETITES AFFICHES-LA LOIÉDITION QUOTIDIENNE DES JOURNAUX JUDICIAIRES ASSOCIÉS / GROUPEMENT D’INTÉRÊT ÉCOMOMIQUELE QUOTIDIEN JURIDIQUE-ARCHIVES COMMERCIALES DE LA FRANCESIETGE SOCIAL, 2, RUE MONTESQUIEU, 75041 PARIS CEDEX 01 ADMINISTRATEUR UNIQUE : BRUNO VERGÉ. COMMISSION PARITAIRE N° 1211 I 81038 / ISSN 09992170 / Numéro J.J.A. 6410MEMBRES DU G.I.E : LES PETITES AFFICHES, LA LOI, LE QUOTIDIEN JURIDIQUE, LES ARCHIVES COMMERCIALES DE LA FRANCETRAITÉ, PHOTOCOMPOSÉ ET IMPRIMÉ PAR JOUVE, 1, RUE DU DOCTEUR SAUVÉ 53100 MAYENNE

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