Philippe le Chancelier et son oeuvre : étude sur l'élaboration d'une ...

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font concordance avec les collections poétiques du Chancelier 70 . Notons cependant quePhilippe n’entre à la cathédrale en tant que chancelier qu’en 1217, alors que les organasont pratiqués depuis vingt ans. Petrus succentor serait depuis la fin du XII e siècle auservice de l’évêque puis au chapitre de la cathédrale. Il ne reçoit la charge de souschantrequ’aux alentours de 1207 71 . Philippe n’est donc ni le premier chancelier aveclequel il travaille, ni le dernier. Cependant, cela n’empêche pas d’envisager qu’ils sesoient connus avant, à Paris, pendant leurs études ou après.Comment expliquer que Pérotin, pourtant bien moins bien connu dans lessources et les documents, ait à ce point surpassé la figure de son « collègue » dans laréception moderne et l’analyse du répertoire de la cathédrale ? Pour aborder cettequestion, il faut revenir sur l’historiographie de Pérotin pour comprendre comment lesmusicologues en ont fait le premier compositeur de l’Occident.En 1865, Edmond de Coussemaker fait l’édition, entre autres, d’un traitéanonyme qui mentionne l’existence des magistri Léonin et Pérotin 72 . De ces deuxpersonnages, c’est le dernier qui a, dans un premier temps, le plus retenu l’attention desmusicologues comme étant l’auteur des constructions des plus spectaculaires etélaborées de l’époque, les organa tripla et quadrupla. Les nombreux efforts pourtrouver la trace biographique de Pérotin et les résultats concluants auxquels lesmusicologues sont parvenus montrent également un grand désir de faire émerger à notreconnaissance des personnalités que l’on peut nommer. Or la biographie de Pérotin,même si les recherches sont parvenues à certains résultats, est encore marquée parl’incertitude d’une chronologie très imprécise.L’importance et l’influence du travail de Friedrich Ludwig 73 pour laconstruction de nos connaissances et les présupposés de notre science sont désormaisbien connues. Sa conception « évolutionniste » de l’histoire de la musique, héritée de lapensée positiviste, oriente sa manière de considérer la musique médiévale et se70 Les prosules d’organa, mais aussi le conduit monodique Beata viscera, cité parmi les œuvres dePérotin par L’ANONYME IV et copié parmi les textes de la collection du manuscrit de Darmstadt (voirp. 79)71 Cette chronologie de la carrière de Petrus succentor est proposée par Craig WRIGHT (op. cit., p. 294).72 Edmond de COUSSEMAKER, Scriptorum de Musica Medii Aevi, t. 1, Paris, 1865 ; Fritz RECKOW (éd.),Der Musiktraktat des Anonymus 4, Wiedsbaden, 1967. Le traité désigné depuis E. de Coussemakercomme celui de l’anonyme IV, s’inspire de celui de Jean de Garlande. La mention des compositeursLéonin et Pérotin est plus développée dans le traité anonyme, raison pour laquelle il est plus souventcité à ce sujet.73 Friedrich LUDWIG, Repertorium organorum recentioris et motetorum vetustissimi stili, 3 vol., Halle,1910.42

manifeste dans son travail et ses écrits. Pérotin est présenté comme le premier« compositeur » digne de s’inscrire dans la lignée des grands noms de la musiqueoccidentale, dont Palestrina constitue un sommet. Son travail rigoureux de découverte,de description et d’analyse des sources a permis le démarrage des recherches sur lapériode sur des bases solides. C’est la raison pour laquelle son répertoire est toujours sisouvent consulté et cité et son interprétation historique a fortement imprégné lamusicologie médiévale du XX e siècle.Tous les musicologues ne se sont pas encore suffisamment détachés desconceptions léguées par cette musicologie allemande 74 . Anna Maria Busse Berger, enintroduction à son ouvrage sur la musique et la mémoire au Moyen Âge, montrecomment la conception de Friedrich Ludwig s’est construite, en fonction de sonéducation et sa formation, mais aussi de son héritage culturel allemand 75 . John Hainesdéveloppe cette critique et montre comment la situation culturelle et administrative del’université allemande du début du XX e siècle fournit un cadre idéal à Friedrich Ludwigpour l’élaboration de ses théories, ainsi que pour « faire école » 76 . La suprématie decette pensée se trouve renforcée par la faiblesse des administrations concurrentes,notamment celle de l’université française. Les conséquences de cette « hégémonie »allemande en matière de musicologie sont nombreuses et persistantes, et l’importanceaccordée à la figure centrale de Pérotin et aux sources qui transmettent ses compositionsn’en est que l’un des aspects.Quelles sont les conséquences de l’influence de Friedrich Ludwig et sesélèves 77 sur l’appréhension du personnage de Philippe le Chancelier ? Il n’a certes pasété ignoré dans le Repertorium, mais sonle est réduit à celui d’auteur des textes misen musique par d’autres compositeurs de Notre-Dame. Sa contribution poétique n’est,dès lors, plus du domaine de la musicologie. De plus, dans la pensée de FriedrichLudwig la polyphonie apparaît comme un stade plus avancé que la monodie, héritage duHaut Moyen Âge et du chant grégorien. Les compositions du corpus de Philippe le74 Par exemple, l’ouvrage consacré à Pérotin, Perotinus Magnus (éd. Jürg STENZL, Munich, 2000)s’inscrit directement dans cette tradition. Hommage est rendu à Friedrich Ludwig en publiant enintroduction un texte écrit en 1921 pour la revue Archiv für Musikwissenschaft (« Perotinus Magnus »,III (1921), p. 361-370).75 Anna Maria BUSSE BERGER, Medieval Music and the Art of Memory, Berkekey-Los Angeles-Londres,2005. Ces critiques avaient déjà été formulées dans le commentaire de l’ouvrage Perotinus Magnus (éd.Jürg STENZL, op. cit.) dans la revue Plainsong and Medieval Music, XI (2002), p. 44-54.76 John HAINES, « Friedrich Ludwig’s ’Musicology of the Future’ : a Commentary and Translation »,Plainsong and Medieval Music, XII/2 (2003), p. 129-164.77 Friedrich GENNRICH, auteur de nombreux travaux sur la monodie, figure parmi ses élèves.43

font concordance avec <strong>le</strong>s col<strong>le</strong>ctions poétiques du <strong>Chancelier</strong> 70 . Notons cependant que<strong>Philippe</strong> n’entre à la cathédra<strong>le</strong> en tant que chancelier qu’en 1217, alors que <strong>le</strong>s organa<strong>son</strong>t pratiqués depuis vingt ans. P<strong>et</strong>rus succentor serait depuis la fin du XII e sièc<strong>le</strong> auservice de l’évêque puis au chapitre de la cathédra<strong>le</strong>. Il ne reçoit la charge de souschantrequ’aux a<strong>le</strong>ntours de 1207 71 . <strong>Philippe</strong> n’est donc ni <strong>le</strong> premier chancelier avec<strong>le</strong>quel il travail<strong>le</strong>, ni <strong>le</strong> dernier. Cependant, cela n’empêche pas d’envisager qu’ils sesoient connus avant, à Paris, pendant <strong>le</strong>urs études ou après.Comment expliquer que Pérotin, pourtant bien moins bien connu dans <strong>le</strong>ssources <strong>et</strong> <strong>le</strong>s documents, ait à ce point <strong>sur</strong>passé la figure de <strong>son</strong> « collègue » dans laréception moderne <strong>et</strong> l’analyse du répertoire de la cathédra<strong>le</strong> ? Pour aborder c<strong>et</strong>tequestion, il faut revenir <strong>sur</strong> l’historiographie de Pérotin pour comprendre comment <strong>le</strong>smusicologues en ont fait <strong>le</strong> premier compositeur de l’Occident.En 1865, Edmond de Coussemaker fait l’édition, entre autres, d’un traitéanonyme qui mentionne l’existence des magistri Léonin <strong>et</strong> Pérotin 72 . De ces deuxper<strong>son</strong>nages, c’est <strong>le</strong> dernier qui a, dans un premier temps, <strong>le</strong> plus r<strong>et</strong>enu l’attention desmusicologues comme étant l’auteur des constructions des plus spectaculaires <strong>et</strong>élaborées de l’époque, <strong>le</strong>s organa tripla <strong>et</strong> quadrupla. Les nombreux efforts pourtrouver la trace biographique de Pérotin <strong>et</strong> <strong>le</strong>s résultats concluants auxquels <strong>le</strong>smusicologues <strong>son</strong>t parvenus montrent éga<strong>le</strong>ment un grand désir de faire émerger à notreconnaissance des per<strong>son</strong>nalités que l’on peut nommer. Or la biographie de Pérotin,même si <strong>le</strong>s recherches <strong>son</strong>t parvenues à certains résultats, est encore marquée parl’incertitude d’une chronologie très imprécise.L’importance <strong>et</strong> l’influence du travail de Friedrich Ludwig 73 pour laconstruction de nos connaissances <strong>et</strong> <strong>le</strong>s présupposés de notre science <strong>son</strong>t désormaisbien connues. Sa conception « évolutionniste » de l’histoire de la musique, héritée de lapensée positiviste, oriente sa manière de considérer la musique médiéva<strong>le</strong> <strong>et</strong> se70 Les prosu<strong>le</strong>s d’organa, mais aussi <strong>le</strong> conduit monodique Beata viscera, cité parmi <strong>le</strong>s œuvres dePérotin par L’ANONYME IV <strong>et</strong> copié parmi <strong>le</strong>s textes de la col<strong>le</strong>ction du manuscrit de Darmstadt (voirp. 79)71 C<strong>et</strong>te chronologie de la carrière de P<strong>et</strong>rus succentor est proposée par Craig WRIGHT (op. cit., p. 294).72 Edmond de COUSSEMAKER, Scriptorum de Musica Medii Aevi, t. 1, Paris, 1865 ; Fritz RECKOW (éd.),Der Musiktraktat des Anonymus 4, Wiedsbaden, 1967. Le traité désigné depuis E. de Coussemakercomme celui de l’anonyme IV, s’inspire de celui de Jean de Garlande. La mention des compositeursLéonin <strong>et</strong> Pérotin est plus développée dans <strong>le</strong> traité anonyme, rai<strong>son</strong> pour laquel<strong>le</strong> il est plus souventcité à ce suj<strong>et</strong>.73 Friedrich LUDWIG, Repertorium organorum recentioris <strong>et</strong> mot<strong>et</strong>orum v<strong>et</strong>ustissimi stili, 3 vol., Hal<strong>le</strong>,1910.42

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