Philippe le Chancelier et son oeuvre : étude sur l'élaboration d'une ...

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10.07.2015 Views

de la citation des proverbes et maximes en langue vernaculaire. Il est donc ouvert àl’utilisation d’une matière très diverse, pourvue qu’elle « parle » à l’auditeur.Le contenu d’un conduit n’est pas équivalent à celui d’un sermon. Le conduitne peut donc être compris comme un sermon miniature, une formulation courte etsynthétique d’un même contenu. La profondeur et la virtuosité argumentative dessermons sont absentes des conduits et les deux discours ne se valent pas. Ce n’est quesur le plan des savoir-faire et de certains modus operandi qu’existent des points depassage entre l’un et l’autre. Il faut donc comprendre les conduits moraux comme unepratique en marge des sermons, comme une exhortation musicale qui trouve sa placedans les mêmes circonstances. On peut imaginer qu’un conduit soit chanté avant lesermon, en matière d’introduction, ou après. Le conduit distrait l’auditoire, commenceou continue de le convaincre. Il lui donne matière à réflexion, à méditation. Peut-êtrefonctionne-t-il dans le même rapport de dialogue que l’enluminure avec le texte dans unmanuscrit : dans un premier temps, elle est un plaisir pour l’œil et elle illustre le texte.Dans un deuxième temps, elle a une fonction rhétorique beaucoup plus profonde,explicative, exégétique et aussi mnémonique. Elle explique par la métaphore et par leraccourci ce que le texte peut développer. Certaines citations bibliques peuvent faire lelien entre le poème et le sermon et permettre à l’auditoire de poursuivre sa réflexionintime, sa « rumination » sur le texte biblique. Les différents groupes de conduitspeuvent ainsi correspondre à différentes expériences de la prédication. Les conduits dugroupe 1 sont répétitifs et mémorisables et s’intègrent bien à un sermon qui souhaitefaire réfléchir et réagir un auditoire sur ses fautes. Le groupe 2 participe d’une approcheplus méditative et plus intellectuelle. L’effort demandé à l’Homme pour accéder auSalut est ardu et exigeant. Les conduits cléricaux du groupe 3 agissent comme un signald’alarme à l’égard de ceux qui s’écartent de leur mission sacerdotale. Ce thème est parailleurs amplement développé dans la prédication de Philippe le Chancelier. À cesmêmes clercs, le groupe 4 offre une matière d’une très grande subtilité à l’intention desplus sensibles aux charmes des mots et des sons. Ces conduits de différents niveaux sontdonc un dispositif sonore subtil et éloquent que le prédicateur a façonné pour complétersa pratique, améliorer la diffusion du message moral et agir efficacement àl’encadrement spirituel de toute la société chrétienne.416

ConclusionQuomodo cantabimus canticum domino in terra aliena dit le psalmiste. Cetteinterrogation résonne fortement 136 : comment chanter dans l’adversité ? Quel chantproduire pour résister et se défendre contre les assauts du Mal ? Comme la Parole peutêtre une arme, l’étude du corpus des conduits monodiques moralisateurs de Philippe leChancelier nous a permis de constater que des textes chantés avaient pu être conçus etutilisés pour combattre les vices et convaincre les Hommes de choisir une voievertueuse. La présence de mélodies sur ces textes forts, faisant partie intégrante duprojet, montre à quel point le fait sonore est un enjeu de taille. L’histoire sonore duMoyen Âge est un sujet encore peu abordé, tant les sources qui en sont le reflet sontdélicates à interpréter. Qu’entendaient les gens du Moyen Âge et dans quel mondesonore beignaient-ils ? Leurs capacités en matière de perception auditive étaient-ellesdifférentes des nôtres ? Dans une société à prédominance orale, ces questions se posentde manière d’autant plus frappante que le sonore est généralement le premier moded’accès à l’information. Dans cette perspective, les compositions musicales peuvent136 Ce verset du psaume 136 est utilisé à deux reprises par Philippe le Chancelier : dans le sermon desDistinctiones super Psalterium proposé en annexes, et comme incipit d’un conduit monodiqueexhortant à la Croisade (F, f°425v-426, W1, f°168, Fauvel, f°32, Da, f°4).417

ConclusionQuomodo cantabimus canticum domino in terra aliena dit <strong>le</strong> psalmiste. C<strong>et</strong>teinterrogation ré<strong>son</strong>ne fortement 136 : comment chanter dans l’adversité ? Quel chantproduire pour résister <strong>et</strong> se défendre contre <strong>le</strong>s assauts du Mal ? Comme la Paro<strong>le</strong> peutêtre une arme, l’étude du corpus des conduits monodiques moralisateurs de <strong>Philippe</strong> <strong>le</strong><strong>Chancelier</strong> nous a permis de constater que des textes chantés avaient pu être conçus <strong>et</strong>utilisés pour combattre <strong>le</strong>s vices <strong>et</strong> convaincre <strong>le</strong>s Hommes de choisir une voievertueuse. La présence de mélodies <strong>sur</strong> ces textes forts, faisant partie intégrante duproj<strong>et</strong>, montre à quel point <strong>le</strong> fait <strong>son</strong>ore est un enjeu de tail<strong>le</strong>. L’histoire <strong>son</strong>ore duMoyen Âge est un suj<strong>et</strong> encore peu abordé, tant <strong>le</strong>s sources qui en <strong>son</strong>t <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t <strong>son</strong>tdélicates à interpréter. Qu’entendaient <strong>le</strong>s gens du Moyen Âge <strong>et</strong> dans quel monde<strong>son</strong>ore beignaient-ils ? Leurs capacités en matière de perception auditive étaient-el<strong>le</strong>sdifférentes des nôtres ? Dans une société à prédominance ora<strong>le</strong>, ces questions se posentde manière d’autant plus frappante que <strong>le</strong> <strong>son</strong>ore est généra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> premier moded’accès à l’information. Dans c<strong>et</strong>te perspective, <strong>le</strong>s compositions musica<strong>le</strong>s peuvent136 Ce vers<strong>et</strong> du psaume 136 est utilisé à deux reprises par <strong>Philippe</strong> <strong>le</strong> <strong>Chancelier</strong> : dans <strong>le</strong> sermon desDistinctiones super Psalterium proposé en annexes, <strong>et</strong> comme incipit d’un conduit monodiqueexhortant à la Croisade (F, f°425v-426, W1, f°168, Fauvel, f°32, Da, f°4).417

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