Philippe le Chancelier et son oeuvre : étude sur l'élaboration d'une ...
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ce qui est une manière de faire de ce très long conduit un ensemble clos qui terminecomme il a commencé :Strophe 1 Strophe 36Veritas equitaslargitas corruit.falsitas pravitasparcitas viguit.urbanitas evanuit.Dic ergo veritasubi nunc habitas.equitas largitasubi nunc latitasquid profuit que prefuitmalignitas.La mélodie qui soutient ces deux strophes achève de les mettre en correspondance, carelle est parfaitement identique. Le vers ajouté (malignitas) est porté par une formulemélodique très conclusive 64 . Cette dernière est légèrement plus mélismatique que lereste du conduit, ce qui est encore une manière de signaler la fonction conclusive de cedernier vers.D’autres conduits utilisent des moyens moins marqués que celui-là,probablement parce que leurs structures sont plus courtes et moins exigeantes pour lamémoire et la concentration de l’assistance. On constate en effet que les procédés declarification sont placés en début de composition ou en début de strophe. La structured’ensemble des trois strophes de O labilis sortis (n°9) est très représentative de ceteffort d’organisation globale. Les quatrains de deux phrases mélodiques alternées(ABAB) sont placés au début des strophes 1 et 2 ainsi que dans la seconde moitié de lastrophe 3, de manière à achever le conduit sur une structure claire dont le schémarappelle la construction de l’introduction. Dans le même ordre d’idée, le conduit Quidultra tibi facere (n°4) commence par une strophe dont la musique répète ses deuxpremières phrases selon une structure croisée (ABAB) qui s’accorde parfaitement à laforme du texte. Les strophes qui suivent sont moins efficaces et ne correspondent pas aumoule de la répétition mélodique. En revanche, la dernière des six présente de nouveauun texte qui s’emboîte parfaitement sur la structure mélodique, grâce à l’utilisationcroisée des pronoms personnels. La disposition de part et d’autre du conduit des deuxstrophes les plus structurellement cohérentes n’est certainement pas le fruit du hasard. Ilfaut y voir la réalisation d’une stratégie qui consiste à encadrer le temps de l’auditionpar des effets semblables qui exaltent l’unité de la composition.Les conduits moraux ne sont pas égaux dans les stratégies qu’ils mettent enœuvre. La répétition semble s’imposer naturellement comme un principe structurant64 Voir analyse de ce passage p. 290.370
quel que soit le niveau auquel elle s’applique : les strophes simples, doubles ou triples,les phrases, les motifs. Elle est un moyen de quadriller l’espace sonore à différenteséchelles, selon une hiérarchie claire. Il arrive que ces différents niveaux de la trame secombinent : O mens cogita (n°16) se compose de doubles strophes qui sont elles-mêmesrépétitives. À l’inverse, il est possible que le procédé répétitif structurant soit presquetotalement laissé de côté. Dans Bonum est confidere (n°12), les trois strophesmélodiques sont différentes. Seul le premier quatrain est répétitif (phrases ABAB),tandis que le reste du conduit se compose d’une mélodie continue. Faudrait-il considérerce conduit comme moins efficace que ceux dont la trame est très serrée ? Il n’est paspour autant désorganisé. Chacune de ses strophes est clairement délimitée au moyen decaudae, et il se construit comme une progression d’un point à un autre. L’intentionrhétorique est différente mais bien présente. Elle valorise la diversité et la nouveauté.Les traités de rhétorique mettent en garde contre la lassitude de la répétition et incitentles orateurs à sans cesse se renouveler, de manière à surprendre l’auditeur. Les conduitspeuvent donc aussi être construits sur ce principe, comme un aller-retour constant entredeux démarches rhétoriques opposées : l’unité et la diversité, deux facettes del’appréhension de la composition conçue comme un tout 65 . À ce titre, le conduit Olabilis sortis (n°9) est une synthèse intéressante : ses strophes sont toutes troismélodiquement différentes mais elles sont séparées par un refrain invariant.Souhaitant faire œuvre moralisatrice, le compositeur a tout intérêt à capturerl’attention de son auditoire, mais aussi à la conserver. La disposition des sons musicauxdoit être claire, fournir des repères, mais aussi donner l’impression d’avancer sans failled’un point à un autre. La progression et la direction des événements sonores donnentsens à l’audition. Le compositeur conçoit donc son œuvre en terme de dynamique.Comme l’explique F. Reckow, un conduit est la mise en œuvre d’un processus, uneprogression dynamique dans le temps de l’audition qui se conforme aux techniquesreconnues de la rhétorique 66 . La mélodie, et en particulier celle des conduits, se65 Fritz RECKOW, « Processus und Structura. Über Gattungstradition und Formverständnis im Mittelalter »,Musiktheorie, I/1 (1986), p. 5-29 : « Die Betonung von diversitas ist aber nicht nur mit des Ausrichtungauf den Hörer, sondern auch mit spezifischen gestallerischen Implikationen eines dynamischenFormkonzepts zu erklären », p. 9 ; traduction : « L’accentuation de la diversitas ne s’explique passeulement par l’orientation de l’auditeur, mais aussi par les implications créatrices spécifiques d’unepensée de la forme dynamique. »66 Fritz RECKOW, op. cit.371
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ce qui est une manière de faire de ce très long conduit un ensemb<strong>le</strong> clos qui terminecomme il a commencé :Strophe 1 Strophe 36Veritas equitaslargitas corruit.falsitas pravitasparcitas viguit.urbanitas evanuit.Dic ergo veritasubi nunc habitas.equitas largitasubi nunc latitasquid profuit que prefuitmalignitas.La mélodie qui soutient ces deux strophes achève de <strong>le</strong>s m<strong>et</strong>tre en correspondance, carel<strong>le</strong> est parfaitement identique. Le vers ajouté (malignitas) est porté par une formu<strong>le</strong>mélodique très conclusive 64 . C<strong>et</strong>te dernière est légèrement plus mélismatique que <strong>le</strong>reste du conduit, ce qui est encore une manière de signa<strong>le</strong>r la fonction conclusive de cedernier vers.D’autres conduits utilisent des moyens moins marqués que celui-là,probab<strong>le</strong>ment parce que <strong>le</strong>urs structures <strong>son</strong>t plus courtes <strong>et</strong> moins exigeantes pour lamémoire <strong>et</strong> la concentration de l’assistance. On constate en eff<strong>et</strong> que <strong>le</strong>s procédés declarification <strong>son</strong>t placés en début de composition ou en début de strophe. La structured’ensemb<strong>le</strong> des trois strophes de O labilis sortis (n°9) est très représentative de c<strong>et</strong>effort d’organisation globa<strong>le</strong>. Les quatrains de deux phrases mélodiques alternées(ABAB) <strong>son</strong>t placés au début des strophes 1 <strong>et</strong> 2 ainsi que dans la seconde moitié de lastrophe 3, de manière à achever <strong>le</strong> conduit <strong>sur</strong> une structure claire dont <strong>le</strong> schémarappel<strong>le</strong> la construction de l’introduction. Dans <strong>le</strong> même ordre d’idée, <strong>le</strong> conduit Quidultra tibi facere (n°4) commence par une strophe dont la musique répète ses deuxpremières phrases selon une structure croisée (ABAB) qui s’accorde parfaitement à laforme du texte. Les strophes qui suivent <strong>son</strong>t moins efficaces <strong>et</strong> ne correspondent pas aumou<strong>le</strong> de la répétition mélodique. En revanche, la dernière des six présente de nouveauun texte qui s’emboîte parfaitement <strong>sur</strong> la structure mélodique, grâce à l’utilisationcroisée des pronoms per<strong>son</strong>nels. La disposition de part <strong>et</strong> d’autre du conduit des deuxstrophes <strong>le</strong>s plus structurel<strong>le</strong>ment cohérentes n’est certainement pas <strong>le</strong> fruit du hasard. Ilfaut y voir la réalisation d’une stratégie qui consiste à encadrer <strong>le</strong> temps de l’auditionpar des eff<strong>et</strong>s semblab<strong>le</strong>s qui exaltent l’unité de la composition.Les conduits moraux ne <strong>son</strong>t pas égaux dans <strong>le</strong>s stratégies qu’ils m<strong>et</strong>tent enœuvre. La répétition semb<strong>le</strong> s’imposer naturel<strong>le</strong>ment comme un principe structurant64 Voir analyse de ce passage p. 290.370