Philippe le Chancelier et son oeuvre : étude sur l'élaboration d'une ...

Philippe le Chancelier et son oeuvre : étude sur l'élaboration d'une ... Philippe le Chancelier et son oeuvre : étude sur l'élaboration d'une ...

theses.edel.univ.poitiers.fr
from theses.edel.univ.poitiers.fr More from this publisher
10.07.2015 Views

conduit, il ne s’agit pas d’une opposition systématique des uns et des autres, sous formede développement comme dans les traités ou de dialogue comme dans les débats. Ici, lesvertus sont bafouées et les vices vainqueurs. Si, dans les premières strophes, les termesévoquant les vertus sont en proportion égale aux vices, ce sont ces derniers qui règnentavec exclusivité dès la fin de la strophe II. Le constat est sans appel, si bien que laquestion n’est pas de savoir si les vertus du clergé sont suffisantes pour combattre lesvices, mais de mesurer l’ampleur du manque et l’emprise des vices. Cette dénonciationest récurrente dans les écrits de Philippe le Chancelier, dans ses autres conduits 117comme dans certains des sermons. Elle prend cependant, dans Veritas equitas un poidsrarement égalé, de par la force oratoire de l’accusation portée.Le début du conduit fait la liste des vertus outragées et des vices victorieux.L’incipit cite un passage d’Isaïe : et conversum est retrorsum iudicium et iustitia longestetit corruit in platea veritas et aequitas non potuit ingredi (Is. 59, 14). L’énumérationdes vertus bafouées est déjà dans le texte de référence. Jusqu’à la strophe V, le discoursreste relativement vague ; seuls les vices sont détaillés et non les Hommes propagateursde ces maux. Par la suite, le poète entre dans les détails et évoque des situations plusconcrètes. La désignation des prélats intervient à la strophe VI (Iam prelati). Les prélatssont comparés aux grands traîtres des Évangiles que sont Judas, Pilate et Caïphe.Philippe le Chancelier évoque ensuite l’ingratitude des prêtres qui, une fois leurscharges acquises, ne reconnaissent pas ce qu’ils doivent aux maîtres qui les ont formés.Les doctores, les litterati, les gens honnêtes (probitati) et expérimentés (etati) sont lespremières victimes de l’ambition des jeunes arrivistes. On peut penser que Philippe, entant que maître à l’Université de Paris, a lui-même souffert de l’ingratitude morale etfinancière de ses étudiants après la fin de leur formation. Il formule la même plaintedans un de ses sermons 118 . Il se montre très sévère à l’égard de ces jeunes clercs qui neméritent pas la position qu’ils gagnent par d’autres moyens que leurs compétences (vimitrati / vi plantati / meritis minores).117 Voir les analyses de Ve mundo a scandalis (n° 7, p. 183), Fontis in rivulum (n°2, p. 133), Quid ultratibi facere (n°4, p. 161). Il existe aussi un unicum dans LoB qui est une bataille des vices et des vertus :Vitia virtutibus (f°37v). Un article est consacré à l’interprétation théologique de ce dernier : Charles E.BREWER, « Vitia et Lamie : Some Notes on Philip the Chancellor’s Vitia Virtutibus », HortusTroporum. Florilegium in Honorem Gunillae Iversen, éd. Alexander ANDREE et Erika KIHLMAN,Stockholm, 2008, p. 229-243.118 Voir la citation d’après Johannes Baptiste SCHNEYER (Die Sittenkritik in den Predigten Philipps desKanzlers, Münster, 1962), p. 383.292

L’état de déliquescence de l’Église met à mal le pouvoir royal qui ne trouvepas de protecteur pour défendre son honneur parmi ce clergé débauché. La strophe XIsemble faire allusion à la situation politique contemporaine. Le jeune roi (regis iunioris)peut figurer Louis IX pendant la Régence, après 1226. Insoluble, le mal prend sa sourceà la Curie (strophe XIV), dirigée par des ignorants incompétents. Toute la hiérarchie del’Église est donc responsable. Des jeunes promus aux plus hauts dignitaires, Philippe leChancelier n’épargne personne.La dernière strophe est une invocation et la première intervention du discoursdirect. Le poète en appelle aux valeurs qu’il avait évoquées au début du conduit : laVérité, la Justice et la Générosité. Le début de cette strophe cite un autre de sesconduits :Dic Christi veritasdic cara raritasdic rara caritasubi nunc habitas 119Ce conduit à trois voix est l’une des œuvres polyphoniques les plus diffusées dePhilippe le Chancelier dans les manuscrits. Le poète y fait le procès de ceux quibafouent la Charité et le Christ en se montrant irrespectueux de la mission qui leur estconfiée. C’est encore le clergé qui se trouve mis en accusation, de manière plusindirecte et métaphorique mais tout aussi efficace que dans Veritas equitas. La teneur dela cauda conclusive de Dic Christi veritas sert également de mélodie pour une prosulede conduit particulièrement virulente à l’égard de la Curie romaine, Bulla fulminante 120 .Philippe le Chancelier fait donc référence à ses propres compositions et fait preuve decohérence et de constance dans le contenu de son discours et les objectifs de sadémarche poétique. Il montre également comment il peut faire usage de modes decompositions poético-musicales sensiblement différents (conduits, polyphonie, prosule)pour parvenir au même objectif : la dénonciation politique et morale du milieu cléricalqui l’entoure. Chaque fois, il élabore une œuvre qui trouve, dans les ressources propresde son langage, des éléments et outils originaux, adaptés à l’expression et lacommunication de son projet.119 Dic Christi veritas, F, f°203-204v. Pour l’attribution de ce conduit à Philippe, voir NorbertFICKERMANN, « Philipp de Grève, der Dichter des Dic Christi veritas », Neophilologus, XIII (1927-1928), p. 71.120 Bulla fulminante, LoB, f°38v ou F, f°204 (le texte est reporté à la fin du conduit Dic Christi veritas).293

L’état de déliquescence de l’Église m<strong>et</strong> à mal <strong>le</strong> pouvoir royal qui ne trouvepas de protecteur pour défendre <strong>son</strong> honneur parmi ce c<strong>le</strong>rgé débauché. La strophe XIsemb<strong>le</strong> faire allusion à la situation politique contemporaine. Le jeune roi (regis iunioris)peut figurer Louis IX pendant la Régence, après 1226. Insolub<strong>le</strong>, <strong>le</strong> mal prend sa sourceà la Curie (strophe XIV), dirigée par des ignorants incompétents. Toute la hiérarchie del’Église est donc responsab<strong>le</strong>. Des jeunes promus aux plus hauts dignitaires, <strong>Philippe</strong> <strong>le</strong><strong>Chancelier</strong> n’épargne per<strong>son</strong>ne.La dernière strophe est une invocation <strong>et</strong> la première intervention du discoursdirect. Le poète en appel<strong>le</strong> aux va<strong>le</strong>urs qu’il avait évoquées au début du conduit : laVérité, la Justice <strong>et</strong> la Générosité. Le début de c<strong>et</strong>te strophe cite un autre de sesconduits :Dic Christi veritasdic cara raritasdic rara caritasubi nunc habitas 119Ce conduit à trois voix est l’une des œuvres polyphoniques <strong>le</strong>s plus diffusées de<strong>Philippe</strong> <strong>le</strong> <strong>Chancelier</strong> dans <strong>le</strong>s manuscrits. Le poète y fait <strong>le</strong> procès de ceux quibafouent la Charité <strong>et</strong> <strong>le</strong> Christ en se montrant irrespectueux de la mission qui <strong>le</strong>ur estconfiée. C’est encore <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé qui se trouve mis en accusation, de manière plusindirecte <strong>et</strong> métaphorique mais tout aussi efficace que dans Veritas equitas. La teneur dela cauda conclusive de Dic Christi veritas sert éga<strong>le</strong>ment de mélodie pour une prosu<strong>le</strong>de conduit particulièrement viru<strong>le</strong>nte à l’égard de la Curie romaine, Bulla fulminante 120 .<strong>Philippe</strong> <strong>le</strong> <strong>Chancelier</strong> fait donc référence à ses propres compositions <strong>et</strong> fait preuve decohérence <strong>et</strong> de constance dans <strong>le</strong> contenu de <strong>son</strong> discours <strong>et</strong> <strong>le</strong>s objectifs de sadémarche poétique. Il montre éga<strong>le</strong>ment comment il peut faire usage de modes decompositions poético-musica<strong>le</strong>s sensib<strong>le</strong>ment différents (conduits, polyphonie, prosu<strong>le</strong>)pour parvenir au même objectif : la dénonciation politique <strong>et</strong> mora<strong>le</strong> du milieu cléricalqui l’entoure. Chaque fois, il élabore une œuvre qui trouve, dans <strong>le</strong>s ressources propresde <strong>son</strong> langage, des éléments <strong>et</strong> outils originaux, adaptés à l’expression <strong>et</strong> lacommunication de <strong>son</strong> proj<strong>et</strong>.119 Dic Christi veritas, F, f°203-204v. Pour l’attribution de ce conduit à <strong>Philippe</strong>, voir NorbertFICKERMANN, « Philipp de Grève, der Dichter des Dic Christi veritas », Neophilologus, XIII (1927-1928), p. 71.120 Bulla fulminante, LoB, f°38v ou F, f°204 (<strong>le</strong> texte est reporté à la fin du conduit Dic Christi veritas).293

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!