Philippe le Chancelier et son oeuvre : étude sur l'élaboration d'une ...

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les historiens 10 . Cette expression prend toute sa mesure lorsque l’on considère l’ampleurdu phénomène scolaire et la profondeur des mutations suscitées par l’installation et ledéveloppement rapide des écoles urbaines 11 . L’organisation de l’enseignement prenddéjà la forme qui sera celle de la Faculté des arts. Les écoles parisiennes du XII e voientaffluer nombre de théologiens.Dans les dernières décennies du siècle, parmi les maîtres, naît un courant ouune école de pensée dont l’influence va marquer les esprits et les pratiques cléricales desépoques suivantes. Les effets de la pensée de ces réformateurs concernentprincipalement la manière d’envisager la mission et les devoirs du sacerdoce des clercs.La prédication est en première ligne pour agir dans la société et sur les fidèles. Elle doitouvrir la voie du Salut en utilisant les outils et les arguments façonnés par les maîtres. Ils’agit en réalité plus d’une réévaluation des méthodes et des objectifs de la théologie etde l’exégèse enseignées dans les écoles, que la remise en question de leurs fondementsmêmes. Pierre le Chantre est souvent désigné, à juste titre, comme le chef de file de cemouvement, que les historiens ont coutume de nommer « école biblique-morale » 12 . Sonenseignement et ses écrits nous renseignent sur l’influence et lele initiateur qu’il ajoué sur ce « cercle » théologique, bien qu’aucun sermon de son fait ne nous soitparvenu. Il considère que la théologie et l’explication du sens caché des Écritures nedoivent pas être tournées vers la seule contemplation et la spéculation, mais au contrairetrouver leur application dans le siècle. Le théologien doit mettre sa science au service dela morale et son outil ultime réside dans la prédication. Dans son Verbum abbreviatum ilexplique l’usage qui doit être fait de la sacra pagina 13 . La célèbre distinction entre lestrois étapes que sont la lectio, la disputatio et la praedicatio définit l’ampleur et les10 Gérard PARÉ, Adrien BRUNET et Pierre TREMBLAY, La Renaissance du XIIe siècle ; les écoles etl'enseignement, Paris, 1933 ; Charles HASKINS, The Renaissance of the Twelfth Century, Cambridge,1933 ; Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, éd. Robert L. BENSON, Giles CONSTABLE etCarol D. LANHAM, Cambridge, 1982 ; Jacques VERGER, La Renaissance du XIIe siècle, Paris, 1996.11 Pierre RICHE et Jacques VERGER, Des nains sur des épaules de géants. Maîtres et élèves au Moyen Âge,Paris, 2006, p. 83-145.12 Terme en usage depuis l’ouvrage de Martin GRABMANN, Die Geschichte der scholastischen Methode,t. II, Freiburg, 1911, p. 467-501. Jean CHÂTILLON donne une synthèse parfaitement claire du sujet dans« Le mouvement théologique dans la France de Philippe Auguste », La France de Philippe Auguste, letemps des mutations. Actes du colloque international organisé par le CNRS (Paris, 29 septembre-4octobre 1980), éd. Robert-Henri BAUTIER, Paris, 1982, p. 881-902. L’ouvrage de référence sur Pierrele Chantre reste toujours John BALDWIN, Masters, Princes and Merchants. The Social Views of Peterthe Chanter and his Circle, 2 vol., Princeton, 1970.13 Petri Cantoris Parisiensis Verbum adbreviatum : textus conflatus, éd. Monique BOUTRY, CCCM 196,Turnhout, 2004. I, 1 : « In tribus autem constitit exercitium sacre Scripture : in lectione, disputationeet praedicatione ». Traduction : « L’exercice des Saintes Écritures se partage en trois : la lecture, ladispute et la prédication. »18

objectifs des études bibliques. La lecture permet dans un premier temps de méditer et decommenter le texte. La dispute met en évidence et résout ses éventuelles contradictionsou obscurités. La prédication achève la démarche en mettant à profit les étapesantérieures. Elle est le but vers lequel doivent tendre les efforts du théologien, degréultime de la science. Mais cet exercice de la parole n’est pas le seul moyen à dispositiondu clergé pour véhiculer l’enseignement moral révélé par le texte sacré. Le prédicateurdoit avant tout montrer l’exemple par ses actes, tout comme le Christ l’a fait. Laprédication idéale emprunte un langage simple, accessible et utile au plus large auditoire.Le contenu doit avant tout expliquer aux fidèles comment discerner les vertus et seprotéger des vices. Tous les membres du clergé ont pour devoir de s’impliquer danscette transformation morale de la société. Dispenser les sacrements, conseiller et prêchersont les tâches des curés. C’est pourquoi Pierre le Chantre agit pour la formation desétudiants parisiens qui diffuseront l’enseignement du maître dans leurs futures chargeset les paroisses éloignées. La situation intellectuelle du clergé paroissial, généralementpeu éduqué et ignorant des discussions théologiques qui agitent les centres urbains, esten effet loin de convenir aux idéaux édictés par Pierre le Chantre. Le parcours deFoulques de Neuilly correspond parfaitement au modèle de transmission encadré par lesécoles 14 . Élève zélé de Pierre le Chantre, il a ensuite su, par ses capacités oratoires horsdu commun, être un prédicateur particulièrement efficace auprès de ses paroissiens.Pierre le Chantre n’est ni le seul à prêcher pour la moralisation de la théologie,ni le premier à le faire. À sa manière, il poursuit les idéaux de la réforme dite« grégorienne », mouvement de réflexion interne à l’Église qui, dès le XI e siècle, voyaitdans le mauvais exemple des clercs les raisons de l’immoralité des fidèles. La simonieet le nicolaïsme sont les péchés sur lesquels se concentrent les critiques formulées àl’égard des ecclésiastiques. Cependant, l’influence de Pierre le Chantre sur son milieu etla diffusion de son enseignement par l’intermédiaire de ses illustres étudiants (ÉtienneLangton, Foulques de Neuilly ou encore Robert de Sorbon) permettent une évolutionprofonde et relativement rapide des mentalités. Certains théologiens s’appliquent àrelire la Bible pour se la réapproprier, dans son contenu comme dans sa forme. C’est aumême moment qu’Étienne Langton donne aux livres bibliques une capitulation proche14 Franco MORENZONI, Des écoles aux paroisses. Thomas de Chobham et la promotion de la prédicationau début du XIII è siècle, Paris, 1995, p. 62-64 ; Alberto FORNI, « la ‘Nouvelle prédication’ desdisciples de Foulques de Neuilly : intentions, techniques et réactions », Faire croire. Modalité de ladiffusion et de la réception des messages religieux du XII e et XV e siècle, Rome, 1981, p. 19-37.19

<strong>le</strong>s historiens 10 . C<strong>et</strong>te expression prend toute sa me<strong>sur</strong>e lorsque l’on considère l’amp<strong>le</strong>urdu phénomène scolaire <strong>et</strong> la profondeur des mutations suscitées par l’installation <strong>et</strong> <strong>le</strong>développement rapide des éco<strong>le</strong>s urbaines 11 . L’organisation de l’enseignement prenddéjà la forme qui sera cel<strong>le</strong> de la Faculté des arts. Les éco<strong>le</strong>s parisiennes du XII e voientaffluer nombre de théologiens.Dans <strong>le</strong>s dernières décennies du sièc<strong>le</strong>, parmi <strong>le</strong>s maîtres, naît un courant ouune éco<strong>le</strong> de pensée dont l’influence va marquer <strong>le</strong>s esprits <strong>et</strong> <strong>le</strong>s pratiques clérica<strong>le</strong>s desépoques suivantes. Les eff<strong>et</strong>s de la pensée de ces réformateurs concernentprincipa<strong>le</strong>ment la manière d’envisager la mission <strong>et</strong> <strong>le</strong>s devoirs du sacerdoce des c<strong>le</strong>rcs.La prédication est en première ligne pour agir dans la société <strong>et</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> doitouvrir la voie du Salut en utilisant <strong>le</strong>s outils <strong>et</strong> <strong>le</strong>s arguments façonnés par <strong>le</strong>s maîtres. Ils’agit en réalité plus d’une réévaluation des méthodes <strong>et</strong> des objectifs de la théologie <strong>et</strong>de l’exégèse enseignées dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s, que la remise en question de <strong>le</strong>urs fondementsmêmes. Pierre <strong>le</strong> Chantre est souvent désigné, à juste titre, comme <strong>le</strong> chef de fi<strong>le</strong> de cemouvement, que <strong>le</strong>s historiens ont coutume de nommer « éco<strong>le</strong> biblique-mora<strong>le</strong> » 12 . Sonenseignement <strong>et</strong> ses écrits nous renseignent <strong>sur</strong> l’influence <strong>et</strong> <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> initiateur qu’il ajoué <strong>sur</strong> ce « cerc<strong>le</strong> » théologique, bien qu’aucun sermon de <strong>son</strong> fait ne nous soitparvenu. Il considère que la théologie <strong>et</strong> l’explication du sens caché des Écritures nedoivent pas être tournées vers la seu<strong>le</strong> contemplation <strong>et</strong> la spéculation, mais au contrair<strong>et</strong>rouver <strong>le</strong>ur application dans <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong>. Le théologien doit m<strong>et</strong>tre sa science au service dela mora<strong>le</strong> <strong>et</strong> <strong>son</strong> outil ultime réside dans la prédication. Dans <strong>son</strong> Verbum abbreviatum i<strong>le</strong>xplique l’usage qui doit être fait de la sacra pagina 13 . La célèbre distinction entre <strong>le</strong>strois étapes que <strong>son</strong>t la <strong>le</strong>ctio, la disputatio <strong>et</strong> la praedicatio définit l’amp<strong>le</strong>ur <strong>et</strong> <strong>le</strong>s10 Gérard PARÉ, Adrien BRUNET <strong>et</strong> Pierre TREMBLAY, La Renaissance du XIIe sièc<strong>le</strong> ; <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s <strong>et</strong>l'enseignement, Paris, 1933 ; Char<strong>le</strong>s HASKINS, The Renaissance of the Twelfth Century, Cambridge,1933 ; Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, éd. Robert L. BENSON, Gi<strong>le</strong>s CONSTABLE <strong>et</strong>Carol D. LANHAM, Cambridge, 1982 ; Jacques VERGER, La Renaissance du XIIe sièc<strong>le</strong>, Paris, 1996.11 Pierre RICHE <strong>et</strong> Jacques VERGER, Des nains <strong>sur</strong> des épau<strong>le</strong>s de géants. Maîtres <strong>et</strong> élèves au Moyen Âge,Paris, 2006, p. 83-145.12 Terme en usage depuis l’ouvrage de Martin GRABMANN, Die Geschichte der scholastischen M<strong>et</strong>hode,t. II, Freiburg, 1911, p. 467-501. Jean CHÂTILLON donne une synthèse parfaitement claire du suj<strong>et</strong> dans« Le mouvement théologique dans la France de <strong>Philippe</strong> Auguste », La France de <strong>Philippe</strong> Auguste, <strong>le</strong>temps des mutations. Actes du colloque international organisé par <strong>le</strong> CNRS (Paris, 29 septembre-4octobre 1980), éd. Robert-Henri BAUTIER, Paris, 1982, p. 881-902. L’ouvrage de référence <strong>sur</strong> Pierre<strong>le</strong> Chantre reste toujours John BALDWIN, Masters, Princes and Merchants. The Social Views of P<strong>et</strong>erthe Chanter and his Circ<strong>le</strong>, 2 vol., Princ<strong>et</strong>on, 1970.13 P<strong>et</strong>ri Cantoris Parisiensis Verbum adbreviatum : textus conflatus, éd. Monique BOUTRY, CCCM 196,Turnhout, 2004. I, 1 : « In tribus autem constitit exercitium sacre Scripture : in <strong>le</strong>ctione, disputatione<strong>et</strong> praedicatione ». Traduction : « L’exercice des Saintes Écritures se partage en trois : la <strong>le</strong>cture, ladispute <strong>et</strong> la prédication. »18

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