Philippe le Chancelier et son oeuvre : étude sur l'élaboration d'une ...
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soit autant de types de discours différents qui s’articulent autour d’une cultureuniversitaire et de l’application de méthodes et de concepts hérités d’une éducationcléricale commune.Cette production littéraire polymorphe est le reflet d’une vie active, en priseavec les réalités de son temps : la Summa témoigne d’un enseignement théologique, lessermons sont les traces écrites d’une pratique éminemment ancrée dans l’actualité et lescirconstances dans lesquelles ils sont prononcés. Certaines des compositions poétiquesfont allusion à des événements historiques précis et sont l’expression d’un hommage oud’une célébration. Philipe le Chancelier est donc un intellectuel « engagé » dans sonsiècle. Sa prise de parole, quelle qu’elle soit, est influente. Il agit pour la transformationde la société. Son activité et ses productions littéraires participent pleinement desmutations et évolutions qui caractérisent la fin du XII e et le premier tiers du XIII e siècle.C’est pourquoi notre étude commence par une présentation générale du contextehistorique, culturel et littéraire, dans lequel nous placerons le corpus poético-musical dePhilippe le Chancelier.1.1 Le contexte culturel : Paris au début du XIII e siècle1.1.1 Les prémices d’un siècle de la paroleLes historiens Jean-Claude Schmitt et Jacques Le Goff désignent le XIII e sièclecomme le « siècle de la parole » 7 , par opposition à la suprématie du silence quisymbolise l’époque des monastères. L’expression « parole nouvelle » met en valeurl’extraordinaire épanouissement de pratiques orales qui ne sont pas réellement nouvellesmais connaissent un essor notoire. La parole ecclésiastique, mais aussi celle des laïcs,est au cœur des préoccupations des maîtres, des théologiens et des ecclésiastiques. Laparole est omniprésente, qu’elle soit la parole divine, le Verbum révélé par le Christ, oula parole des Hommes. Dans un monde de culture orale, la parole équivaut au savoirpuisque la connaissance se transmet par les mots. Tous les exercices scolairesconvergent à la maîtrise de l’expression orale et au maniement de la langue latine. Les7 Jacques LE GOFF et Jean-Claude SCHMITT, « Au XIII e siècle, une parole nouvelle », Histoire vécue dupeuple chrétien, éd. Jean DELUMEAU, Toulouse, 1979, p. 257-279. « La parole nouvelle du XIII e siècleest une parole horizontale plus individuelle et plus intérieure, mais aussi liée à de nouveaux auditoires,à de nouveaux métiers de la parole. » (p. 261).16
ambitions nouvelles de l’usage de la parole au XIII e siècle en font un outil decommunication doué de pouvoir, pourvu que l’on ait étudié les arts du trivium dans lesécoles ou à la Faculté des arts.Depuis le dernier quart du XII e siècle environ, le sacerdoce des clercs serecentre sur une prédication nouvelle, plus efficace et plus pratique. L’Universitépourvoit l’Église de jeunes gens aguerris au maniement de la langue, car la pastoraleexige désormais une plus grande formation intellectuelle pour ses missionnaires, tantleur devoir est élevé. La nécessité de dispenser un enseignement de qualité aux fidèleset les efforts déployés par les milieux cléricaux pour y parvenir trouvent leuraboutissement dans l’émergence des nouveaux ordres voués à la prédication que sont lesDominicains et les Franciscains. Leur installation réussie dans les principaux centresuniversitaires européens et leur rapide ascension témoignent de l’extraordinaireadéquation de la spiritualité et du mode de vie qu’ils proposent avec les aspirations del’époque. La parole revalorisée n’est pas seulement publique ; elle est aussi intime,comme en témoigne l’obligation de la confession par le vingt et unième canon duconcile de Latran IV (1215). Ferment de la société, une telle oralité exige l’adaptationdes outils techniques et rhétoriques à ses nouveaux enjeux.Paradoxalement, cette suprématie de l’oral dans les pratiques sociales desmilieux savants se complète d’une forte croissance de l’écrit. La production desmanuscrits prend des proportions encore jamais vues. Pour répondre à la demande desuniversitaires, la profession du livre s’organise pour augmenter le nombre desexemplaires en circulation. Le système des peciae qui permet de copier en même tempsplusieurs exemplaires d’un même modèle augmente considérablement le nombre desmanuscrits, notamment les ouvrages utiles aux étudiants des écoles parisiennes 8 .Singulièrement, plus l’oral se densifie et se complexifie, plus l’écrit lui est nécessaire.Éminemment oral, le XIII e siècle l’est aussi par l’écrit, comme par complémentarité 9 .Les prémices de cette particularité du XIII e siècle se trouvent, comme il se doit,au XII e siècle et participent de cette « renaissance » si souvent évoquée puis discutée par8 Hugues V. SHOONER, « La production du livre par la pecia », La production du livre universitaire auMoyen âge : exemplar et pecia, actes du symposium tenu au Collegio San Bonaventura deGrottaferrata en mai 1983, éd. Louis-Jacques BATAILLON, Bertrand GUYOT et Richard H. ROUSE,Paris, 1988, p. 17-37.9 Jacques LE GOFF parle du « chant du cygne de l’oralité » dans sa préface à la traduction française del’ouvrage de Carla CASAGRANDE et Silvana VECCHIO, Les péchés de la langue, Paris 1991, p. 13.17
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ambitions nouvel<strong>le</strong>s de l’usage de la paro<strong>le</strong> au XIII e sièc<strong>le</strong> en font un outil decommunication doué de pouvoir, pourvu que l’on ait étudié <strong>le</strong>s arts du trivium dans <strong>le</strong>séco<strong>le</strong>s ou à la Faculté des arts.Depuis <strong>le</strong> dernier quart du XII e sièc<strong>le</strong> environ, <strong>le</strong> sacerdoce des c<strong>le</strong>rcs serecentre <strong>sur</strong> une prédication nouvel<strong>le</strong>, plus efficace <strong>et</strong> plus pratique. L’Universitépourvoit l’Église de jeunes gens aguerris au maniement de la langue, car la pastora<strong>le</strong>exige désormais une plus grande formation intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> pour ses missionnaires, tant<strong>le</strong>ur devoir est é<strong>le</strong>vé. La nécessité de dispenser un enseignement de qualité aux fidè<strong>le</strong>s<strong>et</strong> <strong>le</strong>s efforts déployés par <strong>le</strong>s milieux cléricaux pour y parvenir trouvent <strong>le</strong>uraboutissement dans l’émergence des nouveaux ordres voués à la prédication que <strong>son</strong>t <strong>le</strong>sDominicains <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Franciscains. Leur installation réussie dans <strong>le</strong>s principaux centresuniversitaires européens <strong>et</strong> <strong>le</strong>ur rapide ascension témoignent de l’extraordinaireadéquation de la spiritualité <strong>et</strong> du mode de vie qu’ils proposent avec <strong>le</strong>s aspirations del’époque. La paro<strong>le</strong> revalorisée n’est pas seu<strong>le</strong>ment publique ; el<strong>le</strong> est aussi intime,comme en témoigne l’obligation de la confession par <strong>le</strong> vingt <strong>et</strong> unième canon duconci<strong>le</strong> de Latran IV (1215). Ferment de la société, une tel<strong>le</strong> oralité exige l’adaptationdes outils techniques <strong>et</strong> rhétoriques à ses nouveaux enjeux.Paradoxa<strong>le</strong>ment, c<strong>et</strong>te suprématie de l’oral dans <strong>le</strong>s pratiques socia<strong>le</strong>s desmilieux savants se complète d’une forte croissance de l’écrit. La production desmanuscrits prend des proportions encore jamais vues. Pour répondre à la demande desuniversitaires, la profession du livre s’organise pour augmenter <strong>le</strong> nombre desexemplaires en circulation. Le système des peciae qui perm<strong>et</strong> de copier en même tempsplusieurs exemplaires d’un même modè<strong>le</strong> augmente considérab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> nombre desmanuscrits, notamment <strong>le</strong>s ouvrages uti<strong>le</strong>s aux étudiants des éco<strong>le</strong>s parisiennes 8 .Singulièrement, plus l’oral se densifie <strong>et</strong> se comp<strong>le</strong>xifie, plus l’écrit lui est nécessaire.Éminemment oral, <strong>le</strong> XIII e sièc<strong>le</strong> l’est aussi par l’écrit, comme par complémentarité 9 .Les prémices de c<strong>et</strong>te particularité du XIII e sièc<strong>le</strong> se trouvent, comme il se doit,au XII e sièc<strong>le</strong> <strong>et</strong> participent de c<strong>et</strong>te « renaissance » si souvent évoquée puis discutée par8 Hugues V. SHOONER, « La production du livre par la pecia », La production du livre universitaire auMoyen âge : exemplar <strong>et</strong> pecia, actes du symposium tenu au Col<strong>le</strong>gio San Bonaventura deGrottaferrata en mai 1983, éd. Louis-Jacques BATAILLON, Bertrand GUYOT <strong>et</strong> Richard H. ROUSE,Paris, 1988, p. 17-37.9 Jacques LE GOFF par<strong>le</strong> du « chant du cygne de l’oralité » dans sa préface à la traduction française del’ouvrage de Carla CASAGRANDE <strong>et</strong> Silvana VECCHIO, Les péchés de la langue, Paris 1991, p. 13.17