Philippe le Chancelier et son oeuvre : étude sur l'élaboration d'une ...

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appropriation facile des compositions. De plus, l’exercice même de la transcription estun travail qui engage à entrer directement au cœur des œuvres et des textes.Bien qu’elle en ait l’allure, la transcription n’est pas l’équivalent d’unepartition, de même que le manuscrit dont elle est le reflet. La transcription est latraduction d’un codage d’une réalité sonore dans un système différent non équivalent.En effet, si chaque signe présent sur le manuscrit est reporté dans une notation moderne,le résultat obtenu n’est pas une image réelle de la mélodie telle qu’elle a pu êtreinterprétée. La primauté de l’oralité et l’importance de la mémoire dans les restitutionsrendent inutiles certaines informations qui, pour notre pensée moderne, seraientindispensables. La notation médiévale jusqu’à l’avènement de la notation franconienneest encore très allusive. C’est en cherchant à transcrire les conduits monodiques que lesmusicologues ont éprouvé des difficultés et suscité une littérature qui a monopolisél’attention et la réflexion portées sur ces compositions. La part de suggestion de lanotation carrée des compositions monodiques et son éventuelle conformité aux théoriesrythmiques modales sont en effet un questionnement si important, et toujours irrésolu,qu’il nous semble nécessaire de revenir sur les arguments qui se sont opposés tout aulong du XX e siècle.Le problème de la modalité rythmique s’est posé dès le début des études sur leXIII e siècle. Il n’est pas propre à la musique de Notre-Dame. La théorie modale ad’abord été proposée pour la transcription rythmique des chansons vernaculaires et lesujet s’est très tôt avéré polémique 5 . Depuis les travaux fondateurs de Friedrich Ludwiget des chercheurs de sa génération 6 , l’application de la théorie modale, connue par lestraités, à l’ensemble de la musique du XIII e siècle est admise qu’il s’agisse bien sûr de lapolyphonie, mais aussi de toute la monodie latine et vernaculaire 7 . Le rapprochemententre la modalité rythmique et les mètres poétiques hérités de l’Antiquité semble êtregarant de cette interprétation rythmique mesurée de la notation, bien qu’aucun5 Pour une historiographie précise des premiers débats de la théorie modale, on peut consulter JohnHAINES, « The Footnote Quarrels of the Modal Theory », Early Music History, XX (2001), p. 87-120.6 Friedrich LUDWIG, Repertorium organorum recentioris et motetorum vetustissimi stili, Halle, 1910,vol. I, p. 42 sq.7 Un passage du Repertorium organorum… de F. Ludwig est consacré à la question de l’interprétationrythmique de la notation, p. 42-57. Le titre est long mais très explicite quant au contenu : « DieDarstellung des Rhythmus dienende Differenzierung in der Schreibung der Notengruppen in derQuadrat-Notation; die Herrschaft der modalen Rhythmen in den rhythmisch strengerenmelismatischen Partien der Organa, in den ältesten Motetten in ganzem Umfang und in einigenGattungen der 1 stimmigen Lieder » (nous soulignons).112

théoricien ne formule clairement cet amalgame 8 . La théorie modale exposée dans lestraités de la seconde partie du XIII e siècle est aisément réinvestie pour la transcription desmélismes des organa ou des caudae de conduits, mais plus difficilement applicablepour interpréter la notation des passages syllabiques des conduits et motets. Lesligatures peuvent s’interpréter rythmiquement dans un contexte mélismatique, mais lanotation carrée des sources les plus anciennes de la musique de Notre-Dame ne proposepas de solution pour indiquer la durée des notes isolées des passages syllabiques. Leproblème est de savoir si la modalité s’applique aussi à ces passages.Plusieurs arguments viennent soutenir cette lecture rythmique : dans lesconduits, les passages mélismatiques et syllabiques entretiennent des liens étroits quipermettent de généraliser à l’ensemble de la composition le mode indiqué dans lacauda 9 . La présence même du texte latin incite à envisager le vers comme unesuccession métrique de longues et de brèves. De plus, certains conduits syllabiques sontformés à partir de caudae modales qui permettent de penser que les prosules seconforment au rythme de leurs modèles, de la même manière que les motets avec lesclausules mélismatiques 10 . À cela s’ajoute l’existence de sources tardives (le Roman deFauvel, par exemple), élaborées quand la notation mensuraliste était devenue d’usagecourant. Le rythme non indiqué dans les sources plus anciennes a donc pu être déduit decette notation parfaitement claire du point de vue modal 11 .L’assurance de ces arguments est fragilisée lorsque les difficultés detranscription se font plus grandes. Il arrive en effet que la métrique des textes latins soiten contradiction avec les valeurs réglées par les modes rythmiques de la musique. Lesmusicologues se voient donc obligés d’affiner leur application des modes dans lestranscriptions en admettant une théorie des modes plus souple pouvant faire l’objet defractio modi, c’est-à-dire changer de mode en cours de pièce pour suivre les indicationsdu texte. Gordon Anderson consacre une partie du travail préparatoire à son édition desconduits à la question des modes et suggère différents « aménagements » de la théorie8 À l’exception de WALTER ODINGTON dans la Summa de speculatione musicae (éd. Frederick HAMMOND,American Institute of Musicology, 1970). Christopher PAGE discute ce passage du théoricien anglaisdans Latin Poetry and Conductus Rhythm in Medieval France, Londres, 1997, p. 23.9 Jacques HANDSCHIN, « Zur Frage der Conductus-Rhythmik », Acta Musicologica, XXIV /III-IV (1952),p. 113-130.10 Manfred F. BUKOFZER, « Interrelations between Conductus and Clausula », Annales musicologiques,Moyen-Age et Renaissance, I (1953), p. 65-103.11 Heindrich HUSMANN, « Zur Grundlegung der musikalischen Rhythmik des mittellateinischen Liedes »,Archiv für Musikwissenschaft, IX/1 (1952), p. 3-26 ; Ruth STEINER, « Some Monophonic Latin SongsComposed around 1200 », The Musical Quarterly, LII (1966), p. 56-70.113

appropriation faci<strong>le</strong> des compositions. De plus, l’exercice même de la transcription estun travail qui engage à entrer directement au cœur des œuvres <strong>et</strong> des textes.Bien qu’el<strong>le</strong> en ait l’allure, la transcription n’est pas l’équiva<strong>le</strong>nt d’unepartition, de même que <strong>le</strong> manuscrit dont el<strong>le</strong> est <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t. La transcription est latraduction d’un codage d’une réalité <strong>son</strong>ore dans un système différent non équiva<strong>le</strong>nt.En eff<strong>et</strong>, si chaque signe présent <strong>sur</strong> <strong>le</strong> manuscrit est reporté dans une notation moderne,<strong>le</strong> résultat obtenu n’est pas une image réel<strong>le</strong> de la mélodie tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> a pu êtreinterprétée. La primauté de l’oralité <strong>et</strong> l’importance de la mémoire dans <strong>le</strong>s restitutionsrendent inuti<strong>le</strong>s certaines informations qui, pour notre pensée moderne, seraientindispensab<strong>le</strong>s. La notation médiéva<strong>le</strong> jusqu’à l’avènement de la notation franconienneest encore très allusive. C’est en cherchant à transcrire <strong>le</strong>s conduits monodiques que <strong>le</strong>smusicologues ont éprouvé des difficultés <strong>et</strong> suscité une littérature qui a monopolisél’attention <strong>et</strong> la réf<strong>le</strong>xion portées <strong>sur</strong> ces compositions. La part de suggestion de lanotation carrée des compositions monodiques <strong>et</strong> <strong>son</strong> éventuel<strong>le</strong> conformité aux théoriesrythmiques moda<strong>le</strong>s <strong>son</strong>t en eff<strong>et</strong> un questionnement si important, <strong>et</strong> toujours irrésolu,qu’il nous semb<strong>le</strong> nécessaire de revenir <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s arguments qui se <strong>son</strong>t opposés tout aulong du XX e sièc<strong>le</strong>.Le problème de la modalité rythmique s’est posé dès <strong>le</strong> début des études <strong>sur</strong> <strong>le</strong>XIII e sièc<strong>le</strong>. Il n’est pas propre à la musique de Notre-Dame. La théorie moda<strong>le</strong> ad’abord été proposée pour la transcription rythmique des chan<strong>son</strong>s vernaculaires <strong>et</strong> <strong>le</strong>suj<strong>et</strong> s’est très tôt avéré polémique 5 . Depuis <strong>le</strong>s travaux fondateurs de Friedrich Ludwig<strong>et</strong> des chercheurs de sa génération 6 , l’application de la théorie moda<strong>le</strong>, connue par <strong>le</strong>straités, à l’ensemb<strong>le</strong> de la musique du XIII e sièc<strong>le</strong> est admise qu’il s’agisse bien sûr de lapolyphonie, mais aussi de toute la monodie latine <strong>et</strong> vernaculaire 7 . Le rapprochemententre la modalité rythmique <strong>et</strong> <strong>le</strong>s mètres poétiques hérités de l’Antiquité semb<strong>le</strong> êtregarant de c<strong>et</strong>te interprétation rythmique me<strong>sur</strong>ée de la notation, bien qu’aucun5 Pour une historiographie précise des premiers débats de la théorie moda<strong>le</strong>, on peut consulter JohnHAINES, « The Footnote Quarrels of the Modal Theory », Early Music History, XX (2001), p. 87-120.6 Friedrich LUDWIG, Repertorium organorum recentioris <strong>et</strong> mot<strong>et</strong>orum v<strong>et</strong>ustissimi stili, Hal<strong>le</strong>, 1910,vol. I, p. 42 sq.7 Un passage du Repertorium organorum… de F. Ludwig est consacré à la question de l’interprétationrythmique de la notation, p. 42-57. Le titre est long mais très explicite quant au contenu : « DieDarstellung des Rhythmus dienende Differenzierung in der Schreibung der Notengruppen in derQuadrat-Notation; die Herrschaft der moda<strong>le</strong>n Rhythmen in den rhythmisch strengerenmelismatischen Partien der Organa, in den ältesten Mot<strong>et</strong>ten in ganzem Umfang und in einigenGattungen der 1 stimmigen Lieder » (nous soulignons).112

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