Aphasie - Psychologie - M. Fouchey
Aphasie - Psychologie - M. Fouchey
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Encyclopédie Médico-Chirurgicale 17-018-L-10<br />
<strong>Aphasie</strong><br />
F Viader<br />
J Lambert<br />
V de la Sayette<br />
F Eustache<br />
P Morin<br />
I Morin<br />
B Lechevalier<br />
Introduction<br />
Résumé. – Cet article est une revue des formes cliniques, des causes et des lésions anatomiques de l’aphasie.<br />
Il inclut également une étude détaillée des modèles du langage oral et écrit élaborés par la neuropsychologie<br />
cognitive. Les troubles de la parole en dehors de l’aphasie (dysarthrie et dysphonie) sont brièvement passés<br />
en revue. Un chapitre est consacré à l’aphasie de l’enfant, incluant le syndrome de Landau-Kleffner. Enfin, les<br />
méthodes et les stratégies de rééducation de l’aphasie sont discutées.<br />
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.<br />
Mots-clés : aphasie, alexie, agraphie, anarthrie, dysarthrie, dysphonie, syndrome de Landau-Kleffner,<br />
rééducation, neuropsychologie cognitive.<br />
On a volontiers tendance à opposer une neuropsychologie<br />
« clinique » d’autrefois, entièrement dédiée au diagnostic<br />
topographique des lésions, à une neuropsychologie « cognitive »<br />
d’aujourd’hui, qui, déchargée de ses servitudes médicales par la<br />
neuro-imagerie moderne, pourrait se consacrer pleinement à<br />
l’élucidation du fonctionnement cérébral. Ce dilemme n’est<br />
qu’apparent, et l’étude des aphasies l’illustre de façon éclatante. Loin<br />
de détourner les cliniciens de l’aphasiologie, les progrès de<br />
l’imagerie diagnostique leur ont permis d’affiner la connaissance des<br />
phénomènes pathologiques en multipliant les confrontations<br />
clinicolésionnelles autrefois subordonnées à la neuropathologie. Les<br />
rudes controverses passées entre localisationnistes et noéticiens ont<br />
fait place à des échanges plus productifs autour de schémas à double<br />
face anatomique et fonctionnelle, arbitrés par les études d’imagerie<br />
fonctionnelle conduites tant chez les patients que chez les<br />
volontaires sains. Enfin, les modèles inspirés de la psycholinguistique<br />
sont devenus moins ardus et plus accessibles aux<br />
cliniciens, lesquels savent désormais y reconnaître un moyen<br />
d’affiner leur connaissance des phénomènes pathologiques, mais<br />
aussi une arme thérapeutique rendue plus efficace par une<br />
délimitation plus précise des cibles de la rééducation.<br />
Repères historiques<br />
– 1861 : le 18 avril, Paul Broca, chirurgien de l’hospice de Bicêtre<br />
présente à la Société d’anthropologie de Paris le cerveau d’un<br />
homme de 51 ans nommé Leborgne, décédé la veille dans son<br />
service où il était hospitalisé depuis vingt ans à la suite d’une perte<br />
du langage qui se réduisait à la syllabe TAN alors qu’il comprenait<br />
Fausto Viader : Professeur de neurologie, praticien hospitalier.<br />
Jany Lambert : Orthophoniste.<br />
Vincent de la Sayette : Neurologue, praticien hospitalier.<br />
Francis Eustache : Professeur de psychologie à l’Université, Inserm U320.<br />
Pierre Morin : Professeur de neurologie.<br />
Isabelle Morin : Orthophoniste.<br />
Bernard Lechevalier : Professeur de neurologie, membre de l’Académie de médecine, service de neurologie<br />
Vastel, CHU Côte-de-Nacre, avenue de la Côte-de-Nacre, 14033 Caen cedex, France.<br />
17-018-L-10<br />
assez bien ce qu’on lui disait. Broca décrit un grand ramollissement<br />
de l’hémisphère gauche qui atteint le lobe frontal dans sa quasitotalité,<br />
s’étend aux lobes pariétal et temporal. Il ne retient comme<br />
origine de l’aphasie que la 3e circonvolution frontale gauche. En<br />
1984, Signoret et al [170] soumettront le cerveau de Leborgne à un<br />
examen scanographique qui confirmera la description de 1861 et<br />
montrera, en outre, une atteinte du noyau caudé et de la partie<br />
antérieure du noyau lenticulaire, l’aire de Wernicke et le gyrus<br />
supramarginalis étant respectés.<br />
– 1868 : Broca, qui a observé plusieurs cas anatomiques proches de<br />
celui de Leborgne, écrit qu’il croit avoir découvert que « l’exercice<br />
de la faculté du langage articulé est subordonné à l’intégrité (...) de<br />
la moitié postérieure, peut-être même du tiers postérieur seulement<br />
de la 3e circonvolution frontale » de l’hémisphère gauche.<br />
– 1874 : Carl Wernicke, de Breslau, décrit d’autres types d’aphasies,<br />
dont la forme qui porte maintenant son nom ou aphasie sensorielle<br />
due à une lésion temporale gauche, l’aphasie motrice (Broca) et<br />
l’aphasie de conduction.<br />
– 1885 : Lichtheim publie dans Brain une mémorable description de<br />
sept types d’aphasies : les aphasies corticales motrice (Broca) et<br />
sensorielle (Wernicke), l’aphasie de conduction, les aphasies<br />
transcorticales motrice et sensorielle, les aphasies sous-corticales<br />
motrice et sensorielle.<br />
– 1891 : S. Freud, dans une monographie restée célèbre, nie<br />
l’existence des centres du langage : la région corticale du langage<br />
est une aire continue du cortex hémisphérique gauche. La<br />
représentation du mot déclenche de nombreuses associations :<br />
visuelles, tactiles, acoustiques. Il décrit un symptôme nouveau :<br />
l’agnosie.<br />
– 1906 : Pierre Marie publie une monographie intitulée Révision de<br />
la question de l’aphasie : la 3e circonvolution frontale gauche ne joue<br />
aucun rôle spécial dans la fonction du langage. L’aphasie de Broca<br />
(dont il ne nie pas l’existence) n’est que l’addition d’une aphasie de<br />
Wernicke et d’une anarthrie. Celle-ci est due à une lésion située dans<br />
un quadrilatère englobant les noyaux gris centraux et la capsule<br />
interne.<br />
– 1908 : Jules Déjerine, contre Pierre Marie, reste fidèle à la<br />
conception de Broca. En 1892, il décrit l’alexie sans agraphie,<br />
inaugurant la conception associationniste de l’aphasie.<br />
Toute référence à cet article doit porter la mention : Viader F, Lambert J, de la Sayette V, Eustache F, Morin P, Morin I et Lechevalier B. <strong>Aphasie</strong>. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits<br />
réservés), Neurologie, 17-018-L-10, 2002, 32 p.
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
– 1915 : Jackson est réticent pour localiser le langage. Il pense que<br />
le langage propositionnel peut dépendre de l’hémisphère gauche,<br />
mais que le langage automatique est plutôt hémisphérique droit.<br />
– 1928 : Charles Foix établit des corrélations anatomocliniques<br />
strictes entre le siège du ramollissement cérébral et le type d’aphasie<br />
présentée.<br />
– 1933 : Kurt Goldstein préconise une conception globaliste de<br />
l’aphasie, résultat d’une perturbation de l’organisation fonctionnelle<br />
du cerveau.<br />
– 1939 : Théophile Alajouanine inaugure l’ère linguistique de<br />
l’aphasie avec son ouvrage La Désintégration phonétique dans<br />
l’aphasie, fruit de ses observations. Il se réfère au principe de<br />
Baillarger-Jackson pour démontrer la dissociation<br />
automaticovolontaire dans l’aphasie. Avec François Lhermitte et<br />
Blanche Ducarne, il fonde à la Salpêtrière le premier centre de<br />
rééducation du langage.<br />
– 1964 : Alexandre Luria formule la première classification<br />
neurolinguistique des aphasies.<br />
– 1965 : Norman Geschwind réaffirme, dans deux grands articles<br />
parus dans Brain, la pertinence des théories associationnistes.<br />
– 1975 : un nouveau courant, la neuropsycholinguistique, s’assigne<br />
pour objectif fondamental d’élaborer des théories du traitement de<br />
l’information chez le sujet sain à partir de l’analyse des troubles<br />
aphasiques. Dans un second temps, ses modèles théoriques et ses<br />
méthodologies sont utilisés pour décrire et comprendre les<br />
perturbations observées chez les patients. Cette approche cognitive<br />
ne s’intéresse pas aux corrélations anatomocliniques. Dans la même<br />
période se développent les techniques d’imagerie morphologique et<br />
fonctionnelle du cerveau. Le scanner X puis l’imagerie par résonance<br />
magnétique (IRM) permettent une visualisation précise des lésions.<br />
Les mesures métaboliques en tomographie par émission de positons<br />
(TEP) étudient leurs répercussions fonctionnelles dans des secteurs<br />
plus étendus. Des activations verbales chez le sujet sain sont<br />
entreprises avec la TEP et l’IRM fonctionnelle (IRMf).<br />
Les travaux actuels tentent de concilier les modèles cognitivistes et<br />
l’exploration fonctionnelle du cerveau. Opérations mentales et<br />
activations cérébrales constituent la nouvelle formulation<br />
dynamique des localisations cérébrales. Ces connaissances sont<br />
exploitées pour la prise en charge et la rééducation. Celles-ci<br />
intègrent à la fois des « approches écologiques », et des supports<br />
techniques tels que la micro-informatique.<br />
Examen d’un sujet aphasique<br />
DÉFINITION DE L’APHASIE<br />
Parmi les nombreuses définitions de l’aphasie, nous retiendrons celle<br />
de AR Damasio [38] qui regroupe les caractéristiques différentielles<br />
les plus importantes. L’aphasie représente « la perturbation de la<br />
compréhension et de la formulation des messages verbaux qui<br />
résulte d’une affection nouvellement acquise du système nerveux<br />
central ». Chacun des termes de cette définition permet de<br />
différencier l’aphasie d’autres pathologies et déviations<br />
linguistiques : nouvellement acquise versus troubles du langage<br />
congénitaux ou du développement ; du système nerveux central<br />
versus utilisation déviante du langage en rapport avec un usage<br />
social particulier ou une affection psychogène ; messages verbaux<br />
versus trouble de la communication gestuelle ou émotionnelle ;<br />
compréhension des messages verbaux versus troubles perceptifs auditifs<br />
(surdité) ou visuels (cécité) ; formulation des messages verbaux versus<br />
troubles de la phonation ou de l’articulation. Enfin, Damasio<br />
différencie l’aphasie des troubles du langage pouvant être observés<br />
dans les états de confusion mentale faisant suite à une altération de<br />
la conscience.<br />
EXAMEN CLINIQUE DES TROUBLES LINGUISTIQUES<br />
DES APHASIES : MÉTHODES<br />
Les examens les plus couramment utilisés en France sont :<br />
– le test pour l’examen de l’aphasie [47] ;<br />
2<br />
Langage, parole, phonème<br />
Le langage est une fonction abstraite pouvant être matérialisée en<br />
expression orale par la parole et en expression écrite par l’écriture.<br />
La parole est un acte moteur particulièrement complexe qui<br />
nécessite la mise en jeu et la coordination des organes de la<br />
phonation, du larynx et de l’appareil buccopharyngé. Le son de la<br />
voix, support de la parole, est produit au cours de l’expiration par<br />
la vibration des cordes vocales. Il est caractérisé par des paramètres<br />
d’intensité (fonction de la pression sous-glottique), de timbre et de<br />
hauteur. Il est ensuite modifié dans les espaces supraglottiques.<br />
Les phonèmes constituent les sons de la parole. Leur articulation est<br />
assurée par les cavités de résonance supralaryngées (pharynx, nez,<br />
bouche, lèvres) qui sont elles-mêmes délimitées par la position de la<br />
langue et du voile du palais. Ils résultent de la réalisation quasi<br />
concomitante d’un groupe bien défini de traits phonétiques. Le<br />
système phonologique français comprend des sons vocaliques (11<br />
à 15, selon les variantes), des sons consonantiques (17) et des semiconsonnes<br />
(3). Du point de vue de la phonétique articulatoire, les<br />
phonèmes représentent des entités phonologiques décomposables<br />
en un faisceau de traits articulatoires et acoustiques organisés dans<br />
un système binaire. Classiquement, les voyelles sont définies à<br />
travers les traits (ouvert versus fermé, antérieur versus postérieur,<br />
arrondi versus étiré, oral versus nasal), les consonnes par les traits<br />
liés au mode d’articulation (occlusif versus constrictif), au point<br />
d’articulation (labial versus dental, palatal ou vélaire), au délai<br />
d’établissement de voisement (sourd versus sonore), ainsi que par<br />
l’opposition oral versus nasal. Du point de vue de la phonétique<br />
acoustique, les sons du langage sont des sons complexes, c’est-àdire<br />
comportant un son fondamental et des harmoniques. Les<br />
voyelles sont des sons périodiques (chaque harmonique est un<br />
multiple du fondamental). Les consonnes sont des bruits, c’està-dire<br />
des sons non périodiques dont le spectre de fréquence est plus<br />
étendu que celui des voyelles. Toutefois, les consonnes sonores sont<br />
produites avec des vibrations laryngées. Les consonnes peuvent<br />
être caractérisées par les transitions de formants consonne-voyelle.<br />
– l’échelle française pour l’examen de l’aphasie : HDAE [117, 135] ,<br />
adaptation de l’échelle anglaise BDAE de Goodglass et Kaplan ;<br />
– le protocole d’examen linguistique de l’aphasie MT86.<br />
Ces batteries explorent les capacités linguistiques à travers les<br />
mêmes principales fonctions : l’expression et la compréhension<br />
orales, l’expression et la compréhension écrites, la répétition, la<br />
lecture à haute voix et l’écriture sous dictée.<br />
¶ Étude de l’expression orale<br />
Elle distingue plusieurs situations.<br />
– Le langage spontané ou conversationnel est induit par des<br />
questions posées par l’examinateur.<br />
–Lediscours narratif est apprécié à partir de la description de scènes<br />
imagées (ou éventuellement à partir d’un texte lu ou entendu). Ces<br />
situations permettent d’évaluer non seulement la disponibilité<br />
lexicale, mais aussi les capacités syntaxiques et la cohérence du récit,<br />
de même que l’adéquation des productions sur le plan phonétique,<br />
phonologique ou sémantique.<br />
– Les épreuves de dénomination d’images pouvant représenter des<br />
objets, des symboles, des formes géométriques, des couleurs, des<br />
nombres ou des actions explorent l’accès lexical. Le choix des items<br />
répond à des critères de fréquence, de classe (nom, verbe) à<br />
l’opposition nom générique versus nom spécifique (outil versus<br />
hache), au critère manipulable versus non manipulable (échelle<br />
versus village), comme dans le MT86.<br />
– Les épreuves de disponibilité lexicale (encore appelée fluence<br />
verbale) sans support visuel consistent à faire évoquer des items<br />
lexicaux suivant une contrainte sémantique (noms d’animaux) ou<br />
formelle (mots commençant par la lettre P ou R) en un temps limité,<br />
le plus souvent de 1 minute 30.
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
– L’exploration des « automatismes verbaux » est induite par<br />
l’évocation des jours de la semaine, des mois de l’année, des<br />
nombres de 1à20ouencore par la complétion de phrases et de<br />
proverbes.<br />
– La répétition est explorée à partir de syllabes, de mots et de<br />
phrases. Le choix des syllabes et des mots tient compte de la<br />
complexité des mécanismes articulatoires et de la combinatoire du<br />
système phonologique français. Les phrases se distinguent suivant<br />
la longueur, la prédominance d’items lexicaux versus grammaticaux<br />
ou encore le contenu sémantique concret versus abstrait. La<br />
recherche d’un effet lexical (mot versus non-mot) est plus rarement<br />
effectuée.<br />
– La lecture à haute voix permet d’apprécier les capacités de<br />
verbalisation du langage écrit, indépendamment des capacités de<br />
compréhension. Le matériel proposé comprend des mots et des<br />
phrases dont le choix a été guidé par les mêmes variables<br />
psycholinguistiques retenues pour la répétition.<br />
¶ Étude de la compréhension orale<br />
Elle fait appel classiquement à des épreuves de désignation d’images<br />
à partir d’une production verbale énoncée par l’examinateur. Cette<br />
désignation s’effectue toujours en situation de choix multiple. Le<br />
choix multiple est très variable d’un test à un autre. Une première<br />
série d’épreuves étudie la compréhension au niveau lexical :<br />
appariement d’un mot entendu avec sa représentation picturale. Les<br />
subtests sont construits de façon que le choix multiple proposé<br />
comporte un ou plusieurs distracteurs : phonémique (poule/moule),<br />
sémantique (bouton/fermeture éclair), visuel (bouton/roue). Une<br />
seconde série d’épreuves étudie la compréhension au niveau lexical,<br />
syntaxique et morphologique : appariement d’une phrase entendue<br />
avec une image. Les oppositions entre la cible et les distracteurs<br />
peuvent se situer sur le plan lexical (stimulus entendu « l’homme<br />
mange », images : l’homme boit, la femme boit, l’homme mange, la<br />
femme mange), sur le plan morphosyntaxique (stimulus entendu :<br />
« la petite fille montre la dame qui pousse le bébé », stimuli<br />
représentés : la petite fille qui montre la dame pousse le bébé, la<br />
petite fille que montre la dame pousse le bébé, la petite fille montre<br />
la dame qui pousse le bébé). Dans le premier cas, la compréhension<br />
s’appuie sur l’intégration lexicosémantique, dans le second, elle met<br />
en jeu l’intégration des procédés syntaxiques. Les épreuves<br />
précédemment citées utilisent un support visuel (l’image), d’autres<br />
font appel à une réponse gestuelle et requièrent des praxies<br />
gestuelles intactes comme l’exécution d’ordres simples et complexes.<br />
D’autres encore demandent une réponse orale minimale à une<br />
question (oui/non : est-ce qu’une pierre coule dans l’eau ?).<br />
¶ Étude de la compréhension écrite<br />
Elle est évaluée par des épreuves d’appariement mot/image et<br />
phrase/image qui suivent des principes identiques à ceux évoqués<br />
pour la compréhension orale. Il s’agit d’épreuves d’appariement en<br />
choix multiples, mais, dans ce cas, le « mot écrit » reste en<br />
permanence à la vue du patient. De la même façon, on peut choisir<br />
des distracteurs ayant avec la cible des similarités sur le plan<br />
phonologique, sémantique ou visuel. Pour les phrases, le choix varie<br />
selon le contenu lexical et la structure syntaxique. Certains tests<br />
proposent des épreuves reposant uniquement sur la lecture, sans<br />
recours à une représentation iconographique : il s’agit d’associations<br />
de segments de phrases et de textes à partir d’un choix multiple de<br />
phrases. Le récit d’une histoire lue peut être demandé aux patients<br />
ne présentant pas de troubles importants de l’expression orale. Des<br />
tâches de discrimination littérale et verbale (HDAE) explorent plus<br />
particulièrement les capacités d’analyse visuelle des stimuli.<br />
¶ Étude de l’expression écrite<br />
Elle comporte plusieurs subtests : expression écrite spontanée,<br />
narration écrite, dénomination écrite portant sur le même type<br />
d’items qu’en expression orale. L’écriture de l’alphabet, ainsi que le<br />
nom et l’adresse étudient les modes d’expression écrite les plus<br />
automatisés. La copie de mots et de phrases met en jeu des<br />
procédures de transposition visuographiques qui peuvent s’effectuer<br />
sans recours à l’évocation orthographique du mot. Une large place<br />
est faite à l’écriture sous dictée. Le choix des items tient compte d’un<br />
certain nombre de variables linguistiques telles que la fréquence, la<br />
longueur, la classe (il s’agit le plus souvent de substantifs), la<br />
régularité versus l’ambiguïté ou encore l’irrégularité orthographique<br />
(bac-pharmacien-femme). L’effet de lexicalité (mot versus non-mot)<br />
est peu étudié dans les tests. Les phrases peuvent s’opposer suivant<br />
leur longueur ou leur forte charge en items lexicaux versus<br />
grammaticaux.<br />
¶ Étude des praxies buccofaciales<br />
Elle permet d’apprécier la motilité volontaire des organes<br />
buccofaciaux.<br />
COTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS<br />
L’examen du langage des patients aphasiques donne lieu à une<br />
cotation quantitative et qualitative. La cotation quantitative<br />
s’exprime à travers des scores (points ou pourcentages)<br />
comptabilisés pour chaque subtest. Elle permet d’effectuer des<br />
comparaisons entre épreuves ou même à l’intérieur d’une épreuve<br />
suivant les variables étudiées. La cotation qualitative répertorie les<br />
types d’erreurs et éventuellement les modes de facilitation efficaces.<br />
Ces données quantitatives et qualitatives sont reportées sur des<br />
grilles d’analyse qui visualisent plus aisément le profil de<br />
perturbations et le syndrome aphasique auquel il s’apparente.<br />
Le recueil de ces données ne doit pas s’effectuer sans un certain<br />
nombre de mises en garde. Toute tentative d’interprétation des<br />
performances nécessite d’avoir suffisamment d’informations sur le<br />
niveau socioculturel et professionnel, le niveau scolaire et le<br />
comportement linguistique habituel du patient. L’interprétation d’un<br />
score bas à une tâche nécessite de confronter les résultats obtenus à<br />
différentes épreuves. Étant donné la pluralité des canaux sensoriels<br />
sollicités lors d’une même tâche, l’examinateur doit toujours avoir<br />
la préoccupation de déterminer si l’échec du patient est dû à une<br />
défaillance de la fonction linguistique supposée être testée ou du<br />
canal sensoriel utilisé pour évaluer cette fonction. Aussi, lorsqu’une<br />
épreuve de désignation d’images à partir d’un mot oral est<br />
perturbée, les questions suivantes doivent-elles être posées : s’agit-il<br />
d’un déficit de perception visuelle en rapport avec l’image<br />
présentée ? d’un déficit de perception auditive ? ou d’un défaut de<br />
compréhension de niveau linguistique ? Ce dernier peut lui-même<br />
être imputé à différents niveaux de perturbation dans le cadre d’une<br />
interprétation cognitive.<br />
PERTURBATIONS APHASIQUES : LES SIGNES<br />
¶ Expression orale<br />
Apraxie buccofaciale<br />
Indépendante de toute perturbation motrice ou sensorielle<br />
élémentaire, elle se traduit par l’impossibilité d’exécuter<br />
volontairement certains gestes buccofaciaux qui peuvent en<br />
revanche être produits de façon automatique ou réflexe. Elle est<br />
fréquemment associée à l’aphasie.<br />
Dysprosodie<br />
La prosodie permet, par des variations de la fréquence fondamentale<br />
et par des éléments rythmiques, d’introduire dans le discours des<br />
nuances linguistiques et des contenus émotionnels. La prosodie<br />
linguistique est marquée par des variations d’intonation (phrase<br />
déclarative, interrogative, exclamative) ou d’accentuation (insistance<br />
sur un mot dans une phrase). Dans d’autres langues que le français,<br />
ces variations portent sur l’accentuation syllabique dans un mot<br />
(stress en anglais) ou sur des variations tonales (dans des langues<br />
dites à tons). D’autres facteurs, comme la durée des segments ou<br />
3
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
l’intensité et le timbre, participent à la prosodie. Dans les aphasies<br />
non fluentes comme l’aphasie de Broca et les formes avec trouble<br />
articulatoire, l’augmentation de la durée des segments phonémiques<br />
et des pauses, ainsi que les difficultés de contrôle de paramètres<br />
comme la hauteur et l’intensité perturbent le contour mélodique et<br />
la place des accentuations. La courbe mélodique est plate ou bien,<br />
dans certains cas, les modifications donnent un tableau de prosodie<br />
étrangère (appelé encore syndrome d’accent étranger) : dysprosodie<br />
anglo-saxonne surtout liée à des troubles parétiques des organes<br />
buccopharyngés, dysprosodie de type germanique liée à des<br />
phénomènes dystoniques et aux difficultés de production des<br />
groupes consonantiques. La prosodie émotionnelle exprime les états<br />
affectifs (joie, colère, surprise, tristesse). Chez les cérébrolésés<br />
gauches, les études insistent sur la prédominance des altérations de<br />
la fonction linguistique de la prosodie : interrogation, affirmation,<br />
ordre. Chez les sujets cérébrolésés droits, les modifications les plus<br />
importantes touchent la fonction émotionnelle : colère, joie, tristesse.<br />
Troubles de la fluence<br />
La taxonomie distingue les aphasies fluentes (aphasie de Wernicke,<br />
aphasie de conduction) des aphasies non fluentes (aphasie globale,<br />
aphasie de Broca). La fluence désigne le nombre de mots émis par<br />
minute, environ 90 chez un sujet normal. Elle est évaluée au cours<br />
du langage spontané ou de la description de scènes imagées et<br />
dépend du nombre de pauses ou de leur allongement. Elle doit être<br />
différenciée de la disponibilité lexicale, couramment appelée fluence<br />
verbale, que l’on évalue par des tâches d’évocation lexicale<br />
consistant à donner en un temps limité le plus grand nombre<br />
possible de mots en suivant une contrainte déterminée, sémantique<br />
(animaux) ou formelle (lettre p). Un aphasique peut à la fois être<br />
« fluent », c’est-à-dire parler abondamment, et avoir une faible<br />
disponibilité lexicale.<br />
Mutisme<br />
La suspension du langage peut être totale, parfois même aucun son<br />
n’est émis. On distingue les mutismes liés principalement à des<br />
difficultés articulatoires, et qui vont évoluer rapidement vers une<br />
anarthrie, de ceux qui résultent de perturbations linguistiques de<br />
plus haut niveau, notamment lexical. Enfin, le mutisme akinétique<br />
survient dans le contexte d’une perte globale de l’initiative motrice.<br />
Déviations phonétiques<br />
Elles affectent la réalisation articulatoire d’un phonème. Les troubles<br />
articulatoires se traduisent sur le plan acoustique par des distorsions<br />
phonétiques. Les phonèmes sont difficilement identifiables.<br />
Classiquement, on distingue les distorsions de type parétique liées à<br />
une faiblesse articulatoire, les distorsions dystoniques liées à l’excès<br />
de force articulatoire et les perturbations de type dyspraxique. Ces<br />
troubles articulatoires sont caractéristiques de l’anarthrie (appelée<br />
encore désintégration phonétique). Ils sont plus fréquemment<br />
observés dans les aphasies « antérieures » comme l’aphasie de Broca<br />
que dans les lésions postérieures. Les aspects dyspraxiques<br />
caractérisent le syndrome d’apraxie de la parole, qui peut être observé<br />
en l’absence d’apraxie buccofaciale. Les troubles articulatoires des<br />
dysarthries affectent les étapes les plus périphériques des<br />
mécanismes articulatoires et frappent par la stabilité des réalisations,<br />
tandis que dans l’anarthrie, les performances peuvent varier, en<br />
particulier au gré d’une dissociation automaticovolontaire.<br />
Paraphasies<br />
Les termes de « paraphasie » ou d’« erreur » sont utilisés pour les<br />
troubles observés en expression orale.<br />
• Erreurs phonémiques<br />
Ce sont des transformations qui affectent la forme phonologique du<br />
mot. Les productions ne sont pas des mots de la langue. Toutefois,<br />
le mot cible est reconnaissable et les productions peuvent aisément<br />
être transcrites à l’aide de l’alphabet phonétique international. Les<br />
4<br />
erreurs portent sur la substitution, l’omission, l’ajout ou la<br />
transposition d’un ou plusieurs phonèmes du mot (exemple : baleine<br />
/balEn/→/banEn/, champignon /SãpiNf/ → /Sãpf/, bottes<br />
/bOt/→/bOlt/, carotte /kaLOt /→/gaLOt/). Lorsque le mot cible<br />
n’est plus identifiable (éléphant →/benEm/) et que la production<br />
est très éloignée du mot cible (moins de 50 % de phonèmes<br />
communs), le terme de néologisme est utilisé. Le jargon phonémique<br />
ou néologique rend compte de l’abondance des néologismes dans<br />
l’expression. Plus récemment, le terme « erreur segmentale » a été<br />
préféré à celui de « paraphasie phonémique » dans le dessein de<br />
rester neutre quant à la nature de ces erreurs. Leur interprétation est<br />
en effet complexe : il est parfois difficile de savoir si l’erreur est due<br />
à un trouble phonologique ou à un trouble de la programmation<br />
des gestes moteurs articulatoires.<br />
• Troubles affectant les mots<br />
Le manque du mot est le signe le plus courant, présent quel que soit<br />
le type d’aphasie. Ce défaut d’évocation lexicale, dont les origines<br />
peuvent être diverses, réduit la qualité informative du langage. Il<br />
peut toucher le lexique dans son ensemble ou ne se manifester que<br />
lors de la recherche d’items appartenant à certaines classes de mots<br />
(noms versus verbes) ou à certaines catégories sémantiques (objets<br />
biologiques versus objets manufacturés).<br />
Les erreurs lexicales sont les substitutions du mot cible par un mot<br />
appartenant au lexique et comprennent plusieurs possibilités. Les<br />
erreurs sémantiques partagent des liens sémantiques avec l’item cible<br />
(soleil → ciel). Les liens sont répertoriés suivant une classification<br />
linguistique de type hiérarchique. Ainsi pour les cibles, chien et<br />
voiture : hyperonyme (animal, objet), co-hyponyme (loup, camion),<br />
hyponyme (dogue, R5), relation contextuelle (os, route), évocation<br />
d’attributs (patte, roue), lien fonctionnel (aboie, route). Les erreurs<br />
verbales formelles sont des substitutions lexicales entretenant avec<br />
l’item cible non une relation sémantique mais une relation de forme<br />
(ressemblance phonologique) (bateau → râteau). Enfin, les erreurs<br />
verbales n’entretiennent ni relation sémantique, ni relation de forme<br />
avec l’item cible (bateau → patte). Ces paraphasies peuvent avoir la<br />
même origine que les paraphasies phonémiques et résulter de la<br />
substitution ou de l’omission de phonèmes (caneton → /katf..kanf/,<br />
canon). Une grande abondance d’erreurs sémantiques ou d’erreurs<br />
verbales réalise un tableau de jargon sémantique ou jargon verbal.<br />
Les erreurs de lexicalisation désignent la substitution d’un non-mot<br />
par un mot, en répétition par exemple (« brupa » → « brutal »).<br />
• Agrammatisme<br />
Il est défini par un trouble de l’agencement syntaxique et de la<br />
morphologie des phrases dû à une utilisation insuffisante ou<br />
défectueuse des morphèmes grammaticaux libres (articles,<br />
prépositions, pronoms) ou liés (flexions concernant le genre, le<br />
nombre, le temps). Classiquement, le terme d’agrammatisme était<br />
réservé aux perturbations allant dans le sens d’une réduction (« style<br />
télégraphique » des aphasies de Broca), tandis qu’une<br />
désorganisation dans l’utilisation des procédés syntaxiques et des<br />
mots fonctionnels était qualifiée de dyssyntaxie ou de<br />
paragrammatisme. La distinction entre agrammatisme et<br />
paragrammatisme semble aujourd’hui moins forte. L’agrammatisme<br />
peut être associé ou non à un trouble de compréhension de même<br />
nature.<br />
• Stéréotypie<br />
C’est une production itérative (syllabe, mot, syntagme) que le<br />
patient ne peut inhiber et qui surgit lors de toute tentative<br />
d’émission orale.<br />
¶ Erreurs en lecture<br />
La lecture à haute voix fait appel à des mécanismes de production<br />
orale, et peut donc subir des perturbations dans les mêmes<br />
domaines : articulatoire, phonémique, et même sémantique. D’un<br />
autre côté, elle met en jeu des processus qui lui sont propres et dont
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
la perturbation s’exprime à travers des erreurs spécifiques. Le terme<br />
de paralexie (phonémique, verbale, sémantique) est souvent<br />
employé.<br />
Erreurs visuelles<br />
Elles désignent les substitutions du mot-cible par un mot de forme<br />
écrite proche (bouquet → baquet). Elles peuvent affecter uniquement<br />
la partie gauche (dessin → bassin) ou la partie droite (compléter →<br />
complexe) d’un mot lors de déficits hémiattentionnels.<br />
Erreurs phonologiquement plausibles<br />
Elles traduisent un décodage phonologique correct des unités souslexicales<br />
(graphèmes) mais un non-respect des règles contextuelles<br />
ou de l’irrégularité orthographique (cidre → /kidR/, gars → /gaR/,<br />
oignon → /waNf/).<br />
Erreurs phonémiques ou non phonologiquement plausibles<br />
Il s’agit de productions qui ne correspondent pas à un mot de la<br />
langue et qui contiennent des substitutions, des ajouts, des<br />
omissions ou des transpositions de phonèmes par rapport au mot<br />
cible.<br />
Erreurs dérivationnelles ou morphologiques<br />
La production est un mot erroné mais respectant le morphème<br />
racine du mot-cible rêve → rêveur).<br />
Erreurs de lexicalisation<br />
On décrit également des erreurs de lexicalisation (voir supra).<br />
¶ Erreurs en expression écrite<br />
On les désigne par l’appellation « paragraphies ».<br />
Erreurs non phonologiquement plausibles<br />
Elles comprennent toutes les erreurs ne respectant pas la phonologie<br />
du mot en raison de la substitution, l’omission, l’ajout ou la<br />
transposition d’une ou plusieurs lettres (carabine → caribe). Les<br />
termes de paragraphie « phonémique » ou même « graphémique »<br />
sont moins employés actuellement. Une grande abondance de ce<br />
type de perturbation réalise un tableau de jargonagraphie.<br />
Erreurs phonologiquement plausibles<br />
Elles ne respectent pas l’orthographe spécifique du mot mais<br />
préservent sa forme phonologique (femme → fame ; second →<br />
segon) en utilisant des règles de correspondance phonèmegraphème.<br />
(Le graphème est la représentation écrite d’un phonème.<br />
Il peut s’agir d’une lettre : f, p, t, a, i ou de plusieurs lettres : ou, ph,<br />
oin, ch).<br />
Erreurs de réalisation graphique<br />
Elles affectent la réalisation de la lettre et perturbent l’agencement<br />
de ses traits constitutifs : barres horizontales ou verticales, hampes<br />
supérieures ou inférieures, boucles. La production ne correspond pas<br />
à une vraie lettre et peut être difficilement identifiable. De même<br />
que pour la lecture, des erreurs dérivationnelles, sémantiques,<br />
verbales ou de lexicalisation peuvent être relevées.<br />
LIMITES DES BILANS<br />
Une première limite des protocoles d’évaluation des capacités<br />
linguistiques réside dans l’arbitraire des situations de langage<br />
induites, fort éloignées des comportements linguistiques habituels<br />
qui reposent, eux, sur des situations d’échange. Ils s’opposent sur ce<br />
point aux échelles fonctionnelles et pragmatiques (par exemple<br />
l’échelle de communication verbale de Bordeaux [41] ), qui visent à<br />
évaluer le retentissement de l’aphasie sur les activités de la vie<br />
quotidienne.<br />
Une autre limite concerne le niveau d’analyse des troubles. Les<br />
bilans font l’inventaire des signes cliniques et aident à classer<br />
l’aphasie du patient suivant une taxonomie de référence. Cette<br />
opération suffit en général au neurologue pour poser un diagnostic,<br />
discuter les corrélations clinicolésionnelles et en déterminer les<br />
implications médicales, mais elle apporte peu d’informations sur les<br />
mécanismes du langage. Cette lacune est aujourd’hui comblée par<br />
l’approche cognitiviste qui, en appliquant des grilles d’analyse<br />
inspirées par la linguistique, vise à exploiter les troubles causés par<br />
la pathologie en vue tout à la fois d’élaborer des modèles théoriques<br />
du langage normal et de prédire les conséquences de leurs<br />
dysfonctionnements ( [161] ; Eustache, Lambert et Nore-Mary [57] dans<br />
le domaine de l’expression écrite).<br />
Enfin, au delà de son intérêt purement scientifique, l’analyse<br />
neurolinguistisque permet, par sa précision, de saisir les singularités<br />
de chaque cas d’aphasie et constitue, à ce titre, un complément<br />
indispensable à la rééducation [96] .<br />
Étude clinique des aphasies<br />
ÀlafinduXIX e siècle, la classification des aphasies n’était fondée ni<br />
sur leurs caractères sémiologiques, ni sur le siège anatomique des<br />
lésions responsables, mais sur un modèle prévoyant une stricte<br />
correspondance terme à terme entre les éléments de ces deux<br />
registres. Il était admis que les mots, unités constitutives du langage,<br />
étaient représentés dans le cerveau sous forme d’« images » au<br />
niveau de centres corticaux, dont au moins trois étaient bien<br />
individualisés sur le plan anatomique : images motrices (aire de<br />
Broca), images auditives (aire de Wernicke), images visuelles (pli<br />
courbe). Ces centres étaient connectés :<br />
– entre eux ;<br />
– avec le centre cortical de l’idéation ;<br />
– avec les récepteurs et effecteurs (périphériques et donc « souscorticaux<br />
») ; chaque centre ayant son effecteur ou récepteur propre.<br />
La fonction des centres était d’élaborer le langage intérieur, le centre<br />
de l’idéation avait pour tâche de transmettre la pensée aux centres<br />
du langage, et les effecteurs et récepteurs assuraient la mise en<br />
œuvre des fonctions du langage. De ce modèle anatomofonctionnel<br />
découlait naturellement la typologie suivante (fig 1) due à<br />
Lichtheim :<br />
– atteinte des centres = trouble du langage intérieur = aphasies<br />
corticales (1, 2) ;<br />
– dysconnexion entre aire de Broca et aire de Wernicke = aphasie de<br />
conduction (3) ;<br />
5<br />
C<br />
2 1<br />
M<br />
3<br />
A<br />
7 6<br />
1 Schéma dit « de la maison » d’après Lichtheim [102] . A. Centre des images auditives<br />
des mots ; M. centre des images motrices des mots ; C. centre de l’idéation ; 1. aphasie<br />
de Wernicke ; 2. aphasie de Broca ; 3. aphasie de conduction ; 4. aphasie transcorticale<br />
sensorielle ; 5. aphasie transcorticale motrice ; 6. surdité verbale pure ; 7. anarthrie<br />
pure.<br />
4<br />
5
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
– dysconnexion entre centres de l’idéation et du langage = aphasies<br />
transcorticales (4, 5) ;<br />
– dysconnexion entre centres et effecteurs ou récepteurs = aphasies<br />
sous-corticales (6, 7).<br />
Cette nomenclature, même si elle n’a plus aujourd’hui de<br />
prétentions théoriques ou explicatives, a l’avantage de fournir une<br />
grille dans laquelle toutes les variétés possibles d’aphasie trouvent<br />
leur place et peuvent être classées selon des critères sémiologiques<br />
simples en catégories mutuellement exclusives. Le modèle<br />
anatomoclinique simple qu’elle proposait s’est considérablement<br />
compliqué sous l’effet de la linguistique et de l’imagerie, et la<br />
terminologie a, elle aussi, été rajeunie. Le terme générique<br />
d’aphasies corticales, devenu à la fois trop imprécis et décidément<br />
inexact, est tombé en désuétude, mais les appellations d’aphasie de<br />
Broca et de Wernicke restent universellement utilisées en clinique.<br />
Les termes d’aphasie de conduction et d’aphasie transcorticale ont<br />
été consacrés par l’usage, parce qu’ils ont gardé toute leur efficacité<br />
sémiologique : leur trait distinctif, l’atteinte ou la conservation,<br />
respectivement, de la capacité de répéter est aussi celui qui les<br />
oppose radicalement. Quant au terme purement anatomique<br />
d’« aphasie sous-corticale », il a perdu son ancienne signification<br />
d’« aphasie pure » pour désigner aujourd’hui certaines aphasies par<br />
lésion du thalamus ou des noyaux gris centraux qui appartiennent à<br />
la catégorie des aphasies transcorticales, mais dont les singularités<br />
sémiologiques justifient l’individualisation comme une entité<br />
anatomoclinique à part entière. La surdité verbale, qui figure au<br />
chapitre de l’Encyclopédie médicochirurgicale consacré aux agnosies<br />
auditives [103] ne sera pas traitée ici.<br />
APHASIE DE BROCA<br />
Le synonymes sont : aphasie motrice (Wernicke, 1874 [102] ), aphasie<br />
motrice corticale (Lichtheim, 1885 [102] ), aphasie d’expression<br />
(Déjerine, 1914 [102] ), aphasie verbale (Head, 1926 [102] ), aphasie<br />
motrice périphérique (Goldstein, 1948 [127] ), aphasie motrice efférente<br />
(Luria, 1964 [112] ).<br />
Deux traits essentiels sont nécessaires au diagnostic : l’expression<br />
orale peu fluente et les troubles de l’articulation. Les difficultés sont<br />
maximales en expression spontanée. Celle-ci est réduite, nécessitant<br />
un effort considérable notamment d’initiation, et peut se limiter à<br />
une stéréotypie, à quelques mots (noms, verbes d’action à l’infinitif)<br />
ou à des formules automatiques. La parole est lente, laborieuse,<br />
souvent syllabique et dysprosodique. Les transformations<br />
phonétiques sont au premier plan, masquant des paraphasies<br />
phonémiques qui deviennent plus nettes au cours de la<br />
récupération. Le manque du mot est constant, d’intensité variable,<br />
prédominant dans le langage spontané. La dénomination est<br />
améliorée par l’ébauche orale (prononciation de la première syllabe,<br />
voire simple mouvement des lèvres). La répétition est anormale,<br />
mais meilleure que l’expression spontanée ; les difficultés principales<br />
concernent la répétition des mots ou phrases dont l’expression<br />
spontanée est déjà la plus perturbée (mots grammaticaux, structures<br />
syntaxiques complexes). Le langage « automatique » (énumérer les<br />
mois de l’année, les jours de la semaine) est également meilleur. Les<br />
troubles arthriques peuvent s’atténuer, voire disparaître pour un<br />
même mot selon qu’il est produit spontanément, lors d’une activité<br />
de transposition (répétition ou lecture à haute voix), dans une série<br />
automatique ou au cours de mélodies familières. La compréhension<br />
orale est variable mais toujours supérieure à l’expression orale<br />
spontanée. Les difficultés portent surtout sur les structures<br />
grammaticales et syntaxiques complexes, les mots grammaticaux, les<br />
messages complexes surtout lorsqu’un certain nombre<br />
d’informations sont déterminées dans une séquence ordonnée (par<br />
exemple toucher successivement différentes parties du corps).<br />
La lecture à haute voix et la compréhension écrite sont mauvaises.<br />
Là encore, les performances sont meilleures pour les mots isolés que<br />
pour les phrases et la difficulté s’aggrave avec le degré de<br />
complexité syntaxique. L’échec de la lecture à haute voix des lettres<br />
et des non-mots (logatomes) contraste avec les capacités de lecture<br />
des items lexicaux isolés. Dans l’écriture, on observe une réduction<br />
6<br />
de la production, un agrammatisme, des troubles du graphisme, des<br />
paragraphies [127] . La réduction est particulièrement marquée dans<br />
l’écriture spontanée et dictée par rapport à la copie ; la production<br />
de substantifs et l’absence de mots grammaticaux peuvent aboutir à<br />
une écriture agrammatique. Les caractères peuvent être<br />
méconnaissables. Lorsque l’analyse de l’écriture est possible, les<br />
paragraphies littérales constatées sont le plus souvent à type de<br />
dysorthographie et d’oubli de lettres. L’évolution est fréquemment<br />
marquée par une dissociation entre les performances du langage oral<br />
et écrit, le plus souvent au détriment de l’écrit. L’écriture peut être<br />
très peu altérée dans certaines formes d’aphasies où prédominent<br />
les troubles arthriques, proches de l’anarthrie.<br />
L’aphasie de Broca fait souvent suite à une aphasie globale ou à un<br />
mutisme [102] . L’évolution est marquée par la récupération<br />
progressive de mots concrets, le développement d’un agrammatisme<br />
marqué par des phrases courtes, de style « télégraphique » (qui<br />
n’existe jamais d’emblée) et un langage de plus en plus<br />
propositionnel (Lecours et Lhermitte [102] ). L’évolution des troubles<br />
arthriques et de la réduction de la fluence peut être dissociée ; la<br />
persistance d’un mutisme ou de stéréotypies est rare. Lorsque le<br />
tableau initial est celui d’une aphasie de Broca, la récupération est<br />
habituellement bonne. Les troubles neurologiques associés<br />
comportent dans 80 % des cas une hémiplégie ou une hémiparésie<br />
brachiofaciale sensitivomotrice droite, une apraxie idéomotrice de la<br />
main gauche et, dans 90 % des cas, une apraxie bucccofaciale [44] .La<br />
conscience aiguë que ces aphasiques ont de leur trouble génère des<br />
« réactions catastrophiques » et de véritables états dépressifs face à<br />
leurs échecs répétés dans leurs tentatives de communication avec<br />
l’entourage. Cette dimension affective doit être prise en<br />
considération dans l’interprétation des performances et justifie<br />
souvent un traitement spécifique.<br />
L’anarthrie pure (aphasie motrice pure, désintégration phonétique)<br />
survient rarement d’emblée et constitue plutôt l’étape ultime d’une<br />
aphasie de Broca [102] . La compréhension et l’expression écrite sont<br />
normales. Les transformations phonétiques sont isolées,<br />
prédominent en répétition ou en conversation et peuvent disparaître<br />
complètement dans le langage automatique. L’apraxie buccofaciale<br />
est constante. Dans les formes intermédiaires avec l’aphasie de<br />
Broca, il existe des paraphasies phonémiques, un graphisme<br />
maladroit et une dysorthographie. Le terme « aphémie » proposé en<br />
1861 par Broca pour désigner « une perturbation acquise de la<br />
faculté du langage articulé » reste de nos jours ambigu, même s’il<br />
renvoie pour l’essentiel à des troubles arthriques dans une acception<br />
très proche de l’anarthrie. Pour Schiff et al [155] , l’aphémie recouvre<br />
un syndrome dysarthrique sans aphasie ou presque, déterminé par<br />
de petites lésions corticales ou sous-corticales du « système moteur<br />
responsable de l’articulation ».<br />
APHASIE DE WERNICKE<br />
Les synonymes sont : aphasie sensorielle (Wernicke, 1874), aphasie<br />
sensorielle corticale (Lichtheim, 1885), aphasie syntaxique (Head,<br />
1926), aphasie sensorielle centrale (Goldstein, 1948), aphasie de<br />
Wernicke de type I (Lecours et Lhermitte, 1979) [102, 127] .<br />
Une fluence normale ou exagérée, l’absence de trouble de<br />
l’articulation, la production de nombreuses paraphasies, un langage<br />
souvent vide de sens et des troubles importants de la compréhension<br />
la caractérisent. La fluence ne traduit aucun effort de production ; la<br />
longueur des phrases est normale et leur structure grammaticale<br />
globale respectée. L’exagération de la fluence peut aboutir à une<br />
logorrhée incontrôlable. L’articulation est normale, la prosodie<br />
également, mais elle est souvent mal adaptée au contexte. En dépit<br />
de la production correcte de nombreux mots et d’une syntaxe<br />
normale, les pensées et les sentiments du patient ne peuvent être<br />
correctement traduits ; seules persistent quelques phrases ou<br />
expressions toutes faites. La production déviante comporte<br />
l’addition de nombreuses syllabes en fin de mots et de mots en fin<br />
de phrase, des paraphasies verbales et sémantiques, mais aussi<br />
phonémiques et des néologismes. Quand la production est pour<br />
l’essentiel constituée de paraphasies, le langage peut être totalement
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
incompréhensible et aboutir à une jargonaphasie. La répétition est<br />
défectueuse, assez bien corrélée à la compréhension : ce qui est<br />
correctement compris peut être relativement bien répété et<br />
réciproquement. Le langage automatique (réciter les jours de la<br />
semaine, les mois de l’année...), pour peu que l’attention du patient<br />
puisse être captée et que celui-ci comprenne la consigne, peut être<br />
meilleur. En dénomination, le manque du mot est très important,<br />
non amélioré par l’ébauche orale et la production de paraphasies est<br />
fréquente. Alors que les paraphasies constatées dans le langage<br />
spontané sont essentiellement verbales, les erreurs en dénomination<br />
sont plus fréquemment des néologismes ou des paraphasies<br />
phonémiques. Cette fréquente « dissociation » n’est cependant pas<br />
constante, de même que la dénomination peut, dans certains cas<br />
rares, être de bonne qualité sans que le diagnostic d’aphasie de<br />
Wernicke puisse être remis en cause.<br />
Les troubles de la compréhension du langage parlé sont constants.<br />
La compréhension peut être nulle. Souvent, un mot isolé ou une<br />
courte phrase peuvent être compris, mais les difficultés croissent<br />
rapidement avec l’augmentation du nombre d’informations. Ainsi, à<br />
quelques secondes d’intervalle, un mot initialement compris peut<br />
ne plus l’être, comme s’il existait une « saturation » des capacités de<br />
compréhension. Les difficultés deviennent majeures lorsqu’il s’agit<br />
de passer d’une tâche à une autre (par exemple montrer les<br />
différents objets de la pièce, puis désigner sur des images différents<br />
animaux). En revanche, les consignes à référence corporelle (toucher<br />
une partie du corps, bouger un segment de membre, mimer tel ou<br />
tel mouvement) sont souvent mieux exécutées que les autres tâches.<br />
Les phrases longues ou à structure syntaxique complexe ne sont<br />
habituellement pas comprises.<br />
La lecture et la production écrite sont perturbées parallèlement à la<br />
production orale. Dans l’écriture, les lettres sont bien formées et la<br />
production abondante. Les caractères sont disposés en mots avec de<br />
nombreuses paragraphies, verbales et littérales, et aussi des<br />
néologismes. Les mots grammaticaux sont mieux écrits que les<br />
substantifs. La copie est meilleure que l’écriture spontanée ou dictée.<br />
Lecours et Lhermitte (1979) [102] ont qualifié d’aphasie de Wernicke<br />
de type III les observations comportant une compréhension et une<br />
expression écrites très inférieures aux performances orales (alexie<br />
avec agraphie). Que ce soit pour la compréhension ou pour<br />
l’expression, il existe des cas, rares mais spectaculaires, de<br />
dissociation des performances entre l’oral et l’écrit (Hier et Mohr,<br />
1977 [127] ).<br />
Habituellement, les déficits neurologiques associés à l’aphasie de<br />
Wernicke sont peu marqués (il peut exister une hémiparésie, des<br />
troubles de la sensibilité, une amputation du champ visuel,<br />
notamment une quadranopsie supérieure droite). Forme d’aphasie<br />
fréquente chez le sujet âgé, l’aphasie de Wernicke ne doit pas être<br />
confondue avec un état confusionnel ou psychotique, risque d’autant<br />
plus grand que les patients sont anosognosiques de leur trouble du<br />
langage.<br />
APHASIE DE CONDUCTION<br />
Les synonymes sont : aphasie centrale (Goldstein, 1948 [127] ), aphasie<br />
motrice afférente [102] , aphasie de conduction afférente et efférente<br />
[88, 112] .<br />
L’existence de l’aphasie de conduction fut postulée dès 1874 par<br />
Wernicke. Il supposa qu’une lésion interrompant la connexion entre<br />
le cortex temporal et le cortex frontal devait entraîner une aphasie<br />
caractéristique. Cette hypothèse fut ultérieurement reprise par<br />
Lichtheim (1885) [102] . L’aphasie de conduction représenterait 10 à<br />
15 % du total des aphasies [13] . Le langage spontané est fluent (moins<br />
que dans l’aphasie de Wernicke, mais plus que dans l’aphasie de<br />
Broca), riche en paraphasies. La longueur des phrases est légèrement<br />
réduite. Le discours est entrecoupé d’hésitations traduisant les<br />
tentatives spontanées d’autocorrection (conduites d’approche<br />
phonémiques), d’autant plus abondantes que ces patients sont<br />
parfaitement conscients de leurs difficultés. La dénomination est<br />
perturbée par des paraphasies phonémiques, ou plus rarement<br />
sémantiques, de même que la répétition ; les difficultés sont parfois<br />
éludées par l’emploi d’une périphrase ou d’un synonyme. Tous les<br />
mots (substantifs, adjectifs, verbes, mots grammaticaux) sont<br />
concernés, et plus encore les non-mots. La compréhension orale est<br />
bonne, avec parfois une difficulté pour des phrases complexes.<br />
Comme l’expression orale, la lecture à haute voix est marquée de<br />
paraphasies phonémiques, alors que la compréhension du message<br />
écrit reste bonne. L’agraphie est constante, l’écriture spontanée<br />
toujours plus perturbée que l’expression orale. Le graphisme est de<br />
bonne qualité et la copie préservée. La production spontanée ou<br />
dictée comporte de nombreuses paragraphies littérales, une<br />
dysorthographie et une atteinte phonologique prédominante [127] . Les<br />
mots grammaticaux sont plus souvent omis que les substantifs. La<br />
grande difficulté ou l’incapacité d’écriture des non-mots est<br />
caractéristique de l’aphasie de conduction. Les substitutions de<br />
lettres peuvent rendre l’écriture quasi jargonnante (Assal, 1982 [127] ).<br />
Il existe, comme dans l’expression orale, de nombreuses tentatives<br />
d’autocorrection.<br />
L’aphasie de conduction peut exister d’emblée ou faire suite à une<br />
aphasie de Wernicke. Les symptômes neurologiques associés<br />
comportent une hémi-hypoesthésie, parfois suivie d’un syndrome<br />
douloureux, une asymbolie à la douleur, une quadranopsie<br />
supérieure ou inférieure ou une hémianopsie, une apraxie<br />
idéomotrice sur commande verbale, mais non en imitation et, plus<br />
rarement, une hémiplégie. Le pronostic de l’aphasie de conduction<br />
est favorable.<br />
APHASIE GLOBALE<br />
L’aphasie globale est une altération sévère de toutes les fonctions<br />
du langage. Le mutisme initial est fréquent, l’expression spontanée<br />
est nulle ou très réduite, limitée à une syllabe, à quelques mots ou<br />
stéréotypies. La compréhension est altérée, mais Benson (1979) [102]<br />
souligne la compétence habituelle de ces patients à comprendre le<br />
« langage non parlé » (gestes, mimiques, position du corps) et les<br />
inflexions et intonations de la voix.<br />
Le déficit neurologique associé est important (hémiplégie,<br />
hémianesthésie, hémianopsie latérale homonyme). De rares<br />
observations sont remarquables par la discrétion ou l’absence de<br />
déficit neurologique ; ces dernières pourraient connaître une<br />
évolution meilleure [38] et indiquer une lésion limitée aux territoires<br />
de jonction en avant de l’aire de Broca et en arrière de l’aire de<br />
Wernicke [175] , une topographie plus habituellement rencontrée dans<br />
l’aphasie transcorticale sensorielle.<br />
APHASIES TRANSCORTICALES<br />
Les aphasies transcorticales sont les aphasies respectant les capacités<br />
de répétition.<br />
¶ <strong>Aphasie</strong> transcorticale motrice<br />
L’aphasie transcorticale motrice peut survenir d’emblée ou faire<br />
suite à une aphasie de Broca. Elle se caractérise par une expression<br />
spontanée nulle ou limitée à quelques syllabes, mots ou phrases<br />
courtes et agrammatiques, hésitante, parfois écholalique [102] .<br />
L’existence d’une dysarthrie la distingue de l’aphasie dynamique de<br />
Luria [112] , à laquelle elle est parfois assimilée. Pour Luria, « les pires<br />
difficultés surgissent quand le malade doit composer de façon<br />
indépendante un schéma d’énonciation et le développer dans le<br />
langage spontané ». AR Damasio [38] signale la possibilité d’erreurs<br />
phonétiques, phonémiques et lexicales. Benson (1979) [102] insiste sur<br />
l’effet facilitant d’une activité motrice : un comportement de<br />
déambulation ou des mouvements incessants de la main paraissent<br />
favoriser, chez certains patients, la production orale. La disponibilité<br />
lexicale est particulièrement faible et encore entravée par des<br />
persévérations. La dénomination est entravée par le manque du mot<br />
et surtout par des difficultés d’initiation et des persévérations, elle<br />
est améliorée par l’ébauche orale ou les indices contextuels. Le<br />
langage automatique est conservé à condition d’être initié par<br />
l’examinateur. Les capacités à compléter les phrases, les proverbes,<br />
les poèmes sont excellentes. La répétition est bonne, pour les lettres<br />
7
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
comme les mots, les phrases ou les non-mots. La compréhension<br />
orale est bonne. La compréhension écrite est meilleure que dans<br />
l’aphasie de Broca. La lecture à haute voix est peu perturbée.<br />
L’écriture spontanée, calquée sur la production orale, est réduite, le<br />
graphisme est maladroit, avec des omissions de lettres ou de mots<br />
et un agrammatisme.<br />
Le déficit neurologique associé varie selon les lésions, mais comporte<br />
habituellement une hémiplégie, qui prédomine souvent au membre<br />
inférieur, et une apraxie idéomotrice. La récupération est variable<br />
mais généralement bonne.<br />
¶ <strong>Aphasie</strong> transcorticale sensorielle<br />
Les synonymes [102] sont : aphasie nominale (Head, 1926), aphasie de<br />
Wernicke de type II (Lecours et Lhermitte, 1979).<br />
Le langage spontané est fluent et bien articulé, mais entravé par de<br />
nombreuses erreurs (paraphasies sémantiques, néologismes,<br />
paraphasies phonémiques) et par une écholalie. En dénomination,<br />
le manque du mot est intense, compensé par des périphrases. La<br />
répétition est parfaite et même servile, le patient pouvant répéter<br />
sans poser de questions des items inhabituels sans les rectifier<br />
(structures syntaxiques, mots ou phonèmes inappropriés) ni les<br />
comprendre (non-mots ou phrases en langue étrangère). Initié par<br />
l’examinateur, le langage automatique est bon, de même que le<br />
complètement de proverbes et de phrases ou la récitation de<br />
poèmes. La compréhension orale est défectueuse ; ce qui est répété<br />
et complété n’est pas nécessairement compris. La désignation est<br />
sévèrement perturbée. La lecture à haute voix est de qualité<br />
variable ; le plus souvent, elle suscite de nombreuses paraphasies<br />
ou une production sans rapport avec le texte. La compréhension de<br />
l’écrit, même correctement lu, est déficiente. L’écriture serait<br />
perturbée de façon assez semblable à ce qui est constaté dans<br />
l’aphasie de Wernicke, avec des performances correctes en copie, et<br />
meilleures en dictée qu’en écriture spontanée.<br />
Les signes neurologiques associés peuvent être un déficit sensitif et<br />
une hémianopsie ou une quadranopsie supérieure ou inférieure.<br />
Comme dans l’aphasie de Wernicke, l’absence de signes<br />
neurologiques focaux peut égarer et faire évoquer par erreur un<br />
trouble psychiatrique. L’aphasie transcorticale sensorielle peut faire<br />
suite à une aphasie initialement plus intense. Le pronostic à long<br />
terme est incertain. L’aphasie transcorticale sensorielle peut aussi<br />
s’installer peu à peu, dans le cadre d’une démence ou de toute autre<br />
affection neurologique progressive. Elle est alors inaugurée par une<br />
anomie.<br />
¶ <strong>Aphasie</strong> transcorticale mixte<br />
Cette aphasie cumule les déficits des aphasies transcorticales motrice<br />
et sensorielle. Dans la majorité des cas, l’écholalie résume l’ensemble<br />
de la production. La répétition est préservée, mais limitée à quelques<br />
mots. Certains patients peuvent corriger une formulation<br />
inappropriée en dépit de la compréhension défectueuse.<br />
L’articulation est normale ou un peu dysarthrique et le langage<br />
automatique est conservé. La compréhension orale et écrite est<br />
défectueuse, souvent nulle, la lecture à haute voix impossible ou<br />
très mauvaise. L’agraphie est le plus souvent totale, y compris en<br />
copie et n’offre pas de dissociation semblable à celle de l’expression<br />
orale.<br />
Les signes neurologiques peuvent associer un déficit<br />
sensitivomoteur et une hémianopsie.<br />
APHASIE AMNÉSIQUE<br />
Les synonymes sont : aphasie anomique (Benson, 1979 [102] ), aphasie<br />
sémantique (Head, 1926 [102] ), anomie [67] .<br />
Le manque du mot est ici le trouble principal ou exclusif. La fluence<br />
est normale ou réduite par des pauses, l’articulation et la prosodie<br />
sont normales, les phrases correctement construites, mais pauvres<br />
en substantifs, parfois inachevées. Le langage est peu informatif. La<br />
dénomination est particulièrement défectueuse quelle que soit la<br />
8<br />
modalité : canal visuel, auditif, tactile ou évocation d’après la<br />
définition. Le manque du mot est compensé par des périphrases,<br />
des mots passe-partout (chose, machin) ou une définition par l’usage<br />
(brosse : « pour se coiffer ») ou plus rarement des paraphasies<br />
sémantiques. L’ébauche orale est inopérante. Les difficultés sont plus<br />
marquées pour les noms propres et les substantifs que pour les<br />
verbes. La disponibilité lexicale est déficiente. Le malade peut<br />
éprouver des difficultés aux épreuves de classement sémantique et<br />
même de décision lexicale (Lecours et Lhermitte, 1979 [102] ). Le<br />
manque du mot peut prédominer sur une catégorie sémantique (par<br />
exemple êtres vivants versus objets) et, à l’intérieur d’une catégorie,<br />
sur une sous-classe (par exemple végétaux versus animaux) [38] .La<br />
mémoire verbale (mots couplés, apprentissage d’une liste de mots<br />
ou d’un texte) est altérée. La répétition est normale. Dans les formes<br />
pures d’aphasie amnésique, la compréhension, la lecture, l’écriture<br />
copiée et dictée sont normales et l’écriture spontanée reflète le<br />
trouble de l’expression orale [127] .<br />
Pour Benson (1979) [102] , l’aphasie transcorticale sensorielle et<br />
l’aphasie amnésique sont les deux pôles d’un même processus<br />
physiopathologique, que la pathologie peut parcourir dans un sens<br />
ou dans l’autre. Ainsi, l’aphasie amnésique peut être soit le stade<br />
initial d’un état démentiel, soit le stade final d’une aphasie<br />
transcorticale sensorielle ayant évolué favorablement. Dans ce<br />
dernier cas, la compréhension, la lecture et l’écriture peuvent rester<br />
légèrement perturbées.<br />
L’anomie a une faible valeur localisatrice. L’examen neurologique<br />
est souvent normal par ailleurs. Cependant pour H Damasio [39] , une<br />
lésion de la partie antérieure du lobe temporal de l’hémisphère<br />
dominant serait déterminante.<br />
APHASIES SOUS-CORTICALES<br />
Nous avons vu que pour les auteurs anciens, les centres du langage<br />
étaient corticaux, et que les aphasies sous-corticales étaient<br />
considérées comme des troubles « purs » (on dirait aujourd’hui<br />
unimodaux) résultant d’une dysconnexion entre ces centres et<br />
l’effecteur (aphasie motrice pure) ou le récepteur (surdité verbale<br />
pure) périphérique. On comprend pourquoi, bien plus tard, Luria [113]<br />
et ceux qui, à sa suite, entreprirent d’étudier la sémiologie<br />
aphasiologique des lésions sous-corticales, commencèrent par<br />
nommer prudemment « quasi-aphasie » les troubles qu’ils avaient<br />
constatés. L’imagerie couplée à la neuropsychologie clinique a<br />
prouvé depuis lors que de telles lésions peuvent être responsables<br />
d’authentiques syndromes aphasiques [25, 133, 145] .<br />
L’étude de Puel et al [145] donne une idée de la répartition des<br />
différents types d’aphasie observés. Sur 25 patients ayant une lésion<br />
vasculaire sous-corticale définie par le scanner, quatre présentaient<br />
une dysarthrie isolée, neuf une aphasie « classique » (deux aphasies<br />
globales, trois aphasies de Broca, trois aphasies de Wernicke et une<br />
aphasie de conduction) et 12 une sémiologie originale : défaut<br />
d’incitation verbale, altérations de la parole avec hypophonie et<br />
parfois dysarthrie, anomie « dissociée » (plus marquée en langage<br />
spontané qu’en dénomination), paraphasies verbales étranges ou<br />
bizarres, prédominant également dans le langage spontané et, enfin,<br />
une incohérence du discours qui est peut-être l’aspect le plus<br />
remarquable du tableau. La compréhension était imparfaite,<br />
meilleure pour les mots que pour les phrases. La répétition et le<br />
langage automatique étaient préservés. Il faut ajouter à ces<br />
symptômes proprement aphasiques un trouble des apprentissages<br />
et de la mémoire verbale. En résumé, il s’agit d’une aphasie avant<br />
tout expressive, associant une perte de l’autonomie et de l’initiative<br />
verbale, un trouble de la réalisation de la parole et une incohérence<br />
sémantique due à une instabilité du discours et à des choix lexicaux<br />
approximatifs. Cette aphasie, qui laisse intactes les capacités de<br />
répétition, se rattache au groupe des aphasies transcorticales, mais<br />
sa sémiologie (qualifiée par Puel et al de « dissidente ») justifie son<br />
individualisation, admise par la plupart des auteurs actuels, sous le<br />
terme d’aphasie sous-corticale.<br />
Les lésions peuvent atteindre la substance blanche, les noyaux gris<br />
ou les deux. Les infarctus profonds du territoire sylvien donnent
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
une aphasie motrice importante, voire une aphasie globale, les<br />
lésions limitées au thalamus ou au striatum une aphasie de type<br />
« sous-cortical », ainsi parfois que les lésions capsulaires internes.<br />
Les lésions purement putaminales donnent une dysarthrie sans<br />
aphasie. Les lacunes capsulaires ou latéroventriculaires ne donnent<br />
pas d’aphasie, mais une dysarthrie [140] avec parfois une composante<br />
cérébelleuse. Les hématomes profonds donnent presque toujours au<br />
moins initialement une aphasie dont le pronostic dépend de<br />
l’extension des lésions vers la substance blanche latéroventriculaire.<br />
Les hématomes lobaires frontaux peuvent donner une aphasie<br />
transcorticale motrice, les hématomes temporaux une aphasie de<br />
Wernicke. Les lésions sous-jacentes au cortex insulaire ou au lobule<br />
pariétal inférieur peuvent donner une aphasie de conduction. Les<br />
lésions sous-corticales expansives donnent d’abord un manque du<br />
mot en langage spontané puis en dénomination, qui peut résumer<br />
longtemps le tableau clinique.<br />
Les troubles associés varient naturellement selon les structures<br />
atteintes. La présence d’une hémiplégie témoigne d’une atteinte de<br />
la substance blanche latéroventriculaire antérieure ou capsulaire.<br />
L’absence de troubles moteurs ou leur discrétion (négligence motrice<br />
par exemple) oriente soit vers une lésion thalamique (on peut noter<br />
alors des troubles associés de la mémoire, de la vigilance, de<br />
l’oculomotricité ou de la sensibilité), soit vers une lésion de la<br />
substance blanche postérieure (il existe alors une hémianopsie).<br />
APHASIES CROISÉES<br />
Stricto sensu, l’aphasie croisée résulte d’une lésion cérébrale<br />
ipsilatérale à la main préférentiellement utilisée par le patient. Elle<br />
correspond donc aux fréquentes aphasies par lésion gauche chez le<br />
gaucher et aux rares aphasies par lésion droite chez le droitier. En<br />
fait, seules ces dernières sont considérées comme des aphasies<br />
croisées. Joanette [84] a fait une revue exhaustive de la littérature, et<br />
n’a retenu, des 75 cas publiés, que les 11 qui lui semblaient présenter<br />
tous les critères du diagnostic. Six d’entre eux ressemblent à une<br />
aphasie de Broca, mais les cinq autres s’écartent de la typologie<br />
classique.<br />
La compréhension orale et écrite est respectée, l’expression<br />
spontanée est souvent réduite avec un certain degré<br />
d’agrammatisme, des paraphasies phonémiques et une bonne<br />
articulation. L’expression écrite est moins réduite, moins<br />
agrammatique et plus « jargonnante » que l’expression orale. Un cas<br />
décrit par Assal (1982) [127] comporte une jargonagraphie. Les<br />
activités de transposition sont en général défectueuses. La<br />
récupération des troubles aphasiques serait assez favorable et<br />
rapide. Au déficit du langage s’ajoutent fréquemment une apraxie<br />
visuospatiale, une négligence gauche, une dyscalculie, ainsi que des<br />
difficultés d’évaluation du temps chez deux patients. Enfin, la<br />
fréquence inhabituelle des lésions sous-corticales est un autre point<br />
original.<br />
TROUBLES DE LA COMMUNICATION VERBALE<br />
DANS LES LÉSIONS DE L’HÉMISPHÈRE DROIT CHEZ LE<br />
DROITIER EN DEHORS DES APHASIES CROISÉES<br />
La dominance de l’hémisphère gauche pour le langage, établie<br />
depuis la découverte de Broca, mérite d’être nuancée (Hannequin et<br />
al, 1987 [102] ). D’une part, l’étude des dysconnexions calleuses a établi<br />
que l’hémisphère droit peut accomplir certaines performances<br />
linguistiques, en particulier au niveau lexicosémantique. D’autre<br />
part, cet hémisphère intervient dans des aspects non verbaux de la<br />
communication. Des troubles de la prosodie sont présents (sinon<br />
toujours recherchés) chez les patients cérébrolésés droits. Les<br />
troubles de la compréhension prosodique sont les mieux<br />
documentés. Ils semblent liés, au moins en partie, à une perturbation<br />
du décodage perceptif prosodique, indépendamment de sa fonction<br />
linguistique ou émotionnelle. L’expression prosodique émotionnelle<br />
est amoindrie chez certains de ces patients, mais il reste à savoir si<br />
cette perturbation affecte la conception du contour intonatif<br />
émotionnel ou sa mise en œuvre dans le langage parlé.<br />
Enfin, on insiste sur les modifications du comportement langagier<br />
en situation « naturelle » de communication : c’est le domaine de<br />
l’organisation du discours, de la pragmatique, des actes de langage.<br />
L’intégrité de l’hémisphère droit semble particulièrement importante<br />
pour une adéquation contextuelle des comportements de<br />
communication, y compris dans l’intégration de l’implicite du<br />
langage (sous-entendus), dans l’usage des métaphores, voire de<br />
l’humour.<br />
Étiologies des aphasies<br />
Sauf précision contraire, les indications topographiques données<br />
dans ce chapitre s’appliquent à des lésions de l’hémisphère gauche.<br />
APHASIES D’ORIGINE VASCULAIRE<br />
Une étude prospective a trouvé, sur 881 accidents vasculaires<br />
cérébraux aigus, 38 % d’aphasies (9/10 par lésion gauche, 1/10 par<br />
lésion droite), dont la moitié d’aphasies sévères [142] . La gravité de<br />
l’aphasie était corrélée à l’âge et à l’importance des autres signes<br />
neurologiques. Le pronostic était fonction à la fois de la gravité de<br />
l’aphasie et du tableau neurologique général, et 95 % des aphasiques<br />
avaient atteint un plateau dans la récupération en 6 semaines.<br />
Inversement, l’aphasie était en elle-même un facteur de gravité de<br />
l’accident vasculaire, puisque la mortalité atteignait 31 % chez les<br />
aphasiques contre 18 % en moyenne sur l’ensemble de la série.<br />
¶ Infarctus cérébraux<br />
Dans l’hémisphère gauche, les structures anatomiques nécessaires<br />
au fonctionnement de la boucle audiphonatoire sont situées dans le<br />
territoire sylvien. Des zones plus périphériques mais néanmoins<br />
indispensables à l’accomplissement des fonctions linguistiques sont<br />
vascularisées, soit par d’autres branches de la carotide (cérébrale<br />
antérieure, choroïdienne antérieure), soit par la cérébrale postérieure.<br />
Le type d’aphasie observé au cours d’un infarctus hémisphérique<br />
gauche sera donc étroitement lié au territoire vasculaire.<br />
Artère sylvienne<br />
C’est la plus grosse branche de la carotide interne, et la plus<br />
fréquemment affectée dans les accidents ischémiques [125] . Elle irrigue<br />
la plus grande partie du cortex de la convexité hémisphérique. Son<br />
territoire sous-cortical comprend le putamen, la partie latérale du<br />
pallidum, une partie du noyau caudé, le claustrum et les capsules<br />
externe et extrême, la partie supérieure de la capsule interne, ainsi<br />
qu’une large étendue de substance blanche latéroventriculaire. Le<br />
tronc de l’artère sylvienne donne naissance aux artères<br />
lenticulostriées, qui vont irriguer le territoire sous-cortical. Ensuite,<br />
la sylvienne se divise, le plus souvent, en deux branches : la branche<br />
supérieure donne les artères à destinée frontale, rolandique et<br />
pariétale antérieure, et porte souvent les lenticulostriées externes.<br />
Pour cette raison, l’occlusion de la branche supérieure à son origine<br />
entraîne un infarctus non seulement superficiel antérieur mais aussi<br />
profond, capsulolenticulaire. La branche inférieure vascularise le<br />
cortex temporal et pariétal postérieur.<br />
L’infarctus sylvien total gauche, dû à une occlusion du tronc de la<br />
sylvienne ou de la terminaison carotidienne, s’accompagne d’une<br />
aphasie globale. Les infarctus sylviens profonds étendus donnent<br />
des syndromes aphasiques variés affectant de façon prédominante<br />
l’expression orale (supra « <strong>Aphasie</strong>s sous-corticales »). Les petits<br />
infarctus profonds correspondent le plus souvent à des lacunes [139] .<br />
Moins de 10 % donnent lieu à une aphasie. Dans ces cas, il s’agirait<br />
en fait d’infarctus emboliques, comme semblent l’attester la présence<br />
fréquente d’une source embolique et les dimensions de la lésion au<br />
scanner, dépassant 15 mm de diamètre.<br />
Les occlusions de la branche corticale supérieure donnent lieu à des<br />
infarctus sus-sylviens. Ces lésions, même si elles intéressent l’aire de<br />
Broca, donnent rarement une aphasie durable. En revanche, lorsque<br />
les lenticulostriées externes naissent de la branche de bifurcation<br />
supérieure, l’infarctus est cortico-sous-cortical. Le tableau est celui<br />
d’une hémiplégie droite à prédominance brachiofaciale, associée à<br />
9
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
des troubles sensitifs de même topographie et à une aphasie de<br />
Broca. Les occlusions de la branche inférieure, épargnant les artères<br />
à destinée rolandique, ne donnent pas d’hémiplégie mais une<br />
aphasie de Wernicke. Celle-ci peut être dissociée, avec des troubles<br />
prédominants de la compréhension orale (ramollissement temporopli<br />
courbe) ou du langage écrit (ramollissement pariéto-pli<br />
courbe) [62] . Les embolies cruoriques, qui rendent compte de 15 à<br />
30 % des infarctus [123] , peuvent donner des aspects sémiologiques<br />
particuliers. Du fait de leur aptitude à se déliter spontanément et à<br />
migrer en aval de l’occlusion initiale, elles sont souvent responsables<br />
de lésions du territoire sylvien postérieur. Un tableau d’aphasie de<br />
Wernicke précédée d’une hémiplégie régressive [125] ou d’aphasie<br />
globale aiguë [178] est particulièrement évocateur. Chez le sujet âgé,<br />
la proportion d’aphasies de Wernicke d’origine vasculaire est plus<br />
élevée que chez le sujet jeune. Classiquement attribué à une<br />
modification de l’organisation fonctionnelle des aires du langage liée<br />
à l’âge, ce fait serait dû, en réalité, à une surreprésentation des<br />
infarctus postérieurs dans cette population [60] .<br />
Artère cérébrale antérieure<br />
Elle vascularise deux structures importantes pour le langage : la tête<br />
du noyau caudé, par sa branche profonde (l’artère de Heubner), et<br />
l’aire motrice supplémentaire. Les infarctus de l’artère cérébrale<br />
antérieure se traduisent typiquement par une hémiplégie à<br />
prédominance crurale, un grasping, souvent des troubles<br />
sphinctériens. Lorsque la lésion est gauche, il s’y associe une aphasie<br />
transcorticale motrice par atteinte de l’aire motrice supplémentaire<br />
ou de la substance blanche sous-jacente [15] , voire une aphasie<br />
transcorticale mixte en cas d’extension postérieure de l’infarctus. La<br />
préservation de la répétition peut aller jusqu’à l’écholalie [153] .En<br />
outre, les infarctus atteignant la partie antérieure du gyrus cingulaire<br />
(territoire de l’artère péricalleuse) donnent un mutisme, qui peut<br />
régresser totalement ou évoluer sous forme d’aphasie transcorticale<br />
motrice.<br />
Artère choroïdienne antérieure<br />
Bien qu’étant la plus petite des branches terminales de la carotide<br />
interne, elle vascularise un territoire d’une grande importance<br />
fonctionnelle : le bras postérieur de la capsule interne (et la pointe<br />
pallidale adjacente). L’infarctus résultant de son occlusion donne<br />
une hémiplégie, pouvant s’associer à une hémianesthésie et à une<br />
hémianopsie classiquement sans aphasie. En fait, l’occlusion de<br />
l’artère choroïdienne antérieure gauche peut donner une aphasie de<br />
type « sous-cortical », avec diminution de la fluence verbale et<br />
difficulté dans le langage élaboré [27] .<br />
Infarctus des territoires de jonction des branches de la carotide<br />
interne gauche<br />
Ils épargnent les aires périsylviennes du langage. Dans 75 % des cas,<br />
ils surviennent en aval d’une occlusion ou d’une sténose serrée de<br />
la carotide interne, associée à un facteur supplémentaire de baisse<br />
de la pression de perfusion : polyglobulie, hypotension,<br />
cardiopathie [16] . Les infarctus de jonction antérieurs donnent une<br />
aphasie transcorticale motrice ou un manque du mot isolé. Dans les<br />
accidents de jonction postérieurs, l’aphasie est le plus souvent<br />
transcorticale sensorielle, parfois de type Wernicke avec des troubles<br />
de la répétition et un jargon. L’aphasie transcorticale mixte aiguë est<br />
rare (1/300 accidents vasculaires cérébraux [AVC]) mais hautement<br />
évocatrice d’une occlusion carotidienne [17] .<br />
Artère cérébrale postérieure<br />
L’infarctus du territoire superficiel (cortex occipital et temporal<br />
inférieur) de l’artère cérébrale postérieure gauche peut donner une<br />
aphasie transcorticale sensorielle aiguë. L’évolution se fait vers la<br />
régression en moins de 3 mois, avec parfois persistance d’une<br />
anomie.<br />
Le territoire profond inclut une partie du mésencéphale et le<br />
thalamus. À l’exception des lacunes du noyau ventro-postéro-latéral<br />
responsables du syndrome de Déjerine et Roussy, tous les types<br />
10<br />
d’infarctus thalamique peuvent causer une aphasie, y compris<br />
parfois les lésions droites au début. L’aphasie est constante au cours<br />
des infarctus tubérothalamiques gauches, fréquente dans les<br />
infarctus paramédians, mais le pulvinar peut aussi être intéressé.<br />
Devant une aphasie aiguë d’allure vasculaire, la topographie<br />
thalamique de l’accident peut être suggérée par l’association de<br />
troubles de la vigilance, de la mémoire ou du comportement, plus<br />
inhabituels dans les accidents carotidiens.<br />
Infarctus sous-corticaux [79]<br />
La moitié des infarctus sous-corticaux de l’hémisphère gauche<br />
supérieurs à 15 mm de diamètre sont responsables d’aphasie.<br />
Contrairement aux lacunes, ces infarctus sont le plus souvent (deux<br />
cas sur trois) de mécanisme embolique, et la présence de signes<br />
« corticaux » tels que l’aphasie est un des principaux arguments<br />
cliniques du diagnostic différentiel.<br />
¶ <strong>Aphasie</strong>s transitoires<br />
Plus d’un tiers des accidents ischémiques transitoires (AIT)<br />
comportent un trouble du langage [100] , mais toutes les aphasies<br />
transitoires ne correspondent pas à des AIT. Le principal diagnostic<br />
différentiel est l’aura migraineuse. La confusion est d’autant plus<br />
facile qu’une céphalée peut accompagner ou précéder un AIT dans<br />
30 % des cas [109] , et que d’authentiques migraines peuvent se limiter<br />
à l’aura, celle-ci comportant un trouble du langage dans 16 % des<br />
cas [45] . En fait, le déroulement des symptômes permet de reconnaître<br />
l’aura migraineuse. Les symptômes s’installent progressivement, en<br />
plusieurs minutes (contre moins de 2 minutes dans un AIT), et<br />
comportent presque toujours des prodromes visuels [45] . L’aphasie<br />
transitoire peut aussi correspondre à un phénomène critique (voir<br />
« Épilepsie et aphasie »). Enfin, elle peut révéler un hématome sousdural<br />
[130] , une tumeur ou une hypoglycémie.<br />
¶ Accidents vasculaires cérébraux hémorragiques<br />
Les hémorragies représentent 18 % de l’ensemble des AVC [124] . Les<br />
hématomes profonds de l’hypertension atteignent soit les noyaux<br />
gris, soit le thalamus, donnant des tableaux aphasiques en rapport<br />
avec la localisation [26] . Les hématomes lobaires frontaux et<br />
temporopariétaux donnent respectivement une aphasie dynamique<br />
ou une aphasie de Wernicke. Sous réserve des complications<br />
précoces liées à l’effet de masse, le pronostic fonctionnel de l’aphasie<br />
après hématome intracérébral est nettement meilleur que celui des<br />
infarctus.<br />
La survenue d’une aphasie au cours d’une hémorragie méningée<br />
oriente vers le diagnostic d’anévrisme sylvien gauche. Le trouble du<br />
langage peut être dû à l’épanchement sanguin dans la vallée<br />
sylvienne, ou bien à un infarctus sylvien compliquant un spasme<br />
artériel. Il faut signaler la possibilité d’aphasies transitoires en<br />
rapport avec des malformations artérielles ou artérioveineuses<br />
n’ayant pas saigné, soit par migration embolique à partir d’un<br />
anévrisme partiellement thrombosé, soit par hémodétournement lors<br />
d’une fistule artérioveineuse à haut débit.<br />
Enfin, les thromboses veineuses corticales peuvent, lorsqu’elles<br />
affectent l’hémisphère gauche, donner une aphasie associée à<br />
d’autres signes cliniques (épilepsie, fièvre, infarctus<br />
hémorragique) [83] .<br />
TUMEURS<br />
Les tumeurs malignes sont les plus génératrices d’aphasie (gliomes,<br />
métastases, lymphomes). Chez le sujet âgé (> 65 ans), l’aphasie est,<br />
avec la céphalée et la confusion mentale, l’un des trois principaux<br />
symptômes révélateurs des tumeurs cérébrales [111] . Elle est le plus<br />
souvent progressive sur 2à3semaines, mais elle peut aussi être<br />
soudaine ou paroxystique. Le trouble du langage le plus fréquent<br />
est le manque du mot. Sa valeur localisatrice n’est pas absolue,<br />
l’aphasie anomique pouvant être en rapport avec une hypertension<br />
intracrânienne, même en l’absence de lésion focale des aires du
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
langage. En cas de tumeur hémisphérique gauche, l’anomie évolue<br />
vers une aphasie plus spécifique : aphasie dynamique au cours des<br />
tumeurs frontales, aphasie de Wernicke dans les tumeurs temporales<br />
ou temporopariétales. L’aphasie de Broca et l’aphasie de conduction<br />
ne sont jamais observées (Lecours et Lhermitte, 1979 [102] ), sauf<br />
circonstances exceptionnelles : une aphasie de Broca attribuée à un<br />
oligodendrogliome est survenue dans le contexte particulier d’une<br />
récidive postchirurgicale [33] .<br />
APHASIES DE CAUSE INFECTIEUSE ET INFLAMMATOIRE<br />
– L’abcès temporal gauche est une cause rare, mais importante à<br />
connaître, d’aphasie. Il faut l’évoquer en présence d’une aphasie<br />
rapidement progressive avec des céphalées. La fièvre est inconstante.<br />
Les agents pouvant être responsables d’aphasie sont trop nombreux<br />
pour pouvoir être énumérés dans le cadre de cet article, mais les<br />
étiologies infectieuses ou parasitaires doivent figurer<br />
systématiquement au rang des diagnostics possibles en cas de lésion<br />
intracrânienne responsable d’aphasie.<br />
– L’aphasie représente 12 % des complications neurologiques du<br />
sida [108] . Elle peut être causée par tous les types de lésions<br />
cérébrales : infections (encéphalites virales, toxoplasmose, mycoses),<br />
lymphomes, accidents vasculaires. L’aphasie est minime au cours<br />
de l’encéphalite à virus d’immunodéficience humaine (VIH),<br />
marquée seulement par une baisse de la fluidité verbale [134] .<br />
– L’encéphalite herpétique, qui comporte une aphasie dans 75 % des<br />
cas, est une considération diagnostique majeure en cas d’aphasie<br />
associée à une fièvre et à des crises d’épilepsie.<br />
– L’aphasie est exceptionnelle dans la sclérose en plaques, de l’ordre<br />
de 1 % des cas [85] . Elle survient volontiers dans un tableau évocateur<br />
de tumeur [154] et s’accompagne fréquemment d’une épilepsie<br />
focale [138] . Elle peut prendre la forme d’une aphasie de conduction [6] .<br />
La dysarthrie paroxystique, évoluant par accès de 15 à 20 secondes<br />
répétés plusieurs fois dans la même journée et souvent associés à<br />
une ataxie, est pathognomonique de cette affection [54] .<br />
– Une aphasie peut également survenir au cours d’affections<br />
inflammatoires générales à détermination cérébrale, par<br />
l’intermédiaire d’une vascularite, de troubles de la coagulation ou<br />
de lésions démyélinisantes spécifiques (neurolupus, syndrome des<br />
antiphospholipides, syndrome de Gougerot-Sjögren, angiopathie<br />
cérébrale gigantocellulaire, thyroïdite de Hashimoto).<br />
APHASIE ET ÉPILEPSIE<br />
(EN DEHORS DU SYNDROME DE LANDAU-KLEFFNER)<br />
Les troubles de la parole survenant au cours des crises sont de trois<br />
catégories : vocalisations indifférenciées (bruits continus ou<br />
discontinus, à type de cris, grognements, sifflements, râles),<br />
lambeaux de langage normal (mots ou phrases identifiables)<br />
stéréotypés ou non, ou langage anormal : arrêt de la parole,<br />
dysarthrie, aphasie, ou langage « indifférencié ». Une aphasie de<br />
type variable peut également s’observer dans la période postcritique.<br />
La suspension de la parole peut survenir lors d’absences de type<br />
« petit mal » ou de crises partielles. Associée à des vocalisations<br />
élémentaires ou à des activités de langage répétitives (compter), elle<br />
évoque des crises de l’aire motrice supplémentaire. L’aphasie<br />
postcritique et les crises aphasiques évoquent un foyer épileptogène<br />
temporal gauche. Les crises comportant des lambeaux de langage<br />
normal proviennent du lobe temporal droit. Le déroulement des<br />
crises aphasiques lui-même n’est pas aléatoire. Kanemoto et Janz [86]<br />
ont étudié le déroulement de l’aura épileptique chez 143 patients<br />
faisant des crises partielles complexes dont 24 avaient des crises<br />
aphasiques. Dans tous les cas, l’aphasie survenait en fin d’aura<br />
précédée le plus souvent de sensations de déjà vu ou de déjà vécu<br />
ou de troubles du cours de la pensée (accélération de la pensée,<br />
pensée forcée), elles-mêmes précédées de sensations plus<br />
élémentaires (malaise épigastrique, hallucinations gustatives). Le<br />
type d’aphasie varie en fonction du phénomène qui l’a précédé. Les<br />
troubles de la compréhension prédominent lorsque l’aphasie est<br />
précédée d’un trouble du cours de la pensée, les paraphasies sont<br />
plus souvent isolées quand l’aphasie fait suite à une sensation de<br />
déjà vu. Le déroulement de ces phénomènes reflète la propagation<br />
des décharges épileptiques au sein du système limbique suivant des<br />
circuits bien définis.<br />
Il convient enfin de mentionner la possibilité d’états de mal partiels<br />
aphasiques, pouvant réaliser une aphasie isolée durant plusieurs<br />
heures [156, 174] .<br />
APHASIES POSTTRAUMATIQUES<br />
Les aphasies dues à des plaies craniocérébrales ne diffèrent des<br />
aphasies vasculaires que par la constance des lésions corticales. En<br />
revanche, les aphasies après des traumatismes crâniens fermés (TCF)<br />
constituent une catégorie à part. Dans ce cas, les lésions sont des<br />
contusions liées à la brusque décélération du crâne et au mouvement<br />
relatif de la masse cérébrale à l’intérieur de celui-ci. Les pôles<br />
frontaux, ainsi que les pôles et la convexité temporale en sont le<br />
siège préférentiel. Des hématomes extracérébraux ou plus rarement<br />
intracérébraux peuvent survenir, se comportant comme des<br />
processus expansifs.<br />
L’incidence de l’aphasie après un TCF varie selon la gravité de celuici.<br />
De l’ordre de 2 % sur un ensemble de TCF « tout-venant » [73] , elle<br />
atteint 30 % si l’on ne considère que les TCF avec coma, et 46 %<br />
pour les TCF avec coma de plus de 24 heures [107] . L’aphasie la plus<br />
fréquente est l’aphasie anomique. Le 2e type est l’aphasie de<br />
Wernicke. L’aphasie globale est plus rare. L’aphasie de Broca semble<br />
exceptionnelle [182] . La suspension initiale complète de l’expression<br />
orale, plus fréquente chez l’enfant que chez l’adulte, est souvent<br />
associée à un hématome des noyaux gris. Son pronostic est<br />
favorable.<br />
La qualité de la récupération dépend de la gravité initiale de<br />
l’aphasie. L’anomie est la séquelle la plus fréquente, mais il peut<br />
persister une aphasie de Wernicke définitive. Il faut insister sur la<br />
fréquence des troubles résiduels du langage élaboré et en particulier<br />
du discours, qui sont à l’origine, malgré une bonne restauration des<br />
capacités linguistiques élémentaires (dénomination, compréhension,<br />
répétition), de troubles durables de la communication susceptibles<br />
de compromettre la réinsertion socioprofessionnelle.<br />
¶ Maladie d’Alzheimer<br />
DÉMENCES<br />
Les troubles du langage sont présents dans un tiers des cas dès le<br />
début de la maladie [43] , mais cette proportion pourrait être plus<br />
élevée si on y inclut les cas d’aphasie progressive qui se révèlent<br />
être des maladies d’Alzheimer [66] . Les troubles de la compréhension<br />
verbale et l’anomie sont d’aggravation plus rapide dans les formes<br />
à début précoce que dans les formes à début tardif [82] .<br />
Les troubles du langage oral évoluent en trois stades (Huff, 1990 [55] ).<br />
Le premier est caractérisé par une baisse de la fluence verbale et un<br />
manque du mot accompagné de paraphasies sémantiques. Ces<br />
perturbations se rapprochent du tableau d’aphasie amnésique. Le<br />
deuxième stade est marqué par une accentuation de ces symptômes<br />
(manque du mot, circonlocutions, persévérations, paraphasies<br />
sémantiques et verbales, néologismes) et l’apparition de troubles de<br />
la compréhension verbale, mais la répétition reste préservée. Les<br />
troubles lexicosémantiques contrastent avec une relative intégrité de<br />
la syntaxe et de la phonologie. Le tableau se rapproche alors de<br />
l’aphasie transcorticale sensorielle. Au troisième stade, toutes les<br />
capacités linguistiques sont affectées, comme dans une aphasie<br />
globale, mais le respect de certaines capacités de répétition peut<br />
laisser persister des phénomènes d’écholalie. Cette règle générale<br />
connaît des exceptions, avec par exemple la survenue précoce de<br />
troubles phonémiques et phonétiques corrélés à une prédominance<br />
périsylvienne gauche inhabituelle de l’atrophie corticale [34] .<br />
Les troubles de l’écriture peuvent aussi être décrits en trois stades<br />
évolutifs (Platel et al, 1991 [55] ). Le premier comporte des erreurs dites<br />
11
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
de « régularisation » : erreurs phonologiquement plausibles à<br />
l’écriture sous dictée de mots irréguliers (exemple : femme → fame)<br />
(Rapcsak et al, 1989 [55] ). Le deuxième est caractérisé par une<br />
prépondérance d’erreurs non phonologiquement plausibles touchant<br />
les mots irréguliers et les non-mots. Ces erreurs résultent de<br />
l’atteinte de processus centraux, mais également de processus plus<br />
périphériques tels que le buffer graphémique et le système de<br />
conversion allographique. Le troisième stade est dominé par des<br />
troubles de la réalisation graphique s’apparentant à une agraphie<br />
apraxique [56] .<br />
Le trouble de la lecture le plus caractéristique de la maladie<br />
d’Alzheimer est, dans un premier temps, celui de « dyslexie de<br />
surface » (utilisation préférentielle de la voie lexicale). Lorsque la<br />
compréhension écrite est en même temps altérée, ce tableau évoque<br />
une stratégie de lecture par voie lexicale non sémantique (3 e voie).<br />
Ultérieurement apparaît une lecture du type alexie lexicale<br />
correspondant au recours exclusif à la voie phonologique, avec des<br />
erreurs de régularisation des mots irréguliers.<br />
Cette description schématique des troubles du langage dans la<br />
maladie d’Alzheimer montre l’importance des perturbations<br />
lexicosémantiques. En utilisant conjointement des épreuves<br />
d’écriture sous dictée de mots réguliers, irréguliers et de logatomes,<br />
et des tâches de décision à partir de mots et d’images faisant appel<br />
à un traitement phonologique, lexical ou sémantique, Lambert et al<br />
(1991) [55] ont montré que la perte ou la difficulté d’accès aux<br />
représentations orthographiques des mots est indépendante des<br />
capacités de traitement lexical et sémantique impliquées dans<br />
d’autres modalités. Ainsi, le trouble lexicosémantique de l’écriture<br />
dans la maladie d’Alzheimer serait spécifique à cette modalité. Il<br />
semble en exister deux grands types. Le premier est un déficit<br />
d’accès au lexique s’apparentant au manque du mot observé chez<br />
les aphasiques (Grober et al, 1985 [55] ). Ce déficit d’accès explique la<br />
variabilité des performances pour un item donné et le fait que les<br />
patients soient aidés par des indices lors de la dénomination telle<br />
que la clef phonémique. Le second type de perturbations réalise une<br />
« perte du concept » due à une atteinte de la mémoire sémantique.<br />
Celle-ci toucherait plus spécifiquement l’organisation des attributs<br />
spécifiques qui permettent de distinguer des concepts lexicaux<br />
différents au sein de catégories sémantiques larges (Warrington,<br />
1975 [55] ). Les informations concernant ces dernières seraient au<br />
contraire préservées. Il en résulte en dénomination des réponses<br />
superordonnées ou évoquant des items appartenant à la même<br />
catégorie sémantique. La constance des erreurs lors d’essais<br />
successifs ou quel que soit le mode d’entrée lexical vient supporter<br />
l’hypothèse d’une perte des informations lexicosémantiques. Ce type<br />
de trouble, lorsqu’il survient isolément, correspond à la démence<br />
sémantique (voir infra).<br />
¶ Démence vasculaire<br />
Dans la démence multi-infarctus, les troubles du langage varient<br />
naturellement selon la topographie des lésions ischémiques.<br />
L’existence d’une aphasie dans le tableau clinique d’un accident<br />
vasculaire cérébral est un facteur de probabilité accrue d’évolution<br />
vers une démence vasculaire [32] .<br />
Lorsque les lésions respectent les aires du langage (maladie de<br />
Binswanger, états lacunaires) les troubles consistent en une réduction<br />
de la complexité des phrases et les perturbations lexicosémantiques<br />
sont moins marquées que dans la maladie d’Alzheimer [55] . La<br />
dénomination est préservée et la baisse de la fluidité verbale est à<br />
rapprocher d’un ralentissement plus global. Les troubles de la parole<br />
sont fréquents, s’intégrant dans un syndrome pseudobulbaire.<br />
¶ Démences « sous-corticales »<br />
Les altérations du langage dépendent avant tout des troubles<br />
moteurs ou cognitifs associés, en particulier les troubles de la parole,<br />
le ralentissement idéomoteur et les éléments frontaux. Ils expliquent<br />
la baisse de la fluence verbale, qui est particulièrement nette dans la<br />
paralysie supranucléaire progressive. Dans la chorée de Huntington<br />
apparaissent successivement une perte de l’initiative verbale, un<br />
12<br />
raccourcissement et une simplification de la structure syntaxique des<br />
phrases, des troubles de l’écriture liés à l’incoordination motrice, des<br />
erreurs de type visuel en dénomination [144] , enfin des troubles de la<br />
compréhension d’intensité proportionnelle à la détérioration<br />
intellectuelle.<br />
La démence à corps de Lewy peut comporter des troubles cognitifs<br />
de type « cortical » analogues à ceux de la maladie d’Alzheimer, y<br />
compris une aphasie [23] . La différenciation clinique repose sur<br />
l’intensité plus nette du syndrome « fronto-sous-cortical » associé,<br />
sur les fluctuations spontanées et sur les signes extrapyramidaux.<br />
En dehors de toute démence, la maladie de Parkinson peut donner<br />
des « troubles cognitifs mineurs » [69] , comportant une baisse de la<br />
fluence verbale qui, lorsqu’elle est associée à des troubles de<br />
l’articulation et de la voix, amoindrit les capacités de<br />
communication. Une véritable aphasie au cours d’un syndrome<br />
extrapyramidal doit faire évoquer une démence à corps de Lewy, ou<br />
toute autre étiologie. Après chirurgie fonctionnelle, les aphasies<br />
transitoires succèdent plus volontiers aux interventions pallidales<br />
que sous-thalamiques.<br />
¶ Démences frontotemporales<br />
Elles comportent un appauvrissement progressif du contenu<br />
informatif du langage avec des persévérations idéiques et formelles,<br />
contrastant avec une conservation des aspects phonémiques et<br />
syntaxiques. La dégénérescence corticobasale peut débuter comme<br />
une aphasie progressive non fluente si elle affecte de façon<br />
prédominante l’hémisphère gauche. Certaines aphasies progressives<br />
peuvent aussi marquer le stade initial d’une sclérose latérale<br />
amyotrophique (SLA) avec démence, voire d’une maladie de<br />
Creutzfeldt-Jakob.<br />
¶ Atrophies corticales focales [46]<br />
Ce sont des affections dégénératives se manifestant par un trouble<br />
cognitif d’évolution progressive, longtemps isolé, mais pouvant finir<br />
par un état démentiel, en rapport avec une atrophie cérébrale<br />
localisée. L’histologie est variable (lésions de maladie de Pick, de<br />
maladie d’Alzheimer ou non spécifiques). Les atrophies focales<br />
s’intègrent à un ensemble plus vaste (« complexe de Pick ») qui<br />
inclut en outre les démences frontotemporales et la dégénérescence<br />
corticobasale [87] et dont la caractéristique commune est l’existence<br />
d’anomalies de la protéine tau. Cliniquement, les atrophies focales<br />
progressives peuvent prendre la forme d’une apraxie, d’une<br />
amnésie, de troubles visuels ou d’une aphasie, qui seule retiendra<br />
notre attention ici. L’aphasie progressive [186] comprend trois aspects<br />
cliniques :<br />
– le premier fut décrit par Mesulam en 1982 : aphasie non fluente,<br />
avec au premier plan un manque du mot, puis dans un second<br />
temps des troubles phonémiques et syntaxiques, sans troubles<br />
lexicosémantiques, une compréhension normale et une conservation<br />
prolongée de l’autonomie ;<br />
– le deuxième, également appelé anarthrie progressive [20] , est aussi<br />
une aphasie progressive non fluente, mais avec un syndrome de<br />
désintégration phonétique associé à un agrammatisme et à une<br />
apraxie buccofaciale. Le langage écrit est longtemps préservé. Des<br />
troubles frontaux apparaissent ultérieurement ;<br />
– le troisième, qui est la forme fluente de l’aphasie progressive, est<br />
également appelé « démence sémantique » [78] et associe une anomie,<br />
des troubles de la compréhension verbale, une dyslexie, une<br />
agraphie de surface et une réduction de la fluence catégorielle,<br />
contrastant avec une préservation de la compréhension en langage<br />
conversationnel, de la syntaxe, de la phonologie, des capacités non<br />
verbales et de la mémoire épisodique. Ce trouble est proche de<br />
l’aphasie transcorticale sensorielle de la maladie d’Alzheimer, mais<br />
dans ce dernier cas, la mémoire épisodique est toujours affectée.<br />
Dans la démence sémantique, la perte des concepts est non<br />
seulement longtemps isolée, mais sélective, épargnant une série de<br />
connaissances pragmatiques nécessaires à la vie quotidienne d’où<br />
une conservation parfois surprenante de l’autonomie. La
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
dissociation est telle que certains de ces patients ont pu être pris<br />
pour des hystériques au début de leur maladie.<br />
LANGAGE DES SCHIZOPHRÈNES<br />
Le délire schizophrénique se traduit par une incohérence verbale<br />
marquée par des néologismes, un discours abstrait, une abondance<br />
de formules énigmatiques, des métaphores obscures, associée à des<br />
troubles du débit verbal [59] .<br />
Deux formes particulières de schizophasie méritent d’être<br />
individualisées. Dans la glossomanie, le discours est fait de mots du<br />
lexique, mais choisis non en fonction d’une finalité de<br />
communication, mais de caractéristiques intrinsèques sans valeur<br />
signifiante : glossomanie formelle (tous les mots, par exemple,<br />
commencent par la même lettre), glossomanie sémantique<br />
(utilisation systématique de mots appartenant tous au même champ<br />
sémantique). La rareté des paraphasies, la disponibilité lexicale, le<br />
maniement correct de la syntaxe, et parfois, l’analyse faite par le<br />
sujet lui-même de ses productions verbales, distinguent ce trouble<br />
d’une véritable aphasie. Dans la glossolalie, le discours est un<br />
monologue néologique incompréhensible, semblable à une nouvelle<br />
langue inventée par le sujet, caractérisée par la surreprésentation<br />
d’un petit nombre de phonèmes, un débit accéléré, une modification<br />
des accents et de la mélodie. La glossomanie et la glossolalie sont<br />
des phénomènes temporaires, n’affectant que quelques patients [104] .<br />
Plus généralement, on insiste actuellement sur les altérations du<br />
langage liés aux troubles de la pensée formelle, présents chez un<br />
grand nombre de patients [149] . Les tests sémantiques révèlent une<br />
désinhibition des associations sémantiques, en d’autres termes une<br />
« hyperactivation » entre les concepts reliés sémantiquement. Cette<br />
désinhibition des associations peut se traduire par des effets<br />
d’hyperamorçage sémantique [128] .<br />
<strong>Aphasie</strong> et neuropsychologie cognitive<br />
Depuis les années 1980, la psychologie cognitive a considérablement<br />
influencé la pratique clinique et thérapeutique de la<br />
neuropsychologie. La psychologie cognitive repose sur la notion<br />
fondamentale que toute fonction peut être décomposée en un certain<br />
nombre de processus autonomes. Son objectif est d’élucider<br />
l’architecture de ces processus et de décrire les liens qu’ils<br />
entretiennent entre eux. Pour y parvenir, elle cherche à identifier les<br />
diverses opérations mentales requises lors de l’accomplissement<br />
d’une tâche (enfoncer un clou par exemple). Ces opérations mentales<br />
sont considérées comme autant de processus de traitement des<br />
informations (celles-ci correspondant par exemple aux<br />
représentations perceptives et aux représentations d’action dans<br />
l’exemple du clou). Les modèles théoriques utilisés en psychologie<br />
cognitive sont de deux types : les modèles sériels, décrivant les<br />
processus comme des interactions entre différents modules placés à<br />
la suite les uns des autres, et les modèles connexionnistes dans<br />
lesquels le traitement est distribué de façon parallèle entre de<br />
nombreuses unités disposées en couches. Ces derniers (qui sont<br />
d’ailleurs appelés « réseaux de neurones ») ont l’avantage de<br />
présenter une analogie de structure avec le système nerveux, et de<br />
se prêter aux analyses et aux simulations de dysfonctionnements<br />
conçues par les théoriciens de l’intelligence artificielle [105] .<br />
L’objectif de la neuropsychologie cognitive est de mettre à l’épreuve<br />
de la pathologie ces modèles de traitement de l’information élaborés<br />
par la psychologie cognitive et issus de l’étude de sujets sains. La<br />
mise en évidence d’une double dissociation (perturbation d’un<br />
processus A + préservation d’un processus B chez un patient et<br />
déficit inverse chez un autre) permet en principe d’établir<br />
l’indépendance fonctionnelle (« modularité ») entre les processus A<br />
et B. Le langage est ainsi représenté comme un système lexical qui<br />
peut rendre compte des différentes opérations mentales effectuées<br />
par un sujet pour accomplir une activité linguistique. Les modèles<br />
varient également dans leur degré de spécification en fonction de la<br />
fenêtre d’analyse : traitement du mot isolé, traitement de la phrase,<br />
traitement du discours.<br />
Analyse<br />
auditive<br />
Conversion<br />
accousticophonologique<br />
Lexique<br />
phonologique<br />
d'entrée<br />
Mémoire tampon<br />
phonologique<br />
Lexique<br />
phonologique<br />
de sortie<br />
Système de<br />
descriptions<br />
structurales<br />
Système<br />
sémantique<br />
Conversion<br />
phonème-graphème<br />
Lexique<br />
orthographique<br />
d'entrée<br />
Lexique<br />
orthographique<br />
de sortie<br />
Analyse<br />
visuelle<br />
Conversion<br />
graphèmephonème<br />
Mémoire tampon<br />
graphémique<br />
Expression orale<br />
Écriture<br />
2 Modèle simplifié des mécanismes du langage. Les voies lexicales sont en traits<br />
pleins et les voies phonologiques en pointillés (d’après [76, 114] ).<br />
En neuropsychologie, et particulièrement dans le domaine de<br />
l’aphasie, la taxonomie clinique et la neuropsychologie cognitive<br />
sont complémentaires car elles servent, encore aujourd’hui, des<br />
objectifs différents. Indispensable à la connaissance des maladies, la<br />
référence anatomique n’est pas nécessaire à la compréhension des<br />
mécanismes mentaux de la cognition normale, et les<br />
correspondances entre les syndromes décrits par ces deux approches<br />
sont rares. On peut espérer que les correspondances déjà entrevues<br />
entre la nouvelle sémiologie cognitive et les lésions cérébrales grâce<br />
à l’imagerie fonctionnelle deviendront de plus en plus précises et<br />
contribueront à un profond renouvellement de la neuropsychologie<br />
clinique.<br />
Nous restreindrons ici notre propos au traitement du mot isolé en<br />
production orale (dénomination et répétition) et en compréhension.<br />
Nous exposerons dans un premier temps l’architecture générale du<br />
système lexical suivant un modèle cognitif sériel. Nous décrirons<br />
ensuite les étapes de traitement et les syndromes cognitifs observés<br />
en pathologie pour la dénomination, la répétition et la<br />
compréhension. Enfin, nous donnerons un exemple de l’approche<br />
connexionniste avec la compréhension orale. Le langage écrit<br />
(lecture et écriture) sera abordé dans la section suivante.<br />
ARCHITECTURE DU SYSTÈME LEXICAL (fig 2)<br />
La modélisation de la production et de la reconnaissance des mots<br />
isolés constitue le système lexical. La description de ses principales<br />
composantes s’appuiera de façon prioritaire sur le modèle de<br />
Patterson, 1986 [141] ou sur celui de l’équipe de Caramazza (Rapp et<br />
Caramazza, 1991 [146] ; Hillis et Caramazza, 1994 [76] ; voir également<br />
Segui et Ferrand, 2000 [158] ; Seron et Van der Linden 2000b [162] pour<br />
revues). Le système lexical comporte les composantes suivantes.<br />
¶ Représentations de différentes natures<br />
(sémantique, phonologique, orthographique, perceptive)<br />
Elles sont assimilées à des connaissances stockées à long terme et<br />
schématisées sous la forme de systèmes ou de lexiques). La plupart<br />
des modèles distinguent les lexiques recrutés dans la reconnaissance<br />
de ceux impliqués dans la production, mais cette différenciation<br />
lexique d’entrée versus lexique de sortie est parfois controversée [173]<br />
13
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
(Valdois et de Partz [176] pour revue). Les lexiques d’entrée assurent<br />
la reconnaissance d’une forme linguistique indépendamment de sa<br />
signification et permettent d’effectuer une tâche de décision lexicale<br />
qui consiste à distinguer les mots connus (déjà inscrits dans le<br />
lexique) de non-mots : lexique phonologique d’entrée pour les mots<br />
entendus et lexique orthographique d’entrée pour les mots vus. Les<br />
lexiques de sortie sont les lieux des récupération des formes cibles :<br />
lexique phonologique de sortie pour la production orale (évocation<br />
spontanée, dénomination d’images, lecture à haute voix, répétition)<br />
et lexique orthographique pour la production écrite (évocation<br />
spontanée, dénomination écrite, épellation orale).<br />
¶ Mécanismes de conversion<br />
Ils mettent en correspondance et transforment des informations<br />
acousticophonologiques en informations phonologiques (répétition),<br />
des informations acousticophonologiques en informations<br />
graphémiques (correspondance phonème-graphème en écriture sous<br />
dictée) ou des informations graphémiques en informations<br />
phonologiques (correspondance graphème-phonème en lecture à<br />
haute voix). Ces mécanismes opèrent sur des unités sous-lexicales<br />
(phonèmes, graphèmes, syllabes).<br />
¶ Mécanismes de mémoire tampon (« buffers »)<br />
Ils assurent le maintien à court terme d’informations. phonologiques<br />
(mémoire tampon phonologique) ou d’informations graphémiques<br />
(mémoire tampon graphémique).<br />
¶ Composants plus « périphériques »<br />
Ils sont également décrits : mécanismes perceptifs visuels et auditifs<br />
ainsi que mécanismes impliqués dans la production orale (activation<br />
des programmes articulatoires et exécution neuromusculaire) et dans<br />
la production écrite (conversion allographique, activation des<br />
programmes moteurs graphiques, exécution neuromusculaire).<br />
¶ Composants moins spécifiques<br />
Outre ces processus exclusivement verbaux, les modèles font parfois<br />
figurer des composants moins spécifiquement linguistiques. Il s’agit<br />
par exemple du système de représentations structurales visuelles qui<br />
permet la reconnaissance d’un objet en tant qu’objet familier, recruté<br />
lors de l’identification d’images.<br />
Cette architecture rend compte également des connexions entre les<br />
différents mécanismes, qui sont matérialisées par des flèches. Aussi<br />
est-il possible de suivre sur le modèle les différentes étapes du<br />
cheminement cognitif accompli lors de toute tâche verbale<br />
(répétition, dénomination, évocation lexicale, compréhension orale<br />
ou écrite, lecture à haute voix, copie…). Ce type de modélisation<br />
suppose que le langage fait appel à deux types de traitement : un<br />
traitement lexical avec activation des représentations lexicales quand<br />
il s’agit de mots connus et un traitement qui procède par analyse et<br />
mise en correspondance d’unités sous-lexicales pour des non-mots<br />
ou des mots nouveaux. Un des postulats fondamentaux des modèles<br />
cognitifs sériels est que le traitement de l’information s’effectue de<br />
façon unidirectionnelle : le passage à une étape suivante suppose<br />
que le traitement de l’étape précédente soit terminé. Les modèles<br />
dits en « cascade » introduisent la notion d’un recouvrement<br />
temporel partiel entre deux étapes de traitement.<br />
¶ Étapes<br />
DÉNOMINATION<br />
Six étapes peuvent être distinguées au cours de la dénomination<br />
d’images ou d’objets :<br />
– analyse visuelle (incluant l’analyse de la forme, de la couleur, le<br />
groupement perceptif) ;<br />
– activation de la représentation structurale perceptive visuelle (relative<br />
à la connaissance de la forme d’un objet et permettant l’identification<br />
14<br />
du percept comme objet réel). Ces deux premières étapes, qui<br />
constituent des traitements non linguistiques, ne seront pas<br />
développées dans cette section (voir Boucart, Hénaff et Belin pour<br />
information [19] );<br />
– activation des propriétés sémantiques dans le système sémantique ;<br />
– activation de la représentation phonologique adéquate dans le<br />
lexique phonologique de sortie ;<br />
– maintien de cette représentation dans la mémoire tampon<br />
phonologique ;<br />
– activation des programmes articulatoires dans des systèmes de<br />
programmation et d’exécution articulatoire liées à la commande et à<br />
la coordination neuromusculaire des mouvements<br />
bucco-pharyngo-laryngés.<br />
Certains cas de la pathologie, qui restent cependant exceptionnels,<br />
suggèrent une alternative à cette voie lexicosémantique classique<br />
avec la possibilité de dénommer par une voie directe reliant le<br />
système des représentations structurales au lexique phonologique<br />
de sortie : il s’agit de patients qui dénomment correctement malgré<br />
des performances médiocres à des tâches de compréhension<br />
concernant les mêmes items [94] .<br />
Le lexique sémantique ou système sémantique est impliqué dans<br />
l’extraction du sens des mots et dans la formulation conceptuelle. Il<br />
concerne les propriétés sémantiques qui lient les concepts aux mots,<br />
c’est-à-dire leur appartenance catégorielle et leurs attributs<br />
spécifiques fonctionnels et physiques (exemple : « cerise » = [végétal]<br />
+ [fruit] + [rouge] + [sucré] + [lisse]). Chaque concept est donc<br />
représenté sous la forme d’un faisceau de traits sémantiques<br />
pouvant être communs au moins partiellement à un autre concept.<br />
Par exemple, les traits [végétal] + [fruit] + [sucré] sont partagés par<br />
la cerise et la framboise. Ce type d’organisation postule par ailleurs<br />
que l’activation d’un concept va se diffuser aux concepts voisins.<br />
Dans les conceptions les plus couramment acceptées en<br />
neuropsychologie, le système sémantique serait une étape de<br />
traitement commune à différents types de stimuli (mots ou objets).<br />
De plus, il est considéré comme une composante centrale commune<br />
aux différentes modalités d’entrée et de sortie de l’information (mot<br />
entendu ou lu, production orale ou écrite). Cette théorie amodale<br />
(soutenue par Caramazza et al ou Humphreys et al [80, 81] ) s’oppose à<br />
d’autres propositions (Warrington et Shallice [184] ; Shallice [165] ) qui<br />
envisagent l’existence de systèmes sémantiques spécifiques et<br />
différents pour les objets et les mots (Hannequin [70] pour revue).<br />
Dans le lexique phonologique, les représentations phonologiques<br />
correspondent à la forme sonore abstraite d’une unité lexicale et<br />
contiennent des informations sur l’identité des phonèmes, sur la<br />
structure syllabique et sur l’accent ou « stress » (voir Béland, Peretz,<br />
Baum et Valdois [12] pour une description détaillée des différents<br />
paliers de la représentation phonologique). Bock et Levelt [14] ont<br />
suggéré l’existence d’un niveau lexical intermédiaire entre système<br />
sémantique et lexèmes (représentations phonologiques). Cette étape<br />
des Lemmas coderait l’item lexical cible sur le plan sémantique et sur<br />
le plan de ses propriétés syntaxiques (catégorie grammaticale,<br />
genre). Des arguments allant plutôt à l’encontre de cette distinction<br />
lemmas versus lexèmes ont été exposés par Caramazza [28] . L’accès<br />
aux représentations est décrit en termes d’activation. Chaque<br />
représentation possède un niveau d’activation de base qui va être<br />
modifié par les stimulations. Ainsi, après stimulation, le seuil<br />
d’activation de la représentation se trouve momentanément abaissé<br />
et celle-ci est plus rapidement accessible.<br />
La mémoire tampon phonologique se trouve impliquée dans toute tâche<br />
de production orale, y compris la répétition et la lecture à haute<br />
voix. Le caractère séquentiel de la production orale nécessite la<br />
reconstruction de la représentation phonologique avec la prise en<br />
compte de l’information segmentale (phonèmes) et métrique<br />
(nombre de syllabes, structure de la syllabe et structure accentuelle)<br />
en vue de la récupération du geste articulatoire. En conséquence,<br />
l’information phonologique issue du lexique phonologique doit être<br />
maintenue en mémoire à court terme durant les opérations de<br />
planification [12] .
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
¶ Pathologie<br />
Le dysfonctionnement de chacune de ces étapes de dénomination<br />
orale occasionne des perturbations différentes [50, 51, 76] (voir<br />
Lambert [97] , pour revue). Les dysfonctionnements des deux<br />
premières étapes (analyse visuelle et système de représentation<br />
structurale) donnent lieu à des tableaux d’agnosie visuelle [148] .<br />
Perturbation du système sémantique<br />
Elle engendre des absences de réponse et des erreurs sémantiques.<br />
Le patient a des difficultés dans toutes les tâches nécessitant un<br />
traitement sémantique (dessin d’un objet non dénommé,<br />
associations suivant un lien fonctionnel à partir d’images ou de<br />
mots, questionnaires testant les connaissances sémantiques, et tout<br />
particulièrement les attributs spécifiques). La dénomination écrite et<br />
la dénomination orale donnent lieu aux mêmes erreurs. Suivant les<br />
patients, le déficit peut affecter les représentations sémantiques dans<br />
leur ensemble ou être spécifique de certaines catégories<br />
sémantiques : de nombreuses dissociations ont été rapportées, mais<br />
l’atteinte des objets animés semble être plus fréquente que celle des<br />
objets inanimés. Ce niveau de perturbation peut donc provoquer les<br />
tableaux d’aphasie anomique avec perte du sens des mots et<br />
constitue vraisemblablement la principale cause des perturbations<br />
linguistiques de la démence sémantique. Il est également incriminé<br />
dans des aphasies globales en association à d’autres niveaux de<br />
perturbation. La distinction entre un déficit sémantique central et un<br />
défaut d’accès aux représentations sémantiques a fait l’objet de<br />
nombreux débats. Selon Warrington et Shallice [184] ou Shallice [165] ,la<br />
dégradation des représentations (trouble sémantique central) serait<br />
caractérisée par :<br />
– la constance des erreurs à différents temps d’examen ;<br />
– un effet marqué de la fréquence lexicale ;<br />
– la disparition de l’effet d’amorçage sémantique ;<br />
– de meilleures performances pour le traitement d’informations<br />
superordonnées par rapport aux attributs spécifiques ;<br />
– l’absence d’amélioration par un rythme de présentation plus lent.<br />
Un défaut d’accès (ou état réfractaire) serait caractérisé par un tableau<br />
en miroir du précédent. La pertinence de ces critères a été<br />
vigoureusement contestée (Rapp et Caramazza [147] ), mais reste<br />
soutenue par Warrington et Cipolotti [183] . Dans le cadre théorique<br />
d’un modèle postulant un système sémantique amodal [77] ,<br />
l’hypothèse d’un déficit d’accès aux représentations sémantiques<br />
peut être posée lorsque le traitement sémantique est perturbé à<br />
partir d’une modalité d’entrée, mais conservé à partir des autres<br />
modalités.<br />
Déficit d’accès au lexique phonologique de sortie<br />
Lors d’un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie, la<br />
représentation phonologique est inaccessible et le patient montre des<br />
absences de réponse souvent facilitées par l’ébauche orale, sans<br />
aucune difficulté de compréhension ou de traitement sémantique<br />
concernant les mots non dénommés. Des erreurs sémantiques<br />
peuvent également être observées et sont expliquées de la façon<br />
suivante : lorsque la représentation phonologique de l’item cible<br />
n’est pas disponible, une autre représentation phonologique<br />
partageant des traits sémantiques communs serait activée par<br />
défaut. Des dissociations ont été rapportées : noms propres versus<br />
noms communs ou noms versus verbes. Un déficit d’accès au<br />
lexique phonologique de sortie n’affecte pas (ou peu) la répétition et<br />
la lecture à haute voix [98] . Le mot entendu en vue de sa répétition<br />
apporte une source directe d’activation (lexique phonologique<br />
d’entrée vers le lexique phonologique de sortie). La lecture à haute<br />
voix bénéficie également d’une activation supplémentaire directe à<br />
partir du lexique orthographique d’entrée. De plus, la répétition et<br />
la lecture à haute voix peuvent être réalisées par le biais de stratégies<br />
phonologiques. À ce niveau, un dysfonctionnement n’a pas de<br />
répercussion sur la production écrite et un certain nombre de cas<br />
montrant une dissociation entre la perturbation de la dénomination<br />
orale avec une relative préservation de la dénomination écrite ont<br />
été publiés. Ce défaut d’accès à la forme phonologique des mots est<br />
sans doute présent dans de nombreux types d’aphasie (aphasie<br />
anomique, aphasie de Broca…).<br />
Dégradation des représentations phonologiques elles-mêmes<br />
ou récupération partielle<br />
Elle pourrait se traduire selon Butterworth [22] par la production de<br />
néologismes ou de paraphasies phonémiques. Ces erreurs se<br />
caractériseraient alors par une grande constance d’occurrence<br />
(erreurs identiques observées à différents temps sur les mêmes<br />
items).<br />
Situation de « blocage de réponse » [94]<br />
Elle se réfère à une impossibilité de production du mot alors que le<br />
stimulus a été correctement adressé dans le lexique phonologique<br />
de sortie. Ce cas de figure est illustré par le comportement d’un<br />
patient [74] qui, en cas d’absence de réponse, pouvait décrire le lien<br />
d’homophonie de deux items. Ainsi lors de la présentation de<br />
l’image d’une « fraise » (outil de fraisage) il disait : « je ne peux pas<br />
trouver le mot mais cela a à voir avec un fruit ? »<br />
Perturbation des étapes de planification phonologique<br />
au niveau de la mémoire tampon phonologique<br />
Elle entraîne des paraphasies phonémiques qui surviennent dans<br />
toute tâche de production orale (dénomination, répétition et lecture<br />
à haute voix) de mots et de non-mots. Les erreurs phonologiques<br />
auraient ainsi deux sources (dégradation des représentations dans<br />
le lexique phonologique de sortie et défaut de planification).<br />
Certains travaux ont tenté de différencier ces deux déficits<br />
(Nickels [136] pour revue). Les conduites d’approches successives,<br />
devenant correctes, sont le signe que les représentations<br />
phonologiques ne sont pas dégradées et qu’elles sont utilisées lors<br />
des autocorrections. La possibilité de réaliser correctement des<br />
tâches de jugements de rimes ou d’homophonie reposant sur une<br />
phonologie « silencieuse » est également un argument en faveur de<br />
la préservation des représentations lexicales phonologiques. En<br />
revanche, une réalisation défectueuse ne constitue pas un élément<br />
d’interprétation fiable dans la mesure où la difficulté peut aussi être<br />
liée à une impossibilité à maintenir l’information à court terme en<br />
vue de son traitement. Alors que dans le cas d’une difficulté de<br />
planification, des performances similaires sont attendues aux tâches<br />
de dénomination, de répétition et de lecture à haute voix, la<br />
dénomination devrait être plus perturbée que les autres tâches dans<br />
le cas d’un déficit touchant la représentation phonologique. Par<br />
ailleurs, un effet de longueur est classiquement évoqué pour un<br />
déficit postlexical. Dans la mesure où la mémoire tampon<br />
phonologique est très liée au mécanisme de planification, plus un<br />
item cible est long, plus la demande en maintien à court terme va<br />
être importante et plus le risque d’erreur s’accroît. Ceci est<br />
particulièrement manifeste pour les non-mots. Les mots peuvent être<br />
moins touchés car ils offrent la possibilité de procédures de<br />
rafraîchissement par le biais des représentations phonologiques<br />
(intactes dans ce cas de déficit postlexical). Toutefois, les<br />
propositions de distinction suivant des effets de fréquence (présents<br />
dans un déficit lexical) et de longueur (présents dans un déficit<br />
postlexical) semblent insuffisamment justifiées selon Nickels [136] .<br />
RÉPÉTITION<br />
¶ Étapes<br />
La répétition suppose tout d’abord la mise en jeu de mécanismes<br />
d’analyse acoustique qui traitent le stimulus auditif dans ses<br />
composantes acoustiques et phonétiques. Au-delà de cette étape,<br />
plusieurs possibilités sont envisagées :<br />
– voie lexicosémantique : activation du lexique phonologique d’entrée,<br />
du système sémantique, récupération de la forme phonologique<br />
dans le lexique phonologique de sortie, maintien à court terme et<br />
planification phonologique ;<br />
15
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
– voie lexicale directe : activation du lexique phonologique de sortie<br />
à partir du lexique phonologique d’entrée sans passer par le système<br />
sémantique. Dans ce cas, le patient répète sans comprendre ;<br />
– voie phonologique utilisant un mécanisme de conversion<br />
acousticophonologique. Cette dernière voie a été envisagée pour<br />
rendre compte de la possibilité de répéter les non-mots n’ayant pas<br />
de représentation phonologique stockée. La répétition partage un<br />
certain nombre de mécanismes avec la production orale et la<br />
compréhension orale (voir infra).<br />
¶ Pathologie<br />
Un déficit de l’analyse acoustique retentit sur le traitement des mots et<br />
des non-mots entendus en vue de leur répétition, de leur écriture<br />
sous dictée (avec soit des absences de réponse, soit des substitutions<br />
par des items proches partageant un certain nombre de phonèmes :<br />
cadeau → gâteau, cadeau → râteau) ou de leur compréhension. Ce<br />
déficit est également appelé surdité au son des mots.<br />
Les perturbations des voies lexicales peuvent résulter de différents<br />
niveaux de localisation : lexique phonologique d’entrée, système<br />
sémantique, lexique phonologique de sortie. Dans ce cas, la<br />
répétition de mots et de non-mots serait possible par le biais de la<br />
voie phonologique.<br />
La perturbation de la voie phonologique entraîne un effet de lexicalité<br />
avec une atteinte de la répétition des non-mots n’ayant pas de<br />
représentation stockée, mais une préservation de la répétition des<br />
mots.<br />
Un déficit de la mémoire tampon phonologique altère la répétition de<br />
mots et de non-mots (voir supra).<br />
Le trouble de la répétition est classiquement considéré comme le<br />
noyau sémiologique de l’aphasie de conduction. Celle-ci a été<br />
« revisitée » par Shallice et Warrington [166] (voir aussi Kohn [92] pour<br />
revue), qui en ont distingué deux types. Dans le premier, de type<br />
« répétition », les patients ont des difficultés à répéter des listes de<br />
mots mais non les mots isolés, et ne produisent pas d’erreurs<br />
phonologiques. Shallice et Warrington attribuent ce trouble à un<br />
déficit de mémoire à court terme. Le second, l’aphasie de conduction<br />
de type « reproduction », qui serait la « véritable » aphasie de<br />
conduction, s’applique à des patients qui ont du mal à répéter des<br />
mots isolés. Cette difficulté se traduit par des erreurs phonologiques<br />
et est plus importante pour les mots longs. Elle est observée non<br />
seulement en répétition, mais également en expression orale<br />
spontanée, en dénomination orale ou en lecture à haute voix. Cette<br />
forme peut aussi être associée (mais non due) à un trouble de<br />
mémoire à court terme. L’interprétation cognitive en serait un déficit<br />
affectant la planification des unités phonologiques au niveau de la<br />
mémoire tampon phonologique en vue de leur réalisation<br />
articulatoire. Cette interprétation va dans le sens des études récentes<br />
qui tendent à considérer davantage l’aphasie de conduction comme<br />
le résultat d’un trouble phonologique (paraphasies phonémiques)<br />
plutôt que comme un trouble de la répétition [4, 75] .<br />
Le tableau de dysphasie profonde a pour caractéristiques principales<br />
des troubles de répétition (erreurs sémantiques, effet de concrétude<br />
lors de la répétition de mots et effet de lexicalité – difficultés plus<br />
importantes pour les non-mots). Il montre souvent l’association de<br />
perturbations en production orale (erreurs phonémiques et erreurs<br />
sémantiques), et d’un déficit de la mémoire verbale à court terme.<br />
Du point de vue des modèles cognitifs, la dysphasie profonde<br />
suppose plusieurs déficits associés : déficit d’accès aux informations<br />
sémantiques à partir du lexique phonologique d’entrée, déficit de la<br />
répétition en rapport avec une perturbation de la voie<br />
acousticophonémique et déficit de la mémoire verbale à court terme.<br />
¶ Étapes<br />
COMPRÉHENSION<br />
Selon Ellis, Franklin et Crerar [50] , la compréhension orale repose sur<br />
trois mécanismes :<br />
16<br />
– identification des sons de parole au niveau du système d’analyse<br />
auditive ;<br />
– activation des items lexicaux dans le lexique phonologique<br />
d’entrée, ce qui permet à ce stade de différencier un percept familier<br />
(mot ayant une représentation stockée à long terme dans le lexique)<br />
d’un percept nouveau (non-mot ou mot inconnu) ;<br />
– activation de la signification des mots dans le système sémantique.<br />
Cette organisation séquentielle unidirectionnelle (de bas en haut),<br />
très hiérarchisée, suppose que l’accès à un niveau supérieur<br />
nécessite l’intégrité du niveau immédiatement inférieur. Dans une<br />
publication ultérieure [52] , les auteurs incluent l’existence de relations<br />
bidirectionnelles entre lexique phonologique et système sémantique.<br />
¶ Pathologie<br />
Différents syndromes cognitifs concernant la perception d’un mot<br />
entendu ont été décrits [50, 52] (voir également Lambert et Nespoulous<br />
[97] pour revue).<br />
Surdité au son des mots<br />
Elle résulte de la perturbation du système d’analyse auditive des<br />
sons verbaux et correspond, dans la terminologie classique, au<br />
syndrome de surdité verbale pure décrit par Lichtheim. Elle se<br />
manifeste par de nombreuses erreurs lors d’épreuves de répétition<br />
ou d’écriture sous dictée et lors de tâches de discrimination et<br />
d’identification phonémique. La compréhension est améliorée par la<br />
lecture labiale ou la connaissance du thème de la conversation. Cette<br />
perturbation peut également être présente dans d’autres syndromes<br />
aphasiques comme l’aphasie de Wernicke.<br />
Surdité à la forme des mots<br />
Elle résulte d’un trouble d’activation de la représentation<br />
phonologique au niveau du lexique phonologique d’entrée. Les<br />
épreuves de discrimination de phonèmes sont correctes en raison de<br />
la fonctionnalité du système d’analyse auditive. Le patient échoue à<br />
des épreuves de décision lexicale en modalité auditive alors qu’il<br />
réussit en modalité écrite. Des erreurs entre mots phonologiquement<br />
proches sont observées lors des tentatives de répétition. Ce<br />
syndrome cognitif, qui n’a jamais été observé de façon pure, n’a pas<br />
été repris dans la classification d’Ellis et Young [52] .<br />
Surdité au sens des mots<br />
Ele a pour origine un déficit d’accès au système sémantique [63, 64, 91] .<br />
Le patient réussit les épreuves de discrimination phonémique et de<br />
décision lexicale, ce qui indique que les deux premiers niveaux sont<br />
fonctionnels. La compréhension des mots entendus est altérée alors<br />
que la répétition est possible. De plus, la préservation de la<br />
compréhension écrite permet d’exclure la perturbation du système<br />
de traitement sémantique lui-même. Les perturbations peuvent<br />
affecter plus spécifiquement les mots abstraits.<br />
Atteinte du système sémantique<br />
Elle correspond à une dégradation des représentations sémantiques.<br />
Ce dernier syndrome ne constitue pas un trouble de compréhension<br />
spécifique à la modalité auditive car la compréhension est<br />
défectueuse quelle que soit la modalité de présentation. Des troubles<br />
sont également présents en production orale ou écrite (voir supra la<br />
section consacrée aux troubles de dénomination).<br />
MODÈLES CONNEXIONNISTES<br />
Les modèles connexionnistes diffèrent des modèles cognitifs sur le<br />
plan du sens des activations et de leur étendue. Leur application à<br />
la compréhension orale est bien implantée en neuropsychologie<br />
(modèle Trace de McClelland et Elman, 1986 [116, 118] ). Nous prendrons<br />
pour exemple le modèle de Martin et Saffran.<br />
¶ Compréhension<br />
L’architecture globale du modèle de Martin et Saffran [116] comporte<br />
plusieurs niveaux d’unités (de type phonologique, lexical et
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
sémantique) connectés entre eux par des processus d’activation<br />
bidirectionnels (« feedforward »et«feed-back »). Ses caractéristiques<br />
fondamentales sont les suivantes :<br />
– les activations des différents niveaux se recouvrent partiellement<br />
sur le plan temporel ou peuvent s’effectuer de façon simultanée ;<br />
– les processus « feedforward » propagent l’activation aux items<br />
cibles et aux items proches d’une même couche d’unités (candidats<br />
potentiels), alors que les processus « feed-back » servent à stabiliser<br />
l’activation des items cibles à partir d’informations provenant des<br />
niveaux inférieurs ou supérieurs. Les auteurs insistent sur le décours<br />
temporel de la propagation des activations d’un niveau de<br />
représentation à un autre et sur le caractère très éphémère des<br />
activations au niveau phonologique.<br />
¶ Pathologie<br />
Cette modélisation a conduit à des interprétations différentes de<br />
celles proposées dans le cadre de modèles cognitifs sériels [97] .<br />
La dysphasie profonde s’explique ici en termes de déclin<br />
anormalement rapide de l’activation phonologique [116] . L’occurrence<br />
d’erreurs sémantiques suggère que le niveau des représentations<br />
sémantiques a été activé et qu’il ne s’agit pas d’un trouble de<br />
propagation d’activation. L’effacement pathologique des indices<br />
phonologiques empêche la poursuite des activations en boucle<br />
unissant cibles phonologiques et sémantiques et ne permet plus de<br />
guider le choix entre les représentations sémantiques activées (cible<br />
et candidats potentiels).<br />
Cette section consacrée à l’approche cognitive de l’aphasie a exposé<br />
l’architecture générale des processus mentaux requis par la<br />
production et la reconnaissance des mots. Les dysfonctionnements<br />
des divers stades de traitement de l’information ont suscité un<br />
certain nombre d’hypothèses qui, pour la plupart, ont été validées<br />
par des cas relativement purs. L’apport original de l’interprétation<br />
cognitive est de montrer que sous des aspects extérieurs similaires,<br />
les troubles peuvent avoir des origines différentes. C’est le cas du<br />
manque du mot, des erreurs sémantiques ou des erreurs<br />
phonémiques. Cette approche constitue une base théorique<br />
incontestable à la rééducation. Toutefois, une de ses limites réside<br />
dans sa totale dépendance vis-à-vis du modèle théorique sur lequel<br />
elle s’appuie, ce que nous venons d’illustrer avec l’exemple de la<br />
dysphasie profonde. On peut espérer que de nouveaux<br />
développements sauront mieux rendre compte de toute la<br />
dynamique du langage en intégrant les interactions avec d’autres<br />
fonctions comme par exemple l’attention, certains composants<br />
mnésiques ou encore, les fonctions exécutives.<br />
Troubles du langage écrit<br />
DONNÉES DE LA MÉTHODE ANATOMOCLINIQUE<br />
¶ Alexies<br />
Déjerine (1891, 1892) [102] a décrit l’alexie pure ou agnosique et<br />
l’alexie-agraphie. À ces deux formes est venue s’ajouter une<br />
troisième alexie ou alexie antérieure.<br />
Alexie pure<br />
Le trouble de la lecture peut être total : aucun mot, aucune lettre ne<br />
sont identifiés. Assez souvent, d’emblée ou après une phase d’alexie<br />
totale, une lecture lettre à lettre est possible. L’écriture est en<br />
principe normale, mais souvent un peu altérée par un défaut de<br />
contrôle visuel. Le langage oral est lui aussi en principe normal. En<br />
fait, un certain degré d’aphasie amnésique est fréquent. Par ailleurs,<br />
le malade peut « lire » à condition qu’un canal non visuel soit<br />
utilisé : lettres en relief palpées, mots reconstitués à partir de lettres<br />
épelées par l’examinateur. Ceci permet d’affirmer que les<br />
mécanismes linguistiques ou « centraux » de la lecture sont<br />
conservés et que le trouble se situe sur un versant perceptif visuel.<br />
Néanmoins, l’atteinte peut être parfaitement limitée aux symboles<br />
écrits. D’autres troubles visuels sont fréquemment associés : une<br />
hémianopsie latérale homonyme droite avec ou sans épargne<br />
maculaire, un trouble de la vision des couleurs, beaucoup plus<br />
rarement, une agnosie visuelle pour les objets et les images. Les<br />
lésions responsables siègent toujours dans le lobe occipital<br />
dominant. Il s’agit le plus souvent d’un infarctus du territoire de la<br />
cérébrale postérieure détruisant la région calcarine et le splénium<br />
du corps calleux. D’autres lésions, notamment tumorales, peuvent<br />
être en cause. Selon la conception de Déjerine et plus récemment de<br />
Geschwind, elles auraient toujours pour résultat de réaliser une<br />
déconnexion entre informations visuelles et aires du langage.<br />
Alexie-agraphie<br />
Elle résulte pour Déjerine de la perte des images optiques des lettres<br />
en rapport avec une lésion du gyrus angulaire de l’hémisphère<br />
dominant. Cette atteinte centrale du langage écrit explique qu’elle<br />
affecte ses deux modalités : réceptive et expressive. L’atteinte de la<br />
lecture est massive avec une compréhension nulle, une lecture à<br />
haute voix impossible ou jargonnée. Ce tableau peut être isolé ou<br />
associé à des signes d’aphasie de Wernicke ou surtout d’aphasie<br />
amnésique. Il est fréquent d’observer d’autres signes d’atteinte<br />
pariétale : apraxie constructive et idéomotrice, syndrome de<br />
Gerstmann.<br />
Alexie de Benson ou troisième alexie<br />
Elle s’observe en liaison avec l’aphasie de Broca. La lecture et la<br />
compréhension sont meilleures pour les mots, surtout les substantifs<br />
concrets. Elles sont particulièrement mauvaises pour les lettres<br />
isolées. Ce syndrome, connu en fait depuis longtemps, avait été<br />
retenu par Freud comme un argument contre la conception<br />
localisatrice des aphasies puisque l’atteinte d’une région cérébrale<br />
censée être spécialisée dans le contrôle de l’expression orale<br />
entraînait aussi des troubles de la lecture (Freud, 1892 [102] ).<br />
Alexie des aphasies<br />
En dehors des variétés d’alexie bien définies citées ci-dessus, la<br />
lecture est troublée dans presque toutes les variétés d’aphasie. Le<br />
plus souvent, la lecture à haute voix est altérée au même degré que<br />
les autres variétés d’expression orale. Nous citerons quelques<br />
situations où cette règle se trouve en défaut ou revêt des aspects<br />
particuliers. Outre les rapports étroits unissant la troisième alexie et<br />
l’aphasie de Broca, dans l’aphasie de conduction, la lecture est<br />
fréquemment meilleure que la répétition. Les troubles prédominent<br />
souvent sur les mots grammaticaux qui sont omis ou substitués<br />
entre eux. Dans l’aphasie de Wernicke, il n’est pas rare d’observer<br />
une dissociation entre les atteintes du langage oral et du langage<br />
écrit. La prédominance des troubles sur ce dernier se rapproche de<br />
l’alexie-agraphie. Le cas contraire a l’intérêt de montrer que le<br />
langage écrit possède une certaine autonomie et n’est pas une simple<br />
transposition du langage oral. Dans l’aphasie transcorticale<br />
sensorielle, au contraire, le parallélisme entre les épreuves de<br />
transposition, répétition et lecture à haute voix, toutes deux bien<br />
effectuées mais sans compréhension, confirme une atteinte du<br />
niveau sémantique, au-delà des mécanismes propres à chaque<br />
modalité de langage.<br />
¶ Agraphies<br />
Parmi les classifications des agraphies, aucune n’est réellement<br />
satisfaisante d’un point de vue sémiologique. La plupart s’appuient<br />
sur les troubles associés ou sur des topographies anatomiques et<br />
seulement de façon accessoire sur les caractères propres de la<br />
production graphique (Morin et al, 1990 [102] ).Une description<br />
clinique pourrait distinguer les agraphies suivantes.<br />
Classique agraphie apraxique<br />
La réalisation des lettres y est impossible ou si altérée qu’elles sont<br />
méconnaissables.<br />
17
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
Agraphie appelée « de l’aphasie de Broca »<br />
Elle accompagne assez régulièrement cette aphasie : la production,<br />
réalisée le plus souvent de la main gauche, est très réduite, limitée à<br />
quelques substantifs composés de grandes lettres majuscules très<br />
maladroitement réalisées<br />
Autres<br />
On peut regrouper le reste sous l’appellation d’agraphies fluentes,<br />
caractérisées par l’exécution de lettres suffisamment bien formées et<br />
par une production d’une certaine abondance. Ce groupe, très<br />
important, est bien entendu hétérogène. En première analyse, on<br />
peut distinguer d’abord des erreurs de type verbal avec des<br />
paragraphies surtout démonstratives lorsqu’elles sont de type<br />
sémantique ou morphologique, pouvant ou non se retrouver dans<br />
l’expression orale. Un deuxième groupe comprendrait les erreurs<br />
« phonologiquement plausibles » où les mots d’orthographe<br />
irrégulière sont écrits « comme ils se prononcent ». Dans le troisième<br />
groupe, on rencontrerait les erreurs littérales : substitutions,<br />
déplacements, omissions, intrusions de lettres. Ces erreurs peuvent<br />
être relativement rares, laissant le mot reconnaissable, ou très<br />
nombreuses, pouvant aboutir à une jargonagraphie.<br />
Agraphies pures<br />
Elles ont été recherchées par des générations de neurologues comme<br />
pouvant élucider les mystères de cette modalité du langage et<br />
permettre de localiser un centre de l’agraphie conforme ou non à<br />
celui qu’Exner (1881) [127] avait situé à la partie postérieure de la<br />
deuxième circonvolution frontale. Elles sont restées très rares ou<br />
imparfaitement pures, parfois décrites chez des sujets pour lesquels<br />
l’époque et la profession faisaient douter qu’ils aient possédé avant<br />
leur maladie une bonne maîtrise de l’écriture. Elles ne sont<br />
univoques ni dans leur symptomatologie ni dans leur localisation<br />
lésionnelle, cette dernière paraissant toutefois plus pariétale que<br />
frontale.<br />
APPORT DE LA PSYCHOLOGIE COGNITIVE<br />
L’approche cognitive des troubles du langage écrit peut être<br />
effectuée à partir du schéma général des activités de langage<br />
proposé au chapitre précédent. Nous envisagerons successivement<br />
les perturbations de la lecture à haute voix et celles de l’écriture en<br />
différenciant les troubles centraux et les troubles périphériques [31] ,<br />
Morin et al, 1990 [102, 176, 188] .<br />
¶ Lecture à haute voix<br />
Modèle théorique<br />
Les mécanismes de lecture à haute voix sont décrits à partir d’un<br />
module d’analyse visuelle et de deux voies principales de lecture :<br />
lexicale et phonologique [31, 102, 168, 169] .<br />
L’analyse visuelle regroupe différentes opérations qui assurent le<br />
traitement des propriétés visuelles (analyse rétinocentrée en traits)<br />
et l’identification des lettres suite à une analyse de regroupement<br />
des traits (centrée sur le stimulus) et l’accès à un niveau de<br />
représentation graphémique abstraite. Cette dernière étape est, selon<br />
certains auteurs, assimilée à un buffer graphémique pouvant être<br />
commun à la lecture et à l’écriture. Par ailleurs, ces différentes<br />
opérations seraient sous l’étroite dépendance de processus<br />
attentionnels (fenêtre attentionnelle, filtre attentionnel).<br />
La voie lexicale, à partir du module d’analyse visuelle, gagne le<br />
lexique orthographique d’entrée où est activée la représentation<br />
orthographique correspondant au mot présenté, puis le système<br />
sémantique où il est compris, le lexique phonologique de sortie où<br />
est activée sa forme phonologique et enfin, la mémoire tampon<br />
phonologique, relais obligé de toute expression orale. Une voie<br />
lexicale non sémantique reliant le lexique orthographique au lexique<br />
phonologique de sortie est envisagée.<br />
La voie phonologique relie le module d’analyse visuelle à la mémoire<br />
tampon phonologique en passant par un module de conversion des<br />
graphèmes en phonèmes. Elle est utilisable pour les non-mots et les<br />
mots à orthographe régulière.<br />
18<br />
Alexies périphériques<br />
Un déficit lors de l’analyse visuelle se traduit par une incapacité à<br />
lire des lettres isolées ou des séquences de lettres, l’alexie littérale.<br />
Un retard dans l’identification des lettres et des substitutions entre<br />
lettres physiquement proches sont observés, ainsi qu’une<br />
augmentation des difficultés lors de la présentation de mots longs.<br />
La nature perceptive des troubles est particulièrement manifeste<br />
chez des patients qui indiquent une impression de chevauchement<br />
des lettres et dont la lecture est améliorée par un espacement plus<br />
grand entre les lettres.<br />
Un déficit de la composante attentionnelle peut expliquer une<br />
difficulté à traiter en parallèle les différentes lettres d’un mot. Cette<br />
perturbation est particulièrement démonstrative dans les troubles<br />
d’attention spatiale unilatéraux qui montrent des omissions de<br />
lettres au début ou à la fin de mots suivant la latéralisation<br />
lésionnelle.<br />
Alexies centrales<br />
L’alexie phonologique se caractérise par une impossibilité à lire les<br />
logatomes ou non-mots : séries de lettres prononçables, mais ne<br />
correspondant à aucun mot de la langue. La raison de cette<br />
incapacité est évidente : quand on utilise exclusivement la voie<br />
lexicale, seuls les mots figurant au lexique peuvent être lus. Cette<br />
difficulté contraste avec une préservation de la lecture des mots<br />
qu’ils soient d’orthographe régulière ou irrégulière (les mots<br />
d’orthographe régulière sont ceux où le rapport graphème-phonème<br />
est le plus habituel dans la langue et les mots d’orthographe<br />
irrégulière ceux où ce rapport est inhabituel, par exemple « fusil »).<br />
Ce trouble de la lecture peut être presque isolé [10] ou associé à<br />
certains effets lexicaux tels un effet de classe des mots : les noms<br />
sont mieux lus que les verbes, les adjectifs et les mots grammaticaux<br />
sont encore plus mal lus et il existe des erreurs dérivationnelles : le<br />
morphème central est conservé mais l’affixe est erroné (chanteur<br />
→ chanson).<br />
L’alexie profonde comporte les caractéristiques de la dyslexie<br />
phonologique plus des erreurs sémantiques et un effet<br />
d’imageabilité : les mots imageables sont mieux lus que les mots<br />
abstraits non imageables tels que « option » [21] . L’interprétation de<br />
ces faits est discutée. Pour certains, ils traduisent un<br />
dysfonctionnement partiel du système lexicosémantique associé à<br />
celui, prédominant, du système phonologique. Pour d’autres, ils<br />
refléteraient le fonctionnement de la voie lexicosémantique seule,<br />
amputée de la voie phonologique et de la voie lexicale non<br />
sémantique. Selon un autre niveau d’analyse, la dyslexie profonde<br />
surviendrait lorsque les activités de lecture sont assurées par<br />
l’hémisphère droit en présence de lésions importantes de<br />
l’hémisphère gauche. L’alexie phonologique et la dyslexie profonde<br />
ne peuvent survenir que chez des sujets bien entraînés à la lecture,<br />
et aussi dans les langues ayant une orthographe irrégulière comme<br />
l’anglais et le français, conditions nécessaires au développement<br />
d’une forte voie non phonologique.<br />
L’alexie lexicale ou de surface se traduit par une incapacité à lire les<br />
mots irréguliers avec conservation de la lecture des mots réguliers<br />
et des non-mots [167] . Les erreurs concernant les mots irréguliers sont<br />
le plus souvent une « régularisation » : les mots sont lus en<br />
appliquant les règles de correspondance graphème-phonème les<br />
plus usuelles (gars → acR).<br />
¶ Écriture<br />
Mécanismes d’écriture dictée<br />
Ils comportent un module d’analyse auditive, une voie lexicale et<br />
une voie phonologique qui convergent vers une mémoire tampon<br />
graphémique puis mettent en jeu des mécanismes périphériques<br />
[95, 173] .<br />
–L’analyse auditive traite les stimuli entendus sur le plan acoustique<br />
et phonétique.<br />
– La voie lexicale passe par le lexique phonologique d’entrée, le<br />
système sémantique et le lexique orthographique de sortie pour
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
atteindre la mémoire tampon graphémique. Une voie lexicale directe<br />
reliant le lexique phonologique d’entrée au lexique orthographique<br />
de sortie est également envisagée.<br />
– La voie phonologique relie le module d’analyse auditive à la<br />
mémoire tampon graphémique par l’intermédiaire d’un module de<br />
conversion des phonèmes en graphèmes et de la mémoire tampon<br />
phonologique. Alors que la voie lexicale (lexicosémantique ou<br />
lexicale directe) repose sur l’activation de représentations<br />
orthographiques stockées (qui concernent les mots appris), la voie<br />
phonologique est surtout utilisée pour l’écriture de non-mots ou de<br />
mots inconnus, mais peut également être efficiente pour des mots<br />
réguliers.<br />
– La mémoire tampon graphémique constitue un centre de<br />
convergence des voies phonologique et lexicale et le relais<br />
obligatoire de toute expression écrite. Elle est assimilée à une<br />
mémoire de travail spécifique du langage écrit qui a pour rôle le<br />
maintien à court terme des informations graphémiques issues du<br />
lexique orthographique ou de la voie phonologique, qu’il s’agisse<br />
de mots ou de non-mots. Ces informations concernent l’identité<br />
abstraite des graphèmes, leur nombre, leur agencement linéaire, leur<br />
catégorie (consonne/voyelle), la structure graphosyllabique.<br />
Troubles centraux<br />
L’agraphie phonologique est caractérisée par des troubles sélectifs de<br />
l’écriture des non-mots [164] . Des effets de classe des mots et<br />
d’imageabilité, similaires à ceux décrits en lecture, peuvent être<br />
notés.<br />
La dysgraphie profonde associe les caractéristiques de l’agraphie<br />
phonologique avec des erreurs sémantiques [21] .<br />
L’agraphie lexicale ou de surface comporte des troubles sélectifs de<br />
l’écriture des mots irréguliers. Les erreurs sont principalement des<br />
« erreurs phonologiquement plausibles » se faisant dans le sens de<br />
la régularisation de l’orthographe (femme → fame). Un effet de<br />
fréquence des mots est souvent présent [11] .<br />
L’alexie phonologique et l’agraphie de même nom sont presque<br />
toujours associées, mais il existe des exceptions, notamment un cas<br />
d’agraphie phonologique sans alexie et un autre où l’alexie est de<br />
type lexical. Il est donc admis qu’il existe deux systèmes<br />
phonologiques distincts pour la lecture et l’écriture et que<br />
l’association habituelle de l’atteinte des deux modalités s’explique<br />
par la probable proximité de leurs supports anatomiques [150] .<br />
L’agraphie lexicale est, elle aussi, habituellement associée à une<br />
alexie, mais celle-ci est de type variable : lexicale, phonologique ou<br />
sans spécificité.<br />
Les associations entre les deux grands types d’alexie ou d’agraphie<br />
et les autres troubles des fonctions supérieures sont assez bien<br />
définies. Les troubles phonologiques sont presque toujours associés<br />
à une aphasie, de type variable, avec une prédominance des<br />
aphasies de Broca. Les troubles lexicaux sont moins souvent en<br />
liaison avec une aphasie, mais davantage avec des symptômes<br />
évocateurs d’une lésion pariétale : apraxie idéomotrice ou<br />
constructive, syndrome de Gerstmann. Un siège plus pariétal des<br />
lésions, aux alentours du gyrus angulaire, peut ainsi être supposé.<br />
L’atteinte de la mémoire tampon graphémique se caractérise par des<br />
éléments négatifs. Il en est ainsi de l’absence de signe faisant penser<br />
à une atteinte sélective des voies phonologiques et lexicales. Les<br />
troubles sont similaires pour les mots réguliers et irréguliers et pour<br />
les non-mots. Il n’y a pas d’erreur phonologiquement plausible,<br />
d’effet de classe, d’imageabilité. Il n’y aura pas non plus de<br />
différence entre les diverses modalités de réalisation de l’écriture :<br />
manuscrite, épelée, réalisée avec des lettres mobiles ou à la machine.<br />
Les symptômes positifs se limitent à des erreurs non<br />
phonologiquement plausibles (carabine → cadabine), c’est-à-dire des<br />
erreurs de lettres : omissions, substitutions, adjonctions,<br />
déplacements. Ces troubles sont plus marqués pour les mots<br />
longs [29] .<br />
Voie phonologique Voie lexicale<br />
Conversion<br />
graphème - nom de<br />
la lettre<br />
Processus moteurs<br />
de la parole<br />
Mémoire tampon<br />
graphémique<br />
Lettres mobiles<br />
Dactylographie<br />
Conversion<br />
allographique<br />
Programmes<br />
moteurs graphiques<br />
Exécution<br />
neuromusculaire<br />
Épellation<br />
Écriture<br />
3 Modèle des mécanismes périphériques de l’écriture.<br />
Mécanismes périphériques de l’écriture<br />
Si l’écriture comporte une organisation centrale ou linguistique<br />
parallèle à celle de la lecture, elle comporte aussi une organisation<br />
« périphérique » [49, 115] qui lui est propre et qui met en jeu l’activation<br />
successive du système allographique et des programmes moteurs<br />
graphiques qui sont ensuite traduits en informations<br />
neuromusculaires spécifiques. La figure 3 représente un modèle<br />
simple susceptible de rendre compte de cette organisation.<br />
Le système allographique reçoit les informations concernant les<br />
représentations graphémiques abstraites maintenues au niveau de<br />
la mémoire tampon graphémique et assure le choix de la forme<br />
générale de la lettre en tenant compte des caractères particuliers :<br />
majuscule ou minuscule, script ou cursive.<br />
Les programmes moteurs graphiques spécifient pour chaque type de<br />
lettre la séquence, la direction et la taille relative des traits. Cette<br />
information est à son tour transformée en commande proprement<br />
motrice par le système moteur.<br />
L’existence même de représentations allographiques intermédiaires<br />
entre mémoire tampon graphémique et programmes moteurs<br />
graphiques n’est pas soutenue par tous les auteurs [165, 177] .<br />
L’ensemble du processus est soumis à un contrôle spatial assuré par<br />
l’hémisphère mineur.<br />
Des processus périphériques propres à chaque modalité de sortie<br />
sont envisagés. Une voie de l’épellation orale se dégagerait à la<br />
sortie de la mémoire tampon graphémique, et conduirait à la<br />
traduction de l’identité abstraite des graphèmes en nom de lettre.<br />
Des conceptions alternatives ont été proposées. Les mécanismes<br />
relatifs à l’écriture avec des lettres mobiles ont été peu étudiés. Des<br />
raisons théoriques plaideraient pour son individualisation après le<br />
système allographique comme cela est indiqué sur la figure 3. Les<br />
quelques observations publiées qui correspondent<br />
vraisemblablement à une atteinte du système allographique seraient<br />
plutôt en faveur d’une origine plus proximale, après la mémoire<br />
tampon graphémique et parallèle aux voies de l’écriture manuscrite<br />
et de l’épellation orale.<br />
Perturbations périphériques<br />
À partir de ces notions théoriques, il est possible de prévoir des<br />
syndromes neuropsychologiques correspondant à l’atteinte des<br />
différents modules. Si les observations évoquant une atteinte des<br />
programmes moteurs graphiques sont nombreuses, elles restent en<br />
19
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
très petit nombre quand il s’agit de l’atteinte allographique et<br />
montrent de surcroît des tableaux sémiologiques disparates [57, 95] .<br />
En cas d’atteinte allographique, les prédictions théoriques sont les<br />
suivantes : respect de l’épellation orale et absence de lettres mal<br />
formées. La perturbation la plus caractéristique porterait sur le choix<br />
des formes de lettres avec notamment des confusions entre<br />
majuscules et minuscules (café → caFé), mais des erreurs quant au<br />
choix de la forme générale de la lettre sont aussi décrites.<br />
L’atteinte des programmes moteurs graphiques donne des altérations<br />
morphologiques des lettres par la perturbation de la forme, de la<br />
taille et de l’orientation des traits. Le tableau réalisé correspond à la<br />
classique agraphie apraxique [8] . Un déficit concernant seulement<br />
l’accès aux programmes moteurs a été évoqué pour des<br />
perturbations se traduisant par des substitutions de lettres montrant<br />
des similarités physiques, surtout graphomotrices.<br />
La dysgraphie spatiale résulte d’une perte du contrôle assuré par<br />
l’hémisphère mineur sur l’écriture : négligence de la partie gauche<br />
de la page, mauvaise orientation des lignes, redoublement de lettres<br />
et de jambages, superposition de lettres.<br />
APPROCHE CONNEXIONNISTE<br />
La première modélisation connexionniste des mécanismes de lecture<br />
à haute voix a été conçue par Seidenberg et McClelland [159] .La<br />
structure générale en est la suivante : trois couches d’unités<br />
connectées entre elles, codant chacune pour des informations<br />
spécifiques (visuo-orthographique, phonologique ou sémantique).<br />
Dans ce modèle, la prononciation d’un mot écrit peut s’effectuer soit<br />
par un réseau qui connecte directement l’orthographe à la<br />
phonologie, soit par un réseau qui fait intervenir la couche<br />
sémantique. Seule la mise en application sur ordinateur d’un<br />
apprentissage résultant de connexions entre orthographe et<br />
phonologie avait été réalisée. Plus récemment, un modèle<br />
connexionniste alternatif a été proposé par Ans, Carbonnel, et<br />
Valdois [5] . Il repose sur une base d’apprentissage qui comporte à la<br />
fois des mots entiers et les segments syllabiques de ces mots et<br />
permet d’obtenir des performances de lecture tout à fait comparables<br />
à celles de sujets normaux en montrant notamment les mêmes effets<br />
de fréquence et de régularité. De plus, deux lésions distinctes du<br />
système aboutissent à des profils de lecture tout à fait proches des<br />
tableaux d’alexie de surface et d’alexie phonologique rencontrés<br />
chez des patients. Ces résultats sont d’un grand intérêt car ils<br />
confortent la double dissociation (relative à l’atteinte phonologique<br />
versus lexicale de la lecture) mise en évidence en pathologie<br />
neuropsychologique qui a parfois été remise en question [30] .<br />
Neurobiologie des aphasies<br />
Nous aborderons successivement dans cette section les corrélations<br />
anatomocliniques des différents syndromes, puis des symptômes<br />
aphasiques, les renseignements fournis par l’imagerie fonctionnelle<br />
sur le support anatomique des différentes composantes du langage,<br />
aussi bien chez le patient aphasique que chez le sujet normal et<br />
enfin, les relations entre la préférence manuelle et la dominance<br />
hémisphérique pour le langage.<br />
CORRÉLATIONS ANATOMOCLINIQUES<br />
DES SYNDROMES APHASIQUES (tableau I)<br />
L’essentiel des connaissances dans ce domaine provient de l’étude<br />
des accidents vasculaires cérébraux, qui représentent la première<br />
cause d’aphasie chez l’adulte. La distribution des territoires<br />
vasculaires, en traçant des frontières anatomiques peut-être<br />
arbitraires d’un point de vue fonctionnel, a largement contribué à<br />
dessiner les contours de la taxonomie classique, qui a le double<br />
mérite d’être universellement connue des neurologues et d’être<br />
applicable à la majorité des patients. Toutefois, cette taxonomie<br />
atteint bien souvent ses limites lorsqu’il s’agit d’interpréter un<br />
trouble du langage consécutif à des pathologies moins habituelles,<br />
20<br />
ou de tenter des corrélations avec les modèles de la psychologie<br />
cognitive. Il faut alors conduire une description plus analytique de<br />
l’aphasie, sous peine de méconnaître un trouble particulier par son<br />
intérêt physiopathologique ou comme cible de la rééducation. Enfin,<br />
l’anatomie (pathologique) de l’aphasie fût-elle élucidée, on ne<br />
pourrait en déduire simplement l’anatomie (fonctionnelle) du<br />
langage. L’imagerie fonctionnelle apporte aujourd’hui dans ce<br />
domaine des informations inédites.<br />
¶ <strong>Aphasie</strong> de Broca<br />
Les infarctus limités à l’aire de Broca donnent une légère aphasie<br />
motrice transitoire qui guérit rapidement. Les lésions pouvant<br />
donner l’aphasie de Broca siégeraient dans la partie postérieure de<br />
F3 et dans les régions voisines : partie inférieure du gyrus précentral,<br />
insula antérieur, F2, partie adjacente du cortex temporal et pariétal,<br />
putamen, noyau caudé et capsule interne. En définitive, l’aphasie de<br />
Broca persistante avec agrammatisme et diminution de la fluence<br />
verbale est associée à une large lésion frontopariétale gauche avec<br />
généralement une extension sous-corticale. C’est d’ailleurs une telle<br />
lésion qu’a montré l’examen au scanner du cerveau de Leborgne, le<br />
cas princeps de Broca [170] . Il semble prouvé qu’une lésion profonde<br />
peut donner une aphasie de Broca. Naeser et Hayward (1978) [102]<br />
pensent que les lésions capsuloputaminales peuvent donner des<br />
aphasies de Broca sans agrammatisme ni trouble de la<br />
compréhension, ni trouble de l’écriture, tableau proche de l’anarthrie<br />
pure. L’extension en arrière d’une telle lésion ajoute aux signes<br />
précédents des troubles de la compréhension et des paraphasies.<br />
¶ <strong>Aphasie</strong> de Wernicke<br />
Quel que soit le type d’aphasie de Wernicke, l’atteinte de l’aire 22<br />
de Brodmann (aire TA d’Economo) située en arrière des aires 41 et<br />
42 (aires auditives primaires) dans la partie postérieure de T1 est<br />
constante. La lésion peut s’étendre en avant au cortex auditif<br />
primaire, en profondeur à la substance blanche sous-jacente et à<br />
l’origine du faisceau arqué, en arrière au gyrus angularis (aire 39 ou<br />
PG d’Economo) et au gyrus supramarginalis (l’aire 40 ou Pf), en bas<br />
et en arrière aux aires 21 (2 e temporale), 20 (3 e temporale) ou 37<br />
(4 e temporale).<br />
L’aphasie de Wernicke à prédominance de surdité verbale (type II)<br />
correspond à une atteinte de la partie postérieure de Tl et T2, en<br />
arrière du gyrus de Heschl, qui est presque toujours un infarctus du<br />
territoire de l’artère temporopli courbe. La forme avec atteinte<br />
prédominante du langage écrit (type III) s’observe dans les infarctus<br />
pariéto-pli courbe occupant les aires 39 et 40. L’aphasie de Wernicke<br />
est relativement plus fréquente chez le sujet âgé que l’aphasie de<br />
Broca. Cette différence provient, d’une part du fait que les infarctus<br />
sylviens affectent plus souvent le territoire postérieur chez les sujets<br />
âgés que chez les sujets jeunes [60] , et d’autre part que les tumeurs<br />
cérébrales malignes, autre cause classique de l’aphasie de Wernicke,<br />
sont également plus fréquentes chez le sujet âgé.<br />
¶ <strong>Aphasie</strong> de conduction<br />
Suivant le modèle classique de Lichtheim et Wernicke, repris par<br />
Geschwind, l’aphasie de conduction résulte d’une interruption entre<br />
l’aire de Wernicke (« centre des images auditives des mots » ou de<br />
façon plus contemporaine support anatomique du lexique<br />
phonologique) et l’aire de Broca (« centre des images motrices des<br />
mots », responsable de la réalisation phonétique). Ce schéma cognitif<br />
correspond ici à un processus langagier (la boucle audiphonatoire)<br />
en même temps qu’à une structure anatomique (le faisceau arqué).<br />
L’aphasie de conduction est, de fait, souvent associée à des lésions<br />
sous-corticales atteignant la capsule externe ou la substance blanche<br />
sous-jacente aux aires 22 et 40 [93] , mais aussi à des lésions du cortex<br />
insulaire ou pariétal inférieur. Un cas a été décrit au cours d’une<br />
sclérose en plaques [6] . L’interprétation cognitive en termes de<br />
dysconnexion doit être nuancée en tenant compte des cas dus à des<br />
lésions corticales limitées ou même obtenus chez des sujets<br />
épileptiques par des stimulations corticales limitées de la partie<br />
postérieure de T1 [4] . Pour Alexander [3] , l’aphasie de conduction
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
Tableau I. – Principaux types d’aphasie. Corrélations anatomocliniques généralement observées.<br />
Type d’aphasie Signes Localisation Étiologies habituelles Signes associées<br />
<strong>Aphasie</strong> globale Expression et compréhension<br />
orales et écrites très réduites ou<br />
nulles<br />
<strong>Aphasie</strong> de Broca Expression orale réduite<br />
Agrammatisme<br />
Troubles arthriques<br />
Compréhension relativement<br />
préservée<br />
<strong>Aphasie</strong> de Wernicke (type I) Expression abondante<br />
Troubles de la compréhension<br />
Paraphasies<br />
<strong>Aphasie</strong> de conduction Paraphasies phonémiques<br />
Compréhension normale<br />
Répétition perturbée<br />
Surdité verbale pure<br />
(Wernicke type II)<br />
Alexie-agraphie<br />
(Wernicke type III)<br />
Alexie pure<br />
(alexie sans agraphie*)<br />
constitue l’expression, dans le langage oral, d’un trouble<br />
fondamental du maniement de la phonologie, pouvant se manifester<br />
par ailleurs dans l’écriture ou dans la lecture sous la forme<br />
respectivement de l’agraphie et de l’alexie phonologiques. Sa<br />
corrélation anatomique la plus constante est l’atteinte du gyrus<br />
supra-marginalis.<br />
¶ <strong>Aphasie</strong>s transcorticales<br />
Trouble de la compréhension et<br />
de la répétition<br />
Écriture sous dictée impossible<br />
Trouble de la lecture et de l’écriture<br />
Expression et compréhension<br />
orales préservées<br />
Trouble isolé de la lecture avec<br />
conservation de l’écriture et du<br />
langage oral<br />
Types de lésions pouvant causer une aphasie transcorticale motrice<br />
Ce sont celles du cortex prémoteur et préfrontal (aires 6 et 8 ;<br />
aires 9, 10 et 11 ; aires 44, 45, 46) d’une part, celles de l’aire motrice<br />
supplémentaire et des voies qui en viennent cheminant dans la<br />
substance blanche juste en avant de la corne frontale d’autre part. Il<br />
faut en rapprocher les lésions donnant des états prolongés de<br />
mutisme.<br />
<strong>Aphasie</strong> transcorticale sensorielle<br />
Elle se présente comme une aphasie de Wernicke sans trouble de la<br />
répétition avec souvent une écholalie. Les lésions ne sont pas<br />
univoques : sur la convexité de l’hémisphère gauche, elles touchent<br />
les aires 37 et 39, elles peuvent s’étendre aux aires voisines 21 en<br />
avant, 18 et 19 en arrière. D’autres fois, elles siègent en profondeur<br />
dans la partie de la substance blanche irriguée par l’artère cérébrale<br />
postérieure. L’aphasie transcorticale mixte est due soit à une lésion<br />
entourant les aires périsylviennes en couronne (« isolement des aires<br />
Lésion étendue corticale (frontotemporo-pariétale)<br />
ou souscorticale<br />
Cortex frontal inférieur<br />
Noyaux gris et substance blanche<br />
sous-corticale du lobe frontal<br />
Lobe temporal, parfois lésions<br />
thalamiques<br />
Cortex pariétal inférieur<br />
Capsule externe<br />
Gyrus temporal supérieur (lésion<br />
gauche ou bilatérale)<br />
Infarctus sylvien total, tumeur,<br />
traumatisme, hémorragie<br />
Infarctus sylvien antérieur superficiel<br />
et/ou profond<br />
Hématome profond<br />
Tumeur<br />
Infarctus sylvien postérieur<br />
Encéphalite herpétique<br />
Hématome lobaire<br />
Infarctus sylvien postérieur (origine<br />
embolique fréquente)<br />
Infarctus<br />
Tumeur<br />
Abcès<br />
Pli courbe (gyrus angulaire) Infarctus<br />
Tumeur<br />
Hématome lobaire<br />
Lobe occipital et splénium du<br />
corps calleux<br />
<strong>Aphasie</strong> anomique Manque du mot isolé Profondeur du lobe temporal<br />
Région hippocampique (faible<br />
valeur localisatrice)<br />
<strong>Aphasie</strong> transcorticale motrice Manque d’incitation verbale<br />
Répétition et compréhension normales<br />
<strong>Aphasie</strong> transcorticale sensorielle Compréhension perturbée avec<br />
répétition conservée et langage<br />
« creux ». Manque du mot<br />
Région préfrontale<br />
Aire motrice supplémentaire<br />
Noyaux gris<br />
Jonction temporo-occipitale<br />
Thalamus<br />
<strong>Aphasie</strong> transcorticale mixte Langage écholalique Zones de jonction entre territoires<br />
sylvien et cérébral antérieur et<br />
postérieur<br />
Infarctus de l’artère cérébrale<br />
postérieure<br />
Hématome lobaire, tumeur<br />
Tumeur (ou autre processus<br />
expansif)<br />
Alzheimer<br />
Infarctus ACP<br />
Encéphalite herpétique<br />
Infarctus ACA ou jonction<br />
ACA-ACM<br />
Hématome<br />
Tumeur<br />
Infarctus ACP étendu<br />
Alzheimer<br />
Infarctus de jonction postérieur<br />
Infarctus de jonction étendu uniou<br />
bilatéral (hypotension,<br />
hypoxie, arrêt cardiaque)<br />
*Trouble n’appartenant pas au domaine de l’aphasie proprement dite. ACA : artère cérébrale antérieure ; ACM : artère cérébrale moyenne ; ACP : artère cérébrale postérieure.<br />
du langage »), soit à une lésion profonde de la substance blanche ou<br />
du thalamus. La survenue aiguë d’une aphasie transcorticale mixte<br />
serait pathognomonique d’une occlusion carotidienne gauche.<br />
¶ <strong>Aphasie</strong> globale<br />
L’aphasie globale est due soit à une lésion étendue de l’hémisphère<br />
gauche (infarctus sylvien total par exemple), soit à une lésion<br />
profonde interrompant à la fois les voies motrices efférentes issues<br />
de l’hémisphère gauche et les fibres d’origine calleuse provenant de<br />
l’hémisphère droit. L’évolution pourrait être meilleure dans ce<br />
dernier cas, laissant tout de même persister une réduction sévère et<br />
durable de la fluence verbale. Sur le plan étiologique, il convient de<br />
noter qu’une aphasie globale aiguë sans hémiplégie est<br />
caractéristique d’un accident vasculaire cérébral de mécanisme<br />
embolique [178] .<br />
¶ <strong>Aphasie</strong>s sous-corticales<br />
Hémiplégie, hémianopsie, hémianesthésie<br />
Hémiplégie brachiofaciale<br />
Apraxie<br />
Hémianopsie ou quadranopsie<br />
Troubles sensitifs<br />
Peu ou pas de troubles moteurs<br />
Troubles sensitifs<br />
Quadranopsie<br />
Aucun<br />
Hémianopsie<br />
Syndrome de Gerstmann<br />
Hémianopsie<br />
Agnosie visuelle<br />
Apraxie<br />
Peu ou pas de troubles sensitivomoteurs<br />
Quadranopsie supérieure<br />
Syndrome frontal<br />
Dysarthrie<br />
Hémiplégie crurale<br />
Démence<br />
Hémianopsie<br />
Troubles de l’attention<br />
Hémiplégie crurale uni- ou<br />
bilatérale<br />
<strong>Aphasie</strong>s par lésions du thalamus et du striatum<br />
C’est l’étude des troubles du langage consécutifs aux lésions des<br />
noyaux gris et en particulier du thalamus qui a conduit à la<br />
description du syndrome d’« aphasie sous-corticale », au sens actuel<br />
d’aphasie « dissidente », et dont on peut rappeler ici les trois niveaux<br />
de perturbation (Cambier [25] ):<br />
– dynamique attentionnelle et intentionnelle de la communication ;<br />
– choix lexical et cohérence sémantique ;<br />
21
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
CORTEX<br />
MOTEUR<br />
Boucle<br />
audiphonatoire<br />
CORTEX<br />
AUDITIF<br />
CORTEX FRONTAL<br />
C<br />
L<br />
A<br />
FA<br />
C<br />
L<br />
P<br />
CORTEX<br />
VISUEL<br />
+ +<br />
+<br />
NC<br />
_<br />
_<br />
PALL<br />
SYSTÈME<br />
SÉMANTIQUE<br />
– exécution motrice de la parole.<br />
Crosson [35] , en s’appuyant sur les observations cliniques et<br />
l’imagerie fonctionnelle, a proposé un modèle incluant le thalamus,<br />
les noyaux caudé et lenticulaire, plusieurs aires corticales et leurs<br />
connexions réciproques, dont s’inspire la figure 4. Les noyaux<br />
thalamiques appelés à jouer un rôle dans le langage seraient le<br />
ventral antérieur, le noyau réticulaire, le centre médian et le<br />
pulvinar. L’hypophonie et la dysarthrie s’expliqueraient par une<br />
atteinte du noyau ventrolatéral, celle du noyau antérieur et des<br />
faisceaux mamillothalamique et amygdalo-dorso-médian expliquant<br />
les troubles de la mémoire verbale. Pour rendre compte des<br />
particularités sémiologiques des aphasies sous-corticales, Crosson<br />
fait l’hypothèse d’un « engagement sélectif » de l’attention en vue<br />
de la sélection lexicale, engagement dans lequel le thalamus jouerait<br />
un rôle essentiel. En effet, en langage spontané ou même en<br />
dénomination, le choix lexical est une opération beaucoup moins<br />
contrainte, parce que moins automatisée, que ne le sont par exemple<br />
la lecture ou la répétition. Il mobilise de ce fait une charge<br />
attentionnelle élevée, et représente pour cette raison le maillon faible<br />
de la chaîne de production verbale. La défaillance de cet engagement<br />
sélectif provoque une instabilité de l’interface lexicosémantique,<br />
d’où une sélection approximative dans un stock lexical par ailleurs<br />
intact. Cette interprétation vise à expliquer la singularité de certaines<br />
paraphasies et la fréquence des glissements sémantiques, parfois<br />
favorisés par un certain degré de désinhibition où interviennent les<br />
connexions thalamofrontales. Les cas d’aphasie thalamique avec<br />
déficits lexicosémantiques catégoriels (anomie pour les noms<br />
propres [126] ou pour les termes médicaux [36] ) sont des arguments<br />
supplémentaires en faveur de l’implication du thalamus dans les<br />
processus sémantiques.<br />
<strong>Aphasie</strong>s par lésions de la substance blanche<br />
Comme l’ont montré Puel et al [145] , une lésion sous-corticale donne,<br />
dans 50 % des cas, une aphasie de type « cortical » (Broca, Wernicke,<br />
_<br />
V A<br />
NR<br />
FRAA<br />
PUL<br />
4 Rôle présumé des structures sous-corticales dans le contrôle de la production<br />
du langage. D’après Crosson [35, 36] . Le pallidum (PALL) inhibe en permanence<br />
le noyau ventral antérieur (VA). Le noyau caudé (NC), lorsqu’il est stimulé, inhibe luimême<br />
le pallidum. Lorsqu’un segment linguistique est formulé par le « cortex linguistique<br />
antérieur » (CLA), celui-ci active partiellement le noyau caudé, mais cette action<br />
est insuffisante pour mettre en marche le système. Grâce aux connexions entre CLA<br />
et CLP (« cortex linguistique postérieur »), lesquelles passeraient notamment par le<br />
pulvinar (PUL), le contenu sémantique du segment linguistique formulé par le CLA<br />
est contrôlé par le CLP, qui active à son tour le noyau caudé. Le niveau d’activation<br />
de celui-ci devient alors suffisant pour inhiber le pallidum, levant l’inhibition du VA<br />
et permettant l’exécution du programme moteur nécessaire à l’énonciation de la phrase.<br />
Le thalamus reçoit également les projections du cortex frontal relayées en partie par le<br />
noyau réticulaire (NR), et de la formation réticulée activatrice ascendante (FRAA) relayée<br />
par le centre médian (CM). Des opérations réalisables sans recours au système sémantique<br />
comme la répétition et la lecture à haute voix, sont assurées par l’ensemble<br />
CLP-faisceau arqué (FA)-CLA, et ne sont pas affectées par l’atteinte du dispositif précédent<br />
22<br />
CM<br />
aphasie globale). L’imagerie fonctionnelle a révélé en pareil cas le<br />
rôle de l’hypométabolisme cortical à distance (diaschisis inter- et<br />
intra-hémisphérique), affectant l’activité neuronale des aires du<br />
langage pourtant épargnées par la lésion [119, 127] . Le parallélisme<br />
parfois observé entre la régression du diaschisis et la récupération<br />
accrédite l’idée que l’aphasie, liée avant tout à une dysconnexion,<br />
n’est alors « sous-corticale » qu’en apparence, expliquant les<br />
analogies sémiologiques avec les aphasies classiques. Naeser et al [133]<br />
puis Alexander (1989) [102] ont étudié des séries de patients ayant une<br />
aphasie par lésions de la substance blanche sous-corticale, dont ils<br />
ont effectué un repérage topographique en secteurs :<br />
– la substance blanche périventriculaire, comprenant un secteur<br />
antérolatéral situé autour des cornes frontales (qui inclut notamment<br />
le faisceau sous-calleux) et un secteur supérieur divisé en trois<br />
parties (tiers antérieur, moyen et postérieur) ;<br />
– la substance blanche sous-corticale ;<br />
– les isthmes frontal et temporal situés respectivement entre les<br />
extrémités antérieure et postérieure du cortex insulaire et les<br />
ventricules latéraux ;<br />
– la capsule interne (bras antérieur, bras postérieur et genou).<br />
Une lésion de la substance blanche périventriculaire antérolatérale<br />
entraîne un mutisme transitoire suivi d’une réduction plus durable<br />
du langage spontané. Il peut exister également un manque du mot<br />
et parfois des paraphasies sémantiques, mais le défaut d’initiation<br />
de la parole et de l’écriture est le trouble essentiel. Ces symptômes<br />
résulteraient d’une interruption des voies issues de l’aire motrice<br />
supplémentaire et du cortex moteur associatif. Une lésion de la<br />
substance blanche périventriculaire supéroantérieure donne des<br />
symptômes identiques avec, en outre, une dysarthrie, une<br />
hémiparésie et une apraxie de la main gauche, dus à une<br />
dysconnexion à la fois intra-hémisphérique (entre le lobe pariétal et<br />
le cortex moteur associatif) et inter-hémisphérique entre les cortex<br />
moteurs associatifs droit et gauche. Une lésion de la substance<br />
blanche supéropostérieure est pratiquement sans effet sur le langage.<br />
Une lésion combinée de la substance blanche antérolatérale et<br />
supérieure (tiers antérieur et moyen) suffit, en coupant à la fois la<br />
voie motrice et le faisceau sous-calleux, à entraîner une suspension<br />
durable de l’expression orale ou une production réduite à quelques<br />
stéréotypies. Ces lésions multiples de la substance blanche<br />
périventriculaire joueraient un rôle primordial dans les formes<br />
persistantes d’aphasie de Broca. Une lésion de la partie antérieure<br />
de l’isthme temporal donnerait un trouble modéré de la<br />
compréhension du langage oral en interrompant les connexions<br />
entre le corps genouillé médian et le cortex auditif, déficit encore<br />
majoré en cas de lésion périventriculaire supéropostérieure associée.<br />
Une lésion postérieure de l’isthme temporal serait responsable d’un<br />
tableau proche de l’aphasie transcorticale sensorielle.<br />
Les atteintes de la substance blanche sous-jacente à l’opercule frontal<br />
ou au cortex central inférieur sont associées à des paraphasies<br />
phonémiques. La dysconnexion ainsi réalisée entre l’aire de<br />
Wernicke et l’opercule frontal serait une des causes possibles des<br />
substitutions phonémiques particulièrement fréquentes dans<br />
l’aphasie de conduction.<br />
CORRÉLATIONS ANATOMOCLINIQUES<br />
DES SYMPTÔMES APHASIQUES (tableau II)<br />
L’analyse neuropsychologique d’un trouble du langage ne permet<br />
pas toujours d’aboutir à un diagnostic syndromique précis. Le<br />
tableau de chaque patient, s’il peut être inclus dans l’une des<br />
grandes catégories de la classification précédente, présente souvent<br />
des spécificités qui nécessitent une analyse plus poussée. L’étude<br />
des symptômes pris isolément a l’avantage d’une moindre<br />
ambiguïté dans les définitions, et elle offre la possibilité d’une<br />
quantification (pourcentage d’erreurs ou de réussite à des épreuves<br />
de dénomination, compréhension, fluence) et d’une qualification<br />
(proportion des différents types de paraphasies, ou des erreurs<br />
phonologiques versus lexicales, par exemple) que ne permet pas<br />
l’approche syndromique globale. Malgré ce surcroît de précision, les
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
Tableau II. – Corrélations des symptômes aphasiques (d’après [3] et [93] ).<br />
Symptômes Lésions<br />
Surdité verbale pure<br />
Alexie pure<br />
Troubles lexicosémantiques<br />
• Troubles de la compréhension<br />
- trouble purement verbal<br />
- trouble sémantique<br />
- dissociation en fonction du contenu :<br />
- objets animés (prépondérance des processus d’identification)<br />
- objets inanimés (prépondérance des processus d’utilisation)<br />
- dissociation en fonction du statut grammatical<br />
- noms<br />
- verbes<br />
• Anomie<br />
- langage spontané et épreuves de dénomination<br />
- langage spontané seulement<br />
- par entrée visuelle<br />
« <strong>Aphasie</strong>s non fluentes »<br />
Paraphasies verbales<br />
Persévérations<br />
Paraphasies phonémiques<br />
Réduction de la production orale<br />
Syntaxe et discours<br />
• Pertes de l’initiative verbale, mutisme régressif<br />
• Déficit plus durable<br />
• Troubles du discours (lacunaire, tronqué, diffluent)<br />
• Syntaxe<br />
Répétition<br />
résultats des études à visée épidémiologique et de corrélation<br />
lésionnelle portant sur les caractéristiques élémentaires des troubles<br />
du langage se heurtent à une difficulté que la plus précise des<br />
méthodologies ne peut vaincre, celle de la variabilité étiologique.<br />
Les modifications du langage dues à une lésion cérébrale sont<br />
influencées non seulement par la topographie de la lésion, mais par<br />
la nature et la vitesse d’installation de celle-ci, deux facteurs ayant<br />
une influence décisive sur la réorganisation fonctionnelle du<br />
cerveau, sur laquelle va, en définitive, reposer le tableau clinique<br />
observé. Les données supposées acquises sur les corrélations clinicoanatomiques<br />
des symptômes aphasiques sont donc à nuancer<br />
sensiblement en fonction de l’étiologie et de l’évolution de la<br />
maladie causale. Ces importantes réserves étant faites, nous faisons<br />
figurer dans le tableau II ces corrélations, tirées d’études portant sur<br />
des séries de patients cérébrolésés examinés par IRM [3, 93] .<br />
CERVEAU ET LANGAGE<br />
¶ Aires de Broca et de Wernicke<br />
L’aire de Broca est le support de la fonction syntaxique du langage.<br />
Cette fonction comprend non seulement l’utilisation des mots<br />
grammaticaux, mais aussi le maniement des verbes et, en particulier,<br />
de l’expression et de la compréhension des verbes d’action. Les<br />
autres éléments de l’ensemble syndromique constituant l’« aphasie<br />
de Broca », telle qu’elle fut décrite par son auteur, sont imputables à<br />
l’atteinte de structures avoisinantes : cortex moteur operculaire<br />
(troubles arthriques et phonétiques), cortex pariétal inférieur<br />
(troubles phonémiques), cortex frontal dorsolatéral (dynamique du<br />
discours, mémoire de travail verbale, incitation verbale, inhibition<br />
des persévérations, cohérence sémantique). L’aire motrice<br />
supplémentaire et le gyrus cingulaire gauche interviendraient dans<br />
l’incitation verbale, et les structures sous-corticales dans les aspects<br />
moteurs, ainsi que dans la cohérence sémantique.<br />
Aires 41 et 42 (gauches ou bilatérales)<br />
Lésion occipitale gauche :<br />
- cortex + splénium<br />
- substance blanche sous-corticale<br />
• Néocortex temporal gauche (aires 41, 42 et 22)<br />
- lésion limitée<br />
- lésion étendue (22, 37, 40)<br />
- lésion inférieure (temporo-occipitale)<br />
- lésion supérieure (temporopariétale)<br />
- cortex temporal<br />
- cortex frontal dorsolatéral ou pariétal<br />
- aires corticales périsylviennes et toute lésion étendue<br />
- lésions sous-corticales<br />
- lésion occipitale gauche<br />
• Lésions frontales, temporales et sous-corticales<br />
• Noyau caudé<br />
• Aires 40 et 22<br />
• Lésions frontales postéro-inférieures et sous-corticales<br />
• Lésions frontales sous-corticales étendues<br />
• Putamen<br />
• Lésions rolandiques et sous-rolandiques<br />
• Aire motrice supplémentaire et/ou gyrus cingulaire antérieur<br />
• Lésion associée du corps calleux et de la substance blanche adjacente<br />
- Cortex préfrontal<br />
- Structures sous-corticales<br />
• Aire de Broca<br />
Insula et capsule externe<br />
L’anatomie fonctionnelle de l’aire de Wernicke a été décrite sous des<br />
formes tellement variées qu’il est difficile de prétendre actuellement<br />
en donner une vision exacte ou même cohérente [187] .<br />
Schématiquement, il est possible de retenir que la partie postérieure<br />
du gyrus temporal moyen et les régions avoisinantes (aires 22, 21 et<br />
37 de Brodmann) sont concernées par le traitement lexical et la<br />
correspondance lexicosémantique. Des sous-spécialisations<br />
catégorielles semblent exister, avec une relation fonctionnelle<br />
préférentielle entre les noms d’animaux et êtres animés et le cortex<br />
temporal latéral inférieur, les noms d’objets manufacturés et le cortex<br />
temporal postérosupérieur à la jonction avec le lobe pariétal. Le<br />
gyrus temporal supérieur et le gyrus supramarginal (aire 40) sont,<br />
quant à eux, responsables du traitement phonologique, ainsi que de<br />
la mémoire verbale à court terme. Le gyrus temporal supérieur luimême<br />
répond à la stimulation par des sons de parole (stimulation<br />
phonétique), mais seule sa partie antérieure serait activée lorsque le<br />
stimulus forme un message intelligible [157] .<br />
¶ Architecture tridimensionnelle des aires cérébrales<br />
du langage<br />
Alexander [3] a proposé les correspondances suivantes entre les<br />
structures de l’hémisphère cérébral gauche et le langage envisagé<br />
comme un ensemble de systèmes fonctionnels complémentaires :<br />
– un système d’initiation impliquant l’aire motrice supplémentaire<br />
et peut-être le cingulum antérieur. Ces structures projettent sur le<br />
cortex frontal dorsolatéral via la substance blanche périventriculaire<br />
antérolatérale ;<br />
– un système de production de la parole assurant la qualité de<br />
l’articulation et du volume vocal incluant l’opercule frontal et le<br />
cortex moteur inférieur, qui projettent sur les noyaux gris centraux<br />
(putamen et noyaux caudés) via la substance blanche<br />
23
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
périventriculaire supérieure antérieure et moyenne, le genou de la<br />
capsule interne et la partie postérieure du bras antérieur de la<br />
capsule interne ;<br />
– un système d’organisation phonémique impliquant l’opercule<br />
frontal, le cortex moteur inférieur et leurs efférences (substance<br />
blanche périventriculaire supérieure, antérieure et moyenne), ainsi<br />
que l’aire de Wernicke et ses connexions vers l’opercule frontal qui<br />
cheminent dans la substance blanche sous-corticale ;<br />
– un système de compréhension auditive comprenant le cortex auditif,<br />
l’aire de Wernicke, le cortex associatif temporopariétal et les<br />
projections du thalamus sur le cortex d’association auditif via<br />
l’isthme temporal ;<br />
– un système sémantique qui impliquerait le thalamus antérieur et<br />
latéral, la jonction temporo-occipito-pariétale, ainsi que leurs<br />
connexions empruntant l’isthme temporal postérieur et la substance<br />
blanche périventriculaire postérieure et supérieure.<br />
APPORTS DE L’IMAGERIE FONCTIONNELLE (tableau III)<br />
Les hypothèses visant à corréler les processus cognitifs à l’anatomie<br />
cérébrale doivent désormais se confronter non plus seulement aux<br />
données morphologiques, mais à celles de l’imagerie fonctionnelle.<br />
¶ Techniques<br />
L’imagerie fonctionnelle utilise trois types de protocoles :<br />
Tableau III. – Études en imagerie fonctionnelle chez le sujet sain ou aphasique.<br />
– études du débit sanguin et/ou du métabolisme cérébral régional<br />
au repos chez les aphasiques, permettant d’une part d’identifier des<br />
régions hypométaboliques au-delà des lésions vues en imagerie<br />
morphologique (diaschisis) et, d’autre part, d’effectuer des<br />
corrélations clinicométaboliques ;<br />
– études d’activation chez des aphasiques visant à comprendre les<br />
mécanismes de la récupération ;<br />
– études d’activation chez le sujet normal visant à repérer les<br />
régions cérébrales dont le métabolisme est modifié au cours d’une<br />
tâche donnée.<br />
Les études au repos font généralement appel à la TEP, les activations<br />
à la TEP ou à l’IRMf.<br />
Nous avons fait figurer dans le tableau III un choix de données<br />
recueillies chez le sujet sain ou aphasique, au repos ou en activation.<br />
Compte tenu de la véritable explosion que connaît aujourd’hui la<br />
recherche dans ce domaine, cette brève mise au point doit être<br />
considérée comme provisoire.<br />
¶ Résultats<br />
Les premières mesures du débit sanguin cérébral chez des patients<br />
aphasiques remontent à 1978 [172] , montrant pour la première fois une<br />
diminution du débit sanguin cérébral plus étendue que la lésion<br />
visible au scanner. La confirmation que cet hypodébit reflète en<br />
réalité un hypométabolisme à distance de la lésion a été apportée<br />
par la TEP dès 1981 [119] . L’intérêt de ces constatations est renforcé<br />
Références Étude Imagerie Sujets Résultats<br />
Kircher et al, 2000 [89] Génération de mot : commentaire sur test de Rorschach<br />
Bookheimer et al, 2000 [18] Langage « automatique » : répétition de pho-<br />
Embick et al, 2000<br />
nèmes, mois de l’année, passage de prose appris<br />
par cœur<br />
[53] Lecture : détection d’erreurs syntaxiques versus<br />
orthographiques<br />
IRMf Volontaires sains Corrélation entre production verbale et aires 22, 39<br />
et 40 gauches<br />
IRMf Volontaires sains Mois versus phonèmes : activation postérosupérieure<br />
du cortex temporal postéro supérieur G<br />
Récit versus mois : aire de Broca G<br />
IRMf Volontaires sains Activation prédominante de l’aire de Broca au<br />
cours de la tâche syntaxique<br />
Hickok et al, 2000 [75] Dénomination subvocale IRMf Volontaires sains Activation région dorsale postérieure du gyrus<br />
temporal supérieur gauche<br />
Ohyama et al, 1996 [137] Répétition de mots TEP Volontaires sains Activation bilatérale à prédominance gauche du<br />
cortex frontal postéro-inférieur et temporal postérosupérieur<br />
Ohyama et al, 1996 [137] Répétition de mots TEP Aphasiques Activation droite plus marquée que chez les volontaires<br />
sains, mais performances corrélées à l’activation<br />
gauche<br />
Scott et al, 2000 [157] Compréhension orale : sons versus phonèmes<br />
versus parole intelligible<br />
Friederici et al, 2000 [65] Compréhension orale : phrases versus listes de<br />
mots et de non-mots<br />
TEP Volontaires sains Activation du sillon temporal supérieur par la<br />
parole, mais de sa partie antérieure seulement si<br />
elle est intelligible<br />
IRMf Volontaires sains Langage normal : activation aires auditives primaires<br />
et secondaires bilatérales<br />
Traitement syntaxique : opercule frontal gauche<br />
Mummery et al, 1999 [132] Audition parole versus bruit TEP Volontaires sains Activation temporale postérosupérieure gauche<br />
Mummery et al, 1999 [132] Audition parole versus bruit TEP Aphasiques Activation temporale postérosupérieure droite<br />
Weiller et al, 1995 [185] Compréhension orale et génération de verbes TEP Volontaires sains Activation aires de Wernicke et Broca (génération<br />
de verbes) gauches et, à un moindre degré, droites<br />
Weiller et al, 1995 [185] Compréhension orale et génération de verbes TEP <strong>Aphasie</strong> de Wernicke Activation aire de Broca gauche et aires de Broca et<br />
Wernicke droites<br />
Rosen et al, 2000 [151] Génération de mots versus lecture IRMf Infarctus FIG (aire de Broca) Activation aire de Broca D ; activation résiduelle<br />
aire de Broca G corrélée aux performances<br />
Miura et al, 1999 [121] Tâches verbales IRMf 1 aphasie de Broca Activation croissante de l’aire de Broca gauche<br />
avec la récupération<br />
Adair et al, 2000 [1] Lecture de non-mots avant et après rééducation TEMp 1 alexie phonologique Apparition d’une activation hémisphérique droite<br />
(cortex périsylvien postérieur et aire de Broca)<br />
après rééducation<br />
Calvert et al, 2000 [124] Épreuve de rimes IRMf 1 aphasie de Broca Activation frontale droite symétrique de l’aire de<br />
Broca<br />
Certains résultats ont été présentés de façon séparée pour plus de clarté. Les « résultats » mentionnés dans ce tableau, résumés en quelques mots, ne donnent qu’une idée très incomplète des travaux réalisés, et le lecteur intéressé est invité<br />
à se reporter aux articles originaux. IRMf : imagerie par résonance magnétique fonctionnelle; TEP : tomographie par émission de positons ; TEMP : tomographie par émission monophotonique ; FIG : frontal inférieur gauche ; G : gauche ; D :<br />
droit(e).<br />
24
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
par les études de débit sanguin et/ou de métabolisme cérébral au<br />
cours de la récupération des syndromes aphasiques. Pionniers en ce<br />
domaine, Weiller et al [185] ont mesuré le débit sanguin cérébral au<br />
repos, puis au cours d’une tâche de langage chez des patients ayant<br />
récupéré d’une aphasie de Wernicke, et comparé les résultats avec<br />
ceux d’un groupe de sujets normaux. Chez ces derniers, les tâches<br />
linguistiques entraînaient une augmentation du débit sanguin<br />
cérébral affectant presque exclusivement les aires corticales<br />
temporales et frontales gauches, tandis que chez les patients<br />
cérébrolésés, l’augmentation portait également sur les aires<br />
homologues de l’hémisphère droit. Ces résultats suggèrent que la<br />
récupération de l’aphasie repose en partie sur la mise en œuvre de<br />
zones hémisphériques droites qui ne sont pas mises en jeu par le<br />
langage en temps habituel. Malheureusement, comme l’ont montré<br />
des études en TEP ou en IRMf [121, 137, 151] , la compétence linguistique<br />
de ces aires vicariantes est généralement insuffisante pour assurer<br />
une récupération de qualité. Dans les trois études citées, les patients,<br />
aphasiques en cours de récupération, soumis à des tâches de<br />
langage, voient leur débit sanguin augmenter lors de cette activation<br />
dans des proportions variables, mais la qualité de la récupération<br />
clinique est seulement corrélée à l’activation des aires corticales<br />
gauches juxtalésionnelles épargnées par la lésion, et jamais aux<br />
activations des aires corticales homologues de l’hémisphère droit.<br />
Par conséquent, chez les sujets adultes clairement latéralisés, les<br />
chances de récupération reposent avant tout sur la préservation<br />
d’une partie des aires normalement dévolues au langage au niveau<br />
de l’hémisphère gauche.<br />
LANGAGE ET PRÉFÉRENCE MANUELLE<br />
La dominance gauche pour le langage varie de façon linéaire avec la<br />
préférence manuelle, passant de 96 % chez les droitiers stricts à 27 %<br />
chez les gauchers stricts [90] . Ces chiffres montrent aussi que chez les<br />
trois quarts des gauchers, une lésion gauche risque d’être génératrice<br />
d’aphasie, et que d’authentiques aphasies croisées peuvent survenir<br />
chez seulement 4 % des droitiers. Chez les droitiers, les lésions<br />
hémisphériques droites symétriques des aires du langage dans<br />
l’hémisphère gauche donnent des troubles de la prosodie ou du<br />
maniement d’aspects implicites du langage, ainsi que de la<br />
reconnaissance de ces caractéristiques chez l’interlocuteur, suivant<br />
que les lésions sont antérieures ou postérieures (voir supra). Les<br />
sujets gauchers ayant une dominance gauche pour le langage ont,<br />
comme les droitiers, un planum temporale plus étendu à gauche<br />
qu’à droite, mais aussi un corps calleux plus épais que les sujets<br />
dont la dominance manuelle et linguistique concorde [122] . Ce fait<br />
suggère que la répartition dans les deux hémisphères des<br />
représentations motrices liées à la dominance manuelle et des aires<br />
du langage se traduit par une nécessité accrue de communication<br />
interhémisphérique.<br />
Troubles de la parole<br />
en dehors de l’aphasie<br />
Il s’agit des troubles dus à la perturbation de la motricité des<br />
organes phonatoires, quelle qu’en soit la cause : affections des<br />
muscles, de la plaque motrice, du nerf périphérique, du système<br />
pyramidal et des systèmes de contrôle cérébelleux et<br />
extrapyramidal. L’examen neurologique commence par l’écoute de<br />
la production du malade et l’examen des organes phonatoires. Les<br />
résultats de l’écoute sont entachés de subjectivité et l’examen ne<br />
permet pas toujours un diagnostic précis. Si nécessaire, on peut<br />
compléter cet examen par un enregistrement de la production<br />
vocale, permettant une analyse plus précise des capacités<br />
articulatoires, de la prosodie, de la qualité de la voix et du débit. Il<br />
est classique de proposer des épreuves de tenue de son, de répétition<br />
de phrases incluant les intonations déclaratives, interrogatives et<br />
exclamatives. Cet examen apporte des indications sur la hauteur, le<br />
timbre et l’intensité de la voix et permet d’identifier les altérations<br />
de la parole : faiblesse articulatoire, explosion excessive,<br />
assourdissement, imprécision des phonèmes.<br />
Des méthodes instrumentales peuvent être utilisées en milieu<br />
spécialisé. La laryngoscopie indirecte ou mieux directe par<br />
fibroscope nasal permet de voir l’aspect des cordes vocales et leur<br />
mobilité. La laryngostroboscopie permet l’examen du<br />
fonctionnement des cordes vocales au cours de la voix chantée. Les<br />
examens électromyographiques et cinéradiographiques renseignent<br />
sur l’amplitude des mouvements articulatoires et les mesures<br />
aérodynamiques étudient les mouvements d’expansion et de<br />
contraction du thorax et le volume d’air utilisé lors de la respiration<br />
et lors de la phonation. Les études acoustiques reposent sur<br />
l’examen oscillographique. Il s’agit de l’analyse physique de l’onde<br />
sonore qui est visualisée sur un écran cathodique et peut être filmée.<br />
Cette technique permet l’analyse de l’intensité sonore, de la<br />
fréquence fondamentale, de la structure acoustique et de la durée<br />
des différents segments de la parole (phonèmes, mots, phrases), ainsi<br />
que de la durée des pauses.<br />
TROUBLES DE LA VOIX (DYSPHONIES)<br />
Leur diagnostic repose sur la laryngoscopie, montrant l’aspect et la<br />
mobilité des cordes vocales, et sur l’examen neurologique qui met<br />
en évidence d’éventuels troubles associés. On décrit des paralysies<br />
et des dysphonies fonctionnelles.<br />
¶ Dysphonies paralytiques<br />
L’innervation des muscles laryngés est assurée en totalité par la<br />
dixième paire crânienne ou nerf pneumogastrique (X). Dans la<br />
paralysie des cordes vocales par atteinte du X, la voix est faible,<br />
parfois chuchotée, soufflée ou présente des cassures en fausset. Des<br />
variantes existent selon que l’atteinte est uni- ou bilatérale (les<br />
troubles sont évidemment plus marqués dans ce dernier cas) et selon<br />
que la totalité du territoire du nerf ou seulement certaines de ses<br />
branches sont atteintes. Les atteintes globales sont dues soit à une<br />
lésion centrale (bulbaire), soit à une neuropathie, les lésions<br />
partielles à une compression distale (intrathoracique ou cervicale).<br />
Dans les lésions totales, une paralysie du voile avec nasonnement et<br />
troubles de la déglutition s’ajoute aux troubles de la voix. Une<br />
paralysie bilatérale des nerfs récurrents fixe les cordes vocales en<br />
adduction, donnant une dyspnée inspiratoire intense associée à une<br />
dysphonie. Une dyspnée laryngée sans dysphonie doit faire évoquer<br />
un syndrome de Gerhardt (paralysie sélective des dilatateurs de la<br />
glotte), qui peut être d’origine centrale (atteinte partielle du noyau<br />
ambigu au cours du syndrome de Shy et Drager), ou périphérique<br />
(polyradiculonévrite). On décrit enfin des cas de paralysie<br />
idiopathique des cordes vocales, plus souvent unilatérale (plus<br />
fréquente à gauche) que bilatérale, d’évolution régressive et qui<br />
constitueraient une forme de mononeuropathie des nerfs crâniens.<br />
¶ Dysphonies « fonctionnelles »<br />
– Des phénomènes de conversion hystérique peuvent comporter<br />
mutisme ou voix chuchotée, ou soufflée, enrouée, en fausset. Le<br />
diagnostic se fait sur la conservation de la toux qui atteste d’une<br />
capacité conservée de fermeture glottique.<br />
– La dysphonie spasmodique est une forme de dystonie focale. La<br />
voix est heurtée, bégayante, étranglée, produite avec effort. Le<br />
trouble est variable, exagéré lors des émotions, parfois absent lors<br />
d’une émission imprévue. À la laryngoscopie, il existe un spasme<br />
en adduction des cordes. Elle peut s’accompagner d’un tremblement<br />
de la voix. Son traitement repose sur l’injection locale de toxine<br />
botulinique.<br />
TROUBLES DE L’ARTICULATION (DYSARTHRIES)<br />
¶ Sémiologie des dysarthries<br />
Darley et al [40] distinguent :<br />
– une dysarthrie flasque (paralysies périphériques :<br />
polyradiculonévrites, myasthénie, paralysie bulbaire progressive) :<br />
faiblesse articulatoire, forte nasalité, découplage de la parole et de la<br />
respiration ;<br />
25
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
– une dysarthrie spastique (syndromes pseudobulbaires) : faiblesse<br />
articulatoire, parole lente, de tonalité basse, voix rauque et<br />
étranglée ;<br />
– une dysarthrie ataxique (syndromes cérébelleux) : accentuation<br />
excessive et inégalement répartie, prolongation des phonèmes et des<br />
intervalles, irrégularités dans la parole spontanée et la répétition,<br />
lenteur d’élocution, intensité vocale souvent excessive et irrégulière ;<br />
– une dysarthrie hypokinétique (maladie de Parkinson) : parole<br />
monotone dans sa hauteur et son intensité, d’intensité globalement<br />
réduite, de rapidité variable, comportant de courtes accélérations et<br />
des silences inappropriés, parfois, une palilalie ;<br />
– une dysarthrie hyperkinétique rapide des chorées où la précision de<br />
l’articulation, le nasonnement et l’intensité varient rapidement d’un<br />
moment à l’autre, celle des myoclonies où existent des interruptions<br />
rythmiques de la parole et des nasonnements et celle du syndrome<br />
de Gilles de la Tourette.<br />
– une dysarthrie hyperkinétique lente (athétose, dyskinésies et<br />
dystonies) : variations de la qualité articulatoire, prosodie excessive<br />
et inadaptée, troubles intermittents de la voix ;<br />
– une dysarthrie des tremblements (surtout tremblement essentiel) :<br />
voix chevrotante du fait d’altérations rythmiques en hauteur et en<br />
intensité ;<br />
– une dysarthrie mixte : (SLA, SEP, maladie de Wilson) (voir infra) ;<br />
– sclérose latérale amyotrophique combinant une atteinte<br />
périphérique et pyramidale ;<br />
– sclérose en plaques qui combine des éléments paralytiques et<br />
cérébelleux ;<br />
– maladie de Wilson de type hypokinétique avec monotonie de<br />
l’accentuation, baisse de la hauteur et de l’intensité se distinguant<br />
de la dysarthrie parkinsonienne par l’absence d’épisode<br />
d’accélération.<br />
¶ Étiologie des dysarthries<br />
Accidents vasculaires cérébraux<br />
Le syndrome dysarthrie-main malhabile [61] comporte une parésie<br />
faciale centrale, une dysarthrie et une dysphagie combinées à une<br />
incoordination manuelle unilatérale, de mécanisme tantôt<br />
cérébelleux tantôt ataxique. Deux topographies lésionnelles sont<br />
possibles : le pied de la protubérance à l’union du tiers supérieur et<br />
du tiers moyen ou le genou de la capsule interne dans sa partie<br />
supérieure, régions où les fibres pyramidales sont relativement<br />
dispersées et où une atteinte sélective du contingent corticobulbaire<br />
est possible. Un tableau analogue pourrait être dû à un infarctus<br />
cortical, mais il existe alors un trouble sensitif péribuccal associé.<br />
Une dysarthrie mixte (parétique et cérébelleuse) accompagne<br />
également le syndrome d’hémiparésie ataxique, dû à une lésion<br />
protubérantielle ou capsulaire interne. Une dysarthrie parétique est<br />
fréquente au cours des lésions vasculaires sous-corticales affectant<br />
la voie motrice principale ou les noyaux gris, et peut même résumer<br />
la symptomatologie après lésion putaminale.<br />
Autres causes<br />
Les causes des dysarthries sont trop nombreuses pour être passées<br />
en revue ici. Nous insisterons seulement sur celles dont le diagnostic<br />
peut être difficile parce qu’elles constituent le signe inaugural ou<br />
prédominant de la maladie.<br />
Dans la sclérose latérale amyotrophique à début bulbaire et surtout<br />
pseudobulbaire, la parole est lente, l’articulation faible, la voix<br />
nasonnée, rauque et étranglée avec une perte de la prosodie. La<br />
motilité de la langue est réduite. Des troubles de la déglutition<br />
peuvent être associés. En cas d’atteinte du motoneurone<br />
périphérique, l’examen montre une atrophie et des fasciculations de<br />
la langue, avec, à l’électromyogramme (EMG), des signes<br />
neurogènes dans la houppe du menton ou la langue et, en cas<br />
26<br />
d’atteinte centrale, une exagération du réflexe massétérin et une<br />
labilité émotionnelle. La conservation du réflexe du voile contraste<br />
avec une motilité volontaire médiocre.<br />
La myasthénie peut réaliser un tableau très proche, mais il n’y a ni<br />
fasciculations de la langue ni signes centraux. On peut recueillir la<br />
notion d’une variabilité des troubles ou la mettre en évidence par<br />
une épreuve de fatigabilité phonatoire (par exemple, compter<br />
jusqu’à 100). Le diagnostic repose sur le test à la prostigmine ou au<br />
chlorure d’édrophonium.<br />
Dans la sclérose en plaques, de brefs épisodes de dysarthrie sont un<br />
exemple typique des manifestations paroxystiques de la maladie.<br />
Dans la maladie de Wilson, la dysarthrie serait, en fréquence, le<br />
deuxième signe révélateur après le tremblement. Il s’agit d’une<br />
dysarthrie typiquement hypokinétique avec une parole lente,<br />
monotone et de faible volume qui s’évanouit avant la fin de la<br />
phrase. Sa survenue chez un adolescent doit absolument faire<br />
évoquer le diagnostic. Il s’y associe souvent une modification du<br />
faciès avec un aspect figé et un peu grimaçant et une rétraction de la<br />
lèvre supérieure qui donne au malade un air souriant mais niais.<br />
Une dysarthrie progressive peut marquer le début d’une<br />
dégénérescence corticobasale ou d’une atrophie corticale focale<br />
progressive (voir « Étiologies »).<br />
BÉGAIEMENT<br />
Il s’agit d’un trouble de la parole caractérisé par des répétitions ou<br />
prolongations involontaires de l’émission d’un son : syllabe ou mot.<br />
Il s’y associe souvent une activité accessoire de l’appareil du<br />
langage, donnant l’apparence d’une lutte ainsi qu’un état émotionnel<br />
avec peur, tension, irritations [152] . Le bégaiement se rencontre plus<br />
souvent chez l’homme que chez la femme et nettement plus souvent<br />
chez l’enfant que chez l’adulte, ce qui implique que beaucoup de<br />
cas, trois sur quatre environ, guérissent en chemin. L’incidence<br />
familiale et même génétique est certaine puisque le bégaiement est<br />
concordant à 90 % chez les jumeaux vrais et à 20 % chez les<br />
dizygotes.<br />
Le bégaiement disparaît lors du chant, de la parole en inhalation et,<br />
le plus souvent, de la lecture à haute voix. L’audition d’un bruit<br />
blanc ou de la parole différée du patient le fait également disparaître,<br />
ce qui impliquerait le contrôle auditif dans la pathogénie des<br />
troubles. Mais l’attention est surtout retenue par la possibilité d’un<br />
désordre laryngé. Les blocages surviennent le plus souvent au début<br />
des phrases et souvent à la transition entre sons voisés qui<br />
demandent une adduction des cordes et sons non voisés qui<br />
s’accompagnent de leur relâchement. Surtout, on a observé chez les<br />
bègues un trouble de la relation entre agonistes et antagonistes du<br />
larynx. Ce trouble peut être observé chez les bègues, même lorsque<br />
la parole apparaît fluente, mais non dans l’imitation du bégaiement,<br />
par des bègues ou des sujets normaux.<br />
Différentes théories du bégaiement ont été proposées [143] . Certaines<br />
insistent sur le rôle de la dominance cérébrale pour le langage qui<br />
serait imparfaite chez ces sujets. Les études de dominance manuelle<br />
ont donné des résultats incertains. Les autres théories sont d’ordre<br />
psychodynamique : le bégaiement normal du jeune enfant qui<br />
apprend la parole par essais et erreurs serait pérennisé par une<br />
attitude inadéquate de l’entourage qui cristallise autour de la parole<br />
anxiété et crainte de l’échec. Malgré un large succès d’opinion, ces<br />
théories ne semblent pas avoir été suivies de résultats<br />
thérapeutiques satisfaisants.<br />
Des lésions cérébrales peuvent être responsables d’un<br />
pseudobégaiement [101] , présentant des différences sémiologiques<br />
avec le bégaiement idiopathique : les blocages ne surviendraient pas<br />
seulement au début des phrases et persisteraient dans la lecture, la<br />
répétition et le chant. Les lésions sont vasculaires ou traumatiques,<br />
concernant le plus souvent les aires motrices ou les noyaux gris [68] .<br />
La lésion responsable peut être droite ou gauche. Dans ce dernier<br />
cas, le trouble est souvent associé à une aphasie sans qu’il y ait<br />
toutefois de parallélisme dans l’évolution. Certains cas d’aphasie<br />
transcorticale motrice peuvent faire exception : la difficulté à
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
progresser dans le discours, la tendance à la répétition peuvent être<br />
directement responsables du bégaiement. Un bégaiement de<br />
l’enfance disparu peut aussi réapparaître à l’occasion d’une affection<br />
neurologique, accident vasculaire cérébral [131] ou maladie de<br />
Parkinson [163] .<br />
<strong>Aphasie</strong> de l’enfant<br />
L’aphasie de l’enfant est « un trouble du langage consécutif à une<br />
atteinte objective du système nerveux central et survenant chez un<br />
sujet ayant déjà acquis un certain niveau de connaissance<br />
verbale » [160] , c’est-à-dire l’âge d’acquisition des premières phrases,<br />
estimé en moyenne à2ans [179] . Un trouble du langage plus précoce<br />
entre dans la catégorie des « dysphasies de développement ». Le<br />
diagnostic d’aphasie chez l’enfant exclut aussi les troubles de la<br />
communication liés à un déficit sensoriel ou intellectuel, à un<br />
autisme ou à une psychose, et les troubles de la parole comme le<br />
bégaiement. Un mutisme peut être délicat à interpréter, car il peut<br />
représenter la phase initiale d’une aphasie aiguë.<br />
SÉMIOLOGIE<br />
Les progrès des connaissances du développement du langage de<br />
l’enfant et l’analyse plus fine des troubles d’expression et de<br />
compréhension ont montré que la sémiologie est moins éloignée<br />
qu’on ne le croyait autrefois de celle de l’adulte, avec cependant une<br />
meilleure récupération dont les mécanismes restent hypothétiques.<br />
Dans 85 % des cas, les troubles expressifs prédominent sur les<br />
troubles de compréhension et la réduction peut aller jusqu’au<br />
mutisme à la phase initiale. En fait, certains mutismes,<br />
posttraumatiques notamment, sont dus à une inhibition<br />
psychologique qu’il faut savoir lever pour mettre en évidence la<br />
sémiologie proprement aphasique. La syntaxe serait plus incorrecte<br />
que simplifiée [2] . Dans ce domaine, il est très important de comparer<br />
avec l’expression de l’enfant du même âge, tout en sachant qu’il<br />
existe une grande variabilité dans le développement normal. Les<br />
troubles articulatoires seraient fréquents, sans toutefois de<br />
stéréotypies ni de persévérations motrices [2] , mais les études<br />
donnent des résultats contradictoires.<br />
Les aphasies sensorielles sont, comme chez l’adulte, marquées par<br />
des troubles de la compréhension, une articulation et une syntaxe<br />
conservées et des paraphasies. Contrairement à ce qui est observé<br />
chez l’adulte, il semble exister, avant l’âge de 8 ans, une corrélation<br />
inverse entre l’abondance des paraphasies et la fluidité du débit<br />
verbal. L’influence de l’âge de survenue de l’aphasie sur l’intensité<br />
des troubles de la compréhension est débattue [2] . En revanche,<br />
quand ils sont importants à la phase aiguë, ces troubles semblent de<br />
pronostic défavorable [180] .<br />
Toutes les autres formes classiques d’aphasie de l’adulte (aphasies<br />
transcorticales motrice et sensorielle, aphasie de conduction) ont<br />
également été décrites chez l’enfant, avec des localisations<br />
lésionnelles analogues, suggérant une spécialisation précoce des<br />
aires cérébrales du langage.<br />
Les troubles de la lecture peuvent être importants et durables. Ils<br />
peuvent impliquer l’analyse graphémique, le décodage et la<br />
compréhension. Quant aux capacités d’écriture, elles n’ont donné<br />
lieu à aucune étude détaillée. Cependant, Alajouanine et Lhermitte [2]<br />
et Hécaen [72] ont rapporté que le langage écrit était plus perturbé<br />
que le langage oral et que ces difficultés avaient tendance à persister,<br />
pouvant jouer un rôle important dans l’échec scolaire ultérieur de<br />
ces enfants.<br />
ÉTIOLOGIES<br />
Les traumatismes crâniens sont la première cause d’aphasie chez<br />
l’enfant. L’aphasie succède souvent à un coma initial suivi d’une<br />
phase de mutisme akinétique. Le pronostic est lié à la gravité des<br />
lésions plus encore qu’à l’âge. Les accidents vasculaires (dus à des<br />
troubles de la coagulation, des malformations vasculaires ou des<br />
cardiopathies emboligènes) donnent des aphasies identiques à celles<br />
des adultes ayant des lésions de même topographie. Même si ces<br />
aphasies vasculaires de l’enfant sont moins bénignes qu’on ne l’avait<br />
supposé autrefois, leur évolution est comparativement plus<br />
favorable que chez l’adulte. Les infections bactériennes génératrices<br />
d’aphasie sont devenues rares chez l’enfant. En revanche,<br />
l’encéphalite herpétique est une cause d’aphasie sensorielle pouvant<br />
laisser de lourdes séquelles. Les tumeurs, plus souvent localisées à<br />
la fosse postérieure qu’aux hémisphères cérébraux, sont une cause<br />
d’aphasie beaucoup plus rare que chez l’adulte. Elles donnent<br />
surtout lieu à une anomie.<br />
PRONOSTIC ET RÉCUPÉRATION<br />
Le pronostic est nettement plus favorable que chez l’adulte, mais 25<br />
à 50 % des enfants aphasiques auraient encore des troubles du<br />
langage 1 an après le début [179] . Une épilepsie est un élément<br />
défavorable. D’autre part, les lésions diffuses et/ou bilatérales<br />
(souvent d’étiologie infectieuse) sont de mauvais pronostic [181] .<br />
Lenneberg [106] a esquissé une évolution en fonction de l’âge<br />
d’acquisition de la lésion. De 18 mois à 3 ans, on observe une reprise<br />
de l’acquisition du langage après une brève période de mutisme<br />
dont le caractère aphasique n’est pas démontré. Cette reprise se fait<br />
selon le schéma du développement normal : lallations, mots isolés,<br />
holophrases, mais à un rythme accéléré. Entre 3 et 4 ans, les troubles<br />
aphasiques sont rapidement résorbés. De 4à10ans, le tableau<br />
d’aphasie de l’enfant typique (expression réduite, mais troubles de<br />
compréhension modérés) se résorbe plus lentement, sans que la<br />
vitesse de récupération soit clairement influencée par l’âge au<br />
moment de la lésion [110] .<br />
« PRIX DE LA RÉCUPÉRATION » [179]<br />
Lenneberg a considéré la plasticité cérébrale comme le facteur<br />
expliquant la meilleure récupération de l’enfant. Cette plasticité a<br />
pour conséquence le transfert des capacités de langage, que les aires<br />
initialement prévues sont devenues incapables d’assumer, vers<br />
l’hémisphère contralatéral ou vers d’autres aires du même<br />
hémisphère. Un effet pervers de ce mécanisme serait d’empêcher les<br />
aires nouvellement investies de fonctions linguistiques d’accomplir<br />
leur spécialisation dans des processus non verbaux, expliquant ainsi<br />
une partie des difficultés scolaires que rencontrent les enfants<br />
aphasiques en cours de récupération dans de multiples domaines<br />
cognitifs autres que le langage. Une autre explication pour ces<br />
difficultés serait la présence de lésions présentes initialement au<br />
niveau de ces mêmes aires « vicariantes », mais passées inaperçues<br />
en raison de leur relative discrétion par rapport à l’aphasie. Les<br />
conséquences de ces lésions sur les capacités cognitives non verbales<br />
deviendraient apparentes à la reprise d’une activité nécessitant une<br />
mobilisation de l’ensemble du fonctionnement cérébral.<br />
SYNDROME DE LANDAU-KLEFFNER<br />
Le syndrome de Landau-Kleffner (SLK) associe une aphasie acquise<br />
et des anomalies paroxystiques à l’électroencéphalogramme (EEG),<br />
ainsi qu’une épilepsie dans 70 % des cas [99] . Les deux tiers des<br />
patients sont des garçons. Le début se fait dans 80 % des cas entre 3<br />
et 8 ans, dans 45 % des cas par une aphasie, dans 16 % des cas par<br />
une épilepsie et dans 17 % par les deux simultanément [9] . L’aphasie<br />
débute par des troubles de la compréhension orale, pouvant être<br />
pris pour une surdité, puis comporte des paraphasies et des erreurs<br />
phonémiques, une inattention et une agnosie auditives. Il peut s’y<br />
associer une hyperkinésie. Dans les cas les plus précoces (10 %),<br />
l’aphasie peut se présenter comme un retard de langage. Les tests<br />
montrent une préservation des capacités non verbales. Les crises<br />
d’épilepsie, quand elles surviennent, peuvent évoquer une épilepsie<br />
à paroxysmes rolandiques, ou se présenter sous la forme de<br />
clignements, de déviation du regard, de petits automatismes<br />
moteurs ou de chute de la tête, suivis ou non d’une généralisation<br />
27
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
secondaire. L’EEG est un élément essentiel du diagnostic. Il montre,<br />
sur une activité de fond normale, des pointes et pointes-ondes de<br />
grande amplitude à2Hzdetopographie variable dans l’espace et<br />
dans le temps, mais à prédominance temporale (50 % des cas) ou<br />
temporo-occipitale (un tiers des cas). Ces anomalies sont bilatérales,<br />
mais il a été montré par des tests pharmacologiques que le point de<br />
départ est unilatéral avec une diffusion contralatérale [129] . Les<br />
anomalies sont accentuées au cours du sommeil lent, où elles<br />
peuvent prendre l’aspect d’un état de mal. Les signes EEG sont les<br />
plus fréquents entre 3 et 5 ans, et disparaissent toujours au plus tard<br />
après 15 ans.<br />
L’imagerie morphologique (scanner et IRM) est normale. Les<br />
mesures de débit sanguin et de métabolisme cérébral peuvent<br />
montrer des zones d’hypo- ou d’hypermétabolisme correspondant<br />
aux foyers EEG [37, 71] . Les anomalies métaboliques sont purement<br />
corticales, sans altérations au niveau du thalamus [114] . La magnétoencéphalographie<br />
et les enregistrements par électrodes corticales ont<br />
démontré que le maximum des anomalies paroxystiques se situe à<br />
la partie postérieure de la face dorsale de la première circonvolution<br />
temporale, en arrière du gyrus de Heschl [129] . L’évolution des<br />
troubles du langage est d’autant plus sévère que le début est<br />
précoce, pouvant aboutir à un tableau proche d’une surdi-mutité. À<br />
l’inverse, l’épilepsie est peu invalidante et régresse toujours<br />
totalement avant l’âge de 15 ans. La normalisation de l’aphasie suit<br />
celle des tracés EEG. Cependant, 10 % des enfants gardent une<br />
aphasie grave, et 40 % des difficultés suffisantes pour compromettre<br />
leur insertion scolaire et sociale ultérieure.<br />
Le diagnostic différentiel [171] comporte l’autisme et les retards<br />
globaux de développement (dans lesquels les troubles cognitifs sont<br />
plus diffus), les retards mentaux symptomatiques (dans lesquels il<br />
existe des anomalies cliniques et en imagerie), les épilepsies<br />
bénignes de l’enfant (où il n’y a pas de troubles du langage), et les<br />
aphasies de développement (où manquent les signes EEG).<br />
Le SLK est aujourd’hui considéré comme une forme clinique du<br />
syndrome de pointes-ondes continues du sommeil lent (POCS) [48,<br />
171] . L’activité épileptique persistante bilatérale empêcherait, au<br />
niveau d’un cortex temporal encore immature, la formation des<br />
réseaux neuronaux nécessaires à l’acquisition du langage, sans<br />
possibilité de compensation par le cortex contralatéral<br />
(contrairement aux aphasies lésionnelles, dont la récupération est<br />
bien meilleure chez l’enfant).<br />
L’épilepsie, lorsqu’elle existe, répond en général favorablement à un<br />
traitement par benzodiazépines, associées ou non à du valproate. Le<br />
traitement à visée étiologique varie selon la gravité des troubles du<br />
langage. Lorsque ces derniers sont sévères ou durables, la<br />
corticothérapie est recommandée. Des succès ont été obtenus par la<br />
chirurgie (transsections sous-piales intracorticales multiples [129] )et<br />
par les immunoglobulines intraveineuses [120] .<br />
PRISE EN CHARGE DES ENFANTS APHASIQUES<br />
Dans les cas d’aphasie de l’enfant comme dans ceux de syndrome<br />
de Landau-Kleffner, une prise en charge pluridisciplinaire est<br />
souhaitable. Un bilan orthophonique est nécessaire, même dans les<br />
cas où le langage est cliniquement satisfaisant. En effet, des troubles<br />
linguistiques discrets (de discrimination phonémique notamment)<br />
peuvent ne se révéler handicapants que plus tard, au moment de<br />
l’acquisition du langage écrit. Les troubles plus importants<br />
nécessitent naturellement une rééducation. Elle doit s’accompagner<br />
d’un examen psychologique pour évaluer la composante<br />
psychoaffective du mutisme ou des troubles du comportement. Lors<br />
de la prise en charge de ces enfants, il est sage d’éviter de formuler<br />
trop tôt un pronostic, celui-ci étant incertain en l’état actuel des<br />
connaissances.<br />
Rééducation des troubles du langage<br />
La bibliographie concernant la rééducation des troubles du langage<br />
est désormais importante et nous renvoyons le lecteur à des<br />
ouvrages récents (Azouvi et al [7] , Eustache et al [58] , Seron et Van Der<br />
Linden [162] ).<br />
28<br />
RÉCUPÉRATION SPONTANÉE<br />
La restauration des mécanismes du langage dépend de multiples<br />
facteurs qui viennent peser sur la récupération spontanée et<br />
l’efficacité des techniques thérapeutiques.<br />
¶ Mécanismes neurophysiologiques<br />
Ils incluent la levée du diaschisis et les phénomènes de plasticité<br />
cérébrale et de vicariance. Des travaux récents utilisant les<br />
techniques d’imagerie fonctionnelle (TEP et IRMf) ont ainsi confirmé<br />
le rôle tantôt de régions intrahémisphériques gauches, tantôt de<br />
l’hémisphère droit dans la récupération de certaines fonctions<br />
linguistiques. De plus, ils ont montré que la rééducation, même à<br />
distance de la survenue de la lésion cérébrale pouvait améliorer les<br />
performances déficitaires et modifier la réorganisation cérébrale<br />
(patients suivis en thérapie mélodique et rythmée, alexie<br />
phonologique rééduquée 25 ans après un accident vasculaire).<br />
¶ Facteurs liés à la lésion<br />
La taille de la lésion est le facteur prédictif de récupération le plus<br />
important. L’étiologie est mentionnée avec une influence plus<br />
positive lors de traumatismes crâniens que de lésions vasculaires.<br />
Aucun résultat généralisable n’apparaît en ce qui concerne le site de<br />
la lésion, ni le tableau clinique.<br />
¶ Variables individuelles<br />
Les données concernant l’âge sont parfois contradictoires, mais la<br />
présence d’affections associées au cours du vieillissement pèse sur<br />
les capacités de récupération. La préférence manuelle semble avoir<br />
un impact, avec un avantage pour les gauchers (en raison d’une<br />
organisation fonctionnelle cérébrale moins asymétrique que chez les<br />
droitiers). Le niveau d’éducation aurait surtout une influence dans<br />
le profil du tableau aphasique. Les effets liés au sexe et au<br />
multilinguisme restent peu démonstratifs. La motivation et les<br />
facteurs psychosociaux qui sont vraisemblablement très importants<br />
ont été peu étudiés.<br />
STRATÉGIES DE RÉÉDUCATION<br />
Trois grandes orientations peuvent être distinguées.<br />
¶ Approche empirique<br />
L’intervention est basée sur la stimulation et/ou le réapprentissage<br />
et s’appuie essentiellement sur des faits sémiologiques. Cette<br />
démarche intuitive a inspiré durant des décennies les premières<br />
techniques de rééducation. Si elle manque de justification théorique,<br />
elle s’avère néanmoins souvent efficace et peut être rapidement mise<br />
en place chez des patients pour lesquels un diagnostic de type<br />
cognitif paraît difficilement envisageable.<br />
¶ Approche cognitive<br />
Ce type d’intervention, qui s’est développé depuis la fin des années<br />
1980, montre beaucoup plus de rigueur théorique, tant dans<br />
l’évaluation et l’interprétation des troubles que dans la délimitation<br />
des objectifs de rééducation et des techniques choisies. Son principal<br />
inconvénient réside dans la longueur des analyses devant conduire<br />
au diagnostic cognitif, lequel consiste à faire des hypothèses sur les<br />
mécanismes cognitifs lésés et préservés par rapport à un modèle de<br />
fonctionnement du sujet sain. Cependant, cette étape de diagnostic<br />
est tout à fait indispensable pour la mise en place de la thérapie.<br />
Cette approche peut être envisagée même pour des patients<br />
souffrant d’atteintes cognitives multiples (perturbation de la voie<br />
phonologique de lecture + déficit d’accès au lexique phonologique<br />
de sortie…). Dans ce cas, plusieurs objectifs sont fixés et le<br />
thérapeute choisira d’y répondre dans le cadre d’interventions soit<br />
successives, soit simultanées.<br />
¶ Approche pragmatique (ou écologique)<br />
Elle est centrée sur la communication. L’objectif de la thérapie n’est<br />
pas la production de messages linguistiques normaux ou corrects
Neurologie <strong>Aphasie</strong> 17-018-L-10<br />
du point de vue formel, mais l’utilisation optimale de toutes les<br />
capacités résiduelles de communication (mimiques, gestes, dessins).<br />
Un des premiers exemples est la PACE (Promotion Aphasic’s<br />
Communicative Efficiency) mise au point par Davis et Wilcox [42] qui<br />
utilise diverses formes de communication non verbale et tient<br />
compte des paramètres de la conversation spontanée avec le respect<br />
de tours de parole pour susciter des échanges dans une situation de<br />
communication naturelle. Cette thérapie est applicable à divers<br />
moments de la prise en charge. Au stade initial, elle est intéressante<br />
pour la mise en place de tableaux de communications. Elle est de<br />
règle quand les essais de restauration des fonctions linguistiques<br />
s’avèrent infructueux. Elle a pour avantage de favoriser les échanges<br />
dans des situations moins arbitraires que celle de l’examen<br />
orthophonique et sans doute de favoriser les transferts dans la vie<br />
quotidienne, mais l’étendue de la communication reste limitée. La<br />
rééducation en groupe, entre aphasiques ou avec des membres de<br />
l’entourage, s’inscrit également dans ce type d’intervention.<br />
MISE EN ŒUVRE DE LA RÉÉDUCATION<br />
Les stratégies concernent les procédés mis en place en vue de<br />
l’amélioration des performances ; il s’agit de restauration, de<br />
réorganisation d’une fonction ou d’utilisation de stratégies<br />
palliatives.<br />
¶ Restauration<br />
Cette stratégie vise à rétablir une conduite linguistique selon son<br />
mode de fonctionnement antérieur à la lésion cérébrale. Ce<br />
rétablissement peut s’appuyer sur des techniques de réapprentissage<br />
ou de facilitation.<br />
Réapprentissage<br />
Il s’applique aux perturbations résultant d’une dégradation des<br />
représentations ou des procédures. Il est utilisé par exemple dans le<br />
cas d’agraphie lexicale où le patient garde la possibilité d’écrire en<br />
utilisant la voie phonologique de transposition phonème-graphème,<br />
mais présente une atteinte des représentations orthographiques qui<br />
se traduit par des erreurs de régularisation (hôpital → opital, second<br />
→ segon, antenne → entaine). Le travail consiste à réacquérir la<br />
connaissance orthographique spécifique des mots. Ce<br />
réapprentissage peut être soutenu par des techniques d’associations<br />
de dessins venant souligner et s’intriquer dans les lettres à<br />
mémoriser. C’est le cas également de techniques visant à restaurer<br />
des représentations sémantiques à travers des exercices portant sur<br />
les traits sémantiques constitutifs d’un concept (évocation,<br />
différences entre deux concepts proches…).<br />
Techniques basées sur la facilitation<br />
Elles sont utilisées en cas de défaut d’accès à l’information versus<br />
dégradation des représentations. Dans le cas d’un trouble de la<br />
dénomination ayant pour origine un déficit d’accès au lexique<br />
phonologique de sortie, plusieurs modes de facilitation peuvent être<br />
fournis au patient : clef phonémique, c’est-à-dire première syllabe<br />
du mot, ou phonème initial, induction du mot en fin de phrase ou<br />
encore répétition et lecture à haute voix pour déclencher la<br />
production du mot cible. Sur le plan théorique, il s’agit de restaurer<br />
l’accès phonologique (et plus exactement d’abaisser les seuils<br />
d’activation des unités lexicales se trouvant anormalement élevés [76] )<br />
en amenant le patient à produire le mot cible de façon itérative. Ce<br />
procédé est ancien et son effet bénéfique à long terme avait été<br />
contesté. Il a été au contraire démontré dans bon nombre d’études<br />
récentes très rigoureuses sur le plan méthodologique, tant du point<br />
de vue du diagnostic cognitif que de l’application de la thérapie et<br />
de l’évaluation de son efficacité.<br />
¶ Réorganisation<br />
Elle est utilisée quand les stratégies de réapprentissage ou de<br />
facilitation s’avèrent inefficaces. Elle vise à contourner le déficit par<br />
le recours à des mécanismes ou à des voies préservés qui servent de<br />
relais. Plusieurs publications ont montré l’intérêt et l’efficacité de<br />
cette stratégie. Dans le cas d’un trouble de dénomination résultant<br />
d’un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie et associé à<br />
des troubles modérés du langage écrit, la thérapie s’était donné pour<br />
objectif de réorganiser cet accès en prenant appui sur la<br />
représentation orthographique des mots. Dans un premier temps,<br />
un travail a porté sur la restauration des capacités de transposition<br />
graphème-phonème (voie phonologique de lecture). Dans un second<br />
temps, en situation de dénomination, le thérapeute a amené le<br />
patient à d’abord se représenter mentalement le mot écrit ou au<br />
moins ses premières lettres, à lire à haute voix ces premiers<br />
graphèmes et à utiliser cette verbalisation comme clef phonémique<br />
en vue de produire le mot cible. Il s’agit donc d’accéder à la forme<br />
phonologique du mot en utilisant un moyen de facilitation<br />
phonémique généré à partir de la lecture des premières lettres du<br />
mot.<br />
¶ Stratégies palliatives<br />
Elles font appel à des procédures de substitution telles que le<br />
développement de la communication non verbale par recours aux<br />
gestes, mimiques, dessins, pictogrammes. Elles visent parallèlement<br />
l’aménagement de l’environnement. Il s’agit ici de recourir à d’autres<br />
modes de communication que le langage et d’apprendre à<br />
l’entourage familial à modifier et adapter sa parole (débit plus lent),<br />
son langage (phrases simples, courtes), ainsi qu’à utiliser ou exagérer<br />
les mimiques.<br />
La rééducation neuropsychologique s’oriente vers des prises en<br />
charges de plus en plus spécifiques et adaptées à un individu<br />
particulier. Les différentes approches présentent des intérêts<br />
complémentaires et ont parfois recours à des stratégies communes<br />
ou aux mêmes exercices. Le rééducateur ne doit pas être partisan<br />
d’un seul type de thérapie, et son choix doit être guidé par les<br />
perturbations aphasiques du patient. Chez un même individu,<br />
différentes approches et stratégies peuvent être envisagées en<br />
fonction des phases d’évolution.<br />
ÉVALUATION<br />
Les tentatives d’évaluation de l’efficacité de la thérapie sont<br />
longtemps restées difficilement interprétables en raison de<br />
problèmes méthodologiques majeurs qui sont principalement :<br />
– le regroupement de patients présentant des profils disparates du<br />
point de vue de leurs perturbations cognitives, ou encore du point<br />
de vue des variables sociodémographiques et psychologiques ;<br />
– l’absence de prise en compte de la diversité des modes de<br />
rééducation utilisés.<br />
Cet état s’est considérablement modifié grâce au développement de<br />
l’approche cognitive dont la rigueur méthodologique appliquée au<br />
diagnostic et à la mise en œuvre de la thérapie a également servi la<br />
construction de paradigmes d’évaluation fiables. Notons que<br />
l’appréciation de l’effet thérapeutique n’est entreprise qu’au niveau<br />
individuel. Ces paradigmes permettent de repérer des effets liés à la<br />
récupération spontanée, un effet général de la prise en charge et,<br />
plus précisément, de déterminer, parmi les techniques disponibles,<br />
lesquelles sont les mieux adaptées au trouble. Ils permettent enfin<br />
de mieux prendre en considération le retentissement de la thérapie<br />
en termes de généralisation à des items ou à des tâches non<br />
travaillées. Parallèlement, l’approche fonctionnelle tente également<br />
d’élaborer des grilles d’évaluation de la communication verbale et<br />
non verbale dans des situations simulant ou reproduisant la vie<br />
quotidienne. On peut en effet se demander s’il serait justifié de<br />
poursuivre une rééducation sans transfert des acquisitions dans la<br />
vie quotidienne.<br />
INTERVENTION : QUESTIONS PRATIQUES<br />
Sur le plan pratique, il est actuellement difficile de donner des<br />
indications généralisables concernant les questions qui suivent.<br />
29
17-018-L-10 <strong>Aphasie</strong> Neurologie<br />
¶ À quel moment la rééducation doit-elle être initiée ?<br />
Il faut envisager l’intervention du rééducateur aussitôt que possible.<br />
Son rôle consiste alors à informer le patient et sa famille sur ses<br />
troubles, sur leur origine et sur les possibilités de prise en charge.<br />
Le bon sens veut que la rééducation elle-même débute dès que, et à<br />
condition, que l’état de vigilance et de fatigue du patient le permet.<br />
La précocité de l’intervention semble essentielle dans les cas de<br />
mutisme afin d’éviter l’installation de stéréotypies. Toutefois, de<br />
nombreuses études à orientation cognitive ont montré qu’une<br />
thérapie pouvait être efficace même longtemps après un accident<br />
vasculaire cérébral (plusieurs années) pour des objectifs bien<br />
délimités avec des stratégies et des techniques bien définies sur le<br />
plan théorique.<br />
¶ À quel rythme la thérapie doit-elle être dispensée ?<br />
Les données de la littérature semblent indiquer qu’une prise en<br />
charge intensive mène à de meilleurs résultats qu’une prise en<br />
charge sporadique. Toutefois, il faut considérer que la rééducation<br />
ne se limite pas au travail effectué avec le thérapeute, mais qu’elle<br />
inclut le travail fourni par le patient lui-même lorsqu’il a acquis un<br />
certain degré d’autonomie. Parfois, il peut être envisagé d’alterner<br />
des périodes de prise en charge intensive (six fois par semaine<br />
pendant 3 mois suivant l’objectif visé) avec des périodes sans prise<br />
en charge.<br />
¶ Quelle est la durée optimale de la thérapie ?<br />
Il n’est pas rare de mener des rééducations sur plusieurs années en<br />
constatant une amélioration continuelle. Les objectifs évoluent au<br />
cours de cette longue prise en charge : si, à la phase initiale, ils visent<br />
la restauration totale du langage, ils se tournent, en cas de<br />
récupération modérée, vers des objectifs moins ambitieux. De plus,<br />
il paraît parfois difficile de travailler d’emblée et parallèlement<br />
l’ensemble des mécanismes perturbés (concernant la compréhension,<br />
l’écriture et la production orale par exemple) et le rééducateur est<br />
contraint de planifier les objectifs sur le plan temporel. La question<br />
de la poursuite de la prise en charge en l’absence de bénéfice notable<br />
sur la vie quotidienne pose problème, mais est souvent justifiée par<br />
un soutien psychologique indispensable. Dans ce cas, il serait<br />
déraisonnable que le rythme des séances soit élevé. Cependant, le<br />
travail de deuil des capacités antérieures pour le patient et pour les<br />
proches doit faire partie des objectifs de rééducation. Notons que la<br />
participation à des associations d’aphasiques permet de faciliter<br />
l’acceptation du déficit.<br />
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ASPECTS MÉDICAUX ET PSYCHOLOGIQUES<br />
Pour le praticien, neurologue ou médecin généraliste, qui suit un<br />
patient aphasique en cours de rééducation, il est essentiel de faire<br />
régulièrement l’inventaire des acquis du traitement et de leur<br />
traduction en termes de qualité de vie. La rééducation n’a de sens<br />
pour le patient que si elle lui permet d’améliorer ses capacités de<br />
communication avec l’entourage et le milieu extérieur, et dans<br />
certains cas particuliers, mais rarement de façon prioritaire, ses<br />
capacités de lecture ou d’écriture. Il est judicieux de confronter<br />
régulièrement les données de l’examen du patient avec les<br />
témoignages de la famille ou des amis. Un tiers en moyenne des<br />
patients rendus aphasiques par un accident vasculaire cérébral<br />
souffrent d’un état dépressif. Celui-ci est réactionnel au handicap<br />
causé par l’aphasie, et aussi favorisé, dans certains cas, par l’effet<br />
direct des lésions sur le système limbique. Les essais de traitement<br />
pharmacologique de l’aphasie, visant à lutter contre la réduction de<br />
l’expression qui pèse sur les mécanismes d’initiation de la parole<br />
dans les aphasies antérieures, n’ont pas fait la preuve de leur<br />
efficacité. En revanche, un traitement antidépresseur, lorsqu’il est<br />
justifié, peut faciliter l’adhésion du patient à la rééducation, lever<br />
l’inhibition anxieuse, améliorer l’état général en agissant sur le<br />
sommeil, et réduire les réactions agressives dont on connaît les effets<br />
destructeurs sur l’entourage familial. Les états dépressifs peuvent<br />
survenir aussi en cours d’évolution, et il faut savoir les détecter chez<br />
un malade ayant des antécédents d’accident vasculaire cérébral et<br />
qui se plaint, sans raison organique apparente, d’une aggravation<br />
de séquelles aphasiques jusqu’alors stabilisées.<br />
Lorsque l’état neurologique et général du patient aphasique permet<br />
d’envisager une reprise de l’activité professionnelle, il est essentiel<br />
de dresser un bilan des capacités restantes et du potentiel de<br />
récupération, et d’en confronter le résultat aux exigences du poste<br />
de travail définies par le médecin du travail. Ces précautions visent<br />
à éviter soit de négliger une possibilité de reprise par surestimation<br />
de la difficulté, soit au contraire, par une reprise prématurée ou mal<br />
préparée, de risquer une situation d’échec qui rendrait les tentatives<br />
ultérieures encore plus hasardeuses.<br />
Enfin, on ne saurait trop insister sur l’importance de l’évaluation de<br />
l’aphasie dans le cadre de l’expertise médicolégale. L’expert doit<br />
savoir, chaque fois que la complexité, voire l’apparente discrétion<br />
des troubles l’impose, dépasser l’examen sommaire du langage<br />
effectué au cours de l’examen neurologique et demander un bilan<br />
de langage fait par un(e) orthophoniste connaissant parfaitement<br />
l’aphasie, sous peine de pénaliser le patient en sous-estimant ses<br />
séquelles neuropsychologiques.<br />
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