à plusieurs voix. ce que les entretiens collectifs in situ peuvent ...

Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCéline BRACONNIERrévéler utile de comprendre qui parle, qui se tait, pourquoi, avec quels effets.Sa participation à des conversations de voisinage dans un quartier populairede l’agglomération bordelaise permet à Goulet (2010) de mettre en causel’idée répandue depuis les travaux de Lazarsfeld selon laquelle les leadersd’opinion obtiendraient un ralliement à leurs vues des moins politisés d’entreles citoyens. L’acquiescement sans conviction, les silences gênés, l’évitementrepérés dans les discussions produisent selon lui une apparence de consensusdont il est probable qu’il n’a aucune consistance véritable. Il dissimuleraitplutôt une certaine diversité des convictions intimes et une capacité destaiseux de résister à l’influence de ceux qui parlent haut et fort. La sphère desrelations familiales et amicales est celle où, par comparaison, se forgent lescroyances, les identités, les habitus. Certes, rien n’interdit de penser qu’unefois dans l’isoloir une femme dont on observe qu’elle adopte les positionspolitiques de son mari, s’estimant incompétente devant lui mais pas forcémentau fond d’elle-même, jouisse pleinement de sa liberté de vote les jours descrutins et produise un choix non conforme. Nous avons aussi rencontré auxCosmonautes une mère septuagénaire dissimulant à sa fille le vote en faveurdu Parti socialiste qu’elle venait de produire aux élections municipales de2008, alors que ses enfants semblaient exiger d’elle le respect d’une fidélitéfamiliale au Parti communiste. Si, par définition, le secret des urnes demeureimpénétrable pour le chercheur comme pour les proches des électeurs, fragilisantpar avance toute analyse des effets que sont censés produire les discoursdes « animateurs de discussions » sur le choix des autres, du moins le repéragedes inégalités de ressources et de position au sein des entouragespermet-il de « réduire la marge de l’incertitude » (Dogan, 1965, p. 435)concernant les modalités de production des comportements.Prise à partie par de jeunes garçons à la sortie du bureau de vote deSaint-Denis, nous réalisons un entretien avec eux au cours duquel la divisiondes rôles au sein du groupe est évidente. Alors que le meneur (A.), qui n’estpas inscrit sur les listes électorales, fait de son retrait de la vie civique unsigne de fierté identitaire, deux de ceux qui l’entourent (C. et D.) sont gênésde révéler leur inscription et nient une participation pourtant avérée par leslistes d’émargement pour l’un d’entre eux. Autant que leur comportementélectoral, c’est le fait qu’ils le dissimulent devant leurs pairs qui permet decomprendre le rapport ambigu qu’ils entretiennent à l’acte de vote. Porteursd’un habitus clivé, la plupart de ces jeunes gens sont partagés entre le désird’intégration, dont la participation électorale constitue manifestement l’undes signes visibles, et l’attirance pour des pratiques déviantes qui les distinguentet au profit desquelles fonctionne le rappel à l’ordre du meneur àl’occasion de la situation d’enquête.« Nous : Et vous, y en a aucun qui est inscrit sur les listes ?C. : Moi, j’suis inscrit.A. [s’adressant à C. sur un ton réprobateur] : T’as ta carte d’électorale ? Moi, j’ai pas macarte !D. : Moi, j’vote pas.Nous : Pourquoi ?D. : J’m’en bats les couilles.Nous : Pourquoi ? Vous pensez que ça change rien ?85Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys