à plusieurs voix. ce que les entretiens collectifs in situ peuvent ...

Céline BRACONNIERDocument téléchargé depuis www.cairn.info - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysLe fils : Maman, t’avais pas voté au premier tour !Myriam : Ah, non, j’étais en vacances. J’ai pas fait de procuration. J’ai honte et je m’ensuis mordu les doigts parce que je pense que si j’avais voté Jospin, il serait passé [ellerit]!» (23).Catherine ne laisse pas non plus Robert, son époux, renvoyer de luil’image d’un citoyen constamment engagé, plus conforme à son statut d’ancienouvrier syndiqué que celui du votant certes stratège mais très intermittentqu’il se révèle pourtant être dans la pratique. Jusques et y compris lescitoyens les plus politisés en effet, comme l’a souligné Kenny (1993) dans unarticle de référence, sont portés à surestimer leur engagement électoralpuisque, s’ils sont les plus constants des électeurs, ils sont aussi ceux surqui la norme civique exerce la pression la plus forte.« Robert : Je vote toujours à gauche. Enfin plus précisément, je vote au premier tourextrême gauche et, au deuxième, gauche.Nous : C’est ce que vous avez fait pour les régionales ?Robert : Oui.Catherine : Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu n’as pas voté au premier tour !Robert : Si, si… Euh […]. Non mais parce que je n’étais pas là, je travaillais au stade deFrance pour la sécurité d’un match de rugby. Mais c’est comme ça que je fais de toutefaçon.[…]Catherine : De toute façon, souvent, tu n’es pas là aux élections. Et tu ne fais jamais deprocuration parce que ça t’embête fortement. [Silence]. » (24).S’investissant eux-mêmes d’un rôle de défenseurs de la vérité, ces prochesqui rectifient les déclarations de ceux qu’ils connaissent bien fournissent doncdes ressources aux chercheurs pour objectiver les comportements électoraux.Ils opèrent le recoupement de sources cher aux historiens comme auxsociologues, et sans lequel il ne peut scientifiquement être établi, à partir d’unmatériel déclaratif, qu’un comportement a effectivement été adopté par unindividu (Bizeul, 1998). Opéré le plus souvent avec douceur et ménagementpour celui que l’on aide à se dire, ce type de révélation peut aussi viser, plusou moins consciemment, l’humiliation de l’autre. L’entretien collectif peutainsi alimenter une dynamique de concurrence entre les enquêtés, dont l’uncherche une complicité valorisante avec l’enquêteur. On prête à ce dernier unpositionnement politique et, outre un haut niveau de compétence sur les questionsobjets de l’entretien, la défense de certaines valeurs. Quand des prochessont connus pour ne pas s’intéresser à la politique, ou bien se situer à l’extrêmedroite de l’échiquier, on prend sur soi de le révéler, plus ou moinsexplicitement, ou bien encore de mettre en scène, au cours de l’entretien, ladistance qui sépare son comportement du leur.Mais il arrive aussi que les victimes de ce rapport de force imposé retournentla situation en leur faveur et parviennent à faire de l’enquête une tribune(23) Enquête famille et politique Vald’Oise2009, entretien avec Myriam, 51 ans,infirmière, et Jean-Pierre, 51 ans, documentalistedans un collège, le 10 mai 2009(24) Enquête famille et politique Val-d’Oise2010, entretien avec Robert, 65 ans, ancienouvrier syndiqué chez Pechiney, et Catherine,56 ans, employée de banque, mai 2010.75Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys