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À PLUSIEURS VOIX. CE QUE LES ENTRETIENS COLLECTIFS IN SITUPEUVENT APPORTER À LA SOCIOLOGIE DES VOTESCél<strong>in</strong>e BraconnierOphrys | Revue française de sociologie2012/1 - N° 531pages 61 à 93ISSN 0035-2969Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysArticle disponible en ligne à l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.<strong>in</strong>fo/revue-francaise-de-sociologie-2012-1-page-61.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pour citer <strong>ce</strong>t article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Braconnier Cél<strong>in</strong>e, « À <strong>plusieurs</strong> <strong>voix</strong>. Ce <strong>que</strong> <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> <strong>in</strong> <strong>situ</strong> <strong>peuvent</strong> apporter à la sociologie desvotes »,Revue française de sociologie, 2012/1 N° 531, p. 61-93.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Distribution électroni<strong>que</strong> Cairn.<strong>in</strong>fo pour Ophrys.© Ophrys. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de <strong>ce</strong>t article, notamment par photocopie, n'est autorisée <strong>que</strong> dans <strong>les</strong> limites desconditions généra<strong>les</strong> d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions généra<strong>les</strong> de la li<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous <strong>que</strong>l<strong>que</strong> forme et de <strong>que</strong>l<strong>que</strong> manière <strong>que</strong><strong>ce</strong> soit, est <strong>in</strong>terdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFran<strong>ce</strong>. Il est précisé <strong>que</strong> son stockage dans une base de données est également <strong>in</strong>terdit.Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


R. franç. sociol., 53-1, 2012, 61-93Cél<strong>in</strong>e BRACONNIERÀ <strong>plusieurs</strong> <strong>voix</strong>Ce <strong>que</strong> <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> <strong>in</strong> <strong>situ</strong><strong>peuvent</strong> apporter à la sociologie des votes *Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysRÉSUMÉDist<strong>in</strong>cts des focus groups comme des <strong>entretiens</strong> menés en fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>, <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong><strong>collectifs</strong> <strong>in</strong> <strong>situ</strong> n’ont pas encore trouvé leur pla<strong>ce</strong> dans le répertoire des outils à la dispositiondes chercheurs en scien<strong>ce</strong>s socia<strong>les</strong>. À partir d’une expérien<strong>ce</strong> de recherche en sociologieélectorale, notre objectif est ici de souligner la spécificité des données produites dans<strong>ce</strong> cadre et leur particulière adéquation à la prise en compte des déterm<strong>in</strong>ants contextuels descomportements <strong>in</strong>dividuels. Interrogés ensemble dans <strong>les</strong> espa<strong>ce</strong>s où ils ont l’habitude de seretrouver, <strong>les</strong> conjo<strong>in</strong>ts, <strong>les</strong> amis, <strong>les</strong> collègues, <strong>les</strong> vois<strong>in</strong>s assument dans <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong><strong>collectifs</strong> des comportements politi<strong>que</strong>s qu’ils taisent dans d’autres <strong>situ</strong>ations d’enquête.Mais ils donnent aussi et surtout à voir <strong>les</strong> relations qu’ils entretiennent entre eux et <strong>les</strong>pro<strong>ce</strong>ssus d’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>, de pression, d’entraînement électoral qu’el<strong>les</strong> <strong>peuvent</strong> alimenter. Ondispose donc là d’un <strong>in</strong>strument adapté à la compréhension de <strong>ce</strong> <strong>que</strong> recouvre notamment,aujourd’hui, la dimension collective de l’acte de vote.Puis<strong>que</strong> « <strong>les</strong> gens votent en groupes » (Lazarsfeld, Berelson et Gaudet,[1944] 1968), le vote constitue une prati<strong>que</strong> autant collective qu’<strong>in</strong>dividuelledont on ne saurait comprendre <strong>les</strong> ressorts profonds sans s’<strong>in</strong>téresser auxenvironnements dans <strong>les</strong><strong>que</strong>ls <strong>les</strong> électeurs évoluent au quotidien. On a làl’une des conclusions <strong>les</strong> plus anciennes et <strong>les</strong> mieux établies de la sociologieélectorale (Siegfried, [1913] 2003 ; T<strong>in</strong>gsten, 1937 ; Berelson, Lazarsfeld etMac Phee, 1954), <strong>ce</strong> qui n’a pas empêché <strong>ce</strong>ux qui revendi<strong>que</strong>nt une filiationlazarsfeldienne, aux États-Unis notamment, d’occuper longtemps une positionmarg<strong>in</strong>ale dans le champ des études électora<strong>les</strong>. Le recours de plus en plusfré<strong>que</strong>nt, à partir des années 1950, à la méthode du sondage atomisti<strong>que</strong> et ladiffusion d’une con<strong>ce</strong>ption du vote comme acte <strong>in</strong>dividuel produit sur unmode <strong>in</strong>dividuel expli<strong>que</strong>nt en grande partie <strong>ce</strong>tte relégation de longue durée.Aujourd’hui en ple<strong>in</strong>e efferves<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong>, l’analyse contextuelle du vote réactive<strong>ce</strong>pendant l’héritage de l’École de Columbia. Elle complète avantageusementl’analyse sociologi<strong>que</strong> dite par « <strong>les</strong> variab<strong>les</strong> lourdes », qui, du fait de lataille souvent réduite des échantillons à partir des<strong>que</strong>ls elle raisonne et faute* Je remercie <strong>les</strong> membres du comité de rédaction de la Revue française de sociologie pourleurs remar<strong>que</strong>s précises et précieuses, dont j’ai essayé de tenir compte dans <strong>ce</strong>tte version du texte.61Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysRevue française de sociologiede mettre en œuvre des variab<strong>les</strong> plus f<strong>in</strong>es, n’est plus toujours en mesure dedonner accès à l’ensemble des déterm<strong>in</strong>ants sociaux du vote et conclut doncparfois trop hâtivement à leur disparition. En outre, <strong>ce</strong> type d’approche <strong>in</strong>terrogele rôle joué par <strong>les</strong> propriétés socia<strong>les</strong> <strong>in</strong>corporées des électeurs, quandl’approche contextuelle établit <strong>ce</strong> qui, dans leurs prati<strong>que</strong>s de vote, peut êtreimputé aux groupes, aux entourages, aux milieux, aux microenvironnementsdans <strong>les</strong><strong>que</strong>ls ils évoluent en tant qu’ils constituent des « configurations destimuli » (1) sus<strong>ce</strong>ptib<strong>les</strong> de jouer un rôle dans l’actualisation ou la neutralisationdes prédispositions. Le langage des variab<strong>les</strong> n’étant pas le plus adapté àla compréhension de la manière dont <strong>les</strong> milieux produisent leurs effets sur<strong>les</strong> <strong>in</strong>dividus, le dépla<strong>ce</strong>ment est aussi méthodologi<strong>que</strong> et passe par l’adoptiond’un dispositif d’enquête qui permette au chercheur d’appréhender <strong>les</strong><strong>in</strong>teractions <strong>in</strong>ter<strong>in</strong>dividuel<strong>les</strong> supports de <strong>ce</strong>s configurations (Lahire, 1996).Les sondages localisés et <strong>les</strong> échantillons bou<strong>les</strong> de neige mis en œuvreorig<strong>in</strong>ellement par Lazarsfeld et ses collègues de Columbia (Berelson, Lazarsfeldet Mac Phee, 1954 ; Katz et Lazarsfeld, 1955) ont occupé, au cours des v<strong>in</strong>gtdernières années, une pla<strong>ce</strong> de choix parmi <strong>les</strong> méthodes <strong>in</strong>vesties pour appréhender<strong>les</strong> électeurs dans leurs contextes. S’ils sont aujourd’hui complétés par<strong>les</strong> expérimentations en laboratoire, le recours à d’autres méthodes qualitativespourtant disponib<strong>les</strong> en scien<strong>ce</strong>s socia<strong>les</strong>, et dont on peut penser qu’el<strong>les</strong>sont particulièrement adaptées, pe<strong>in</strong>e à s’imposer (2). Avec pour effet paradoxal<strong>que</strong> <strong>les</strong> analyses contextuel<strong>les</strong>, qui cherchent notamment à établir <strong>les</strong>effets des pro<strong>ce</strong>ssus d’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong> <strong>in</strong>terpersonnels sur le vote, <strong>les</strong> appréhendentsurtout comme des mécanismes psychologi<strong>que</strong>s de stimulation dont <strong>les</strong> logi<strong>que</strong>ssont établies sans tenir compte, par exemple, des propriétés socia<strong>les</strong> des<strong>in</strong>dividus <strong>les</strong> exerçant ou <strong>les</strong> subissant. Une sorte de dé-contextualisation descontextes s’opère alors (Braconnier, 2010). De même le ris<strong>que</strong> <strong>in</strong>hérent à <strong>ce</strong>type de dispositif est-il d’imputer des comportements aux seu<strong>les</strong> <strong>situ</strong>ationsprovoquées et observées dans le laboratoire, à l’exclusion de la prise encompte des facteurs explicatifs de temps long et des configurations toujourscomplexes de stimuli aux<strong>que</strong>ls <strong>les</strong> électeurs sont exposés hors du laboratoire.Enf<strong>in</strong>, la <strong>que</strong>stion du contenu des échanges de nature politi<strong>que</strong> aux<strong>que</strong>ls selivrent <strong>les</strong> citoyens et aux<strong>que</strong>ls on attribue la capacité de porter <strong>les</strong> pro<strong>ce</strong>ssusd’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong> demeure en dehors de l’<strong>in</strong>terrogation, soit qu’on leur demanded’évaluer la fré<strong>que</strong>n<strong>ce</strong> de leurs conversations politi<strong>que</strong>s en postulant <strong>que</strong>chacun s’entend sur le sens et la réalité <strong>que</strong> recouvre le terme, soit <strong>que</strong> l’onsuscite des échanges entre <strong>in</strong>connus sur des thèmes dont on ne sait pas <strong>que</strong>llepla<strong>ce</strong> ils occupent dans leur vie quotidienne (3).On voudrait donc plaider ici en faveur d’une appréhension multiméthodedes comportements électoraux qui soit ouverte à d’autres données qualitatives(1) Pour reprendre la term<strong>in</strong>ologie deAgnew (1996).(2) Même si nombre de spécialistes anglosaxonsdes contextes ne <strong>ce</strong>ssent, depuis <strong>que</strong>l<strong>que</strong>sannées, d’appeler à leur développement. Voir,62par exemple, MacAllister et al. (2001), McKenzie(2004) ou Zuckerman (2005).(3) C’est le pr<strong>in</strong>cipe même des focusgroups, aux<strong>que</strong>ls ne se résument pas <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong><strong>collectifs</strong>.Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIER<strong>que</strong> <strong>ce</strong>l<strong>les</strong> recueillies « sous verre », et, parmi el<strong>les</strong>, aux <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong><strong>in</strong> <strong>situ</strong>. Ils consistent à <strong>in</strong>terroger ensemble des <strong>in</strong>dividus qui soit font« groupe » (par exemple, un couple, des amis proches, une fratrie), soit entretiennentdes relations plus ou mo<strong>in</strong>s fortes mais effectives en dehors de l’entretien(des vois<strong>in</strong>s qui se connaissent, des copa<strong>in</strong>s d’enfan<strong>ce</strong>, etc.). Ladimension artificielle de la <strong>situ</strong>ation d’enquête provient alors de l’<strong>in</strong>trusion del’enquêteur, mais pas du fa<strong>ce</strong>-à-fa<strong>ce</strong> entre <strong>les</strong> enquêtés, même quand <strong>ce</strong>luiprovoqué le jour de l’entretien l’a été par le chercheur. En <strong>ce</strong>la, l’entretiencollectif <strong>in</strong> <strong>situ</strong> se dist<strong>in</strong>gue du focus group tel qu’il est le plus souvent mis enœuvre dans l’analyse du politi<strong>que</strong>, qui met fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong> des <strong>in</strong>connus en laboratoire(4). Sans pour autant croire <strong>que</strong> l’on atte<strong>in</strong>t par là <strong>ce</strong> qui serait la réalitédes conversations ord<strong>in</strong>aires <strong>que</strong> <strong>les</strong> enquêtés entretiennent entre eux, dumo<strong>in</strong>s se donne-t-on <strong>les</strong> moyens d’appréhender de façon réaliste <strong>les</strong> schèmesqui structurent leurs discours (Gamson, 1992). Le fait <strong>que</strong> <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> sedéroulent là où ils ont l’habitude de se parler participe aussi de la déf<strong>in</strong>itiond’une <strong>situ</strong>ation d’enquête dont <strong>les</strong> cadres qu’elle offre à la prise de parole sontau plus près de <strong>ce</strong>ux <strong>que</strong> ménage le quotidien (Hollander, 2004, p. 614). Untel dispositif favorise, enf<strong>in</strong>, l’impulsion d’une dynami<strong>que</strong> conversationnellerelativement autonome. Initiés par des <strong>que</strong>stions adressées à tour de rôle auxenquêtés, <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> visent d’abord à obtenir d’eux qu’ils racontent par lemenu, l’un devant l’autre, leurs trajectoires <strong>in</strong>dividuel<strong>les</strong> – familiale, scolaire,résidentielle, professionnelle. Les <strong>que</strong>stions visant à <strong>ce</strong>rner le rapport qu’ilsentretiennent à la politi<strong>que</strong> en général et au vote en particulier ne sont posées<strong>que</strong> dans un second temps. Mais el<strong>les</strong> sont alors adressées à tous « à lavolée », dans le but de transférer au groupe la distribution des tours deparole (5). L’enquêteur adopte a<strong>in</strong>si une position d’observateur des relations<strong>que</strong> des proches entretiennent entre eux dans le cadre d’un échange sur lapoliti<strong>que</strong> qui pourra révéler, entretenir ou produire du sens commun, del’identité collective, un sentiment d’appartenan<strong>ce</strong>, d’<strong>in</strong>compéten<strong>ce</strong> sus<strong>ce</strong>ptib<strong>les</strong>ensuite d’être pris en compte dans la phase explicative des enquêtesélectora<strong>les</strong>.Si <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> <strong>in</strong> <strong>situ</strong> se dist<strong>in</strong>guent des focus group, ils sedist<strong>in</strong>guent donc tout autant des <strong>entretiens</strong> réalisés en fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>. La coconstructionde la <strong>situ</strong>ation d’enquête ne ménage pas la même pla<strong>ce</strong> <strong>ce</strong>ntrale auxenquêteurs dès lors <strong>que</strong> <strong>les</strong> ajustements discursifs s’y produisent aussi – et parmomentssurtout–endirectionduoudespartenaires habituels de discussion.(4) Pour une présentation synthéti<strong>que</strong> enlangue française, voir Duchesne et Haegel(2008). Les focus groups, dans leur versionclassi<strong>que</strong>, mettent fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>, le temps d’undébat imposé par des animateurs sur un thèmedonné, des <strong>in</strong>dividus qui ne se connaissent pas.Lefébure (2011) regrette avec raison <strong>que</strong> leterme au départ utilisé pour désigner <strong>ce</strong> dispositifd’enquête en laboratoire ait f<strong>in</strong>i pars’étendre, dans le monde anglo-saxon, à ladésignation de toutes <strong>les</strong> <strong>situ</strong>ations d’<strong>entretiens</strong><strong>collectifs</strong>, y compris <strong>ce</strong>l<strong>les</strong> se déroulant dansdes cadres naturels (natural sett<strong>in</strong>gs), dont <strong>les</strong>fondements épistémologi<strong>que</strong>s sont pourtant fortdifférents.(5) Voir Carton (1985). Certa<strong>in</strong>s chercheurs(par exemple, Barker, 1997 ; Taze, 2008)s’effor<strong>ce</strong>nt d’ailleurs à disparaître physi<strong>que</strong>mentde la <strong>situ</strong>ation d’entretien, pour nesubsister qu’à travers la matérialité d’unenregistreur captant <strong>les</strong> discussions de prochesfonctionnant alors de façon quasi autonome.63Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysRevue française de sociologieOr, mentionnés au détour de phrases dans des papiers consacrés aux <strong>entretiens</strong>en général, mais dont le modèle sous-ja<strong>ce</strong>nt demeure <strong>ce</strong>lui de l’entretien<strong>in</strong>dividuel, jus<strong>que</strong>s et y compris quand <strong>les</strong> chercheurs <strong>les</strong> ont eux-mêmespratiqués (6), <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> n’ont pas encore trouvé leur juste pla<strong>ce</strong>dans la gamme des outils ayant suscité une réflexion épistémologi<strong>que</strong> enscien<strong>ce</strong>s socia<strong>les</strong>.C’est progressivement et sur le terra<strong>in</strong> <strong>que</strong> nous avons, pour notre part,découvert l’<strong>in</strong>térêt heuristi<strong>que</strong> présenté par <strong>ce</strong> type d’<strong>entretiens</strong>. L’enquête<strong>que</strong> nous avons <strong>in</strong>itiée au tournant des années 2000, avec Jean-Yves Dormagen,dans un quartier populaire de Sa<strong>in</strong>t-Denis, où il s’agissait d’analyser <strong>les</strong>comportements électoraux des habitants, est, pour nous, <strong>ce</strong>lle de la découvertede l’objet électoral et de l’expérimentation méthodologi<strong>que</strong> tous azimuts(Braconnier et Dormagen, 2007). Les <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> nous y sont d’abordplus imposés par <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>s <strong>in</strong>dividus ne se déplaçant qu’en groupes <strong>que</strong> véritablementsollicités pour des raisons scientifi<strong>que</strong>s. Prenant souvent la forme dediscussions <strong>in</strong>formel<strong>les</strong> <strong>que</strong> l’on provo<strong>que</strong> en déambulant dans l’espa<strong>ce</strong>public, ils sont à la fois riches en <strong>in</strong>formations sur <strong>les</strong> liens <strong>que</strong> <strong>les</strong> habitantsentretiennent entre eux et révélateurs du partage des rô<strong>les</strong> qui s’établit entre etau se<strong>in</strong> des groupes a<strong>in</strong>si identifiés. Le fait <strong>que</strong> <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>s résidents par ailleurspeu diserts prennent la parole dans <strong>ce</strong> cadre, même en adoptant une positionde retrait, <strong>in</strong>cite également à penser <strong>que</strong> <strong>ce</strong> contexte conversationnel pourraitêtre <strong>in</strong>vesti de façon plus systémati<strong>que</strong> pour recueillir la parole des mo<strong>in</strong>sprédisposés à la prendre (Mauger, 1991).Alors <strong>que</strong> l’enquête se poursuit à Sa<strong>in</strong>t-Denis, la transposition de <strong>ce</strong> dispositifde recherche localisé, en profondeur et de longue durée, dans un quartierbourgeois de la capitale, à partir de 2007 (7), donne lieu à une exploitationplus raisonnée de <strong>ce</strong> qui nous apparaît désormais comme un outil dont <strong>les</strong>particularités méritent d’être exploitées plus systémati<strong>que</strong>ment. Deuxenquêtes réalisées dans le Val-d’Oise et <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s communes de départementslimitrophes, en 2009 et 2010, avec des étudiants de l’université deCergy-Pontoise, sur <strong>les</strong> rapports ord<strong>in</strong>aires au politi<strong>que</strong> en famille et autravail <strong>in</strong>cluent la réalisation d’<strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> au se<strong>in</strong> de groupes d’<strong>in</strong>terconnaissan<strong>ce</strong>(collègues et parents) résidant dans des quartiers pavillonnairesréunissant toutes <strong>les</strong> fractions de la classe moyenne. En multipliant <strong>ce</strong> typed’<strong>entretiens</strong>, on se conva<strong>in</strong>c notamment qu’il faut nuan<strong>ce</strong>r l’idée largementrépandue dans la littérature sur <strong>les</strong> focus groups selon la<strong>que</strong>lle la formecollective des dispositifs d’enquête serait d’autant plus adaptée <strong>que</strong> <strong>les</strong>ressour<strong>ce</strong>s culturel<strong>les</strong> et langagières des enquêtés seraient m<strong>in</strong><strong>ce</strong>s (8). Enréalité, dans tous <strong>les</strong> milieux sociaux évoluent des meneurs, des suiveurs et(6) Par exemple, Mauger (1991) et Darras(2006).(7) Dans le cadre du programme de recherche« Pour une analyse écologi<strong>que</strong> des comportementsélectoraux » (PAECE), soutenu parl’ANR, et dont sont parties prenantes quatre64laboratoires de recherche, le CRPS (universitéParis 1), l’IRISES (université Dauph<strong>in</strong>e), leCURRAP (université d’Amiens) et le CEPEL(université Montpellier 1).(8) Par exemple, Darras (2006), Haegel etGarcia (2011).Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Cél<strong>in</strong>e BRACONNIERdes <strong>in</strong>dividus plus ou mo<strong>in</strong>s prédisposés à jouer le jeu des enquêtes. Et ladistan<strong>ce</strong> au rôle étant plus marquée dans <strong>les</strong> catégories <strong>les</strong> mieux pourvues encapitaux scolaire et culturel, la présen<strong>ce</strong> d’un tiers aux côtés de l’enquêteuroffre l’avantage de contenir la mise en scène de soi dans des limites compatib<strong>les</strong>avec le rôle <strong>que</strong> chacun des partenaires de discussion endosse dans ses<strong>in</strong>teractions habituel<strong>les</strong> avec l’autre. En d’autres termes, si l’<strong>in</strong>térêt qu’il y a àen faire ne se décl<strong>in</strong>e pas partout de façon identi<strong>que</strong>, l’entretien collectif peutaider à produire des données uti<strong>les</strong> pour la compréhension des comportementsdans tous <strong>les</strong> milieux sociaux (9).« Je est un autre »Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysC’est d’abord par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> cha<strong>que</strong> méthode produit des biais qui lui sontpropres qu’il est sans doute toujours pert<strong>in</strong>ent de faire varier <strong>les</strong> outils d’analysedans l’appréhension d’un fait social. On peut a<strong>in</strong>si tenter de neutraliser<strong>les</strong> effets non voulus produits par chacun et améliorer la compréhension parcumul de données produites selon des modalités variées (Webb et al., 1966).Établie de longue date comme une condition de la valeur scientifi<strong>que</strong> desenquêtes tant histori<strong>que</strong>s <strong>que</strong> sociologi<strong>que</strong>s, la né<strong>ce</strong>ssité, par exemple, dediversifier <strong>les</strong> sour<strong>ce</strong>s et de <strong>les</strong> recouper n’est pourtant pas encore vraimentreconnue en matière d’analyse du vote. Celle-ci repose essentiellement sur <strong>ce</strong><strong>que</strong> des <strong>in</strong>dividus extraits de leurs contextes pour être <strong>in</strong>tégrés dans deséchantillons représentatifs nationaux ac<strong>ce</strong>ptent de révéler – ou sont en mesurede révéler – sur <strong>ce</strong> <strong>que</strong> sont ou sur <strong>ce</strong> <strong>que</strong> furent leurs comportements politi<strong>que</strong>s.Or, d’une part, <strong>les</strong> citoyens se connaissent très mal eux-mêmes en tantqu’électeurs, d’autant plus mal <strong>que</strong> le rapport qu’ils entretiennent au politi<strong>que</strong>est « obli<strong>que</strong> » (10). Sans même évo<strong>que</strong>r <strong>ce</strong>ux qui ne votent pas faute d’être<strong>in</strong>scrits sur <strong>les</strong> listes électora<strong>les</strong> ou <strong>ce</strong>ux qui sont <strong>les</strong> plus <strong>in</strong>termittents dansleur prati<strong>que</strong> électorale, <strong>les</strong> votants <strong>les</strong> mo<strong>in</strong>s <strong>in</strong>téressés par la politi<strong>que</strong>, quisont aussi <strong>les</strong> mo<strong>in</strong>s diplômés, <strong>les</strong> plus pauvres et <strong>les</strong> plus jeunes, sont dansl’<strong>in</strong>capacité de reconstituer leurs propres trajectoires de vote une sema<strong>in</strong>eaprès s’être rendus aux urnes (Clausen, 1968-1969 ; Weir, 1975 ; Braconnieret Dormagen, 2008).L’on sait, d’autre part, <strong>que</strong> <strong>les</strong> citoyens <strong>peuvent</strong> dissimuler leurs comportementspoliti<strong>que</strong>s. Tout comme la sexualité ou d’autres comportements relevantde l’<strong>in</strong>timité, <strong>les</strong> votes font partie des sujets sensib<strong>les</strong> dont il peut serévéler difficile de parler en public. Toutes <strong>les</strong> op<strong>in</strong>ions, attitudes ou prati<strong>que</strong>s(9) Au total, <strong>ce</strong> sont 37 <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong>produits au cours de <strong>ce</strong>s quatre enquêtes sur<strong>les</strong><strong>que</strong>ls nous prendrons appui ici pour plaideren faveur de la diffusion de <strong>ce</strong>t outil,notamment en sociologie électorale.(10) Voir Hoggart ([1957] 1970) et Schwartz(1991). Le rapport à la politi<strong>que</strong> est considérécomme « obli<strong>que</strong> » quand il rend compte d’unedistan<strong>ce</strong> marquée à l’égard de la politi<strong>que</strong> <strong>in</strong>stitutionnelleassortie d’un <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong> s<strong>ce</strong>pticisme quipréserve l’estime de soi dans la gestion dedoma<strong>in</strong>es <strong>que</strong> l’on estime avoir peu de chan<strong>ce</strong>s demaîtriser.65Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologiepoliti<strong>que</strong>s ne sont pas pareillement soumises à <strong>ce</strong> ris<strong>que</strong> de la dissimulation,qui varie notamment avec l’<strong>in</strong>tensité de la norme politi<strong>que</strong> dom<strong>in</strong>ante au se<strong>in</strong>des environnements dans <strong>les</strong><strong>que</strong>ls <strong>les</strong> enquêtés évoluent (L<strong>in</strong>z, 1969). Toutefois,autant <strong>que</strong> sa réalité, c’est la per<strong>ce</strong>ption subjective du contenu de <strong>ce</strong>ttenorme qui peut se révéler décisive. Noëlle-Neumann et <strong>les</strong> chercheurs qui ont,depuis ses travaux fondateurs, cherché à comprendre la logi<strong>que</strong> d’alimentationd’une « spirale du silen<strong>ce</strong> » gênant l’expression publi<strong>que</strong> des positions(Noëlle-Neumann, 1974) ont a<strong>in</strong>si montré <strong>que</strong> <strong>les</strong> <strong>in</strong>dividus étaient d’autantmo<strong>in</strong>s disposés à <strong>les</strong> assumer qu’ils <strong>les</strong> per<strong>ce</strong>vaient comme m<strong>in</strong>oritaires(Oshagan, 1996 ; Scheufele et Moy, 2000 ; Scheufele, Shanahan et Lee,2001). Et Goulet (2010) a ré<strong>ce</strong>mment énoncé l’hypothèse de mises en formeconjoncturel<strong>les</strong> des op<strong>in</strong>ions dans l’espa<strong>ce</strong> public du vois<strong>in</strong>age qui rendraientdavantage compte de tacti<strong>que</strong>s d’évitement de tensions avec <strong>les</strong> « animateursde discussion » <strong>que</strong> de positions stab<strong>les</strong>, produits d’<strong>in</strong>times convictions (11).Notre hypothèse est <strong>que</strong> la <strong>situ</strong>ation d’enquête elle-même, en dess<strong>in</strong>ant descontextes conversationnels où dom<strong>in</strong>ent <strong>les</strong> liens forts, devient, en <strong>que</strong>l<strong>que</strong>sorte, libératoire, si elle offre à la parole un cadre sus<strong>ce</strong>ptible de neutraliser<strong>les</strong> effets de <strong>ce</strong>nsure portés par <strong>les</strong> environnements plus larges.Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysEnrayer la « spirale du silen<strong>ce</strong> »Certa<strong>in</strong>s comportements politi<strong>que</strong>s sont très largement sous-déclarés dansl’ensemble d’une société donnée, à une épo<strong>que</strong> donnée. Ce fut le cas du voteen faveur des partis communistes dans l’Italie et la Fran<strong>ce</strong> d’après la SecondeGuerre mondiale. Pour avoir survécu dans la clandest<strong>in</strong>ité sous l’Occupationet pour affronter l’anticommunisme virulent aiguillonné par l’allié américa<strong>in</strong>à la f<strong>in</strong> des années 1940, <strong>les</strong> soutiens du Parti communiste ne se déclarent pasaisément au grand jour. Et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour <strong>les</strong><strong>que</strong>l<strong>les</strong> <strong>les</strong>électoralistes, dans <strong>ce</strong>s deux pays, sont alors très rétifs à l’utilisation de laméthode des sondages – déjà généralisée aux États-Unis, mais encore peudiffusée en Europe – et lui préfèrent toujours le recours aux données beaucoupplus fiab<strong>les</strong> de l’écologie électorale (Dogan et Rokkan, 1969).Aujourd’hui, c’est d’abord et avant tout le vote en faveur du Front national<strong>que</strong> l’on pe<strong>in</strong>e à connaître – malgré le nombre important d’études qui lui sontconsacrées –, du fait de la réti<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>ux qui le prati<strong>que</strong>nt à déclarer leurcomportement. Fortement stigmatisées, <strong>ce</strong>s <strong>voix</strong> associées à des attitudesracistes et autoritaires demeurent donc largement impénétrab<strong>les</strong>. Pire : <strong>les</strong>biais liés à la sous-déclaration, comme l’a montré Leh<strong>in</strong>gue (2003), mènentsans doute à une appréhension erronée des contours de l’électorat frontiste.Là où <strong>les</strong> données de sondages, après redressement, laissent dev<strong>in</strong>er des électeursfortement politisés et stab<strong>les</strong> dans leur comportement, l’analyse écologi<strong>que</strong>dess<strong>in</strong>e plutôt, autour d’un petit noyau effectivement politisé, unélectorat particulièrement volatil, dont une grande partie serait faiblement66(11) Sur <strong>ce</strong> po<strong>in</strong>t, voir également Bill<strong>in</strong>g (1989).Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIERpolitisée et alternerait vote en faveur d’un candidat du FN, abstention, et voteen faveur de la droite classi<strong>que</strong> (12). De même, là où <strong>les</strong> données de sondagesdess<strong>in</strong>ent un électorat plutôt mascul<strong>in</strong>, conquis par <strong>les</strong> ac<strong>ce</strong>nts de virilismedes discours des leaders frontistes (le vote FN serait même le seul où subsisteraiten Fran<strong>ce</strong> un « gender gap »), <strong>les</strong> données ethnographi<strong>que</strong>s nuan<strong>ce</strong>nt letableau, suggérant <strong>que</strong> <strong>les</strong> électri<strong>ce</strong>s pourraient bien être plus sensib<strong>les</strong> auxnormes socia<strong>les</strong> dom<strong>in</strong>antes, donc plus rétives à se déclarer, mais pas pourautant mo<strong>in</strong>s praticiennes du vote FN.Nos enquêtes localisées et de longue durée montrent aussi <strong>que</strong> <strong>ce</strong>s différentescatégories d’électeurs frontistes, quand el<strong>les</strong> f<strong>in</strong>issent, dans la durée,par confier à l’enquêteur leur comportement, ne le font pas dans <strong>les</strong> mêmescirconstan<strong>ce</strong>s. Les plus politisés le font souvent sur le mode du secret révéléen fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>. Ils font sentir à l’enquêteur qu’il a bien mérité de sa persévéran<strong>ce</strong>et <strong>que</strong> <strong>ce</strong>tte révélation qu’ils lui font f<strong>in</strong>alement vaut son pesant d’or. Ilssont plutôt fiers de leur vote, et n’éprouvent manifestement aucune gêne,jus<strong>que</strong>s et y compris lorsqu’ils habitent <strong>les</strong> quartiers populaires, devant l’universitairequi <strong>les</strong> <strong>in</strong>terroge et dont ils ont pourtant toutes <strong>les</strong> raisons de croirequ’il ne partage pas leur po<strong>in</strong>t de vue. Ce n’est pas la peur qui <strong>les</strong> fait dissimulerle leur dans <strong>les</strong> premiers temps de l’enquête, mais bien plutôt le refusde se laisser dicter leur comportement par l’enquêteur. C’est f<strong>in</strong>alement lerenversement du rapport ord<strong>in</strong>aire de dom<strong>in</strong>ation entre enquêteur et enquêtéqui rend possible la prise de parole : devenus maîtres de la <strong>situ</strong>ation d’enquête,alors qu’ils imposent le moment, le lieu et <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> du déroulement del’entretien, <strong>ce</strong>s électeurs nous parlent plus facilement de leurs choix. Ceux-làsont aussi <strong>ce</strong>ux qui fré<strong>que</strong>ntent <strong>les</strong> conseils de quartier, où ils font entendreleur <strong>voix</strong> discordante mais sûre, manifestement <strong>in</strong>sensib<strong>les</strong> aux remar<strong>que</strong>s ouregards réprobateurs qui accueillent leurs <strong>in</strong>terventions dans <strong>ce</strong>s arènes. C’estparmi <strong>ce</strong>ux-là, on peut le supposer, <strong>que</strong> <strong>les</strong> <strong>in</strong>stituts de sondages trouventaussi <strong>les</strong> électeurs qui alimentent <strong>les</strong> données brutes de leurs échantillons.Mais <strong>les</strong> autres, <strong>ce</strong>ux qui ne répondent pas, <strong>les</strong> femmes notamment, à quiéchappent parfois des <strong>in</strong>vectives mais qui refusent systémati<strong>que</strong>ment <strong>les</strong><strong>que</strong>stionnaires et <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> en fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>, trop <strong>in</strong>trusifs, ou bien, si el<strong>les</strong><strong>les</strong> ac<strong>ce</strong>ptent, résistent au po<strong>in</strong>t de ne rien livrer d’el<strong>les</strong> qui pourrait mettre surla voie d’une vague orientation politi<strong>que</strong>, <strong>ce</strong>ux-là <strong>peuvent</strong>-ils être amenés à selivrer davantage si l’on modifie <strong>les</strong> conditions de déroulement de l’enquête ?C’est en tout cas <strong>ce</strong> <strong>que</strong> suggèrent et <strong>les</strong> données écologi<strong>que</strong>s et <strong>les</strong> donnéesd’entretien collectif recueillies au cours de nos différents terra<strong>in</strong>s.La confrontation des données de sondages localisés et des données écologi<strong>que</strong>smet déjà en éviden<strong>ce</strong> des variations loca<strong>les</strong> de la sous-déclaration.Comme L<strong>in</strong>z l’a souligné dans <strong>les</strong> années 1960 (L<strong>in</strong>z, 1969), <strong>ce</strong>s variations(12) Le redressement des données brutes, qui consiste à amplifier, dans un échantillon, le poidsdes électeurs ayant effectivement déclaré leur vote de façon à <strong>ce</strong> qu’il atteigne <strong>ce</strong>lui effectivementobtenu par <strong>ce</strong> vote au cours des derniers scrut<strong>in</strong>s, revient à survaloriser <strong>les</strong> caractéristi<strong>que</strong>s sociodémographi<strong>que</strong>sdes électeurs déclarant, dont on peut pourtant légitimement penser <strong>que</strong>, précisément,el<strong>les</strong> ne sont pas <strong>les</strong> mêmes <strong>que</strong> <strong>ce</strong>l<strong>les</strong> des électeurs dissimulant.67Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysRevue française de sociologierenvoient aux « biais contextuels » qui constituent en réalité autant d’élémentsà prendre en compte dans l’explication des comportements électoraux puisqu’ils<strong>in</strong>di<strong>que</strong>nt <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>es caractéristi<strong>que</strong>s des environnements dans <strong>les</strong><strong>que</strong>ls <strong>les</strong>prati<strong>que</strong>s politi<strong>que</strong>s sont adoptées et qui pèsent sur el<strong>les</strong>. Aussi la norme politi<strong>que</strong>dom<strong>in</strong>ante à l’échelle nationale pèse-t-elle sans doute beaucoup mo<strong>in</strong>s,dans la réti<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> à révéler son vote, <strong>que</strong> <strong>ce</strong>lle dom<strong>in</strong>ante dans <strong>les</strong> environnementsoù <strong>les</strong> <strong>in</strong>dividus évoluent au quotidien et où ils sont <strong>in</strong>terrogés. C’estégalement <strong>ce</strong> <strong>que</strong> laissent penser <strong>les</strong> travaux réalisés par <strong>les</strong> géographesbritanni<strong>que</strong>s au cours des dernières années, qui, par le biais du recours auxméthodes statisti<strong>que</strong>s mult<strong>in</strong>iveaux, établissent <strong>que</strong> l’échelle microenvironnementale– <strong>ce</strong>lle du vois<strong>in</strong>age immédiat – est <strong>ce</strong>lle à partir de la<strong>que</strong>lle s’établitla norme localement dom<strong>in</strong>ante la plus effica<strong>ce</strong> en matière d’orientation descomportements <strong>in</strong>dividuels (13). On peut donc raisonnablement penser <strong>que</strong><strong>ce</strong>tte échelle est aussi <strong>ce</strong>lle où la norme produit ses effets de <strong>ce</strong>nsure <strong>les</strong> plusforts, <strong>ce</strong> <strong>que</strong> <strong>les</strong> travaux <strong>les</strong> plus ré<strong>ce</strong>nts consacrés à la « spirale du silen<strong>ce</strong> »laissent également supposer (Oshagan, 1996 ; Scheufele et Moy, 2000). Etl’on peut considérer qu’un <strong>in</strong>dividu qui refusera de répondre aux <strong>que</strong>stionsd’un enquêteur l’<strong>in</strong>terrogeant dans le quartier où il réside pourra être mo<strong>in</strong>sréti<strong>ce</strong>nt à le faire ailleurs, par exemple sur son lieu de travail, si son vote estdavantage conforme à <strong>ce</strong> qu’il perçoit comme étant, dans <strong>ce</strong> cadre, la normedom<strong>in</strong>ante ou tout au mo<strong>in</strong>s un comportement plus ac<strong>ce</strong>ptable.Les travaux relevant d’approches localisées mettent sur la voie du repéraged’effets de seuil au-delà du<strong>que</strong>l un vote devient dicible alors qu’il ne l’est pasen-deçà. Rivière (2009) montre <strong>que</strong>, dans <strong>les</strong> zones pavillonnaires de lamétropole caennaise où le vote FN est ancien et constant même s’il restem<strong>in</strong>oritaire, <strong>les</strong> électeurs déclarent leur vote plus facilement <strong>que</strong> là où il estplus faible et soumis à de fortes variations en fonction des scrut<strong>in</strong>s. Sanssurprise, l’enquête PAECE montre également <strong>que</strong> le vote en faveur de ladroite classi<strong>que</strong> est beaucoup mieux assumé dans le 16 e arrondissement, où i<strong>les</strong>t quasi monopolisti<strong>que</strong>, et dans le <strong>ce</strong>ntre de Paris, où il fut longtemps dom<strong>in</strong>antet demeure légitime, <strong>que</strong> dans <strong>les</strong> quartiers populaires de la banlieuerouge, où voter en faveur de l’UMP n’est pas tellement plus facile à assumer<strong>que</strong> voter en faveur de l’extrême droite (14). S’il peut y avoir ici un effet« diplôme » – on assume d’autant plus facilement ses « op<strong>in</strong>ions » <strong>que</strong> l’ondispose d’un niveau de diplôme élevé, de l’assuran<strong>ce</strong> sociale et du sentimentde compéten<strong>ce</strong> qui l’accompagnent, largement répandus dans le 16 e arrondissementet dans le Marais, beaucoup mo<strong>in</strong>s à Sa<strong>in</strong>t-Denis –, l’effet de seuiln’en est pas pour autant neutralisé. Simplement, il se pourrait qu’il varie enfonction d’un <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong> nombre de ressour<strong>ce</strong>s <strong>in</strong>également distribuées dans l’espa<strong>ce</strong>social. Mo<strong>in</strong>s on disposerait d’assuran<strong>ce</strong> sociale et mo<strong>in</strong>s on serait politisé,plus le sentiment de la légitimité de ses op<strong>in</strong>ions ou comportements, et(13) Voir, par exemple, Harrop, Heath etOpenshaw (1992) ; Johnston, Pattie, Dorl<strong>in</strong>g et al.(2001) ; MacAllister et al. (2001) ; Johnston,Propper, Burgess et al. (2005) ; Johnston et68Pattie (2006).(14) Journée d’études PAECE du 27 ju<strong>in</strong>2009, CEPEL, Montpellier.Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIERdonc la facilité à <strong>les</strong> assumer publi<strong>que</strong>ment, dépendrait de la per<strong>ce</strong>ption <strong>que</strong>l’on a de leur diffusion, <strong>ce</strong> qui ne dit d’ailleurs rien de leur étendue réelle.A<strong>in</strong>si, la seule jeune femme d’orig<strong>in</strong>e étrangère qui, dans le quartier populairedes Cosmonautes, a révélé ouvertement son <strong>in</strong>tention de voter en faveur deNicolas Sarkozy lors du second tour des présidentiel<strong>les</strong> de 2007 a ressenti lané<strong>ce</strong>ssité, tout au long de l’entretien qu’elle nous accordait en fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>, denous conva<strong>in</strong>cre de la fré<strong>que</strong>n<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong> vote dans la cité, où l’on sait pourtantqu’il est très m<strong>in</strong>oritaire (15) :« Fatima : La plupart d’ici, dans mon bâtiment surtout, ils ont voté Sarkozy, y en abeaucoup qui ont voté Sarkozy. Je sais pas, la <strong>que</strong>stion du racisme… Il y en a beaucoupdes Sénégalais qui ont voté Ségolène par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> c’est normal, ils leur ajoutent dans leursprestations familia<strong>les</strong>. Mais moi, je touche rien du tout. Moi j’aimerais Sarkozy : il va faireun po<strong>in</strong>t sur tout. J’ai un enfant ou t’as six enfants : il faut qu’on touche pareil. Je fais c<strong>in</strong>qenfants, je touche un salaire. Je dors et je touche un salaire. Je fais un enfant, je travaille etj’ai rien : c’est pas juste, justement, il faut qu’il fasse un po<strong>in</strong>t sur ça. […] Je connais beaucoupde fil<strong>les</strong> qui habitent pas lo<strong>in</strong> d’ici, on parle de ça et el<strong>les</strong> disent comme moi. […]dans mon bâtiment, y en a beaucoup qui ont voté le FN. Le FN, c’est la droite ? […]Le Pen ? Lui, c’est un vrai raciste ; Sarkozy, lui, il est pas raciste. Le Pen, il est trop raciste.» (16).Si la norme peut être, comme ici, largement fantasmée, c’est qu’elle constitueune condition de possibilité d’affirmation d’un « je » qui, sans <strong>ce</strong>la,serait resté <strong>in</strong>ac<strong>ce</strong>ssible au chercheur.L’enquête sur le travail ou <strong>les</strong> <strong>que</strong>stions portant sur <strong>les</strong> univers professionnelsdans <strong>les</strong> autres dispositifs confortent <strong>ce</strong> constat établi à partir desdonnées localisées, en montrant <strong>que</strong> l’on ne se révèle politi<strong>que</strong>ment <strong>que</strong> là oùl’on éprouve le sentiment de pouvoir parler au nom d’un groupe qui compte.Les milieux socioprofessionnels traditionnellement associés à un vote conservateursont a<strong>in</strong>si <strong>ce</strong>ux où l’on exprime le plus aisément son orientation àdroite, voire à l’extrême droite (Mayer et Michelat, 1981 ; Lavau, Grunberg etMayer, 1983 ; Nord, 1986). Laurent, propriétaire d’un bar proche de la garede Lyon, avoue sans détours et dès son arrivée au domicile de sa mère, fidèleélectri<strong>ce</strong> du Parti socialiste résidant dans le Marais, qu’il vote régulièrementpour l’extrême droite, mais il le fait au nom d’un groupe dans le<strong>que</strong>l il <strong>in</strong>clut<strong>les</strong> autres patrons de cafés (« Nous, on a peur de perdre notre clientèle par<strong>ce</strong><strong>que</strong> <strong>les</strong> Ch<strong>in</strong>ois ont des modes de vie bizarres, comme jamais fermer oubosser à dix dedans. ») et dans le<strong>que</strong>l il <strong>in</strong>clut également ses clients (« Mesclients au bar pensent en tout cas la même chose <strong>que</strong> moi. L’alcool délie <strong>les</strong>langues. ») (17). Dans le secteur public, traditionnellement orienté à gauche,<strong>ce</strong> sont <strong>les</strong> électeurs de droite qui tendent à dissimuler leur orientation,(15) Lors du second tour des présidentiel<strong>les</strong>de 2007, le candidat Nicolas Sarkozyrecueillait 30 % des suffrages au bureau devote des Cosmonautes. Toutefois, dans <strong>les</strong><strong>que</strong>stionnaires sortie d’urnes systémati<strong>que</strong>mentproposés aux électeurs <strong>ce</strong> jour-là,seuls 8,3 % des répondants déclaraient avoirvotéensafaveur.(16) Enquête PAECE, Sa<strong>in</strong>t-Denis, entretienavec Fatima, 34 ans, hôtesse de caisse dans unrestaurant de grande entreprise publi<strong>que</strong>, le22 avril 2007.(17) Enquête PAECE, Paris <strong>ce</strong>ntre,entretien avec Laurent, 49 ans, commerçant, le23 avril 2008. Je souligne.69Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologiecomme <strong>ce</strong>t <strong>in</strong>génieur de la SNCF rencontré en 2007, qui dit évoluer dans ununivers « très socialo », et évite de parler politi<strong>que</strong> avec ses collègues (18). Sile fait de pouvoir dire « nous » facilite la prise de parole, y compris quand ils’agit d’assumer des comportements politi<strong>que</strong>s socialement stigmatisés, onpeut penser <strong>que</strong> <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> réalisés en groupe, avec des proches, offrent uncadre sus<strong>ce</strong>ptible de limiter le ris<strong>que</strong> de la dissimulation.Neutraliser <strong>les</strong> biais contextuels par <strong>les</strong> entouragesDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysLa méthode des <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> fournit aux enquêtés, notamment à<strong>ce</strong>ux entretenant <strong>les</strong> rapports <strong>les</strong> plus obli<strong>que</strong>s à la politi<strong>que</strong>, des conditions deprises de parole adaptées à la révélation de <strong>ce</strong> qu’ils dissimulent en d’autrescirconstan<strong>ce</strong>s. Telle <strong>que</strong> nous l’avons mise en œuvre – en laissant <strong>les</strong>enquêtés eux-mêmes choisir <strong>ce</strong>ux en compagnie des<strong>que</strong>ls ils feraient l’entretien–, elle offre un bon moyen de neutraliser <strong>les</strong> effets de <strong>ce</strong>nsure dont sontporteurs <strong>les</strong> environnements dom<strong>in</strong>ants. Mutz (2006) a bien montré <strong>que</strong> l’homogénéité,notamment politi<strong>que</strong>, des groupes renforçait nettement <strong>les</strong> prédispositionsdes membres à participer. On peut légitimement penser <strong>que</strong> laconclusion vaut également pour la prise de parole en groupe. Les entouragesreconstitués pour l’entretien et <strong>in</strong>vestis par l’enquêteur offrent a<strong>in</strong>si une« pellicule » protectri<strong>ce</strong> qui rend <strong>les</strong> enquêtés comme imperméab<strong>les</strong> auxcontextes plus larges. Des conditions d’enquête dont on peut en outre estimerqu’el<strong>les</strong> sont particulièrement réalistes puis<strong>que</strong> la vie sociale se déroule ause<strong>in</strong> d’entourages qui font en <strong>que</strong>l<strong>que</strong> sorte écran entre <strong>les</strong> <strong>in</strong>dividus et <strong>les</strong>environnements plus larges au se<strong>in</strong> des<strong>que</strong>ls ils évoluent (F<strong>in</strong>ifter, 1974).Dans <strong>ce</strong> cadre protecteur, il existe une dynami<strong>que</strong> de l’entretien collectifqui peut mener à la révélation d’un po<strong>in</strong>t de vue partagé par <strong>les</strong> enquêtés dansl’<strong>in</strong>timité, mais qu’ils n’auraient sans doute pas révélé en d’autres circonstan<strong>ce</strong>s,pour éviter de se mettre à nu. Les seuils de pruden<strong>ce</strong> fa<strong>ce</strong> au ris<strong>que</strong> del’exposition publi<strong>que</strong> sautent manifestement quand on est <strong>plusieurs</strong> et enconfian<strong>ce</strong>, par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> le nombre donne la for<strong>ce</strong> d’assumer un po<strong>in</strong>t de vue, afortiori quand il est illégitime et donc stigmatisé en dehors de l’espa<strong>ce</strong> où i<strong>les</strong>t exprimé. Lors du premier tour des élections municipa<strong>les</strong> de 2008, uncouple de quadragénaires et la sœur de l’épouse ac<strong>ce</strong>ptent le pr<strong>in</strong>cipe d’unentretien à la sortie du bureau de vote de Sa<strong>in</strong>t-Denis. Ils nous révélerontprogressivement qu’ils n’ont pas, <strong>ce</strong>tte fois-là, renouvelé leur confian<strong>ce</strong> aumaire communiste sortant. Tous trois sont f<strong>in</strong>alement d’accord pour dire qu’il<strong>les</strong> a beaucoup déçus, par son man<strong>que</strong> de travail supposé et le penchant qu’ilslui prêtent pour l’alcool. Cependant, l’homme, qui a pris la parole en premier,a d’abord tenu un discours beaucoup plus ambigu. Lui qui fut encarté au PCFvit manifestement assez mal d’en être venu à voter pour un autre candidat de(18) Enquête PAECE, Paris <strong>ce</strong>ntre, entretien avec Gabriel, 42 ans, <strong>in</strong>génieur à la SNCF,le 5 mai 2007.70Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIERgauche. Mais il ne le dira pas, tout d’abord, laissant croire, au contraire, en<strong>in</strong>sistant sur son identité politi<strong>que</strong>, qu’il lui serait resté fidèle. Une <strong>in</strong>terventionbeaucoup plus directe et tranchée de sa jeune belle-sœur, nouvellementarrivée dans la commune et qui, tout à coup, lui coupe la parole en manifestantune <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>e exaspération, fait basculer l’entretien. Elle y expli<strong>que</strong> avoirsollicité en va<strong>in</strong> une aide municipale pour un logement, précisant ne pasmême avoir été reçue par l’élu à <strong>ce</strong>tte occasion. Cette révélation emporte unchangement de registre chez l’homme, qui se met lui aussi à égra<strong>in</strong>er <strong>les</strong>griefs à l’égard du maire pour, f<strong>in</strong>alement, avouer, tout penaud, qu’il n’a eneffet pas voté pour lui. Il y a fort à parier qu’<strong>in</strong>terrogé seul <strong>ce</strong>t ouvrier dusecteur des transports n’aurait sans doute pas révélé le contenu de son vote.Dans une ancienne banlieue rouge encore gouvernée localement par des élusPC, et dans le milieu des héritiers du monde ouvrier ancien, il peut s’avérerdifficile de révéler le contenu d’un vote devenu non conforme (19).Les vertus libératoires de l’entretien collectif se mesurent aussi aux proposf<strong>in</strong>alement tenus par Fleur, gardienne dans la cité de Sa<strong>in</strong>t-Denis, <strong>que</strong> nousavons ma<strong>in</strong>tes fois cherché à faire parler de son rapport au politi<strong>que</strong> dans lecadre d’<strong>entretiens</strong> en fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong> ou de discussions <strong>in</strong>formel<strong>les</strong> et qui a, àcha<strong>que</strong> fois, manifesté une capacité <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>e à esquiver nos <strong>que</strong>stions. Aubout de <strong>plusieurs</strong> années d’enquête, nous n’avions de réponse claire ni sur sonvote, qu’elle s’efforçait de conserver secret, ni sur <strong>ce</strong> <strong>que</strong> <strong>ce</strong>tte qu<strong>in</strong>quagénairepensait du quartier et de ses habitants. Et puis, un jour, nous l’avons vuearriver au pied d’un immeuble, alors <strong>que</strong> nous <strong>in</strong>terpellions une habitante qu<strong>in</strong>ous apprenait son procha<strong>in</strong> déménagement. Elle, d’habitude si réservée, aalors pris ple<strong>in</strong>ement part aux échanges, enrichis en cours de route par l’arrivéede deux autres qu<strong>in</strong>quagénaires, puis par le fils de l’une d’entre el<strong>les</strong>.Parmi eux, seul le jeune homme avait déjà ac<strong>ce</strong>pté de remplir notre <strong>que</strong>stionnairesortie d’urnes, systémati<strong>que</strong>ment proposé aux électeurs lors de cha<strong>que</strong>scrut<strong>in</strong> depuis 2002. Ce jour-là, toutes ont <strong>ce</strong>pendant dit d’une même <strong>voix</strong>leur envie partagée de partir de la cité et énoncé très librement <strong>les</strong> raisonsprofondes de <strong>ce</strong> désir, tout en ayant conscien<strong>ce</strong> de lever un tabou. El<strong>les</strong> ontéprouvé un <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong> soulagement à dire tout haut <strong>ce</strong> <strong>que</strong>, d’habitude, el<strong>les</strong>cachent une fois sorties de leur <strong>in</strong>timité familiale. Et tout <strong>in</strong>di<strong>que</strong> <strong>que</strong> le cadrecollectif y est pour <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose :« Fleur : Il y a un gros problème sur Sa<strong>in</strong>t-Denis. Déjà, de mixité. Déjà, quand on a un logementvide, on le fait toujours visiter à un Arabe ou un Noir, c’est l’expression. […]Avant, quand je travaillais, j’en voyais même pas dix des petits Africa<strong>in</strong>s dehors, car yavait pas beaucoup de famil<strong>les</strong> africa<strong>in</strong>es. Il y en avait c<strong>in</strong>q, six… Ma<strong>in</strong>tenant, la moitié,c’est eux.Christiane : C’est vrai <strong>que</strong> c’est un peu beaucoup, ça, dans le bâtiment. Et j’ai fait le calcul: des Français purs, on n’est plus énorme.Fleur : Ah non ! Il y en a quasiment pas.Christiane : On doit être à peu près une diza<strong>in</strong>e. Et encore.Fleur : Là-bas, j’ai fait le re<strong>ce</strong>nsement des Français. J’en ai <strong>que</strong> deux et, dans le bâtiment(19) Enquête PAECE, Sa<strong>in</strong>t-Denis, entretien avec Christian, 45 ans, employé dans un stade,Isabelle, 42 ans, mère au foyer, et Lauren<strong>ce</strong>, environ 30 ans, le 9 mars 2008.71Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologieDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophryssept, j’en ai pas. […] il y a dix ans, oui, c’était équilibré.Christiane : Mais là, non. La majorité, c’est Africa<strong>in</strong>s et Arabes.Fleur : Les gens, quand on fait visiter un logement, ils le disent. Ils demandent : “Qui c’estencore qui va prendre le logement ?” Je crois <strong>que</strong> c’est un gros problème à Sa<strong>in</strong>t-Denis.Christiane : Ah oui, c’est un gros problème. Très gros problème.Nous : Et vous ne le dites pas, ça, dans <strong>les</strong> réunions de quartier ?Fleur : Non.Christiane : On n’a pas le droit de le dire. Là, c’est du racisme total.Fleur : C’est des propos racistes. On n’a pas le droit de le dire. » (20).Dans <strong>les</strong> dispositifs d’enquête localisés, <strong>les</strong> cas où l’entretien collectifménage une libération de la parole <strong>que</strong> n’aurait pas autorisée la <strong>situ</strong>ation defa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong> avec l’enquêteur sont manifestement <strong>ce</strong>ux où l’un des enquêtés,mo<strong>in</strong>s soumis <strong>que</strong> <strong>les</strong> autres aux normes localement dom<strong>in</strong>antes, repousse <strong>les</strong>limites du dicible. Dans <strong>ce</strong>tte conversation entre vois<strong>in</strong>es provoquée par <strong>les</strong>enquêteurs, c’est le déménagement procha<strong>in</strong> de l’une des femmes qui la libèredes contra<strong>in</strong>tes pesant localement sur <strong>ce</strong>ux qui s’expriment publi<strong>que</strong>ment.Tout se passe alors comme si <strong>ce</strong> départ annoncé projetait l’ensemble dugroupe dans un ailleurs où <strong>ce</strong> qui est dit tout haut échappe au contrôle de <strong>ce</strong>ux<strong>que</strong> <strong>ce</strong>s paro<strong>les</strong> pourraient contrarier dans la cité, en l’occurren<strong>ce</strong>, <strong>les</strong>« étrangers ».Indiscrétions et résistan<strong>ce</strong>sL’entretien collectif n’est évidemment pas <strong>que</strong> libératoire et il l’est d’autantmo<strong>in</strong>s <strong>que</strong> <strong>les</strong> révélations <strong>peuvent</strong> y prendre la forme d’<strong>in</strong>discrétions.Certa<strong>in</strong>s enquêtés prennent a<strong>in</strong>si sur eux de livrer une vérité sur leurs proches,en leur présen<strong>ce</strong> et sans leur accord préalable. Les effets de <strong>ce</strong>tte coproductionde données électora<strong>les</strong> sont de deux ordres. Certa<strong>in</strong>s <strong>in</strong>dividus se voient,par <strong>ce</strong> biais, offrir une « aide » par un parent ou un ami plus politisé qu’euxlorsqu’il s’agit de reconstituer un parcours de vote dont ils n’entretiennenteux-mêmes qu’un vague souvenir. Les <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> offrent alors unbon moyen de lutter contre <strong>les</strong> biais mémoriels qui affaiblissent la valeur desdonnées recueillies par déclaration. Le recoupement de sour<strong>ce</strong>s s’y produit,en <strong>que</strong>l<strong>que</strong> sorte, simultanément. Dès lors qu’il rend évidentes des différen<strong>ce</strong>sen matière de compéten<strong>ce</strong> politi<strong>que</strong> jus<strong>que</strong>s et y compris dans des contextesconversationnels socialement homogènes, il peut toutefois provo<strong>que</strong>r de lagêne et n’est donc pas sans consé<strong>que</strong>n<strong>ce</strong> sur la relation d’entretien. Les configurationsoù « l’aide » offerte par un proche contredit ouvertement la volontémanifeste de dissimuler un comportement <strong>peuvent</strong>, quant à el<strong>les</strong>, provo<strong>que</strong>rde profonds malaises. Pris au piège d’un rapport de for<strong>ce</strong>, <strong>les</strong> enquêtés« aidés » sont alors privés du droit <strong>in</strong>hérent à la <strong>situ</strong>ation d’entretien quand i<strong>les</strong>t en fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>, qui est <strong>ce</strong>lui de produire librement le récit de sa propre vie(20) Enquête PAECE, Sa<strong>in</strong>t-Denis, mai 2008, entretien avec Fleur, employée municipale,Christiane, Mireille et Hervé, locataires. Les trois femmes sont qu<strong>in</strong>quagénaires, Hervé a 25 ans.72Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIERdans tout <strong>ce</strong> <strong>que</strong> l’exerci<strong>ce</strong> impli<strong>que</strong> d’écriture, de mise en scène de sonhistoire, de silen<strong>ce</strong>s et de non-dits aussi, voire de mensonges.A<strong>in</strong>si, très nombreux sont <strong>les</strong> enquêtés qui déclarent, par <strong>que</strong>stionnaire ouen fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>, toujours voter. La confrontation de leurs dires avec <strong>les</strong> listesd’émargement permet pourtant d’établir <strong>que</strong>, conformément à <strong>ce</strong> <strong>que</strong>montrent <strong>les</strong> études publiées par l’Insee depuis <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s années, <strong>les</strong> votantsconstants constituent aujourd’hui une espè<strong>ce</strong> de plus en plus rare (Clanché,2003). Cela ne signifie pas forcément <strong>que</strong> <strong>ce</strong>ux <strong>que</strong> nous <strong>in</strong>terrogeons cherchentà nous tromper, en proposant une image d’eux-mêmes qu’ils pressentiraientplus conforme à la norme civi<strong>que</strong> socialement dom<strong>in</strong>ante <strong>que</strong> <strong>ce</strong>lle <strong>que</strong>donnerait une estimation plus précise de leur parcours de vote. Parfois, <strong>les</strong>enquêtés ne prennent en compte, dans l’estimation qu’ils fournissent de leurpropre participation électorale, <strong>que</strong> <strong>les</strong> scrut<strong>in</strong>s aux<strong>que</strong>ls ils confèrent une<strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>e importan<strong>ce</strong>, qui sont donc aussi <strong>ce</strong>ux aux<strong>que</strong>ls ils ont le plus dechan<strong>ce</strong>s d’avoir participé. Plus qu’un signe de tromperie, le décalage entre <strong>les</strong>déclarations et <strong>les</strong> prati<strong>que</strong>s réel<strong>les</strong> renvoie plutôt, dans <strong>ce</strong> cas, à l’ignoran<strong>ce</strong>et/ou à l’oubli rapide des scrut<strong>in</strong>s de faible ou moyenne <strong>in</strong>tensité. Dans <strong>les</strong>milieux où l’on ne s’<strong>in</strong>téresse pas du tout à la politi<strong>que</strong> mais où le sentimentdu devoir civi<strong>que</strong> est fort, il n’est pas rare de recueillir aussi des déclarationsde vote constant auprès d’électeurs qui ne participent pourtant qu’aux présidentiel<strong>les</strong>.Ce sont <strong>les</strong> seuls scrut<strong>in</strong>s, en effet, pour <strong>les</strong><strong>que</strong>ls la mobilisationélectorale a été suffisamment forte pour qu’ils en aient été affectés et sesoient, en consé<strong>que</strong>n<strong>ce</strong>, déplacés. Les autres n’ont, en <strong>que</strong>l<strong>que</strong> sorte, pasexisté pour eux. Identifier <strong>ce</strong> type de pro<strong>ce</strong>ssus relevant de la surévaluation desa propre participation suppose <strong>que</strong> l’on puisse confronter <strong>les</strong> déclarations<strong>que</strong> <strong>les</strong> acteurs font de leur comportement à d’autres sour<strong>ce</strong>s. Quand laconsultation des listes d’émargement n’est pas possible – elle est particulièrementchronophage et suppose, de toute façon, un dispositif d’enquête localisédans l’espa<strong>ce</strong> résidentiel des enquêtés (21) –, la présen<strong>ce</strong> d’un tiers met sur lavoie de <strong>ce</strong>s estimations très subjectives, par <strong>les</strong> <strong>in</strong>dividus, du niveau de leurengagement électoral. Résidant dans le <strong>ce</strong>ntre de Paris, Loïc, haut fonctionnairetrentenaire, rappelle a<strong>in</strong>si à son colocataire et ami Stéphane <strong>que</strong>, contrairementà <strong>ce</strong> qu’il vient de nous dire, il ne vote pas à toutes <strong>les</strong> élections. Pluspolitisé <strong>que</strong> son ami, Loïc dispose d’une mémoire très précise des scrut<strong>in</strong>saux<strong>que</strong>ls non seulement lui-même, mais aussi son ami a participé. Sur le tonde la plaisanterie dest<strong>in</strong>ée à rétablir la vérité tout en évitant de faire perdre lafa<strong>ce</strong> à un proche, il lui rappelle qu’il ne s’est pas déplacé pour <strong>les</strong> législativesde 2007. Mais la mémoire de Loïc s’étend aussi à la production des votes deson ami, qui éprouve des difficultés à reconstituer ses propres choix électorauxpour <strong>les</strong> scrut<strong>in</strong>s de faible <strong>in</strong>tensité. Prompt à soutenir qu’il vote toujoursen faveur du même camp, Stéphane est a<strong>in</strong>si démenti par son colocataire, quilui rappelle la volatilité dont il a fait preuve au cours des derniers scrut<strong>in</strong>s.(21) Seul l’Insee dispose de la faculté de reconstituer des trajectoires de vote <strong>in</strong>dividuel<strong>les</strong> àl’échelle nationale à partir des listes d’émargement.73Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologieDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys« Nous : Vous vous êtes <strong>in</strong>téressés à <strong>ce</strong>tte campagne ?Loïc et Stéphane : Oui.Nous : Pour qui avez-vous voté au premier tour des législatives, ou du mo<strong>in</strong>s <strong>que</strong>l parti ?Stéphane : L’UMP ! [hésitant]… non, non…Loïc : Non, c’est pas vrai ! ! [rire] Non, non ! C’est pas vrai !Stéphane : [rire] J’ai voté pour… euh ??Loïc : Le parti anarchiste.Stéphane : Oui ! Le parti anarchiste !Nous : Vous savez qui était le représentant ?Stéphane : …Loïc : Michel Thor<strong>in</strong>.Stéphane : Oui, c’est ça [rire] !Loïc : Oui, moi j’avais voté pour Cather<strong>in</strong>e Billard, je crois, c’est la députée actuelle, etl’ancienne aussi, qui est verte mais qui regroupe PS, Verts…Nous : Et au deuxième tour ?Loïc : Billard aussi.Stéphane : … J’ai dû voter pour l’UMP au deuxième tour.Loïc : Oui.Nous : C’était qui ?Loïc : LegaretStéphane : Oui, puta<strong>in</strong> [admiratif] !Nous : Ah oui, bonne mémoire ! » (22).Dans une zone pavillonnaire de la région parisienne, un ado<strong>les</strong><strong>ce</strong>nt quis’immis<strong>ce</strong> un moment dans <strong>les</strong> échanges <strong>que</strong> nous avons avec ses parentsjuste avant <strong>les</strong> européennes de 2009 prend manifestement plaisir à contrediresa mère alors qu’elle dresse d’elle-même un portrait de citoyenne modèle.Cette <strong>in</strong>firmière politisée, qui discute fré<strong>que</strong>mment de politi<strong>que</strong> en famille,avec son mari comme avec ses enfants, se voit rappeler par son fils qu’ellen’a, justement, pas voté le 21 avril 2002. À l’image de bien des électeurs quise sentiront coupab<strong>les</strong> d’avoir <strong>ce</strong> jour-là, par leur abstention, rendu possible laprésen<strong>ce</strong> de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentiel<strong>les</strong>, la jeunefemme pla<strong>ce</strong> <strong>ce</strong> moment entre parenthèses pour préserver son estime de soi.L’<strong>in</strong>tervention de l’ado<strong>les</strong><strong>ce</strong>nt grippe <strong>ce</strong> mécanisme psychologi<strong>que</strong> réconfortant:74« Nous : Et aux législatives juste après, en 2007, vous vous rappelez votre vote ?Myriam, la mère : Bah, à gauche, socialiste.Nous : Et vous vous rappelez le nom du candidat ?Myriam : D’ici ?[Ils regardent leur fils qui passe…]Le fils : Me regardez pas, moi j’ai voté <strong>ce</strong> <strong>que</strong> vous m’avez dit !Myriam : Chut ! [rires].Jean-Pierre, le père : Oui, aux deux tours, on a voté socialiste, mais je saurais pas tropvous dire le nom du candidat pour <strong>les</strong> législatives.Nous : Vous savez qui a été élu ?Jean-Pierre : Même pas, pour <strong>les</strong> législatives… je sais pas… [gêne].Nous : Vous aviez voté en 2002 ?Myriam et Jean-Pierre : Oui. Josp<strong>in</strong>.(22) Enquête PAECE, Paris <strong>ce</strong>ntre, entretien avec Stéphane, 27 ans, cadre supérieur dans lafonction publi<strong>que</strong> et Loïc, 27 ans, également cadre supérieur dans la fonction publi<strong>que</strong>, le 11 mars2008.Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Cél<strong>in</strong>e BRACONNIERDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysLe fils : Maman, t’avais pas voté au premier tour !Myriam : Ah, non, j’étais en vacan<strong>ce</strong>s. J’ai pas fait de procuration. J’ai honte et je m’ensuis mordu <strong>les</strong> doigts par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> je pense <strong>que</strong> si j’avais voté Josp<strong>in</strong>, il serait passé [ellerit]!» (23).Cather<strong>in</strong>e ne laisse pas non plus Robert, son époux, renvoyer de luil’image d’un citoyen constamment engagé, plus conforme à son statut d’ancienouvrier syndiqué <strong>que</strong> <strong>ce</strong>lui du votant <strong>ce</strong>rtes stratège mais très <strong>in</strong>termittentqu’il se révèle pourtant être dans la prati<strong>que</strong>. Jus<strong>que</strong>s et y compris <strong>les</strong>citoyens <strong>les</strong> plus politisés en effet, comme l’a souligné Kenny (1993) dans unarticle de référen<strong>ce</strong>, sont portés à surestimer leur engagement électoralpuis<strong>que</strong>, s’ils sont <strong>les</strong> plus constants des électeurs, ils sont aussi <strong>ce</strong>ux surqui la norme civi<strong>que</strong> exer<strong>ce</strong> la pression la plus forte.« Robert : Je vote toujours à gauche. Enf<strong>in</strong> plus précisément, je vote au premier tourextrême gauche et, au deuxième, gauche.Nous : C’est <strong>ce</strong> <strong>que</strong> vous avez fait pour <strong>les</strong> régiona<strong>les</strong> ?Robert : Oui.Cather<strong>in</strong>e : Mais qu’est-<strong>ce</strong> <strong>que</strong> tu racontes ? Tu n’as pas voté au premier tour !Robert : Si, si… Euh […]. Non mais par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> je n’étais pas là, je travaillais au stade deFran<strong>ce</strong> pour la sécurité d’un match de rugby. Mais c’est comme ça <strong>que</strong> je fais de toutefaçon.[…]Cather<strong>in</strong>e : De toute façon, souvent, tu n’es pas là aux élections. Et tu ne fais jamais deprocuration par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> ça t’embête fortement. [Silen<strong>ce</strong>]. » (24).S’<strong>in</strong>vestissant eux-mêmes d’un rôle de défenseurs de la vérité, <strong>ce</strong>s prochesqui rectifient <strong>les</strong> déclarations de <strong>ce</strong>ux qu’ils connaissent bien fournissent doncdes ressour<strong>ce</strong>s aux chercheurs pour objectiver <strong>les</strong> comportements électoraux.Ils opèrent le recoupement de sour<strong>ce</strong>s cher aux historiens comme auxsociologues, et sans le<strong>que</strong>l il ne peut scientifi<strong>que</strong>ment être établi, à partir d’unmatériel déclaratif, qu’un comportement a effectivement été adopté par un<strong>in</strong>dividu (Bizeul, 1998). Opéré le plus souvent avec dou<strong>ce</strong>ur et ménagementpour <strong>ce</strong>lui <strong>que</strong> l’on aide à se dire, <strong>ce</strong> type de révélation peut aussi viser, plusou mo<strong>in</strong>s consciemment, l’humiliation de l’autre. L’entretien collectif peuta<strong>in</strong>si alimenter une dynami<strong>que</strong> de concurren<strong>ce</strong> entre <strong>les</strong> enquêtés, dont l’uncherche une complicité valorisante avec l’enquêteur. On prête à <strong>ce</strong> dernier unpositionnement politi<strong>que</strong> et, outre un haut niveau de compéten<strong>ce</strong> sur <strong>les</strong> <strong>que</strong>stionsobjets de l’entretien, la défense de <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>es valeurs. Quand des prochessont connus pour ne pas s’<strong>in</strong>téresser à la politi<strong>que</strong>, ou bien se <strong>situ</strong>er à l’extrêmedroite de l’échiquier, on prend sur soi de le révéler, plus ou mo<strong>in</strong>sexplicitement, ou bien encore de mettre en scène, au cours de l’entretien, ladistan<strong>ce</strong> qui sépare son comportement du leur.Mais il arrive aussi <strong>que</strong> <strong>les</strong> victimes de <strong>ce</strong> rapport de for<strong>ce</strong> imposé retournentla <strong>situ</strong>ation en leur faveur et parviennent à faire de l’enquête une tribune(23) Enquête famille et politi<strong>que</strong> Vald’Oise2009, entretien avec Myriam, 51 ans,<strong>in</strong>firmière, et Jean-Pierre, 51 ans, documentalistedans un collège, le 10 mai 2009(24) Enquête famille et politi<strong>que</strong> Val-d’Oise2010, entretien avec Robert, 65 ans, ancienouvrier syndiqué chez Pech<strong>in</strong>ey, et Cather<strong>in</strong>e,56 ans, employée de ban<strong>que</strong>, mai 2010.75Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysRevue française de sociologiepour leur propre cause. En <strong>ce</strong> sens, l’entretien collectif est à usage multiple.On y entend aussi bien se déployer la parole autoritaire des dom<strong>in</strong>ants <strong>que</strong> desformes de résistan<strong>ce</strong> rendues possib<strong>les</strong> par la <strong>situ</strong>ation d’enquête, qui offreune arène à l’expression publi<strong>que</strong> de « textes (habituellement) cachés »(Scott, 1990).Fabien, jeune Français d’orig<strong>in</strong>e congolaise <strong>in</strong>terrogé avant <strong>les</strong> présidentiel<strong>les</strong>de 2002, se voit, dès le début de l’entretien, soupçonné à haute <strong>voix</strong> parsa mère de ne pas être un « démocrate » quand il affiche son s<strong>ce</strong>pticisme àl’égard de la classe politi<strong>que</strong> et une possible abstention au cours des électionsà venir. Elle-même juriste, ne <strong>ce</strong>ssant de rappeler ses titres, la mère affichedes convictions de gauche et ne semble pas supporter <strong>que</strong> son fils, très politisé,étudiant en droit après un parcours scolaire chaoti<strong>que</strong>, souligne <strong>les</strong> difficultésqu’il éprouve à s’<strong>in</strong>tégrer du fait desacouleurdepeau.Outréeparsespropos, elle lui conseille de retourner en Afri<strong>que</strong>, en sous-entendant qu’iln’est pas encore assez mûr et cultivé pour comprendre <strong>les</strong> bienfaits du régimeoffert par la Fran<strong>ce</strong>. Malgré l’aga<strong>ce</strong>ment qu’elle affiche et le traitement humiliantqu’elle lui fait subir en notre présen<strong>ce</strong>, Fabien résiste. Il parvient,jusqu’au bout, à faire entendre sa <strong>voix</strong> et c’est sa mère qui f<strong>in</strong>ira par quitter lapiè<strong>ce</strong> pour le laisser seul poursuivre l’entretien :« Brigitte : J’ai envie de savoir pourquoi tu n’as pas voulu voter ? Tu te sens désabusé ? Enrefusant de voter, tu penses faire <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose d’<strong>in</strong>téressant ?Nous : Vous êtes <strong>in</strong>scrit ?Fabien : Je ne suis pas <strong>in</strong>scrit par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> je me dis…Brigitte : Il faut voter pour…Fabien : Pour changer <strong>les</strong> choses, <strong>ce</strong>la prendra du temps.Brigitte : Il faut bien commen<strong>ce</strong>r par <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose !Fabien : Avec <strong>ce</strong> <strong>que</strong> je vois à la télé, très franchement, <strong>ce</strong>la me fre<strong>in</strong>e l’envie de participer.Brigitte : C’est un devoir civi<strong>que</strong>.Fabien : Mais <strong>ce</strong> n’est pas obligatoire. Si c’était obligatoire, j’irais voter. […] Bayroupourrait faire avan<strong>ce</strong>r <strong>les</strong> choses. Mais il n’est pas assez connu. Il n’a pas assez de prestige.On le voit dans <strong>les</strong> Guignols…Brigitte : C’est de la fiction ! […]Fabien : Si j’étais Bayrou et <strong>que</strong> je voyais <strong>que</strong>lqu’un en tra<strong>in</strong> d’essayer de prendre mapla<strong>ce</strong>, je le virerais. Je convo<strong>que</strong> démocrati<strong>que</strong>ment et je dis <strong>que</strong> Douste-Blazy préfèresoutenir Chirac. Et je dis qu’il faut choisir entre lui et moi.Brigitte : Cela ne se passe pas comme ça ! Nous sommes en démocratie.Fabien : Le gars fait partie de mon groupe et il soutient un autre. Moi, je trouve <strong>ce</strong>la <strong>in</strong>admissible.Brigitte : C’est le jeu de la démocratie. Cela veut dire <strong>que</strong> tu n’es pas démocrate. Tu devraisaller voter en Afri<strong>que</strong> ! » (25).Comme le montrent <strong>ce</strong>s échanges entre Fabien et Brigitte, aux<strong>que</strong>ls nousne participons aucunement, l’une des caractéristi<strong>que</strong>s de l’entretien collectifest de rendre possible une substitution de rôle entre l’enquêteur et l’un desenquêtés. Brigitte pose <strong>les</strong> <strong>que</strong>stions à notre pla<strong>ce</strong>, exige, commente, évalue<strong>les</strong> propos de son fils sans <strong>que</strong> nous <strong>in</strong>tervenions. Nous assistons, assis dans le(25) Enquête Cosmonautes, Fabien, 19 ans, étudiant en droit, et Brigitte, 47 ans, juriste dans lafonction publi<strong>que</strong> territoriale, le 22 février 2002.76Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIERcanapé de la salle-à-manger familiale, quasi transparents, à une joute verbaleau cours de la<strong>que</strong>lle seront d’ailleurs révélés de lourds secrets de famille <strong>que</strong>nous ne cherchions pas à connaître.De la même façon nous retrouvons-nous témo<strong>in</strong>s d’une sorte de lutteoratoire <strong>que</strong> se livrent, pres<strong>que</strong> sans aucune retenue, <strong>les</strong> jeunes membres d’uncouple résidant dans le cœur de la capitale. Olivier, diplômé d’une grandeécole de commer<strong>ce</strong>, jeune commissaire aux comptes dans un célèbre cab<strong>in</strong>etanglo-saxon, met, comme Brigitte, un terme à la relation égalitaire entreenquêtés <strong>que</strong> le chercheur impose comme po<strong>in</strong>t de départ de la relation d’entretien.Alors qu’il cherche à manifester sa plus grande compéten<strong>ce</strong> politi<strong>que</strong>,Olivier ne semble pas supporter <strong>que</strong> Gloria, sa conjo<strong>in</strong>te, avocate stagiaire,tente de soutenir la discussion avec l’enquêteur à égalité avec lui. Après avoiren va<strong>in</strong> essayé de la déstabiliser par des commentaires mo<strong>que</strong>urs, Olivierrévèle le vote des parents de Gloria. Cette imputation d’illégitimité par procurationaurait pu signer sa reddition. En l’occurren<strong>ce</strong> <strong>ce</strong>pendant, c’est la capacitéde résistan<strong>ce</strong> de la jeune femme <strong>que</strong> l’entretien manifeste. Non seulementelle cont<strong>in</strong>ue de répondre aux <strong>que</strong>stions <strong>que</strong> l’enquêteur lui pose sans selaisser vraiment perturber par <strong>les</strong> <strong>in</strong>terruptions <strong>in</strong><strong>ce</strong>ssantes et souvent b<strong>les</strong>santesd’Olivier, mais elle fait savoir <strong>que</strong> <strong>ce</strong> sont d’autres <strong>que</strong> lui qui parviennentà l’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>r, elle qui se dit très ouverte aux conseils d’autrui en lamatière et qu’il n’a manifestement pas su conva<strong>in</strong>cre de la valeur de sesanalyses, dont l’objectif était de la faire voter en faveur de François Bayrou :« Nous : Et toi, Gloria, tu nous as dit te <strong>situ</strong>er plutôt à gauche ?Gloria : Ah bon ? Oui j’ai dit ça… Oui j’ai dit <strong>que</strong> j’étais plutôt à gauche.Olivier : J’espère <strong>que</strong> tu as dit pour DSK, pas pour Ségolène !Gloria : J’ai dit être plutôt à gauche, oui j’ai dit ça. Je vais tenter d’argumenter.Olivier : T’as dû dire : “Si DSK avait été choisi” ? […].Gloria : Par<strong>ce</strong> <strong>que</strong>, c’est vrai, c’est bien <strong>les</strong> idées de gauche, <strong>ce</strong> qu’il disait, c’est vrai <strong>que</strong>c’est l’idéal de la société quoi, c’est le solidarisme.Nous : D’accord, tu nous as dit pourtant avoir voté Chirac au premier tour de 2002.Gloria : Oui, bah, en fait, c’est par<strong>ce</strong> <strong>que</strong>…Olivier : Par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> tu es de gauche, c’est normal.Gloria : Non.Olivier : Bah si.Gloria : Non, mais, au départ, c’est pas par conscien<strong>ce</strong> politi<strong>que</strong>, c’est par<strong>ce</strong> qu’en fait jene supportais pas, la tête de Josp<strong>in</strong> ne me revenait pas. Je trouvais qu’il avait <strong>que</strong>l<strong>que</strong>chose de mou et donc la…Olivier : [sifflement long] Tu rigo<strong>les</strong> là ?Gloria : Et donc la… Beh ouais, mais je ne sais pas… […] Non mais, je ne suis pas du toutun bon exemple pour <strong>les</strong> gens qui votent normalement.Olivier : C’est énorme <strong>ce</strong> <strong>que</strong> tu viens de dire quand même ! Là, c’est énorme ! Tu viensde lâcher un pavé dans la mare ! […]Nous : Lors du <strong>que</strong>stionnaire Gloria, tu pensais voter Bayrou, tu as changé d’avis ?Gloria : Oui, oui, oui j’ai changé d’avis. […] Oui, je suis <strong>que</strong>lqu’un d’<strong>in</strong>fluençable… mescop<strong>in</strong>es, ma mère m’ont dit <strong>que</strong> Sarko avait plus de dynamisme, j’ai réfléchi et c’est vrai<strong>que</strong> Bayrou est un peu un mou du genou…Olivier : Pour une fois <strong>que</strong> tes parents n’ont pas voté Le Pen… [Il rit].Gloria : Arrête Olivier de raconter des conneries, t’es saoulant ! !77Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologieNous : Tu te rappel<strong>les</strong> à <strong>que</strong>l moment tu as changé d’avis ?Gloria : Oui, environ quatre jours avant d’aller voter pour le premier tour je pense, en discutant.» (26).Si elle provo<strong>que</strong> un <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong> malaise, <strong>ce</strong>tte <strong>situ</strong>ation d’entretien ouvre doncaussi un horizon <strong>in</strong>terprétatif des rapports <strong>que</strong> Gloria entretient à la politi<strong>que</strong><strong>que</strong> n’aurait pas ménagé un entretien en fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong>. On dispose d’<strong>in</strong>dicationsrelativement précises sur le type d’<strong>in</strong>teractions qui sert de cadre à la maturationdes choix électoraux des deux jeunes gens. Olivier exer<strong>ce</strong> des pressionsaux<strong>que</strong>l<strong>les</strong> Gloria se soumet en apparen<strong>ce</strong> (par exemple, ici, à propos deDom<strong>in</strong>i<strong>que</strong> Strauss-Kahn), mais sans aller jusqu’à perdre son autonomie depensée, qu’elle conserve en puisant dans <strong>les</strong> ressour<strong>ce</strong>s <strong>que</strong> lui offrent sesamies et sa mère pour résister : c’est en faveur de Nicolas Sarkozy qu’ellevotera, f<strong>in</strong>alement.Identifier <strong>les</strong> ressorts de l’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong> électoraleDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysLes <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> ne valent a<strong>in</strong>si pas seulement par <strong>ce</strong> qu’ils rendentpossible : l’expression d’une attitude, d’un comportement <strong>in</strong>dividuel, ou sarévélation par un tiers. Leur valeur heuristi<strong>que</strong> provient aussi et surtout du faitqu’ils ménagent un accès à la dimension collective des comportementspoliti<strong>que</strong>s.Or, aujourd’hui <strong>que</strong> <strong>les</strong> militants ont quitté <strong>les</strong> quartiers populaires et <strong>que</strong><strong>les</strong> syndicats sont de mo<strong>in</strong>s en mo<strong>in</strong>s présents dans le monde du travail,appréhender la dimension collective de l’acte électoral suppose de prêterattention aux dispositifs beaucoup plus <strong>in</strong>formels à travers <strong>les</strong><strong>que</strong>ls on ditdésormais le plus souvent « nous » en politi<strong>que</strong> (Mart<strong>in</strong>, 1994 ; Braconnier,2012). Une méthode comme <strong>ce</strong>lle des <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> <strong>in</strong> <strong>situ</strong>, par<strong>ce</strong>qu’elle permet d’<strong>in</strong>terroger ensemble <strong>les</strong> membres d’une même famille, desamis, des collègues, est donc particulièrement adaptée. Elle ménage en effetun cadre d’observation pour <strong>les</strong> relations <strong>que</strong> <strong>les</strong> membres de <strong>ce</strong>s groupesportant une parole commune entretiennent entre eux. Elle permet aussi derepérer <strong>ce</strong> qui fonde, aujourd’hui, l’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong> politi<strong>que</strong> et l’entraînementélectoral.Micropressions et micro-entraînement : des mécanismes largement<strong>in</strong>conscientsPour comprendre la pla<strong>ce</strong> qu’occupent <strong>les</strong> environnements dans la productiondes votes apparemment <strong>in</strong>dividuels, on ne peut pas se contenter deprendre appui sur <strong>les</strong> déclarations <strong>que</strong> produisent <strong>les</strong> électeurs à propos de(26) Enquête PAECE, Paris-<strong>ce</strong>ntre, entretien avec Olivier, 25 ans, commissaire aux comptesdans un grand cab<strong>in</strong>et de conseil, et Gloria, avocate stagiaire, avril 2007.78Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIERl’orig<strong>in</strong>e de leur propre comportement. La compréhension des mécanismespar <strong>les</strong><strong>que</strong>ls le collectif pèse sur <strong>les</strong> prati<strong>que</strong>s de vote n’est pas immédiate, eneffet. Et, comme le rappelle Gaxie, « la restitution des raisons subjectives desprati<strong>que</strong>s n’épuise pas leur compréhension puisqu’elle ne rend pas compte deleur genèse, ni des conditions de leur élaboration, de leur valorisation et deleur mobilisation » (2002, p. 177).Objectivé par l’analyse des listes d’émargement, qui permet d’établir l’importan<strong>ce</strong>de la conformité électorale au se<strong>in</strong> des coup<strong>les</strong> et, au-delà, des unitésdomesti<strong>que</strong>s, sans pour autant mettre sur la voie des mécanismes qu’ilrecouvre (Weatherford, 1982 ; Kenny, 1993 ; McClurg, 2003 ; Johnston,Jones, Propper et al., 2005 ; Braconnier et Dormagen, 2010), confirmé par <strong>les</strong>observations ethnographi<strong>que</strong>s faites <strong>les</strong> jours de scrut<strong>in</strong> et par <strong>les</strong> analysesrégulièrement consacrées aux pro<strong>ce</strong>ssus de socialisation politi<strong>que</strong> (Percheron,1974 ; Stoker et Jenn<strong>in</strong>gs, 1995, 2005), le « voter ensemble » est pourtantrarement vécu comme une prati<strong>que</strong> collective. Le monde social n’est pastransparent, a fortiori lorsqu’il s’agit d’établir <strong>les</strong> orig<strong>in</strong>es éventuellementexogènes d’op<strong>in</strong>ions ou de prati<strong>que</strong>s mises en scène comme <strong>in</strong>dividuel<strong>les</strong>(27). A<strong>in</strong>si <strong>les</strong> membres de <strong>ce</strong>tte famille faiblement politisée, <strong>in</strong>terrogéspeu avant <strong>les</strong> régiona<strong>les</strong> de 2010, <strong>peuvent</strong>-ils en toute bonne foisoutenir <strong>que</strong> leur vote commun en faveur de la candidate d’Europe Écologie,pourtant rapporté aux mêmes motivations liées à sa personnalité, serait le seulproduit du hasard :« Nous : Vous avez tous voté pour <strong>les</strong> Régiona<strong>les</strong> ? Pour qui ?Patrick, le père : Europe Écologie.Nelly, la mère : Moi aussi.Jennifer, la fille : Oui, moi aussi. [Vers nous : ] On a tous voté pareil. Sans se con<strong>ce</strong>rter.Patrick [à sa femme et sa fille] : Je ne savais pas pour qui vous alliez voter. Chacun vote <strong>ce</strong>qu’il veut.Nous : Et pourquoi vous avez voté Europe Écologie ?Patrick : Moi, j’ai pas du tout voté pour le programme, c’est la personnalité d’Eva Joly <strong>que</strong>j’aime bien […] je trouve <strong>que</strong> Dany a du recul, disons <strong>que</strong>, globalement, je trouve <strong>que</strong>c’est des gens qui ont assez de recul, alors est-<strong>ce</strong> <strong>que</strong> c’est des gens qui ont assez de compéten<strong>ce</strong>spour gérer une région… j’en sais rien ! Mais je ne suis pas allé dans le fond duprogramme.Nelly : Oui, moi non plus, je ne connais pas le programme en détail, j’aime bien Eva Jolyet Daniel Cohn-Bendit.Jennifer : Moi aussi. » (28).Les plus politisés d’entre <strong>les</strong> citoyens pe<strong>in</strong>ent également à reconnaîtrel’existen<strong>ce</strong> de pro<strong>ce</strong>ssus d’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>, subis ou exercés, pour <strong>ce</strong>t exerci<strong>ce</strong> <strong>que</strong>la mythologie démocrati<strong>que</strong> consacre comme un acte d’autonomie de laraison. Alors <strong>que</strong> nous lui demandons d’évaluer la part prise par ses parentsdans sa propre trajectoire de vote, une étudiante en droit de 21 ans rend biencompte de <strong>ce</strong> dont il s’agit.(27) Que l’on songe à la symboli<strong>que</strong> del’isoloir dans le rituel électoral. Sur <strong>ce</strong> po<strong>in</strong>t,voir Garrigou (1988).(28) Enquête famille et politi<strong>que</strong> Val-d’Oise2010, entretien avec Patrick, 53 ans, employéde ban<strong>que</strong>, Nelly, 51 ans, costumière de théâtre,Jennifer, 22 ans, étudiante en master d’artsplasti<strong>que</strong>s, le 21 mars 2010.79Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologieDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys« Moi, je ne dirais pas le mot “<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>”, dans le sens où t’apportes <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose, unapport. Moi, personne ne m’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>. Je me fais mes propres idées toute seule, je suis <strong>in</strong>dépendante,le mot “<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>” est trop fort. En fait, <strong>ce</strong> sera toujours mon choix, et si je décidede me rallier à ton idée, c’est par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> ça m’a plu, mais <strong>ce</strong> n’est pas <strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>r, par<strong>ce</strong><strong>que</strong>, pour moi, ça veut dire <strong>que</strong> c’est comme si je ne réfléchissais pas par moi-même.“Influen<strong>ce</strong>”, je l’entends comme si je suis une suiveuse. “Influen<strong>ce</strong>”, je l’entends comme :elle m’a séduite par son idée, donc, je me rallie à elle, et je ne suis pas le mouton qui la suitbêtement. Bref, mes parents ne votent pas, j’écoute <strong>ce</strong> qu’ils disent, mais je fais mes propreschoix, par exemple je ne vote pas Arlette Laguiller. » (29).C’est donc par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> <strong>les</strong> pro<strong>ce</strong>ssus d’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong> sont largement perçuscomme le résultat, d’une part, de formes conscientes et stratégi<strong>que</strong>s deconversion de l’autre, et, d’autre part, d’une forme de soumission et d’abdicationde son autonomie, qu’il est très rare d’obtenir une reconnaissan<strong>ce</strong> de leurexisten<strong>ce</strong> par déclaration. Et <strong>ce</strong> <strong>que</strong> l’on observe pour <strong>les</strong> choix, on l’observeégalement pour la participation. Une sorte d’habitus électoral se construit àtravers des micropressions et microstimulations répétées qui, par<strong>ce</strong> qu’el<strong>les</strong>ne sont pas vécues comme tel<strong>les</strong>, échappent largement à la conscien<strong>ce</strong>(Plutzer, 2002). Les entourages sont donc rarement crédités d’une capacité àjouer un rôle en politi<strong>que</strong>, et c’est la raison pour la<strong>que</strong>lle <strong>les</strong> <strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>scontextuel<strong>les</strong>, quand el<strong>les</strong> désignent des <strong>in</strong>teractions <strong>in</strong>ter<strong>in</strong>dividuel<strong>les</strong>, méritentd’être analysées à partir d’autres sour<strong>ce</strong>s <strong>que</strong> <strong>ce</strong>l<strong>les</strong> reposant sur l’autodéclarationdes comportements.Les <strong>entretiens</strong> ethnographi<strong>que</strong>s classi<strong>que</strong>s, qui mettent fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong> un <strong>in</strong>dividuet un enquêteur, recueillent du déclaratif mais sont plus fiab<strong>les</strong> <strong>que</strong> <strong>les</strong>sondages dès lors qu’ils sont orientés vers la production d’anecdotes (Beaud,1996). Le chercheur y puise <strong>les</strong> <strong>in</strong>dicateurs d’<strong>in</strong>teractions sur <strong>les</strong><strong>que</strong>ls il peutprendre appui pour reconstituer une sorte de configuration relationnel<strong>les</strong>ous-ja<strong>ce</strong>nte à l’adoption des comportements <strong>in</strong>dividuels, à la manière dontMichelat (1975) procède pour établir <strong>les</strong> « systèmes symboli<strong>que</strong>s » desgroupes sociaux qu’il <strong>in</strong>vestit. Ceux qui affirment ne subir aucune <strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>en politi<strong>que</strong> et ne pas en exer<strong>ce</strong>r sont a<strong>in</strong>si souvent amenés à se contredireeux-mêmes au fur et à mesure qu’avan<strong>ce</strong> l’entretien et qu’ils sont <strong>in</strong>vités àraconter <strong>ce</strong> dont est fait leur quotidien. Le décalage entre une position de pr<strong>in</strong>cipestimulée par une <strong>que</strong>stion générale et souda<strong>in</strong>e – comme <strong>les</strong> <strong>que</strong>stionnairesdes sondages en comportent – et le récit de souvenirs précis de <strong>ce</strong> <strong>que</strong>recouvre la vie sociale ord<strong>in</strong>aire autorisé par la durée de l’entretien est, en lamatière, important. Une voie alternative pour accéder aux dimensions collectivesdu vote consiste <strong>ce</strong>pendant à ménager des <strong>situ</strong>ations d’observation desrelations <strong>que</strong> <strong>les</strong> électeurs entretiennent entre eux, pour tenter, en <strong>que</strong>l<strong>que</strong>sorte, de saisir <strong>les</strong> contextes en tra<strong>in</strong> d’agir et notamment <strong>les</strong> <strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>s entra<strong>in</strong> de se produire sur <strong>les</strong> <strong>in</strong>dividus. L’observation participante, qui va depair avec l’<strong>in</strong>stallation du chercheur dans un lieu – une maison, un quartier,un bureau, un local associatif, etc. – pour une durée variable mais cont<strong>in</strong>ue,est sans doute irremplaçable (Johnston Conover, Crewe et Sear<strong>in</strong>g, 1991),(29) Enquête famille et politi<strong>que</strong> Val-d’Oise 2010, entretien avec Nadia, étudiante en droit,21 ans, le 21 avril 2010.80Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Cél<strong>in</strong>e BRACONNIERmais très coûteuse et très rarement mise en œuvre dans l’analyse des comportementspoliti<strong>que</strong>s (jamais, à notre connaissan<strong>ce</strong>, dans le doma<strong>in</strong>e descomportements électoraux) (30). Les <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> ethnographi<strong>que</strong>s ou<strong>in</strong> <strong>situ</strong> offrent donc, nous semble-t-il, un substitut beaucoup plus facile àmettre en œuvre et qui peut donc se révéler utile pour appréhender la dimensioncollective de l’acte électoral (31).Parler d’une même <strong>voix</strong>Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysUn entretien de groupe permet d’abord assez aisément d’évaluer lafré<strong>que</strong>n<strong>ce</strong> ou l’<strong>in</strong>tensité des discussions politi<strong>que</strong>s <strong>que</strong> des <strong>in</strong>dividus qui seconnaissent ont entre eux. Quand deux amis ou <strong>les</strong> membres d’un coup<strong>les</strong>ont non seulement d’accord, mais semblent, pour exprimer <strong>ce</strong>t accord,rejouer une scène qu’ils ont déjà répétée – leurs positions sont exactementaccordées, ils utilisent <strong>les</strong> mêmes mots pour <strong>les</strong> énon<strong>ce</strong>r, ils répondent enmême temps, « en chœur » –, le chercheur dispose d’un bon <strong>in</strong>dicateur desdiscussions antérieures (Desantis, 2003 ; Walsh, 2004). Il ne dit rien dupartage des rô<strong>les</strong> qui a pu présider aux discussions, ni des pro<strong>ce</strong>ssus d’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>qui ont pu s’exer<strong>ce</strong>r, mais il constitue déjà le signe d’un avispartagé. Tout se passe comme si, en <strong>que</strong>l<strong>que</strong> sorte, <strong>les</strong> enquêtés ne faisaientqu’un en politi<strong>que</strong>.Deux amies de 21 et 22 ans <strong>que</strong> nous <strong>in</strong>terpellons à leur sortie du bureau devote de Sa<strong>in</strong>t-Denis pour solliciter un entretien parlent a<strong>in</strong>si d’une seule <strong>voix</strong>.Le bullet<strong>in</strong> qu’el<strong>les</strong> ont déposé dans l’urne lors du premier tour des présidentiel<strong>les</strong>de 2007 révèle déjà leur proximité en même temps qu’il <strong>les</strong> dist<strong>in</strong>guede la grande majorité des électeurs de gauche du quartier : el<strong>les</strong> font partie desrares électri<strong>ce</strong>s d’Olivier Besan<strong>ce</strong>not dans un quartier largement engagé enfaveur de Ségolène Royal <strong>ce</strong>tte année-là. El<strong>les</strong> ne sont pour autant ni des militantesde la LCR, ni même des <strong>in</strong>conditionnel<strong>les</strong> de son candidat, pour le<strong>que</strong>lel<strong>les</strong> ont f<strong>in</strong>alement opté après avoir, jusqu’au dernier moment, hésité à voterBayrou. Indi<strong>ce</strong> de leur compéten<strong>ce</strong> politi<strong>que</strong> a m<strong>in</strong>ima, <strong>ce</strong>tte équivalen<strong>ce</strong>qu’el<strong>les</strong> établissent entre un candidat d’extrême gauche et un candidat<strong>ce</strong>ntriste <strong>in</strong>di<strong>que</strong> aussi <strong>les</strong> discussions qu’el<strong>les</strong> ont eues, et dont <strong>ce</strong>s hésitationscomme <strong>ce</strong> choix f<strong>in</strong>alement fait ensemble sont le fruit.« Nora : Dans le programme de Bayrou, y avait des choses pas mal, même si ça ressemblepas du tout au programme de Besan<strong>ce</strong>not. Y a un grand fossé entre <strong>les</strong> deux. Donc, on asuivi <strong>les</strong> programmes des candidats et on a hésité entre Bayrou et Besan<strong>ce</strong>not, et f<strong>in</strong>alementça a été Besan<strong>ce</strong>not. […](30) Dans le doma<strong>in</strong>e des attitudespoliti<strong>que</strong>s, voir le très beau livre de Walsh(2004) et <strong>les</strong> réflexions stimulantes sur <strong>ce</strong>tteabsen<strong>ce</strong> de Mariot (2010).(31) Et, de façon générale, pour appréhenderla dimension collective de doma<strong>in</strong>es dela vie sociale difficilement observab<strong>les</strong> parl’enquêteur, comme la vie familiale, voirRoethlisberger, Dickson et Wright (1939) ouGoulet (2010).81Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologieDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysFatima : On est plutôt de gauche. Moi, j’ai surtout aimé <strong>ce</strong> qu’il disait pour <strong>les</strong> étudiants etjeunes travailleurs ouvriers, je trouvais <strong>que</strong> c’était pas mal, surtout <strong>que</strong> moi je suis encoreen études, donc ça me con<strong>ce</strong>rne. En fait, oui, je me suis sentie con<strong>ce</strong>rnée.Nora : Il nous semblait plus crédible <strong>que</strong> <strong>ce</strong> soit lui et son programme. En plus, il a l’airbien sympathi<strong>que</strong>. J’aime bien sa tête. Après, c’est sûr <strong>que</strong> ça représente pas non plus lecandidat idéal puisqu’on l’a quand même désigné par élim<strong>in</strong>ation.Fatima : Moi, j’aime bien le fait de savoir qu’il vit dans <strong>les</strong> mêmes conditions <strong>que</strong> nous, i<strong>les</strong>t facteur, il gagne prati<strong>que</strong>ment le smic, il roule en Clio. On sent déjà <strong>que</strong> le candidat estplus proche des classes populaires et des gens dans la cité. Il est plus dans la réalité <strong>que</strong>d’autres candidats qui vivent dans des superbes apparts à Paris.Nora : C’est comme Arlette Laguiller qui se dit au même rang <strong>que</strong> <strong>les</strong> ouvriers et qui rouleaussi en Clio. C’est vrai qu’ils sont proches du peuple.Nous : Il a organisé des réunions par ici ?Fatima : Non, je crois pas, mais s’il était venu on serait sûrement allé le voir, si bien sûr çacollait avec notre emploi du temps.Nous, à Nora : Et toi ?Nora : Bah, pareil ! En fait, on pense pareil. On est cop<strong>in</strong>es depuis qu’on est toute petites,on a toujours traîné ensemble depuis qu’on est à l’école maternelle, on a prati<strong>que</strong>ment <strong>les</strong>mêmes idées. » (32).L’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong> électorale s’exer<strong>ce</strong> dans tous <strong>les</strong> milieux sociaux, y compris<strong>ce</strong>ux où <strong>les</strong> partenaires sont plus politisés. Et elle peut aller de pair avec une<strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>e réciprocité dans la capacité de peser sur le comportement de l’autre.Dans <strong>ce</strong>tte famille où <strong>les</strong> discussions politi<strong>que</strong>s sont quotidiennes et animées,on repère aisément une sorte de construction familiale des votes. C’est enchœur <strong>que</strong> <strong>les</strong> membres expli<strong>que</strong>nt à l’enquêteur <strong>les</strong> raisons de leur choixpour <strong>les</strong> Européennes de 2009 :82« Nous : Con<strong>ce</strong>rnant <strong>les</strong> Européennes, Gisèle, vous souvenez-vous pour qui vous avezvoté ?Gisèle, la mère : Europe Écologie.Jean, le fils : Pour Europe Écologie également [sourire].Gisèle : Je pense <strong>que</strong> la personnalité de Daniel Cohn-Bendit était pour beaucoup dans noschoix.Jean : Oui, tu peux avoir une personne…Gisèle : Oui, à travers ses idées bien sûr…Paul, le père : Personnellement, je n’avais pas envie de revoter PS par<strong>ce</strong> qu’ils m’énervaient!Gisèle : Ils tombaient en décrépitude !Paul : Oui mais la personnalité de Cohn-Bendit me plaisait bien !Gisèle : On avait l’impression qu’il y avait…Paul : … un souffle nouveau !Gisèle : Oui, voilà ! Avec des idées portées !Nous : Et Jean ? Pourquoi Europe Écologie ?Jean : Par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> j’ai suivi mes parents ! » (33).(32) Enquête PAECE, Sa<strong>in</strong>t-Denis, entretienavec Fatima, 22 ans, titulaire d’un bac professionnelet d’un BTS d’assistante de direction,assistante d’attachée de presse dans un grandgroupe, Nora, 21 ans, titulaire d’un bac professionnel,n’a pas obtenu son BTS, secrétaire en<strong>in</strong>térim, le 6 mai 2007.(33) Enquête famille et politi<strong>que</strong> Vald’Oise2010, entretien avec Gisèle, 50 ans,enseignante dans le public, Paul, 50 ans,<strong>in</strong>specteur de l’Éducation nationale, Jean,19 ans, étudiant en c<strong>in</strong>éma, le 31 mars 2010.Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIERL’entretien collectif peut être utile pour repérer non seulement <strong>ce</strong> dont desproches ont parlé ensemble, mais aussi <strong>ce</strong> dont ils n’ont pas parlé. Par<strong>ce</strong> qu’ils’agissait d’un sujet tabou, ou bien faute d’<strong>in</strong>térêt spontané pour la <strong>que</strong>stion.Par exemple, une <strong>in</strong>firmière et son mari documentaliste, qui déclarent pourtants’<strong>in</strong>téresser à la politi<strong>que</strong>, se révèlent <strong>in</strong>capab<strong>les</strong>, deux sema<strong>in</strong>es avant <strong>les</strong>élections européennes de 2009, de dire pour qui ils ont l’<strong>in</strong>tention d’allervoter, même s’ils affirment vouloir le faire. On sait alors qu’aucun suivi de lacampagne n’a eu lieu dans <strong>ce</strong> foyer, où ni <strong>les</strong> programmes ni <strong>les</strong> noms descandidats ne sont connus.L’entretien collectif pourvoit le chercheur en <strong>in</strong>di<strong>ce</strong>s de pro<strong>ce</strong>ssus de constructiondu sens partagé par des <strong>in</strong>dividus. Il peut donner à voir, en <strong>ce</strong> sens,un groupe déjà là. Mais il permet également d’observer en direct <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>smécanismes participant de la construction ou de l’entretien d’un senscommun au groupe. On observe a<strong>in</strong>si fré<strong>que</strong>mment des dynami<strong>que</strong>s derenfor<strong>ce</strong>ment circulaire des <strong>ce</strong>rtitudes au se<strong>in</strong> des groupes <strong>in</strong>terrogés. Souventassociés à un registre discursif dénonciateur dont <strong>les</strong> élus sont <strong>les</strong> premièrescib<strong>les</strong>, <strong>ce</strong>s échanges assurent manifestement une fonction de réassuran<strong>ce</strong> dugroupe fa<strong>ce</strong> à l’extérieur. Tout se passe comme si <strong>les</strong> liens qui fondent le« nous » sortaient renforcés de la dénonciation des autres (Lascoumes etBezes, 2009). Évoquant le maire de leur commune de résiden<strong>ce</strong>, des époux etleur fille manifestent a<strong>in</strong>si sans retenue leur désapprobation :« Nelly, la mère : La gare, l’autre jour, ils ont fait une <strong>in</strong>auguration, il y avait du champagnequand même. Regarde qui est con<strong>ce</strong>rné par la gare… C’est nous qui prenons le tra<strong>in</strong>tous <strong>les</strong> jours. Je vois pas pourquoi ils ont <strong>in</strong>auguré la gare et qu’il n’y avait qu’un petit pa<strong>que</strong>tde gens d’<strong>in</strong>vités. Par<strong>ce</strong> <strong>que</strong> tu fais partie d’une association…Patrick, le père : Oui, mais c’est le système de l’autosatisfaction. C’est de l’autosatisfactionqu’ils se font entre eux. C’est des gens qui sont déconnectés de la réalité et quiprofitent du système.Jennifer, la fille : Non, mais, objectivement, c’est vrai <strong>que</strong> des fois c’est pas équitable.Nelly : C’est pas utile d’<strong>in</strong>augurer la gare…Jennifer : Il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s années, le maire faisait <strong>les</strong> vœux. Alors tu avais la poli<strong>ce</strong> qui filtrait<strong>les</strong> gens, ça faisait très… Enf<strong>in</strong> bon, c’était trop.Nelly : VIP.Patrick : Oui, ça faisait vraiment l’<strong>in</strong>telligentsia de cha<strong>que</strong> commune, quoi.Jennifer : Oui, voilà. Et puis nous, on est <strong>les</strong> gens d’Herblay qui payent leurs impôts…Patrick : Le peuple…Jennifer : Et on ne doit pas rentrer là-dedans par<strong>ce</strong> qu’on ne mélange pas <strong>les</strong> torchons et<strong>les</strong> serviettes. Donc, bon, ma<strong>in</strong>tenant, le maire a fait des vœux et tous <strong>les</strong> Herblaysiensétaient <strong>in</strong>vités, mais bon, en tout cas, il a mis <strong>plusieurs</strong> années à percuter <strong>que</strong> c’était une attitudepeut-être pas très…Patrick : Ils font <strong>ce</strong> qu’ils veulent de toute façon.Jennifer : Oui, ils font <strong>ce</strong> qu’ils veulent, mais bon…Patrick : On a dû dévier la <strong>que</strong>stion, non ? » (34).(34) Enquête travail et politi<strong>que</strong> Val-d’Oise 2010, entretien avec Patrick, 53 ans, employé deban<strong>que</strong>, Nelly, 51 ans, costumière de théâtre, Jennifer, 22 ans, étudiante en master d’arts plasti<strong>que</strong>s,le 21 mars 2010.83Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologieSilen<strong>ce</strong>s, prises de parole et loyauté (35)Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCerta<strong>in</strong>s chercheurs attentifs aux <strong>in</strong>teractions qui surgissent dans un cadre<strong>in</strong>stitutionnalisé mettent largement l’ac<strong>ce</strong>nt sur <strong>les</strong> obstac<strong>les</strong> à la prise deparole dont <strong>peuvent</strong> être porteurs <strong>les</strong> cadres <strong>collectifs</strong>. Intervenir en publicsuppose de posséder un <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong> nombre de ressour<strong>ce</strong>s dont <strong>les</strong> citoyens ord<strong>in</strong>airessont rarement pourvus (Revel et al., 2007 ; Payet, Giuliani et Laforgue,2008). De même, <strong>les</strong> échanges qui ont lieu entre membres d’associations sontsouvent marqués par une dynami<strong>que</strong> d’évitement du politi<strong>que</strong> dont Eliasoph(1998) expli<strong>que</strong> qu’elle serait neutralisée dans <strong>les</strong> <strong>situ</strong>ations d’entretien enfa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong> avec l’enquêtri<strong>ce</strong>. Nous avons nous-mêmes eu l’occasion de vérifier<strong>que</strong> <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> pouvaient gêner la prise de parole autant <strong>que</strong>la libérer. Mounira, jeune femme active de bientôt 40 ans, très engagée dansla vie locale du quartier de Sa<strong>in</strong>t-Denis, y est appréciée pour son franc-parler.Nous l’avons rencontrée des diza<strong>in</strong>es de fois en compagnie de ses amis et deses vois<strong>in</strong>s, lancée dans des discussions à bâtons rompus où sa position deleader d’op<strong>in</strong>ion ne faisait aucun doute. Mais Mounira ne nous a jamais rienlivré en <strong>situ</strong>ation plus formalisée d’entretien, a fortiori collectif. Et nousl’avons aussi vue très mal à l’aise sur des scènes publi<strong>que</strong>s vers <strong>les</strong><strong>que</strong>l<strong>les</strong> elleétait portée par <strong>les</strong> élus locaux en période électorale, ou dans des réunions dequartier où elle semblait perdre de sa faconde habituelle. Si Mounira est apparemmentune meneuse, on comprend grâ<strong>ce</strong> à l’observation de <strong>ce</strong>s <strong>situ</strong>ationsqu’elle ne dispose pas de l’assuran<strong>ce</strong> né<strong>ce</strong>ssaire à l’imposition de son po<strong>in</strong>t devue quand ses <strong>in</strong>terlocuteurs sont mieux pourvus qu’elle en ressour<strong>ce</strong>sscolaires et langagières et <strong>que</strong> des <strong>que</strong>stions éti<strong>que</strong>tées comme politi<strong>que</strong>s sonten jeu. D’où le décalage entre la position <strong>ce</strong>ntrale qu’elle occupe dans la viesociale du quartier et la position toujours marg<strong>in</strong>ale qui est la sienne dans lavie municipale, où elle aimerait pourtant jouer un rôle de premier plan.Qu’el<strong>les</strong> aient été ou non provoquées par l’enquêteur, <strong>les</strong> <strong>situ</strong>ations oùMounira s’est retrouvée contra<strong>in</strong>te de prendre la parole en public ont suscitéle même comportement de retrait et c’est lui qui, de <strong>ce</strong> fait, mérite de retenirl’attention.Les dispositifs d’enquête par groupes permettent a<strong>in</strong>si de repérer et dedonner sens à <strong>ce</strong> type de comportements relevant de la présen<strong>ce</strong> discrète dansl’espa<strong>ce</strong> public (Agar et MacDonald, 1995 ; Hollander, 2004). Par comparaisonavec <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> <strong>in</strong>dividuels qui relèguent <strong>ce</strong>ux qui se taisent dansl’en-dehors de l’enquête, <strong>les</strong> <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> ménagent une pla<strong>ce</strong> aux<strong>in</strong>dividus mo<strong>in</strong>s prédisposés <strong>que</strong> leurs proches à s’affirmer devant des tiers età accorder des <strong>entretiens</strong>, mais qui, protégés par eux, <strong>les</strong> suivent malgré toutdans <strong>ce</strong>tte expérien<strong>ce</strong>, tout en demeurant au second plan. Ces <strong>entretiens</strong> valentdonc autant pour la parole qu’ils libèrent <strong>que</strong> pour <strong>les</strong> mécanismes de <strong>ce</strong>nsureà l’œuvre dans <strong>les</strong> petits groupes qu’ils réactivent et permettent donc d’identifieret d’analyser. Or, dans tous <strong>les</strong> doma<strong>in</strong>es de la vie sociale où le silen<strong>ce</strong> etl’<strong>in</strong>différen<strong>ce</strong> sont plus fré<strong>que</strong>nts <strong>que</strong> l’<strong>in</strong>térêtetlaprisedeparole,ilpeutse84(35) Selon <strong>les</strong> catégories de Hirschman (1970).Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIERrévéler utile de comprendre qui parle, qui se tait, pourquoi, avec <strong>que</strong>ls effets.Sa participation à des conversations de vois<strong>in</strong>age dans un quartier populairede l’agglomération bordelaise permet à Goulet (2010) de mettre en causel’idée répandue depuis <strong>les</strong> travaux de Lazarsfeld selon la<strong>que</strong>lle <strong>les</strong> leadersd’op<strong>in</strong>ion obtiendraient un ralliement à leurs vues des mo<strong>in</strong>s politisés d’entre<strong>les</strong> citoyens. L’acquies<strong>ce</strong>ment sans conviction, <strong>les</strong> silen<strong>ce</strong>s gênés, l’évitementrepérés dans <strong>les</strong> discussions produisent selon lui une apparen<strong>ce</strong> de consensusdont il est probable qu’il n’a aucune consistan<strong>ce</strong> véritable. Il dissimuleraitplutôt une <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>e diversité des convictions <strong>in</strong>times et une capacité destaiseux de résister à l’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>ux qui parlent haut et fort. La sphère desrelations familia<strong>les</strong> et amica<strong>les</strong> est <strong>ce</strong>lle où, par comparaison, se forgent <strong>les</strong>croyan<strong>ce</strong>s, <strong>les</strong> identités, <strong>les</strong> habitus. Certes, rien n’<strong>in</strong>terdit de penser qu’unefois dans l’isoloir une femme dont on observe qu’elle adopte <strong>les</strong> positionspoliti<strong>que</strong>s de son mari, s’estimant <strong>in</strong>compétente devant lui mais pas forcémentau fond d’elle-même, jouisse ple<strong>in</strong>ement de sa liberté de vote <strong>les</strong> jours descrut<strong>in</strong>s et produise un choix non conforme. Nous avons aussi rencontré auxCosmonautes une mère septuagénaire dissimulant à sa fille le vote en faveurdu Parti socialiste qu’elle venait de produire aux élections municipa<strong>les</strong> de2008, alors <strong>que</strong> ses enfants semblaient exiger d’elle le respect d’une fidélitéfamiliale au Parti communiste. Si, par déf<strong>in</strong>ition, le secret des urnes demeureimpénétrable pour le chercheur comme pour <strong>les</strong> proches des électeurs, fragilisantpar avan<strong>ce</strong> toute analyse des effets <strong>que</strong> sont <strong>ce</strong>nsés produire <strong>les</strong> discoursdes « animateurs de discussions » sur le choix des autres, du mo<strong>in</strong>s le repéragedes <strong>in</strong>égalités de ressour<strong>ce</strong>s et de position au se<strong>in</strong> des entouragespermet-il de « réduire la marge de l’<strong>in</strong><strong>ce</strong>rtitude » (Dogan, 1965, p. 435)con<strong>ce</strong>rnant <strong>les</strong> modalités de production des comportements.Prise à partie par de jeunes garçons à la sortie du bureau de vote deSa<strong>in</strong>t-Denis, nous réalisons un entretien avec eux au cours du<strong>que</strong>l la divisiondes rô<strong>les</strong> au se<strong>in</strong> du groupe est évidente. Alors <strong>que</strong> le meneur (A.), qui n’estpas <strong>in</strong>scrit sur <strong>les</strong> listes électora<strong>les</strong>, fait de son retrait de la vie civi<strong>que</strong> unsigne de fierté identitaire, deux de <strong>ce</strong>ux qui l’entourent (C. et D.) sont gênésde révéler leur <strong>in</strong>scription et nient une participation pourtant avérée par <strong>les</strong>listes d’émargement pour l’un d’entre eux. Autant <strong>que</strong> leur comportementélectoral, c’est le fait qu’ils le dissimulent devant leurs pairs qui permet decomprendre le rapport ambigu qu’ils entretiennent à l’acte de vote. Porteursd’un habitus clivé, la plupart de <strong>ce</strong>s jeunes gens sont partagés entre le désird’<strong>in</strong>tégration, dont la participation électorale constitue manifestement l’undes signes visib<strong>les</strong>, et l’attiran<strong>ce</strong> pour des prati<strong>que</strong>s déviantes qui <strong>les</strong> dist<strong>in</strong>guentet au profit des<strong>que</strong>l<strong>les</strong> fonctionne le rappel à l’ordre du meneur àl’occasion de la <strong>situ</strong>ation d’enquête.« Nous : Et vous, y en a aucun qui est <strong>in</strong>scrit sur <strong>les</strong> listes ?C. : Moi, j’suis <strong>in</strong>scrit.A. [s’adressant à C. sur un ton réprobateur] : T’as ta carte d’électorale ? Moi, j’ai pas macarte !D. : Moi, j’vote pas.Nous : Pourquoi ?D. : J’m’en bats <strong>les</strong> couil<strong>les</strong>.Nous : Pourquoi ? Vous pensez <strong>que</strong> ça change rien ?85Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologieDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysD. : Ça change rien à ma vie. Non ! Que <strong>ce</strong> soit Sarkozy ou l’autre, ça sera pareil. MêmeNapoléon, ils le r’mettent : ça s’ra pareil ! Non mais, ça va changer quoi pour nous ?Nous : Non mais y a des gens qui ont peur par exemple, et qui pensent donc <strong>que</strong> ça peutchanger <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose.D. : Moi, j’ai peur <strong>que</strong> d’Dieu.Nous : Mais vous êtes pas <strong>in</strong>scrit, vous ?D. : Si, mais ça m’sert à rien.Nous : Vous, vous avez été <strong>in</strong>scrit automati<strong>que</strong>ment ?D. : Ouais.Nous : Et même au premier tour, vous n’y êtes pas allé ?D. : Non !Nous : Mais vous allez regarder quand même <strong>les</strong> résultats ou pas ?D. : Même pas ! J’vais jouer au foot, j’ai pas le temps. »Lors de <strong>ce</strong>t entretien qui durera 46 m<strong>in</strong>utes, nous tenterons en va<strong>in</strong> deper<strong>ce</strong>r le secret de <strong>ce</strong> comportement, faute de parvenir à résister aux pressionsexercées par le meneur pour re<strong>ce</strong>ntrer <strong>les</strong> échanges sur des thèmes mieux àmême de manifester l’emprise qu’il veut se voir reconnaître sur le quartier.Dans un entretien collectif, la relation de dom<strong>in</strong>ation dans la<strong>que</strong>lle sont traditionnellementpris l’enquêteur et l’enquêté laisse la pla<strong>ce</strong> à un leadershipexercé au se<strong>in</strong> même du groupe des enquêtés par l’un d’entre eux, qui se saisitde l’<strong>in</strong>strument mis à sa disposition – l’enquête et sa série de <strong>que</strong>stions – pourré<strong>in</strong>vestir son rôle dom<strong>in</strong>ant et réaffirmer <strong>les</strong> valeurs du groupe.Au début de l’entretien, Louis et Serge, sexagénaires amis de longue date,répondent de façon discipl<strong>in</strong>ée à nos <strong>que</strong>stions, chacun à tour de rôle. Puis,prenant de l’assuran<strong>ce</strong>, Louis commen<strong>ce</strong> à <strong>in</strong>terrompre Serge pour l’<strong>in</strong>citer àpréciser ses dires, substituant ses relan<strong>ce</strong>s à <strong>ce</strong>l<strong>les</strong> de l’enquêteur. Et bientôt,c’est un dialogue entre <strong>les</strong> deux amis <strong>que</strong> nous suivons, avec Louis dans lerôle de <strong>ce</strong>lui qui mène l’enquête et Serge de <strong>ce</strong>lui qui répond, résistant avecplus ou mo<strong>in</strong>s de ténacité à la volonté manifeste de son vieil ami de lui fairedire <strong>ce</strong> qu’il ne dira qu’avec réti<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong>. Alors <strong>que</strong> Serge, policier en retraite,vote à droite, Louis, ancien ouvrier un temps syndiqué, vote à gauche et tientabsolument à faire dire à son partenaire habituel de discussion politi<strong>que</strong> <strong>que</strong>Joxe fut un bon m<strong>in</strong>istre de l’Intérieur, <strong>ce</strong> qu’il f<strong>in</strong>ira par reconnaître àdemi-mots (36). En observant <strong>ce</strong>tte prise de rôle par Louis et la façon dont ilparvient, en dou<strong>ce</strong>ur, à obtenir la reddition de son ami, l’enquêteur devenuspectateur recueille donc de quoi comprendre <strong>les</strong> jeux d’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>s animant<strong>les</strong> échanges politi<strong>que</strong>s qu’ont régulièrement <strong>ce</strong>s vieux compli<strong>ce</strong>s. On disposedonc, avec l’entretien collectif, d’un outil particulièrement adapté au repéragedes rapports de dom<strong>in</strong>ation au se<strong>in</strong> des entourages et à la compréhension de<strong>ce</strong> qui fonde prati<strong>que</strong>ment le leadership quand il est <strong>que</strong>stion de politi<strong>que</strong>dans le monde profane, en tout cas en <strong>situ</strong>ation d’entretien. On adopte alors lepostulat selon le<strong>que</strong>l <strong>ce</strong>lui qui, dans un couple, au se<strong>in</strong> d’un groupe de pairsou au se<strong>in</strong> d’une famille <strong>in</strong>terrogés par l’enquêteur va progressivementaffirmer son emprise sur le déroulement de l’entretien ne fait <strong>que</strong> réactiver lerôle habituel qu’il occupe au se<strong>in</strong> de <strong>ce</strong> groupe quand la politi<strong>que</strong> est en jeu.(36) Enquête famille et politi<strong>que</strong> Val-d’Oise 2009, entretien avec Louis, 58 ans, bijoutier,Serge, 59 ans, policier à la retraite, le 17 mai 2009.86Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysCél<strong>in</strong>e BRACONNIERLe leader politi<strong>que</strong> profane est aussi <strong>ce</strong>lui qui, s’érigeant spontanément enporte-parole du groupe, parle en son nom. Lo<strong>in</strong> de ne répondre qu’à titre <strong>in</strong>dividuelaux <strong>que</strong>stions qui lui sont posées, il monte en généralité pour porter laparole de tous (Boltanski, 1990). Quatre cadres âgés d’une c<strong>in</strong>quanta<strong>in</strong>e d’années,liés d’amitié, disent <strong>les</strong> difficultés qu’ils rencontrent dans l’exerci<strong>ce</strong> deleur profession du fait des nouvel<strong>les</strong> règ<strong>les</strong> de management <strong>in</strong>troduites au se<strong>in</strong>de leur entreprise. Même si l’enquêteur tente au départ de distribuer <strong>les</strong> toursde parole de façon équitable, c’est Hubert qui, pres<strong>que</strong> immédiatement, prendla « tête » de l’entretien, répond le premier, conclut pour <strong>les</strong> autres, relan<strong>ce</strong><strong>les</strong> <strong>que</strong>stions, commente <strong>les</strong> réponses et parle au nom de tous :« Nous : Vous vous sentez épanouis dans votre travail ?Hubert : Non.Éric : Non.Xavier : Non.[Pas de réponse de Frédéric].Hubert : Il y en a un qui ne veut pas être enregistré… [rires]. Il essaie d’éclore pour l’<strong>in</strong>stantdonc, savoir s’il est épanoui, il ne sait pas encore. Non, on n’est pas totalement épanouis,par<strong>ce</strong> <strong>que</strong>, de par la structure européenne aujourd’hui et de nos dirigeants, on est un peucontra<strong>in</strong>ts et forcés d’être dans des tim<strong>in</strong>gs et on travaille un peu le nez dans le guidon eton est restre<strong>in</strong>t dans notre créativité. On n’a pas le temps d’être créatifs. » (37).Des travaux ré<strong>ce</strong>nts de nature expérimentale mettent l’ac<strong>ce</strong>nt sur l’orig<strong>in</strong>eproprement politi<strong>que</strong> du leadership politi<strong>que</strong> dans le cadre de discussionsentre citoyens ord<strong>in</strong>aires. Huckfeldt et ses collègues ont a<strong>in</strong>si montré <strong>que</strong> laper<strong>ce</strong>ption, par <strong>les</strong> mo<strong>in</strong>s politisés, d’une <strong>ce</strong>rta<strong>in</strong>e forme de hiérarchie descompéten<strong>ce</strong>s <strong>les</strong> rendait ré<strong>ce</strong>ptifs aux propos tenus par des proches plus« experts » qu’eux-mêmes (MacClurg, 2006 ; Ahn, Huckfeldt et Ryan, 2007).On repère aisément, en entretien collectif, des différen<strong>ce</strong>s de politisation entreenquêtés. El<strong>les</strong> se traduisent, notamment, par une capacité très différenciée,au se<strong>in</strong> d’un groupe de proches, à connaître <strong>les</strong> candidats à une élection, à sesouvenir de ses votes passés, à comprendre <strong>les</strong> enjeux des différents types descrut<strong>in</strong>s. Les <strong>entretiens</strong> confirment donc le fait <strong>que</strong> <strong>les</strong> groupes <strong>in</strong>formels,même socialement homogènes et reposant sur des liens forts, réunissent des<strong>in</strong>dividus politisés – ne serait-<strong>ce</strong> qu’a m<strong>in</strong>ima – et d’autres qui <strong>peuvent</strong> l’êtrebeaucoup mo<strong>in</strong>s. Or, quasi systémati<strong>que</strong>ment, c’est le plus politisé qui apparaîtcomme le guide politi<strong>que</strong> du groupe et <strong>ce</strong>lui qui l’est le mo<strong>in</strong>s qui adopteune position de retrait.Si Atem et Amed sont frères, ils ne disposent a<strong>in</strong>si pas des mêmesressour<strong>ce</strong>s scolaires puisqu’Atem entame un 3 e cycle de droit alors qu’Amed,chauffeur de taxi, ne dispose même pas du baccalauréat. Cette <strong>in</strong>égalité dediplômes est à l’orig<strong>in</strong>e d’une <strong>in</strong>version familiale des rô<strong>les</strong> qui provo<strong>que</strong> un<strong>ce</strong>rta<strong>in</strong> malaise. Alors <strong>que</strong> son statut d’aîné devrait lui garantir un rôle deguide, Amed est dans la <strong>situ</strong>ation d’être corrigé par son jeune frère en matièrepoliti<strong>que</strong>.(37) Enquête travail et politi<strong>que</strong> Val-d’Oise 2010, entretien avec Hubert, Éric, Xavier,Frédéric, la c<strong>in</strong>quanta<strong>in</strong>e, tous quatre cadres commerciaux dans une entreprise <strong>in</strong>ternationale dusecteur de l’imagerie, mai 2010.87Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologieDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys« Nous : Connaissez-vous votre député ?Amed : Huchon.Atem : Non, <strong>ce</strong> n’est pas Huchon, c’est Pierre Cardo.Nous : Connaissez-vous votre maire ?Amed : Je ne connais plus son nom, je sais qu’elle est de droite.Atem : Cather<strong>in</strong>e Arenou.Amed : Oui, voilà ! » (38).Amed f<strong>in</strong>ira d’ailleurs par mar<strong>que</strong>r ses distan<strong>ce</strong>s au cours de l’entretien,manifestement humilié par la répétition de <strong>situ</strong>ations où <strong>les</strong> <strong>in</strong>égalités decompéten<strong>ce</strong>s sont mises en éviden<strong>ce</strong>. On s’aperçoit a<strong>in</strong>si <strong>que</strong> <strong>les</strong> degrés dansla politisation <strong>peuvent</strong> dissimuler, comme ici, des différen<strong>ce</strong>s de ressour<strong>ce</strong>sentre <strong>les</strong> discutants, qui pourraient donc bien constituer <strong>les</strong> variab<strong>les</strong> explicab<strong>les</strong>cachées des <strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong>s exercées.Dans un tout autre milieu, Loïc et Stéphane, devenus amis au cours de leursétudes de droit, sont « montés » ensemble dans la capitale, où ils cont<strong>in</strong>uent departager un appartement en colocation. Tous deux fiscalistes travaillant dansla fonction publi<strong>que</strong>, ils revendi<strong>que</strong>nt une appartenan<strong>ce</strong> à des camps politi<strong>que</strong>sopposés. Que leur amitié abrite des pro<strong>ce</strong>ssus d’<strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong> électoralerelève pourtant de l’éviden<strong>ce</strong>. Héritier d’une famille de droite et lui-mêmefidèle à <strong>ce</strong> camp, Stéphane a manifestement été dissuadé par son ami de voteren faveur de la candidature de Nicolas Sarkozy aux présidentiel<strong>les</strong>. On peutdonc imputer son choix f<strong>in</strong>al de voter en faveur de François Bayrou auxlongues et fré<strong>que</strong>ntes discussions qu’il a eues avec son colocataire. Même s’iln’a pas voté pour lui, Stéphane raconte aussi volontiers l’admiration qu’iléprouve pour la gestion <strong>que</strong> Bertrand Delanoë a faite de sa ville. Ces glissementsde positions <strong>peuvent</strong> aprioriêtre rapportés à une différen<strong>ce</strong> relativementmarquée de politisation. Alors <strong>que</strong> Stéphane prend plaisir à regarder detemps en temps des débats politi<strong>que</strong>s et qu’il possède une bonne connaissan<strong>ce</strong>du champ politi<strong>que</strong> <strong>in</strong>stitutionnel, Loïc est manifestement passionné etdispose d’une culture de l’actualité politi<strong>que</strong> identi<strong>que</strong> à <strong>ce</strong>lle d’un professionnel.Il entretient une mémoire précise du vote de ses proches et de leurparticipation qui for<strong>ce</strong> l’étonnement des <strong>in</strong>téressés comme du chercheur.Mais, contrairement aux apparen<strong>ce</strong>s, le doma<strong>in</strong>e politi<strong>que</strong> n’est pas <strong>ce</strong>lui oùs’enrac<strong>in</strong>e l’<strong>in</strong>égalité entre <strong>les</strong> deux hommes. Ce <strong>que</strong> l’on enregistre ici ne fait<strong>que</strong> prolonger, en réalité, des différen<strong>ce</strong>s marquées dans des trajectoiresprofessionnel<strong>les</strong>, qui, malgré leur apparente proximité, sont bien dist<strong>in</strong>ctes.Loïc occupe un poste de direction au se<strong>in</strong> d’un m<strong>in</strong>istère, où il contribue, parses compéten<strong>ce</strong>s juridi<strong>que</strong>s rares, à la rédaction des propositions de lois. C’estle théoricien du groupe, <strong>ce</strong>lui <strong>que</strong> sa position gouvernementale consacrecomme ayant le mieux réussi professionnellement. Le travail de Stéphaneconsiste notamment à vérifier <strong>que</strong> <strong>les</strong> textes <strong>que</strong> son ami participe à produiresont effectivement respectés dans la prati<strong>que</strong>. C’est un homme de terra<strong>in</strong>. S’i<strong>les</strong>t <strong>in</strong>déniablement mo<strong>in</strong>s passionné par la politi<strong>que</strong> <strong>que</strong> son ami, <strong>ce</strong> quiexpli<strong>que</strong> sans doute une mo<strong>in</strong>dre compéten<strong>ce</strong>, la position d’écoute attentive(38) Enquête famille et politi<strong>que</strong> Val-d’Oise 2010, entretien avec Amed, 35 ans, chauffeur detaxi, Atem, 24 ans, étudiant en droit, mai 2010.88Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrysqu’il adopte lors des discussions politi<strong>que</strong>s qu’il a avec lui prolonge <strong>in</strong>déniablementdes <strong>in</strong>égalités de position professionnelle qui se révèlent donc fortementstructurantes. El<strong>les</strong> prolongent d’ailleurs sans doute el<strong>les</strong>-mêmes desdifféren<strong>ce</strong>s de milieux, Stéphane étant issu d’une famille mo<strong>in</strong>s bien dotée encapitaux économi<strong>que</strong> et culturel <strong>que</strong> son ami.** *Cél<strong>in</strong>e BRACONNIERLes <strong>entretiens</strong> <strong>collectifs</strong> <strong>in</strong> <strong>situ</strong> ne sont pas des focus groups, dans <strong>les</strong><strong>que</strong>lsdes enquêtés qui ne se connaissent pas sont <strong>in</strong>vités par des chercheurs àdiscuter sur un thème en laboratoire (39). S’ils sont assurément proches des<strong>entretiens</strong> de type ethnographi<strong>que</strong> en <strong>ce</strong> qu’ils consistent à <strong>in</strong>terroger, dans lecadre d’enquêtes de longue durée, des <strong>in</strong>dividus dans leur environnementquotidien (chez eux, au bureau, au café, au jard<strong>in</strong>) sur leur parcours familial,professionnel, résidentiel, politi<strong>que</strong>, ils s’en dist<strong>in</strong>guent toutefois du fait deleur nature collective. D’une part, en neutralisant <strong>les</strong> effets de <strong>ce</strong>nsure exercéspar <strong>les</strong> normes socialement dom<strong>in</strong>antes, ils favorisent l’expression d’uneparole à l’échelle où <strong>les</strong> conversations se produisent dans la vie sociale ord<strong>in</strong>aire.D’autre part, ils ménagent une pla<strong>ce</strong> pour <strong>ce</strong>ux qui sont le mo<strong>in</strong>s prédisposésà prendre la parole et qui puisent dans la présen<strong>ce</strong> de l’autre la for<strong>ce</strong>d’affronter <strong>ce</strong>tte épreuve. S’adressant à la fois à un enquêteur et à un prochesus<strong>ce</strong>ptible de réagir à ses propos, l’enquêté flanqué d’un double ne coconstruitpas non plus sa relation au chercheur de la même façon <strong>que</strong> lorsqu’il esten fa<strong>ce</strong> à fa<strong>ce</strong> avec lui. Les paro<strong>les</strong> proférées comme <strong>les</strong> attitudes adoptéesdans <strong>ce</strong> cadre sont d’une nature particulière, plus proches de <strong>ce</strong>l<strong>les</strong> entendueset observées par l’ethnographe dans le cadre de conversations <strong>in</strong>formel<strong>les</strong>qu’il peut avoir avec des groupes de pairs <strong>que</strong> de <strong>ce</strong>l<strong>les</strong> recueillies dans lecadre d’une relation <strong>in</strong>dividuelle avec un enquêteur. En outre, <strong>les</strong> donnéesproduites ménagent une mise en abyme particulièrement propi<strong>ce</strong> à l’analysedu rôle des <strong>in</strong>teractions dans la production des comportements puis<strong>que</strong> l’enquêteurest en mesure d’observer des relations entre des <strong>in</strong>dividus à proposdes<strong>que</strong>l<strong>les</strong> il peut aussi <strong>les</strong> <strong>que</strong>stionner. Le contexte « conversationnel »ménagé par la <strong>situ</strong>ation d’enquête est donc sus<strong>ce</strong>ptible, dans <strong>ce</strong> cas, d’éclairer<strong>les</strong> modalités de fonctionnement du contexte microenvironnemental dansle<strong>que</strong>l <strong>les</strong> enquêtés évoluent au quotidien et dans le<strong>que</strong>l ils produisent, entreautres, leurs votes (ou leur abstention).Si l’entretien collectif <strong>in</strong> <strong>situ</strong> permet donc de produire des données sus<strong>ce</strong>ptib<strong>les</strong>d’enrichir, en le diversifiant, le corpus qui alimente une enquête deterra<strong>in</strong>, il ne permet toutefois pas plus qu’aucune autre méthode, à lui seul,d’épuiser la complexité du monde social. Ce plaidoyer en faveur de l’usage(39) Nous souscrivons aux observations de Lefébure (2011) con<strong>ce</strong>rnant la confusion <strong>in</strong>duite parl’usage multiforme du terme focus group dans la littérature anglo-saxonne. Lefébure propose declarifier <strong>les</strong> choses en faisant du focus group un cas particulier d’entretien collectif, <strong>ce</strong>tte dernièredésignation devenant donc généri<strong>que</strong>. En ajoutant un qualificatif (<strong>in</strong> <strong>situ</strong> ou ethnographi<strong>que</strong>) à <strong>ce</strong>terme, nous avons essayé de mettre en lumière <strong>les</strong> caractéristi<strong>que</strong>s d’un type particulier d’entretiencollectif au<strong>que</strong>l on s’était jus<strong>que</strong>-là peu <strong>in</strong>téressé même si on le prati<strong>que</strong> depuis longtemps.89Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Revue française de sociologied’un type d’entretien ne prend donc sens <strong>que</strong> dans le cadre plus large d’une<strong>in</strong>citation à diversifier, au se<strong>in</strong> d’une même enquête, <strong>les</strong> outils de productiondes données. Comme la variation des échel<strong>les</strong> (Revel, 1996), <strong>ce</strong>lle du nombred’enquêtés <strong>in</strong>terrogés ménage une compréhension plus approfondie descomportements, dont cha<strong>que</strong> fa<strong>ce</strong>tte mérite la mise en œuvre de l’<strong>in</strong>strumentle plus approprié.Cél<strong>in</strong>e BRACONNIERUniversité de Cergy-Pontoise33, boulevard du port95000 Cergy-Pontoise<strong>ce</strong>l<strong>in</strong>ebraconnier@yahoo.frRÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUESDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysAgar M., MacDonald J., 1995. – « Focus group and ethnography », Human organization, 54, 1,pp. 78-86.Agnew J., 1996. – « Mapp<strong>in</strong>g politics : how context counts <strong>in</strong> electoral geography », Politicalgeography, 15, 2, pp. 129-146.Ahn T. K., Huckfeldt R., Ryan J. B., 2007. – « Political expertise, shared biases, and patterns ofpolitical communication », Midwest political scien<strong>ce</strong> association annual meet<strong>in</strong>g, Chicago.Barker C., 1997. – « Television and the reflexive project of the self : soaps, teenage talk and hybrididentities », The British journal of sociology, 48, 4, pp. 611-628.Beaud S., 1996. – « L’usage de l’entretien en scien<strong>ce</strong>s socia<strong>les</strong>. Plaidoyer pour l’“entretienethnographi<strong>que</strong>” », Politix, 9, 35, pp. 226-257.Berelson B., Lazarsfeld P., Mac Phee W., 1954. – Vot<strong>in</strong>g. A study of op<strong>in</strong>ion formation <strong>in</strong> apresidential campaign, Chicago (IL), The University of Chicago Press.Bill<strong>in</strong>g M., 1989. – « The argumentative nature of hold<strong>in</strong>g strong views : a case study », Europeanjournal of social psychology, 19, 3, pp. 203-223.Bizeul D., 1998. – « Le récit des conditions d’enquête : exploiter l’<strong>in</strong>formation en connaissan<strong>ce</strong> decause », Revue française de sociologie, 39, 4, pp. 751-787.Boltanski L., 1990. – L’amour et la justi<strong>ce</strong> comme compéten<strong>ce</strong>s. Trois essais de sociologie del’action, Paris, Métailié.Braconnier C., 2010. – Une autre sociologie du vote. Les électeurs dans leurs contextes : bilancriti<strong>que</strong> et perspectives, Paris, Lextenso-Éditions.— 2012. – « Voter ensemble. Dispositifs <strong>in</strong>formels de mobilisation électorale et compensation des<strong>in</strong>égalités socia<strong>les</strong> de politisation » dans L. Le Gall, M. Offerlé, F. Ploux (dirs.), La politi<strong>que</strong><strong>in</strong>formelle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes [à paraître].Braconnier C., Dormagen J.-Y., 2007. – La démocratie de l’abstention. Aux orig<strong>in</strong>es de ladémobilisation en milieu populaire, Paris, Gallimard.— 2008. – « May we trust voters’recall », Annual meet<strong>in</strong>g of American political scien<strong>ce</strong> association,August 28-31, Boston.— 2010. – « Does family context matter ? The role of family configurations <strong>in</strong> expla<strong>in</strong><strong>in</strong>g electoralparticipation <strong>in</strong> Fran<strong>ce</strong> », Annual meet<strong>in</strong>g of American political scien<strong>ce</strong> association, September 2-5,Wash<strong>in</strong>gton.Carton F., 1985. – « Discours oral <strong>in</strong>teractif : repères pour des observations à f<strong>in</strong>s didacti<strong>que</strong>s »,Langue française, 68, pp. 85-99.90Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys


Cél<strong>in</strong>e BRACONNIERDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysClanché F., 2003. – « La participation électorale au pr<strong>in</strong>temps 2002. De plus en plus de votants<strong>in</strong>termittents », Insee première, 877.Clausen A. R., 1968-1969. – « Response validity : vote report », The public op<strong>in</strong>ion quarterly, 32, 4pp. 588-606.Darras É., 2006. – « Le pouvoir de la télévision ? Sornettes, vieil<strong>les</strong> lunes et nouvel<strong>les</strong> approches »dans A. Cohen, B. Lacroix, P. Riutort (dirs.), Les formes de l’activité politi<strong>que</strong>. Élémentsd’analyse sociologi<strong>que</strong>, XVIII e -XX e siècle, Paris, Presses Universitaires de Fran<strong>ce</strong>, pp. 457-484.Desantis A. D., 2003. – « A couple of White guys sitt<strong>in</strong>g around talk<strong>in</strong>g. 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Cél<strong>in</strong>e BRACONNIERDocument téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © OphrysPayet J.-P., Giuliani F., Laforgue D., 2008. – La <strong>voix</strong> des acteurs faib<strong>les</strong>. De l’<strong>in</strong>dignité à lareconnaissan<strong>ce</strong>, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.Percheron A., 1974. – L’univers politi<strong>que</strong> des enfants, Paris, Presses de la Fondation Nationale desScien<strong>ce</strong>s Politi<strong>que</strong>s.Plutzer E., 2002. – « Becom<strong>in</strong>g a habitual voter : <strong>in</strong>ertia, resour<strong>ce</strong>s, and growth <strong>in</strong> youngadulthood », American political scien<strong>ce</strong> review, 96, 1, pp. 41-56.Revel J. (dir.), 1996. – Jeux d’échel<strong>les</strong>. La micro-analyse à l’expérien<strong>ce</strong>, Paris, Gallimard-Le Seuil.Revel M., Blatrix C., Blondiaux L., Fourniau J.-M., Hériard Dubreuil B., Lefebvre R. (dirs.),2007. – Le débat public : une expérien<strong>ce</strong> française de démocratie participative, Paris,La Découverte.Rivière J., 2009. – « Éléments sur le vote d’extrême droite dans l’aire urba<strong>in</strong>e de Caen (2002-2007).Cadre écologi<strong>que</strong> et étude des positions socio-résidentiel<strong>les</strong> d’habitants », Journée d’études,L’importan<strong>ce</strong> du niveau meso dans l’étude du succès de l’extrême droite, Amiens, CURAPP,6 mars.Roethlisberger F. J., Dickson W. J. ; Wright H. A. (collab.), 1939. – Management and the worker.An account of a research program conducted by the Western electric company, Cambridge (MA),Harvard University Press.Scheufele D. A., Moy P., 2000. – « Twenty-five years of the spiral of silen<strong>ce</strong> : a con<strong>ce</strong>ptual reviewand empirical outlook », International journal of public op<strong>in</strong>ion research, 12, 1, pp. 3-28.Scheufele D. A., Shanahan J., Lee E., 2001. – « Real talk. Manipulat<strong>in</strong>g the dependent variable <strong>in</strong>spirale of silen<strong>ce</strong> research », Communication research, 28, 3, pp. 304-324.Schwartz O., 1991. – « Sur <strong>les</strong> rapports des ouvriers du Nord à la politi<strong>que</strong>. Matériaux lacunaires »,Politix, 4, 13, pp. 79-86.Scott J., 1990. – Dom<strong>in</strong>ation and the arts of resistan<strong>ce</strong> : hidden transcripts, New Haven (CT), YaleUniversity Press.Siegfried A., [1913] 2003. – Tableau politi<strong>que</strong> de la Fran<strong>ce</strong> de l’Ouest, Paris, Imprimerie Nationale.Stoker L., Jenn<strong>in</strong>gs M. K., 1995. – « Life-cycle transitions and political participation : the case ofmarriage », American political scien<strong>ce</strong> review, 89, 2, pp. 421-433.— 2005. – « Political similarity and <strong>in</strong>fluen<strong>ce</strong> between husbands and wives » dans A. S. Zuckerman(ed.), The social logics of politics. Personal networks as contexts for political behavior,Philadelphia (PA), Temple University Press, pp. 51-74.Taze S., 2008. – « Étude des op<strong>in</strong>ions partagées dans des <strong>situ</strong>ations relationnel<strong>les</strong> variées.Méthodologie des multi-appartenan<strong>ce</strong>s », Bullet<strong>in</strong> de méthodologie sociologi<strong>que</strong>, 98, 1, pp. 24-39.T<strong>in</strong>gsten H., 1937. – Political behavior : studies <strong>in</strong> election statistics, London, PS K<strong>in</strong>g and Son,LTD.Walsh K. C., 2004. – Talk<strong>in</strong>g about politics. Informal groups and social identity <strong>in</strong> American life,Chicago (IL), University of Chicago Press.Weatherford M. S., 1982. – « Interpersonal networks and political behavior », American journal ofpolitical scien<strong>ce</strong>, 26, 1, pp. 117-143.Webb E. J., Campbell D. T., Schwartz R. D., Sechrest L., 1966. – Unobtrusive measures.Nonreactive research <strong>in</strong> the social scien<strong>ce</strong>s, Chicago (IL), Rand McNally.Weir B. T., 1975. – « The distortion of voter recall », American journal of political scien<strong>ce</strong>, 19, 1,pp. 53-62.Zuckerman A. (ed.), 2005. – The social logics of politics. Personal networks as contexts for politicalbehavior, Philadelphia (PA), Temple University Press.93Document téléchargé depuis www.cairn.<strong>in</strong>fo - univ_montp1 - - 193.51.157.40 - 12/03/2012 10h32. © Ophrys

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