18.11.2012 Views

Magma en 1977 - Free

Magma en 1977 - Free

Magma en 1977 - Free

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

<strong>1977</strong><br />

MAGMA - Rock & Folk n° 120 – Janvier<br />

MAGMA<br />

Autre affaire à suivre, et l'on comm<strong>en</strong>ce à <strong>en</strong> avoir l'habitude. <strong>Magma</strong> qui a été de nouveau<br />

réduit à l'état de duo est, de nouveau <strong>en</strong> train de se reconstituer. Au concert de Spheroe, il y<br />

avait Klaus et Georges Letton ost<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>us là pour recruter; il a même été un temps<br />

question que <strong>Magma</strong> ait deux batteurs. Les musici<strong>en</strong>s de Spheroe ont décliné l'offre que<br />

d'autres, parfois récidivistes, ont acceptée. Nous <strong>en</strong> reparlerons. En att<strong>en</strong>dant, il est fortem<strong>en</strong>t<br />

question d'un album solo de Vander.<br />

Rock & Folk n° 120 - Janvier <strong>1977</strong><br />

Conversation avec Klaus Blasquiz - ATEM n° 9 – Avril<br />

Conversation avec Klaus Blasquiz<br />

MAGMA A JAMAIS. Un sil<strong>en</strong>ce long de quelques mois a suivi le départ de Janick Top, un<br />

retrait volontaire de la scène musicale mise à profit par Christian Vander et Klaus Blasquiz<br />

pour réunir autour d'eux de nouveaux musici<strong>en</strong>s afin de porter <strong>en</strong>core plus loin - et d'une<br />

manière s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>te - leur ENERGIE, de communiquer partie ou totalité de la<br />

FOI qui les anime… C'est la Bretagne que MAGMA a choisi pour prés<strong>en</strong>ter son nouveau<br />

visage, et c'est là que Klaus Blasquiz s'est g<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t prêté au jeu des questions réponses…<br />

Atem : Etes-vous satisfait de votre tournée avec la nouvelle formation ici, <strong>en</strong> Bretagne ?<br />

KB : Au niveau de la Bretagne, c'est certainem<strong>en</strong>t nouveau, mais c'est nouveau aussi à notre<br />

niveau. Le groupe est pratiquem<strong>en</strong>t neuf et original, à part le pianiste qui était déjà là il y a 2<br />

ans.<br />

Atem : Avez-vous eu des problèmes pour former le nouveau groupe ?<br />

KB : Il y a toujours des problèmes !<br />

Atem : Surtout <strong>en</strong> si peu de temps.<br />

KB : En si peu de temps, oui… Après les départ de Janick Top, on a immédiatem<strong>en</strong>t<br />

comm<strong>en</strong>cé à chercher des g<strong>en</strong>s et à travailler. Il y avait plusieurs solutions qui se sont<br />

prés<strong>en</strong>tées, et ça s'est fait plus vite qu'on ne p<strong>en</strong>sait. On n'a évidemm<strong>en</strong>t pas assez travaillé,<br />

alors on a monté une partie des morceaux qui étai<strong>en</strong>t joués avant, et puis toute une série de<br />

petits morceaux qui sont un peu la carte de visite du nouveau groupe. En att<strong>en</strong>dant les<br />

grandes pièces de musique qu'on fait régulièrem<strong>en</strong>t. Mais ce n'est pas nécessaire de jeter tout


les temps les grandes pièces de musique à la tête des g<strong>en</strong>s s'ils ne sont pas prêts. On leur a<br />

donné Köhntarkösz, Theusz Hamtaahk, ça ne servait à ri<strong>en</strong>. On les jouait, ça passait au<br />

dessus des têtes.<br />

Atem : Crois-tu que Theusz Hamtaahk passait au dessus des têtes ?<br />

KB : Ah oui ! Peut être moins que Köhntarkösz, mais le disque Köhntarkösz a été<br />

complètem<strong>en</strong>t incompris ; quant à Theusz Hamtaahk, on le jouait sur scène, les g<strong>en</strong>s<br />

att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t la fin; ils att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t le chorus de batterie, Mekanïk…, alors ce n'est pas la peine<br />

de les faire att<strong>en</strong>dre. On va att<strong>en</strong>dre qu'ils ai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vie qu'on le joue, simplem<strong>en</strong>t.<br />

Atem : Donc l'<strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>t de Theusz Hamtaahk n'est pas pour demain ?<br />

KB : Si, si mais il y aura d'abord Ptäh, et Ehmëhntëht-Rê.<br />

Atem : Ehmëhntëht-Rê est donc toujours prévu ?<br />

KB : Il est fait, il est monté. Simplem<strong>en</strong>t on n le joue pas, parce que l'on a pas de choristes,<br />

parce que c'est trop long, ça fait 45 minutes. Si on comm<strong>en</strong>ce à jouer des morceaux comme<br />

ça, les g<strong>en</strong>s vont décrocher; alors il faut faire des compromis. On ne le fait pas forcém<strong>en</strong>t au<br />

niveau de la musique, mais du programme, au niveau du choix des morceaux.<br />

Atem : Oui, ce soir, c'était à peu près cela, mais les g<strong>en</strong>s ont très bi<strong>en</strong> réagi.<br />

KB : Voilà, c'est ça. Il y avait des grandes pièces de musique, typiquem<strong>en</strong>t symphoniques<br />

dans l'esprit de <strong>Magma</strong>, et aussi des morceaux de musique quotidi<strong>en</strong>ne, qui sont quand même<br />

<strong>Magma</strong> (et on reconnaît à la première seconde que c'est <strong>Magma</strong>) ; mais ce sont des petits<br />

morceaux tassés, plus faciles, avec des thèmes plus exploités que dans une grande pièce de<br />

musique où il y a des thèmes et des thèmes qui se suiv<strong>en</strong>t. Les g<strong>en</strong>s n'ont pas une vision<br />

d'<strong>en</strong>semble, tu compr<strong>en</strong>ds, il n'ont pas de grand angle, ils ont simplem<strong>en</strong>t une vision<br />

microscopique. Alors ce n'est pas la peine de leur donner un <strong>en</strong>semble à voir au microscope ;<br />

ils ne le verront pas. Alors, on leur donne des petits morceaux, qui sont à leur niveau de<br />

vision. Et petit à petit, on les <strong>en</strong>traîne. S'ils ne suiv<strong>en</strong>t pas, tant pis, c'est qu'ils ne pourront<br />

jamais suivre. Mais ceux qui suiv<strong>en</strong>t, suiv<strong>en</strong>t petit à petit et agrandiss<strong>en</strong>t leur champ de<br />

vision. Et c'est comme çà qu'il faut faire pour tout. Il ne faut pas immédiatem<strong>en</strong>t appr<strong>en</strong>dre le<br />

chinois à quelqu'un; il faut qu'il appr<strong>en</strong>ne à dire "Bonjour Madame" d'abord. Ce n'est pas<br />

répugnant de d'abord savoir dire "Bonjour Madame" <strong>en</strong> chinois avant de savoir dire l'espace,<br />

l'infini, les astres. On appr<strong>en</strong>d bi<strong>en</strong> un jour à le dire de toutes façons.<br />

Atem : Mais le prochain disque de <strong>Magma</strong>, quel sera-t-il ?<br />

KB : C'est un disque solo de Christian Vander avec Ptäh, c'est à dire une partie du chorus de<br />

batterie. Avec Zombies comme introduction du chorus, mais <strong>en</strong> fait Zombies, ça s'appelle<br />

Udü Wüdü. Il y a Zombies au départ, c'est un séqu<strong>en</strong>ce qui fait 20 minutes et qui <strong>en</strong>chaîne<br />

sur Udü Wüdü, qu'on a monté aussi avec des choristes. Puisqu'on n'a pas les choristes, on ne<br />

le joue pas. On le joue <strong>en</strong> introduction du chorus de batterie. Mais le chorus de batterie - à<br />

partir du mom<strong>en</strong>t où il est tout seul avec la cloche - là comm<strong>en</strong>ce un morceau qui s'appelle<br />

Ptäh. C'est musical, on ne joue pas. Il va faire 20 minutes, et puis d'autres petits morceaux sur<br />

le disque, un morceau qui est une évocation de Tamla Motown, Temptations et autres, des<br />

choses qui nous ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à cœur.<br />

Atem : Après, ce sera Ehmëhntëht-Rê ?<br />

KB : Après, c'est certainem<strong>en</strong>t Ehmëhntëht-Rê, mais peut être qu'avant, il y aura un autre<br />

disque, avec des petits morceaux. Ptäh va être fait dans le mois qui suit, c'est à dire Février<br />

Mars, il sortira <strong>en</strong> Avril Mai.


Atem : Les chœurs pos<strong>en</strong>t-ils vraim<strong>en</strong>t des problèmes ?<br />

KB : C'est un peu le même problème que celui des musici<strong>en</strong>s; c'est à dire que des musici<strong>en</strong>s<br />

qui ont év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t de la bonne volonté, il y <strong>en</strong> a, des musici<strong>en</strong>s qui ont des capacités, il y<br />

<strong>en</strong> a, mais des musici<strong>en</strong>s qui ont <strong>en</strong>vie de le faire avec tout ce que ça comporte, il n'y <strong>en</strong> a pas<br />

beaucoup. Alors l'idée, c'est ça qui compte. Parce qu'il ne s'agit pas de v<strong>en</strong>ir jouer avec<br />

<strong>Magma</strong>. C'est pas ça le problème. Mais seulem<strong>en</strong>t, ceux qui ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas jouer avec<br />

<strong>Magma</strong> ne font ri<strong>en</strong>. Il n'y a ri<strong>en</strong>; je suis désolé, c'est dur à dire, mais on est les seuls faute de<br />

combattants. Et nous, on ne demanderait que ça d'être suivis, pas suivis, mais…<br />

Atem : Je p<strong>en</strong>se quand même que <strong>Magma</strong> a eu une influ<strong>en</strong>ce sur certains groupes.<br />

KB : Oui, mais ce n'est pas une bonne influ<strong>en</strong>ce, pas forcém<strong>en</strong>t. C'est une influ<strong>en</strong>ce<br />

superficielle, ils n'ont pas l'idée. Je ne citerai pas de noms…<br />

Atem : Oui, mais il faut leur communiquer ce qu'il y a par dessus la musique.<br />

KB : Oui, mais il faut qu'ils le compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aussi. Même pas, il faut qu'ils le s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t. Parce<br />

que tu peux expliquer tout ce que tu veux, s'ils ne le s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t pas… Je peux t'expliquer<br />

n'importe quoi musicalem<strong>en</strong>t, si tu ne le ress<strong>en</strong>s pas, ça ne sert à ri<strong>en</strong>. Tu vas avoir des<br />

formules logiques et intellectuelles qui ne te serviront à ri<strong>en</strong>.<br />

Atem : Mais quels sont les groupes à l'heure actuelle, qui pour toi, représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un<br />

intérêt ?<br />

KB : H<strong>en</strong>ry Cow. Seulem<strong>en</strong>t, il y a beaucoup d'erreurs qui sont faites. Des erreurs non<br />

musicales, c'est à dire qu'ils n'ont pas <strong>en</strong>core fait un choix définitif de ce qu'ils veul<strong>en</strong>t faire.<br />

Atem : Leur aspect un peu free… c'est peut être un peu gênant ?<br />

KB : Voilà, ça ce sont des erreurs à mon avis. Il ne s'agit pas de jouer du free, il s'agit de<br />

composer un spectacle musical. Pour l'instant, c'est un peu un catalogue. Alors un catalogue<br />

c'est bi<strong>en</strong> - catalogue de manufactures d'armes de Saint Eti<strong>en</strong>ne, c'est bi<strong>en</strong>, elles sont<br />

efficaces les armes, mais ça ne fait une armée. Bon, je pourrais pr<strong>en</strong>dre n'importe quoi<br />

d'autre, un catalogue de fleurs, ça ne fait un jardin. Le jardin, il faut avoir l'idée de le faire; ce<br />

n'est pas <strong>en</strong> plantant des fleurs qu'on va faire un jardin, c'est <strong>en</strong> faisant un jardin. Et eux, ils<br />

ne font pas la musique, ils font…<br />

Atem : Oui, mais c'est peut être un manque de maturité aussi.<br />

KB : Oui, mais c'est pour ça, il vont mettre du temps. Parce que la maturité, à un certain<br />

niveau, ils l'ont. Mais à ce niveau là, ils ne l'ont pas, c'est sûr. Et on ne l'avait peut être pas<br />

nous, p<strong>en</strong>dant un certain temps. C'est à dire qu'on a peut être été trop extrémistes dans un<br />

certain s<strong>en</strong>s. On a voulu frapper trop haut. On avait trop confiance dans le public.<br />

Atem : Certaines personnes vous ont reproché d'être élitistes à un certain mom<strong>en</strong>t.<br />

KB : Ce n'était pas une volonté. C'était eux qui étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> dessous, c'est pas nous qui étions<br />

au dessus. On n'était pas au dessus de nous même. On se surpasse, peut être, mais on ne va<br />

pas plus loin qu'on ne peut aller. Mais on jouait pour les g<strong>en</strong>s, on cherchait à ce qu'ils<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, et puis on se demandait pourquoi ils ne compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t pas. Ils ne compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t pas,<br />

parce qu'on était les seuls à le faire, et que les autres cassai<strong>en</strong>t le boulot qu'on faisait.<br />

Atem : Pas seulem<strong>en</strong>t au niveau musical, mais au niveau de l'information.<br />

KB : A tous les niveaux, parce que la musique <strong>en</strong> fait, c'est un tout. C'est tellem<strong>en</strong>t simple, la<br />

musique. Si tu décomposes; c'est peut être dur à jouer, mais c'est tellem<strong>en</strong>t simple à s<strong>en</strong>tir.


Personne n'est incapable de chanter les mélodies, personne n'est incapable de compr<strong>en</strong>dre les<br />

harmonies. Personne n'est incapable de s<strong>en</strong>tir le mouvem<strong>en</strong>t d'ailleurs on l'a vu ce soir. On<br />

fait Mekanïk, c'est quand même du 7 et du 9/4. Avant, les g<strong>en</strong>s, ils ne compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t pas, ils<br />

étai<strong>en</strong>t là comme des poireaux.<br />

Atem : Oui, mais il y a un problème d'éducation de la s<strong>en</strong>sibilité - la s<strong>en</strong>sibilité est<br />

étouffée à tous les niveaux.<br />

KB : Absolum<strong>en</strong>t ! C'est à dire que là où on construit 10, on détruit 20, tu compr<strong>en</strong>ds. Alors<br />

il faut qu'on construise 20 la prochaine fois, mais on te re-détruit 40. A chaque fois on se<br />

retrouve avec des ruines creusées. Ca nous demande de plus <strong>en</strong> plus d'énergie au fur et à<br />

mesure.<br />

Atem : Mais il n'y a aucune politique culturelle <strong>en</strong> France.<br />

KB : Oui, mais tout ça, faut pas s'imaginer que c'est par délabrem<strong>en</strong>t ou même par volonté<br />

politique, c'est une volonté carrém<strong>en</strong>t spirituelle. C'est vraim<strong>en</strong>t appuyer la tête des g<strong>en</strong>s dans<br />

l'eau pour se sortir de l'eau. Ce n'est même pas la politique tout court, c'est spirituel. C'est<br />

carrém<strong>en</strong>t sordide, c'est à dire noir, diabolique. C'est plus que politique, c'est diabolique.<br />

C'est comme ça qu'il faut le voir.<br />

Atem : Il y a aussi le fait que <strong>Magma</strong> s'était reformé avec Top. Pourquoi a-t-il quitté le<br />

groupe si soudainem<strong>en</strong>t ?<br />

KB : Parce que Top n'a pas cette notion non plus. Peut-être pas pour toujours. Peut-être est-til<br />

arrivé à la saisir. Mais il ne ress<strong>en</strong>t pas le besoin d'agir de cette façon là. Et puis, il n'a pas<br />

le courage de le faire. C'est clair, il a toutes les qualités du monde, sauf celle là. C'est<br />

carrém<strong>en</strong>t génial sa façon de jouer de la basse. Mais il est <strong>en</strong> dessous du niveau du bassiste<br />

actuel, parce que sur scène, il est 10 fois moins efficace. Sans être vulgaire, parce qu'il n'est<br />

pas vulgaire, ce bassiste là.<br />

Atem : Oui, mais à R<strong>en</strong>nes <strong>en</strong> 73, J.Top avait fait un solo extraordinaire.<br />

KB : En 73, c'était différ<strong>en</strong>t. Il n'<strong>en</strong> a jamais refait depuis de cette qualité là. Parce qu'il ne<br />

s'était pas mis à réfléchir pour le faire. Maint<strong>en</strong>ant, il s'est dit : je vais faire ça, ça, ça, ça…<br />

C'était fini, il avait craqué du côté de la s<strong>en</strong>sibilité, et tu ne peux ri<strong>en</strong> faire contre ça. Il a vu<br />

que ça ne marchait pas, il a abandonné. Il a fait des chorus à la R<strong>en</strong>aissance, ça ne nous<br />

plaisait même pas. C'était bi<strong>en</strong>, mais il n'y avait pas la folie, ça ne flambait pas, tu vois, c'était<br />

un peu froid. De loin, oui, c'est efficace, ça chauffe et tout, mais ce n'est pas du vrai feu, et ça<br />

tu peux ri<strong>en</strong> y faire.<br />

Atem : Mais est ce que le fait qu'il ait joué beaucoup comme musici<strong>en</strong> de session…<br />

KB : Il faut voir le problème à l'<strong>en</strong>vers. S'il a joué beaucoup, c'est qu'il est comme ça, parce<br />

que peut-être ça le transforme, mais c'est surtout parce qu'il est transformé au départ qu'il le<br />

fait. Un peu comme pour la musique de <strong>Magma</strong> ; il ne faut pas dire "on fait une nouvelle<br />

musique" ; on n'a pas fait une vieille musique, c'est tout. On a fait le choix, on a supprimé les<br />

vulgarités, automatiquem<strong>en</strong>t la musique est arrivée logiquem<strong>en</strong>t, physiologiquem<strong>en</strong>t,<br />

organiquem<strong>en</strong>t. Si tu ne manges pas des saloperies, tu manges des bonnes choses. Seulem<strong>en</strong>t,<br />

si tu te mets à manger des bonnes choses, tu vas te tromper plus facilem<strong>en</strong>t que l'inverse, c'est<br />

sûr. Tu supprimes déjà, tu fais le nettoyage parce qu'autrem<strong>en</strong>t, tu mélanges, et le mélange<br />

c'est… Tu es obligé de te tromper, tu n'es pas un Dieu. C'est simple, c'est comme ça qu'il faut<br />

partir, toujours. Faire le nettoyage, on peut appeler ça lavage de cerveau, mais j'appellerais ça<br />

dépoussiérage ou rabotage… on redécouvre la véritable surface du cuivre.


Atem : C'est quand même difficile, ce rabotage.<br />

KB : C'est très dur. Mais c'est la vie. Et plus c'est dur, plus tu es fort après. Si tu as réussi ça,<br />

tu as un courage, une force fantastique, qui est sans cesse augm<strong>en</strong>table.<br />

Atem : Va-t-il faire un album solo ?<br />

KB : Il va certainem<strong>en</strong>t le faire. Je lui souhaite beaucoup de chance, mais ne crois pas que ce<br />

soit efficace.<br />

Atem : Le problème, à ce mom<strong>en</strong>t là, est le même pour Didier Lockwood ?<br />

KB : Absolum<strong>en</strong>t, sauf qu'il est très loin d'être au niveau de J.Top. Très très loin, malgré les<br />

appar<strong>en</strong>ces. Ce n'est pas parce qu'on va très vite avec ses doigts sur un violon, qu'on se plie<br />

<strong>en</strong> deux sur les conseils de Christian Vander que… c'est dur à dire, mais il n'a ri<strong>en</strong> fait. Il est<br />

arrivé il faisait des chorus de jazz rock. On lui a fait faire un chorus dans Mekanïk… qui a été<br />

note par note inspiré par Christian, ainsi que les gestes, tout. Mais il n'y a ri<strong>en</strong> d'auth<strong>en</strong>tique,<br />

tout est superficiel.<br />

Atem : Son album solo, c'est ni plus ni moins du jazz rock.<br />

KB : C'est tout. Parce que ça ne peut pas aller plus loin dans son esprit. C'est pas méchant ce<br />

que je dis, il est très g<strong>en</strong>til. Mais il ne peut pas aller plus haut qu'il n'est.<br />

Atem : Oui, mais il peut évoluer, il est <strong>en</strong>core jeune.<br />

KB : Non, non. Il évoluera dans un certain s<strong>en</strong>s, mais à ce niveau là, il ne pourra pas.<br />

Atem : Il y a des g<strong>en</strong>s qui chang<strong>en</strong>t totalem<strong>en</strong>t dans leur vie.<br />

KB : Oui, par exemple B<strong>en</strong>oît Widemann, qui à 19 / 20 ans, a changé radicalem<strong>en</strong>t.<br />

Seulem<strong>en</strong>t au départ, il n'était pas comme Didier Lockwood. Ce n'est pas comparable, parce<br />

que B<strong>en</strong>oît est plus intellig<strong>en</strong>t et Didier peut être plus instinctif, animal, mais sans avoir un<br />

véritable instinct de pulsation. Il n'a pas ce s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t là. Tu lui fais faire un bœuf, il n'écoute<br />

pas ce que jou<strong>en</strong>t les autres. Il s'écoute sans compr<strong>en</strong>dre ce qu'il joue. C'est difficile. Il joue<br />

d'un bout à l'autre sans esprit, sans nuances, sans fil conducteur, sans sémantique, sans<br />

chaleur, sans ri<strong>en</strong>. Simplem<strong>en</strong>t, il fait un démonstration.<br />

Atem : Sans dynamisme ?<br />

KB : Voilà, sans dynamisme. C'est élastique, comme un pétard. C'est pas humain, c'est pas<br />

spirituel.<br />

Atem : Alors les chœurs pour <strong>Magma</strong>, c'est par pour demain ?<br />

KB : C'était pour hier normalem<strong>en</strong>t. Mais ça va être très dur. On a essayé une vingtaine de<br />

filles, on a trouvé une fille qui est là.<br />

Atem : Les filles de Üdü Wüdü et de Mekanïk ne pouvai<strong>en</strong>t conv<strong>en</strong>ir ?<br />

KB : Oui, mais on a mis du temps quand même pour obt<strong>en</strong>ir ce résultat là. Sur Mekanïk, j'ai<br />

fait toutes les voix d'hommes, Christian a fait une partie des voix de filles, j'ai fait une partie<br />

des voix de filles; il y a deux filles qui ont chanté - une qui ne peut pas jouer sur scène<br />

maint<strong>en</strong>ant, c'est Stella. Parce que c'est pas possible, elle est plantée comme un réverbère<br />

d'autoroute, c'est gênant, c'est pas la peine d'avoir des chœurs à ce mom<strong>en</strong>t là. Puis il y a<br />

d'autres problèmes. Pareil pour Flor<strong>en</strong>ce qui est là, qui a une très belle voix. Elle connaît tout<br />

par cœur, elle a une foi fantastique, mais ça ne suffit pas. On dit que la foi soulève une<br />

montagne, mais je ne suis pas sûr. Ou alors, elle n'a pas la foi vraim<strong>en</strong>t au point de changer<br />

suffisamm<strong>en</strong>t. Peut être que la foi suffirait. Mais alors, il faut du temps. Les chœurs


effectivem<strong>en</strong>t, c'est un problème. Faut trouver une fille, 3 filles qui ai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vie de le faire à<br />

100%, qui ai<strong>en</strong>t les possibilités vocales, l'énergie pour le faire. Pas seulem<strong>en</strong>t les tournées, un<br />

seul concert. On a fait une répétition un jour avec 4 filles, elles sont sorties… Des loques.<br />

Parce qu 'elles n'ont pas de souffle, elles chant<strong>en</strong>t avec Sardou, Halliday, Machin tu vois :<br />

choubidou, bidou, oua.<br />

Atem : Les nouveaux musici<strong>en</strong>s ont joué avec qui auparavant ?<br />

KB : Avec Stivell. Ils vont faire son prochain disque.<br />

Atem : Mais <strong>Magma</strong> a d'autres projets, il y a déjà une association au cinéma avec Yvan<br />

Lagrange pour son film "Tristan et Yseult ".<br />

KB : Vaut mieux pas <strong>en</strong> parler. C'est un navet lam<strong>en</strong>table. La musique est superbe, <strong>en</strong> toute<br />

humilité. C'est un des meilleurs disques de <strong>Magma</strong>, si ce n'est le meilleur.<br />

Atem : Oui, mais il y a un problème de distribution.<br />

KB : Oui, il est chez Barclay, introuvable.<br />

Atem : Et on ne trouve Mekanïk qu'<strong>en</strong> import.<br />

KB : C'est un scandale. Mais c'est la preuve aussi d'une conspiration jalouse.<br />

Atem : On ne peut pas dire que <strong>Magma</strong>, ça ne se v<strong>en</strong>d pas.<br />

KB : <strong>Magma</strong> s 'est v<strong>en</strong>du à partir du "live". Live, Üdü Wüdü, ça se v<strong>en</strong>d, mais avant, à part<br />

Mekanïk, ça ne se v<strong>en</strong>dait pas. Köhntarkösz a été un bide lam<strong>en</strong>table. On a v<strong>en</strong>du 15000<br />

albums, et 20000 <strong>en</strong> Angleterre. Mais c'est ri<strong>en</strong> 15000, tu peux pas imaginer. Le "live", on <strong>en</strong><br />

a v<strong>en</strong>du 45000, c'est très bi<strong>en</strong>. Là, on a v<strong>en</strong>du 35000 de Üdü Wüdü, maint<strong>en</strong>ant, c'est la<br />

meilleure v<strong>en</strong>te qu'on ait jamais faite. Le prochain, il faut qu'on fasse au moins 50000 albums<br />

; à partir de 50000, ça comm<strong>en</strong>ce à être une v<strong>en</strong>te intéressante. Quand tu es à 100000, tu<br />

v<strong>en</strong>ds bi<strong>en</strong>.<br />

Atem : Oui, mais il y a un problème de distribution aussi.<br />

KB : C'est pas simplem<strong>en</strong>t la distribution. Si ça plaît aux g<strong>en</strong>s - tu distribues pas, ça se v<strong>en</strong>d,<br />

il n'y a aucun problème là dessus. Nous, on a pleuré des années pour ça… évidemm<strong>en</strong>t, ça<br />

n'aide pas, mais ça ne peut ri<strong>en</strong> contrer. Ange : ils n'étai<strong>en</strong>t pas distribués, ça a plu aux g<strong>en</strong>s<br />

parce que c'était à leur niveau, c'était de la chansonnette, et bi<strong>en</strong> les g<strong>en</strong>s ont acheté, c'est<br />

tout. Nous, on <strong>en</strong> v<strong>en</strong>dait pas et eux ont fait un disque d'or : simplem<strong>en</strong>t parce qu'ils étai<strong>en</strong>t<br />

au niveau, c'était tout différé, de la chansonnette facile et vulgaire quoi…<br />

Atem : A Châteauvallon, le public était divisé, plutôt partagé.<br />

KB : Ce n'est pas à cause de la qualité, cela n'a ri<strong>en</strong> à voir. Parce qu'il faut les deux : si tu as<br />

du succès et que tu es minable, cela ne veut ri<strong>en</strong> dire, si tu es bon et que t'as pas de succès<br />

cela ne veut ri<strong>en</strong> dire, tu es aussi minable que les autres, parce que tu es minable sur un plan<br />

qui est ess<strong>en</strong>tiel dans le but qu'on vise, c'est aussi ess<strong>en</strong>tiel d'être auth<strong>en</strong>tique dans la musique<br />

que d'être auth<strong>en</strong>tique dans l'efficacité.<br />

Atem : Oui, mais on ne réussit pas comme ça.<br />

KB : Non. Bob Dylan, il a réussi parce qu'il est un chef ; c'est un pourri peut-être, mais c'est<br />

un chef. Les Beatles, c'étai<strong>en</strong>t des chefs, c'est génial, les Rolling Stones, ce sont des chefs,<br />

c'est impeccable. Tu vas à un concert, tu n'as ri<strong>en</strong> à dire, c'est parfait, c'est vrai, ça me gonfle<br />

un peu, mais… C'est intégral. Tu ne peux ri<strong>en</strong> dire. Tu peux dire ça, c'est vulgaire, tu ne peux<br />

pas dire "c'est inefficace".


Atem : Qu'est ce que tu <strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds par efficace ?<br />

KB : Efficace, c'est à dire que même pour les musici<strong>en</strong>s, c'est bi<strong>en</strong>. Même si tu p<strong>en</strong>ses qu'ils<br />

sont maladroits, tu p<strong>en</strong>ses que dans leur maladresse, ils sont intègres, c'est à dire que c'est<br />

auth<strong>en</strong>tique les Rolling Stones ; il peut faire ce qu'il veut, Mick Jagger ; c'est auth<strong>en</strong>tique.<br />

C'est ridicule, mais c'est auth<strong>en</strong>tique, tu ne peux pas rire.<br />

Atem : Mais est ce que ça va stimuler les g<strong>en</strong>s ?<br />

KB : C'est un autre problème ; c'est pour ça qu'on ne fait pas les Rolling Stones…. Ils ne sont<br />

pas au niveau pour le faire. On peut dire "c'est bi<strong>en</strong>", mais c'est pas ce qu'il faut. On peut dire<br />

"c'est super", un spectacle vraim<strong>en</strong>t fantastique, et <strong>en</strong>core c'est pas sur qu'à un certain niveau<br />

tu puisses <strong>en</strong> retirer quelque chose et j'<strong>en</strong> ai retiré quelque chose des concerts des Rolling<br />

Stones et même d'Elton John. J'ai vu un concert d'Elton John, musicalem<strong>en</strong>t c'est parfait et au<br />

point de vue du spectacle, c'est efficace, t'as ri<strong>en</strong> à dire même si c'est de la chanson.<br />

Atem : Oui, mais tu t'amuses.<br />

KB : Mais je ne m'amuse pas forcém<strong>en</strong>t, parce que je regarde ! Il y a une d<strong>en</strong>sité auth<strong>en</strong>tique.<br />

Tu peux pas falsifier des trucs comme ça, ou alors, ça ti<strong>en</strong>t pas longtemps. Si c'était pas<br />

auth<strong>en</strong>tique je te jure qu'ils ne pourrai<strong>en</strong>t pas le faire. Ca te péterait à la gueule. J'ai vu le<br />

concert, crois moi. Bon, c'est aménagé, mais il y a un fond réel. Ils ne pourrai<strong>en</strong>t pas jouer<br />

dans l'esprit, il y aurait des fautes de goût d'un bout à l'autre. Dans un morceau je ne sais pas<br />

lequel pr<strong>en</strong>dre, dans tous les morceaux d'un bout à l'autre, il n'y a pas un truc à côté. Ils sont<br />

pas à côté de leurs pompes, tout est dedans, dedans et tu ne peux pas le faire avec l'esprit car<br />

ils ne sont pas assez intellig<strong>en</strong>ts pour ça sauf Mick Jagger, pas les autres, donc ce n'est pas<br />

avec leur intellig<strong>en</strong>ce mais avec leur cœur qu'ils jou<strong>en</strong>t et ça même si c'est falsifié <strong>en</strong><br />

appar<strong>en</strong>ce, même si ce n'est pas net, même si c'est show-biz c'est auth<strong>en</strong>tique et fais-moi<br />

confiance, c'est dur de le dire mais c'est vrai.<br />

Atem : Les textes, c'est toi qui les composes ?<br />

KB : J'<strong>en</strong> compose un certain nombre.<br />

Atem : Au niveau de la langue ?<br />

KB : Je travaille beaucoup, surtout au niveau des idéogrammes. Mais je travaille au niveau<br />

des mots, pas tellem<strong>en</strong>t au niveau de la sémantique, là, c'est surtout Christian. Je n'ai pas<br />

travaillé sur un idéogramme précis à chaque idéogramme, c'est à dire que j'ai inv<strong>en</strong>té des<br />

idéogrammes <strong>en</strong> fonction (on n'<strong>en</strong> a pas beaucoup) de chaque élém<strong>en</strong>t à représ<strong>en</strong>ter, c'est-àdire<br />

que déjà j'ai toutes les personnes, tous les instrum<strong>en</strong>ts, tous les élém<strong>en</strong>ts qui sont<br />

représ<strong>en</strong>tés par un idéogramme qui est parfait ; j'ai travaillé deux semaines là dessus ; parfait,<br />

il peut y <strong>en</strong> voir d'autres qui seront parfaits, mais il est parfait. Si tu connais bi<strong>en</strong> les g<strong>en</strong>s et<br />

les choses qui sont représ<strong>en</strong>tées, c'est juste, tu le verras ; mais je ne peux imaginer tout le<br />

boulot que cela représ<strong>en</strong>te pour faire toute une langue, parce que moi, j'ai pas deux mille ans<br />

de rodage. Alors effectivem<strong>en</strong>t il faut se baser sur des choses qui sont auth<strong>en</strong>tiques et<br />

magiques telles que les Egypti<strong>en</strong>s, la véritable sci<strong>en</strong>ce, ce qu'il <strong>en</strong> reste ; la compréh<strong>en</strong>sion de<br />

l'univers à un s<strong>en</strong>s autre que le niveau d'expéri<strong>en</strong>ce il y a l'intuition, il y a l'esprit, des choses<br />

qui ne sont pas dans la sci<strong>en</strong>ce moderne <strong>en</strong>tre autres. Il y a <strong>en</strong>core le petit Jésus c'est<br />

important il a essayé de tout r<strong>en</strong>versé et c'est loupé.<br />

Atem : Dans tes textes, de quoi parles-tu ?<br />

KB : Ca, c'est vraim<strong>en</strong>t un problème délicat. Les histoires de Kobaï<strong>en</strong>, c'est éviter qu'il y ait<br />

un niveau d'incompréh<strong>en</strong>sion par la sémantique.


Atem : Est ce que c'est purem<strong>en</strong>t inv<strong>en</strong>té ?<br />

KB : Ce n'est jamais inv<strong>en</strong>té de toutes pièces. C'est à dire que l'inv<strong>en</strong>tion, ce serait la<br />

découverte…<br />

Propos recueillis par P. et Y. Hervé et J.F. Loué.<br />

Atem n° 9 Avril 77 (<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> janvier 77)<br />

MAGMA à Elancourt - Rock & Folk n° 123 – Avril<br />

MAGMA à Elancourt (19 février)<br />

<strong>Magma</strong> joue du rock ! <strong>Magma</strong> a mis du rock dans le "De Futura" de Janik Top, et c'est tant<br />

mieux : la version <strong>en</strong>t<strong>en</strong>due à Elancourt <strong>en</strong> est, jusqu'à prés<strong>en</strong>t, la meilleure (j'avais l'habitude<br />

auparavant de m'<strong>en</strong>dormir au bout de dix minutes). <strong>Magma</strong>vishnu dédie un morceau a Jim<br />

Morrison, et cela sonne étrangem<strong>en</strong>t comme le "Crawling King Snake" de "L.A. Woman" <strong>en</strong><br />

aussi beau. Stevie Vander chante admirablem<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> (quelle voix, et puis de le voir debout<br />

micro <strong>en</strong> main comme un crooner, cela va <strong>en</strong> étonner quelques-uns !), joue du piano et bi<strong>en</strong><br />

sûr de la batterie sur des "chansons" <strong>en</strong>levées, dignes de "Songs in the key of life", qu'elles<br />

soi<strong>en</strong>t ou non dédiées à Stravinsky.<br />

<strong>Magma</strong> joue du rock. Ce n'est pas plus mal. Mais alors que <strong>Magma</strong> s'absti<strong>en</strong>ne de démolir<br />

ses chefs-d'œuvre. On ne revi<strong>en</strong>t pas sur "Mekanïk", <strong>en</strong> tout cas pas avec ce groupe, ce n'est<br />

pas sa musique. On fait une croix et l'on recomm<strong>en</strong>ce autre chose. Vraim<strong>en</strong>t autre chose.<br />

Pour <strong>Magma</strong>, tout (je n'ai pas <strong>en</strong>core dit n'importe quoi) mais pas de demi-mesure ; cela ne<br />

lui va pas.<br />

Cela dit, la formation actuelle n'offre vraim<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> d'exceptionnel. B<strong>en</strong>oît Widemann est de<br />

retour aux claviers et Guy Delacroix assure fort honorablem<strong>en</strong>t une succession délicate<br />

(Top). Ce qui a été perdu <strong>en</strong> virtuosité et <strong>en</strong> force est gagné <strong>en</strong> chaleur. Clém<strong>en</strong>t Bailly s'<strong>en</strong><br />

sort très bi<strong>en</strong>, et il y a de beaux plans de batterie <strong>en</strong>tre lui et Vander. Jean de Antony, à la<br />

guitare, est le moins convaincant. Quant à Flor<strong>en</strong>ce, qui double Klaus aux vocaux, elle<br />

souffre d'une sonorisation lég<strong>en</strong>dairem<strong>en</strong>t phallocrate.<br />

Rock & Folk n° 123 - Avril <strong>1977</strong><br />

Le fils de <strong>Magma</strong> - Best n° 106 – Mai


Le Fils de MAGMA<br />

Ce mois-ci, suite de ce feuilleton qui passionne les sphères du rock français depuis l'an 1970 :<br />

les av<strong>en</strong>tures de <strong>Magma</strong>. "<strong>Magma</strong> se sépare", "Le retour de <strong>Magma</strong>", "<strong>Magma</strong> chez les<br />

Bretons", "<strong>Magma</strong> a disparu", "<strong>Magma</strong> revi<strong>en</strong>t", "Du Rififi chez <strong>Magma</strong>", etc.<br />

Tout le monde se serait lassé depuis bi<strong>en</strong> des lunes, si les individus qui peuplèr<strong>en</strong>t ces<br />

péripéties n'avai<strong>en</strong>t toujours montré un tal<strong>en</strong>t et surtout une ambition au-dessus de la<br />

moy<strong>en</strong>ne (et pas seulem<strong>en</strong>t française). Aujourd'hui, ce serait plutôt "Le fils de <strong>Magma</strong>", car<br />

non seulem<strong>en</strong>t le personnel du groupe a changé une fois de plus, mais l'ori<strong>en</strong>tation musicale<br />

semble pr<strong>en</strong>dre un tour tout à fait inédit. Sans aller, comme des bruits circulai<strong>en</strong>t à Paris,<br />

jusqu'à affirmer que <strong>Magma</strong> faisait du "Stevie Vander", on peut dire que sa musique s'est<br />

considérablem<strong>en</strong>t assouplie, allégée. Cette évolution du répertoire de base est d'ailleurs <strong>en</strong><br />

strict parallèle avec celle de la composition du groupe. Christian Vander quitte <strong>en</strong> effet<br />

fréquemm<strong>en</strong>t sa batterie pour chanter, micro <strong>en</strong> main, ou s'accompagnant au piano (l'un de<br />

ses tal<strong>en</strong>ts les plus méconnus). Ce fait est r<strong>en</strong>du possible par la prés<strong>en</strong>ce du batteur Clém<strong>en</strong>t<br />

Bailly, précédemm<strong>en</strong>t avec Stivell, qui le supplée ou dialogue à deux batteries (c'est pas<br />

triste, paraît-il). Klaus Blasquiz chante et percussionne toujours, cep<strong>en</strong>dant que Guy<br />

Delacroix a repris la basse de Janick Top, ce géant qui ne supportait l'improvisation qu'<strong>en</strong><br />

musique..., mais s'<strong>en</strong> sert d'une manière plus traditionnelle. B<strong>en</strong>oît Wideman est de retour<br />

aux claviers, mais, nouveauté, c'est la guitare de Jean De Antoni qui prédomine, conférant à<br />

l'<strong>en</strong>semble un son moins haché, plus rock.<br />

Seul leader, Vander <strong>en</strong>traîne sa troupe docile dans un nouveau style qui donne aux piliers du<br />

répertoire du groupe, comme "De Futur " (de Janick Top I) ou "Mekanïk Kommandöh" un<br />

bain de jouv<strong>en</strong>ce mélodique. C'est ce qu'on pourra sans doute apprécier, <strong>en</strong>tre autres, lors du<br />

grand concert parisi<strong>en</strong> du 14 mai prochain à l'Hippodrome.<br />

C'est pour <strong>Magma</strong>, miné par son instabilité chronique, <strong>en</strong>lisé dans des péripéties<br />

discographiques ("Utopia" est dissout) une sorte de dernier sursaut. Chacun se doit de l'aider<br />

à réussir.<br />

Christian LEBRUN<br />

Best n° 106 - Mai <strong>1977</strong><br />

MAGMA - Rock & Folk n° 124 – Mai<br />

MAGMA<br />

Des nouvelles de <strong>Magma</strong>, ainsi qu'une mise au point : <strong>Magma</strong> n'a pas repris une chanson de<br />

Doors, mais Christian Vander a écrit un morceau inspiré par le climat de "Riders On The<br />

Storm". Le groupe revi<strong>en</strong>t d'une tournée de quinze concerts et se prépare pour une soirée<br />

exceptionnelle : celle du 14 mai au Nouvel Hippodrome de Paris, à la Porte de Pantin. Les<br />

places seront à tr<strong>en</strong>te francs. Ce sera un événem<strong>en</strong>t où l'information sur des sujets aussi<br />

divers que l'énergie douce, l'armée, la vivisection et les sci<strong>en</strong>ces para-traditionnelles se


mêlera à la musique, le tout dans une atmosphère - paraît-il - druillesque. Cela s'appellera<br />

MAGMA-ROCK ! Jou<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>t aux côtés de Christian Vander et de Klaus Blasquiz :<br />

Guy Delacroix (basse), Clém<strong>en</strong>t Bailly (batterie et claviers), tous deux ex-Alan Stivell, Jean<br />

de Antony (guitares, ex-Patrick Moraz) et B<strong>en</strong>oît Widemann (claviers), qui fit ses débuts<br />

avec <strong>Magma</strong> à dix-sept ans. Ils disposeront d'un répertoire r<strong>en</strong>ouvelé que l'on risque<br />

d'att<strong>en</strong>dre longtemps sur disque par la faute d'invraisemblables démêlés <strong>en</strong>tre le groupe,<br />

R.C.A. et Utopia, son anci<strong>en</strong> label. Voilà. N'allez pas dire après cela que vous ne saviez pas.<br />

Quant à François Cah<strong>en</strong> et Didier Lockwood, deux de Zao, ils joueront <strong>en</strong> duo <strong>en</strong> première<br />

partie de Shakti les 29 et 30 avril, au théâtre des Champs-Élysées. La musique française se<br />

porte bi<strong>en</strong>.<br />

Rock & Folk n° 124 - Mai <strong>1977</strong><br />

Interview Jannick TOP - Rock & Folk n° 124 – Mai<br />

TOP<br />

À l'écart des modes et loin de la foule déchaînée, l'homme <strong>en</strong> noir bâtit dans l'ombre son<br />

oeuvre grandiose et solitaire.<br />

JT : Je m'appelle Janik Top. Je n'ai jamais connu mon père, et ma mère était blanchisseuse.<br />

Ce qui veut dire que j'ai toujours dû travailler pour vivre, que je n'ai jamais été <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u.<br />

Cela a été extrêmem<strong>en</strong>t important dans mes rapports avec la vie et avec des g<strong>en</strong>s qui, eux,<br />

n'ont pas toujours été obligés de regarder la réalité <strong>en</strong> face. A cinq ans j'ai comm<strong>en</strong>cé à<br />

pr<strong>en</strong>dre des cours de piano au lycée musical de Marseille. A neuf ans j'ai attaqué le<br />

violoncelle, et un an après, la direction d'orchestre avec Maître André Lhéry, qui est peut-être<br />

la personne qui m'a le plus marqué sur le plan musical et humain.<br />

Parallèlem<strong>en</strong>t, je suivais des études normales au lycée Thiers. En classe de seconde, j'ai<br />

arrêté la musique, parce que j'avais eu comme exemple des g<strong>en</strong>s qui étai<strong>en</strong>t arrivés à un très<br />

haut niveau dans le classique et qui crevai<strong>en</strong>t la dalle... J'ai donc continué mes études, et la<br />

musique est rev<strong>en</strong>ue petit à petit, jusqu'à ce que j'abandonne complètem<strong>en</strong>t les maths pour<br />

elle, <strong>en</strong> troisième année de fac. Mais j'avais totalem<strong>en</strong>t abandonné l'idée de faire une carrière<br />

classique, ce à quoi je me destinais au départ. A ce mom<strong>en</strong>t-là, j'ai comm<strong>en</strong>cé à écouter John<br />

Coltrane et Miles Davis.<br />

MB : Avant, tu n'écoutais que du classique ?<br />

JT : Oui, on peut dire que j'aime vraim<strong>en</strong>t la musique classique, que ce soit Bach, Bartok,<br />

Stravinsky, Prokofiev, ou la musique contemporaine : Varese, P<strong>en</strong>derecki,… A Marseille,<br />

j'avais aussi suivi les cours du groupe de recherche de Frémion, au Conservatoire. On faisait<br />

des études de sons ; toutes les définitions, la masse du son, le grain du son. On s'est avalé le<br />

solfège de Schaëffer, ce qui représ<strong>en</strong>te un boulot considérable. J'ai toujours été assez<br />

rigoureux avec le travail. J'aime vraim<strong>en</strong>t ça. Pas le travail imposé, mais le travail personnel,<br />

l'amélioration de ses propres capacités.


MB : Ça a dû être un choc d'écouter Coltrane pour la première fois, alors que depuis<br />

ton <strong>en</strong>fance tu étais plongé dans le classique ?<br />

JT : Ça m'a plu tout de suite. J'y retrouvais certaines formes de la musique contemporaine,<br />

quoique ce ne soit pas tout à fait exact, je m'<strong>en</strong> suis aperçu plus tard : Coltrane avait<br />

développé toute une méthode très spéciale de travail, même si certains dis<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core<br />

aujourd'hui qu'il fait du bruit dans un saxo. Et il y avait quelque chose de plus, qui dép<strong>en</strong>dait<br />

du temps prés<strong>en</strong>t. C'était de la musique créée sur le mom<strong>en</strong>t avec une latitude beaucoup plus<br />

grande que dans les musiques classique ou contemporaine. Coltrane et Miles Davis m'ont<br />

vraim<strong>en</strong>t montré ce que c'était que vivre le prés<strong>en</strong>t dans la musique.<br />

MB : Comm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> es-tu v<strong>en</strong>u à jouer de la basse ?<br />

JT : Justem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> écoutant cette musique, j'ai immédiatem<strong>en</strong>t été frappé par la basse, je suis<br />

tombé amoureux de cet instrum<strong>en</strong>t. C'est à la fois un coussin très moelleux et quelque chose<br />

de dur, qui pèse des tonnes et sur quoi tout repose. A cette époque j'ai beaucoup écouté un<br />

disque de Miles Davis <strong>en</strong>registré à Antibes avec Tony Williams, George Coleman, Herbie<br />

Hancock et Ron Carter à la basse. Ron Carter m'a vraim<strong>en</strong>t assis, il y avait quelque chose de<br />

plus que les notes...<br />

MB : Dans quelles conditions as-tu appris à jouer de la basse ?<br />

JT : Il y a eu un concours de circonstances. Du jour au l<strong>en</strong>demain j'ai dû remplacer un<br />

camarade dans un orchestre régional. J'ai appris le répertoire et j'y suis allé, et je n'avais<br />

jamais joué de basse avant. Après, je me suis retiré p<strong>en</strong>dant deux ans tout seul à Aubagne<br />

pour travailler l'instrum<strong>en</strong>t. Un camarade m'avait prêté un cabanon que j'ai dû retaper pour y<br />

vivre, dans une grande propriété appart<strong>en</strong>ant à sa famille.<br />

Après, j'ai décidé de monter à Paris, mais avant de pouvoir le faire j'ai dû résoudre des<br />

problèmes matériels aussi stupides que passer le permis de conduire, acheter une voiture, un<br />

ampli, et résoudre un problème de cordes qui m'était tout à fait personnel. En effet, j'étais<br />

habitué au violoncelle qui s'accorde do-sol-ré-la, au début j'ai accordé la basse normalem<strong>en</strong>t<br />

mi-la-ré-sol, mais très vite cela a dégénéré <strong>en</strong> mi-sol-ré-la, qui est vraim<strong>en</strong>t un accord<br />

hybride, jusqu'à ce qu'une maison de Lyon accepte de fabriquer un do grave spécialem<strong>en</strong>t<br />

pour moi. Depuis, j'accorde do-sol-ré-la. Et puis j'ai tourné quelque temps autour de<br />

Marseille avec des orchestres de bal pour rassembler quelques petites provisions financières,<br />

et finalem<strong>en</strong>t je suis arrivé à Paris avec 2 000 F <strong>en</strong> poche. Avec le recul, je m'aperçois que ça<br />

ne permet pas d'aller très loin. Mais <strong>en</strong>fin, ça s'est bi<strong>en</strong> passé. Un camarade m'a hébergé<br />

p<strong>en</strong>dant quatre mois à l'oeil, et un mois et demi après mon arrivée je jouais de la contrebasse<br />

et de la basse électrique à la Comédie Française dans l'adaptation du "Bourgeois<br />

G<strong>en</strong>tilhomme" de J.L. Barrault. Là, j'ai pris des contacts avec quelques musici<strong>en</strong>s. Echanges<br />

d'adresses. C'est toujours pareil quand on arrive dans une ville, on casse les pieds à tout le<br />

monde. On n'arrête pas de téléphoner parce qu'on tourne comme un rat mort dans sa pièce.<br />

De fil <strong>en</strong> aiguille, je me suis retrouvé à l'Olympia pour accompagner une vedette. Là je ne<br />

citerai plus de noms. Et puis au bout d'un mois j'ai craqué. Je m'att<strong>en</strong>dais à tout sauf à ça,<br />

surtout après la période d'isolem<strong>en</strong>t et de travail int<strong>en</strong>se que j'avais vécue. A la même époque<br />

je faisais un peu de jazz avec André Cecarelli, H<strong>en</strong>ri Giordano, Jacky Girodo, et un soir<br />

j'étais avec eux à La Bulle quand Christian Vander est v<strong>en</strong>u me voir pour discuter.<br />

MAGMA<br />

MB : Tu connaissais déjà <strong>Magma</strong> ?<br />

JT : Je les avais vus au festival de Chateauvallon, <strong>en</strong> 72. Ils avai<strong>en</strong>t fait un discours qui


m'avait énormém<strong>en</strong>t déplu à propos de g<strong>en</strong>s comme Ron Carter qui, disai<strong>en</strong>t-ils, étai<strong>en</strong>t plus<br />

là pour faire un gala qu'un festival de jazz. Un certain manque de tolérance m'avait frappé.<br />

Aujourd'hui, je sais qu'à l'époque c'était à cause de Giorgio Gomelsky. Quand j'ai r<strong>en</strong>contré<br />

Christian il s'est vraim<strong>en</strong>t passé quelque chose, c'est pour cela que je suis <strong>en</strong>tré dans <strong>Magma</strong>.<br />

On a travaillé, et petit à petit se sont accumulés des faits qui, <strong>en</strong> eux-mêmes, n'avai<strong>en</strong>t aucune<br />

importance. Mais il y avait une somme de mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus que personnellem<strong>en</strong>t j'interprétais<br />

comme étant autre chose que des mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus.<br />

MB : Comme étant quoi alors ?<br />

JT : Quand je fais quelque chose avec quelqu'un, je considère toujours qu'il est là, <strong>en</strong> face de<br />

moi. Or, et là je parle de façon générale, j'ai toujours été frappé par l'égoïsme généralisé.<br />

Certaines choses m'avai<strong>en</strong>t pas mal remué, j'ai donc arrêté ; on avait fait deux disques : "<br />

Mekanïk Destruktïw Kommandöh " et "Köhntarkösz", sur lequel il y avait "Ork Alarm", ma<br />

première composition pour <strong>Magma</strong>. Musicalem<strong>en</strong>t ça se passait bi<strong>en</strong>, on a fait cinq tournées<br />

<strong>en</strong> Angleterre et ça déménageait. On aurait vraim<strong>en</strong>t pu faire quelque chose s'il n'y avait pas<br />

eu de problème humain.<br />

On peut dire, bi<strong>en</strong> sûr, qu'il ne faut pas y attacher d'importance, que le public s'<strong>en</strong> fout et n'est<br />

là que pour la musique. C'est vrai. Mais dans le fonctionnem<strong>en</strong>t du groupe, pour moi, cela a<br />

une très grande importance. Sinon, on est <strong>en</strong>semble pourquoi ? Moi, je réponds : pour ri<strong>en</strong>. Je<br />

sais qu'il y a des groupes très connus où les g<strong>en</strong>s sont tout sourire sur scène, et sitôt dehors<br />

prêts à se balancer des chaises sur la tête. Mais ça ne m'attire <strong>en</strong> aucune façon.<br />

Alors j'ai continué à travailler de mon côté, et pour le festival de jazz de Nancy, Gomelsky<br />

m'a proposé de monter quelque chose. Ça tombait bi<strong>en</strong>, je v<strong>en</strong>ais de composer "De Futura".<br />

Or, à Nancy, il a été annoncé: Utopic Sporadic Orchestra de Giorgio Gomelsky et Christian<br />

Vander, alors que je v<strong>en</strong>ais de passer six mois de boulot sur ce truc. Ça m'a donné une bonne<br />

leçon : j'ai toujours donné ouvertem<strong>en</strong>t ce que j'ai fait, mes idées. Jamais ri<strong>en</strong> n'est sorti sous<br />

mon nom. Mais après on se retrouve "ayant donné", un point c'est tout. Or dans ce métier,<br />

beaucoup de g<strong>en</strong>s connaiss<strong>en</strong>t et appliqu<strong>en</strong>t le célèbre proverbe chinois : "Quand il y <strong>en</strong> a<br />

pour deux, il y <strong>en</strong> a forcém<strong>en</strong>t pour un". Après ça je devais sortir un disque, mais il y a<br />

<strong>en</strong>core eu des magouilles sur lesquelles je n'ai pas <strong>en</strong>vie de m'ét<strong>en</strong>dre. En février de l'année<br />

dernière, j'ai revu Christian et on a beaucoup discuté pour refaire <strong>Magma</strong>. J'oublie un petit<br />

peu trop vite ce qui se passe, mais je considère qu'il n'y a ri<strong>en</strong> de statique, que chacun peut<br />

changer ses points de vue et rev<strong>en</strong>ir sur ses erreurs. Je fais confiance, et je ne le regrette pas.<br />

C'est une très bonne école, de même qu'essayer de voir les choses comme elles sont au lieu<br />

de divaguer dans des discours philosophiques hautem<strong>en</strong>t imbus de soi-même sur la<br />

connaissance. Or il n'y a pas de discours, ou du moins on les laisse à ceux qui sont faits pour<br />

<strong>en</strong> faire. Mais c'est une autre histoire.<br />

MB : Comm<strong>en</strong>t s'est déroulée cette deuxième expéri<strong>en</strong>ce avec <strong>Magma</strong> ?<br />

JT : Comme je le disais, tout s'était très bi<strong>en</strong> passé au niveau de la discussion. Mais je me<br />

suis très vite r<strong>en</strong>du compte que quelque chose n'avait pas évolué dans nos rapports, à savoir<br />

que quand on avait décidé de faire quelque chose, il fallait que tout de suite le contraire se<br />

passe. Il faut pr<strong>en</strong>dre son temps quand on monte un nouveau groupe, agir avec parcimonie et<br />

raison. Les caprices ne chang<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> à l'affaire.<br />

MB : Tu vises qui ?<br />

JT : Encore une fois, je parle de façon générale. Mais si tu me poses la question précisém<strong>en</strong>t,<br />

je peux dire que Christian est très capricieux. Je ne voulais pas repartir sur des bases que je<br />

ne trouvais pas solides.


MB : Au mom<strong>en</strong>t des concerts du Théâtre de la R<strong>en</strong>aissance, une grande partie du<br />

public semblait trouver la musique très dure... .<br />

JT : Il faut dire qu'on a d'abord monté le répertoire dur. Personnellem<strong>en</strong>t je jouais aux<br />

claviers la " Musique des Sphères ", qui n'est pas une musique dure, bi<strong>en</strong> au contraire. Mais il<br />

faut replacer tout cela dans son contexte. Si un producteur met sur le devant de la scène deux<br />

nanas habillées d'une certaine manière avec beaucoup de poudre, de lumière et de<br />

perlimpinpin, ça marche. Mais ça n'a ri<strong>en</strong> à voir avec la musique. Pour passer <strong>en</strong> radio il faut<br />

faire des morceaux de 2'30, coulés dans le moule de la pub, pour que le rythme ronronnant et<br />

marchand ne soit pas brisé. Moi je crois qu'il y a de la place pour tout le monde. Si quelqu'un<br />

aime telle ou telle pop-star, je ne vois pas pourquoi il ne l'aurait pas. On n'a pas à frustrer les<br />

amateurs de mouchoirs et de limousines. Autrem<strong>en</strong>t on fait quelque chose d'élitaire, on dit<br />

qu'on va l'imposer, et que quelqu'un qui n'aime pas ça sera passé au four... Ce n'est pas ma<br />

conception. Mais je crois qu'il y a un public et une place pour la musique que j'aime faire. Ce<br />

sera à moi de le prouver, et c'est une chose à laquelle je vais m'employer. Les g<strong>en</strong>s ne sont<br />

pas bêtes, même si on veut le faire croire. C'est quand même dingue qu'<strong>en</strong> privé tout le<br />

monde avoue que la radio est dégueulasse mais qu'il faut bi<strong>en</strong> qu'elle soit comme ça à cause<br />

des autres... S'il y a de courts morceaux sur la face 1 de " Udü Wüdü ", c'est uniquem<strong>en</strong>t pour<br />

des raisons de ce g<strong>en</strong>re.<br />

MB : Que fais-tu <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t ?<br />

JT : Je travaille. Je compte réserver une surprise pour la r<strong>en</strong>trée, ou pour l'année prochaine, je<br />

ne suis pas pressé. Car j'ai pris la décision, après la cassure de <strong>Magma</strong>, de ne plus vivre de la<br />

musique, parce que cela amène à faire un produit, et que quand on a ce produit, il ne faut plus<br />

le lâcher. C'est dev<strong>en</strong>u une image de marque. C'est triste. La chose fondam<strong>en</strong>tale, c'est la<br />

remise <strong>en</strong> question perman<strong>en</strong>te, et c'est incompatible avec le " marché ". Je vis donc d'un<br />

travail que je fais de mon mieux, mais qui est totalem<strong>en</strong>t dissocié de mes activités musicales.<br />

MB : Quel travail ?<br />

JT : Je fais des séances d'<strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> studio avec des "vedettes". Je ne citerai pas de<br />

noms. C'est un travail. En marge, <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant tout mon temps, je fais la musique qui me plaît,<br />

et , quand quelque chose sera prêt, je le porterai à la connaissance du public. D'ici quelque<br />

temps j'espère travailler avec H<strong>en</strong>ri Giordano, que personne ne connaît, mais qui est vraim<strong>en</strong>t<br />

une montagne, quelqu'un du calibre d'Hancock.<br />

MB : Tu as recomm<strong>en</strong>cé à jouer des claviers ?<br />

JT : Oui. Dans ma musique il y a , principalem<strong>en</strong>t deux voix : une, ancrée dans le sol, qui<br />

r<strong>en</strong>tre dedans, c'est la basse. Et puis il y a la voix du nuage, les claviers. Le mélange des deux<br />

va donner ce que je vais faire bi<strong>en</strong>tôt.<br />

MB : Quelle musique écoutes-tu <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t ?<br />

JT : J'écoute de la musique par périodes. En ce mom<strong>en</strong>t je réécoute beaucoup Coltrane. Je<br />

déchiffre au casque tous les " Mikrokosmos " de Bartok. J'écoute un peu ce qui se fait, mais<br />

n'y trouve pas vraim<strong>en</strong>t ce que je cherche. C'est trop une période d'<strong>en</strong>gr<strong>en</strong>age, et pas<br />

seulem<strong>en</strong>t dans la musique. Le grand proverbe, c'est : " Plus vite, on n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ri<strong>en</strong> ", ou bi<strong>en</strong> "<br />

Plus fort, c'est pas assez vite " ! Tout est un peu gratuit. Weather Report est peut-être le seul<br />

groupe qui puisse à la fois jouer et créer un certain climat. Je dis bi<strong>en</strong> un certain climat, ça ne<br />

va pas au-delà. Mais il y a un climat certain.<br />

MB : Et parmi les bassistes?<br />

JT : Celui qui m'impressionne le plus, c'est Michael H<strong>en</strong>derson, le bassiste de Miles Davis.


Pastorius et Stanley Clarke sont des instrum<strong>en</strong>tistes fantastiques, mais je trouve que quelque<br />

chose manque au point de vue climat.<br />

MB : Les groupes de rock?<br />

JT : J'adore certains trucs des Stones, qui ont vraim<strong>en</strong>t décoiffé. Ils avai<strong>en</strong>t ce que j'appelle le<br />

" grain ". Mais il y a longtemps que je ne les ai pas écoutés. Pink Floyd à un certain mom<strong>en</strong>t<br />

allait dans la direction du climat, mais je crois que maint<strong>en</strong>ant ils se sont totalem<strong>en</strong>t reformés<br />

au moule commercial, avec quand même toujours un petit voile au loin, derrière, ce qui est<br />

étrange chez des g<strong>en</strong>s comme ça.<br />

MB : Pourquoi des " g<strong>en</strong>s comme ça " ?<br />

JT : Ce que je voulais dire, c'est qu'ils n'ont aucune technique, mais il y a des g<strong>en</strong>s, comme<br />

H<strong>en</strong>drix, qui ont des choses à dire et qui le dis<strong>en</strong>t avec ri<strong>en</strong>, avec aucune technique.<br />

MB : McLaughlin ?<br />

JT : Des trucs m'ont plu, principalem<strong>en</strong>t quand il était avec Miles Davis. Après, j'ai moins<br />

aimé. J'ai trouvé ça très froid. Je crois qu'avec Shakti il se retrouve, j'ai de nouveau s<strong>en</strong>ti ce "<br />

grain " qu'il avait avant. Mais je voudrais rev<strong>en</strong>ir sur la technique : c'est un outil qu'on doit<br />

perfectionner au maximum, et c'est tout. Il ne faut pas l'utiliser <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce au détrim<strong>en</strong>t<br />

du feeling et de la musique, il ne faut pas que ça devi<strong>en</strong>ne de l'acrobatie.<br />

MB : <strong>Magma</strong> ?<br />

JT : On n'a jamais passé assez de temps sur un disque pour vraim<strong>en</strong>t sortir le son. Dans tous<br />

les disques de <strong>Magma</strong>, il y a un voile sur la musique, qui filtre l'énergie. Mais il aurait fallu<br />

passer six mois sur chacun... Stevie Wonder a bi<strong>en</strong> mis deux ans. Il faut dire qu'il a les<br />

moy<strong>en</strong>s et que les carrières musicales sont aussi des carrières financières.<br />

MB : Tu aimes Stevie Wonder ?<br />

JT : Je trouve ça un peu trop parfait, un maximum. Je parle du swing intérieur. Ceci dit, son<br />

domaine, c'est la chanson. Disons qu'il transc<strong>en</strong>de un moule dans lequel je ne veux pas avoir<br />

à me couler.<br />

MB : Il y a une impressionnante série de disques de James Brown sur ta cheminée... ?<br />

JT : Oui. Quand j'ai comm<strong>en</strong>cé à écouter Coltrane, il y avait aussi les premiers<br />

élém<strong>en</strong>ts du rhythm'n'blues, avec là <strong>en</strong>core une place prépondérante de la basse. J'aime<br />

beaucoup James Brown. Par contre, ce que je ne compr<strong>en</strong>ds pas, c'est quelqu'un comme<br />

Hancock, qui se met à faire du James Brown sans James Brown. Ça ne veut ri<strong>en</strong> dire. Surtout<br />

pour quelqu'un comme lui, qui a un toucher de piano incomparable. Au point où il <strong>en</strong> est<br />

arrivé, avec tous les contacts possibles dans le monde musical au niveau mondial, il pourrait<br />

tout se permettre. Mais s'il a fait tout ça pour <strong>en</strong> arriver là, je ne compr<strong>en</strong>ds pas. Enfin il y a<br />

tout un style de musique dont on ne sait pas très bi<strong>en</strong> s'il est fait pour les boîtes ou pour les<br />

autoroutes : tous les temps à la grosse caisse, un bon petit riff de guitare, un thème facile que<br />

tout le monde va ret<strong>en</strong>ir très vite. Moi, dans ma bagnole, je peux écouter n'importe quoi.<br />

Mais on ne peut pas parler de la musique sans parler de ce qu'il y a autour, de la situation<br />

générale.<br />

MB : Parle donc de ce qu'il y a autour…<br />

JT : Là, on <strong>en</strong> arrive au fond. On comm<strong>en</strong>ce à s'apercevoir que les fondem<strong>en</strong>ts des théories<br />

qui avai<strong>en</strong>t cours au 19ième siècle et qui ont fondé l'essor économique de l'Occid<strong>en</strong>t étai<strong>en</strong>t<br />

faux : la terre n'est pas infinie et ses ressources ne sont pas inépuisables. Il faut très vite faire


machine arrière, arrêter l'<strong>en</strong>gr<strong>en</strong>age économique qui, aussi bi<strong>en</strong>, se reflète dans la musique.<br />

Ce n'est plus un problème de répartition des richesses, mais simplem<strong>en</strong>t de vie ou de mort<br />

pour l'homme. Ça suppose une prise de consci<strong>en</strong>ce radicale qui doit partir de chacun. Quant<br />

aux moy<strong>en</strong>s concrets de ce dés<strong>en</strong>gr<strong>en</strong>age, je ne les connais pas très bi<strong>en</strong>. Mais je reste<br />

optimiste. Il faudra bi<strong>en</strong> que quelque chose soit fait, même peut-être au dernier mom<strong>en</strong>t,<br />

sinon c'est la catastrophe.<br />

MB : Que p<strong>en</strong>ses-tu du mouvem<strong>en</strong>t culturel qui s'est greffé autour du rock, la drogue,<br />

etc. ?<br />

JT : Toutes les sociétés ont eu leur dérivatif. Après la société du vin, peut-être va-t-on vers<br />

celle de l'herbe. C'est un problème d'individus. Je crois qu'à certains ça peut apporter quelque<br />

chose, à d'autres non. Le danger, c'est que les g<strong>en</strong>s devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus incapables de<br />

se donner une discipline personnelle. Beaucoup projett<strong>en</strong>t ce qu'ils recherch<strong>en</strong>t, c'est-à-dire la<br />

puissance, dans les autres, que ce soit une pop-star ou un gourou. C'est plus facile qu'essayer<br />

de se voir <strong>en</strong> face. J'ai très peu de connaissances historiques réelles. Ce qui m'a plongé dans<br />

ces considérations, c'est l'expéri<strong>en</strong>ce de ma propre vie, et la découverte d'autre chose que le<br />

pur <strong>en</strong>gr<strong>en</strong>age matériel, un certain travail sur soi, l'épuration des projections.<br />

MB : Alors que p<strong>en</strong>ses-tu des discours de Vander ?<br />

JT : Chacun est libre de vouloir dev<strong>en</strong>ir le maître du monde. Il y a beaucoup de g<strong>en</strong>s comme<br />

ça.<br />

MB : Le s<strong>en</strong>s de ma question, c'était : est-ce que les g<strong>en</strong>s qui étai<strong>en</strong>t dans <strong>Magma</strong> à un<br />

mom<strong>en</strong>t donné partageai<strong>en</strong>t tous sa conception des choses ?<br />

JT : Non, bi<strong>en</strong> sûr. Tu mets le doigt à l'<strong>en</strong>droit où il faut. Il y a eu un contact imm<strong>en</strong>se <strong>en</strong>tre<br />

nous, malgré un désaccord total sur le fond. Il n'y a que Klaus qui soit dans la même histoire<br />

que Christian. Pour résoudre ce g<strong>en</strong>re de problème, il faut se battre contre soi, et je souhaite<br />

vraim<strong>en</strong>t à Christian de se r<strong>en</strong>dre compte un jour.<br />

MB : Pour beaucoup de g<strong>en</strong>s, la musique de <strong>Magma</strong> est une musique sombre,<br />

angoissée...<br />

JT : On m'a beaucoup dit ça. J'ai traversé des périodes très dures aussi, et à ce mom<strong>en</strong>t-là ça<br />

devait bi<strong>en</strong> correspondre à ce que je ress<strong>en</strong>tais. Et puis on peut dire que depuis deux mille ans<br />

il y a toujours eu des g<strong>en</strong>s qui percevai<strong>en</strong>t une certaine vision de l'Apocalypse. Et ce sont<br />

quand même eux qui ont fait l'Art, plus que ceux qui parlai<strong>en</strong>t des petites fleurs et des<br />

amours à l'eau de rose. De toute manière, la seule chose qui compte, c'est de dire et de faire<br />

ce qu'on s<strong>en</strong>t, d'être <strong>en</strong> accord avec soi-même.<br />

MB : Pour " Köhntarkösz ", tu avais écrit " Ork Alarm ", pour " Udü Wüdü ", "Ork<br />

Sun ". Qu'est-ce que : Ork ?<br />

JT : Pour essayer de faire compr<strong>en</strong>dre un peu ce qu'était ma musique, j'avais imaginé qu'il<br />

existait une planète complètem<strong>en</strong>t mêlée à la nôtre : c'était Ork, dont les habitants étai<strong>en</strong>t aux<br />

machines ce que les machines sont à l'homme. Mais comme ils vivai<strong>en</strong>t dans une autre<br />

dim<strong>en</strong>sion, nous ne pouvions pas les voir. Bi<strong>en</strong> sûr, la transposition de l'histoire, c'est que<br />

nous sommes les habitants d'Ork, que nous nous croyons hommes mais que nous sommes<br />

machines. C'est une histoire très schizophrène.<br />

MB : Tu m'as dit que tu ne sortais pratiquem<strong>en</strong>t plus de chez toi. Pourquoi ?<br />

JT : Parce que dehors, c'est la folie, l'agression perpétuelle, Vous êtes <strong>en</strong> bagnole à 90, c'est


limité à 80, et vous êtes talonné par des mecs qui multipli<strong>en</strong>t les appels de phare, vous font<br />

des queues de poisson, etc.<br />

MB : Et tu es quand même optimiste ?<br />

JT : Oui. Je crois que les g<strong>en</strong>s réfléchiss<strong>en</strong>t plus que par le passé, même s'ils accept<strong>en</strong>t le<br />

conditionnem<strong>en</strong>t parce qu'après tout c'est beaucoup moins fatiguant. Et mon seul souhait,<br />

c'est que la paix règne dans les coeurs...<br />

AVERTISSEMENT : J'ai <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du les bandes secrètes de Janik Top. Le directeur de maison<br />

de disques qui refusera de lui signer un contrat, et ce à n'importe quel prix, commettra une<br />

grossière erreur.<br />

IL SERA VIRÉ DANS DEUX ANS. - (propos recueillis par MICHEL BOURRE).<br />

Rock and Folk n° 124 - Mai <strong>1977</strong><br />

Vander au piano - Libération - 14 mai<br />

Après bas-rock, beau-rock : <strong>Magma</strong>-rock<br />

VANDER AU PIANO<br />

Seuls les imbéciles ne chang<strong>en</strong>t pas. Et Christian Vander n'<strong>en</strong> est certainem<strong>en</strong>t pas un : la<br />

preuve, il a lui-même introduit dans son groupe un élém<strong>en</strong>t indisp<strong>en</strong>sable à la survie de sa<br />

musique : un autre batteur.<br />

Ce deuxième batteur s'appelle Clém<strong>en</strong>t Bailly, on l'a déjà <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du jouer avec Hamsa-music et<br />

Alan Stivell. Sur scène, il a mis sa batterie 3 pas derrière celle de Vander. Une allée de<br />

cymbales (12) installée sur 2 rangées parcourt la scène d'une batterie à l'autre, comme un<br />

imm<strong>en</strong>se couloir. Percussions <strong>en</strong>vahissantes, mais Klaus Blasquiz (le chanteur) est<br />

maint<strong>en</strong>ant accompagné par une série de choristes, qui répond<strong>en</strong>t à Vander à chaque fois que<br />

celui-ci chante et joue aux claviers... Nouvelle formation pour <strong>Magma</strong> qui garde une forte<br />

rythmique de guitare et de claviers. Voilà comm<strong>en</strong>t Vander parle de son prochain concert :<br />

Nous avons l'habitude d'essayer toutes les salles et nous n'avions jamais joué dans<br />

l'Hippodrome, aussi nous avons voulu faire un concert exceptionnel et introduire les idées<br />

nouvelles d'animation de la salle et du public <strong>en</strong> même temps que notre musique, Jacques<br />

Pasquier et le Chariot-théâtre ont prévu une série d'interv<strong>en</strong>tions spectaculaires qui<br />

donneront du piquant au spectacle.<br />

Tu joues des claviers sur scène maint<strong>en</strong>ant, <strong>en</strong> joues-tu autant que de la batterie ?<br />

Sur scène je joue plus de batterie que de claviers. Mais j'ai toujours rêvé d'avoir une<br />

deuxième batterie, pour pouvoir jouer du clavier et chanter. Quand tu joues de la batterie tu<br />

ne peux pas chanter <strong>en</strong> même temps, cela fait appel à deux s<strong>en</strong>s trop différ<strong>en</strong>ts et cela


demanderait de se dédoubler complètem<strong>en</strong>t. Alors que les claviers, c'est Stravinsky qui<br />

expliquait ça, c'est aussi une rythmique. C'est la continuité de la batterie, mais tu peux<br />

chanter <strong>en</strong> même temps. En fait tu tapes toujours sur quelque chose.<br />

Donc maint<strong>en</strong>ant tu introduis des chose douces dans <strong>Magma</strong> ?<br />

Maint<strong>en</strong>ant on essaie de les faire plus lisibles. Mais la douceur a toujours été l'ess<strong>en</strong>ce même<br />

de <strong>Magma</strong>. C'était beau, c'était pur et on était obligé de palier les manques de choristes et de<br />

cuivres par la batterie. Je p<strong>en</strong>sais que la caisse claire pourrait remplacer dix chants. Ça<br />

t<strong>en</strong>ait par la foi. Ri<strong>en</strong> d'autre. On mettait tellem<strong>en</strong>t d'énergie que quand on chantait à deux<br />

on avait l'impression d'être 2 milliards. C'est toujours la même musique mais on fait plus<br />

sortir l'autre côté. A l'époque où tout le monde hésite <strong>en</strong>tre le cool et le rock, nous on veut<br />

faire un mélange. La vie c'est comme le blues, y'a tout là dedans !<br />

A l'Hippodrome de Paris, Porte de Pantin : Samedi à 19h 30.<br />

Libération - 14 Mai <strong>1977</strong><br />

MAGMA à Saint Nazaire - Antirouille n° 16/17 – Juin<br />

MAGMA à Saint Nazaire<br />

Ce soir à St Nazaire, au Hall de la Soucoupe, a lieu le concert de <strong>Magma</strong>. Un <strong>en</strong>droit qui<br />

porte bi<strong>en</strong> son nom car, vu de l'extérieur, on croit à une soucoupe volante de béton, échouée<br />

là par hasard. En réalité, c'est une très belle salle de trois mille places.<br />

16 heures, les technici<strong>en</strong>s sont déjà sur les lieux et install<strong>en</strong>t la sono, les éclairages, les<br />

instrum<strong>en</strong>ts… Car <strong>Magma</strong> est une grosse machine. Un matériel considérable : plusieurs<br />

claviers, deux batteries, une grosse sono puissante, deux rampes d'éclairages bi<strong>en</strong> fournies <strong>en</strong><br />

spots…<br />

17 heures 30, le groupe arrive, sans Vander le batteur, qui n'est pas <strong>en</strong>core rev<strong>en</strong>u de Paris.<br />

<strong>Magma</strong> est un groupe qui existe, maint<strong>en</strong>ant, depuis 7 ans, mais qui a souv<strong>en</strong>t changé de<br />

musici<strong>en</strong>s. De la première formation, seuls Klaus Blasquiz et Christian Vander rest<strong>en</strong>t. Se<br />

sont joints à eux : Clém<strong>en</strong>t Bailly qui seconde Vander à la batterie mais qui chante et joue<br />

aussi du piano électrique, B<strong>en</strong>oît Wideman aux divers claviers et synthétiseurs, Guy<br />

Delacroix à la basse, Jean De Antoni à la guitare et les choristes Stella Vander, Flor<strong>en</strong>ce Von<br />

Werle et Lisa.<br />

Le matériel <strong>en</strong> place, la sono réglée, il reste presque 2 heures avant le début du concert : on<br />

n'att<strong>en</strong>d plus que Vander. Car c'est lui qui a le rôle prédominant dans <strong>Magma</strong> et ça personne<br />

ne se le cache.


"Pour l'élaboration des morceaux, explique B<strong>en</strong>oît Wideman, c'est assez simple, c'est à peu<br />

près toujours le même scénario. La composition principale est faite par Christian Vander, qui<br />

amène une trame de piano, et une mélodie chantée. Ensuite, le travail pour chaque instrum<strong>en</strong>t<br />

est, <strong>en</strong> partie, fait <strong>en</strong>semble. Ca pr<strong>en</strong>d du temps et ça demande de l'énergie. Bi<strong>en</strong> sûr, j'ai eu<br />

<strong>en</strong>vie d'apporter mes thèmes, et c'est normal dans la mesure où je me s<strong>en</strong>s une m<strong>en</strong>talité de<br />

compositeur. Il est évid<strong>en</strong>t que j'avais <strong>en</strong>vie que ma musique soit jouée sur scène. Mais il faut<br />

être réaliste, <strong>Magma</strong> c'est la musique de Christian Vander et si j'ai <strong>en</strong>vie de faire la mi<strong>en</strong>ne, je<br />

m'<strong>en</strong> irai de <strong>Magma</strong>. La différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre <strong>Magma</strong> et la plupart des autres groupes, c'est que<br />

nos concerts ne sont pas une suite de petits morceaux qui s'<strong>en</strong>chaîn<strong>en</strong>t n'importe comm<strong>en</strong>t.<br />

C'est un tout. Et si quelqu'un d'autre, même du groupe, apporte un morceau, il sera différ<strong>en</strong>t<br />

des autres et cassera le rythme, l'évolution du concert."<br />

En effet, la musique de <strong>Magma</strong> a une espèce de fil conducteur. Pourtant très pop, très<br />

rythmée, la batterie jouant un rôle prédominant, elle fait p<strong>en</strong>ser à une messe noire, où le<br />

groupe crée un monde autre et vous y emporte. Et tout cela symbolisé par les Kobaï<strong>en</strong>s, leur<br />

langage, leur planète. Un monde qu'ils ont inv<strong>en</strong>té, une nouvelle langue qu'ils ont créée de<br />

toutes pièces et dans laquelle ils chant<strong>en</strong>t : "C'est un peu comme la musique, c'est un nouveau<br />

langage à appr<strong>en</strong>dre. Même si tu ne le compr<strong>en</strong>ds pas, tu peux le ress<strong>en</strong>tir. D'ailleurs il n'est<br />

jamais question pour personne de compr<strong>en</strong>dre tout ce qui se passe à un concert et pas plus<br />

pour nous. C'est une langue musicale et elle n'est pratiquem<strong>en</strong>t pas utilisable dans la vie<br />

courante. Elle comporte 800 mots, mais par exemple, elle comporte le mot apocalypse, pas le<br />

mot pomme de terre. C'est une langue qui s'est faite plus qu'elle n'a été faite : Christian<br />

chantait <strong>en</strong> kobaï<strong>en</strong> avant de décider de le créer".<br />

Mais dans ce groupe où Christian Vander est pour le moins l'élém<strong>en</strong>t moteur, on a vite<br />

t<strong>en</strong>dance à p<strong>en</strong>ser que <strong>Magma</strong> c'est Vander et ses musici<strong>en</strong>s. Clém<strong>en</strong>t Bailly, lui, préfère dire<br />

que c'est une collectivité, où il y a quelqu'un qui met les points sur les "i". Un groupe avec un<br />

leader. "Et puis, r<strong>en</strong>chérit B<strong>en</strong>oît, on est tous payés à tarif fixe, <strong>en</strong>viron 500 francs par soir et<br />

tous les membres du groupe sont au même tarif". Pourtant, ni l'un ni l'autre ne sont capables<br />

de dire si oui ou non les choristes sont aussi payées le même prix. Ils ne le sav<strong>en</strong>t pas…<br />

"C'est un arrangem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les intéressées, l'équipe de managem<strong>en</strong>t, qui s'occupe de la<br />

situation financière du groupe et Christian, explique Klaus. S'il y avait le moindre problème<br />

ça se saurait et vite". Mais pourquoi att<strong>en</strong>dre les problèmes pour se mettre au courant ?<br />

Surtout quand on passe la plupart du temps <strong>en</strong>semble : <strong>en</strong> tournée où ils ne peuv<strong>en</strong>t<br />

pratiquem<strong>en</strong>t pas se séparer et aussi <strong>en</strong> dehors, quand ils sont à Paris. La plupart ont une vie<br />

familiale, une femme, un <strong>en</strong>fant ; mais ils ne veul<strong>en</strong>t <strong>en</strong> aucun cas mélanger ces deux vies<br />

très différ<strong>en</strong>tes : "Une tournée c'est déjà dur comme ça, mais ça poserait <strong>en</strong>core plus de<br />

problèmes avec nos femmes ou copines".<br />

A Paris, les membres du groupe se retrouv<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t pour passer une soirée <strong>en</strong>semble,<br />

déconner, mais chacun a sa vie privée. "On se voit beaucoup, mais on vit chacun chez soi. On<br />

n'a pas l'état d'esprit des g<strong>en</strong>s qui viv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>semble, explique Clém<strong>en</strong>t Bailly. Notre<br />

communauté, c'est la musique. La plus belle manière qu'on ait de vivre <strong>en</strong>semble, c'est <strong>en</strong><br />

faisant de la musique. Quant aux détails : avoir des piaules les unes à côté des autres, c'est<br />

sans importance. D'autant plus qu'on vit six mois de l'année <strong>en</strong> tournée, donc les uns sur les<br />

autres et qu'on a donc besoin de décompresser".<br />

21 heures. Dans les coulisses, les musici<strong>en</strong>s s'impati<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t car Vander n'est toujours pas là.<br />

Le groupe Art Zoyd passe <strong>en</strong> première partie… Ils sont déjà sur scène.


Et puis tout s'arrange, Vander arrive, pr<strong>en</strong>d un bon quart d'heure pour régler sa batterie<br />

p<strong>en</strong>dant l'<strong>en</strong>tracte… et magma jette ses premières notes, les premiers fils de la toile que ce<br />

soir ils tisseront à la perfection. Et l'ambiance va monter dans la salle, <strong>en</strong>voûtée par la<br />

musique. Devant, ils sont déjà une cinquantaine à "danser". Et surtout cette impression qu'il<br />

se passe toujours quelque chose <strong>en</strong>tre le public et le groupe… même si au départ la musique<br />

ne m'accrochait pas tellem<strong>en</strong>t, à cause de son côté sérieux et gigantesque. L'impression que<br />

quelque chose d'incontrôlable me pr<strong>en</strong>d, nous pr<strong>en</strong>d.<br />

Ensuite, les rappels… et l'hébétem<strong>en</strong>t dans la salle quand les lumières se rallum<strong>en</strong>t.<br />

Propos recueillis par Arnaud.<br />

Antirouille n° 16 / 17 - Juin <strong>1977</strong><br />

L'Ars <strong>Magma</strong> - Interview Christian & Klaus - Le Sauvage n° 43 – Juillet<br />

L'Ars <strong>Magma</strong><br />

Ou comm<strong>en</strong>t porter à l'état de fusion la musique et l'utopie<br />

Antoine de Caunes interroge Christian Vander et Klaus Blasquiz, les deux démiurges de<br />

<strong>Magma</strong>.<br />

Et Moebius, ténor de la B.D., y a mis sa note.<br />

Ce fut un grand ménage dans le cosmos : <strong>en</strong> 1969, un groupe de musici<strong>en</strong>s - <strong>Magma</strong> -<br />

annonçait la naissance d'une planète nouvelle, Kobaïa, située par delà l'espace et l temps,<br />

<strong>en</strong>core inconnue du système solaire ou commercial. Les kobaï<strong>en</strong>s proclamai<strong>en</strong>t furieusem<strong>en</strong>t<br />

: "Terre, tes systèmes écras<strong>en</strong>t et tes révoltes assassin<strong>en</strong>t : <strong>en</strong> fait, tu ne détruis que ce que tu<br />

ne compr<strong>en</strong>ds pas. Nous savons que tu seras aussi détruite. Notre musique est pour la beauté<br />

que tu veux ignorer et pour la haine de ton évolution maudite… Que tous ceux qui étouff<strong>en</strong>t<br />

ici-bas nous suiv<strong>en</strong>t… Terre, tu n'es déjà plus qu'un oubli".<br />

Comme le déclare Christian Vander, leader du groupe : "Quand nous jouons, nous offrons<br />

notre cœur". Lors des concerts de <strong>Magma</strong>, nul ne peut rester ins<strong>en</strong>sible devant cette force qui<br />

submerge soudainem<strong>en</strong>t tout, dans un élan irrésistible, <strong>en</strong>traînant l'esprit et les s<strong>en</strong>s dans un<br />

courant barbare où la danse, le dérèglem<strong>en</strong>t et la transe ne font plus qu'un.<br />

Sur Kobaïa la vie s'écoule désormais dans le bonheur et la beauté, et sur terre, la lutte garde<br />

son int<strong>en</strong>sité première. Les deux démiurges, Christian Vander et Klaus Blasquiz, chant<strong>en</strong>t ici<br />

les délices de leur nouveau monde.<br />

<strong>Magma</strong> fusionne le discours et la musique. Du discours, on reti<strong>en</strong>t surtout le caractère<br />

utopique. Pourquoi avoir choisi l'Utopie ?<br />

CV : Je dirais que l'Utopie, ou du moins ce que l'on nomme tel, est née pour moi d'un long<br />

sil<strong>en</strong>ce. P<strong>en</strong>dant toute mon adolesc<strong>en</strong>ce, je n'ai pas dit un mot. J'écoutais les g<strong>en</strong>s mais je ne<br />

parlais pas, parce que je me s<strong>en</strong>tais complètem<strong>en</strong>t étranger à toutes leurs préoccupations. En<br />

fait, je ne savais pas si j'étais fou ou si c'était le monde qui l'était. Les politici<strong>en</strong>s discutai<strong>en</strong>t à<br />

longueur de temps, et les g<strong>en</strong>s discutai<strong>en</strong>t des discussions de politici<strong>en</strong>s. P<strong>en</strong>dant ce temps-là,<br />

les étoiles tournai<strong>en</strong>t impassibles, indiffér<strong>en</strong>tes à ce qui se passait sur terre. Dans la mesure<br />

où je savais que ce jeu ne durerait pas longtemps, et qu'il fallait changer le plus vite possible,


j'ai décidé de combattre, animé d'une haine énorme, ce que tous ces g<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t fait de la<br />

terre, avec une certitude absolue que l'on pouvait définir ainsi : l'âme humaine est<br />

omnisci<strong>en</strong>te et toute puissante. La seule chose que l'homme puisse faire pour elle, c'est<br />

détruire tous les obstacles qui veul<strong>en</strong>t s'opposer à son épanouissem<strong>en</strong>t.<br />

KB : Nous sommes profondém<strong>en</strong>t convaincus que l'humanité est <strong>en</strong> train de se détruire, et<br />

que l'on ne peut plus faire confiance aux hommes politiques. Il est évid<strong>en</strong>t que le seul combat<br />

véritablem<strong>en</strong>t révolutionnaire ne peut être que total et doit s'intéresser à la nature même de<br />

notre prés<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> ce monde. Tous les systèmes politiques s'effondreront tant que l'homme ne<br />

se sera pas modifié totalem<strong>en</strong>t. Or, les seuls <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts susceptibles de modifier l'être<br />

humain, de lui redonner la consci<strong>en</strong>ce d'une id<strong>en</strong>tité cosmique, se trouv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> général dans<br />

les écritures sacrées. Ce dont nous parlons, c'est plutôt d'une société des étoiles.<br />

Sans parler de mystique, il est clair que vous vous rattachez à une spiritualité. De quelle<br />

manière exactem<strong>en</strong>t ?<br />

KB : Nous avons foi dans la grande réalité, qui est la réalité <strong>en</strong>globant l'être <strong>en</strong> général, et<br />

dont nous ne percevons sur terre que l'appar<strong>en</strong>ce, le symbole. Cela pourrait se rattacher au<br />

mythe de la caverne de Platon. Le cerveau, que le matérialisme considère comme la clé de<br />

l'humanité, n'est pour nous qu'un intermédiaire fini, limité, inapte à appréh<strong>en</strong>der ce qui<br />

dépasse l'homme, l'univers, l'infini, c'est-à-dire ce que certains appell<strong>en</strong>t Dieu.<br />

Il faudrait peut-être éclaircir un peu ce terme de foi.<br />

CV : La foi, c'est la volonté, l'énergie. Si l'on est animé par la foi, l'énergie ne vi<strong>en</strong>t pas du<br />

moi. Si elle vi<strong>en</strong>t du moi, elle s'effrite avec le temps, et on s'épuise peu à peu. Les g<strong>en</strong>s qui<br />

veul<strong>en</strong>t détruire se fatigu<strong>en</strong>t. Il est plus facile d'être que de détruire, parce qu'il faut<br />

énormém<strong>en</strong>t plus d'énergie pour détruire que pour être. Quelqu'un qui est, s'il est animé par<br />

des forces gigantesques, on ne le dérange pas. Il faut partir du principe qu'on est au départ un<br />

récipi<strong>en</strong>t plein qui doit se vider pour accueillir les forces ess<strong>en</strong>tielles. Moins le moi parle,<br />

moins il y a de vulgarité, plus on peut parler d'absolu.<br />

Quelle vulgarité ?<br />

KB : Il ne faut pas se tromper sur les termes. On peut citer le principe de la nécessité<br />

intérieure de Kandinsky, composé de trois nécessités mystiques, progressives. 1) Chaque<br />

artiste, comme créateur, doit exprimer ce qui est propre à sa personne. 2) Chaque artiste<br />

comme <strong>en</strong>fant de son époque doit exprimer ce qui est propre à cette époque (l'élém<strong>en</strong>t de<br />

style dans la valeur intérieure). 3) Chaque artiste comme serviteur de l'art doit exprimer ce<br />

qui <strong>en</strong> général est propre à l'art (élém<strong>en</strong>t d'art pur et éternel qui n'obéit comme élém<strong>en</strong>t<br />

ess<strong>en</strong>tiel de l'art à aucune loi d'espace ni de temps). Il est évid<strong>en</strong>t que c'est la prépondérance<br />

du troisième élém<strong>en</strong>t dans une oeuvre qui est l'indice de la grandeur de cette oeuvre, et de la<br />

grandeur de l'artiste.<br />

Quand on vous voit sur scène à la batterie, on a l'impression d'une lutte sans merci<br />

<strong>en</strong>tre l'instrum<strong>en</strong>t et vous, même d'une relation de complicité et de t<strong>en</strong>dresse.<br />

CV : Quand <strong>Magma</strong> est né, <strong>en</strong> 69, je considérais que les g<strong>en</strong>s qui v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t aux concerts (nous<br />

jouions surtout dans des clubs) étai<strong>en</strong>t des <strong>en</strong>nemis. Ils écoutai<strong>en</strong>t un peu, bavardai<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

buvant et je savais que c'était à cause de g<strong>en</strong>s comme eux que Coltrane était mort. A chaque<br />

fois que je donnais un coup sur une cymbale, j'y mettais la même puissance que s'il était agi<br />

de tuer quelqu'un. J'ai mis du temps à compr<strong>en</strong>dre que les g<strong>en</strong>s v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t finalem<strong>en</strong>t pour<br />

nous écouter. Je gardais la même énergie, mais l'idée avait changé. Je ne voulais plus me<br />

battre contre eux, mais avec eux. J'ai toujours joué jusqu'à l'épuisem<strong>en</strong>t. J'essaie de donner


l'énergie aux g<strong>en</strong>s pour qu'eux aussi ai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vie d'<strong>en</strong> donner à leur tour. La batterie est un<br />

prolongem<strong>en</strong>t de moi-même, un fil conducteur, avec qui j'ai des relations de force, de<br />

t<strong>en</strong>dresse et d'humour <strong>en</strong> même temps. Je sais qu'elle att<strong>en</strong>d ça, qu'elle sait faire preuve de<br />

douceur et d'agressivité mais qu'elle ne veut pas d'un comportem<strong>en</strong>t précieux. On nous a<br />

souv<strong>en</strong>t reproché la longueur des morceaux, l'invariabilité du tempo. Si nous jouons des<br />

phrases très longues, très étirées, c'est parce que, <strong>en</strong>tre autres raisons, je devi<strong>en</strong>s, après un<br />

certain temps, une machine possédée, hypnotisée.<br />

Quels sont les compositeurs qui vous ont influ<strong>en</strong>cé ?<br />

CV : Beaucoup de monde ! Je crois que le plus important de tous, c'est Stravinsky.<br />

Egalem<strong>en</strong>t Bartok, P<strong>en</strong>derecki, Messia<strong>en</strong> et certains passages de Carl Orff, bi<strong>en</strong> que<br />

l'<strong>en</strong>semble de son oeuvre soit relativem<strong>en</strong>t pauvre, d'un point de vue rythmique.<br />

De quelle manière composez-vous ?<br />

CV : Généralem<strong>en</strong>t, une composition me pr<strong>en</strong>d beaucoup de temps, souv<strong>en</strong>t plusieurs mois.<br />

Si je passe une journée assis devant un piano, le véritable mom<strong>en</strong>t privilégié où je me mets à<br />

écrire est rare. Par contre, dans ce mom<strong>en</strong>t-là, je me s<strong>en</strong>s complètem<strong>en</strong>t habité, comme si des<br />

forces me poussai<strong>en</strong>t à extérioriser la musique. La musique m'est souv<strong>en</strong>t inspirée <strong>en</strong> rêve par<br />

un personnage qui apparaît <strong>en</strong> la chantant, ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> s'exprimant par poèmes. J'ai transcrit<br />

plusieurs morceaux de cette manière, <strong>en</strong> me levant aussitôt, au milieu de la nuit. Les lignes<br />

mélodiques et les chants sont écrits, et nous travaillons <strong>en</strong>suite <strong>en</strong> groupe, <strong>en</strong> améliorant la<br />

partition.<br />

Un des thèmes majeurs de l'inspiration de <strong>Magma</strong>, c'est l'énergie. Vos concerts sont<br />

d'ailleurs de véritables décharges frappant les spectateurs.<br />

CV : Cette énergie, nous l'avons située symboliquem<strong>en</strong>t quelque part dans l'univers, sous la<br />

forme d'un être qui compr<strong>en</strong>d tous les espaces, toutes les dim<strong>en</strong>sions et que nous nommons<br />

<strong>en</strong> kobaï<strong>en</strong>, notre propre langue, Kreuhn Köhrmahn. Métaphoriquem<strong>en</strong>t, cet être représ<strong>en</strong>te<br />

l'homme parfait. Nous nous sommes aperçus qu'il était impossible de faire tourner notre tête<br />

de plus de 180°, alors qu'il devait être possible de la contrôler totalem<strong>en</strong>t, grâce à l'esprit.<br />

Quand on est ouvert à cette énergie, et qu'on arrive à <strong>en</strong> capter quelques poussières, on pr<strong>en</strong>d<br />

consci<strong>en</strong>ce de l'exist<strong>en</strong>ce de deux êtres <strong>en</strong> soi : celui qui vit sur terre et qui peut se passionner<br />

pour certaines choses ; et l'autre qui sait <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce que tout cela n'est ri<strong>en</strong>. Si tous les<br />

g<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t cette perception, il n'y aurait plus de problèmes, on passerait à travers les murs.<br />

J'écris actuellem<strong>en</strong>t un livre dont le titre est : "La mer se jette dans la Seine".<br />

<strong>Magma</strong>, dans son discours, fait des référ<strong>en</strong>ces constantes à l'Egypte anci<strong>en</strong>ne et à la<br />

sci<strong>en</strong>ce-fiction. Pourquoi un tel bond dans le temps ?<br />

KB : Nous croyons <strong>en</strong> un monde intemporel. Les Egypti<strong>en</strong>s p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t ainsi qu'il n'y avait que<br />

des "r<strong>en</strong>vois" : ils ne croyai<strong>en</strong>t pas au développem<strong>en</strong>t et au progrès. Christian et moi, nous<br />

avons été fortem<strong>en</strong>t influ<strong>en</strong>cés par l'Egypte. Christian voulait être égyptologue, de mon côté,<br />

je me suis intéressé à cette civilisation quand j'étudiais l'histoire de l'Art, aux Arts Appliqués.<br />

Pour les Egypti<strong>en</strong>s, l'homme se posait <strong>en</strong> miroir de l'univers, <strong>en</strong> même temps qu'<strong>en</strong> symbole.<br />

Microcosme à l'intérieur du macrocosme, chaque erreur qu'il commettait par rapport à cette<br />

harmonie <strong>en</strong>traînait des conséqu<strong>en</strong>ces désastreuses. Les Egypti<strong>en</strong>s construisai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> fonction<br />

des principes de l'harmonie divine et des rapports sacrés, qui sont des règles mathématiques<br />

et géométriques. Ces lois d'harmonie permett<strong>en</strong>t d'établir des canevas parfaitem<strong>en</strong>t équilibrés<br />

<strong>en</strong> même temps qu'un code de lecture intemporel et universel. La tradition occid<strong>en</strong>tale a<br />

respecté ces lois dans sa magie, son alchimie et son architecture. Le Grand Oeuvre, les<br />

cathédrales, sont parmi les meilleurs exemples de cet héritage technique et spirituel. Les


âtisseurs de cathédrales savai<strong>en</strong>t que sans le nombre d'or, on ne construit pas de choses<br />

parfaites.<br />

Qu'est-ce que ce nombre d'or ?<br />

KB : Pour les géomètres, le nombre d'or correspond au partage d'une droite <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne et<br />

extrême raison, c'est-à-dire que la plus petite partie d'une ligne obéit au même rapport à la<br />

plus grande que la plus grande au tout. Mais surtout, comme le disait Valéry, le nombre d'or,<br />

"c'est l'équilibre <strong>en</strong>tre le savoir, le s<strong>en</strong>tir et le pouvoir".<br />

Et la sci<strong>en</strong>ce-fiction ?<br />

CV : J'aimerais qu'on élimine ce terme qui correspond pour moi à un blocage. Il me semble<br />

réducteur par rapport à ce qu'il représ<strong>en</strong>te, c'est-à-dire un nouveau monde de l'imaginaire.<br />

KB : D'ailleurs, le nom américain original, "heroic fantasy", convi<strong>en</strong>t mieux. Pour nous, la<br />

sci<strong>en</strong>ce fiction est une utopie romanesque qui s'étale du g<strong>en</strong>re fantastique à la politique<br />

fiction. Ce qui est certain, c'est que ces romans se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t le plus souv<strong>en</strong>t sous forme de<br />

paraboles. Si nous l'avons utilisé, c'est uniquem<strong>en</strong>t dans cet esprit-là. Il fallait qu'on marque<br />

nos idées symboliquem<strong>en</strong>t afin d'avoir des garde-fous.<br />

A propos de symboles, le spectacle de <strong>Magma</strong> <strong>en</strong> est manifestem<strong>en</strong>t rempli, des gestes<br />

aux objets. Quelle <strong>en</strong> est la raison ?<br />

CV : Je ne connais pas de domaines qui soi<strong>en</strong>t exempts de symboles. En ce qui nous<br />

concerne, les symboles mobilis<strong>en</strong>t d'une certaine manière l'énergie qu'ils mainti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

cond<strong>en</strong>sée. C'est sans doute un recours à une forme de magie utile à la fois pour nous-mêmes<br />

et pour le public dans la mesure où on lui demande une recherche. Par exemple, lorsque je<br />

fais le geste d'Osiris mort (bras croisés t<strong>en</strong>ant deux baguettes se croisant à leur tour, puis bras<br />

ouverts), je déclare par là : je sors du sommeil pour am<strong>en</strong>er une dynamique, du néant à<br />

l'action. C'est le signal du décl<strong>en</strong>chem<strong>en</strong>t d'une action musicale ou autre. Cela représ<strong>en</strong>te le<br />

mom<strong>en</strong>t où les forces r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moi et où je les libère. A ce mom<strong>en</strong>t-là, ri<strong>en</strong> ne peut plus<br />

arrêter la machine. Ri<strong>en</strong> !<br />

Vous avez créé une langue autonome, dont le linguiste H<strong>en</strong>ri Gobard a bi<strong>en</strong> voulu<br />

souligner les aspects remarquables. Pourquoi un nouveau langage ?<br />

CV : Avant tout pour éviter les langues courantes usées, et connotées à l'extrême. "Mon<br />

esprit ne veut plus marcher sur des semelles usées", dit Nietzsche. Mais surtout parce que ce<br />

langage - le kobaï<strong>en</strong> - s'est imposé à moi avec viol<strong>en</strong>ce, sans que je puisse interv<strong>en</strong>ir. Aux<br />

mom<strong>en</strong>ts les plus t<strong>en</strong>dus de la musique ou des rêves, des mots apparaissai<strong>en</strong>t, dont je mettais<br />

parfois plusieurs mois à découvrir le s<strong>en</strong>s. Or, si ce langage m'était "donné", je devais<br />

l'accepter, et j'ai composé peu à peu une syntaxe et une grammaire qui <strong>en</strong> font une langue<br />

parfaitem<strong>en</strong>t articulée. De plus, il était logique qu'avec la découverte d'un monde nouveau,<br />

naisse la révélation d'une langue. Pratiquem<strong>en</strong>t, le kobaï<strong>en</strong>, comme le fut le latin, a l'avantage<br />

d'être une langue mythique. Même si l'Eglise utilisait l'incompréh<strong>en</strong>sion des fidèles pour<br />

servir ses intérêts, il reste que le latin avait un aspect sacré puisqu'on ne l'utilisait plus qu'à<br />

des fins rituelles. Je p<strong>en</strong>se qu'on ne peut conserver le caractère sacré d'une langue qu'<strong>en</strong><br />

l'utilisant à des fins rituelles. Le kobaï<strong>en</strong> n'est pas une langue destinée à être employée<br />

couramm<strong>en</strong>t.<br />

KB : La récitation des textes sacrés est égalem<strong>en</strong>t conçue pour créer un climat de réceptivité<br />

et de transmission. La musique des mots et l'int<strong>en</strong>sité qu'on y met ont autant d'importance<br />

que la sémantique. Sans vouloir faire trop de citations, j'aimerais citer ici quelques vers de


Shakespeare :<br />

"L'homme qui ne possède pas la musique <strong>en</strong> lui-même,<br />

Celui que n'émeut pas l'harmonie suave des sons<br />

Est mûr pour la trahison, le vol, la perfidie.<br />

Son intellig<strong>en</strong>ce est morne comme la nuit,<br />

Ses aspirations sombres comme l'Erèbe.<br />

Défie-toi d'un tel homme ! Ecoute la musique".<br />

Propos recueillis par Antoine de Caunes<br />

Le Sauvage n° 43 - Juillet <strong>1977</strong><br />

<strong>Magma</strong> - Hippodrome de Paris - Rock & Folk n° 126 – Juillet<br />

MAGMA<br />

Hippodrome de Paris (14 mai)<br />

Plan I : une impressionnante somme de matériel ; batteries, percussions, pianos,<br />

synthétiseurs, micros ; comme une image surréelle, baignée de mauve. Terrifiante<br />

mécanique; cymbales luisantes, désordre de câbles et d'électricité.<br />

Plan II : Blasquiz / Raspoutine élève les bras et la voix ; de sombres ruisseaux se mêl<strong>en</strong>t à<br />

ses cris ; trois choristes de blanc vêtus ; messe moy<strong>en</strong>âgeuse ; de gigantesques masques de<br />

démons apparaiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> un éclair de lumière, ça et là dans la salle pétrifiée, att<strong>en</strong>tive.<br />

Plan III : Guy de Lacroix danse. Chaque note de basse, étirée, glissée, personnalisée, est un<br />

pas. Deux heures durant il dansera, le seul peut-être dans le <strong>Magma</strong> actuel qui soit t<strong>en</strong>té par<br />

le swing... A ses côtés, B<strong>en</strong>oît Wiedeman lance comme des étoiles dans la nuit très noire et<br />

très secrète.<br />

Plan IV : Vander abat ses baguettes sur les toms. Un coup de poing et il se fige, sphinx, ses<br />

yeux fixant chacun des cinq mille regards du public. Christian et Clém<strong>en</strong>t Bailly s'échang<strong>en</strong>t<br />

les parties de batterie. Bailly tourne les rythmes, Vander intervi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> orages brusques. Il<br />

parle <strong>en</strong> termes de puissance, de révolte aussi contre un ordre qu'il aurait lui-même établi.<br />

Plan V : alors que les feux d'artifice éclat<strong>en</strong>t, une acrobate sur son trapèze traverse le ciel. Le<br />

groupe joue très fort ; peut-être trop fort, et cela gomme un peu la dynamique musicale. Mais<br />

<strong>Magma</strong> fut-il jamais autre chose qu'une impitoyable machine à décerveler ? Il y a<br />

probablem<strong>en</strong>t un mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du <strong>Magma</strong>. Peut-être vi<strong>en</strong>t-il de cette volonté d'atteindre le<br />

Surhumain, de se hisser plus haut que la misère des jours, peut-être cela vi<strong>en</strong>t-il de ce que sa<br />

force a d'effrayant lorsqu'elle se libère. Qu'importe les morceaux qu'ils jouèr<strong>en</strong>t. Un fait est là<br />

: ce que <strong>Magma</strong> donne, il est le seul a <strong>en</strong> dét<strong>en</strong>ir la formule. Et cela restera, comme le<br />

souv<strong>en</strong>ir de cet extraordinaire concert / spectacle.<br />

P. C.<br />

Rock & Folk n°126 - Juillet <strong>1977</strong>


Faton (interview François Cah<strong>en</strong>) - Rock & Folk n° 126 – Juillet<br />

FATON<br />

François Cah<strong>en</strong>, dit Faton, suit son bonhomme de chemin sans faire beaucoup de bruit, sans<br />

se pousser du col. C'est qu'avant de faire de la musique pour lui-même, il <strong>en</strong> a fait pour les<br />

autres. Nuance.<br />

"Les g<strong>en</strong>s m'appell<strong>en</strong>t Faton. Jusqu 'à prés<strong>en</strong>t ils m'ont <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du avec d'autres, dans des<br />

groupes. Maint<strong>en</strong>ant, je vais <strong>en</strong>fin pouvoir jouer ma musique. L'idée de ce qu'elle sera est très<br />

précise. Ma direction, c'est l'anti-agression."<br />

Dans son appartem<strong>en</strong>t du quatorzième arrondissem<strong>en</strong>t, quartier charmant, François Cah<strong>en</strong> a<br />

l'air d'un Dyonisos tranquille. Dehors, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d les oiseaux chanter. Tout est calme et<br />

douceur. Mais comm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> est-il arrivé là ? Alors, Faton, raconte...<br />

"Ma mère est professeur de musique, mon grand-père professeur de piano et de chant, et son<br />

père était chef d'orchestre. J'avais la stéréo dans mon berceau. J'ai comm<strong>en</strong>cé mes études de<br />

piano à cinq ans, études classiques, traditionnelles, mais vers treize ans j'ai découvert le jazz<br />

moderne, Miles Davis, les Jazz Mess<strong>en</strong>gers et Thelonious Monk. Ça m'a donné <strong>en</strong>vie<br />

d'improviser. Jusqu'au bac j'ai donc fait le bœuf à Paris avec des musici<strong>en</strong>s américains de<br />

passage : Chet Baker, Eric Dolphy... Je me baladais beaucoup <strong>en</strong> Europe, <strong>en</strong> Allemagne, <strong>en</strong><br />

Scandinavie, mais le milieu du jazz était très dur à cette époque.<br />

Michel Bourre - Pourquoi très dur ?<br />

François Cah<strong>en</strong> - Parce que drogues dures, exist<strong>en</strong>ce dure, conditions matérielles pas drôles<br />

du tout. Tu compr<strong>en</strong>ds, j'ai joué avec Eric Dolphy à Paris. Il est mort une semaine après à<br />

Berlin. J'avais dix-sept ans, c'était <strong>en</strong> 1964, tu vois l'ambiance...<br />

Après, je suis donc parti <strong>en</strong> Scandinavie, où il avait été vaguem<strong>en</strong>t question que je joue avec<br />

Stan Getz. En rev<strong>en</strong>ant à Paris j'avais un sursis militaire que je n'avais pas demandé, ce qui<br />

m'a décidé à comm<strong>en</strong>cer des études d'architecture aux Beaux Arts. Parallèlem<strong>en</strong>t je<br />

continuais à faire de la musique, mais <strong>en</strong> amateur ; je jouais au C<strong>en</strong>tre Américain, dans ce<br />

g<strong>en</strong>re d'<strong>en</strong>droits. C'était l'époque de la révélation Coltrane... Ca a beaucoup compté, lui et<br />

toute l'école qui s'<strong>en</strong> est suivie, ainsi que Miles Davis. Et il y a eu mai 68, alors que je<br />

terminais mes études.<br />

M.B. - Cela a été très important pour toi, mai 68 ?<br />

F.C. - Ah oui, vraim<strong>en</strong>t ! C'était <strong>en</strong> rupture complète avec le mode de vie que j'avais avant.<br />

Et puis j'étais au cœur des événem<strong>en</strong>ts... Beaucoup de choses sont parties des Beaux Arts.<br />

J'étais très agissant. Et après les vacances de 68, quand la question s'est posée de savoir si<br />

j'allais me servir de mes diplômes et exercer le métier d'architecte, je me suis aperçu que ce<br />

n'était plus possible. J'ai donc décidé de m'ori<strong>en</strong>ter vraim<strong>en</strong>t vers la musique qui me<br />

passionnait. A ce mom<strong>en</strong>t-là, j'ai été contacté par un ami bassiste, Jacky Vidal, pour faire un<br />

concert avec Gracham Moncur III, un tromboniste américain. Et le batteur était Christian<br />

Vander qui, bi<strong>en</strong> que complètem<strong>en</strong>t inconnu à l'époque, avait déjà acquis sa personnalité, son<br />

style à lui. Je crois que c'est la chose la plus importante pour un musici<strong>en</strong>, de développer son<br />

propre style. Le concert s'est très bi<strong>en</strong> passé et les projets de Christian m'ont beaucoup<br />

intéressé. A l'époque il y avait peu de g<strong>en</strong>s qui s'intéressai<strong>en</strong>t à l'école de musique issue de


Miles Davis, juste après "In A Sil<strong>en</strong>t Way", des thèmes comme le "Maid<strong>en</strong> Voyage"<br />

d'Hancock ; on était deux de ceux-là.<br />

MAGMA<br />

M.B. - Christian avait-il déjà <strong>en</strong> tête l'idée de <strong>Magma</strong> ?<br />

F.C. - Une idée très précise, oui... Il cherchait les g<strong>en</strong>s, et c'est à la suite de cette r<strong>en</strong>contre<br />

que le premier <strong>Magma</strong> a été mis sur pied. Christian avait am<strong>en</strong>é Francis Moze, Claude Engel<br />

et Klaus Blasquiz, et moi j'ai am<strong>en</strong>é Teddy Lasry et plus tard Jeff Seffer. A ce mom<strong>en</strong>t<br />

Christian était un membre du groupe comme les autres, et c'est resté comme ça jusqu'à la<br />

première scission dans <strong>Magma</strong>, qui a eu lieu justem<strong>en</strong>t quand on s'est aperçu qu'une<br />

ori<strong>en</strong>tation très particulière se dessinait autour du personnage scénique de Christian Vander.<br />

M.B. - Qui était responsable de cette ori<strong>en</strong>tation ? La presse, le public, ou Christian luimême<br />

?<br />

F.C. - P<strong>en</strong>dant les trois premières années, ni le public ni la presse n'ont particulièrem<strong>en</strong>t mis<br />

Christian <strong>en</strong> avant. C'était un groupe avec un réel travail collectif. Christian était le principal<br />

compositeur, mais il acceptait tout à fait les apports des autres musici<strong>en</strong>s, il était très cont<strong>en</strong>t<br />

que quelqu'un fasse des propositions de riffs ou écrive des arrangem<strong>en</strong>ts de cuivres, ce que<br />

j'ai fait pour la première version de "Mekanïk". Alors comm<strong>en</strong>t <strong>Magma</strong> est dev<strong>en</strong>u la chose<br />

de Christian, je ne sais pas exactem<strong>en</strong>t... D'abord lui <strong>en</strong> avait <strong>en</strong>vie, c'est sûr. Ensuite Giorgo<br />

Gomelsky a visiblem<strong>en</strong>t travaillé aussi dans ce s<strong>en</strong>s-là. C'est moi qui étais allé le chercher<br />

pour manager <strong>Magma</strong>, après avoir lu un truc sur lui dans R & F où il parlait des Stones, des<br />

Yardbirds, etc. Je m'étais dit : c'est ce mec-là qu'il nous faut. On a eu un contact fabuleux<br />

p<strong>en</strong>dant un an, et après j'<strong>en</strong> ai eu marre du personnage de Giorgo, plus ri<strong>en</strong> de ce qu'il disait<br />

ne me surpr<strong>en</strong>ait. Il s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait très mal avec Francis Moze, à la fin très mal avec moi, et il<br />

s'est arrangé pour qu'on s'<strong>en</strong> aille...<br />

M.B. - Tu es resté jusqu'au second album ?<br />

F.C. - Ç'est ça : j'ai fait le double-album, qui est <strong>en</strong>core mon préféré, et "1001° C<strong>en</strong>tigrades",<br />

plus la version de " Mekanïk " qui est sortie <strong>en</strong> 45 tours. Je suis resté trois ans avec <strong>Magma</strong>,<br />

et peu à peu le malaise s'est alourdi. Je crois que tous les g<strong>en</strong>s qui ont pu approcher <strong>Magma</strong><br />

de près ou de loin ont ress<strong>en</strong>ti ce malaise, c'est-à-dire une situation jamais très claire au<br />

niveau des rapports humains. Alors j'<strong>en</strong> ai eu marre, et on est tous partis <strong>en</strong> même temps,<br />

Francis, Jeff et moi, après le discours de Giorgo à Chateauvallon. Là c'était trop,<br />

inadmissible, à la limite même fascisant. On ne pouvait plus supporter...<br />

M.B. - Et donc après, Zao... Quelles différ<strong>en</strong>ces principales vois-tu <strong>en</strong>tre les deux<br />

groupes ?<br />

F.C. - J'ai quitté <strong>Magma</strong> <strong>en</strong> octobre. Zao existait <strong>en</strong> janvier. En plus de Jeff et moi, il y avait<br />

Jean- My Truong, qui jouait déjà de la batterie dans Perception, le groupe de jazz de Jeff. A<br />

la basse Joël Dugr<strong>en</strong>ot, au violon Jean-Yves Rigaud, et Mauricia Platon la vocaliste. La<br />

musique était déjà ori<strong>en</strong>tée dans un s<strong>en</strong>s moins agressif que celle de <strong>Magma</strong>, avec beaucoup<br />

plus d'improvisation...<br />

M.B. - Le côté agressif de <strong>Magma</strong>, c'est Christian ?<br />

F.C. - Oui, bi<strong>en</strong> sûr. Et c'est d'ailleurs la chose principale dont je veux parler. Le passage<br />

dans <strong>Magma</strong>, c'est une partie de ma formation, mais ce n'est ni plus ni moins important que<br />

tout ce qui a pu se passer avant ou après ; c'est un élém<strong>en</strong>t d'un cycle de progression. Je<br />

respecte Christian <strong>en</strong> tant que musici<strong>en</strong>. Il a des problèmes d'égo, et il n'est pas le seul. Je ne


crois pas qu'il les surmontera ; ceci dit, c'est une force pour sa propre musique. Mais moi, ce<br />

n'est plus mon truc, je ne veux plus ni cinéma, ni agression, je veux développer des voies<br />

complètem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tes.<br />

M.B. - Lesquelles ?<br />

F.C. - Faire une musique foncièrem<strong>en</strong>t anti-agressive, que les g<strong>en</strong>s puiss<strong>en</strong>t aimer sans avoir<br />

de formation musicale. Mettre ma sci<strong>en</strong>ce musicale non pas au service des musici<strong>en</strong>s ou<br />

d'une soi-disant élite, mais au service des g<strong>en</strong>s. Le musici<strong>en</strong> doit être le médium <strong>en</strong>tre les<br />

vibrations qui sont dans l'air et les g<strong>en</strong>s qui doiv<strong>en</strong>t les recevoir. Je crois que de plus <strong>en</strong> plus<br />

et partout des musici<strong>en</strong>s travaill<strong>en</strong>t suivant cette conception. En plus, le public change : il<br />

grandit <strong>en</strong> nombre et il veut v<strong>en</strong>ir à une fête, pas assister à une démonstration.<br />

ZAO<br />

M.B. - Alors, Zao, raconte...<br />

F.C. - Il y avait <strong>en</strong>core une certaine forme d'agressivité dans Zao. Ca v<strong>en</strong>ait du tempéram<strong>en</strong>t<br />

hongrois de Jeff Seffer, très lyrique et très dur. Moi, je n'ai pas ça dans la vie... Alors disons<br />

que Jeff m'a apporté une plus grande rigueur musicale, et moi sans doute un adoucissem<strong>en</strong>t<br />

de son caractère naturel. Entre <strong>Magma</strong> et Zao, j'ai travaillé sept ans avec lui. Je ne regrette<br />

absolum<strong>en</strong>t pas cette expéri<strong>en</strong>ce, mais elle ne correspond plus ni à ce que moi je veux faire,<br />

ni à ce que lui veut faire. Il a monté son propre groupe et joue avec le quatuor Margand.<br />

M.B. - Zao aussi a joué avec le quatuor Margand.<br />

F.C. - Oui. Musicalem<strong>en</strong>t, c'était une expéri<strong>en</strong>ce fantastique. Il est très rare que des g<strong>en</strong>s du<br />

milieu classique se mouill<strong>en</strong>t ainsi pour une musique qu'ils aim<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t, répèt<strong>en</strong>t, etc.<br />

Elles étai<strong>en</strong>t toutes les quatre remarquables. On a fait une dizaine de concerts avec elles, mais<br />

financièrem<strong>en</strong>t ça ne pouvait pas durer longtemps... Déplacer douze personnes pour chaque<br />

concert, c'était trop cher, trop lourd.<br />

M.B. - Pourquoi Didier Lockwood est-il parti si vite de Zao ?<br />

F.C. - Tout simplem<strong>en</strong>t parce qu'il voulait ori<strong>en</strong>ter la musique de Zao dans une direction que<br />

je n'avais pas <strong>en</strong>vie de pr<strong>en</strong>dre. Comme d'autre part je voyais que Jean-My avait à peu près<br />

les mêmes aspirations, je leur ai vivem<strong>en</strong>t conseillé de monter leur truc <strong>en</strong>semble, au lieu<br />

d'utiliser une structure dans laquelle je ne me s<strong>en</strong>tirais pas à l'aise. Ca s'est très bi<strong>en</strong> passé<br />

d'ailleurs, mais ça me permet de parler du fonctionnem<strong>en</strong>t des groupes : un groupe ça se<br />

sépare, ça se reforme, et à chaque fois il faut tout recomm<strong>en</strong>cer, à cause des nouveaux<br />

musici<strong>en</strong>s ; c'est bi<strong>en</strong> sûr un <strong>en</strong>richissem<strong>en</strong>t musical, à cause des différ<strong>en</strong>ces de personnalité,<br />

mais c'est aussi beaucoup de pertes de temps et d'énergie. J'<strong>en</strong> suis un peu rev<strong>en</strong>u, et je crois<br />

finalem<strong>en</strong>t que tout se passe autour d'une individualité : tu proposes une musique et tu<br />

trouves les g<strong>en</strong>s que ça intéresse ; mais je n'ai plus aucune <strong>en</strong>vie de jouer la musique des<br />

autres, c'est la mi<strong>en</strong>ne que je ress<strong>en</strong>s le mieux. Un individu, ça ne se dissout pas. Encore fautil<br />

que les choses soi<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>tées clairem<strong>en</strong>t : Christian Vander est <strong>Magma</strong>, Jeff Seffer fait<br />

son truc et je vais faire le mi<strong>en</strong>...<br />

M.B. - Et Surya, c'est Didier Lockwood ?<br />

F.C. - Je ne sais pas, je ne les ai pas <strong>en</strong>core écoutés. Mais je ti<strong>en</strong>s à dire que Didier dans Zao<br />

a très bi<strong>en</strong> joué la musique qu'on lui a demandé de jouer. C'est un musici<strong>en</strong> fantastique. Je ne<br />

me fais pas de soucis pour lui, il sera connu tôt ou tard. La seule chose qui lui manque,<br />

musicalem<strong>en</strong>t, c'est une certaine maturité : il touche à tout, mais à vingt ans, il a tout le<br />

temps...


DUO<br />

M.B. - Vous êtes passés <strong>en</strong>semble récemm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> première partie de Shakti, au théâtre<br />

des Champs-Elysées. Le deuxième soir, c'était nettem<strong>en</strong>t meilleur que le premier...<br />

F.C. - C'est sûr, le premier jour on ne s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait pas. On va sortir un disque <strong>en</strong>semble <strong>en</strong> se<br />

servant de divers matériels : d'abord un concert qu'on a donné tous les deux au Moulin de<br />

Bresne / Drosne, un <strong>en</strong>droit fabuleux t<strong>en</strong>u par un des anci<strong>en</strong>s du Café de la Gare, Jacky<br />

Barbier. C'est chez lui que Didier et moi avons comm<strong>en</strong>cé à jouer seuls, violons et claviers<br />

sans rythmique. On va se servir de cette bande, de celle du concert des Champs-Elysées, et<br />

puis on va <strong>en</strong>registrer quelques morceaux <strong>en</strong> studio, dont deux très courts, un où je suis seul<br />

aux claviers et un où Didier est seul au violon, avec plein de re-recordings.<br />

M.B. - Tu as aimé Shakti ?<br />

F.C. - C'est merveilleux, parfait, ri<strong>en</strong> à jeter et ri<strong>en</strong> à ajouter. En plus c'est une démonstration<br />

très claire comme quoi la musique se passe des frontières et des étiquettes...<br />

M. B. - Qu'écoutes-tu <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t ?<br />

F.C. - J'écoute surtout Weather Report. Je trouve le dernier un petit peu moins bi<strong>en</strong> que<br />

"Black Market", il n'y a pas la même étincelle rythmique et je ne crois pas qu'Acuna soit un<br />

grand batteur. Mais de toute façon, pour moi ils jou<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t LA musique. J'aime aussi<br />

beaucoup le dernier disque d'Eberhart Weber avec Charlie Mariano. C'est un très beau disque<br />

de jazz...<br />

M.B. - Les disques E.C.M. sont tous beaux...<br />

F.C. - C'est vrai. On peut leur reprocher un côté très esthète, très élitiste, mais c'est sûrem<strong>en</strong>t<br />

la meilleure maison de disques du monde, aussi bi<strong>en</strong> pour la qualité de la musique que celle<br />

de l'<strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>t et de la production. Et il n'y a ri<strong>en</strong> de mauvais dans leur catalogue.<br />

M.B. - Stevie Wonder ?<br />

F.C. - C'est fabuleux. Je préfère "Innervisions" au dernier album, qui est un peu trop léché à<br />

mon goût. Mais Stevie Wonder est un très grand musici<strong>en</strong>. A part ça, j'écoute de la musique<br />

traditionnelle d'Afrique, du Brésil, de partout ; j'aime bi<strong>en</strong> le disque de Robert Wyatt avec<br />

Terje Rypdal et Jack De Johnette, le "Native Dancer", de Wayne Shorter et Milton<br />

Nascim<strong>en</strong>to. J'ai été influ<strong>en</strong>cé aussi par des g<strong>en</strong>s comme Terry Riley, Phil Glass...<br />

M.B. - Et les synthés teutons ?<br />

F.C. - Je n'aime pas du tout. Je trouve ça creux, et les sonorités ne m'ont jamais surpris. Je<br />

préfère Astor Piazzola. Employer une recette, un son, ce n'est pas suffisant. Il faut avoir<br />

quelque chose à dire ou à faire passer. La musique doit être une libération des g<strong>en</strong>s qui la<br />

font et de ceux qui l'écout<strong>en</strong>t. Et ça tout le monde, et surtout dans le "métier", doit <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre<br />

consci<strong>en</strong>ce. C'est un phénomène qui a comm<strong>en</strong>cé avec les Beatles et qui ne s'arrêtera pas,<br />

quoique les g<strong>en</strong>s fass<strong>en</strong>t contre. Ce qui se passe dans les concerts, autour de la musique, ne se<br />

passe pratiquem<strong>en</strong>t qu'autour de ça. Il y a une communication <strong>en</strong>tre les g<strong>en</strong>s qu'on ne<br />

retrouve jamais dans une exposition de sculpture ou dans une salle de cinéma...<br />

LIBERTE<br />

M.B. - Tu es pour la légalisation de la marijuana ?<br />

F.C. - Je suis pour la légalisation de tout, pour une société absolum<strong>en</strong>t libre. Et je p<strong>en</strong>se que<br />

ce qui est très grave c'est l'exist<strong>en</strong>ce même d'un pouvoir, et à tous les niveaux : famille,


couple, usine, école, etc. Je suis contre le pouvoir, contre les g<strong>en</strong>s qui l'exerc<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>t<br />

et contre ceux qui ont <strong>en</strong>vie de le pr<strong>en</strong>dre. C'est pour cela que je n'ai aucune confiance, ni<br />

dans des démarches psychologiques dans le g<strong>en</strong>re de celle de Christian, ni dans les partis de<br />

gauche. Je souhaite que la gauche gagne les élections, parce que mon cœur va comme on dit<br />

du côté des "forces du progrès". Mais c'est loin d'être un chèque <strong>en</strong> blanc. Je ne leur fais pas<br />

confiance. Ici on a la chance qu'un certain équilibre existe, au point que ni la gauche ni la<br />

droite ne peuv<strong>en</strong>t plus agir, ce qui permet à des individus comme nous d'exister et de vivre <strong>en</strong><br />

ignorant pratiquem<strong>en</strong>t ce pouvoir. Ce qui n'est pas du tout le cas dans les <strong>en</strong>droits où la<br />

gauche ou la droite a vraim<strong>en</strong>t pris ce pouvoir. Là, les créateurs dont <strong>en</strong> taule.<br />

M. B. - Et si cette sombre perspective se réalisait un jour ici ?<br />

F.C. - J'espère ne jamais être confronté à ça, mais si ça arrivait, il faudrait quand même qu'on<br />

vi<strong>en</strong>ne me chercher, et je ne suis pas sûr de me laisser faire. Il y a toujours la possibilité de<br />

réagir violemm<strong>en</strong>t. Ce n'est pas quelque chose qui m'effraie.<br />

M.B. - Tu ne partirais pas à Bali ?<br />

F.C. - Non, sûrem<strong>en</strong>t pas... Peut-être <strong>en</strong> Angleterre...<br />

M.B. - Pour parler à la radio ?<br />

F.C. - (se moquant) C'est ça... oui. Mais je ne suis pas vraim<strong>en</strong>t un politici<strong>en</strong>. Je trouve que la<br />

forme de rapport qui s'établit dans un concert est quelque chose d'extrêmem<strong>en</strong>t important. Ça<br />

se passe <strong>en</strong>tre des g<strong>en</strong>s qui apport<strong>en</strong>t quelque chose d'abstrait, une musique, et des g<strong>en</strong>s qui<br />

réagiss<strong>en</strong>t concrètem<strong>en</strong>t, qui dans<strong>en</strong>t, qui parl<strong>en</strong>t <strong>en</strong>semble. Et même quand la musique s'est<br />

arrêtée, c'est fabuleux. D'ailleurs ça a fait peur à tellem<strong>en</strong>t de g<strong>en</strong>s que les régimes<br />

dictatoriaux ont interdit ce g<strong>en</strong>re de choses <strong>en</strong> premier lieu.<br />

M.B - Tu parles d'une libération liée à la musique. Crois-tu qu'on puisse se libérer <strong>en</strong>tre<br />

deux rangées de chi<strong>en</strong>s policiers ?<br />

F.C. - C'est un problème global. Si on parle de l'organisation des concerts, le premier<br />

problème à Paris est qu'il n'y a pas de salle qui puisse accueillir tous les g<strong>en</strong>s qu'attire un<br />

grand groupe. Alors on peut <strong>en</strong>gueuler KCP sur son service d'ordre, des choses comme ça.<br />

C'est vrai que des fois il règne une curieuse ambiance. Mais leur exist<strong>en</strong>ce est conditionnée<br />

par celle des grandes vedettes internationales qui demand<strong>en</strong>t le prix fort et impos<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t<br />

des conditions de sécurité invraisemblables. Alors remettre <strong>en</strong> cause la logique de KCP, c'est<br />

remettre <strong>en</strong> cause tout le star-system, et accepter que ces g<strong>en</strong>s ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t plus donner de<br />

concerts à Paris. Je connais des musici<strong>en</strong>s remarquables qui ont toujours refusé de s'intégrer<br />

dans le circuit du show-biz traditionnel. Je p<strong>en</strong>se à Barre Philips ou au pianiste Chris Mac<br />

Gregor, des g<strong>en</strong>s comme ça. Mais ils pass<strong>en</strong>t beaucoup de temps à ne pas faire de musique,<br />

parce qu'il faut bi<strong>en</strong> qu'ils mang<strong>en</strong>t... Mais je ne crois pas qu'ils soi<strong>en</strong>t très malheureux...<br />

M.B. - Le deuxième disque de Zao est sorti sur un label à vocation parallèle, Disjuncta.<br />

Quels étai<strong>en</strong>t les problèmes ?<br />

F.C. - Oui, aucune maison de disques n'<strong>en</strong> avait voulu, mais on ne t<strong>en</strong>ait pas le coup<br />

financièrem<strong>en</strong>t. De fait, on payait nous-mêmes la différ<strong>en</strong>ce de prix de v<strong>en</strong>te du disque. Ca<br />

dev<strong>en</strong>ait très dur. Alors qu'une grande maison de disques met quand même des moy<strong>en</strong>s de<br />

travail à ta disposition. C'est très, très important. En plus, chez RCA, je suis complètem<strong>en</strong>t<br />

libre. Je n'ai pas de directeur artistique, j'ai toujours refusé. Et ils n'écout<strong>en</strong>t jamais une note<br />

de ma musique avant que j'<strong>en</strong>tre dans le studio. J'ai une indép<strong>en</strong>dance complète. Je crois que<br />

les musici<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t s'occuper de plus <strong>en</strong> plus de leurs propres affaires. Et si je devais faire<br />

profiter les groupes qui comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t de mes erreurs passées, je leur dirais de monter leur


propre managem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> même temps que le groupe. Il y a des musici<strong>en</strong>s ici, mais personne ne<br />

s'occupe efficacem<strong>en</strong>t d'eux. Alors que les types qui sort<strong>en</strong>t d'HEC, au lieu d'<strong>en</strong>trer dans une<br />

boîte pour v<strong>en</strong>dre des parfums, pourrai<strong>en</strong>t très bi<strong>en</strong> manager des groupes. Pour un groupe qui<br />

comm<strong>en</strong>ce, le mieux c'est un copain qui n'a pas énormém<strong>en</strong>t de problèmes matériels et qui<br />

peut disposer d'un téléphone. Plus c'est tôt, et plus c'est facile. Il faut tout de suite aller<br />

tourner à l'étranger, <strong>en</strong> Allemagne et <strong>en</strong> Italie, mais surtout qu'ils n'att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> du métier<br />

traditionnel. De toute façon, je sais que moi aussi, si je veux avoir la "consécration", il faudra<br />

que je parte à l'étranger. Si Vander était parti, il aurait gagné trois ans. Ponty v<strong>en</strong>d cinq mille<br />

disques <strong>en</strong> France, mais quatre-vingt mille au Québec. C'est fou ! Ici tout semble<br />

complètem<strong>en</strong>t bloqué par une bande de g<strong>en</strong>s même pas assez intellig<strong>en</strong>ts pour compr<strong>en</strong>dre<br />

l'arg<strong>en</strong>t qu'ils pourrai<strong>en</strong>t faire avec cette musique, et plus généralem<strong>en</strong>t avec cette culture.<br />

Encore, je te dis, chez RCA j'ai de la chance. Ils ont l'air un petit peu moins bête qu'ailleurs.<br />

Au moins, ils laiss<strong>en</strong>t les g<strong>en</strong>s qu'ils estim<strong>en</strong>t compét<strong>en</strong>ts s'occuper de leurs affaires. Alors<br />

que chez Phonogram, par exemple, c'est vraim<strong>en</strong>t la tasse...<br />

M.B. - Tout est bloqué ici ?<br />

F.C. - Oui, et c'est la même chose dans le cinéma ou dans la musique. Quand on compare ce<br />

qui se fait <strong>en</strong> France et aux U.S.A., c'est le désastre. Il y a à la fois un manque de moy<strong>en</strong>s et<br />

un manque d'idées, par rapport aux g<strong>en</strong>s qui déti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le pouvoir. La "marginalité"<br />

américaine a pratiquem<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ant les mêmes moy<strong>en</strong>s que le système, et même plus dans<br />

certains domaines. Il y a là-bas tout un circuit qui tourne et qui n'existe pas ici. Un film<br />

comme "Network" explique très bi<strong>en</strong> tout ça. Que Zappa, musici<strong>en</strong> dit "progressiste", puisse<br />

attirer vingt mille personnes à Paris, c'est un succès politique extraordinaire... Moi je veux<br />

jouer devant plein de g<strong>en</strong>s aussi, parce que je p<strong>en</strong>se que j'ai quelque chose à leur apporter.<br />

C'est du moins quelque chose que je voudrais me prouver, ne pas être le seul à le p<strong>en</strong>ser.<br />

M.B. - Tu crois être le seul à le p<strong>en</strong>ser ?<br />

F.C. - Non, je ne crois pas, mais on n'est pas <strong>en</strong>core assez nombreux.<br />

M.B. - Quel est ton pianiste préféré ?<br />

F.C. - Keith Jarrett est le plus important. Mais j'aime aussi beaucoup Chick Corea, Herbie<br />

Hancock, Joe Zawinul...<br />

M.B. - Parmi les groupes français qui mont<strong>en</strong>t, y <strong>en</strong> a-t-il qui t'intéress<strong>en</strong>t<br />

particulièrem<strong>en</strong>t ?<br />

F.C. - De deux que j'ai <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus, je crois c'est Spheroe le plus prometteur. Téléphone c'est<br />

super, dans un autre g<strong>en</strong>re. lis sont complètem<strong>en</strong>t sincères et ils crèv<strong>en</strong>t la dalle. J'ai dû payer<br />

un sandwich à la bassiste, à Campagne Première... Ils n'avai<strong>en</strong>t plus un rond.<br />

JAZZ-ROCK<br />

M.B. - Ange est le seul groupe français à avoir vraim<strong>en</strong>t réussi commercialem<strong>en</strong>t. Pour<br />

quelles raisons, à ton avis ?<br />

F.C. - Je ne le sais pas vraim<strong>en</strong>t, mais je ne crois pas que ce soit un phénomène uniquem<strong>en</strong>t<br />

musical. Les g<strong>en</strong>s se sont id<strong>en</strong>tifiés à eux, aux histoires racontées sur scène. Les textes<br />

correspond<strong>en</strong>t à une idée qui flotte dans toute une couche de jeunes Français moy<strong>en</strong>s... Mais<br />

on n'a sûrem<strong>en</strong>t pas le même public...<br />

M.B. - Quel est le public que tu préfères ?<br />

F. C. - Le meilleur public, de tous ceux que j'ai vus, c'est celui de ce qu'on appelle le jazz-


ock ; c'est le plus ouvert au niveau de l'esprit. A Bayonne, je les ai vus avaler cinq musiques<br />

très différ<strong>en</strong>tes à la suite : Weather Report, Herbie Hancock, Shakti, Billy Cobham, avec<br />

Larry Coryell tout seul à la guitare acoustique <strong>en</strong>tre W.R. et Hancock. Le service d'ordre<br />

dormait, les g<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t très bi<strong>en</strong>. Le concert de Shakti à Paris, par exemple, c'était la seule<br />

occasion où Didier et moi pouvions passer seuls <strong>en</strong> première partie, parce que les g<strong>en</strong>s qui<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t n'ont pas le préjugé musical de ceux qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t écouter le rock'n'roll. Ceci dit, je<br />

ne colle pas d'étiquette, la bonne musique est celle qui est profondém<strong>en</strong>t ress<strong>en</strong>tie par les<br />

g<strong>en</strong>s qui la jou<strong>en</strong>t. Enfin, c'est une condition nécessaire, mais je ne sais pas si elle est<br />

suffisante : les g<strong>en</strong>s qui chant<strong>en</strong>t de l'opérette, je suppose qu'ils ress<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t aussi cette<br />

musique, mais ça, je trouve ça exécrable. Il doit y avoir plein de formes de musiques<br />

populaires simples qui s'exprim<strong>en</strong>t... Ceci dit, ce qu'on appelle généralem<strong>en</strong>t le jazz-rock<br />

recouvre des musiques très différ<strong>en</strong>tes. Ce que fait Hancock n'a ri<strong>en</strong> à voir avec Weather<br />

Report, <strong>en</strong>core moins avec le premier Mahavishnu. C'est vrai que beaucoup de groupes<br />

réemploi<strong>en</strong>t leurs trouvailles sous forme de gadgets sans vie, mais ce n'est pas la peine de<br />

s'intéresser à eux : il faut parler des g<strong>en</strong>s qui ouvr<strong>en</strong>t des chemins. Une autre chose que je ne<br />

compr<strong>en</strong>ds pas très bi<strong>en</strong>, c'est la soi-disant division <strong>en</strong>tre musique binaire et ternaire : il n'y a<br />

qu'une différ<strong>en</strong>ce technique : ici le temps est divisé <strong>en</strong> trois et là <strong>en</strong> deux, mais tous les<br />

musici<strong>en</strong>s que je connais ont toujours joué suivant les deux formules. Sur le morceau de<br />

Stevie Wonder "Isn't She Lovely", par exemple, tu peux aussi bi<strong>en</strong> battre la division du<br />

temps par trois que par deux. Et d'ailleurs, sur le disque, le batteur joue les deux rythmiques<br />

superposées ! Non, les seuls points communs évid<strong>en</strong>ts qu'on puisse trouver aux groupes de<br />

jazz-rock, c'est d'abord la prés<strong>en</strong>ce de l'esprit du jazz, à savoir thème-improvisation, mais<br />

avec une manière d'improviser qui se réfère plus au climat du thème qu'au thème lui-même,<br />

et puis une certaine simplification rythmique...<br />

MUSIQUE RÊVANTE<br />

M.B. - Et toi, sous quelles formes va donc s'exprimer ta musique ?<br />

F.C. - D'abord, je voudrais dire que dans tous les groupes dont j'ai fait partie je me suis s<strong>en</strong>ti<br />

frustré de musique, pas employé au quart de mes possibilités sur l'instrum<strong>en</strong>t. Maint<strong>en</strong>ant, je<br />

vais jouer. Zao continue donc, quoi qu'<strong>en</strong> ai<strong>en</strong>t dit certains, avec Gérard Prévost à la basse et<br />

Christian de Bricon au sax. Je cherche <strong>en</strong>core le batteur, et je voudrais trouver quelqu'un pour<br />

jouer des marimbas et du vibraphone. Ca me libérerait de mes obligations harmonicorythmiques<br />

antérieures. Sinon, je pr<strong>en</strong>drai peut-être un deuxième sax ; j'avais même demandé<br />

à Elton Dean, qui aurait bi<strong>en</strong> voulu mais n'est pas libre. Zao va bi<strong>en</strong>tôt <strong>en</strong>registrer son<br />

cinquième album...<br />

M.B. - Des quatre autres, lequel préfères-tu ?<br />

F.C. - Le premier. Je crois qu'un groupe a au début une énergie et une foi qui se perd<strong>en</strong>t<br />

après... Ensuite je vais repr<strong>en</strong>dre les concerts solo, <strong>en</strong> comm<strong>en</strong>çant par une semaine à Paris<br />

au théâtre Campagne-Première, du 27 juin au 2 juillet. Beaucoup d'idées me vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de<br />

l'improvisation, je me balade partout avec mon mini K7, j'<strong>en</strong>registre et réécoute tous mes<br />

concerts. C'est une méthode de travail comme une autre. Je compte développer là une sorte<br />

de musique "rêvante", je n'aime pas le mot planante, et avec des racines françaises, ceci dit<br />

sans aucune int<strong>en</strong>tion cocardière. C'est simplem<strong>en</strong>t parier de ce pays, d'une certaine douceur<br />

de ses paysages et de ses climats, dans la lignée de g<strong>en</strong>s comme Debussy, Ravel, Fauré, toute<br />

une école qui a été très importante et qui me touche beaucoup. Il est évid<strong>en</strong>t, par exemple,<br />

que Debussy et Ravel ont influ<strong>en</strong>cé John Coltrane. Cela, je vais donc le faire seul, et mon<br />

souhait le plus cher serait qu'un jour les Américains pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t autant de plaisir à écouter des<br />

g<strong>en</strong>s d'ici, jouant une musique d'ici, que nous à écouter leurs groupes.


M .B. - Et puis, des expéri<strong>en</strong>ces...<br />

F.C. - Oui, l'information va tellem<strong>en</strong>t vite aujourd'hui qu'on peut faire des expéri<strong>en</strong>ces<br />

musicales totalem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tes. Je peux aller jouer demain avec des Africains, des Japonais,<br />

des Brésili<strong>en</strong>s... Je le ferai peut-être, je suis ouvert à tout. Mais dans l'immédiat, j'ai quelques<br />

projets : le disque avec Didier Lockwood, d'abord ; <strong>en</strong>suite je vais écrire les arrangem<strong>en</strong>ts<br />

pour l'album d'un chanteur de variétés, un Brésili<strong>en</strong> de mes amis, simplem<strong>en</strong>t parce que ce<br />

qu'il fait me plaît. J'aimerais beaucoup faire un disque <strong>en</strong> trio avec Jack DeJohnette et Barre<br />

Phillips, et à la r<strong>en</strong>trée je vais <strong>en</strong>registrer avec un percussionniste québécois, Michel Seguin.<br />

C'est un ami aussi ; avant, il jouait des tambours africains dans l'orchestre de Charlebois. Et<br />

je sais qu'on peut jouer <strong>en</strong>semble p<strong>en</strong>dant des heures sans s'<strong>en</strong>nuyer...<br />

M. B. - Tout à l'air d'aller bi<strong>en</strong>, alors ?<br />

F.C. - Tout va très bi<strong>en</strong>, mais les g<strong>en</strong>s qui vi<strong>en</strong>dront écouter ma musique doiv<strong>en</strong>t avoir <strong>en</strong>vie<br />

de participer. Ce n'est pas un ordre, bi<strong>en</strong> sûr, c'est à moi de les am<strong>en</strong>er à ça, par la musique.<br />

J'aurai gagné le jour où mes concerts seront vraim<strong>en</strong>t des fêtes.<br />

Propos recueillis par Michel BOURRE<br />

Rock & Folk n° 126 - Juillet <strong>1977</strong><br />

<strong>Magma</strong> ou l'éternel retour - Rock <strong>en</strong> Stock n° 3 - Juillet/Août<br />

MAGMA ou l'éternel retour<br />

Après une huitaine d'années, de travail dans les profondeurs, <strong>Magma</strong> (on serait t<strong>en</strong>té de dire<br />

"le mouvem<strong>en</strong>t <strong>Magma</strong>") comm<strong>en</strong>ce à faire son apparition dans l'avènem<strong>en</strong>t des surfaces, <strong>en</strong><br />

att<strong>en</strong>dant les cieux qui sont sa juste place.<br />

Huit ans de galères kafkaï<strong>en</strong>nes, où les haines se mélang<strong>en</strong>t aux soupirs de lumière, où il faut<br />

lutter chaque jour à la fois contre l'apathie d'un public offert au rêve "Américain", et contre<br />

ceux qui façonn<strong>en</strong>t cette langueur, <strong>en</strong> <strong>en</strong> faisant leur profit. <strong>Magma</strong>, qui n'a jamais cessé<br />

d'indiquer la véritable id<strong>en</strong>tité, quand tout autour triomphait la plus plate nullité, la plus<br />

r<strong>en</strong>table punkitude, la plus extrême confusion m<strong>en</strong>tale.<br />

<strong>Magma</strong> est resté le même, mélange d'impassibilité et de fureur mortelle, et il semble que sa<br />

voix ait quelque chance d'être, d'ici à quelques mois, plus immédiatem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>t<strong>en</strong>due. Klaus<br />

Blasquiz, chanteur depuis les débuts, répond à nos questions, p<strong>en</strong>dant que Christian Vander<br />

met les choses au point<br />

QUESTION - Si on comm<strong>en</strong>çait par un petit bilan ?<br />

KLAUS BLASQUIZ - Nous avions tout à créer quand <strong>Magma</strong> a comm<strong>en</strong>cé : la musique, la<br />

vie des musici<strong>en</strong>s <strong>en</strong> France, susciter un public, trouver des <strong>en</strong>droits pour le r<strong>en</strong>contrer, un<br />

circuit qui établisse la possibilité de le réutiliser pour des groupes travaillant dans le même<br />

esprit, etc. Malgré la lutte du milieu dit "professionnel", nous avons fait <strong>en</strong> sorte que ri<strong>en</strong> ne<br />

puisse att<strong>en</strong>ter à la vie de <strong>Magma</strong>.<br />

Q - Qelle est la nature de cette lutte sans merci ?<br />

KB - La lutte, c'est d'abord se protéger des jalousies, des haines dues à l'incompréh<strong>en</strong>sion ou


à la peur de l'inconnu ; agir <strong>en</strong>suite contre l'<strong>en</strong>gourdissem<strong>en</strong>t, organiser dans la confusion<br />

générale qui est le symbole de la France à l'étranger.<br />

Q - Comm<strong>en</strong>t avez vous agi contre tout cela ?<br />

KB - On est passé à l'action, et réalisé ce que tout le monde préconise dans de longues<br />

discussions. Peu importe d'ailleurs le g<strong>en</strong>re de musique, ce qui importe, c'est d'accepter cette<br />

lutte, et de la m<strong>en</strong>er sans jamais faillir.<br />

Q - Peut-on <strong>en</strong>core parler aujourd'hui de lutte sans merci ?<br />

KB - Oui, mais il y a des batailles que l'on n'a plus besoin de m<strong>en</strong>er avec autant d'int<strong>en</strong>sité,<br />

car dans certains domaines, <strong>en</strong> particulier le spectacle, nous avons trouvé des facilités<br />

d'action, ce qui fait que l'on peut mieux diriger les énergies, sans avoir à se battre de tous les<br />

côtés. Par exemple, le programme du spectacle a été aménagé dans le s<strong>en</strong>s de l'efficacité au<br />

niveau de l'impact sur le public, sans que la musique ait fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t changé ou que<br />

nous soyons dev<strong>en</strong>us des mécaniques à show-biz.<br />

Q - Si la musique n'a pas changé, elle s'est transformée de manière indiscutable. Dans<br />

quel s<strong>en</strong>s ?<br />

KB - II y a quelques temps, nous avons choisi de jouer toute la musique de Christian sans<br />

distinction, plutôt que de n'interpréter que les grandes pièces comme Mekanïk. De toute<br />

façon, un choix se fait toujours au détrim<strong>en</strong>t d'une partie de la musique tout <strong>en</strong> sachant qu'un<br />

concert n'est pas un catalogue destiné à illustrer toute la musique. Un concert doit être une<br />

fête ponctuelle, c'est à dire qu'il n'est pas uniquem<strong>en</strong>t fonction de la musique, mais aussi du<br />

lieu, du public, et des musici<strong>en</strong>s.<br />

Q - "Nous avons choisi", à quel mom<strong>en</strong>t exactem<strong>en</strong>t ?<br />

KB - Ça se préparait depuis déjà des années, c'était une chose qui nous paraissait logique,<br />

puisque ce que nous jouons, nous musici<strong>en</strong>s de <strong>Magma</strong>, c'est la musique de Christian<br />

Vander. Les nouveaux musici<strong>en</strong>s sont arrivés, et ça a été l'occasion de restructurer le concert<br />

avec plusieurs possibilités de morceaux de courte, moy<strong>en</strong>ne et longue durée. Ça permettait de<br />

mieux s'adapter aux conditions dont je parlais avant.<br />

Q - Comm<strong>en</strong>t Christian et toi choisissez vous les musici<strong>en</strong>s ?<br />

KB - Le choix se fait par une logique qui fait que des g<strong>en</strong>s tourn<strong>en</strong>t autour de nous, qu'il y a<br />

une sorte de famille de p<strong>en</strong>sée ou musicale ou spirituelle. On se retrouve un jour ou l'autre à<br />

s'essayer, puis à jouer <strong>en</strong>semble. Le reste se fait automatiquem<strong>en</strong>t.<br />

Q - Pour ce qui est de la famille spirituelle, pourrais-tu citer des noms de g<strong>en</strong>s qui s'y<br />

rattach<strong>en</strong>t ?<br />

KB - Jean Giraud, alias Moebius, un des plus grands graphistes inspirés. Alexandro<br />

Jodorowsky (La montagne sacrée, El Topo), aller voir ses films remplacera tous les<br />

comm<strong>en</strong>taires. Janik Top, H<strong>en</strong>ry Cow, Frank Herbert (Dune), Richard Matheson (Je suis une<br />

lég<strong>en</strong>de)… on s'arrête ?<br />

Q - Rev<strong>en</strong>ons aux musici<strong>en</strong>s… que demandez-vous à un instrum<strong>en</strong>tiste pour pouvoir<br />

jouer avec vous ?<br />

KB - Ce que lui doit s<strong>en</strong>tir comme un besoin : la possibilité de jouer de son instrum<strong>en</strong>t sans<br />

<strong>en</strong>traves techniques, sans blocages culturels (swing, harmonie, etc.), sans impossibilité de<br />

supporter une vie <strong>en</strong> collectivité. Enfin qu'il ne soit pas effrayé de se retrouver dans des<br />

situations financières aléatoires.


Q - Oui exist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, même pour <strong>Magma</strong>?<br />

KB - Quand on a peu d'arg<strong>en</strong>t, on a de petits problèmes financiers. Plus la machine grossit,<br />

plus elle coûte de l'arg<strong>en</strong>t, dans un pays où il faut tout faire soi-même.<br />

Q - Par rapport à Christian et à sa conception globale du monde, est-il aisé de faire<br />

coexister une p<strong>en</strong>sée différ<strong>en</strong>te à l'intérieur du groupe ?<br />

KB - Non, si c'est une p<strong>en</strong>sée résolum<strong>en</strong>t hostile à la si<strong>en</strong>ne. Oui si ça permet d'élargir le<br />

champ de vision de <strong>Magma</strong> et si ça catalyse des forces plus vastes. C'est le terrain commun<br />

qui nous réunit, et le propre d'un bon terrain, c'est d'être fertile.<br />

Q - A ton avis, où <strong>en</strong> est la musique <strong>en</strong> France aujourd'hui c'est à dire as-tu<br />

l'impression que <strong>Magma</strong> a eu une influ<strong>en</strong>ce ?<br />

KB - Je suis sûr que beaucoup de groupes ont été influ<strong>en</strong>cés par <strong>Magma</strong>, souv<strong>en</strong>t plus par la<br />

forme que par le fond, et souv<strong>en</strong>t sans savoir trop de quelle manière. Mais il serait très<br />

limitatif de ne chercher à voir que ce qui se passe <strong>en</strong> France. Les g<strong>en</strong>s qui att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t que la<br />

révolution musicale ne vi<strong>en</strong>ne que de la France att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t le vide. Les musici<strong>en</strong>s français se<br />

compt<strong>en</strong>t sur les doigts de la main. De plus, les pires conditions sont réunies.<br />

Q - As-tu l'impression. que les relations que vous avez avec votre public ont évolué ?<br />

KB - Oui, pour plusieurs raisons. <strong>Magma</strong> a évolué <strong>en</strong> fonction des, musici<strong>en</strong>s, <strong>en</strong> changeant<br />

son spectacle, et puis surtout avec le temps. De leur côté, les g<strong>en</strong>s ont aussi évolué. On a<br />

constaté que pour une interprétation relativem<strong>en</strong>t semblable d'un même morceau, certaines<br />

personnes réagissai<strong>en</strong>t de manière différ<strong>en</strong>te, à quelques années d'intervalle. En général, c'est<br />

toujours dans le s<strong>en</strong>s d'une victoire.<br />

Q - Comm<strong>en</strong>t vois-tu l'av<strong>en</strong>ir de <strong>Magma</strong> ?<br />

KB - <strong>Magma</strong> ne mourra pas parce que la musique dépasse l'idée d'une réunion temporelle de<br />

musici<strong>en</strong>s. Il est certain que même si Christian fait une carrière d'instrum<strong>en</strong>tiste un jour ou<br />

l'autre, ça ne sera jamais aux dép<strong>en</strong>s de <strong>Magma</strong>, car il est plus <strong>Magma</strong> que batteur.<br />

Q - Est-il question qu'il fasse une telle carrière<br />

KB - Pas du tout, mais je suis persuadé que beaucoup de g<strong>en</strong>s sont à l'affût. II serait très<br />

facile de produire Christian et de se faire du fric sur son dos.<br />

Q - Parmi les bruits qui circul<strong>en</strong>t, il est question <strong>en</strong>tre autres d'un triple album début<br />

78, d'un album solo de Christian aux Etats-Unis, d'un disque avec Top, d'un livre sur<br />

<strong>Magma</strong>, d'un film pour la télévision, et d'un album solo pour toi. Qu'y a-t-il de sûr dans<br />

tout ça ?<br />

KB - Pour le triple album, il semble que ce n'est pas une très bonne formule actuellem<strong>en</strong>t<br />

pour le groupe, uniquem<strong>en</strong>t pour des raisons pratiques. Un triple est inv<strong>en</strong>dable, trop cher.<br />

Mais de la musique est prête pour les six albums à v<strong>en</strong>ir, ce qui ne signifie pas qu'on<br />

l'<strong>en</strong>registrera obligatoirem<strong>en</strong>t.<br />

Le disque solo de Christian est certain, <strong>en</strong>registré aux Etats-Unis et <strong>en</strong> France. Des musici<strong>en</strong>s<br />

connus y joueront, mais leur nom est <strong>en</strong>core un secret. Je préfère ne ri<strong>en</strong> dire <strong>en</strong>core du<br />

disque avec Jannick, je crois que ce n'est pour l'instant qu'un projet. Un livre sortira courant<br />

décembre sur <strong>Magma</strong>, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant le livre par <strong>Magma</strong>. Le premier sera un témoignage réel,<br />

important pour tous, pour aider à compr<strong>en</strong>dre. La télévision a tourné une émission d'une<br />

heure, qui sera diffusée dans les programmes de fin d'année, sur Ant<strong>en</strong>ne 2. B<strong>en</strong>oît<br />

Widemann va sortir un album basé sur la musique de claviers dans lequel des musici<strong>en</strong>s du<br />

groupes vi<strong>en</strong>dront jouer des choses qui leur sont inhabituelles. Quant à mon album solo, que


je prépare sérieusem<strong>en</strong>t depuis quelques mois, j'y <strong>en</strong>registrerai ma propre musique, des<br />

expéri<strong>en</strong>ces vocales, et Janik Top <strong>en</strong> fera les arrangem<strong>en</strong>ts. En outre, j'<strong>en</strong> dessinerai la<br />

pochette.<br />

Q - Je crois savoir que tu fais des bandes dessinées ?<br />

KB - Depuis longtemps. J'<strong>en</strong> prépare une importante pour "Métal Hurlant". La conception<br />

n'est pas une "suite de cases avec des bulles", mais plutôt du texte fortem<strong>en</strong>t illustré. C'est de<br />

la sci<strong>en</strong>ce fiction, avec pour thèmes majeurs la magie, les cyborgs (mi hommes, mi machines<br />

immortelless) et la cosmologie.<br />

Q - Les thèmes de <strong>Magma</strong> <strong>en</strong> quelque sorte ?<br />

KB - Les mêmes thèmes développés par la figuration narrative, l'un des langages les plus<br />

populaires qui soi<strong>en</strong>t.<br />

Q - Dernière question : Christian est-il heureux ?<br />

KB - Christian est aujourd'hui comme éperdu de lumière.<br />

Christian VANDER<br />

"Je vis actuellem<strong>en</strong>t une période de mutation aussi profonde que celle qui a motivé la<br />

naissance de <strong>Magma</strong>. C'est un mom<strong>en</strong>t très dur pour moi et pour les autres. Je suis<br />

inapprochable et je n'arrive même plus à savoir si nous sommes <strong>en</strong> été ou au printemps.<br />

J'att<strong>en</strong>ds la flamme et je sais qu'elle va v<strong>en</strong>ir. Je veux, <strong>en</strong> substance, placer la musique au<br />

niveau du quotidi<strong>en</strong> porteur de poésie. Ca a comm<strong>en</strong>cé avec l'interprétation de "Lihns".<br />

Je fais cela pour que les g<strong>en</strong>s résolv<strong>en</strong>t le quotidi<strong>en</strong> avant de passer à autre chose. En deux<br />

mots, je repars à zéro, et <strong>Magma</strong> r<strong>en</strong>aît, sans être jamais mort. Ceux qui sont fidèles depuis le<br />

début compr<strong>en</strong>dront, et les étrangers auront peut-être moins peur de ce qu'on a toujours pris<br />

pour de la haine, et qui n'était qu'une imm<strong>en</strong>se tristesse. Pour employer une image, je dirais<br />

que les armées de combat que nous avons décrites jusqu'à aujourd'hui <strong>en</strong> termes grandioses,<br />

flamboyantes d'or, seront racontées maint<strong>en</strong>ant dans le détail de leur beauté. La lutte reste<br />

prés<strong>en</strong>te, elle sera écoutée par un autre biais."<br />

Antoine de CAUNES<br />

Rock <strong>en</strong> Stock n° 3 - Juillet / Août <strong>1977</strong><br />

Ma cabane à Kobaïa, interview Christian Vander - Rock & Folk n° 127 – Août<br />

Ma cabane à Kobaïa<br />

La parution du provocant premier double album de <strong>Magma</strong>, il y a sept ans, fit l'effet d'un<br />

énorme pavé dans la mare stagnante et croupie du rock français, victime d'un manque<br />

d'id<strong>en</strong>tité total. Voilà qu'à l'horizon apparaissait un commando d'hommes habillés <strong>en</strong> noir qui<br />

disai<strong>en</strong>t " Non " et provoquai<strong>en</strong>t le choc. Ils produisai<strong>en</strong>t une musique lyrique, d<strong>en</strong>se et<br />

viol<strong>en</strong>te, sonnant comme les trompettes de Jéricho juste avant que ne tomb<strong>en</strong>t les murs de la<br />

cité. Leurs yeux brûlai<strong>en</strong>t quand ils la jouai<strong>en</strong>t, surtout d'ailleurs ceux du batteur, un fou<br />

illuminé de vingt-deux ans qui ne parlait que de Coltrane et des chants ins<strong>en</strong>sés de Kobaïa,<br />

mystérieuse planète de son inv<strong>en</strong>tion, sur laquelle il semblait passer déjà la majeure partie de


son temps. Au fil des disques, le son se modifia, du peloton de cuivres de " Riah Sahiltaak "<br />

aux grondem<strong>en</strong>ts de claviers de " Köhntarkösz ", <strong>en</strong> passant par les chœurs de " Mekanïk<br />

Destruktïw Kommandöh " : mais l'esprit ne changea jamais, et la musique de <strong>Magma</strong> resta<br />

solitaire, jamais imitée, pas même imitable.<br />

De cette situation, beaucoup de quiproquos naquir<strong>en</strong>t et jamais vraim<strong>en</strong>t ils ne s'expliquèr<strong>en</strong>t,<br />

tant ils p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t qu'avec le temps tout devi<strong>en</strong>drait clair et limpide. Et l'on imaginait Christian<br />

Vander perdu dans quelque rêve mégalomane, inaccessible aux soucis des mortels, pour ainsi<br />

apparaître à contre-temps, toujours: hier agressant verbalem<strong>en</strong>t les faux hippies fleuris cinq<br />

ans trop tard, et s'habillant <strong>en</strong> sombre <strong>en</strong> réaction à tant de fausses couleurs, et aujourd'hui<br />

parlant d'amour, alors que les punks nous press<strong>en</strong>t d'<strong>en</strong> v<strong>en</strong>ir au coup de botte nerveux…<br />

Mais tout ça ne ti<strong>en</strong>t pas debout, d'abord, et ça je ne l'ai jamais lu nulle part, donc c'est une<br />

bonne information, parce que Christian Vander est quelqu'un de timide. Ensuite, parce que<br />

dans sa naïveté incomm<strong>en</strong>surable, il n'arrivait même pas à concevoir que les g<strong>en</strong>s ne puiss<strong>en</strong>t<br />

pas compr<strong>en</strong>dre… Mais quand l'été revi<strong>en</strong>t, les sourires refleuriss<strong>en</strong>t et nous voilà <strong>en</strong>fin<br />

branchés sur le cœur qui fait battre la machine.<br />

UN ÊTRE MERVEILLEUX<br />

MICHEL BOURRE & PATRICK COUTIN - L'année <strong>1977</strong> a vu naître un nouveau<br />

<strong>Magma</strong>. En quoi est-il réellem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t de ceux qui le précédèr<strong>en</strong>t ?<br />

CHRISTIAN VANDER - J'att<strong>en</strong>dais cette année 77 depuis longtemps. Avant, j'ai traversé<br />

une période difficile p<strong>en</strong>dant un an, un an et demi. J'étais très perturbé, au point que je me<br />

demandais si j'allais rester sur cette terre. Tu sais, quand tu donnes toujours le meilleur de toi<br />

et que toujours, <strong>en</strong> retour, tu reçois des coups, tu n'as pas <strong>en</strong>vie de les r<strong>en</strong>dre, tu as seulem<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>vie de ne plus être là.<br />

Je voulais m'<strong>en</strong>voler comme un oiseau. Parce que j'avais l'impression que ce à quoi je croyais<br />

n'existait pas ici, que ce n'était qu'un leurre… Et puis au mom<strong>en</strong>t où je comm<strong>en</strong>çais à <strong>en</strong> être<br />

sûr, il m'a été prouvé le contraire. J'att<strong>en</strong>dais que quelque chose se passe, et quelque chose<br />

s'est effectivem<strong>en</strong>t passé…<br />

M.B. & P.C. - Quoi donc ?<br />

C.V. - J'ai r<strong>en</strong>contré un être merveilleux…<br />

M.B. & P.C. - Et ça change quoi ?<br />

C.V. - Ça change tout… Ça peut te paraître fou ce que je raconte, mais je vis actuellem<strong>en</strong>t<br />

dans un climat bizarre… Je crois que les g<strong>en</strong>s vont se r<strong>en</strong>dre compte très vite de l'amour qui<br />

peut se dégager de quelque chose, de <strong>Magma</strong> <strong>en</strong> particulier.<br />

Il ne va plus ri<strong>en</strong> subsister que ça… En plus, je ne vois plus le public de la même façon. J'ai<br />

cru longtemps jouer <strong>en</strong>core dans un cabaret de jazz, face à des g<strong>en</strong>s de passage, qui le<br />

l<strong>en</strong>demain repartirai<strong>en</strong>t à New York ou à Tombouctou. Il fallait donc leur donner le message<br />

très vite, avant qu'ils ne s'<strong>en</strong> aill<strong>en</strong>t. C'était une erreur, mais j'ai mis du temps à le<br />

compr<strong>en</strong>dre. Maint<strong>en</strong>ant, ce public, j'ai <strong>en</strong>vie de le cajoler, de le dorloter. D'abord parce<br />

qu'une partie de ces g<strong>en</strong>s qui nous suiv<strong>en</strong>t ont déjà compris, et que ceux-là, ce n'est pas la<br />

peine de leur expliquer deux fois, il faut leur apporter quelque chose de plus…<br />

M.B. & P.C. - Tu parles d'amour, mais beaucoup de g<strong>en</strong>s ress<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t jusqu'à<br />

aujourd'hui la musique de <strong>Magma</strong> comme étant une musique d'angoisse et de<br />

désespoir…


C.V. - Ils étai<strong>en</strong>t dans l'erreur. On n'a jamais fait une musique macabre. Elle pouvait, être<br />

triste, mais il y a toujours eu la vie, et un espoir démesuré derrière. Ceux qui à mon avis<br />

compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t la musique, compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t ça aussi. Maint<strong>en</strong>ant, ceux qui faisai<strong>en</strong>t semblant de<br />

nous suivre, s'habillai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> noir pour le noir et ne ret<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t que la négation, ceux-là<br />

n'avai<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> compris…<br />

M.B. & P.C. - Tu es pourtant <strong>en</strong>core habillé <strong>en</strong> noir aujourd'hui…<br />

C.V. - C'est vrai, mais ça ne veut ri<strong>en</strong> dire. Quand tu fermes les yeux, tu vois du noir, et puis<br />

petit à petit les couleurs apparaiss<strong>en</strong>t, tu vois ce que tu veux, du bleu, du vert… Si tu veux un<br />

exemple, beaucoup de ceux qui disai<strong>en</strong>t aimer <strong>Magma</strong> aimai<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t King Crimson.<br />

Mais je trouve la musique de King Crimson beaucoup plus désespérée que la nôtre… Le type<br />

qui chante dans <strong>Magma</strong> est peut-être triste, mais <strong>en</strong> tout cas il n'est pas abattu : il p<strong>en</strong>se O.K.<br />

ça va mal, mais ça va aller tellem<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>, et je le s<strong>en</strong>s tellem<strong>en</strong>t fort que j'<strong>en</strong> ris… Et puis je<br />

ne compr<strong>en</strong>ds pas, c'est tellem<strong>en</strong>t évid<strong>en</strong>t : comm<strong>en</strong>t peut-on aimer Coltrane et faire une<br />

musique agressive ? Ils ne font pas le rapprochem<strong>en</strong>t, les g<strong>en</strong>s ? Tu sais, un chi<strong>en</strong>-loup, ça<br />

peut paraître agressif, mais s'il l'est réellem<strong>en</strong>t, c'est qu'on l'a dressé pour qu'il soit comme ça.<br />

Autrem<strong>en</strong>t, un chi<strong>en</strong>-loup, c'est doux comme un agneau…<br />

M.B. & P.C. - Il est difficile de se débarrasser des vieilles lég<strong>en</strong>des : <strong>Magma</strong> fasciste,<br />

<strong>Magma</strong> ascète…<br />

C.V. - C'est pareil, il n'y a qu'à ouvrir les yeux. Sur la pochette du premier double album, les<br />

croix gammées sont écrasées par la griffe de <strong>Magma</strong>… Quant au discours que je faisais à une<br />

certaine époque, ce n'est pas moi qui parlais, c'était un tyran, et c'était clairem<strong>en</strong>t expliqué…<br />

Quant au reste, Klaus est végétari<strong>en</strong>, mais ça n'<strong>en</strong>gage que lui. Si j'ai <strong>en</strong>vie de manger un<br />

steak, je ne m'<strong>en</strong> prive pas…<br />

M.B. & P.C. - Quelle est la composition du nouveau <strong>Magma</strong> ?<br />

C.V. - Je te la donne dans le désordre : <strong>en</strong> dehors de Klaus et de moi, il y a Guy Delacroix<br />

(basse), B<strong>en</strong>oît Widemann (claviers), Jean de Antoni (guitare), Clém<strong>en</strong>t Bailly à la batterie et<br />

trois choristes dont Stella, ma sœur…<br />

M.B. & P.C. - Comm<strong>en</strong>t les as-tu r<strong>en</strong>contrés ?<br />

C.V. - Je les ai connus tous <strong>en</strong>semble. B<strong>en</strong>oît et eux travaillai<strong>en</strong>t pour monter un groupe, et<br />

ils accompagnai<strong>en</strong>t Stivell <strong>en</strong> plus. B<strong>en</strong>oit m'a proposé de les faire tous <strong>en</strong>trer dans <strong>Magma</strong>.<br />

Au début je trouvais ça délicat, mais finalem<strong>en</strong>t ça a très bi<strong>en</strong> marché. Je suis très cont<strong>en</strong>t de<br />

ce groupe, il y a beaucoup de cœur, beaucoup de bonne volonté. Tout le monde est dans la<br />

même histoire au même mom<strong>en</strong>t, ce qui n'a pas toujours été le cas…<br />

M.B. & P.C. - Pourquoi joues-tu maint<strong>en</strong>ant avec un autre batteur ?<br />

C.V. - Il y a très longtemps que j'<strong>en</strong> avais <strong>en</strong>vie. Ça me permet de chanter la musique de<br />

<strong>Magma</strong>, et de la jouer au piano, avec un souti<strong>en</strong> rythmique. A travers le chant et le piano,<br />

c'est le même s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qui passe… Par contre, chanter et jouer de la batterie, c'est infernal,<br />

c'est t<strong>en</strong>ter d'exprimer au même mom<strong>en</strong>t deux s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts contradictoires. Ou tu sers bi<strong>en</strong> la<br />

batterie, ou tu sers bi<strong>en</strong> le chant, mais pas les deux… La prés<strong>en</strong>ce de Clém<strong>en</strong>t me libère sur<br />

ce plan là.<br />

VITAL<br />

M.B. & P.C. - De quelle manière composes-tu ta musique ?<br />

C.V. - Tout vi<strong>en</strong>t du chant. Je ne me mets jamais au piano <strong>en</strong> me disant je vais créer une


mélodie. C'est trop facile, tu n'as qu'à déplacer les doigts et tu <strong>en</strong> crées cinquante par heure.<br />

Mais ça ne veut ri<strong>en</strong> dire : pourquoi celle-là et pas une autre ? Non, il faut que ça vi<strong>en</strong>ne du<br />

fond, que ça me mette <strong>en</strong> transe. Alors si je répète vingt fois le thème et que vingt fois c'est le<br />

même qui sort, je suis sûr que je ne me suis pas trompé, et qu'il n'y a ri<strong>en</strong> d'autre à mettre à la<br />

place. C'est l'ess<strong>en</strong>tiel. Après tu peux faire de beaux arrangem<strong>en</strong>ts, mais tu as l'ess<strong>en</strong>tiel.<br />

Et puis il y a tout un travail pour trouver les <strong>en</strong>chaînem<strong>en</strong>ts justes, et c'est parfois très long :<br />

quand on compose une longue pièce de musique, je reste toujours dans le même climat.<br />

J'improvise par exemple deux heures de suite, j'<strong>en</strong>registre tout et <strong>en</strong> réécoutant je sépare<br />

facilem<strong>en</strong>t les passages qui ont été réellem<strong>en</strong>t vécus de ceux où je me suis relâché. Je garde<br />

les passages vécus, et je coupe le reste, le blabla. Je recomm<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>core, et peu à peu le<br />

blabla s'élimine. Le blabla ce n'est pas un problème, de temps <strong>en</strong> temps, mais un problème<br />

d'int<strong>en</strong>sité et de prestance. Par exemple, <strong>en</strong> improvisant je peux <strong>en</strong>chaîner deux passages très<br />

naturellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> deux accords, comme ça, et on passe à autre chose. Mais ce n'est qu'une<br />

habitude des doigts, ça ne veut ri<strong>en</strong> dire ; si ça se trouve, la vraie transition <strong>en</strong>te ces passages,<br />

celle qui s'impose, durera trois quarts d'heure, au lieu de ces deux accords. Ce n'est pas un<br />

travail de technici<strong>en</strong>, c'est une question de climat, d'esprit. Tu compr<strong>en</strong>ds, je n'aime pas trop<br />

les " virtuoses ", les g<strong>en</strong>s qui sort<strong>en</strong>t des milliards de notes dont la plupart leur vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au<br />

bout des doigts par simple habitude physique, pavlovi<strong>en</strong>ne. Je ne peux pas me mettre au<br />

piano et égr<strong>en</strong>er quelques arpèges <strong>en</strong> me demandant si mon steak est cuit. La musique, c'est<br />

vital pour moi, ça m'<strong>en</strong>gage <strong>en</strong> <strong>en</strong>tier, ou je préfère ne pas <strong>en</strong> jouer…<br />

M.B. & P.C. - Le kobaï<strong>en</strong> a-t-il une signification très précise, ou est-il surtout utilisé<br />

phonétiquem<strong>en</strong>t ?<br />

C.V. - Au départ, les mots me vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chantant, ils sont donc là avant tout pour leur son.<br />

Mais à force de les répéter dans un certain climat, on arrive à percer leur signification. Ça<br />

peut pr<strong>en</strong>dre du temps : deux ans, trois ans. II y a des mots de " Mekanïk Kommandöh " dont<br />

je ne connais pas <strong>en</strong>core le s<strong>en</strong>s. Mais une fois qu'un mot est traduit, c'est pour toujours, il ne<br />

peut pas vouloir dire autre chose. Je le s<strong>en</strong>s aussi fort que quand je crée une mélodie au<br />

piano. Le kobaï<strong>en</strong>, ce n'est pas un langage intellectuel comme l'espéranto, par exemple. C'est<br />

un langage organique.<br />

M.B. & P.C. - Y a-t-il une chance pour que <strong>Magma</strong> chante un jour <strong>en</strong> français ?<br />

C.V. - C'est possible. On peut certainem<strong>en</strong>t faire de très belles paroles <strong>en</strong> français, ou dans<br />

une autre langue d'ailleurs. Mais il faut trouver les mots qui fass<strong>en</strong>t résonner l'accord…<br />

TRANE ET TOP<br />

M.B. & P.C. - Peux-tu nous dire ce que John Coltrane représ<strong>en</strong>te exactem<strong>en</strong>t pour toi ?<br />

C.V. - C'est très simple : p<strong>en</strong>dant longtemps, John Coltrane a été la seule personne à<br />

m'insuffler la vie. Je vivais seul, et la parution de chacun de ses disques était mon unique li<strong>en</strong><br />

avec l'exist<strong>en</strong>ce. Quand il est mort, <strong>en</strong> 1967, J'avais dix-neuf ans et il n'y avait plus ri<strong>en</strong>. J'ai<br />

cru mourir. Je suis resté p<strong>en</strong>dant trois ans comme ça, dont deux <strong>en</strong> Italie, à écouter ses<br />

albums dans un état lam<strong>en</strong>table. Je sombrais un peu plus tous les soirs. Et puis un jour, je<br />

buvais un verre de whisky, je l'ai posé et j'ai dit : c'est fini, je ne touche plus à ri<strong>en</strong>. Le<br />

l<strong>en</strong>demain je me suis prom<strong>en</strong>é dans Turin et j'ai eu une vision étrange : toute la ville me<br />

semblait illuminée. Je suis <strong>en</strong>tré dans une pharmacie, et je leur ai dit: " Ecoutez, je ne sais,<br />

pas ce que j'ai, mais je ne me s<strong>en</strong>s pas bi<strong>en</strong> ", le type est parti chercher quelque chose<br />

derrière, et quand il est rev<strong>en</strong>u je n'étais déjà plus là… Après, p<strong>en</strong>dant six mois je suis resté<br />

dans une chambre à manger du riz et boire de la limonade.<br />

Jusqu'à ce qu'il y ait le déclic, jusqu'à ce qu'il y ait <strong>Magma</strong>… J'ai lu un article sur Coltrane


écemm<strong>en</strong>t dans R & F. J'estime que le type qui l'a écrit n'y a pas compris grand-chose. II<br />

sous-<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d que les derniers temps Coltrane, n'ayant plus vraim<strong>en</strong>t l'énergie, laissait sa place<br />

à Pharoah Sanders pour faire ce qu'il aurait eu <strong>en</strong>vie de faire lui, c'est-à-dire crier dans le sax,<br />

etc. Ce n'était pas du tout ça, l'esprit. Simplem<strong>en</strong>t, Coltrane avait le s<strong>en</strong>s de la musique digne.<br />

L'idée de " Naima ", par exemple, était géniale. Avant, Coltrane jouait cette ballade d'une<br />

façon dépouillée, très simplem<strong>en</strong>t il exposait le thème, laissait le pianiste seul et ne rejouait<br />

que pour repr<strong>en</strong>dre le thème à la fin. Après il a comm<strong>en</strong>cé à improviser dessus, mais il s'est<br />

r<strong>en</strong>du compte que ce n'était pas vraim<strong>en</strong>t la solution. II fallait que ça soit quelqu'un d'autre<br />

qui délire sur le thème, pas lui. Il laissait donc à Pharoah Sanders le soin de pleurer, de se<br />

lam<strong>en</strong>ter sur tous les maux de la terre, et lui arrivait derrière ça avec un son très beau,<br />

énorme, pour ré-attaquer le thème. Lui ne jouait plus que la beauté, mettant toute l'énergie<br />

dans le son. Mais ce n'était plus un sax qui vibrait, c'était Coltrane directem<strong>en</strong>t. Je n'ai<br />

d'ailleurs jamais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du de sax chez Coltrane. Son instrum<strong>en</strong>t et lui ne faisai<strong>en</strong>t qu'un.<br />

C'était lui qui parlait.<br />

M.B. & P.C. - Est-ce le seul musici<strong>en</strong> qui t'ait laissé cette impression ?<br />

C.V. - Non. Janik Top aussi.<br />

M.B. & P.C. - Pourquoi ne jouez-vous plus <strong>en</strong>semble, alors ?<br />

C.V. - Beuh… Ce n'est pas le problème, ça va très bi<strong>en</strong> avec Janik, vous le verrez bi<strong>en</strong>tôt.<br />

Quoiqu'il se dise, ça continue. On a un cadavre dans notre placard…<br />

M.B. & P.C. - De quelle période de <strong>Magma</strong> gardes-tu le meilleur souv<strong>en</strong>ir ?<br />

C.V. - Sur scène, il y a eu une période fantastique vers juin 1972, avec le premier <strong>Magma</strong>.<br />

On comm<strong>en</strong>çait à jouer "Mekanïk", il y a eu cinq ou six concerts dont je me souvi<strong>en</strong>s <strong>en</strong>core.<br />

Après, il y a eu des concerts musicalem<strong>en</strong>t parfaits avec Janik, notamm<strong>en</strong>t le dernier à<br />

Colmar. On était' quatre sur scène: Klaus, Janik, moi et Gérard Bikialo aux claviers, on avait<br />

l'impression qu'on était tr<strong>en</strong>te. Récemm<strong>en</strong>t, on a aussi fait de très bons concerts avec le<br />

nouveau groupe.<br />

Quant aux disques, celui que je préfère, c'est la bande du film " Tristan et Iseult ". C'est celui<br />

où se reflète le plus le véritable climat <strong>Magma</strong> : un piano et des chœurs. On l'a <strong>en</strong>registré à<br />

trois, Klaus, Janik et moi. A 10 h du soir, Janik est v<strong>en</strong>u chercher la partition, à 2 h du matin<br />

on <strong>en</strong>registrait, et <strong>en</strong>tre temps il s'était même permis de changer des parties. Il compr<strong>en</strong>d tout<br />

très vite.<br />

M.B. & P.C. - C'est une véritable histoire d'amour <strong>en</strong>tre vous…<br />

C.V. - Oui, bi<strong>en</strong> sûr. Je ne vois aucune différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre sa musique et la mi<strong>en</strong>ne. C'est peutêtre<br />

dit autrem<strong>en</strong>t, mais le fond est tellem<strong>en</strong>t le même…<br />

QUOTIDIEN<br />

M.B. & P.C. - " Mekanïk Kommandöh ", " Üdü Wüdü " ?<br />

C.V. - Dans " Mekanïk, il y a la foi; je sais que tout ce qui a été joué a été vraim<strong>en</strong>t joué.<br />

Mais le son a été coupé, à cause de Giorgio Gomelsky qui ne supporte pas les basses trop<br />

basses ou les aigus trop perçants… Voilà un monsieur qui fonctionne avec des limiteurs. "<br />

Üdü Wüdü " était un disque de transition. On allait monter le groupe avec Janik, mais il n'y<br />

avait, ri<strong>en</strong> de prêt et on devait <strong>en</strong>registrer. II y a donc des extraits de thèmes d'" Emmehntëht<br />

Rë ", mais pris isolém<strong>en</strong>t cela peut ne pas vouloir dire grand-chose. Ce ne sont ni les<br />

arrangem<strong>en</strong>ts définitifs, ni la manière dont je veux les jouer vraim<strong>en</strong>t.


M.B. & P.C. - Emmehntëht Rê joue un peu le rôle de l'Arlési<strong>en</strong>ne dans la vie de<br />

<strong>Magma</strong>. On <strong>en</strong> parle beaucoup, mais on ne voit ri<strong>en</strong> v<strong>en</strong>ir…<br />

C.V. - L'introduction d'Emmehntëht Rê, c'est " Köhntarkösz ". Seulem<strong>en</strong>t pour faire la suite,<br />

il faudrait <strong>en</strong>registrer trois albums à face pleine, sans aucune interruption musicale… Ça pose<br />

un problème évid<strong>en</strong>t au niveau de la maison de disques et du public : qui va pouvoir gober<br />

tout ça ?<br />

Alors mon projet c'est, d'une part de faire connaître la musique du quotidi<strong>en</strong> <strong>Magma</strong>, dont<br />

personne n'a <strong>en</strong>core <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du parler, d'autre part de faire sortir Emmehntëht Rê, sous le nom "<br />

Zeühl ", à une échéance que je ne connais pas <strong>en</strong>core. II y aurait là des musici<strong>en</strong>s de <strong>Magma</strong>,<br />

et sans doute d'autres g<strong>en</strong>s, certainem<strong>en</strong>t Janik, par exemple…<br />

M.B. & P.C. - Qu'est-ce donc que la musique du quotidi<strong>en</strong> <strong>Magma</strong> ?<br />

C.V. - II y a les grandes <strong>en</strong>treprises, et le 'quotidi<strong>en</strong>. Je p<strong>en</strong>se maint<strong>en</strong>ant qu'avant de<br />

s'attaquer aux premières, il faut résoudre le second. Parler de ce qui se passe tous les jours,<br />

avoir une pleine consci<strong>en</strong>ce dé la minute qui est <strong>en</strong> train de s'écouler. Par exemple, tu<br />

regardes tomber la pluie, tu p<strong>en</strong>ses des choses. Alors il y a des tas de thèmes que je p<strong>en</strong>se<br />

monter, dans ce s<strong>en</strong>s… C'est une musique plus accessible que celle des grandes pièces, mais<br />

elle dit la même chose et je la joue avec autant d'int<strong>en</strong>sité. Parce que ça se passe sur Kobaïa :<br />

il ne s'agit pas de la pluie sur Terre, polluée. C'est un quotidi<strong>en</strong> transc<strong>en</strong>dé, merveilleux…<br />

M. B. & P.C. - Y a-t-il d'autres musici<strong>en</strong>s avec qui tu aies <strong>en</strong>vie de jouer ?<br />

C.V. - Il est question que je fasse quelque chose avec Jan Hammer, mais ça ne me passionne<br />

pas vraim<strong>en</strong>t. Le seul avec qui ça me brancherait vraim<strong>en</strong>t, c'est McCoy Tyner…<br />

M.B. & P.C. - Tu, n es pas <strong>en</strong>vie de réutiliser des cuivres ?<br />

C.V. - Si, mais pour qu'une section de cuivres sonne vraim<strong>en</strong>t, il <strong>en</strong> faut au moins quatre et<br />

ça coûte horriblem<strong>en</strong>t cher. Il <strong>en</strong> 'faudrait bi<strong>en</strong> quinze, d'ailleurs… Mais je le ferai, c'est<br />

sûr… Je voudrais aussi donner des concerts avec un piano acoustique, des voix et presque<br />

pas de batterie, quelque chose de léger à la caisse claire, d'obsessionnel.<br />

M.B. & P.C. - C'est curieux comme tu sembles te démarquer de la batterie alors que tu<br />

es surtout connu comme batteur…<br />

C.V. - Ça me mine le moral, d'être considéré comme un " batteur ". Ça ne veut ri<strong>en</strong> dire.<br />

Quand je joue de la batterie, tout passe <strong>en</strong> moi : le piano, les cuivres, les chœurs, c'est peutêtre<br />

pour ça que mon jeu est un peu fou… J'ai travaillé très dur sur la batterie, mais sans<br />

compr<strong>en</strong>dre que ce que je voulais, c'était surtout chanter, jouer du piano…<br />

M.B. & P.C. - Tu n'as jamais été t<strong>en</strong>té parle vibraphone ?<br />

C.V. - Non, je trouve ça précieux, c'est un son, alors que dans une batterie il y a tout : vingtcinq<br />

sons si tu veux. Si tu <strong>en</strong> joues comme Elvin Jones, tu crées une véritable plaine, tu<br />

inv<strong>en</strong>tes un espace. Mais cela dit, personne n'arrive à jouer comme lui. II n'a toujours pas été<br />

dépassé… II y a de fantastiques batteurs, mais Elvin, c'est magique. Tu te mets à côté de lui,<br />

tu ne compr<strong>en</strong>ds ri<strong>en</strong>, et si tu essaies de repr<strong>en</strong>dre une de ses phrases, tu n'y arrives pas. Ça<br />

ne sonne pas pareil, il manque toujours quelque chose.<br />

UN VIDE IMMENSE<br />

M.B. & P.C. - Tu n'es pas très intéressé par la musique qui se fait aujourd'hui…<br />

C.V. - C'est dramatique. Et pourtant je ne demande que ça, j'essaie. On me dit " écoute le<br />

dernier machin, il y a un super son, etc. ". Mais je me moque du son. Enfin tant mieux s'il y a


un bon son, je suis bi<strong>en</strong> placé pour le savoir, on ne l'a jamais eu, mais ce n'est pas l'ess<strong>en</strong>tiel.<br />

On a l'impression qu'ils se sont tous fait pr<strong>en</strong>dre à leur propre jeu que ce n'est plus vital pour<br />

eux de faire de la musique. II y a tellem<strong>en</strong>t de g<strong>en</strong>s qui font des arrangem<strong>en</strong>ts sur ri<strong>en</strong> qui<br />

sont dev<strong>en</strong>us des spécialistes <strong>en</strong> son, <strong>en</strong> emballage… Mais il n'y a ri<strong>en</strong> à emballer, au bout de<br />

dix minutes tu s<strong>en</strong>s un vide imm<strong>en</strong>se, le château de cartes s'écroule…<br />

M.B. & P.C. - Beaucoup de g<strong>en</strong>s sont passés dans <strong>Magma</strong>, et leurs propos alim<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t la<br />

chronique… Tu n'as ri<strong>en</strong> à répondre ?<br />

C.V. - Quand on monte un groupe, on ne se pose jamais là question de savoir si untel devra<br />

partir un jour… On a l'impression que ça va toujours durer. Mais certains se s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t exclus<br />

d'une histoire qu'ils n'ont pas pu vivre avant. Certains manqu<strong>en</strong>t de pati<strong>en</strong>ce, s'étonn<strong>en</strong>t au<br />

bout de six mois que le public ne les regarde pas plus, et juste quand ça comm<strong>en</strong>ce à bi<strong>en</strong><br />

marcher, ils craqu<strong>en</strong>t. Maint<strong>en</strong>ant, si je devais expliquer vraim<strong>en</strong>t pourquoi la plupart des<br />

g<strong>en</strong>s sont partis de <strong>Magma</strong>, moi je pourrais le faire relax, mais ça poserait sûrem<strong>en</strong>t des<br />

problèmes…<br />

M. B. & P.C. - Ce n'est pas grave, vas-y…<br />

C.V. - C'est une question de s<strong>en</strong>sibilité. Quand je joue, je ne calcule pas l'énergie, je suis<br />

complètem<strong>en</strong>t " dedans ", mais beaucoup ne sont pas à l'aise dans la musique, ils calcul<strong>en</strong>t,<br />

ils s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t trop leur corps et ils mett<strong>en</strong>t longtemps à compr<strong>en</strong>dre. On a passé des mois,<br />

parfois, à répéter des trucs qui aurai<strong>en</strong>t dû v<strong>en</strong>ir très vite. Dans l'histoire de <strong>Magma</strong>, deux<br />

musici<strong>en</strong>s seulem<strong>en</strong>t compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t tout tout de suite : Teddy Lasry et Janik Top… Quant aux<br />

autres, ce qui m'<strong>en</strong>nuie, c'est que quand ils s'<strong>en</strong> vont de <strong>Magma</strong>, ils ne font pas de cadeaux.<br />

Mais aujourd'hui, je n'ai <strong>en</strong>vie de dire du mal de personne…<br />

M.B. & P.C. - Vous tournez beaucoup <strong>en</strong> Europe, ça marche bi<strong>en</strong> ?<br />

C.V. - Très bi<strong>en</strong>, oui. L'an passé, on a joué à Roskilde, <strong>en</strong> Norvège. Il devait bi<strong>en</strong> y avoir 30<br />

000 personnes, et c'était le délire total… On y repart demain d'ailleurs. En Allemagne; c'est<br />

pareil… On a eu des <strong>en</strong>nuis <strong>en</strong> Angleterre, parce qu'on a dû annuler une tournée là-bas,<br />

l'automne dernier : le groupe s'était dissous la veille et ça a tout foutu par terre… Mais<br />

Zappa, quand on lui parle de l'Angleterre, il répond : " Où ? ".<br />

M.B. & P.C. - Et quand on te dit <strong>Magma</strong>, tu réponds quoi ?<br />

C.V. - Amour. Je vis actuellem<strong>en</strong>t " l'Eternel retour ". C'est l'amour fou, intemporel, et c'est<br />

tellem<strong>en</strong>t énorme, tellem<strong>en</strong>t palpable qu'une bonne partie de mon <strong>en</strong>tourage pr<strong>en</strong>d peur. Mais<br />

c'est dev<strong>en</strong>u évid<strong>en</strong>t immédiatem<strong>en</strong>t communicable, et je sais que tout est possible,<br />

puisqu'<strong>en</strong>fin j'ai trouvé l'écho.<br />

Propos recueillis par Michel BOURRE et Patrick COUTIN.<br />

Rock & Folk n° 127 - Août <strong>1977</strong><br />

Mekanik Pop : Janik Top - Rock & Folk n° 127 – Août<br />

MEKANIK POP<br />

Janik TOP


Tout d'abord, j'aimerais remercier tous ceux qui m'ont écrit, et surtout leur demander de ne<br />

pas joindre de timbres à leurs questions. Le courrier de Mekanik Pop augm<strong>en</strong>te chaque mois,<br />

et il ne m'est plus possible de répondre à chacun d'<strong>en</strong>tre vous, d'autant que nombre de vos<br />

demandes se recoup<strong>en</strong>t. Par contre, dans un prochain numéro, nous consacrerons une<br />

rubrique <strong>en</strong>tière au courrier.<br />

Au m<strong>en</strong>u de ce mois-ci, un plat de choix, et pour changer, un bassiste : Janik Top.<br />

Janik s'est montré un excell<strong>en</strong>t professeur de basse, tout aussi prolixe sur la manière dont il<br />

<strong>en</strong>visage son instrum<strong>en</strong>t que sur celle qu'il a employée pour le maîtriser. Faute de place, nous<br />

ne donnerons ici que la première partie de cette interview, réservant la complexe leçon de<br />

musique pour le futur.<br />

Quant à l'itinéraire musical de Janik, les intéressés pourront se reporter au numéro de mai de<br />

" Rock et Folk ".<br />

R & F : Quels sont les instrum<strong>en</strong>ts que tu utilises ?<br />

J.T. : Ma basse actuelle est une Music Man ; je retrouve <strong>en</strong> elle tout ce que j'aimais sur les<br />

anci<strong>en</strong>nes F<strong>en</strong>der. Comme amplificateur, je me sers d'un petit Ampeg B 15 M que j'aime<br />

beaucoup, un appareil à lampes, et puis pour la scène un gros STV, Ampeg aussi, que j'ai fait<br />

trafiquer. On y a rajouté un Master Volume à l'arrière, ce qui me permet de compresser le son<br />

sans augm<strong>en</strong>ter trop le volume. Cela me donne un son gras, terrifiant, très délicat à jouer. Tu<br />

dois utiliser la pression des doigts, pas la force, la pression... Certains bassistes préfèr<strong>en</strong>t<br />

jouer <strong>en</strong> courant sur la manche, moi j'aime ce contact, cet <strong>en</strong>racinem<strong>en</strong>t.<br />

R & F : As-tu des pédales pour transformer ton son ?<br />

J.T.. : Bi<strong>en</strong> sûr; je travaille <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t sur un prototype de synthétiseur pour guitare,<br />

l'ORS ; c'est d'ailleurs très différ<strong>en</strong>t de la basse seule. Il faut jouer avec les sons, les trouver,<br />

et puis après évoluer <strong>en</strong> fonction d'eux. Certains sont l<strong>en</strong>ts, et il faut laisser l'oscillateur agir,<br />

donc faire moins de notes... Je suis impati<strong>en</strong>t d'avoir retrouvé ma technique classique de<br />

violoncelle, pour m'<strong>en</strong> servir <strong>en</strong> corrélation avec l'électronique.<br />

R & F : Parle-nous des mom<strong>en</strong>ts clefs de ton évolution musicale.<br />

J.T. : Tout d'abord, il y a l'influ<strong>en</strong>ce classique ; très jeune, j'ai étudié le piano, le solfège, la<br />

direction d'orchestre, l'harmonie, bref tour ce qui participe des bases traditionnelles de la<br />

musique. Mais surtout, le plus important, l'ai été éduqué à l'école russe. Sans vouloir <strong>en</strong>tamer<br />

des querelles de clans, l'école russe est fantastique parce qu'elle met l'acc<strong>en</strong>t sur le toucher, le<br />

doigté. On te fait toucher un œuf et tu appr<strong>en</strong>ds à le s<strong>en</strong>tir avec tes doigts, à <strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre la<br />

chaleur. On développe donc ce s<strong>en</strong>s tactile pour te pousser à être <strong>en</strong> communication plus<br />

intime avec l'instrum<strong>en</strong>t. C'est resté une de mes préoccupations : la pression des doigts, leur<br />

s<strong>en</strong>sibilité.<br />

R & F : Pourquoi <strong>en</strong> es-tu v<strong>en</strong>u à la basse ?<br />

J.T. : J'ai d'abord fait de la contrebasse et du violoncelle <strong>en</strong> même temps que de la basse<br />

électrique, afin de remplacer un ami <strong>en</strong> partance pour les U.S.A. C'était une formation de bal,<br />

et j'y ai joué quelques mois. Après quoi, ayant abandonné la musique pour les maths, puis les<br />

maths pour la musique, je me suis trouvé devant un choix : c'est déjà très difficile de bi<strong>en</strong><br />

jouer d'un instrum<strong>en</strong>t, tu ne peux pas travailler tous les instrum<strong>en</strong>ts, alors ça a été la basse. Et<br />

puis, un soir, dans un club marseillais où j'allais faire des bœufs et écouter du jazz, j'ai<br />

r<strong>en</strong>contré ce pianiste, Stu Da Silva, qui m'a ouvert l'esprit à ce que l'on appelle les modes.


Sans vraim<strong>en</strong>t m'expliquer la chose, il m'a montré quelques exemples, et là-dessus je suis<br />

parti vivre p<strong>en</strong>dant deux ans à la campagne, où j'ai joué de la basse uniquem<strong>en</strong>t.<br />

R & F : Accordais-tu déjà ta basse de manière spéciale ?<br />

J.T. : Oui, très tôt j'ai accordé la contrebasse <strong>en</strong> Mi Sol La Ré au lieu de Mi La Ré Sol, ce qui<br />

redonnait prépondérance à l'accord de quinte, l'accord universel. Ce n'est que plus tard que<br />

j'ai trouvé un fabricant de cordes qui me fournisse des Do graves. Je suis donc accordé<br />

maint<strong>en</strong>ant <strong>en</strong> Do Sol Ré La.<br />

R & F : Deux ans sur une basse, cela représ<strong>en</strong>te une fantastique somme de travail.<br />

J.T. : J'ai toujours eu le goût du travail. Je peux travailler des journées <strong>en</strong>tières, au point d'<strong>en</strong><br />

avoir des vertiges. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde doive <strong>en</strong> faire autant. Tous les<br />

moy<strong>en</strong>s sont bons pour appr<strong>en</strong>dre. Mais je crois que de toutes les façons il y a un effort à<br />

fournir. Il y <strong>en</strong> a qui dis<strong>en</strong>t: " H<strong>en</strong>drix n'avait pas de technique"… pourtant, il jouait parfois<br />

dans des états presque comateux, et il savait <strong>en</strong>core où trouver ses notes. Il n'avait peut-être<br />

pas travaillé la technique traditionnelle, mais il avait passé des jours et des jours sur son<br />

instrum<strong>en</strong>t. En musique, ri<strong>en</strong> ne vi<strong>en</strong>t naturellem<strong>en</strong>t. Tout est artifice, appr<strong>en</strong>tissage. Pr<strong>en</strong>ds<br />

une basse de James Brown, par exemple : c'est très simple <strong>en</strong> appar<strong>en</strong>ce, mais pour décrocher<br />

le swing, le souffle, alors là, il va falloir du travail. Après, tu peux y aller de ton feeling...<br />

R & F : Pourrais-tu définir cette idée de "non naturel" ?<br />

J.T.. : Bi<strong>en</strong> sûr. Pr<strong>en</strong>ons deux exemples; l'oreille et la main. Certaines personnes ont une<br />

oreille absolue. Comme moi. C'est-à-dire que si j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds une note, je peux dire voilà un La<br />

ou un Si, etc. Lorsque j'écoute de la musique, j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds les notes changer par rapport à ellesmêmes.<br />

Je me dis : " ti<strong>en</strong>s un Do qui devi<strong>en</strong>t Mi "...<br />

D'autres personnes ont une oreille relative, c'est-à-dire quelles <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les notes les unes<br />

par rapport aux autres. Elles se dis<strong>en</strong>t voilà que ça monte, et là on desc<strong>en</strong>d, etc. Mais ces<br />

deux façons d'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sont indisp<strong>en</strong>sables. Il faut donc que, selon tes aptitudes, tu travailles<br />

dans le s<strong>en</strong>s contraire. La main, elle, est une machine atrophiée, déséquilibrée. La pince<br />

(c'est-à-dire le pouce et l'index) est surdéveloppée par rapport aux autres doigts. Or, il te faut<br />

une main parfaitem<strong>en</strong>t équilibrée. Pour cela il faut ruser, contrebalancer ta nature.<br />

Voilà un exercice qui développera l'indép<strong>en</strong>dance et la maîtrise des doigts : mettre la main à<br />

plat <strong>en</strong> év<strong>en</strong>tail, l'écartem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre chaque doigt étant égal. Puis, les uns après les autres,<br />

ram<strong>en</strong>er chacun des doigts vers la paume tout <strong>en</strong> maint<strong>en</strong>ant les autres immobiles. Après<br />

quoi, le faire avec deux doigts <strong>en</strong> variant les associations. Ce n'est pas facile, et il faut du<br />

temps pour y arriver. Mais que tu utilise cette méthode ou une autre, il te faudra bi<strong>en</strong> arriver à<br />

contrôler cette main. J'ai moi-même longtemps dormi avec des gants sur lesquels j'avais<br />

cousu des bouchons <strong>en</strong>tre les doigts, pour les écarter p<strong>en</strong>dant mon sommeil... ".<br />

La seconde partie de l'interview fut consacrée à la méthode même, et ce de manière très<br />

précise, qu'a employée Janik pour développer sa dextérité, son oreille, et son savoir<br />

théorique.<br />

Nous avons abordé l'utilisation des modes (une des marottes de Mc Laughlin), plus quelques<br />

autres points passionnants.<br />

La mine de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts est telle qu'il me faudrait plusieurs semaines pour la retranscrire.<br />

Mais ça vi<strong>en</strong>dra, et d'une manière ou d'une autre je vous promets de mettre ce trésor à votre<br />

disposition.


A bi<strong>en</strong>tôt.<br />

PATRICK COUTIN.<br />

Rock & Folk n° 127 - Juillet <strong>1977</strong><br />

Interview Christian Vander & Klaus Blasquiz - MM (magazine danois) – Août<br />

Interview de Christian Vander et Klaus Blasquiz<br />

La musique, c'est la vie<br />

Vous changez souv<strong>en</strong>t la composition de <strong>Magma</strong>. Est-ce difficile de faire rester les<br />

membres du groupe ?<br />

Vander : Il est faux de dire que nous changeons les membres du groupe. Ce sont eux qui<br />

part<strong>en</strong>t. Nous aimerions bi<strong>en</strong> garder les mêmes musici<strong>en</strong>s, mais on ne peut pas éviter les<br />

changem<strong>en</strong>ts fréqu<strong>en</strong>ts. C'est du au fait que bon nombre de musici<strong>en</strong>s ont un but différ<strong>en</strong>t de<br />

celui de Klaus et moi. La musique est le plus important. En ce mom<strong>en</strong>t, il y a un nouveau<br />

membre dans le groupe, il devrait être préparé à travailler au service de la musique. Nous<br />

sommes un groupe, pas une assemblée d'individus. On est supposé fournir un effort commun.<br />

C'est quelque chose que les noirs ont compris. Aux États-Unis, ils compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ce que cela<br />

veut dire. Booker T & the MG's l'ont compris. Ils ont accompagné Otis Redding. Ils étai<strong>en</strong>t<br />

réellem<strong>en</strong>t au service de la musique. Nous avons le même but avec <strong>Magma</strong>. En fait, <strong>Magma</strong><br />

joue de la musique noire, c'est-à-dire une musique faite de dévotion. C'est une musique<br />

spirituelle. La musique des blancs est une musique de l'intellect. Principalem<strong>en</strong>t.<br />

Blasquiz : Certains musici<strong>en</strong>s jou<strong>en</strong>t avec leur cœur, d'autres avec leur cerveau. Nous<br />

essayons de jouer à la fois avec notre cœur et avec notre cerveau. De la musique vitale. Ce<br />

qui est <strong>en</strong>nuyeux avec la musique d'aujourd'hui, c'est qu'elle n'est pas assez vitale. Vous<br />

jouez et <strong>en</strong>suite vous vous reposez. En Afrique, ils peuv<strong>en</strong>t jouer p<strong>en</strong>dant quatorze jours<br />

d'affilée. En Europe, la musique a pris une autre voie. Au lieu de l'intégrer à la vie, on laisse<br />

la musique <strong>en</strong> dehors. Vous jouez, et après vous vivez mais jouez après vous oubliez<br />

(mauvaise interprétation, ou erreur d'un des précéd<strong>en</strong>ts traducteurs). La musique, c'est vivre.<br />

La musique est prés<strong>en</strong>te tout le temps. Avant de comm<strong>en</strong>cer l'interview, on parlait de<br />

rythme-notez bi<strong>en</strong> cela : on interromp le rythme de la musique <strong>en</strong> le coupant du rythme de la<br />

vie. Les g<strong>en</strong>s ont fait de la musique une forme d'art. Ri<strong>en</strong> n'est plus faux que cela. La<br />

musique est là tout le temps. On ne peut pas l'exclure ou l'isoler selon la situation.<br />

Coltrane ne faisait qu'un avec la musique<br />

Est-ce que vous avez une définition précise de ce qu'est la musique ?<br />

Vander : Il est difficile de définir ce qu'est la musique. La musique est la vie. La musique<br />

déti<strong>en</strong>t tous les secrets de la vie. C'est le moy<strong>en</strong> d'expression le plus clair pour l'homme. La<br />

musique peut cont<strong>en</strong>ir aussi bi<strong>en</strong> la vie que la mort. La musique est un prolongem<strong>en</strong>t de soi,<br />

de notre manière de nous exprimer. La musique est universelle. Quand j'écoute John<br />

Coltrane, ce n'est pas son saxophone que j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds mais sa voix. Je perçois la musique<br />

comme un discours. Le saxophone est son organe vocal, c'est lui qui parle. C'est Coltrane.


Toute sa vie, toute son énergie sont passées dans son saxophone. Dans son cas particulier,<br />

l'instrum<strong>en</strong>t disparaît pour dev<strong>en</strong>ir un organe vivant, comme la voix. C'est ça la musique.<br />

Exactem<strong>en</strong>t comme pour un batteur. Le batteur ne devrait pas voir son instrum<strong>en</strong>t comme un<br />

<strong>en</strong>semble fait de tambours et de baguettes. La batterie devrait dev<strong>en</strong>ir une partie de lui.<br />

L'instrum<strong>en</strong>t devrait dev<strong>en</strong>ir un organe vivant. Ca aussi c'est notre but. La voix est le plus bel<br />

instrum<strong>en</strong>t qui existe.<br />

Comm<strong>en</strong>t vous s<strong>en</strong>tez-vous sur scène lors d'un concert ? Que ress<strong>en</strong>tez-vous ?<br />

Vander : de la joie et de l'amour.<br />

Blasquiz : la musique disparaît. On ne perçoit plus la musique. La distance <strong>en</strong>tre soi et la<br />

musique disparaît. On ne se s<strong>en</strong>t plus <strong>en</strong> train de jouer la musique. Je vois mon travail sur<br />

scène comme une activité m<strong>en</strong>tale, une ligne de p<strong>en</strong>sée.<br />

Vous avez dit que la musique était comme la vie. Pourtant, si on peut changer la<br />

musique, on ne peut pas changer la vie.<br />

Vander : C'est facile de changer la vie si on le veut vraim<strong>en</strong>t. On peut ori<strong>en</strong>ter la vie dans<br />

n'importe quel s<strong>en</strong>s, celui qu'on veut. Tout comme la musique. La musique peut changer la<br />

vie, et inversem<strong>en</strong>t. C'est pour cela qu'on ne peut pas séparer la vie de la musique. Bob Dylan<br />

a changé la vie de nombreuses personnes. On peut faire des choses incroyables avec la<br />

musique. La musique est un pouvoir, un pouvoir invincible.<br />

Musique et révolution<br />

Vander : on peut lancer une révolution avec la musique. La musique est un élém<strong>en</strong>t très<br />

puissant <strong>en</strong> tant que facteur politique. C'est un des ag<strong>en</strong>ts les plus efficaces qui existe. Elle<br />

peut influ<strong>en</strong>cer l'esprit, la capacité qu'a chacun de p<strong>en</strong>ser, la conviction et elle peut changer la<br />

vie. Comme une révolution.<br />

Blasquiz : Il n'y a pas de différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre la vie et la musique. La révolution peut v<strong>en</strong>ir de<br />

plein de choses différ<strong>en</strong>tes mais avec la musique comme expression et comme outil, c'est<br />

nettem<strong>en</strong>t plus efficace. La révolution doit <strong>en</strong>trer dans la vie quotidi<strong>en</strong>ne, petit à petit.<br />

Où est le public dans la discussion ?<br />

Blasquiz : Le public n'existe pas. Le public et vous, c'est pareil. On touche maint<strong>en</strong>ant à<br />

l'ess<strong>en</strong>tiel. On rassemble le public, on joue devant un public qui est égalem<strong>en</strong>t nous-mêmes,<br />

afin de créer une forme de respect et d'amour à travers la musique.<br />

Vander : Si un fleuriste, après avoir vu un de nos concerts, r<strong>en</strong>d son magasin plus beau <strong>en</strong><br />

r<strong>en</strong>trant, alors <strong>Magma</strong> aura réussi à faire quelque chose. Ce que nous voulons faire, c'est que<br />

les g<strong>en</strong>s qui march<strong>en</strong>t dans la rue fass<strong>en</strong>t chaque pas dans la joie. Si nous r<strong>en</strong>dons les g<strong>en</strong>s<br />

heureux avec notre musique, alors nous voulons aussi que ces g<strong>en</strong>s r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t d'autres<br />

personnes heureuses. Exactem<strong>en</strong>t comme dans une réaction <strong>en</strong> chaîne. Certaines des races<br />

qui exist<strong>en</strong>t sur terre ont une telle relation d'amour <strong>en</strong>tre elles, et il se trouve que ce sont ces<br />

races qui, sur terre, sont le plus imprégnées par la musique. Ce n'est pas une coïncid<strong>en</strong>ce.<br />

Même si ça peut paraître ridicule.<br />

Blasquiz : Pas du tout, il n'y ri<strong>en</strong> de ridicule dans une telle relation <strong>en</strong>tre l'amour et la<br />

musique. C'est dans ce but que nous travaillons. Pour r<strong>en</strong>dre les g<strong>en</strong>s consci<strong>en</strong>ts. peut-être<br />

que <strong>Magma</strong> <strong>en</strong> a les moy<strong>en</strong>s. Du moins c'est ce que nous espérons...<br />

Vander : Un homme politique va louer un <strong>en</strong>droit afin de s'adresser à son public. Nous<br />

faisons pareil, sauf que nous utilisons la musique comme moy<strong>en</strong> d'expression.<br />

La joie dans la musique


Vander : Parallèlem<strong>en</strong>t, nous ne devons pas oublier qu'on devrait réaliser de la joie avec la<br />

musique. La joie d'être <strong>en</strong>semble, d'écouter <strong>en</strong>semble. Le musici<strong>en</strong> n'est pas seulem<strong>en</strong>t un<br />

musici<strong>en</strong>, et ceux qui écout<strong>en</strong>t ne font pas qu'écouter. Et puis, il y a de nombreuses façons<br />

d'écouter.<br />

Blasquiz : Vous jouez un accord. Une personne peut le percevoir comme étant une<br />

expression d'amour et une autre personne comme une expression de haine. <strong>Magma</strong> essaie de<br />

trouver la musique universelle idéale. C'est notre travail. <strong>Magma</strong> n'a pas <strong>en</strong>core atteint ce but,<br />

mais on s'<strong>en</strong> approche. On essaie de créer une musique universelle complètem<strong>en</strong>t nouvelle,<br />

un nouveau mode d'expression.<br />

Avez-vous pu associer le rythme avec l'intellect ?<br />

Vander : La musique de magma est basée sur la pulsation, le rythme. Tout est rythme.<br />

Est-ce que votre forme de musique complexe ne crée pas de problème avec les nouveaux<br />

musici<strong>en</strong>s ?<br />

Vander : Pas si le musici<strong>en</strong> maîtrise assez bi<strong>en</strong> son instrum<strong>en</strong>t. Le problème pour les<br />

nouveaux musici<strong>en</strong>s est plutôt d'ordre spirituel. Il y a des musici<strong>en</strong>s qui sont plus "<strong>Magma</strong>"<br />

que d'autres. Certains ont la technique mais pas la conviction, d'autres ont la conviction mais<br />

pas la technique. Ce dont on a besoin avec <strong>Magma</strong>, ce sont de musici<strong>en</strong>s qui ne soi<strong>en</strong>t pas<br />

fermés. Pour être accepté dans <strong>Magma</strong>, il faut connaître la musique classique, le rock, la<br />

musique de Tamla-Motown et être capable d'utiliser la technique de ces formes de musique.<br />

Maint<strong>en</strong>ant, il y a deux batteurs dans le groupe...<br />

Vander : J'ai toujours voulu cela. Cela me permet de jouer du clavier et de chanter.<br />

Lors d'un concert à Paris, vous avez chanté p<strong>en</strong>dant un chorus de batterie.<br />

Vander : Pour beaucoup de batteurs, un chorus consiste seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> une démonstration<br />

technique et ri<strong>en</strong> d'autre. Le chorus de batterie doit être un véritable morceau, et c'est pour<br />

cela qu'il devrait être conduit de façon s<strong>en</strong>sible. Je divise mes chorus <strong>en</strong> trois parties. Dans<br />

ma première, je définis un niveau et je prépare le public à ce qui suit. Un chorus doit cont<strong>en</strong>ir<br />

une certaine émotion. De la tristesse, de la mélancolie, etc. Quand j'accompagne un chorus<br />

avec du chant, c'est parce que j'ai composé un morceau qui doit être accompagné par du<br />

chant. Ca ne peut pas se faire d'une autre manière.<br />

Le kobaï<strong>en</strong><br />

Vous avez inv<strong>en</strong>té votre propre langue. Pourtant, est-ce que ce n'est pas important de<br />

compr<strong>en</strong>dre ce qui est dit dans les chants ?<br />

Blasquiz : Oui, c'est très important, mais dans de nombreux cas, on donne beaucoup trop<br />

d'importance au texte, <strong>en</strong> ignorant ainsi la musique. la musique est alors réduite à quelque<br />

chose de moindre importance. Le chant est important, mais pas autant que la musique. Le<br />

kobaï<strong>en</strong> a été créé <strong>en</strong> même temps que la musique. C'est quelque chose de logique. C'est un<br />

langage physiologique, un rituel, une forme d'espéranto universel. C'est une langue faite de<br />

musique. Le kobaï<strong>en</strong> est facile à chanter et <strong>en</strong> même temps, il est là pour empêcher les g<strong>en</strong>s<br />

de p<strong>en</strong>ser à ce que nous voulons dire avec le texte ou un vers particulier. C'est une forme de<br />

musique sans sémantique. Ce qui n'exclue pas l'idée qu'un jour, nous essayerons quelque<br />

chose d'autre. Nous avons inv<strong>en</strong>té une langue phonétique sur des élém<strong>en</strong>ts de langues slaves<br />

et germaniques afin de pouvoir exprimer des choses <strong>en</strong> musique. La langue a, bi<strong>en</strong> sur, un<br />

cont<strong>en</strong>u mais pas si on la pr<strong>en</strong>d mot à mot. La langue a un cont<strong>en</strong>u global, et c'est ça qui est<br />

important.


Les disques de <strong>Magma</strong> ont jusqu'à prés<strong>en</strong>t été des albums-concepts qui, assemblés,<br />

form<strong>en</strong>t une histoire. Le dernier est différ<strong>en</strong>t...<br />

Vander : En fait, il s'agit d'un disque-pirate. C'est un disque qui a été <strong>en</strong>registré avec un<br />

magnétophone et qui consiste <strong>en</strong> des répétitions, des <strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>ts radio, etc. Le disque est<br />

une forme de statut pour nous. Il y a des morceaux avec des musici<strong>en</strong>s qui ne font plus partie<br />

de <strong>Magma</strong> maint<strong>en</strong>ant. Et puis, il était temps qu'un album de <strong>Magma</strong> sorte, parce que le<br />

précéd<strong>en</strong>t est sorti il y a assez longtemps. En plus, nous avons changé de producteur, donc on<br />

avait besoin de sortir un album avec lui, alors on a sorti "Inédits". Les <strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>ts sont<br />

assez basiques, mais il y a un autocollant sur la couverture qui prévi<strong>en</strong>t les g<strong>en</strong>s que la qualité<br />

du son n'est pas excell<strong>en</strong>tes. C'est plutôt une sorte de docum<strong>en</strong>taire. Si la musique est assez<br />

bonne, alors la technique ne compte pas.<br />

<strong>Magma</strong> et le public<br />

Que p<strong>en</strong>sez-vous du public danois ?<br />

Blasquiz : On a pas <strong>en</strong>core assez joué ici pour se faire une bonne impression, mais les<br />

réactions sont assez différ<strong>en</strong>tes de celles qu'on a d'habitude. On a joué lors d'un festival<br />

l'année dernière et les réactions qu'on a eu étai<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t formidables (Roskilde festival).<br />

Vander : C'était un de nos meilleurs concerts. D'un autre côté, hier après le concert, j'ai eu<br />

l'impression que dans cette ville, les g<strong>en</strong>s sont plus hésitants vis-à-vis de notre musique.<br />

Peut-être était-ce à cause de ce groupe étrange. Quel était leur nom, déjà ? (Blasquiz lui<br />

répond qu'il s'agissait de "Totalpetroleum" - un groupe humoristique qui mélange des<br />

samples des "Resid<strong>en</strong>ts", du rock, et des numéros de satire politique de la radio danoise et de<br />

l'establishm<strong>en</strong>t). Peut-être que le public n'était pas assez bi<strong>en</strong> préparé à notre style de<br />

musique. Nous aimons bi<strong>en</strong> un peu mystifier le groupe. Nous nous habillons <strong>en</strong> noir, parfois<br />

avec du blanc pour contraster, ça r<strong>en</strong>d le groupe plus mystique. On aimerait bi<strong>en</strong> faire<br />

quelque chose pour la scène. Peut-être travailler un jour avec un théâtre...<br />

Quelle est la part de routine et la part d'imprévu dans vos concerts ? Apparemm<strong>en</strong>t, il<br />

n'y a pas vraim<strong>en</strong>t de place laissé à l'improvisation.<br />

Blasquiz : Il ne faut pas p<strong>en</strong>ser quand on joue. Il faut jouer ! Au mom<strong>en</strong>t où on comm<strong>en</strong>de à<br />

se dire que le guitariste va jouer ça ou ça, alors c'est trop tard. Alors on p<strong>en</strong>se et donc,<br />

automatiquem<strong>en</strong>t, on est plus dans la musique. On est <strong>en</strong> dehors.<br />

En p<strong>en</strong>sant, on écoute<br />

Blasquiz : Alors qu'il faudrait créer un son, au mom<strong>en</strong>t où on p<strong>en</strong>se, on écoute et alors on est<br />

plus dans le son. Les musici<strong>en</strong>s ne devrai<strong>en</strong>t pas créer leur propre son mais être partie<br />

intégrante du son du groupe. Les choses devrai<strong>en</strong>t se dérouler naturellem<strong>en</strong>t. Il faudrait que<br />

les doigts boug<strong>en</strong>t de façon automatique, que chaque strophe soit chantée de façon<br />

automatique. Il ne doit pas y avoir d'espace laissé à la p<strong>en</strong>sée.<br />

Vander : La musique devrait être dans la colonne vertébrale de chacun ; Si je comm<strong>en</strong>ce à<br />

écouter le bassiste ou le guitariste, alors je vais jouer de manière hésitante et les autres<br />

musici<strong>en</strong>s vont le ress<strong>en</strong>tir, et vice-versa. La musique doit avoir une structure solide, où tout<br />

est basé sur la sécurité et la routine. Ce qui ne veut pas dire que le détail doit être perdu dans<br />

l'<strong>en</strong>semble. Att<strong>en</strong>tion, une pièce qui est bi<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sée, bi<strong>en</strong> répétée et basée sur la conviction<br />

peut très bi<strong>en</strong> cont<strong>en</strong>ir des détails et des ombres, s'ils sont créés par les différ<strong>en</strong>ts musici<strong>en</strong>s.<br />

Alors est-ce que ça ne revi<strong>en</strong>drait pas au même de mettre une machine sur scène ?<br />

Blasquiz : C'est facile de jouer comme une machine, mais alors le coeur de musici<strong>en</strong> ne sera


pas systématiquem<strong>en</strong>t dans la musique, et c'est là la différ<strong>en</strong>ce. La musique ne sera jamais<br />

comme une machine. C'est le cœur qui contrôle la musique. La machine est sourde, pas<br />

l'homme. L'homme doit se conc<strong>en</strong>trer et ce n'est pas facile pour un groupe de musici<strong>en</strong>s de se<br />

conc<strong>en</strong>trer <strong>en</strong>semble. Nous jouons avec le cœur, et pourtant nous ne p<strong>en</strong>sons pas, mais nous<br />

nous conc<strong>en</strong>trons et c'est <strong>en</strong> ça qu'il y a une différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre une machine et <strong>Magma</strong>.<br />

Vander : Les musici<strong>en</strong>s "professionnels" p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t à d'autres choses que la musique. Ils se<br />

demand<strong>en</strong>t s'ils sont assez bi<strong>en</strong> payés, s'ils ont du succès, mais ils ne p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t pas à la<br />

musique. Ils se demand<strong>en</strong>t s'ils sont bi<strong>en</strong> habillés, ils s'interrog<strong>en</strong>t sur leur futur, etc.... Nous,<br />

on s'habille <strong>en</strong> noir, c'est mystique, soit mais <strong>en</strong> même temps, c'est discret. nous chantons<br />

dans une langue phonétique, c'est mystique mais le cont<strong>en</strong>u ne peut pas être trop éloigné du<br />

son dans sa globalité.<br />

Blasquiz : On joue toujours les mêmes pièces. On utilise les mêmes mots mais cep<strong>en</strong>dant, à<br />

chaque fois, l'expéri<strong>en</strong>ce est nouvelle. On aura jamais une relation "professionnelle" <strong>en</strong>vers<br />

<strong>Magma</strong>.<br />

Vander : C'est ess<strong>en</strong>tiel ! Si on pr<strong>en</strong>d Mekanïk Kommandöh par exemple... (Vander pr<strong>en</strong>d<br />

deux baguettes et joue le rythme sur la table). Toujours le même rythme, c'est ce qui est à<br />

l'intérieur qui change. Je ne considérerai jamais cette pièce comme une ligne de rythme mais<br />

comme quelque chose plus proche d'une pulsation. Quand on a joué cette pièce, une fois, <strong>en</strong><br />

plein milieu d'un concert, je me suis trouvé comme le plaignant dans une salle d'audi<strong>en</strong>ce,<br />

avec des témoins, le grand jeu. A ce mom<strong>en</strong>t, la batterie est le vrai instrum<strong>en</strong>t, c'est le but. Et<br />

soudainem<strong>en</strong>t, la musique voulait dire quelque chose pour moi : j'étais la musique. Le son de<br />

la batterie a complètem<strong>en</strong>t disparu de mon paysage sonore. c'était une expéri<strong>en</strong>ce<br />

extraordinaire, qui se répète parfois. A chaque fois de nouvelles expéri<strong>en</strong>ces, à chaque fois<br />

un nouveau rôle pour la charleston, à chaque fois un nouveau son pour les cymbales. C'est ça<br />

la musique. Et c'est ça qu'on vise avec <strong>Magma</strong>. Le groupe ne devrait pas être une série<br />

d'individualités, mais une seule : <strong>Magma</strong> !<br />

Les improvisations sont guidées<br />

Peut-on ôter aux musici<strong>en</strong>s leur désir de jouer ?<br />

Vander : Non, ce n'est pas possible, mais on peut le contrôler et le guider. Je vais <strong>en</strong>core<br />

faire référ<strong>en</strong>ce à John Coltrane. Il avait compris comm<strong>en</strong>t faire pour guider ses<br />

improvisations, il n'a jamais cédé à la t<strong>en</strong>tation de simplem<strong>en</strong>t jouer comme il <strong>en</strong> avait <strong>en</strong>vie<br />

ou bi<strong>en</strong> de se détourner de ce qu'il voulait faire. Il contrôlait parfaitem<strong>en</strong>t sa musique et<br />

pourtant il parv<strong>en</strong>ait à improviser. Il ne jouait jamais une note a hasard. Parfois, il se laissait<br />

aller, et ça nous arrive à nous aussi, mais il avait la capacité de toujours se contrôler.<br />

Vous n'improvisez jamais dans vos chorus de batterie ?<br />

Vander : Je sais toujours où je suis. Je ne p<strong>en</strong>se jamais à ce que je vais faire après, ni au<br />

mom<strong>en</strong>t où je devrais utiliser les cymbales. Je sais toujours à l'avance comm<strong>en</strong>t je vais jouer.<br />

Si je ne vais pas me servir des cymbales je le sais à l'avance, je peux le s<strong>en</strong>tir.<br />

Blasquiz : Je vais appeler ça une p<strong>en</strong>sée globale. Parfois <strong>en</strong> arrivant sur scène, je pr<strong>en</strong>d<br />

soudainem<strong>en</strong>t consci<strong>en</strong>ce de comm<strong>en</strong>t tout va se dérouler. Du début à la fin. Il est déjà arrivé<br />

que je me trompe mais c'est très rare et souv<strong>en</strong>t dû aux conditions extérieures.<br />

Vander : Hier, dans la salle de concert, il faisait très chaud. Tellem<strong>en</strong>t chaud que mes mains<br />

étai<strong>en</strong>t très moites. J'avais du mal à t<strong>en</strong>ir les baguettes et j'ai fait des erreurs <strong>en</strong> jouant. Il y<br />

avait des choses qui aurai<strong>en</strong>t dues être jouées très fort et je ne pouvais pas le faire. J'ai dû<br />

sauter des passages et dans certains cas jouer de façon différ<strong>en</strong>te.


Dans ces mom<strong>en</strong>ts-là, vous p<strong>en</strong>sez ?<br />

Vander : Non, je saute des passages.<br />

Blasquiz : Il y a une différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre p<strong>en</strong>ser et se demander quelque chose. On peut p<strong>en</strong>ser<br />

quand il y a de la musique, mais quand on joue, la p<strong>en</strong>sée vi<strong>en</strong>t comme un éclair dans un ciel<br />

bleu. Peut-être que c'est plutôt une s<strong>en</strong>sation ou un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t. Mais au mom<strong>en</strong>t où on<br />

comm<strong>en</strong>ce à se dire "Qu'est ce que je devrais faire après ?", alors, comme Christian l'a dit, on<br />

est coupé de la musique. Peut-être que ceci explique mieux ce que Christian voulait dire.<br />

Vander : Notre musique est construite pour former un mouvem<strong>en</strong>t naturel et continu, mais<br />

parfois il arrive que je m'<strong>en</strong>ferme dans la même séqu<strong>en</strong>ce et n'arrive plus à <strong>en</strong> sortir<br />

(Christian Vander pr<strong>en</strong>d de nouveau les baguettes et répète le même mouvem<strong>en</strong>t sur la table)<br />

et je rejoue la même séqu<strong>en</strong>ce, <strong>en</strong>core et <strong>en</strong>core, j'att<strong>en</strong>d, mais tout <strong>en</strong> rejouant la même<br />

séqu<strong>en</strong>ce jusqu'à ce que je puisse avancer de façon logique et automatique. Je ne p<strong>en</strong>se pas<br />

"Comm<strong>en</strong>t est-ce que je dois continuer, là" mais je ne fait que jouer, jusqu'à ce que j'avance,<br />

automatiquem<strong>en</strong>t.<br />

Nous avons seulem<strong>en</strong>t évoqué les concerts-comm<strong>en</strong>t parv<strong>en</strong>ez-vous à donner la même<br />

auth<strong>en</strong>ticité à la musique <strong>en</strong> studio ?<br />

Blasquiz : C'est difficile, parce qu'il faut recomm<strong>en</strong>cer, <strong>en</strong>core et <strong>en</strong>core. Et à chaque fois, il<br />

faut recomm<strong>en</strong>cer au début jusqu'à ce qu'on atteigne le point où on se dit : c'est là,<br />

maint<strong>en</strong>ant la musique, l'<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t est prés<strong>en</strong>t.<br />

Vander : Je ne p<strong>en</strong>se pas que ça soit si difficile que ça de réussir à faire de la musique <strong>en</strong><br />

studio. Je suis motivé pour jouer, que ce soit pour seulem<strong>en</strong>t trois personnes ou pour une<br />

grande salle de concert, le nombre de spectateurs n'a aucune importance pour moi. Ce que je<br />

donne avec mon cœur à la musique est toujours pareil. Dans un studio, il y a un technici<strong>en</strong><br />

pour le son et deux personnes dans la salle de mixage et ça veut dire : je joue pour ces trois<br />

personnes. Mon <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t est le même. On ne devrait jamais p<strong>en</strong>ser que ça ne vaut pas la<br />

peine de jouer. Ce n'est pas l'individu qui compte mais la musique.<br />

Interview de Poul Erik Sør<strong>en</strong>s<strong>en</strong> pour un anci<strong>en</strong> magazine danois appelé MM (numéro de<br />

août - septembre <strong>1977</strong>). L'interview a lieu à l'occasion du Silkeborg Multimusic Festival au<br />

Danemark <strong>en</strong> juillet <strong>1977</strong>.<br />

Traduction : Emilie Desassis<br />

Jannick Top - Rock & Folk n° 128 – Septembre<br />

JANIK TOP<br />

(extrait d'un article sur les meilleurs bassistes)<br />

Janik Top est de ces très rares êtres qui sont nés musici<strong>en</strong>s. Il n'a pas <strong>en</strong>core réalisé ce qu'il<br />

porte <strong>en</strong> lui et a déjà plus apporté à la musique que la plupart des instrum<strong>en</strong>tistes dont il a été<br />

question ici. Passionné par l'art de John Coltrane et par les compositeurs russes du siècle<br />

dernier, Janik a appris à jouer selon la technique propre au jazz et a accompli, comme Jean-


Luc Ponty par exemple, l'énorme travail théorique (solfège, harmonie, composition, etc.) par<br />

lequel pass<strong>en</strong>t les musici<strong>en</strong>s classiques. Top accorde sa basse comme un violoncelle,<br />

instrum<strong>en</strong>t qu'il pratique longtemps et sur lequel il opéra l'ess<strong>en</strong>tiel de son évolution. Ce<br />

Marseillais, monté à Paris avec deux mille francs <strong>en</strong> poche, r<strong>en</strong>contre Christian Vander et<br />

devi<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> 1973, remplaçant Francis Moze, le second bassiste de <strong>Magma</strong>. Le travail<br />

remarquable que Janik Top a fourni p<strong>en</strong>dant qu'il appart<strong>en</strong>ait au groupe a sans nul doute<br />

contribué à apporter à <strong>Magma</strong> une popularité nationale ("Mekanïk Destruktïw<br />

Kommandöh"). Techniquem<strong>en</strong>t, le jeu Janik Top consiste <strong>en</strong> un déferlem<strong>en</strong>t de notes et de<br />

lignes lourdes que ponctu<strong>en</strong>t peu de breaks et de sil<strong>en</strong>ces. L'emploi de séqu<strong>en</strong>ces répétées <strong>en</strong><br />

usant de sonorités modulées <strong>en</strong> cours de jeu concourt à créer une s<strong>en</strong>sation de majesté,<br />

d'emphase qui servait dans le cadre de <strong>Magma</strong> le propos de Christian Vander, mieux que ne<br />

pouvait le faire les discours tyranniques et la brutalité de l'image scénique du groupe. Mais il<br />

émane surtout du style de Top une puissance magnifique, la vraie force d'un créateur. La<br />

Beauté. Porté vers les recherches électroniques (il utilise un synthétiseur), Janik Top prépare<br />

aujourd'hui une œuvre dont on att<strong>en</strong>d impatiemm<strong>en</strong>t le prologue.<br />

Enregistrem<strong>en</strong>ts avec <strong>Magma</strong>: "Mekanïk Destruktïw Kommandöh", "Köhntarkösz".<br />

Rock & Folk n° 128 - Septembre <strong>1977</strong><br />

Chronique "Inédits" - Rock Hebdo – Octobre<br />

MAGMA<br />

"Inédits"<br />

Chronique de :<br />

Rock Hebdo - Octobre 197<br />

Pas à proprem<strong>en</strong>t parler un nouveau <strong>Magma</strong>, puisqu'il s'agit là d'anci<strong>en</strong>nes bandes<br />

<strong>en</strong>registrées dans divers <strong>en</strong>droits avec des formations différ<strong>en</strong>tes. Un disque intéressant pour<br />

tous ceux qui suiv<strong>en</strong>t de près la carrière de <strong>Magma</strong>. Mais certaines car<strong>en</strong>ces au niveau<br />

<strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>t sont à mettre au passif de cette production. Pour inconditionnel seulem<strong>en</strong>t...<br />

Christian Vander, interview - Rock & Roll Music n° 6 – Novembre<br />

Christian VANDER<br />

<strong>Magma</strong>, vous <strong>en</strong> convi<strong>en</strong>drez, n'est pas tout à fait un groupe comme les autres. Il y a une<br />

image <strong>Magma</strong>, une musique, une langue <strong>Magma</strong> ; il y a aussi un musici<strong>en</strong>, un personnage


extraordinaire, Christian Vander. Après quelques mois de demi-sommeil, "le groupe qui fait<br />

peur" revi<strong>en</strong>t avec un nouveau visage. Janik Top est parti, B<strong>en</strong>oît Widemann est rev<strong>en</strong>u,<br />

Clém<strong>en</strong>t Bailly (ex Stivell) est à la batterie, ce qui permet à Christian Vander de quitter<br />

fréquemm<strong>en</strong>t son instrum<strong>en</strong>t préféré pour le piano ou pour chanter. Par ailleurs, Klaus<br />

Blasquiz reste toujours le leader vocal, Jean De Antoni est à la guitare. Quant au vide laissé<br />

par le départ de Janik Top, il est comblé par Guy Delacroix qui supporte de bonne manière le<br />

lourd héritage qui pèse sur ses épaules.<br />

<strong>Magma</strong> a maint<strong>en</strong>ant sept ans et Vander estime que l'on a, la plupart du temps, mal interprété<br />

ce qu'il laissait <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre…<br />

Au mom<strong>en</strong>t où le groupe pr<strong>en</strong>d un nouveau départ, il a t<strong>en</strong>u à s'expliquer.<br />

Considérons donc ce qui suit comme un appel à ceux qui ne connaiss<strong>en</strong>t pas <strong>Magma</strong>, comme<br />

une mise au point auprès des g<strong>en</strong>s qui croi<strong>en</strong>t connaître <strong>Magma</strong>…<br />

Rock & Roll Music : Tu n'as jamais eu l'habitude, ni même désiré expliquer la<br />

musique, l'atmosphère <strong>Magma</strong>. Tu souhaites maint<strong>en</strong>ant donner des explications.<br />

Pourquoi ?<br />

Christian Vander : Je p<strong>en</strong>sais qu'il n'était pas utile de parler dans les détails, je donnais des<br />

images. Je parlais symboliquem<strong>en</strong>t d'idées, p<strong>en</strong>sant que les g<strong>en</strong>s compr<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t à travers ça.<br />

Or, il se trouve que bi<strong>en</strong> des g<strong>en</strong>s se sont trompés, <strong>en</strong> particulier parmi ceux qui se<br />

considèr<strong>en</strong>t comme chargés d'expliquer ces choses-là au public…<br />

RNRM : Est-ce que cela signifie que la plupart des g<strong>en</strong>s ne sont pas à la portée de<br />

<strong>Magma</strong> ?<br />

CV : Non, pas du tout, mais malheureusem<strong>en</strong>t ils ne sont pas habitués…<br />

RNRM : On a pris l'habitude de dire que Vander était un fasciste.<br />

CV : Voilà le g<strong>en</strong>re de déclarations contre lesquelles je m'insurge. Les g<strong>en</strong>s qui dis<strong>en</strong>t, qui<br />

écriv<strong>en</strong>t cela, sont des g<strong>en</strong>s qui n'ont ri<strong>en</strong> compris. La musique, l'atmosphère <strong>Magma</strong>,<br />

puisque tu emploies ce terme, doit être interprétée au deuxième degré…<br />

La joie, la foi ont toujours été prés<strong>en</strong>tes dans la musique de <strong>Magma</strong>. Mais la joie, quand tu es<br />

heureux, quand tu éclates vraim<strong>en</strong>t, ne se lit pas forcém<strong>en</strong>t sur ton visage. C'est la transe, un<br />

état de folie que tu veux communiquer aux g<strong>en</strong>s. Les g<strong>en</strong>s se dis<strong>en</strong>t : "Ils sont fous, ils font<br />

peur". Ils ne se r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t pas compte qu'ils peuv<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ir dans le même état. C'est un état<br />

d'esprit que l'on connaît aux Etats-Unis, dans ces régions qui côtoi<strong>en</strong>t le Mississippi où tu<br />

vois des femmes, des hommes, des <strong>en</strong>fants noirs qui sort<strong>en</strong>t des églises complètem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

transe. Ils se sont vidés et ils sont heureux… C'est aussi l'esprit <strong>Magma</strong>… Il y a du blues dans<br />

notre musique.<br />

RNRM : C'est difficile <strong>en</strong> tant que Blanc de faire passer ça, qui plus est, à des Blancs…<br />

CV : Facile à dire. Personnellem<strong>en</strong>t, je ne suis pas "blanc" au s<strong>en</strong>s "blanc"… Je perçois très<br />

bi<strong>en</strong> cet état d'esprit parce que je l'ai toujours vécu. C'est simple, si je joue un truc et si je me<br />

mets <strong>en</strong> transe, tu vas le voir tout de suite.<br />

La première fois que j'ai écouté Coltrane, j'avais onze ans. Je l'ai reçu comme un jet, parce<br />

que j'étais dans le même état. Maint<strong>en</strong>ant, on écoute la musique de l'extérieur. C'est dev<strong>en</strong>u<br />

une habitude. On écoute un disque, il y a un son merveilleux ; alors on dit : "C'est vraim<strong>en</strong>t<br />

bi<strong>en</strong> comme disque, ça tourne". "Weather Report, ça sonne". Si j'écoute le disque, je peux<br />

arriver à me faire piéger, moi aussi, me disant : "Ah oui, ça tourne". Mais qu'est-ce qui<br />

tourne, ça tourne comm<strong>en</strong>t ?<br />

Dans un disque de Coltrane, il n'y a pas forcém<strong>en</strong>t un son, mais tu es obligé de r<strong>en</strong>trer dans la<br />

musique, il y a une émanation fantastique que tu reçois, qui est malheureusem<strong>en</strong>t


difficilem<strong>en</strong>t explicable… Pour moi, la musique de <strong>Magma</strong> se base sur le même principe.<br />

Maint<strong>en</strong>ant, on fournit aux g<strong>en</strong>s des petits souffles qui s'<strong>en</strong>chaîn<strong>en</strong>t les uns aux autres.<br />

"Ti<strong>en</strong>s, cette phrase sonne bi<strong>en</strong> !" On accumule ainsi des phrases musicales qui effectivem<strong>en</strong>t<br />

sonn<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> et on arrive à faire quelque chose de cohér<strong>en</strong>t qui sonne tout aussi bi<strong>en</strong>. On a<br />

écouté ça, on est cont<strong>en</strong>t.<br />

<strong>Magma</strong>, c'est un souffle, et quelles que soi<strong>en</strong>t les séqu<strong>en</strong>ces qui s'<strong>en</strong>chaîn<strong>en</strong>t, il s'agit toujours<br />

du même souffle. Ces séqu<strong>en</strong>ces, quoiqu'elles soi<strong>en</strong>t, ne sont jamais laissées au hasard. Il n'y<br />

a pas la moindre improvisation.<br />

RNRM : C'est le calcul au service de la transe…<br />

CV : C'est comme une respiration. Il y a tous les s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts qui pass<strong>en</strong>t, sauf la haine, à des<br />

degrés différ<strong>en</strong>ts selon l'émotion que l'on veut dégager.<br />

RNRM : Comm<strong>en</strong>t analyses-tu "Zombies" par exemple ?<br />

CV : Je pourrais te l'analyser avec une image terrestre qui n'a ri<strong>en</strong> à voir avec le fond de la<br />

chose, <strong>en</strong> réalité. Si tu veux, c'est comme une maison de cinq ou six étages, représ<strong>en</strong>tée par<br />

une série d'accords. Tu visites la maison, tu revi<strong>en</strong>s, tu desc<strong>en</strong>ds les escaliers, tu remontes<br />

une deuxième fois. Au troisième étage, il y a une lumière qui est éteinte, par exemple. Ti<strong>en</strong>s,<br />

pourquoi ? Et ainsi de suite, petit à petit, il va se passer quelque chose dans la maison.<br />

Finalem<strong>en</strong>t, la réponse arrive : boum !, tu pr<strong>en</strong>ds une émotion sonore dans la tête, et ça<br />

<strong>en</strong>cl<strong>en</strong>che aussitôt autre chose.<br />

RNRM : On retrouve toujours, quels que soi<strong>en</strong>t les morceaux, des impressions<br />

d'épouvante, de surprise, d'improvisation, de joie…<br />

CV : Et d'amour ! L'épouvante n'aurait pas de s<strong>en</strong>s s'il n'y avait pas l'amour au fond. Tout est<br />

basé sur un amour suprême !… Si la vingtième minute d'un morceau représ<strong>en</strong>te un amour<br />

suprême, tu peux te permettre avant de faire visiter les <strong>en</strong>fers, pour mieux faire compr<strong>en</strong>dre<br />

la joie procurée par l'atteinte de cet amour suprême. Tu l'att<strong>en</strong>dais tellem<strong>en</strong>t ! Il se peut qu'un<br />

jour, les morceaux comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t par la joie suprême. Je n'arrive peut-être pas <strong>en</strong>core à me<br />

stimuler assez pour comm<strong>en</strong>cer par-là et finir par-là. A prés<strong>en</strong>t, j'ai <strong>en</strong>vie de faire ress<strong>en</strong>tir<br />

des contrastes. A partir d'une idée sombre, arriver à la joie ! Voilà…<br />

RNRM : <strong>Magma</strong> est-il un groupe qui soulève la révolte ?<br />

CV : Tout le monde a toujours proposé à tout le monde un escalier pour monter vers<br />

l'Univers, mais on n'a jamais mis les premières marches. Il faut laisser les premières marches<br />

<strong>en</strong> bas, avant d'aller voir plus haut. Les g<strong>en</strong>s sont capables d'aller très loin à partir du mom<strong>en</strong>t<br />

où tu leur t<strong>en</strong>ds la perche. Je suis convaincu qui écoute du rock peut, <strong>en</strong> écoutant <strong>Magma</strong>,<br />

s'éclater autant.<br />

RNRM : <strong>Magma</strong> n'arrive-t-il pas à la consécration une dizaine d'années trop tard ?<br />

CV : Je ne sais pas vraim<strong>en</strong>t. Je sais, par contre, qu'il y a treize ans, alors que je jouais dans<br />

un groupe avec Bernard Paganotti, j'avais fait un morceau qui s'appelait Nogma. C'était un<br />

morceau qui ressemblait étrangem<strong>en</strong>t à un autre <strong>en</strong>registré beaucoup plus tard, bi<strong>en</strong> qu'un peu<br />

plus t<strong>en</strong>du ("Aïna", du premier double album). On l'avait joué au Golf Drout <strong>en</strong> pleine vague<br />

rhythm'n'blues. Le thème avait eu un succès incroyable. On chantait déjà dans une autre<br />

langue.<br />

RNRM : Comm<strong>en</strong>t expliques-tu le langage <strong>Magma</strong> ?<br />

CV : C'est un langage instinctif, organique. Je ne p<strong>en</strong>se pas que l'on puisse se lasser du<br />

kobaï<strong>en</strong>. C'est un langage mythique. C'est un peu comme les messes <strong>en</strong> latin. Les g<strong>en</strong>s ne


compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas un mot, mais ils imagin<strong>en</strong>t des milliards de fois plus que si tu leur traduis.<br />

Les messes <strong>en</strong> français, je ne suis pas d'accord. Si j'allais à la messe, je ne serais pas t<strong>en</strong>té de<br />

chanter. En latin, je me serais donné à fond…<br />

RNRM : Tu vas à Saint-Nicolas du Chardonnet !<br />

CV : Très souv<strong>en</strong>t… J'y allais très souv<strong>en</strong>t !!!<br />

RNRM : L'expression scénique de <strong>Magma</strong> est maint<strong>en</strong>ant beaucoup plus ori<strong>en</strong>tée vers<br />

l'ironie que lors des précéd<strong>en</strong>tes formules.<br />

CV : L'expression scénique a toujours été basée sur le même principe et réalisée de la même<br />

manière. Les mimiques étai<strong>en</strong>t plus discrètes, c'est vrai, moins accessibles, il y a certains<br />

sourires qu'il fallait surpr<strong>en</strong>dre : mais il ne s'agit pas du tout d'une concession, je l'ai s<strong>en</strong>ti<br />

ainsi. Je suis resté pratiquem<strong>en</strong>t deux ans sans ri<strong>en</strong> dire, sans accorder une interview. J'étais<br />

bloqué, sans savoir ce que j'avais. En fait, je préparais autre chose. Lorsqu'on a reformé le<br />

groupe avec Janik, je ne savais pas <strong>en</strong>core quelle devait être la nouvelle formule. Au<br />

troisième concert avec Janik, je me suis r<strong>en</strong>du compte qu'il fallait arrêter là…<br />

RNRM : Cette nouvelle formule peut-elle être considérée comme définitive ?<br />

CV : J'<strong>en</strong> suis cont<strong>en</strong>t à l'heure actuelle, mais je ne sais pas du tout comm<strong>en</strong>t les choses vont<br />

évoluer…<br />

RNRM : Ne p<strong>en</strong>ses-tu pas que les perpétuels changem<strong>en</strong>ts de musici<strong>en</strong>s auxquels<br />

<strong>Magma</strong> nous a habitués peuv<strong>en</strong>t nuire à une évolution du groupe, à un travail plus<br />

maîtrisé ?<br />

CV : Si on peut ne pas changer de musici<strong>en</strong>s, c'est fantastique. Je me méfie des groupes qui<br />

conserv<strong>en</strong>t tout le temps les mêmes musici<strong>en</strong>s, cela me semble louche. Si les g<strong>en</strong>s, à<br />

l'intérieur d'un groupe, évolu<strong>en</strong>t, il n'est pas possible qu'ils évolu<strong>en</strong>t de la même manière ; par<br />

conséqu<strong>en</strong>t, il faut des changem<strong>en</strong>ts.<br />

RNRM : En dehors de tes qualités musicales, il y a une technique, une attitude Vander<br />

qui impressionne.<br />

CV : L'instrum<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> soi, n'est pas important. Il faut que le courant passe <strong>en</strong>tre le public et<br />

moi, avec le geste, avec l'esprit, avec le regard, avec tous les moy<strong>en</strong>s qui sont à ma<br />

disposition. Il faut que ça passe impérativem<strong>en</strong>t. Tous les coups sont permis, c'est logique…<br />

Ce n'est pas parce que tu es derrière une batterie que tu dois mettre des lunettes noires, te<br />

cacher dans un coin et n'attirer l'att<strong>en</strong>tion du public que par ton produit. C'est magnifique de<br />

bi<strong>en</strong> jouer, mais cela n'est pas suffisant ; il faut prolonger ce geste avec un regard, avec un<br />

mouvem<strong>en</strong>t : il faut "exister".<br />

RNRM : C'est une des raisons du départ de Janik Top ?<br />

CV : Oui. Janik est excessivem<strong>en</strong>t intériorisé. Il est très ret<strong>en</strong>u, il fait un minimum de gestes.<br />

A mon avis, tu jeux jouer comme ça dans un club, mais tu ne passes pas la scène. Quand<br />

nous avons remonté le groupe <strong>en</strong>semble, nous <strong>en</strong> avions longtemps discuté. Il devait faire<br />

tout ce qu'il fallait pour ça, pour "faire passer la musique". Je p<strong>en</strong>se qu'il a s<strong>en</strong>ti qu'il ne<br />

pouvait pas le faire. J'aimerais qu'il y ait sept catalyseurs sur scène, mais ce n'est pas facile à<br />

trouver. Janik pouvait réaliser quelque chose de fantastique. Le tort qu'il a eu, c'est de ne pas<br />

rester <strong>en</strong> 74. Quand il est parti du groupe, les g<strong>en</strong>s comm<strong>en</strong>çai<strong>en</strong>t à compr<strong>en</strong>dre ce qu'il avait<br />

derrière : son esprit. A son retour, il fallait à nouveau qu'il reconquière l'att<strong>en</strong>tion du public, il<br />

lui fallait un an, c'était trop… et c'est dommage…


RNRM : Est-ce que ce sont des données purem<strong>en</strong>t musicales qui ont contribué à<br />

l'évolution de <strong>Magma</strong> durant sept ans ?<br />

CV : L'évolution, p<strong>en</strong>dant longtemps, n'a été réalisée qu'à partir de données musicales, puis<br />

de données plutôt statuaires. Mais je n'ai, moi-même, pas <strong>en</strong>core analysé toutes les<br />

transformations <strong>en</strong>registrées depuis deux ans. Incontestablem<strong>en</strong>t, il s'est passé quelque chose.<br />

Il y a sept ans, alors que j'étais <strong>en</strong> Italie depuis un an et demi, j'ai pris, un matin, la décision<br />

de r<strong>en</strong>trer à Paris, sans savoir pourquoi. Je voulais me suicider à petit feu depuis que Coltrane<br />

était mort. J'att<strong>en</strong>dais. P<strong>en</strong>dant six mois, j'ai vécu dans un état très bizarre. Puis j'ai r<strong>en</strong>contré<br />

Laur<strong>en</strong>t Thibault, le déclic est v<strong>en</strong>u, on a créé <strong>Magma</strong>. Il y a deux ans, le même processus<br />

s'est <strong>en</strong>cl<strong>en</strong>ché. Un an après, j'ai comm<strong>en</strong>cé à compr<strong>en</strong>dre ce qui n'allait plus. En dernier lieu,<br />

j'<strong>en</strong> suis arrivé à la musique. C'est le groupe qui n'allait plus. Avec ce nouveau groupe, je sais<br />

que les bases sont nettem<strong>en</strong>t plus saines… pour évoluer !…<br />

RNRM : Malgré tout, avec cette nouvelle formule, tu revi<strong>en</strong>s au point de départ de<br />

"l'esprit <strong>Magma</strong>". Peut-on considérer les sept années passées comme un échec ?<br />

CV : Non, elles ont servi à compr<strong>en</strong>dre où il fallait <strong>en</strong> v<strong>en</strong>ir.<br />

RNRM : Quelle est la situation <strong>en</strong>tre <strong>Magma</strong> et le rock business ?<br />

CV : Il y a quelques mois, j'avais presque décidé de dire tout ce qui n'allait pas et de gueuler<br />

contre. Maint<strong>en</strong>ant, je souhaite <strong>en</strong>core laisser une petite chance à tout le monde, <strong>en</strong> rapport<br />

avec ce qui va se passer dans les mois qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t. Je réagirai <strong>en</strong> fonction des événem<strong>en</strong>ts.<br />

RNRM : Es-tu év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t prêt à faire des concessions ?<br />

CV : Jamais de la vie… Je ne peux pas monter sur une scène et tricher… et leurrer les g<strong>en</strong>s.<br />

Propos recueillis par Patrice Moisy<br />

Rock & Roll Music n° 6 - Novembre <strong>1977</strong><br />

<strong>Magma</strong> <strong>en</strong> concert, à l'Hippodrome de Pantin - Rock & Roll Music n° 6 – Novembre<br />

<strong>Magma</strong> <strong>en</strong> concert<br />

Samedi 14 octobre <strong>1977</strong><br />

Hippodrome de Pantin<br />

Avant que les lumières s'éteign<strong>en</strong>t et que comm<strong>en</strong>ce la fête, une première constatation était à<br />

faire. Ce que certains (d'après des milieux informés bi<strong>en</strong> sûr) avai<strong>en</strong>t considéré comme un<br />

"coup de frime" était une réussite. Cinq mille personnes pour un groupe français : ce ne sont<br />

vraisemblablem<strong>en</strong>t pas les organisateurs "suicidaires" (si l'on <strong>en</strong> croit ces mêmes milieux<br />

informés évidemm<strong>en</strong>t) qui s'<strong>en</strong> sont plaints.<br />

Pour le technici<strong>en</strong>, les points d'interrogation étai<strong>en</strong>t tout autres. Quel était donc le nouveau<br />

produit de ce <strong>Magma</strong> "new look" dont on nous annonçait monts et merveilles ? Même<br />

habitués avec <strong>Magma</strong> aux changem<strong>en</strong>ts de personnel répétés, il n'<strong>en</strong> restait pas moins vrai<br />

qu'un concert comme celui-ci, dans les conditions prés<strong>en</strong>tes, deux jours après avoir échangé<br />

avec Christian Vander les propos dont vous v<strong>en</strong>ez d'avoir lecture, représ<strong>en</strong>tait un événem<strong>en</strong>t


de taille.<br />

Une troupe théâtrale (le Chariot Théâtre) ouvre le spectacle par une série de mimes,<br />

d'attractions, style "place du village".<br />

Lewis Furey, l'imm<strong>en</strong>se, le génial inconnu (dont il faut absolum<strong>en</strong>t que nous parlions plus<br />

longuem<strong>en</strong>t dans un prochain numéro), vi<strong>en</strong>t se blottir alors de sa démarche de sadoparanoïaque<br />

derrière un piano minable, horriblem<strong>en</strong>t sonorisé. Il se fait pratiquem<strong>en</strong>t jeter.<br />

C'est dommage mais compréh<strong>en</strong>sible. V<strong>en</strong>u pour les fantasmes musicaux du "band à<br />

Vander", le public a mal digéré les fantasmes verbaux et anglophones de ce "Lewis sex<br />

Furey".<br />

Que tous les inconditionnels de <strong>Magma</strong> se rassur<strong>en</strong>t !<br />

<strong>Magma</strong> le critiqué, <strong>Magma</strong> le maudit, <strong>Magma</strong> le perpétuel point d'interrogation n'a jamais été<br />

aussi fort !<br />

Ce concert <strong>en</strong> deux parties fut tout simplem<strong>en</strong>t prodigieux, épaulé jusqu'à la dernière mesure<br />

par les exhibitions de la troupe du Chariot Théâtre, sur une autre scène placée au fond de la<br />

salle. Une idée originale, parfaitem<strong>en</strong>t à propos, qui traduit <strong>en</strong>tre autres le nouveau désir de<br />

r<strong>en</strong>dre l'esprit <strong>Magma</strong> plus accessible.<br />

Imaginez une musique qui pr<strong>en</strong>d des allures épouvantables et deux rockers qui, au fond de la<br />

salle, plagi<strong>en</strong>t la bagarre. Le g<strong>en</strong>darme intervi<strong>en</strong>t, il est alors corrigé, déculotté. C'est trop<br />

drôle, les deux monstres s'embrass<strong>en</strong>t, la musique repr<strong>en</strong>d des couleurs d'espoir, de joie. Le<br />

diable noir est fouetté, susp<strong>en</strong>du au-dessus du public. Au royaume de Koba, les diables sont<br />

toujours perdants. L'amour a raison de tout, et le diable n'a plus qu'à s'<strong>en</strong> aller voir vers une<br />

autre planète (peut-être choisira-t-il la nôtre) si on lui réserves de meilleurs auspices.<br />

Ajoutez à cela un solo de batterie de vingt minutes signé Christian Vander, quatre choristes<br />

aussi belles à regarder qu'à écouter, trois rappels et vous aurez compris pourquoi je vous<br />

conseille instamm<strong>en</strong>t de pr<strong>en</strong>dre le chemin pour Koba dès que <strong>Magma</strong> pénètre dans votre<br />

ville…<br />

Patrice Moisy<br />

Rock & Roll Music n° 6 - Novembre <strong>1977</strong><br />

<strong>Magma</strong>, la jungle sonore - Télérama n° 1458 - 21 décembre<br />

MAGMA :<br />

la jungle sonore<br />

Là, juste à la croisée des angoisses, du bruit et des fureurs, il y a un peu plus de sept ans, un<br />

groupe naissait : <strong>Magma</strong>. Ouvert sans crainte à toutes les influ<strong>en</strong>ces musicales d'où qu'elles<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, il les recevait pour mieux les transc<strong>en</strong>der, s'<strong>en</strong> nourrissait pour créer, pour vivre.


C'était son héritage : cantiques moy<strong>en</strong>âgeux, subtilités ori<strong>en</strong>tales, fureurs swingantes et non<br />

moins rock-and-rolli<strong>en</strong>nes, espérance futuriste, souffle cosmique. Les albums se suivai<strong>en</strong>t.<br />

Rigueur implacable, exig<strong>en</strong>ce hors mesure, les admirateurs dev<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t adeptes.<br />

Aujourd'hui les ragots vont bon train, comme naguère les procès d'int<strong>en</strong>tion. Il faut y couper<br />

court, pour ne point se faire france-<strong>en</strong>dimancher une fois sur deux. Non <strong>Magma</strong> ne s'est pas<br />

vulgairem<strong>en</strong>t refroidi. Oui <strong>Magma</strong> a souv<strong>en</strong>t changé de musici<strong>en</strong>s. Et alors ? N'est-ce pas le<br />

lot de tous les créateurs de tout remettre <strong>en</strong> question, de suivre des lignes qui ne sont pas<br />

toujours droites, d'inquiéter et de s'inquiéter. Au-delà de tous les pessimismes à fleur de peau,<br />

dans cet étau conc<strong>en</strong>trationnaire, jungle sonore, climats <strong>en</strong>voûtants, <strong>Magma</strong> plus qu'aucun<br />

autre groupe nous a aidés à mieux percevoir la vie. Et son bonheur. Et son amour.<br />

Laredj KARSALLAH<br />

Télérama n° 1458 - 21 Décembre <strong>1977</strong><br />

<strong>Magma</strong> <strong>en</strong> <strong>1977</strong> - Trois vidéos<br />

<strong>Magma</strong> <strong>en</strong> <strong>1977</strong> : trois vidéos<br />

A la fin du mois de décembre <strong>1977</strong>, un docum<strong>en</strong>taire consacré à <strong>Magma</strong>, réalisé par Michel<br />

Parbot, avait été diffusé par Ant<strong>en</strong>ne 2.<br />

En voici trois extraits, au format Windows Media... <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant, peut-être, un jour,<br />

l'émission au complet et une meilleure qualité d'image !

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!