Petit pamphlet pour le Psychodesign

par exemple.2 Aussi, le personnage clé de l’entreprise est l’ingénieur. Il domine la culturedu monde du travail en étant à la fois acteur de progrès et de conservatisme. Acteurde progrès face aux techniques qu’il domine. Acteur de conservatisme face auxmanières d’utiliser les nouvelles techniques, manières qui lui échappent biensouvent. L’ingénieur est donc un personnage paradoxal. Délibérément innovateur, ilest producteur de nouveautés techniques. Dans le même temps, il fuit parfois lesinnovations qui ne sont pas de son monde, allant même jusqu’à refuser ce qu’il nemaîtrise pas. Les sciences humaines et sociales ne sont pas sa culture et il les jugetrop vite subversives. Une telle conception des sciences le conduit bien souvent àélaborer une culture de l’autosuffisance et de l’autosatisfaction. Il se construit ainsiune image idéalisée de son objet de travail, et petit à petit, cette image se substitue àl’image réelle. L’image idéalisée est une image technique ayant une fonction :protéger l’ingénieur du monde qui l’entoure et assurer le cloisonnement entre lessciences techniques et les sciences de l’homme. Cette fonction correspond parconséquent à une stratégie défensive engendrant un repli sur sa culture, sur luimême.Beaucoup d’ingénieurs se présentent donc comme imperméables auxsciences de la connaissance de l’homme.3 Cette imperméabilité se manifeste dans les entreprises : les sciences dites“dures” (techniques, physiques…) et les sciences dites “molles” (psychologie,sociologie…) n’y ont pas le même statut. Alors que les premières sontomniprésentes dans toutes les fonctions —conception, production, administration,commercialisation—, les sciences humaines et sociales ne trouvent habituellementleur place que dans la fonction personnel —recrutement, gestion des carrières,hygiène du travail, formation—.4 Cette imperméabilité a construit des discours pour légitimer des pratiques.Nous en retiendrons deux. Premièrement, le discours de “l’anti-sciences-humaineset-sociales”consiste à affirmer l’autosuffisance des sciences techniques pourrésoudre l’ensemble des problèmes posés à l’ingénieur. Qui plus est, ce discoursprésuppose que la philosophie, la psychologie, la linguistique et la sociologie n’ontrien à voir avec les objets techniquement conçus. Secondement, on entend souventle discours du “point-de-passage-obligé”, où l’ingénieur fait figure d’homme clé dela production de l’objet technique. Dans ce sens, lui seul à accès à laprogrammation, à la fabrication et à la construction de la technique. Ces deuxdiscours, qui écartent les sciences de l’homme de celles de la technique, considèrentimplicitement que l’univers de la conception et de la production sont le fief del’ingénieur. De la sorte, par résignation ou par manque de qualification, lesspécialistes du facteur humain ne se sont attachés qu’à l’analyse de latransformation de la condition humaine par la technologie en termes d’effets, ce quiles exclut souvent d’intervention au niveau de la conception.5 Ces deux discours de l’imperméabilité de la technique, qui ne sont sansdoute pas exhaustifs, ont sédimenté une idéologie selon laquelle la technologie estautonome, se suffit à elle même.