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"Je ne dis les autres, sinon pour d'autant mieux me dire."

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Mathilde Paillat Gymnase cantonal du Bugnon à son père absent. De la mê<strong>me</strong> manière que ce premier prénom mater<strong>ne</strong>l prélude au premierchapitre, Michon choisit u<strong>ne</strong> dédicace latérale: le héros orphelin de la première vie seprénom<strong>me</strong> André. D'ailleurs, Michon annonce: "À mon père, inaccessible et caché com<strong>me</strong> undieu, je <strong>ne</strong> saurais <strong>dire</strong>cte<strong>me</strong>nt penser" (p.71). Ce refus catégorique est <strong>d'autant</strong> plus fort queMichon est la relique mê<strong>me</strong> de cette absence. Lors des visites familia<strong>les</strong> des grands-parentspater<strong>ne</strong>ls, "nul <strong>ne</strong> parlait évidem<strong>me</strong>nt jamais de l'absent" (p.80), du <strong>dis</strong>paru "dont ma présenceattestait la trace" (p.77). "Quels silences conjuraient ou ravivaient la fuite de leurs espoirsanciens […] ?" (p.77) Ces dimanches à l'atmosphère lourde sont bien le sig<strong>ne</strong> que l'absenceest présente, silencieuse<strong>me</strong>nt. Pour combler ce vide, cette "défaillance des branches mâ<strong>les</strong>"(p.78), l'auteur doit se choisir des figures pater<strong>ne</strong>l<strong>les</strong> de substitution, car Michon voit déjà enDufour<strong>ne</strong>au le père qu'il aurait pu avoir, de par la symétrie de prénom avec sa mère, maisaussi par la ressemblance entre leurs deux quêtes respectives, qui au final n'en for<strong>me</strong>nt plusqu'u<strong>ne</strong>: l'espoir de rachat d'u<strong>ne</strong> naissance paysan<strong>ne</strong> et orpheli<strong>ne</strong>, et l'accomplisse<strong>me</strong>nt d'u<strong>ne</strong>dignité refusée par la langue tant aimée. Non, ce dont Michon a besoin, c'est d'un modèlelittéraire, puisque la vie lui a donné un environ<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt féminin de contes oraux et desouvenirs. Et c'est sa "rencontre" avec Arthur Rimbaud qui va lui apporter cette figureexemplaire. Rimbaud, symbole de culture que Michon découvre dans l'Almanach Vermot deson grand-père, mais aussi figure frater<strong>ne</strong>lle qui lui ressemble puisqu'ils partagent u<strong>ne</strong>ascendance brisée.Dans le mê<strong>me</strong> registre, on songe à la petite sœur morte de Michon, dont le lecteur n'auraitjamais imaginé l'existence, et qui <strong>pour</strong>tant don<strong>ne</strong> sa for<strong>me</strong> au récit alors qu'elle le clôt: à lafois prologue à la vie de Michon et épilogue à ses Vies. Car le désir et le besoin d'écrireremontent à u<strong>ne</strong> origi<strong>ne</strong> antérieure, et leur cause n'est dévoilée qu'en toute fin. En effet, laconscience de l'impossible sainteté atteinte par <strong>les</strong> "petits morts" et <strong>les</strong> "petites mortes"(p.230) constitue l'élé<strong>me</strong>nt déclencheur de l'écriture: "Allons, il faudrait bien faire l'ange, unjour, <strong>pour</strong> être aimé com<strong>me</strong> le sont <strong>les</strong> morts. Mais si je tardais trop, qui m'ai<strong>me</strong>rait alors ?"(p.230) Rimbaud parvient à rester "l'éter<strong>ne</strong>l enfant" (p.229) par <strong>les</strong> mots, de la mê<strong>me</strong> manièreque sa sœur acquiert son statut d'ange en mourant, et Michon doit se lancer, faire le saut del'ange dans l'écriture <strong>pour</strong> lui aussi atteindre cet idéal. Cette sœur <strong>dis</strong>parue avant l'heure auradonc été déterminante <strong>pour</strong> la vie de Michon et son œuvre.Ainsi donc, l'absence du père qui a miné la vie de Michon et l'absence de la sœur qui l'aorientée, puis l'incapacité à dompter <strong>les</strong> mots et à transfor<strong>me</strong>r le plomb en or et <strong>les</strong> difficultésde l'auteur avec sa langue, et finale<strong>me</strong>nt son choix de raconter <strong>les</strong> <strong>autres</strong> <strong>pour</strong> se raconter luimê<strong>me</strong>constituent trois for<strong>me</strong>s de confession, trois modes de narration, qui s'imbriquent dansu<strong>ne</strong> suite logique, u<strong>ne</strong> évolution cohérente. C'est le désir de rejoindre sa sœur et Rimbaud,modè<strong>les</strong> exemplaires et inatteignab<strong>les</strong>, qui le pousse à écrire. Mais sa naissance paysan<strong>ne</strong>, so<strong>ne</strong>nfance criblée d'absence et son éducation par le conte oral et la transmission des souvenirsdérobent à Michon la précieuse langue qu'il voudrait savoir maîtriser. Et c'est finale<strong>me</strong>nt autravers de cette autobiographie oblique, en racontant <strong>les</strong> <strong>autres</strong>, qu'il parvient à se raconter.Cette lente progression est donc le fruit d'un grand travail, et elle per<strong>me</strong>t à l'auteur detranscender son éter<strong>ne</strong>l complexe littéraire au travers d'u<strong>ne</strong> œuvre absolu<strong>me</strong>nt splendide etdélicieuse."Art and love are the sa<strong>me</strong> thing:it's the process of seeing yourself

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