70 Christophe Bourgeoisles éléments du vocabulaire <strong>de</strong> l’époque. Mais est-ce là ce quiintéresse Rouss<strong>et</strong> ? Car s’il ne semble pas avoir jamais connul’opposition atticisme/asianisme, il connaissait en revanche lesconcepts <strong>de</strong>s rhétoriques <strong>de</strong> la pointe qui peuvent fournir à la réflexioncritique un ensemble <strong>de</strong> concepts propres à caractériser l’horizond’attente <strong>de</strong>s poètes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te époque.Voici donc mon hypothèse : si Rouss<strong>et</strong> maintient un usagemodéré, sceptique, <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> baroque <strong>et</strong> ne pratique pas la« substitution » proposée par Marc Fumaroli, c’est que la valeurheuristique du baroque n’est pour lui pas la même. Présence du passédans le présent est une idée ancienne, déjà évoquée, en d’autrestermes dans L’Intérieur <strong>et</strong> l’Extérieur : « C’est nous-mêmes que nouscontemplons dans ce XVII e siècle que nous créons à notre image, cesont nos déchirements <strong>et</strong> nos enthousiasmes, nos goûts <strong>et</strong> nosexpériences ».Idée du miroir : c<strong>et</strong>te particularité, Rouss<strong>et</strong> l’assume pleinement.Déjà en 1994 : « pourquoi l’art baroque — l’art sans le mot dont ilpourrait désormais se passer — a-t-il choisi notre XX e siècle, notreaprès-guerre pour r<strong>et</strong>rouver sa légitimité ? […] Est-ce réaction contrele style industriel <strong>et</strong> la construction utilitaire ? […] ou bien est-cesimple r<strong>et</strong>our du refoulé 6 ? »Jean Rouss<strong>et</strong> tente quelques explications <strong>de</strong> ce refoulé : « Etpeut-être y voyais-je aussi, à mon insu, un antidote au constructivismemo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> industriel » (DR). Très proche <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong>vue <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>l :L’art jésuite ou baroque, — il faut bien se contenter <strong>de</strong> cesappellations injustement péjoratives — après une longue pério<strong>de</strong><strong>de</strong> la plus sotte dépréciation est revenu aujourd’hui à la mo<strong>de</strong>.L’œil mo<strong>de</strong>rne, désespéré par l’abstraction inhumaine du cimentarmé <strong>et</strong> du métal, se tourne avec nostalgie vers le paradis <strong>de</strong>l’ornement <strong>et</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ligne courbe en quoi Léonard <strong>de</strong> Vinci <strong>et</strong>Michel Ange voient l’expression même <strong>de</strong> la vie 7 .6 Jean ROUSSET, L’Aventure baroque, p. 62.7 Paul CLAUDEL, « À la louange <strong>de</strong> l’Autriche », texte paru en 1936, Œuvres enprose, éd. J. P<strong>et</strong>it <strong>et</strong> Ch. Galpérine, Paris, Gallimard, 1965, p. 1086. J. Rouss<strong>et</strong> rappelleque ce même mirage l’a séduit : « Et peut-être y voyais-je aussi, à mon insu, unantidote au constructivisme mo<strong>de</strong>rne <strong>et</strong> industriel » (DR, p. 16).
Le baroque ou l’impossible adieu 71Mais je voudrais formuler une hypothèse un peu différente :en fait, Rouss<strong>et</strong> ne veut pas renoncer à ce que d’autres pourraientdénoncer comme une contradiction interne. Séduit par le charmeplastique <strong>de</strong>s œuvres, persuadé <strong>de</strong> leur caractère ostentatoire, il aaussitôt redécouvert en même temps une poésie religieuse austère <strong>et</strong>exigeante, longtemps oubliée <strong>et</strong> déconsidérée. Si l’on regar<strong>de</strong>l’histoire <strong>de</strong> la critique <strong>littéraire</strong> récente, c’est un fait marquant : cen’est pas le moindre <strong>de</strong>s paradoxes que la notion <strong>de</strong> « Baroque »,parée <strong>de</strong>s prestiges trompeurs du triomphe <strong>de</strong> l’imagination sur laraison, ait permis c<strong>et</strong>te redécouverte. Mais l’œuvre <strong>de</strong> Jean Rouss<strong>et</strong>perm<strong>et</strong> justement <strong>de</strong> lier la notion <strong>de</strong> baroque à ce paradoxe.Face à ceux qui soulignent les distinctions nécessaires entre <strong>de</strong>saspects que le concept <strong>de</strong> baroque tend un peu facilement à unifier,voici ce qu’il écrit, pour conclure le texte intitulé « Adieu aubaroque ? »S’il est vrai, comme le montrent les recherches actuelles, qu’il fautdistinguer parmi ces artistes <strong>de</strong>s tendances très diverses <strong>et</strong> même<strong>de</strong>s bifurcations <strong>et</strong> <strong>de</strong>s antagonismes, je continuerai in p<strong>et</strong>to à lesunir dans une même reconnaissance pour avoir su composercomme ils l’ont fait l’extase <strong>et</strong> le calcul, l’imagination <strong>et</strong> la construction,la sensualité <strong>de</strong>s matières <strong>et</strong> la rigueur <strong>de</strong>s enchaînements […]Qui pourrait se résoudre à quitter ces œuvres qui nous disent endansant que le jeu est une activité grave, que la fugacité <strong>et</strong> la mortsont cachées dans notre vie, mais que toute métamorphose désigneune permanence ? (I&R, p. 245)C<strong>et</strong>te phrase est, dans son écriture, exemplaire du goût sans cessemaintenu, au fil <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te œuvre critique, pour les tournures oxymoriquesou paradoxales, qui cherchent à mimer la virtuosité <strong>et</strong> l’ingéniositéperceptibles dans l’ordre baroque. C’est à cela que revientsans cesse Jean Rouss<strong>et</strong> : la théâtralité ostentatoire du Berninn’empêche pas sa profon<strong>de</strong>ur spirituelle ; les marinistes cultiventl’art <strong>de</strong> la merveille, <strong>de</strong> la surprise <strong>et</strong> <strong>de</strong> la métamorphose… Ils sonttoujours comparés aux Spon<strong>de</strong>, Chassign<strong>et</strong>… Déjà, La Littérature <strong>de</strong>l’âge baroque évoque à propos <strong>de</strong> Spon<strong>de</strong> « c<strong>et</strong>te tension entre ce quise meut <strong>et</strong> ce qui ne se meut pas 8 », témoin d’un baroque « plusméditatif <strong>et</strong> assourdi ». Jean Rouss<strong>et</strong> s’interroge : « Mais peut-on8 Jean ROUSSET, La Littérature <strong>de</strong> l’âge baroque, op. cit., p. 119.
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