Jean Vaquer, Les enceintes à fossés du Néolithique, du Chalcolithique et du Bronze ancien dans la zone nord pyrénéenneest probable que le fossé <strong>de</strong>vait revenir vers le nordau <strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce talus où il a été complètement détruitpar <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> nivellement récents. Quoi qu’ilen soit ce fossé formait un barrage qui délimite unespace quadrangulaire bordé par l’escarpement <strong>de</strong> laterrasse sur le côté nord et qui domine l’Au<strong>de</strong> d’unequinzaine <strong>de</strong> mètres. Compte tenu <strong>de</strong> l’érosion et <strong>de</strong>s<strong>de</strong>structions récentes liées à <strong>de</strong>s carrières, il est impossible<strong>de</strong> savoir si ce fossé était continu ou segmenté,toutefois le cou<strong>de</strong> amorcé et l’interruption brutalevisible au niveau du tronçon 43 suggère l’existenced’un passage à ce niveau. Les trois tronçons fouillésont un pendage conforme à la topographie généraledu site, et même plus accentué que la pente naturelledu terrain, ils ont probablement permis un drainage<strong>de</strong>s eaux <strong>de</strong> pluies à la fois vers le nord et vers l’est.Le développement total <strong>de</strong> cette structure peut êtreestimé au minimum à 270 m, elle délimitait unesuperficie <strong>de</strong> 1,5 hectare, ce qui la place au mêmerang que l’enceinte du Camp <strong>de</strong> Laure au Rove dansles Bouches-du-Rhône (Courtin 1975).Les structures ponctuelles du Bronze ancien quipeuvent être contemporaines <strong>de</strong> l’enceinte se trouventtoutes à l’intérieur <strong>de</strong> celle ci. Il s’agit <strong>de</strong> bases <strong>de</strong>grands silos pour les structures St 35 et St 29 et d’unefosse d’extraction pour la structure 48. Il faut noterque les fosses 35 et 29 ne sont pas éloignées du fossé(3,30 m pour la 35 et sans doute la même chose pourla 29), ce qui laisse peu <strong>de</strong> place pour une simplelevée <strong>de</strong> terre interne. La structure en élévation qui<strong>de</strong>vait doubler le fossé était donc peut-être beaucoupplus élaborée qu’une simple levée <strong>de</strong> terre et elle étaitsans doute impliquée dans l’architecture <strong>de</strong>s habitats(cases adossées à une muraille en briques crues ?).Des fragments <strong>de</strong> grosses pièces en bois carboniséesqui ont été trouvées dans plusieurs secteurs du fossé(F24 et F43) suggèrent l’existence probable d’armaturesen bois au sein <strong>de</strong> cette structure. Comme dans laplupart <strong>de</strong>s fossés d’enceinte <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntesle fossé du Bronze ancien <strong>de</strong> Roc d’en Gabit a livré<strong>de</strong>s restes humains pour la plupart concentrés près<strong>de</strong> l’entrée. Il s’agit <strong>de</strong> fragments <strong>de</strong> crânes et d’oslong <strong>de</strong>s membres mais aussi d’une portion <strong>de</strong> cagethoracique et <strong>de</strong> colonne vertébrale en connexionqui révèle que <strong>de</strong>s portions <strong>de</strong> cadavres encore enconnexion ont été rejetés dans le fossé mêlés à <strong>de</strong>srestes <strong>de</strong> faune et à <strong>de</strong>s détritus divers.ConclusionLes fossés creusés pour délimiter <strong>de</strong>s habitatssont les structures archéologiques les plus évi<strong>de</strong>ntespour i<strong>de</strong>ntifier les sites préhistoriques fortifiés. Ils neconstituent que rarement une défense en eux-mêmesmais font partie <strong>de</strong> dispositifs à la fois en creux eten relief qui comportaient outre le fossé, une ou<strong>de</strong>ux palissa<strong>de</strong>s en rondins et <strong>de</strong>s levées <strong>de</strong> terre,voire <strong>de</strong>s murailles en briques crue ou <strong>de</strong>s rempartsen matériaux labiles (terre et bois). Dans le midi <strong>de</strong>la France le recours à la pierre sèche pour l’édification<strong>de</strong> muraille ou <strong>de</strong> rempart n’apparaît pas avantle Chalcolithique et est resté cantonné à certainesrégions calcaires (garrigues du Gard et <strong>de</strong> l’Hérault,Provence occi<strong>de</strong>ntale).Les fossés tout comme les tranchées <strong>de</strong> fondation<strong>de</strong> palissa<strong>de</strong> sont généralement les seules structures quiont pu se conserver jusqu’à nous et qui nous permettentd’i<strong>de</strong>ntifier les sites retranchés par rapports auxautres sites que l’on considère comme ouverts. Dansla trame chronologique et géographique telle qu’elleest actuellement établie, le phénomène <strong>de</strong> l’apparition<strong>de</strong>s sites retranchés peut être situé à la charnière duNéolithique ancien et moyen soit vers le milieu ducinquième millénaire et il n’est clairement documentéque dans la vallée <strong>de</strong> la Garonne à cette époque. Cessites <strong>de</strong>s étapes formatives et anciennes du Chasséengaronnais ont été d’abord enclos par <strong>de</strong>s palissa<strong>de</strong>s,puis par <strong>de</strong>s fossés doublés <strong>de</strong> levées <strong>de</strong> terre et <strong>de</strong>palissa<strong>de</strong>s vers la fin du cinquième millénaire. À lamême époque en Languedoc méditerranéen, les habitatsconnus sont le plus souvent <strong>de</strong>s agglomérationsmarquées par <strong>de</strong>s concentrations <strong>de</strong> silos et aucuned’elles n’a révélé <strong>de</strong> fortification. Les premiers sitesretranchés du Chasséen garonnais correspondraientdonc à un contexte socio-économique particulier quicorrespond à une « situation néo-pionnière » selonla conception d’A. Gallay (1991), à savoir un front<strong>de</strong> colonisation <strong>de</strong> territoires jusque là peu touchéspar la néolithisation dans lesquels <strong>de</strong>s conflits ont puvoir le jour soit avec les populations indigènes soitavec d’autres groupes <strong>de</strong> colons <strong>de</strong> même origine oud’origine différente. Les données sur le Néolithiqueancien et les débuts du Néolithique moyen dans leSud-Ouest ne sont pas assez consistantes pour définirl’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s cultures anté-chasséennes (Néolithiqueancien basco-béarnais, Roucadourien, étape ancienne dugroupe <strong>de</strong> Roquefort ?), mais il ne fait guère <strong>de</strong> douteque le Chasséen ancien garonnais est une émanation<strong>de</strong>s groupes méditerranéens du Languedoc (Chasséendu style <strong>de</strong>s Plots) et <strong>de</strong>s Pyrénées (Montbolo) quiont conquis <strong>de</strong> nouvelles terres au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la ligne<strong>de</strong> partage <strong>de</strong>s eaux méditerranéennes et océaniques.Les ressemblances constatées entre les enceintes àfossé segmenté du Chasséen ancien du Toulousainet celles <strong>de</strong> plusieurs contextes <strong>de</strong>s pays <strong>de</strong> Loireet du nord <strong>de</strong> la France ne sont probablement pasfortuites. Elles sont toutefois difficiles à argumenterfaute <strong>de</strong> données suffisamment représentatives sur leNéolithique moyen 1 dans les régions qui séparent leChasséen ancien du Toulousain et les horizons Cernyet Chambon <strong>de</strong>s pays <strong>de</strong> la Loire moyenne. Un effet<strong>de</strong> « feed back » rendant compte <strong>de</strong> quelques caractèresligériens dans le Chasséen garonnais pourraiten rendre compte (haches <strong>de</strong> typologie carnacéennes,vases-supports cubiques ou à décors pointillés).Au cours du Chasséen classique et récent, soitentre 4000 et 3500 avant notre ère, le nombre <strong>de</strong>sites retranchés a augmenté dans la vallée <strong>de</strong> laGaronne et <strong>de</strong> nouveaux sites sont apparus en Languedocméditerranéen. La trait marquant <strong>de</strong> cettepério<strong>de</strong> est la gran<strong>de</strong> extension <strong>de</strong> plusieurs <strong>de</strong> cessites fortifiés qui ont <strong>de</strong>s enceintes à fossé segmentédoublées <strong>de</strong> palissa<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> levées <strong>de</strong> terre, voire <strong>de</strong>remparts mixtes (bois et terre) au Chasséen récent.Ces gran<strong>de</strong>s enceintes ne contiennent que peu <strong>de</strong>silos à grain et les restes fauniques retrouvés dansles fossés <strong>de</strong> cette époque révèlent une orientation<strong>de</strong> l’élevage, tournée sur l’exploitation <strong>de</strong>s bovins. Il248 <strong>Revista</strong> d’Arqueologia <strong>de</strong> <strong>Ponent</strong> 21, 2011, 233-252, ISSN: 1131-883-X
Jean Vaquer, Les enceintes à fossés du Néolithique, du Chalcolithique et du Bronze ancien dans la zone nord pyrénéenneest possible que les gran<strong>de</strong>s enceintes aient été <strong>de</strong>scentres <strong>de</strong> rassemblements périodiques <strong>de</strong> ces groupesd’éleveurs avec leurs troupeaux pour <strong>de</strong>s manifestationscérémonielles liées aux échanges et au renforcement<strong>de</strong>s liens sociaux. Dans la vallée <strong>de</strong> la Garonne lesgran<strong>de</strong>s concentrations <strong>de</strong> fours à galets chauffés quiont pu être utilisées pour <strong>de</strong>s cuissons massives <strong>de</strong>vian<strong>de</strong> ou pour le touraillage <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s quantités <strong>de</strong>céréales <strong>de</strong>stinées à la fabrication <strong>de</strong> bière sont lestraces tangibles <strong>de</strong> ces gran<strong>de</strong>s festivités collectives.Les sépultures primaires ou secondaires retrouvées surces sites révèlent aussi que les fossés et les rempartsservaient pour les hommages rendus aux défunts.Au Néolithique final / Chalcolithique la conception<strong>de</strong>s sites retranchés paraît subir <strong>de</strong>s changements. Ilexiste encore quelques sites retranchés à fossés multiplesd’ampleur moyenne comme celui <strong>de</strong> Rocreusequi ont pu enserrer <strong>de</strong>s habitats communautaires maisla plupart sont très petits et à fossé continu, simpleou double. Une série <strong>de</strong> sites du couloir <strong>de</strong> l’Au<strong>de</strong>datés du Chalcolithique ancien (fin du quatrième oudébut du troisième millénaire), présentent une formeannulaire avec un ou <strong>de</strong>ux passages concordants.Ils évoquent par leur formes et leurs dimensions les« Henges » ou « roun<strong>de</strong>l enclosures » considéréscomme <strong>de</strong>s sanctuaires (observatoires <strong>de</strong> cycles solairesou lunaires) d’autres contextes culturels duNéolithique européen et britannique. Cependant lesfouilles réalisées notamment sur celui du Mourralrévèlent qu’il s’agit plutôt <strong>de</strong> petits habitats fortifiés quicomportaient outre le fossé, une levée <strong>de</strong> terre, unepalissa<strong>de</strong> et les traces <strong>de</strong> grands bâtiments en bois.Il s’agirait plutôt dans ce cas d’une rési<strong>de</strong>nce fortifiéed’une famille puissante <strong>de</strong> l’époque contrôlant un petitterritoire et gérant les échanges <strong>de</strong> produits locauxet exogènes. Plusieurs <strong>de</strong> ces sites ont un caractèremonumental indéniable et ont sans douté mobiliséune main d’œuvre beaucoup plus importante que celle<strong>de</strong>s quelques rési<strong>de</strong>nts qui en ont profité. Le parallèlepeut être établi avec les monuments mégalithiquescontemporains qui signent dans la région l’apparition<strong>de</strong> sociétés hiérarchisées, probablement basées surl’organisation lignagère (Gallay 2006; Testart 2005).Cette structuration qui comporte à la fois <strong>de</strong>s habitatsgroupés ouverts et fortifiés et <strong>de</strong>s « concessions »elles mêmes ouvertes et fermées a persisté au Chalcolithiqueet à l’Age du Bronze ancien en ayant recoursà <strong>de</strong>s formes moins monumentales. On peut mettreen parallèle ces sites avec ceux construits en pierressèches <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> Fontbouïsse dans laquelle onconnaît aussi <strong>de</strong>s « concessions » ouvertes <strong>de</strong> casesagglutinées comme à Cambous et <strong>de</strong>s « concessions »ceinturées d’un mur comme à Boussargues. D’unecertaine façon ces sites à structures <strong>de</strong> pierres sèchesenfouies sous leurs propres éboulis nous donnent <strong>de</strong>simages en relief <strong>de</strong>s habitats ceinturés néolithiquesque les sites à fossés toujours beaucoup plus érodésne peuvent nous transmettre.Jean VaquerDirecteur <strong>de</strong> Recherche du CNRSUMR 5608 TRACESUniversité <strong>de</strong> Toulouse Le MirailMaison <strong>de</strong> la recherche5 allées Antonio MachadoF. 31058 Toulouse ce<strong>de</strong>x 9Jean-Sebastien.vaquer@orange.frBibliographieAn<strong>de</strong>rsen, N. H. (1997). The Sarup Enclosures. TheFunnel Beaker Culture of the Sarup Site Including TwoCausewayed Camps Compared to the ContemporarySettlements in the Area and Other European Enclosures.Arhus. Jutland Archæological Society publications.XXXIII, I, 404 p.Beyneix, A. et Humbert, M. (1999). La station chasséenne<strong>de</strong> Saint-Genès, Castelferrus (Tarn-et-Garonne). 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