A P ARI S, M. DC. LXX.

Par le R. P ere LoüisGrenade, R eli gieux
de l'Ordre de faint Dominique.
A P ARI S,
Chez FREDERIC LEONARD, Libraire
& Imprimeur ordinairedu Roy, rué
S.Jacques á 1'Efcu de Venife.
M. DC. LXX.
Avec Approbation & Privilege.

GW-11 La/d-r-4 2T_.

1
(a
^` ^t^,iraA I 1 ^^a V^ 1,_
^ .^1^/^-^/^^'^^^,^`^^^• ^1 f^^^^
l ^ ^^^Js^^-^^^ ^i
AVERTISSEMENT.'
ES Ouvrages du Pere
Loüis Grenade ont toz2-
jours receu une appro -
bation f'gencraleparmy les perf
nnes de pieté, qu'on peut dire
qu'il n y a rien qui donne plus
de confideration un Livre,
que de porter le nom de cet excellent
Religieux. C pourquoy
il feroit fort inutile de
vouloir prevenir l' efp rit des le-
E%urs par une longue Preface en
faveur de ce Traité du devoir
& de la vie des Evefques , qui
quoy que resnply d'vne pieté
tres - fublime , d'une érudi.
tion tres - profonde , n'a ras

AVER`I'ISSEMENi°óencore
parta en noflre langue .
114ais comme cette prodataion
peut paler pour le chef d'ceuvre
de cegrand hoynme , on ne fera
peut-eflre pas fachéçl'apprendre
le f jet qui le luy a fait entre-.
prendre , celuy qui a porté
l'auteur de cette tradullion ri la
donner au pr^blic.
Dom Antoine Pinario ayant
eflé normé en l'année 1 5 6 5. a
Evefché de Mirande en Portu.
gal, le P. Loüis Grenade, fuircant
la coútunze des Eglifis de
ce pais , fut chargé de faire la
predication le jour de,/ónf^cre.
Il s'en acquita avec le fuccés or:
dinaire de toutes fes alIions : de
forte que toas les Prelats qui al:
fiflerentá cette ceremonie le prierent
de donner fon férnzon au

AVERTISSEMENT.
public, (r de lepire imprimer.
Il eut d'abord affiz.de peine á s'y
ref udre. Mais enfin fe voyant
hors d'eflat de refifler au de^,^
de ces Evefques, il crut que la
providence de Dieu luy prefen_
toit une occafion f.zvorable de
leur mettre devant les yeux toutes
les obligations de l'Epifcopat,
( qu'il devoit en rnefine
temps s , en fervïr pour donner
de la confolation á ceux qui s'en
acquitent dignement , de
l'apprehenfion á ceux qui le confiderent
pliitofl comme une di,
gnité éclatante, que comme une
charge tres-laborieufe ef trespefante.
Cela fut caufe qu'au lieu de
revoir fimplement le firman
qu'il avoit fait C..5' que l'on avoit
ã iiij

AVERTISSEMENT. -."--
t ef imé, il fe crut obligé de ; l
fiire un traité entier, dans lequel
n'eflant pas contraint par ^ f
la breveté du temps qu'un fermon
demande, il pút ne rien oubuey
de ce qui regarde les obligations
de ce divin miniflere.
Mais il ne jugea pas á propos de
changer la forme de fin ouvrage
, qu'il laja avec toutes les
panties d'un , fermon; c'ejU-dire,
un premier Exorde , un Ave
Maria, & le refle, n'en differant
que par la longueur qui paroifl
ex ceffïve pour eflre prononcé
tout d'une fuite. Et c'efl ce qui
obligé d'appeller cet ouvrage
plútofl un traité qu'un fermon
, f ivant en cela la coútume
Apt,t, a^;_ des anciens Peres de l'Eglife,
levrr. !. 4 . • ^ • i ^
dT S . c,nrre qui ont donne ce nom de traite a .
^arm^niGnr _

^
AVERTISSEMEN
leurs fermons , qui d'ailleurs /^T.
S. EIm6r,
epr^. t
convient nrieux que celuy de f^rs ule 4.^e
firmon felon noflre maniere de S.Gaudencs
dant jet jerparler,á
un ouvrage qu'an peut mf •
Y; ,
n^ d Y-
appellerun livre, qui peut Ore drape _
divife"en plufeurs parties (^ exrtar d"
^ Y^nalet.
chaque partie en plufi'eurs cha- 8,;, f,;
p i tres. Tomen 40.
•
Il fait vol? . dans la prea
naiere partie l'obligation gu'on:
ceux qui nomnaent aux Evefche,
de prefirer les plus dignes , non
f ulement á ceux qui en f nt indignes
, mais mefynes iz ceux qui
en f nt dignes : Non folum digno
fed digniori. E: ce grand
Theologien qui a vefcu pendan:
le Concile de Trente , ne fait pas
de diffaculté d'avancer que cette
quefliony a eflé clairement decí_
dée. Il examine dans la ficonde

A VERTISSEMENT.
—1,..`
toutes les qualitez. qui peuvent rt
rendre un homme digne de l E-
pifcopat, (r il apporte tantd e-
xaEitude dans cette dif uffion,
,
(e tant de folidité (r de f orce
dans les preuves qu'il tire de
l°Efcriture fainte, des Corciles
1- desf ints Peres de l' Eglife ,
qu'on peutdire qu'il n'y a riex 1
defirer, 9' qu'il faut avoirl'cfprit
entierement opposé á tous
les fentimens de la pieté & de la
jufiice pour ne pas fe rendre aux 4
veriteZ gaa'il enfeigne. II traite
dans la derniere partie u le ma-
tiere tres fainte & tres delicate, ^
concernant l'obligation particu-
liere qu'ont les premiers Pon- 4PI
tifésdel'Eglifed'aimerD i eu,&
d'avoir continuellement la chayité
dans le caur. En cluoy on
V
L

a
AVERTISSEMENTõ.
peut dire qu'il s'ejl fort éloignc
du fentiment de ces Theologiens
qui croyent qu'on peut paffirf
vie fiire aucun alíe d'amour
de Dieu , puifqu'il fait
voir que toutes les qualite ?)-
les affions d'un Evefque f nt
mortes & entierement inutilesf °`
ellesne f nt animées par la cha_
rité de Jefas CIJO.
Tout cela nous peut fyrvir
faire quelques reflexions fur
la conduite de Dieu á l'égard
de ce grand .homane, 6i confaderer
premierement combien
il avoit renrply , fon cceur d'hu_
milité , puiMe connoiffant fi
bien les qualitez qui peuvent
faire un parfait Evelyn' , il
f jugea indigne de Ore ,
ne tenant qu'á luy daccepter

AVERTISSEMENT.
l'Archevefché de Brague, qu'il
fit prendre á fin refrss á Don,
Barthelemy des Martyrs. Secondement
, combien il avoit de lu_
miere pour connoiflre la capacité
d'un Evefque , puifqu'il le
propo, fa á la Reine de Portugal,
&qu'il nsiflcette grande lumiere
fin. lechandelierdel'Eglife, qui
efioit cachee fous le boi^au par
l'obfcurité 0- la f litude du
cloiftre. ,Enfin, nous pouvons
juger aifémentconzbien ce: Evefque
de Mirande qui luy donna
f jet de co,npofer cet ouvrage
avoit de qualiteZ qui le rendoient
digne de l Epifopat,
puifqu'il dit de l^y au commencement
de ce difcours , qu'il n o
peut fe difpenfer de palier
des devoirs d'un Evefque
^
11.
d

^ + AVERTISSEMENT.
dans une occafion fi heureu.:
fe, oú fe doit faire la confe..
cration d'un tres-bon Pafteur
& d'un illuftre Prelat, en qui
fe rencontrent toutes fortes
de vertus. Car fa les loüanges
des perfonnes qui connoz ent
bien ce qui efl loüable, g- qui
ont beaucoup de fancerité , fúnt
les plus confiderables , on ne
peut pA,s ce me femble recevoir
un plus grand éloge que celuy.
lá.
Au refie ce traité futimpritné
la premiere fois Lisbonne en
l'annéerJGf. avec la permifjton
de l'inquifition, par le fi in de
Grenade mime, qui le joignit au
livre intitulé, Stimulus Paítorum,
de Dom Barthelemy des
Martyrs, qui füt chiné au public

AVEIZTISSEMENT.
een mefsne temps. Il fut depuis
rimprimé á Paris en l'année .
I583. cinq ans avant la mort de
Grenade, qui preceda celle de
Don; Barthelemy d'environ
un an c.9' demy , Grenade eflant
mort le dernier joasr de Dccénn_
bre de l'année I583. (r l'Archevefque
de Brague 10 16. Iuillet
1590. Et enfi.n il fe trouve dans
le fecond tome des ceuvres de
Grenade en latin de l'irnpr;ef_ ^ ._
fon de Cologne en l'année 162.6.
Mais .comme cet ouvrage n'a
jamais para que de compagnie
az,ec quelques autres , f it
de Grenade mcfine ou de Dón2
Barthelemy des Martyrs ; on
n'y a jamais fait de reflexion
particuliere , C.9' c'ef ce qui a
(fié caufe que jufques icy il efl

AVERTISSEM ENT.
en quelque fa sr.on denneuré dans
' l'oubly , es n'a ef é connu que
de tres peu de perfonnes.
A l'égard de cette tradultion
que l'on nlet prefentement au
jour, voicy conament elle á efé
^^ faite. L'^luteur s'eflant trouvé
^, ily a environ trois ans dans une
ikaifon de Pieté,oú un des plus
grands Prelats de France efloit
en retraite , porsr f difpofer á
fon facre, il s'apperceut q'uil y
avoit affiz de livres de devo-
:ion pour fervir d'entretiens it
toutes fortes de perfonnes lors
gu'elles fiif ient des retraites;
nrai, qu'il n'y en avoit point
qui regardaf direcierrcent la
;y°JZ'ofcffion des E(z)efques ,C5' qui
leur p^^ f nnettre facilenaent .^ ^
en detall devant les ycux les de-

AVERTISSEMENT.
vairs 1- les obligations auf_
quelles l' E'pifcopat les engage.
C'efl pourquoy il crut qu'on ne
rendroit pas un petitfervice
1'Eglife , fi quelque perfonne
de fience de pieté vouloit
s'appliquer á quelque ouvra..
ge fur ce fujet, dans cette unique
veué de fervir ceux que
Dieu appelle á l'Epifcopaté
Mais comme il efl dangereux de
vouloir infiruire les autres, f`rl^
particulierementfes fuperieurs,
ilfembloit qu'il ny avoit qu'un
Evefque un Evefque con_
fomn1é dans les fondions de
1' Epifcopat qui pút véüffir dans
ce de^in , eflant extremement
difficile de bien parler des regles
d' une profe f^ïon qu'on n'a jamar
faite, qui ne s'app°cnd que
pdr

AVEItTISSEMENT.
par un long ufage 1- un travail
infatigable. Ce furent ces mef
mes raifons qui donnerent á
Grenadel'apprehenfaon d'entre-.
prendre ce traité , comme il le
dit au commencement. Mais
comme la providence de Dieas
luy avoit faitfurmonter toutes
ces difficulteZ, 1- quef ns Ore
Evefque on peut dire qu'il a
réüffl dans ce de^in avec tout
le fuccés pof%ible : on a cris qu'on
ne pouvoit mieux faire que de
traduire ce traité en nofire langue
; ey que le commun mefme
des frdelles en pourroit tirer
une grande aatilité. . .Ainfi la
refólution en fut prife f ns
diff'erer davantaze ; la caufe
qui a fait faire la traduilon
f trouvant en quelquc Ñon

AVERTISSEMENT.
pareille á celle qui a donné lieu
á la compofition de l'ouvrage,
l'un €53 l'autre ayant eflé entrepris
á l'occafufn du f cre de
deaixgrands Evefques de Portugal
de France.
On n'a ras fait dificulté dans
cette tradufflon de fi donner
toutes les liberteZqui ne blefent
point la fadelité que doit avoir
un tradtaeur , ne s'attachant
pm fa rigoureufement aux paroles
qu'au fens C9' aux penfées de
l' Auteur. Il y a mefine dans l'original
qui efl écrit en Latin ,
,plufteurs paffiges d'Auteurs
profanes , eomme de Ciceron
(r de quelques autres , qui
ont para en fi grand nombre,
qu'on a jugé á propos d' en re-
.trancher quelques-uns. Car quoy
^
,

AVERTISSEMENT.
que les anciens Peres de l'Eglife
fe foient quelquesfois frvis de
; ,
ces frtes d autoritez , profanes
pour fortifzer les veritez, du
C'hri f$ianifYne, comme S. lero/'
me 1- S. Augufz^in; qu'ils ayent
fait des traitez, exprés pour en
confeiller la ledure,commef iazt
Bafile le Grand ; c.9) qu'ils ayent
regardé la defolié d'étudier les
lettres hugnaines, conarne un Ter
de la perf cution des Tyrans ,
comme S. Gregoire deNaz,ianze:
il ne faut pas lai^rde fuivre la
snoderation qu'ils ontgardée en
cette rencontre en ne s'en f r_
vant pas avec excés, t,,' en ne les
retranchant pas au^^i abf lumét
e tous les ouvrages de piete'.
C'e.pi ce qui a fiit qu'on a la f, fé
l'exorde de ce Traité en l'eflat 4
e ii

AVERTISSEMENT.
II efl, dont on ne pouvoit rien
ofler fins en faire un toutnouveau,
e5 qu'en d'autres endroits
on a eflé obligé de les omettre.
C'efl aufj'i par cette mefine libe^
té qu'on a fupprisné quelques
pa ffages de la premiere Epiflre
de S. Clement á S. Iacques frere
de Noflre Seigneur , qul fetr0uvoient
citezdans ceTraité paree
que c'eflune piecefuppof é, felon
brieda de, le fentiment des plus f avans
doSme,
Eecle.l• r. efcrivaansEeclefiafliques,eflant
C.1. p. 3.
D'epence.
Zmpoffible quefaint Pierre mou_
1. ,, de la
ronnnenre. rh. 6. rant ait obligé d'écrire une Let-
° faP rePrfl_ tre a S. Iacques qui efl0at nsort
que. ch. 31.
Pase 1 S9. fept ans avant luy felon toutes
Peffevia e==
ro=
rat. ^^Pa-
les Chroniques.
o'

a a^^^^^^^^^^^lá
Approbations des Doaeur's.
COmme il n'ya den de plus fublime
dans le monde que la charge & la
dignité des Evefques , il ne falloit pas
une pieté & une érudition moins élevée
que celle du Pere Louis Grenade pour
traiter dignement des devoirs & de la
vie de ces premiers miniftres de Jefus-
Chrift. Toute la fcience de cet Auteur
efl: éclairée des lumieres que produit le
feu de la charité & de la grace,& le deffein
qu'il a eu en cette rencontre, d'inftruire
avec une profonde humilité &
un tres-grand refped ceux qu'il a toú _
jours regardé comme fes fuperieurs &
fes maif}res, a receu une fi grande bened
di&ion du Cid , qu'on peut dire que
• ce Traiti du devoir & de !a Yie des
Evefques efl fon veritable chef-d'oeuvre,
& qu'il n'a rien fai t de plus digne d'effre
leu & d'efl;re mis entre les mains de
tous les Llenes. Celuy qui s'efl donné
la peine de le mettre en no4re langue
a pris fi parfaitement fes penfées & a
rendu fes expreflions avec tant de fidelité
& d'exacgitude, ne peut en

defirer de plus grande. C'eft pourquoy
cette traduition fe trouvant entierement
conforme á fon Original; Nous
pouvons affurer le public qu'elle fera
tres-utile & tres-avantageufe á ronces
les perfonnes de pieté. Les peuples y
pouvant aufïi bien apprendre le refpeét,
la foumiflion & l'obeïlfance qu'ils doivent
á leurs Palteurs , que les EveCques
la maniere de les gouverner & d'exercer
fur eux la puilfance & l'autorité que
-JeCus-Chrift leur a confiée. Fait en Sorbonne
le zo. jour de Juin 1670.
N. PETIT -P IED.
IE fous-figné Doc`.teur & Profelfeut
en Theologie de la Maifon & Societé
de Sorbonne , certifie avoir len un
ouvrage intitulé , Traité dat devoir 6- de
la vie des Evefques, dans lequel je n'ay
rien remarqué qui ne foit conforme aux
maximes de la foy Catholigne, Apoftolique
& Romaine , & aux regles de la
morale Chreftienne. En Sorbonne le
a j. Juin 1670.
¡
P IROT,

AAAMA-01,I AANA
EXTRAIT DTl PRIVILEGE
dac Rvy..
^A R Privilege du Roy , fgné Dalaneé,:
donné á Paris le ar. jour de May 16 7 o. il
eft permis á Frederic Leonard Marchand Libraí.re
& imprimeur ordinaire de fa Májefté,
d'imprimer vendre & debiter en Latin & en
FranÇoisle Traité du devoir cC de la ,ie des
Evefques, compofé par le P. Loüis Grenade
Rehgieuxdel'Ordre de S.Dominique, intitulé
en Latin , De officiis (S .moribus .Epifcopo.
rum, &c. E t deftén,és font faites á toutes autres
periónnes de quelque qualité & eonditicn
qu'elles foient , & bus pretexte d'augmentation,
eorreétion, changement de titre nouvelle
traduEtion ou autrement, dele vendre,
debiter & imprimer fans le confentement dudit
Leonard , pcndant l'efpace de dix années, á
peine de trois mine livres d'amende, con fifcation
des exemplaires eontrefaits , & de tou&•
d'epens, dommages & interefts, ainfi qu'il eft
plus amplement porté audit Privilege.
•
-
a
e
Itegiflré fur le livre de la Communauté des
Marchands Libraires &Imprimeurs le 3 o. luin
1670. fuivant l'Arrefl du Parlement du ã'.
divril 16f3.
Signé, SEVESTRE, Sindic.
Achevé d'imprimer pour la premiere fois
le ro. juillet 167o.
,Les Exemplaires ont efié fournis.

PAUTES A CORRICTER:
pxges Lignes Fauces Correaions,
3 a ; foldas foldats
jI 6 fes
ics
8 a z ont font
Iop . 7 ofa Afa
1 13 ' i6 de du
1'¢8 3 la o,/tez la
1'S7 19 juge fage
17 9 fexe feae
i86 1 malheureureux malbúreux
19i zr appartien appartient
a38 a nos nous
a6; 3 veritablez verirables
314 ao mouvemen moovemens
315 ; 14 élegammcnt éloquarnent

TRAITE' DV DEVOIR
ET DE LA VIE
D E S EVESQUES.
ESSEIGNLUgSy
Quánd je confidere la grandeur
des chofes dont j'ay aujourd'huy
á vous entretenir,& les perfonnes
devant qui j'ay 1'honneur de par_
ler, il me femble que j'ay bien fu..
jet d'apprehender que l'on ne me
faffe le reproche qui fut fait autrefois
au PhiloCophe Phormion.
Car Plutarque rapporte qu'Han_
nibal eílant refugié á Athennes,
il y trouva ce Philofophe qui don_
noit des leÇons de la guerre,& qui
A

aité du devoir
cxpliquoit les regles de l'art militaire
á íes Auditeurs ; & que lors
qu'on luy demanda ce qu'il en
enfoit , íl répondit , qu'il avoit
^ien veu des vieillards tombez
en demence, mais qu'il n'en avoit
point veu de plus infenfé que celuy-lá.
Cette réponfe eítoit fort
fage, puifque felon le fentiment
de Ciceron , c'efloit une grande
folie á cet homme qui paífoit fa
vie dans le rcpos & dans la retrai-
. te, de parler de l'art militaire, qui
ne s'acquert que par un grand
exercice, en prefence d'Hannibal
qui eítoit un des plus grands Maitres
de cét art, & qui avoit pendant
tant d'années difputé de
1'Empire avec le peuple Romain.
N'eft-ce pas la l'eítat oú je me
trouve reduit prefentement ? &
pouvois je choifir un exemple qui
fuft plus propre pour le commencement
de ce difcours ? puifque
Ja'ayant jamais fait aucune fon,
1.-

& de la vie des Evefques. 3
ilion de l'Epifcopat , je fuis aujourd'huy
aífez hardi pour parler
du devoir des Evefques en prefen_
ce de tant d'illuítres Prelats, quoi
que l'art de gouverner les Diocefes
ne le cede en rien á celuy de
commander des armées , & qu'il
foit au contraire d'autant plus dif
ficile que les Evefques ont á combarre
un ennemy bien plus cruel
que ceux qui font la guerre , &
que la difcipline Epifcopale ne
s'acquert que par l'exercice &
une longue experience non plus
que l'art militaire.
Mais ce qui me rend encore la
chofe plus diíficile , c'eít qu'ayant
á vous parler de la charge des
Pafteurs , je ne pouvois choifir un
fujet plus fublime & plus excel_
lent , puis qu'on ne peut s'acquiter
de cét employ fans foufrir d'étranges
peines, & fans s'expofer
á un danger extréme. C'eft pour..
quoy la grandeur de mon fujet &
A ij

4
Twité ¿u devoir
la dignité des perfonnes devant
qui je parle, devroient m'empefcher
de continuer ce difcours.
S. Ambroife nous fait bien connoitre
la fublimité de cette char-
„ ge , lors qu'il dit , qu'il n'y a point
„ de dignité dás le monde qui puiG
„ fe eftre égale á l'honneur qu'il y a
la poíleder. Si vous comparez
13
„ l'Epifcopat avec la Royauté , il y
autant de difference qu'entre
93
„ l'or & le plomb ; puis que l'on
les Rois & les Princes a ge-
9>
„ noux devant les Evefques, qu'ils
baifent leurs mains, & qu'ils fe re-
53
,, commandent á leurs prieres. Enfin
felon S. Chryfoílome il y a autant
de diftance entre 1'Efpifco_
pat & la Royauté , qu'entre 1'efprit
& le corps. Et fi la rareté aug..
mente le prix des chofes, S. Bernard
n'a-t-il pas raifon de dire
') qu'il n'y a rien dans l'Eglife de
:, plus precieux 8i de plus defidera-
^.._
¡
97 ble qu'un bon Paíleur. Car cer- i

d. d &de la vie des Evefques. S
• tainement c'eft une chofe bien extraordinaire
de conferver l'humilité
lors qu'on efl elevé á une fi
grande dignité. Dieu n'a rien de
plus cher dans le monde , & il n'y
a rien de plus rare parmy les homm
mes. •
Mais qui Cera capable de vous
reprefenter les travaux qu'il faut
fupporter pour s'acquiterde cette
charge ? Ceux qui font prépo_
fez pour gouverner les autres ,je
ne parle pas feulement des E vef_
lques, font fujets á une infinité de
peines. La plus dilEicile chofe du
monde, dit un ancien , efi de gouverner
les efprits des hommes.
Ainfi il faut que ceux qui l'entréprennent
s'y difpofent comete
ceux qui fe preparent á combatre. Sermon de
Et c'eft ce que S. Auguftin nous S. '4w14-
apprend par ces paroles. I1 n'y a 6`^'
rien dans la vie & particuliere- „
menten ce temp icy de plus dif- „
ficile & de plus dangereux que la
A iij

6 Traité du devoir
d'Evefque ou de Preftre
33
devant Dieu il n'y a point
55
d'eftat plus heureux, pourveu que
ceux qui y font appellez cornbat-
„ tent íélon les ordres de ]efus_
„ Clirift qui eft noftre Chef.
S. Gregoire nous apprend la
caufe de toutes ces difficultez ,
dont l'E pifcopat eft environné
par ces paroles: C'eft,dit ce grand
Dodeur , paree que le gouverne-
- ment de l'homme eft 1'art des
" arts , & la difcipline des difciplines
; puis gtii'entre tous les animaux
, il n y a que luy qui ait tant
de colltumes difFerentes,& qui ait
une volonté fujete á tant de chan_
15
gemens. Plufieurs autres Saints
Evefques nous ont afhez declaré
la grandeur des perils oú nous expofe
la qualité de Pafteur. Nfais il
n'y en a point qui nous en inf}rui--
fe mieux que faint Gregoire de
Nazianze , qui"fe voyant chaíí'é
de fon Eglife par Panimoftté de

i
l
d, de la vie des Evefque.r. 7
fon peuple , & eftant contraint
de ceder á la fureur de fes ennemis,
s sefcrie : A Dieu Chaire Epif. "
copale , vous n'avez efté pour
moy qu'un trofne d'envie , expofé
á un peril extreme ! Et ce fut
par ces paroles que fuyant la haine
de fes perfecuteurs , il nous fit
connoiftre combien de tem_
pefles & d'oragcs la place d'un
Evefque eft expofée.
Vous voyez donc bien, lVlefiéigneurs,
combien efl perilleufe la
mer fur laquelle je m'embarque
aujourd'huy, ayant á parler de la
charge & des meeurs d'un bon
Evefque : mais je ne puis m'en dif_
penfer fans manquer á mon de_
voir dans une occafion fi heureufe,
oil fe doit faire la con fecration
d'un tres. bon Pafteur, & d'un il_
luftre Prelat, en qui fe rencontrent
toutes fortes de vertus. J'ay
defléin de le faire fans exazgeration,
& fans faire aucune violence
A iiij

Evang
d
^^, ^
f,^9e. p
8 T'raité du devoir
á mon fujet, mais en vous expofant
fimplement les obligations
d'un Evefque telles qu'elles font
effeftivement.
Au reíte ce qui me faifoit trembler
au commencement de ce difcours,
doit vous rendre plus attentifs
á me preí}er audiance , afin
que vous envifagiez la dignité
Epifcopale de la maniere dontje
vous l'ay décrite , comme la chofe
la plus fublime , la plus difficile
& la plus dangereufe du monde.
Cela vous regarde vniquement.
I,'honneur , le travail & le danger
qui l'environnent ne font que
pour vous : mais la grandeur de
ce füjet eítant au deíhus de mes
forces , il faut implorer le fecours
du ciel felon la coútume par l'intercellion
de la fainte Vierge, en
luy difant:Ie vous falui::Marie,d-c.
y12on fls de lean m'dyync: vous
e S. fea,'
luf que ne font ceux-ey ? loan. zi.

d- de la vie des Evefques. 9
Ces paroles de Noflre Seigneur
nous donnent occafion d'exami;
ner trois chofes. Premierement;
lors que Jefus-Chrifl fait cette interrogation
á Simon fils de Iean,
íl la fait par comparaifon avec fes
autres Apoftres : M'aymekT vous
plus que ne font ceux-cy ? Et cela
nous donne fujet de difcuter cette
queflion qui a fi long-temps eflé
agitée parmy les Dofteurs : fÇavoir,
fi lors que plufieurs perfonnes
font propofées pour eftre
Evefques, on efl obligé de choifir
celuy qui en efi le plus digne, 8t
de le preferer á un homme qui en
feroit feulement digne.
Secondement, ces paroles nous
donnent lieu de vous expliquer
quelles font les qualitez requifes
pour nous rendre dignes d'un ft
grand employ.
Et en troifiéme lieu,aprés avoir
fait connoiflre combien de chofes
font necefiáires á celuy qui rem.-

lo Traité du drvoir
plit la dignité Epifcopale , elles
nous obligent d'examiner pourquoy
Noítre Seigneur , fans par_
ler des autres qualitez , interroge
jufqu'á trois fois faint Pierre fur
la chanté. Car cette repetition
me paroift extremement myfterieufe&
tres-digne de celuy qui Pa
faite, puis qu'il y comprend en
peu de mots tous les devoirs de la
charge de Pafteur.
Voilá les principaux points que
nous avons á vous expliquer dans
ces paroles de Noftre Seigneur,
aprés quoy il ne vous fera pas difficile
de connoií}re ce que j'ay
defíéin de vous prouver particulierement
dans ce difcours, quelle
eft la fin de la charge d'un Evefque,
& par quels moyens il faut
parvenir á cette dignité. Quand
je vous auray fait connoiftre cette
fin , vous n'aurez pas beaucoup de
peine á, difcerner ces moyens ,
puifque la Philofophie nous ap_

de la vie des Evefques. ^ r
prend que rien ne découvre
mieux la proportion des moyens,
que la connoifí'ance de la fin oit
ils conduiíí'ent.
II eí} conítant que Noftre S ei-
Ineur avant fa Paíl'ion promit á
laint Pierre les clefs de fon Eglife,
comme il paroiíl par ces paroles
de faint Mathieu au chapitre t 6.
de fon Evangile : le vous donneray
les clefs du Royaume des cieux, &
qu'aprés fa Paffion & fa Refürreftion
, eftant preft de remonter
au ciel & de ne plus converfer
avec les hommes, il établit faint
Pierre fon Vicaireen terre , & luy
donna les clefs du Royaume des
cieux qu'il luy avoit promifes,afin
que fon Eglife qui eft toixjours
vifible, ne fuft pas deílituée d'un
Paíleurvifible, & qu'il luy dit ces
paroles que j'ay prifes pour mon
texte : Simon fils de _lean , m'aymek.
vous plus que ne fontceux-cy? Cette
demande eft bien remarquable ,

tz Tráitédu devoïr
paree qu'il n'y exprime pas feulement
le nom de Simon , mais aufli
celuy de fon pere , de peur que
dans une affaire de cette importance
, on ne prift dans la fuite du
temps un autre Simon que celuy
á qui il parloit 3
comme nous
c.rqf, t. voyons que dans la II. Epiftre aux
Calares , lors qu'il cít parlé de
Cephas á qui faint Paul refifta en
face , quelques-uns ont cru que
c'eftoit un autre Cephas. Simon
fils de Iean , m'aymex^ vous plus que
^te font ceux_ cy ? V oilá ce que N á-
tre Seigneur luy demande ; &
luy répond : Ouy Seigneur , vous
R aveç, bien que je vous ayme. O ú
11 faut bien remarquer la difEerence
qui fe rencontre entre la demande
& la réponfe. Jefirs-Chrift
demande par comparaifon , s'il
l'ayme plus que ne faifoient les
autres Apoftres ; & S. Pierre répond
fimplement qu'il fÇait bien
qu'il l'ayme : Ouy Seigneur, vous

^ de la vie des Eveiques. r;
f, ave^ bien que je vous ayme. Et
quelquedemande qu'il luy fift, il
n'en tira jamais d'autre réponfeo
Saint Pierre fe fouvenoit du malheur
qui luy ef^oit arrivé peu de
temps auparavant, lors qu'il luy
dit : ^and vous ferie^ pour tous
les ^rut res un fujet de f ^andale, vous
ne le ferex^ jamais pour moy : parce
qu'en cette rencontre prefumant
trop de fes forces , & s'élevant au
defí'us des ai^tres , fans fairc refle—
xion á fa foiblefl'e & á 1'infirmité
humaine , il eftoit tombé d'une
maniere honteufe, & avoit porté
la peine defa temerité.l^lais paree
que toutes chofes , mefine les pechez
tournent en bien aux élus ,
felon le fentiment de faint Auguftin,,cetApoftre
eftant inftriait par
1^'exemple du peril oú il eftoit tomb
bé , il n'ofa plus fe preferer á pera
fonne, quoy que noftre Seigneur
l^interrogeaft par rapport aux au_
tres, & qu'en efFet ileu^ pour^e-
M°uh. ac.

T+ Traité du devoir
fus-Chrift plus d'amour que tous
les autres Apof}res. Car Noftre
Seigneur ne 1'euíl: pas interrogé
féulement fiir la charité, fi elle ne
l'euft rendu plus recommandable
que les autres Apoflres. Mais fa
cheute l'ayant rendu plus circonfpe&
& plus humble,il teut une verité
qu'il pouvoit publier fans
nienfonge : car fouvent quoique
l'on dife la veríté , on ne la dit pas
fans s'exp.ofer au peril de la vanité'
& de la pref.ómption.
Si c
PREMIERE PARTIE.
ue ^ Es paroles de Nof}re Seiecux
clui gneur nous donnent donc
^^ ^^et fujet d'examiner fi ron n'eft pas
chcz emir obligé de choifir le plus digne
^bl,ctiól
pour eftre Evcfque, ou fi cen'eft
fier les pas afíez de choifir un homme qui
plus di— fbit
digne. Cette queflion a long_
^Our Ics tcmps ef{ é agitée parrny les Doreanplir.
C&eurs de Theologie & de Droit
canonique. La plufpart des Jurif-

"6- de la vie des Eve f 'ques. 15
confixltes croyent qu'il fuffit de
mettre dans cette dignité un hom_
me qui en foit digne ; & la raifon
qu'ils en apportent, di qu'en toutes
fortes d'affaires, lors qu'on eff:
obligé de les commettre á quelqu'un,
on a fatisfait á ron devoir
lors qu'on a choifi une perfonne
capable. Les Theologiens font de
fentiment contraire , & particu_
j lierement ceux qui fuivent la do..
rine de faint Thomas , & ils f óú_
tiennent de toutes leurs forces,
que dans une affaire auíí'i importante
que 1'Epifcopat, & qui eft
de la plus grande confequence du
m&e, il ne fuffit pas de mettre un
homme digne, mais"qu'il faut neceffairement
choifir le plus digne.
Cette queflion qui a caufé
tant de difputes a enfin elle définie
par une grace particuliere de
Dieu dans le Concile de Trente ; ca
oú il eft dit, que ceux-lá. pechent « hp. ;;'
mortellement , & participent aux

Traite' du devoir
pechez des autres, qui n'ont pas
A' foin de choifir pour les Eglifes les
plus dignes & les meilleurs Pafteurs.
Cette verité peut eftre demonfkrée
par plufieurs raifons , &
par des témoignages tres_clairs de
l'Efcriture Sainte. Mais parce que
nous ne pouvons pas les rapporter
tous en ce difcours, il me femble
que ces paroles: Simon jfls de lean ,
?n'aymez-vous plus que ne fontceuxcy
? que N. Seigneur addref 'e par
trois fois á S. Pierre en font une
preuve bien conf}ante. Car voulant
dans cette premiere éle&ion
d'un Pareur de l'Eglife, donner
le modelle fur lequel tous les au, •
tres doivent eftre élussil ne fe contente
pas de demander s'il l'ayme,
mais s'il i'ayme plus que ne font
les autres Apoftres : afin de faire
connoif}re par lá, que pour rem_
plir cette grande dignité il ne fuf-.
fit pas d'avoir une charité égale á
celle des autres ; mais qu'il faut
qu'elle

t-- .6 de la vie des Eve^ques. i 7
qu'elle la furpafI'e de beaucoup,
La nature femble nous dicler ce
fentiment, qu'il faut que ceuk qui
font au defTits des autres par leúr
dignité & par le rang qu'ils tiennent
dans le monde, les fizrpaíí'ent
auffi par 1'excellence de leur vie%
Ainfi un berger eí} plus fúrt que
fon troupeau ;. Un Capitaine efl:
plus couragetnt qu'un foldat ,
& un Roy eft plus puifpá,nt que
fes fujet's. S'il eft donc vray qu'ïl
doive y avoir plus de charité dañs
le 1'aíteur que dans les brebis , it
n'y a pas dé doute que celuy qui
eft choifi pour gouverner & pour
diriger les autres, doit eftre plus
digne & plus faint que tous ceux
que Pon inet fous fa conduite :
Car, comme dit fort bien S. Am- cc
hroife, commen t croiray_je qu gun «
` homme eft plus capable de me ed
donner confeil.que moy, qui me- “
ne une vie plus dépravée que 11 C4
m.ienne ? Celuy á qui je me dois u
11

I $ Traité du destoir
foumettre doit eítre en tout au
)) deífüs de moy. Mais afin de vous
convaincre par raifon d'une chofe
qui de foy eft entierement manit'eíle;
je dis hardiment, qu'il eít
contre les loix de toute forte de
j
uítice, de preferer un homme digne
á celuy qui eft plus digne. Car
fi vous regardez la juítice diftributive
, elle veut que les charges
publiques foient données par rapport
aux merites, de peur que les
moins dignes ne foient preferez
aux plus dignes.Et en effet y a_t-il
rien de plus honteux que de voir
les hommes les plus capables &
du plus grand merite mourir de
faim , & eítre dans 1'obfcurité,
pendant que ceux qui ont bien
moins de merite joüifí'ent avec
abondance de toutes fortes de
biens, & font avec éclat dans les
emplois & dans les charges publiques?
Cela ne peut eítre ainfi fans
eftre coupable du peché que I Lf
6

^M de la vie des Evefques. 19
criture appelle acception de'perfonnes,
qui confiíl:e á faire faveur
á qui ron veut fans confiderer le
merite.
La juftice commutative n'efl; pas
moins blefíée par cette conduite,
Car puifque le peuple contribuI.
de fon bien , & qu'il en prive même
fes enfans , afin qu'on luy dvne
de bous Pafteurs ; fi, lors que vous
luy cn pouvez choifir un tres-digne
( je parle á ceux qui ont droit
aux promotions desEveques)vons
n'avez pas tát d'égard au bien pu..
blic qu'á vof}re utilité particulie_
re, fi vous coofiderez plus vos parens
, & quevous travailliez pour
ainfi dire plutoft pour vous que
pour eux-mêmes en leur procurant
des Evefchez; n'abufez- vous
pas de vofire credit & de la con-
,fiance que Pon a en vous? ne coin_
mettez vous pas un peché contre
1'utilité publique ? ne violez- vous
pas les loix les plus fair.tes de la j,it-
B 'J

zQ 7ritité du devoír
i}ice, puifque vous convertiíi'ez á
voftre ufage particulier ou de vos
parens, le bien de 1'Eglife? C'eíl: á
quoy vous devez bien prendre
garde. Car comme il y a des mede.
cins plus habiles que les autres,des
Theologiens plus fçavans, des foldats
plus braves;il y a auíli des Pa_
í}eurs plus vigilans les uns que les
autres. N'eí}-il pas vray de dire
que celuy qui reçoiy une grande
rccompenfepour choifir un excellent
medecin,un tres-fcravant ma?-
tre, ou un tres-brave foldat,& qui
cependant ne prend qu'un homme
mediocre, paree qu'il eít íón
parent, fon amy ou fon domefti_
que, eí} un voleur public qui s'engraiíl'e
& les fieras i du bien d'autruy.
^e fi perfonne ne doute
que cet homme nragiíl°e contre les'
loix de la juítice , quel jugement
devons - nous faire de celuy qui
prefere fon intereft á liutilité de
1'Eglife, laquelle ne regarde que'

d- de la vie des Evefques. zr
le culre de Dieu , la gloire commune
des fideles,& leur falut éternel?
Je remarque qu']I y a deux caufes
qui obligent les hommes á gar_
der & á prendre foin de ce qu'on
leur a confié , le prix de la chofe ,
& le danger qu'il y a de la perdre.
Car plus une chofe eflr precieufe ,.
plus on la garde foigneufementfi
& plus il y a de danger á la perdre ,,
plus on s'efforce de la conferver.
Or qu'y a.x-il de plus precieux que
le falut des ames pour lefquelles
le Fils de Dieu , c'eft á dire la Ver--f
tu de Dieu , la SagefTe de Dieu,
n'a point fait de dificulté de donner
fa vie & de répandre fin Sangy
j u'y a-t-il de plus expofé au peril
f que le falut des ames , puis que
noflre vie fur la terre eft une buer-^'
re continuelle > Nous fõmmes en- '
vironnez de toutes parts de nos
ennemis, nous vivons parmy des
dragons & des fcorpions, le pe-

zt Traíté du devoir
ché nous entourre de tous coftez.
Car c'eft pour cela que le Sei_
gneur nous dit, que le chennin qui
.744

^ry de la vie des Eve^gues. 23
regardera au prix d'elle que colnme
de la paille, de la poufíiere,
& de l'ombre. S'il efl+ donc vray
que noflre ame foit la chofe da
monde la plus precieufe, & du'il
n'y ait rien qu'on foit plus en danger
de perdre , comment f:, peuÇil
faire que pour la gardcr on laiire
celuy qui en eít le plus digne & le
plus capable , & qu'on luy prefere
celuy qui eft moins digne &
moins capable ? Si le Roy eftoit
extremement malade , & que fa
vie fut en danger, prefereroit-on
des Medecins ordinaires & mediocres
, aux meilleurs & aux plus
excellens?Si vous eftiez fur la mer,
& qu'il furvint une grande tem_
pefte, voudriez -vous que le plus
habile Pilote ne prift pas la coli
duite da vaifíéau , & qu'un moins
expert prift le gouvernail ? Enfin
fi le falut de la Republique dé.-
pendoit du gain d'une feule ba_
dhille, y ayant plufieurs Capitai-

24. Traité du devoir
nes experts & courageux > & entr'autres
un qui excellait'par dei.-
lbs taus, feriez-vous d'avis qu'on
luy preferaff des homrnes d'une
capacité mediocre pour comman,
der ? La nature & la raifon ne
nous enfeignent-elles pas le con_
traire ? & ne faut-íl pas cifre infenfé
pour cifre de ce fentiment ?
Car fi dans toutes ces circonftan.
ces , il arrivoit quelque maiheur;,
ne rejetteroit-on pas la faute fur
ceux qui n'auroient pas choifi le
meilleur Medecin , le plus hahile
Pilote , & le plus excellent
Capitaine ? Et cependant toutes
ces chofes ne íónt que des chimeres
& des bagatelles , en comparaifon
du falut des ames & de'
l'Eglife,Et fi le fens commun & la
raifon naturelle nous apprennent
que dans les grands maux, ii faut
avoir recours aux grands remedes
; le falut de nos ames eftant la
chofe du monde de la plus grande
importan ce

e i, de la vie des Eveft^ues. 2f
inrportance, que ne faut-il point
faire, pour en avoir tout le foin
que Pon doit.
Je pourrois apporter une iYZfz_
nité d'exemples pour confirmer
cctte verité. Mais je n'enfÇaurois
produire un meilleur que celuy
de Dieu mefine , qui voulant don:.
ner un Pafleur.& un Pontife á fon
Eglife, en a choifi un qui n'avoit
pas fon pareil ny dans le ciel ny
fur la terre ; puis qu'il nous a envoyé
fon Fils Llnique , qu'il a detimé,
non febilement pour aire
le Redempteur de tous les hommes
, & l'Auteur de noflre falut,
mais pour eflre noflre Pon.
rife .& nofire Souverain Preíire,
quoiqu'il puf} aifément en choifir
d'au.tres.. C'efl ce que le Fils
luy_mefine a marqué , lors qu'il
dit dans le Prophete Ifaïe ; fuis Ifa're at,
ccluy qui efface les peche cau^e
denlo)/ ; ce qu'un autre interprete
traduit ainfi ; C'eft moy , c'efl
C

1¡,jc 63.
26 7's^aité du devoir
moy - mefme qui effacc les iniqui.-
te^, afin que Pon fçache qu'il n'y a
que le Fils Unique d'un Dieu , á
qui le foin de remettre nos pechcz
ait eíl:é donné. Cela fe trouve encore
micux expliqué dans cet autre
endroit du mefilie Prophete
Il nes'ef pointa fligé dans leurs tribulations
, qu'un interprete tra.
duit ainfi : Cc n'eft pointun Ambaf
J adear ou un Ange , mais c'eflluymefinequi
lesa ^auvcç, S'il eft dono
vray que le Pere Eternel a tant
eftimé le falut de nos ames, que
pouvant envoyer des Anges , des
Archanges, ou de tres-faints Pa_
triarches , il a cependant choifi
celuy qui eft tellement le plus digne,que
fon excellcce eft au defí'us
de toutes nos.penfées:: avcc quel
front choifirez-vous pourVicaire,
deceSouverainPontife,unhomme
moins digne,lorfque vous en pouvez
prendre un plus digne?Faitesvous
moins de cas de v of}re fal.ur,

l
& de la vïe des Evefques. 27
& vous eít-il moins cher qu'á
Dieu mefine,qui n'y a aucun intereít
, & á qui il n'importe point du
tout que vous foyez ou que vous
ne foyez pas fauvez.
Mais enfin voyons ce que le
.Concile de Trente a defini fur ce
fujet , & de quelle importance il
a j ugé qu'eítoit cette affaire. Voicy
íes paroles. S'il eít neceffaire
d'avoir foin que dans tous les de- «S.^L4

.,.sp. t.
t
18 Traité du devoir.
la dignité Epifcopale eí}oit de fi
grande importance , qu'on ne
pouvoit apporter trop de précaution
dans le choix de ceux qui la
doivent poííéder. C'e.íc pourquoy
» il ordonne , qu'aufii. toílr que les
Eglifes feront vacantes, on fera
des prieres publiques & particu-
» dieres, qui feront indiquées dans
» la ville & dans tout le Diocefe
» par le Chapitre, afinque les peu_
» pies puiflént impetrer du ciel
» un bon Pafteur ; & il exhorte
& avertit tous ceux .qui ont quelP
„ que part á la promotion des Evef_
ques , de fe fouvenir qu'ils ne
peuvent rien faire de plus avantageux
& de plus utile á la gloi_
„ re de Dieu & au falut des pelr
pies, que de choifir de bons Pa-
„ í}eurs , capables de gouverner
„ 1'Eglife , & qu'ils participent
„ aux pechez & font complices
„ des fautes que font les Eveíques,
„ s'ils ne choififlent ceux qu'ils j u-

l
d- de la vie des Evefques. 29
gent les plus dignes par leur me- «
rite, fans avoir égard aux recom- «
mendations, á la parenté ni aux
follicitations de ceux qui brigu ét. «
Voila ce que dit le Concile de
Trente. Il n'en faut pas davantage;
& il eíI aíléz aifé de reconnoiftre
par ces paroles quelles doivent
eftre les qualitez d'un homme que
l'on deítine á l'Epifcopat.
Or ce que nous difons des Evef_
ques , ü le faut appliquer aux
autres Prelats inferieurs, c'eft á
dire, aux Pafteurs des Eglifes particulieres
: car les uns & les autres
portant également le nom de Pafteurs
, quoique d'une maniere
diffLrente , on doit apporter le
mefïne foin pourles choifir. On
peut appliquer aux Curez aufíibien
qu'aux Evefques ces paroles.
Tel efl le Papar , tels font les haói- Eccw:,c.
tans de la ville ; & cet axióme
fi commun en Philofophie : Tout
agent produit fon femblable,
C iij

o
30 T'raité du devoir
Ces Pafteurs ne font pas á la ve_
rité des caufesnaturelles, mais des
caufes morales : c'eft pourquoy il
ne fatYt pas s'étonner fi ceux qui
font fous leur conduite leur reffemblent
dans la pureté de leurs
mcc.urs. Et de tout cela il eft
aifé de conclure que ce ne font
pas feulement ceu-x que l'on fait
Evefques qui doivent eftre les
plus dignes, mais aufli tous ceux
qui prennent part á la conduite
des ames & qui participent avec
eux au nom & á la qualité de
Pafl:eur.
Mais parce qu'il n'y a rien de
plus important pour le bien de
l'Eglife que cette verit.é , ii faut
que }e vous explique les raifons
qui obligent les Evefques á choifir
au defrous d'eux des Pafteurs
qui foient les plus dignes. J'en
troúve deux confiderables. La
premiere eft tirée de 1'utilité; & la
feconde de la neceílité de l'Eglife,

d. de la vie des Evef'ques. 31
Cette utilité eft toute manifeíte :
•car quelque vigilant & exa& que
foit un Evefque , ce n'eít qu'un
Pafteur. Or comment fe peut-il
faire qu'un feul homme ait foin de
tant de brebis ? Un feul ouvrier
peut-il labourer,tailler,& accom_
moder tant de vignes ? Et un feul
capitaine, quelque brave & genereux
qu'il foit, peut_il jamais fans
foldats percer les efcadrons des
ennemis ? Des foldats fans capiL
taine, & un capitaine fans foldats
ne font pas de plus grand ufage
que des membres fans chef, & un
chef fans fes membres. Qitel bien
donc & quelle utilité l'Eglife ti_
rera- t-elle de la probité d'un
Evefque, s'il n'a point fous luy de
bons miniítres ? Comment O- ¿eelef. 4.
qu'un feul homme s'échaufera le ccrur,
dit le fage ? Mais quand il feroit
échaufé , comment pourra-t-il
donner de la chaleur á tant de
am1 gens froids ? Celuy qui eft dans
C iiij
e 4

3% Traité du devoir
l'Eglife comme un capitaine , a
befoin d'avoir fous fa conduite de
bons foldas,parle moyen defquels
il puifí'e détruire les maximes du
diable, & fe garentir de fes tromperies
: car fans cela il ne fera rien
ou peu dé chofe. 11 efl done du devoir
d'un E.vefque de rechercher
de tous coítez , avec tout le foin
& toute l'exaditude, des perfon-:
nes d'une probité reconnui; pour:
l'aider dans fon travail. Il doit les
exciter & les attirer á fon fervice
par fa liberalité & par toutes fortes
de recompenfes. Il faut qu'il
imite le Roy Saül dont l'Efcriture
7leS'.4 ' remarque qu'auíli-tofl qu'il entendoit
parler de quelque brave_
foldat , il le faifoitappeller &
rolloit dans fon armée. Ce fut
par ce moyen qu'il furmonta tant
d'ennemis, & que le peuple d'Ifracl
commenÇa á s'elever contre
les Philiftins qui le tenoient dans
une honteufe fervitude. Un Evef-

& de la vie des Evefques 35
que qui fur cet exemple fe choifira
de bons Miniftres & de fideles.
compagnons de fon travail, mefürera
le fruit de tés peines fur le
nombre de fes foldats. S'il en a
trente , foixante ou cent , il recevra
fes fruits au centuple. Plus il
aura d'ouvriers , plus le fruit de
fon travailfera grand. Mais enfin
que peut-il y avoir de plus écla_
tant pour 1'honneur de 1'Eglife,
de plus honneíte° & de plus jul}e,
& de plus giorieux pour la reputation
d'un Evefque, que de mettre
fous fa conduite de bons Mini_
ftres qui la defendent comme
d'excellens capitaines ? Quel bien
ne feront point de bons Minares?
& quel mal ne feront point les
mauvais ? Peut-on reeui'illir, dit le ^ar.
Seigneur, debonsfruits fin- des épi_
nes, ou des „tices fur des ronces? Ainfi
tout arbre qui ef bon produit de bons
fruits, toutarbre qui ef mauvais
produit de mauvais fruits. L'effet
7

54 Traité de devoir
ne degenere pas de-fa caufe , au
contraire il l'expriine , il l'imite,
& il la reprefente cornme nous
avons dit cy-devant.
Mais la neceffité de l'Eglife d'avoir
les plus capables pour fes Minif}res,
eft fi grande, que jepuis
dire hardiment qu'on ne peut faire
contre Dieuun plus grand peché
, & que l'Eglife ne peut eftre
plus cruellement déchirée que
par la preferen ce des indignes, ou
de ceux qui font moins dignes, x
ceux qui font les plus capables de
remplir les dignitez de l'Eglife. ^1
n'y a rien de plus infüportable 7 dit
" faint Auguftin,que de preferer un
" homme parce qu'il eft riche , pour
" remplir une place d'honneur &
" de gloire , á un pauvre qui a plus
" de capacité & de fainteté ; car
" c'eflfaire acception des perfónes;
" lors qu'on ne regarde que la perfonne.
Qüand on fe trompe &
qu'on fe ladre aller ã fes paííioiis

de la vie des Evefques. 35
& á fes inclinPltions particulieres,
ou qu'on fe laiffe corrompre par
les prieres ou par les prefens ; on
eftime ce que l'on devroit méprifer,
& Pon méprife ce que l'on
devroit embrafí'er: mais celuy qui
commet ce crime fe rend cõplice
de beaucoup d'autres. Car, comme
dit fort bien le Pape Adrien,
celuy qui prefere un hõme moins
digne á un plus digne , eíi coupa- ^6
ble devant Dieu de la pene de «
toutes les ames qui font en peril ^4
par fon incapacité : il efl auteur ^6
de tous les pechcz , qui lónt des «
fuites de fon mauvais choix ; enfin
il eíl coupable de tous les refus
d'aumofiies, & de tous les man_ «
quemens de bonnes aeuvres qui «
auroient eílé faites par un bon „
Pafleur. Car comme celuy qui «
choifit un mauvais medecin , un
pilote ou un Paíleur incapable,
merite que toutes les pertes qui
font cauíées par leur ignorance &

562"raité dú deTfoir
leur incapacité lui foiét imputéési.
de mefme celuy qui prefere un
Miniflre de l'Eglife qui efl.moins
digne , eft coupable de tous les
maux qui s'en enfiiivent. Tous
ces noms & toutes ces qualitez
conviennent admirablement á un
Miniílre qui a charged'ames-da.ns
1'Eglife.. 11 efl medecin , puifque
c'eft luy qui applique lé remede
aux maladies fpirituelles : il efl pilote
, puifqu'il tient le gouvernair
dans le regime de nos ames,& que
par le miniftere de la parole de
Dieu, il les conduit fur les flots de
la mer de ce fiecle : il efl aufl'i ca_
pitaine, puifqu'il donne des armes
aux foldats dejefus- Chrift contre
les armées du demon : enfin il efl
pafleur, puifqu'il conduit le troupeau
du Seigneur dans la vie eternelle,
& qu'il le repaift, pour ainfi
dire , par fa do&rine, & le défend
de la rage des loups. Tous ces
noms luy conviennent donc ad@
^ p
^

d. de la vie des Eve fques. 37
Mirablement, & ils font d"autant
plus confiderables qu'ils luy ap_
partihnnent par rapport á nos
ames .qui font incomparablement
au deffiis de nos corps , & par rapportaux
chofes du ciel, quifont
infiniment au deffus de celles de
,la terre. Si donc il efl indubitable
que .ceux qui choifiífent pour
toutes ces fonaions de medecin,
de pilote, de cápitai.ne & de pafleur
par acception desperfónes,
fans preferer.ceux qui ont le plus
de merite , font refponfables de
toutes les fautes .qui s'y commettent
: combien le lcrime de ceuxlá
paroifilra-t-il horrible devant
Dieu , qui font caufe de la perte
de tant de millions d'ames par la
negligence qu'ils apportent dans
le choix des Evefques & des Cu_
rez , en ne choififfant pas les plus
dignes ? (^uiefl-ce qui fe recon_
noiífant coupable d'un fi grand
crime, nc fe déchire point le caeur°

38 Traité du devoir°
de douleur & d'affli&ion ? Lors
j . 7eg• 1S • qu'Abiathar,qui eftoit un Preftre
de la Loy , aprés avoir perciu fes
parens & fes freres par la cruauté
de Saül , fe fuft enfuit dans le
defert vers David , ce Prophete
luy dit qu'il fe reconnoiflóit coupable
de la mort de fon pere, paree
qu'il avoit efl:é caufe , quoique
fans defiéin & fans le fÇavoir , de
ce que Saül s'eftoit tranfporté de
colere, & avoít égorgé les Preftres
du Seigneur. Mais fi David
s'eít reconnu criminel,que pourra
dire celuy qui ayant une volonté
parfaite & une pleine connoiffance
fe rend aux follicitations de
fes amis, qui fuit fes propres paffions
, & preferant un homme
rnoins digne á un plus digne eft
caufe de la verte d'une infinité
d'ames ? Mais afin que vous ne
doutiez point que tous ces maux
fe doivent imputer á celuy qui
fait le choix des Pafteurs; écoutez
r-
^l

de la vie des Evefques. 3p
ces paroles de S. Jerofine : Ceux e^
qui mettent dans les Ordres de ca
1'Eglife leurs.domef}iques , (1.k qui t4
expofent leurs vies au fcandale

40 Traitédu dcvdir
.& qui leur font la cour, quiles
font folliciter par des perlonnes
de qualité , & qui obtiennent
d'eux la Clericature par des prefens
, pour ne rien dire de pis. Et
parce que cet abus a to.d.jours cité
extremement nuiCible á I'Egliíc;
le .Concile de Baile voulant empefcher
un fi grand d-efordre, y a
apporté un remede tres-puiilánr,
quoiqu'il ne foit pas tel que la
malice des hommes n'en pudre
encore abufer. C'eit pourquoy
il ordonna que les Eledeurs des
IVlinil}res de I'Eglife, aprés avoir
dit la Meífe du S. Efprit, s'eftre
confeffez & avoir recen le Corps
de ,Jefiu - Chrif:t, feroient ce ferment
entre les rnains de celuy qui
prefideroitál'aifernblée:Je jure &
+3 j
e promets I3ieu tout-puiiTant,
au Saint ou á la Sainte fous le nom
>a de qui cetre Egliie eíl= confacrée,
o queje choifiray celuy que je croio
ray devoir eftre le plus propre
pour

6~ de la -lije des Evafque.r. 41
pour procurer le bien fpirituel & cc
temporel de 1'Eglife, & queje ne
favoriferay point par mon fuffra_
ge celuy queje connoiftray vray_
íemblablement avoir brigué pour
fe faire élire, en promettant ou
donnant quelque bien temporel,
par fes prieres ou celles de íc:s «.
amis, ou par quelque autre voye
que ce puiffe cifre, dire&emeiit
ou indirec`fement. Et quoique ce
decret n'oblige pas aux lieux oú
il n'eíf pas rcceu , il nous apprend
neanmoins combien il eít necef_
faire que les Paí}eurs de l'Eglife
apportent le remede á cet abus
dans le malheureux fiecle oú nous
vivons , oú la Foy femble prefte á
tomber, oú la juí}ice & la vertu.
font exilées , & oú l'on ne recher_
che que les biens temporels.
Il faut done qu'un bon Evefquo
qui n'a rien de plus cher que le falut
de fon Egliíé , qui apprehende
que la perte de tant d'ames ne luy
D

q a Traité du devoir
íóit imputée , qui craint D`ie^r
dont il reprefente la perfonne en
terre , & qui veut preferer fon
falut á toutes chofes , lors qu'il
s'agift de conferer quelque benefice
, & qu'on le follicite pour un
homme qui n'eft pas le plus digne,
devienne comme un mur d'airin
& comme une colomne de fer &
de diamant, qu'il refiffe aux difcours
des flatteurs , aux fervices
des domeftiques , aux affe&ions
des parens, aux prieres des amis,
& á la faveur des grands Seigneurs
& des Princes. Car l'envie
d'avoir de 1'argent , l'avarice &
Pambition obfedent tellement le
caeur des hommes , que je puis di_
re hardiment , qtron n'employe
pas tant de machines contre les
ramparts d'une ville afliegée, que
contre un Evefque dont on veut
extorquer un benefice. En effet
les gens de guerre ne recherchent
ny tant de gloire , ny tant de pro-

,
,
-
s
s
s,
i-
ie
&
le
diye
les
ue
eut
ffet
.ent
)rod-
de la vie des Evefques. 43
fi t du gain d'une bataille, que ces
gens en efperent en attrapaiit
un benefice qui Ieur fert non
feulement pour leur dépenCe &
po ur leur vanité , mais á en treteni r
celle de toute leur fa mille. Cien
pourquoy il n'y a pas fu}et de s'étonner
fi des gens qui font animez
d'une cupidité fi violente, & qui
efperent tant de chofes , atta_
quent & aíliegent,pour ainfi dire,
un E vefque avec plus d'impetuofité
qu'on ne feroit une place forte.
Comment done un Prelat
pourra-t_il refif}er á tant d'efforts
s'il n'a le coeur bien muni de la
crainte & de l'amour de Dieu , &
de l'apprehenfion de l'enfer? ?^ile
faut-il que faífe un Evefque qui
eff dans cette difpofition? Qu'il fe
fouvienne de ces paredes de Saint
Chryfoífome. 11 faut qu'un Evef_. cti
que foit fevere , qu'il foit doux . «
& humble, charitable & conf}ant ^¢
dans fes refolutions , afin qui;, cs
D i^

44 Traité du devoir
„ quand il aura choifi un homme digne
pour eí}re Miniftre de 1'Egli-
„ fe, iC le foutienne contre le füffra..
ge de tout le monde ; & s'il s'en
rencontre un qui foit indigne, il
luy donne 1'exclufion quand mef-
„ me il auroit l'approbation de plu-
„ fieurs, Car il ne doit regarder
que l'edification de 1'Eglife , & ne
„ rien faire ni par haine ni par
amourpour perfonne. Souvenez
vous donc bien de ces paroles &
pafl'ons á la feconde partie.
SECONDE PARTIE.
feconde Qnelles
(out avons á traiter , & qui eft le
chofe que nous
les dualitez
qui
.arw
point capital de ce difcours •, eít
xaminer rendent quelles font les qualiun
hommc
digne
de 1'Epifsopat.
tez qui rendent un homme digne
de l'Epifcopat, c'efladire, quiforment
un bon Evefque. Un ancien
parlant du choix d'un excellent
General d'Armée , dit que
cjuatre chofes luy font abfolument

& de vie des Evefques. 45
neceflaires , qu'iI ait de la vertu,
qu'il f cache la güerre , qu'il ait de
1'authorité pourfe faire obeïr, &
qu'il foit heureux dans fes entreprifes.
En efFet ce font lá les
qualitez principales d'un grand
Capitaine. Ce n'eft pas d'un Capitaine
de cette forte dont j'ay á
vous entretenir , qui défend une
ville affiegée, qui refifte aux efforts
des ennemis , qui fçait drefFer
des bataillons : mais j'ay a vous
parler des devoirs d'un Evefque
qui eft noftre capitaine fpirituel
& noítre defenfeur contre les
Princes de ce monde & les Puiffauces
des tenebres , avec qui nous
avons une guerre continuelle.
Cependant il ne doit pas y avoir
grande difFerence entre un bou
Pafteur & un bou General d'A.r_
mée. 11 y a cinq chofes necefí'aires
á un bon Pafteur. La 'fainteté
de vie , la prudence, la diligence
dans les affaires , la generofité

46
Trdité du devoir
& la fcience. Ce font lá les fources
dont toutes les autres vertus,dont
il á befoin , tirent leur origine.
Nous parlerons de chacune dans
fon rang.
La premiere qui fe prefente eft la
fainteté & 1'innocence de fa vie,
laquelle eít entierement neceíí'ai_
sainteté
de vie. re á un Evefque , comme il paroift
par les paroles de noftreSeigneur,
que j'aypriíés pour mon texte. Car
e ftant queftion des bonnes qualitez
d'un Pafteur qu'il veut choifir,
il ne luy dēmáde que la charité, &
il la luy demande jufqu'á trois fois.
Or il eíi certain que la fainteté de
vie fe rencontre oú eít la charité;
de forte qu'un homme n'a de vertu
qu'á proportion qu'il a de la
charité. Car comme dit faint
Bernard fiir les Cantiques , il faut
prendre la mefüre d'une ame fur
celle de l'amour de Dieu. Si elle
,, en a beaucoup c'eft une grande
9) ame: fi elle en apeu,elle eft petite:

d- de la vie des Evefque.r. 47
G elle n'en a point du tour elle «
n'eft rien felon cette parole de 1'A- «
pótre: Si je n'ay pointlacharité je :^,.x ^o
rint h. cha9,`
ne fías rien. Done il faut conclure ,.
que puifque noltre Seigneur demande
la charité comme la premiere
qualité d'unPafieur,il exige
en mefme temps qu'il aitla fainteté
de vie. Le Concile de i'rente
ef} dans le mefme fentiment comme
il paroiíl: par cét avertiíhement
qu'il fait aux Evefques. Il n'y a cc
rien qui enfeigne plus fortement
la pieté & le culte que l'on doit x cc
Dieu, que la vie & l'exemple de
ceux qui font devoiiez au Minií$e- «
re de l'Eglifé. Car eítant élevez á
un degré fublime éloigné des cho_
fesdu fecle , on jette ^es yeux fur
eux comme fiir un miroir, & chacun
les regarde pour les imiter.
C'eí} pourquoy il faut que les Ec_
clefiaí}iques qui font appellez á
• l'heritage du Seigneur reglent de
telle forte leur vie & leurs m eeurs,

48 Traité du dcvoir
qu'il ne paroifí'e rien en eux ,
dansleurshabits, leurs gefles, leur
marcher , leurs paroles , que de
grave, de modefle & de religieux,
qu'ils evitent les moindres fautes
des gens du fiecle, qui deviennent
tres grandes en des Ecclefiafiti_
ques ; añn que par toutes leurs
a&ions & lcur conduite ils attirent
le refpeCl & la veneration de tout
le monde.
Il me femble que rien ne prouve
mieux cómbien cette fainteté de
vie eft necefí'aire á un Prelat, que
1'Ordre, le nom & Pofñce d'Evef_
que. Premierement pour lOr.
dre il eft certain qu'il n'y en a
point de plus parfait ny de plus fublime
que 1'Epifcopat. Car les
Evefques font les Succefl'eurs &
les Vicaires des Apoftres , qui , fe-
Ion Saïnt Paul, font élevéz au degré
le plus fublime de l'Eglife. Et
quoique l'eftat des Moines foit
fort elevé , particulierement de
ceux
{

,
t
t
t
-
-
s
-
t
t
& che la vie des Fvefques. .^
ceux qui menent une vie plus
auftere & plus reformée , neanmoins
l'eftat des Evefques eft in..
comparablemen t au defl'iis , &
c'eft ce qui les oblige d'autant plus
a mener une vie plus fainte que les
Moines. Les Rcligieux , & les
Chartreux inclines , dans l'ordre
defquels tous les autres peuvent
palFer á caufe de leur grande au_
fterité,ne font obligcz que de tendre
á la perfeé}ion : mais les Eveíques,
fi l'on confidere leur Ordre
& leur eftat , font dans le degré le
plus fublime de la perfeé}iori
chreftienne. La providence Divi_
ne a ainfi ordonné les chofes , que
comete les corps celeffes qui
font'difpofez pour envoyer leurs
influences fur les corps terreí$res,
font plus bcaux & plus nobles &
d'une plus longue durée : ainfi
ceux qui font prcKpofez pour con -
duire & pour gouverner les au_
tres , doivent les furpaffer par le
E

wN!
SQ:
7raité du devoir
a7erite & la fáinteté de leur vie
autant que par la dignité & le
rang qu'ils tiennent dans I'Egliíê.
Le nom de Pafleurs qu'ils por_
tcnt,eft encore une preuve de cette
verité , puifque Noftre Seigneur
les a ainfi appellez , lors
qu'en Ia perfonne de faint Pierre
il leur a donné le foin de fes brebis.
ue peut-on done conclure
de ce nom, finon ce qu'en dit faint
Gregoire ; que les adions d'un
Prelat doivent eftre autant au
defl'its de cenes de fon peuple,
» que la vie d'un berger eft éloi-
„ gnée de celle de fes brebis. 11 faut
qu'un Evefque fe niefure , & reconnoiffe
combien grande eft l'obligation
qu'il a de mener une vie
fainte & chreflienne , puifque fon
peuple eft appellé fon troupeau ,
-á, caufe qu'il exerce 1 fon égard la
fon&ion de Paíteur.
Si 1'on "regarde l'office d'un
F vefque , peu.-on douter qu'il tic

,
& de la vie des Evefques. j
Itty foit entierement neceffaire de
mener une vie fainte ? puiíque la
çharge d'un Pafteur eft de cooperer
avec Dieu au falut des ames ,
én degageant les méchans de leurs
crimes, & en rendant es bons encore
meilleurs. Cette charge eft
donc tres íiiblime, elle eft au def_
fits de toutes les forces humaineso
Et cependant Dieu l'a bien voulu
commettre aux Evefques qui ne
font que des hommes. Qu'y-a-t- 1
dans la monde de plus defirable &
de plus neceï aire pour le falur,
que de voir dans la republique
chreftienne , des perfonnes qui
font engagez par .leur minifterea
changer les méchans en des gens
de bien, & de rendre les bons encore
.meilleurs ? Combien doit
cifre grande la fainteté de celuy
qui doit rendre . les .autres faints
Le fel qui aíi'aifonne tout eft tres_
.íãlé : le feu qui imprime la chaleur
aux corps les plus froids, eft tres_
E ij

52. ?°raiPé du dcvior
chaud : le miel qui donne de la
douceur aux imets, eft luy-mefine
tres-doux. Donc je conclus que
celiiy qui rend les autres faints,'
doit eflre luy-mefine tres-faint.
La nature nous apprend que
tout ágent produit fon femblable.
Un homme engendre un hbmme,
un cheval, produit un cheval , tui
feu en allume un autre. Et cela ne
fe rencontre pas feulemét dans la
nature, mais mefines dans les arts.
Car un péintre inftruit un autre
pcintre , un' Philofophe forme un
Philofophe,-ítn muficien enfeigne
á un autre lamufique.Donc il faut
qu'un homme foit faint , qui inftruit
& qui forme les autres pour
eftre faints , puifqu'on ne peut ja.
mais donner ce que Ponn'a pas.
Et ne faut pas avoir une faintet6
vulgaire & mediocre , mais tresgrande
& tres-extraordinaire: car
la vertu des efpets eft contenul
dans leur caufe d'une maniere
p
c
q
q
p
d
e
q
t

6, de la vie de£ Evcfques. .‘53
plus forte & plus eminente.
Ainfi la lumiere cí} plus écla,
tante dans le fQf,eil que dans les
a:utres aftres, parce que c'eí} de
Iuy grli'ils la r.eçoivent. Do ne un
Evefque doita_voir une plus grande
& plus éclatante fainteté que
les autres, puifqu'eíl=an t unfóleil
de fainteté , c'eít par fes rayons &
parles_influerrces que-les 1'iommes
la reÇoivent. Nous voy_ons,-c}a.,ns
1'ancien Téfta1uen,t ,. que Dieu Nam.ry:
avoit ordonnéi que ron priít des
eaux d'expiation, & des cendres
.d'une vache zót^í^i' po.ul:. la purifi_
cation de, oeiax. gui • eíf =oient im _
purs, & g-it'il-donne l a charge de
cette ceremonie á des hommes
qui n'eítaient point foiiillez ; afiia
que. celuy qui eftoi,t fanslgiiill,ure
.celuyT quí effoit
d°oú il eít aifé de conclur-e- qu'iI
eíf necéíl'aire que celuy.lá foitpur
qui expie les impuretez des au_
tres, fuivant cesfparolesde l'Eç-
E iij

Traite du dcvoir
)74
clefiaflique : Coriment l'impur px:,
rifïera t-al celuy qui l'eft? Et c'eit
en faifarrt aLúíion á ces paroles
>, que faint Gregoire dit - qu'une
:^.,.
' >, mai^.z fale ne peut netoyer l'autre,
>, qu'un oeil plein^d'õrduresxne peut
remarquer aucune tache dans
l'objet qu'on luy prefente , &
qu'ainfi celui-la` doit eftre exempt
>, de faute,qui veut reprendre celles
des autres.
Si quelqu'un fe charge de reprendre
les autres , ayant en luy
mef"ne quelque chofe á corriger,
c'eft contre luy que ï'Apoftre parle
d'une maniere ti terrible & ^q
formidable. Vous vouc per^uadel
d eftre le conduflcur des aveugles ,la
lumiere de ceux quififlit dans les te=
nebres , le docleur des i^norans , le
maiftre des f mples & des enfans,
comme ayaztt dans la L oy la regle
de la [dance & de la verité : ccpcndant,
vous qui infirui,rekles autres
, vous ne vous inftruãfk m

,
^
a
=
e
,
e
e-
-
de la vie des Evefques. 55,.
-vous - merme , vous qui enfeigne x^
qu'on ne 'doit poïnt voler vous voler^,,
vous qui dites qu'on ne doit point
commettre d'adultere vous commetter`
des adulteres , vous qui avek en
horreur les idoles vous faites des fa_
crileges , vous qui vous glorif%z,dans
la Ley vous deshonnore^ Dieu •liar
le violement de la Loy.
S'il eft donc vray qu'un Evef_
que foit obligé par tant de con fiderations
á une plus grande fain_
teté de vie que les autrcs hommes,
peut-il y avoir quelque chofe
de plus honteux & de plus indigne
que de voir un hUmme occu_
per une fi grande dignité & mener
une vie ordinaire N'efI_ ce
pas Lá ce que Dieu défend fi ex.
preffeinent dans la Loy, lors qu'il
ordonne que le fouverain Preflre
n'époufera point une proftituée?
Car n'eft-ce pas fe Iier avec une
femme commune á plufieurs; lors
g u'on mene une vie commune,,
E iiij

q
Traité du dcvoir
u'on Lit feulcmct comme les autres
, & qu'on fuit les opinions du
vulgaire? Il n'y a rien de plus indi-
_grie d'un homme qui poíí'ede une
qualité finguliére ,, que de mener
une vie commune ; & rien n'ea
plus. pernicieux au bien de l'Eglife',
rien- ne la deshonore d'une
maniere plus monítrueufe , que
lors que celuy qui: eft fiiperieuraux
autres par fon rang & par fa
flignité, leur devient inferieur par
íés mocurs &par fa façon de vivre..
C'eft ce que faint Bernard nous
enfeigne d'une maniere bien forte
, par ces paroles au Pape Eugene.
C'eft une chofe monítrueufe
97 que de fe voir ¿levé á une dignité
fublime , & d'avoir l'efprit bas
sa d'occuper la premiere place,&de
Z) menerlavie du dernier des h 4 mes:
g9 d'avoir une lá gue qui dit de gran-
,' des chofes , & des mains qui ne
font rien ; beaucoup de difcours,.
g^
& point de fruit ; un vifae d^

,
d- de la vie des Evefques.. 37
g ravité&des , a&ions de legereté
la tefte chauve,& le coeurplein de ts
vaníté ; le front couvert de rides,
& la bouche remplie de bagatelles
; enfin une grande authorité,
& point de fermeté, 1,1 eft aiíé de
reconnoiftre par les paroles de ce
grandfaint,qu'il n'y arien de plus
honteux dans l'Eglife que lors
que les perfonnes qui rempliipent
les premueres dignitez,ne menent
qu'une vie commune, & que ceux
qui font prépofez pour conduire
les autres au cid n'ont que des
penfées terreí1res, & ne s'occupent
l'efprit que des chofes du
monde : & c'eíl ce que ce Brand
homme nous exprime escore par
des termes bien plus fort expliquant
ces paroles du 15., chap..
des Proverbes : Le cicl eft audefus 1".'1'1A).
7cepli. s.
lx torre audeffouó' , &e.. ou il Bened=u.
parle ainfi,. La negligence des pzYt'3'`'''
Prelats a apporté tant de defordre
& de confufion dans le mon,,

g$ Traité du devoir
de,que l'on peut dire en leurs perfoiines,
que la terre eft dei}ús &
le ciel defí'ous ; que les pieds font
fur la tefle & la tefle fous les
pieds; que le dedans efl au dehors;
que Dieu efl foulé aux pieds, &
la terre pour ainfi dire el deïfiée;quel'onreÇoit
le demonavec
honneur, & qu'on. chafí'e Dieu
avec honte. Et ce faint expliquant
ces efrroyables renverfemens
, ajotare au nzefine lieu
La terre efl au defl'us , & le
ciel au deirous , lors qu'on prefere
les chofes de la terre á celles
du ciel.- Les piedsfont au defí'iu
de la tefte, lors que les hommes
fpirituels, c'efl ádire les gens de
pieté font méprifez , & que ceux
qui ne refpirent que la terre, &
qui ne font propres qu'aux affai_
res temporelles font honorez &
refpe&ez. La tefle eft au defí'ous
des pieds, lors qu'on prefere une
.uti:lité.mondaine & paffigere aux

de la vie des Eve%ques. 9
-bolines eeuvres, qui font les vera_
tables biens de l'ame. Le dedans
eit au dehors, lors qu'on neglige
les biens interieurs, & qu'on
ne recherche que ceux qui éclatï'ent
au dehors. Dieu eft foulé
lux pieds & la terre eft déïfiéej
4ors que la charité manque , &
-ctue . la cupidité-regne. Enfin le
demon eft receu avec honneur, &
Dieu eft chaíl'é avechonte, lors
que les ufirrpateurs du bien d'autruy
& les uturiers font honorez-,
& que les bons pauvres font chafL
fez & entierement negligez. Reconnoiíl'ez
done par ces paroles
de faint Bernard,combien la mauvaife
vie des Paíteurs prodizit de
irlonftres & de prodiges ? Quánd
l'erreur eft dans l'eíprit de celuy
qui commande aux autres,&á qui
íl fert de mtsdelle , il ne peut leur
infpirer que des erreurs; caril en
eft de mefine que du ciel qu'on
appellc le premier mobile; s'il vc

6o 7'raité du devoir
noit une fois á manquer, toutes
chofes féroient dans le trouble,
paree qu'elles dépendent du mol].
vement qu'il leur donne. Ainfi
quandun Evefque eft la pre_
miere caufe 8t convine le premier
anohile de fon Eglife tombe dans
quelque defordre, i1 faut que tous
les mébres de 1'Eglife s'en reffen;.
ta. Leprincipe ef tant corrompu;q
ce qui en dépend ne peut efire
fans tache , & c'eft ce qui fait fouvent
que le crime d'un feul Evef=
que emporte la ru'rne de tout fon
peuple. C'eft ce que le Prop_hete
Royal nous apprend, felon la ver-,-
fion de faint Jerofine , lors qu^i,l
?Al. II/ dit: ,Que les impies tournent de toutes
parts , lors que les derniers des horn -
vncs font dans l'élevíttion. Car en
effet quand les impies font fiar le
throfne & qu'ils tiennent le gou_
vernail de la Republique , que
peut-il arriver autre chofe que le
riaufrage des ames , & un deluge

de la vie des Evef °ques. 6f
de toutes forres de maux ? Ii efl;
donc tres_aifé de conclure que la
fainteté de-vie eft extrémement
neceffiire á ceux qui l'enfeignent
aux au tres , & que rien.ne doitleur
paroiílre de plus monílrueux &
de plus:horrible que le peché.
Aprés la fainteté de vie il n'y Prulencr,
a point de qualité plus necef_
faire á un Evef que que la Prudence,
paree qu'elle dirige toutes les
vertus & la charité mefme. C'eít
pourquoy S. Bernard en faifant
allufion ál'officc de cette vertu,
en dit un aíl'ez hon mot. Il l'ap_
pelle l'A,bbeíí'e des autres vertus
En effct c'eíl la Prudence qui les
conduit toutes, & qui fait trouver
ce milieu en quoy elles confiftento
elle fçait apporter ce temperament
á la Charité mefine, & cmpefcher
que quelquesfois fa fer_
veuréne degenere.en-une chaleur
indifcrette.
Cette vertu efI necelTa.ire /toa.

t;Z Traitd du devoir
tes fortes de perfonnes , mais par.:
ticulierement á ceux qui ont le
gouvernement: car c'eft la charge
d'un Prince d'ordonner & de
conduire les hommes á fes fins
par les voyes & par les moyens,
qui iónt les plus propres ; ce qui
ne peut convenir qu'á un homme
fage & prudent. La nature
a donné des yeux aux anirmux
pour les conduire.Un Prince dans
un Eftat & un Evefque dans fon
Diocefe,font comme les yeux qui
conduifent les membres de l'Eglife
íclon la regle de la Loy divine.
Et c'eft de lá que vient l'étimologie
du nom d'Evefque, qui
eft un mot Grec o qui dans fon ori..
gine contépler & veiller :
c'eft pourquoy dans le Prophete
EzechielleSeigneur fe fert dumot
rZ
er2i de veiller. O fls de l'homme je vous
ay établi pour veiller fur la waifo2E
^rar?l. Cette vertu de Prudence
eft fi neceffaire á ceux quimanient

de la vie des Evefques. 63
les affaires publiques,que Salomó
ne demáda áDieu que cette yerta
lors qu'il luy promift de luy accorder
tout ce qu'il f uhaitteroit,
paree que fans elle il ne pouvoit
gouverner fon peuple & le main,:
tenir dans fon devoir ; & cette demande
luy fila fi agreable, qu'il
ne luy donna pas feulement la
Prudence, mais qu'il le combla de
gloire & de richeffes. Car cette
vertu eft fi neceíraire aux Princes,
qu'elle fe rend ce témoignage á
elle-mef•.^.^e dans les Livres de la
Sagefl'e : r,t_te c'efl par elle que les Prov. 8,
R ois rcgnent , que les L egOateurs
font des loix jufles. Et enluite
Salomon nous fait bien connoi_
xre quelle eft la force de cette
vertu par ces parolles. Le ^age qui
¿catite tout deviendra plus fay, É^
oeluy qui a .l'intelligcnce gouverncra
les auíres : Et aprés ; Le fervitcur Pr.v."'
prudent eom7ncndra aux cnf ans le_
^itim: J1 Ei` il parta3era la f iccc:Oo;a

ZE}, T'ralitd du devoir
avec les freres. Car quoique fe-
Ion l'ordre de la nature l'enfant
de la maifon doive commander
au ferviteur, & que-le ferviteur
kit obligé de luy obeïr, la Pru_
dence a tant de force qu'elle ne le
rend pas leulement libre mais
qu'elle luy donne l'authorité de
commander aux enfans. C'eft la
raifon pour laquelle S. Gregoire
s'emporte avec tant de juflice &
" de force contre ceux qui eftant
deílituez de cette vertu , font
neanmoins. afi'ez hardis pour
prendre la charge de Pafleur
voicy fes parolles. C'efl eftre te.
meraire que de vouloir enfeigner
une chofe qu'on ne s'en foit in-,
ftruit auparavant par une longue
meditation. C'efl pourquoy il n'y
a pas de plus grande temerité que
de s'ingerer dans la charge de Paíleur,
puifque le gouveriement
des ames efl l'art le plus grand de
tous les arts. Car que pcut-il arriver

d` de la vie des Evefques. 6j
ver dans cate conduite , finon,ce
que dit Noftre Seigneur dans ]'Evangile
: Ce font des avcugles qui 3,14„6.
condufint d'autres aveugles , que f
un aveu3le conduit un autre aveugle,
ils tomberont tous deux dans la
foffe. C'eft de cet aveuglement
que Dieu menace les impies par
if
t
t
.
r
-
-
t
e
-
r
la bouche de fon Prophete. Ie rfa, Zs.
feray un grand e ffroyable miracic
qui (lomera de l'admiration au peuple.Lafitgeffe
des ^ages s'évanoüira,
l'intelligence des hommesprudens
fera confondué. En effet quoique
vous ayez toutes les autres vertus,
pouvez- vousfaire bien fans pru._
dence & fans entendement?Nous
voyons dans l'Efcriture fainte que
cette vertu eft preferée á la va_
leur : car i.l eft certain que pour
executer quelque grande affaire,
la prudéce eft plus utile que toute
forte de puifl'ance & de valeur;;
c'eft pourquoy il eft écrit dans les.
Proverbes ^ Que le fage a pris la rrou,,.

66 Traité dú dev3ir
ville des- forts , qu'il a détru.a
toute la force qui f ri foit c4ance :
S°l(icituae La prudence ne fitffit pas á un
paa°ra"e-
E vefque, il faut encore qu'il ait
de la diligence & de l'exa&itude
pour les affaires de fon Diocefe;
-c'ef} ce que l'on appelle fóllicitu,
de Paí}oralle , qui eft comme un
éguillori qui le fait agir. Or cette,
qualité eíl: fi abfolument necef ,
faire á un Paf}eur, que l'Apoicre
S. Paul fait principalement mention
d'elle , lors qu'il parle des
vertus neceffaires áceux qui rem-.
pliffent les differens degrez de
lEglife, & qu'il l'attribue parti=
culierement aux Pafteurs. En
7em. au• effet il avoit tant de foin de conférver
cette vertu pour luy-mefme,
que parlant des grands travaux
qu'il avoit fóufferts pour la
gloire de Dieu & la publication
de 1'Evangile,il rap porte fes foins
á fa follicitude Pafioralle, & en
explique enfiiite. les devoirs par

_
-
:
^ de la vis des Evefques. 67
ces paroles : ui efl foiblefans que
j c m'a foibli^ avec luy ? qui eflfcandalif
fans que je brüle? Mais il me
fénZble que rien ne nous repre.
fente mieux cette image, que ce
vigilant Paíteur dont il eít parlé
dans la C enefe,.qui dit á fon beau..
pere. I'ay foufert le chata 6- le
froid jota d- xtuit , je ne me fuis peint
endormy pour avoir foin de vos trrupcaux
, s'il y a eu quelque chofe
de perdu, je vous l'ay rendu air^
tofl. tte ti le foin d' un Paiteur a
deu eítre fi grand pour des ani_
maux qui n'avoient Pufage ny
de la parole ny de la raifon , afia
de les fauver de la gueule des.
I"oups, que' doit eftre celuy
Paf{ eur qui gouverne des ani_
maux raifónnables pour les gá_
rentir des.incur;fions & de la ra.gc
des demons ? Salomon nous fait
encore bien voir quel doit cifre,
le.foin d'unPafteur,lors qu'il noiis
I.e.décrit fous la figure d'unhoin :
E 'J..

68 Traité du devoir
me quia donnné fa parole & qui
veut bien cifre caution d'un autre.
Mon jis, vous aveç^répondu
,^. ;Pm
pour vofre amy, vous ejes engagé
pour un e'tranger , vous vous efes
enlacé dans-les paroles de vofre bouche
comete dans des rets , vous
ejes pris par vos proprcs paroles.
Faites done mon jis ce que je vous
délivrez-vous vous-mefme,
parte que vous ejes tombé dans la
puzlznce de vofre prochain. Courek,
hafez^-vous , éveillez voftre amy ,
gardez- vous bien de vous endormir,
fauvez,- vous comete un fan de la
main des cha/feurs , & comete un
el f au des _flirts de l'oi feleur. Ce
peut-il rien voir qui nous defigne
niieux les devoirs & les fon&ions
d'un Palleur que ces paroles de
Salomon ? Cet hornrne qui eftoit
ienopli de la fageife de Dieu con-
11oiWoit l'importance des ames, &
fÇavi.t de quelle confequence
itoit foin que l'on en doit

^
,
,
s
t
-
t
d- de la vie des Evefques.
prendre, & le compte que Dieu
en fera rendre á ceux qui en font
chargez. C'eft pourquoy il exhorte
les Pafteurs avec tant de
force , afin qu'ils courent, qu'ils
fe haflent qu'ils éveillent leur
amy c'efl á dire, qu'ils avertif_
fent ,. qu'ils reprennent , qu'ils
prient ,, qu'ils corrigent , qu'ils
prennent toutes forres de formes,,
afin qu'ils faflcnt en forte que
ceux qui font commis á leur conduite
produifent de bonnes oeu_.
vres, & rendent á Dieu le culte &
1'honneur qu'ils luy doivent.
Il faut done qu'un bon Evefque
joigne cette diligence & cet_
te follicitude Paftoralle á la prudence
, qui fans elle femble une
vertu paralitique & defec`lueufe..
Car comnie la.nature qui a donné:
á, l'homme fon efp.ri.t, luy a aufli
donné les mernbres tle fon corps,.
qui font comme des ferviteurs qui
executent les ordres de 1'efprit::

7/ Traite' du devoir'
ainfi il faut que la diligence d'un
Evefque agifTe fous les ordres de
la prtni.c:nce , & qu'élle execute
pon&.4iellément ce qu'elle arrefre
dans fes confeils. Car autrement
la prudence n'eftant pas une vertu
de fpeculation , mais de pratique,
peut-elle fervir á quelque chofe fi'
Pon n'execute & fi 1'6 ne fair point
ce qu'elle ordonne? Dequoy peut
fervir le plus granel Capitaine du
monde, le Pilote le plus experi.
m en té, & le Medecin le p luslabi_
le fi ron ne fuit point leurs cóféils,
& qu'on n'execute point leurs
ordres ? Car comme ce n'eft pas
afl'ez de fgavoir ce que Dieu com_
mande fi vous ne luy obeïffez ;-1
ne fufpit pas d'avoir la prudence °
qui vous falle difcerner ce qu'il
faut faire ,. f la diligence ne vous
le fait faire en mefine temps.
Fortt ti Mais ce n'eft pas afl'ez á la pru_-
„euerufi:é. dence d'un Evefque que la dlll_.
gence la fuive, il ata encore_que•

e
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t
,
i
t
t
,
,
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-
.
ue vie des Evefques. 71
Ta force & la generofité- chreftienne
I'accompagne. Car tl
arrive fouvent que la pritdence
veut qu'on entreprenrie des chofes
extremement: difficiles , &
dans lefcluclles on trouve de grandes
refTtances qu'elle ne peut fiar_
monter toute téule , ny mefine
lors qu'ēlle eft jointeá la-diligerr
ce, fi ces deux venus font deíti=
tuées du fecours de la genLrofité.
Car il faut fouvent deffendre les
droits de l'Eglife contre ceux qui
les violent : it faut fe rétablir dans
des bicns injiiftement ufurpez : il
faut refufer aux Grands ce qu'ils
vous demandent avec injiiftice:
-enfin il faut corrigcr & retrácher
une influiré de vices en une influiré
de perfonnes. Qzels combars
& quelles conteítatioíls ne ftut-il'
-point avoir avec des- heretiques
ou leur fauteurs , & bien fouvent
avee perfonnes de la premiere
(ludiré á Car-enfin comrne Icfus,-.

7 L Traité du devoir
Chrifl qui eft le Prince & le mo-,
dele des Pafteurs a elle la pierrc
rzcar.,, de fcandale, contrequilemondes'eji
¿levé, les nations fe font af femblées
en tumulte , ds, contri; qui les.l'rinces
ont confAiré : ainfi celuy qui tient
fa place fur la terre , qui eft animé
de fon Efprit , & qui exerce .fa
charge en ce monde, doits'atten_
dre á un pareil traitement. Car
c'eft le propre de la chair & du
fano- & de la pente naturelle que
nous avons au mal , de combattre
toizjours con tre 1'efprit & contre
fes ordres. Enfin, l'on peut dire
qu'unEvefque eft en une place oú
on luy peut appliquer ce que 1'Ef..
criture dit d'Ifima^l:S

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e ~ de la .vie des Evefques. 73
¿elle dont Dieu arma autresfois
fes Prophetes , lors qu'il les envoya
pour combattre les vices &
les pechez des hommes. Le Prophete
Michée eftoit verirable_
ment animé d'un efprit de force,
lors qu'il difóit; Ie fuis remply de M,th.;,
la force de l'Efprit du Seigneur, de
fa juflice & de fa vertu,pour annonter
a Iacob f n crime , au peuple
d'Ifraél ion peché. Et le Seigneur
ne dit-il pas luy-mefine áJeremie:.
Ie vous ay étably aujourd' huy com- Teremt f(
me une ville forte , une colomne de
fea 6` un mur d'airain fur toute la
terre , pourreffler aux Rois de Iuda
^^ á fes Princes? Ne parle-t-il pas
de la mefme forte au Prophete
Ezechiel lors qu'il luy dit : Iet'ay
donné une te/le plus forte que celle ezech. 5•
de tes ennemis, un front plus dur
que la pierre d- le diaman? Voyez
un peu je vous prie, quelle efloit
la force de celuy que Pon com_
pare au diaman, qui eft fi impe_
G

74 7'raité du devoir
netrable de fa nature, qu'il rom:
proit pliltoft le marteau avec legue!
on le frappe, que le marteau
ne le pourroit rompre. C'eí} cene
:force & ce courage invincible qui
ont rendu les Martyrs & les Pro_
phetes fi illuítres , & qui les ont
fait non feulement refifter á la
violence des tourmens , mais meir
me les defirer de toutes leurs
forces , felon ces paroles de jes.
7 erofme remie : Seigneur je vous demandepb°'
ray l'áffli^lion ^^ le travail. Saint
cKr. c+ ,.
,
erofine expliquant ce pafl'age,dit
que ces grandsSaints reííémblent
aux athletes , qui non feulement
ne craignent pas de fe battre, mais
, .qui le tóuhaittesit de tout leur
• ceeur. C'eít de cette force & de
cette generofité dont eftoit animé
faint Thomas Archevefque
de Cantorberie, lors que la perfecution
qu'on luy fufcita & á
toute fa famille, ne le put vaincre
pour le faire confentir á 1'iniqui^é
e
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^ de 'avíe des Equef e.r. 7l
dÍ'un Roy qui vouloit ufiarper les ^
droirs & la puifhance de l'Eglife. gcrerre•
Cette generofité ef}oit toute la
defenfe de faint Ambroife , lors
qu'A interdit l'entrée de 1'Eglifé
á I'Empereur Theodofe; qu'il luy
impofa une penitence publique,
qu'il luy défeudit de fe mettre
dans 1'enceinte du chozur lors
qu'il aflifleroit au divin férvice;
& ce qui eft encore plus grand,
lors qu'il refiflra avec un courage
invincible á un Empereur Arrién
qui vouloit s'emparer des Eglifes ,
^ gu'il luy dit ces paroles : Je ne
puis vous donner les Eglifes : mais
je ne dois pas combatre contre
vous. Dieu me les a confiées pour
les conferver, & non pas pour les
abandonner. Puis-je oublier en it
cate rencontre l'exemple d'Ale..
xandre Evefque de Conf}antino_
ple, qui refif}a plus conf}anlment
par fes prieres & par fes oraifbns
que par aucune violence aux Cm.
G ij
rr•

T6 Traite da devoir
portemens d'Eufebe de Nicontedie
& d'Arrius , qui eftoient deux
heretiques tres_puifíáns ? Qüe di_
rons-nous du grand S. Athanafe,,
contre qui tout le monde revolté
ne put yamais rien obtenir pour
fléchir fõn courage & fa conftance?
Reprefentez- vous, je vous
prie, un Evefque dans ces calami,
tez , preflé de toutes ces aflli_
Ctions, peut-il faire quelque chofe
s'il eft fans force & fans vigueur?
Car fans cet efprit de force, fans
ces armes , fans cette grandeur
d'ame , l'équité eft ruïnée,l'iunocence
eft abbatue, la juftice de^
vient fordide, l'integrité n'eft plus
d'ufage, enfin toute la difcipline
EccleCGaftique eft tout d'un coup
renverfée , & la prudence d'un
Evefque fe trouvant affoiblie &
deftituée de fecours , eft contrain•.
te de ceder á l'importunité & á la
tyrannie des impies. C'eft ce que
faint Cyprien nous enfeigne ad.

-
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s
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6- de la vie des Evefques. 77
mirablement dans fa Lettre au
Pape Corneille, par ces paroles:
Si les chofes font ainfi,mon Frere, cc
que nous foyons reduits ácraindre cc
la hardiefí'e des méchans,& qu'ils cc
faíí'ent par leur temerité & leur cc
defefpoir ce qu'ils ne fÇauroient cc
faire felon le droit & les regles de cc
la juítice , il ne faut plus parler de cc
1'Epifcopat & de cette authoríté cc
fublime & divine que nous avons cc
pour gouvernerl'Eglife, Nous ne cc
pouvons plus demeurer ny eflre cc
Cllrefliens fi les chofes en fontgve- a cc
i1uUs á. cette extrémité , que nous cc
apprehendions les menaces & les cc
pieges des impies. Et il ajoúte un cc
peu aprés : La foy doit demeurer cc
dans noftre coeur flable & immo _ cc
bile;nótre vertu doit eílre inébrã- «
lable contre toutes fortes d'atta_ cc
ques, comme une pierre l'eft par cc
fa dureté lors qu'elle refifte aux cc
fiots des eaux qui fe brifént con_ cc
;re-elle. Nous rae craignons point cc
Giij

IV
73. Ïiraité du devoir
93 les injures dont ils fe déchirent
eux-mefmes : & les baftons, les
93 cailloux,& les épées dont ils nous-
» menacent fi fouvent,ne nous font
97 point de peur. Ces hommes font
» veritabiement des homicides de-
» vant Dieu : mais ils ne fçau-
» roient nous égorger fans fa peryj
mifhon. Voilá la force veritable
& la generofité donde cocur d'un:
Evefque doit eftre remply pour
défendre en toutes rencontres le
droit, la juftice, 1'innocence, la.
foy , & pour combattre les méchans
qui ,refillent aux ordOnnances
de 1'Eglife. Si un homme n'a
point-cette force , qu'il ne monte
j amais fur le fiege de l'Epifcopat. _
C'eft une charge dont il. eft- iindigne,
c'eft une place dónt ileft
imcapable., N'eft-ce pas ain fi que
parle le Sage lors qu'il dit : Né.
eall «p.'. cherchek point a devenir _ruge , f
vous n'avez, aA, de vertu pour re,
^i^er á l'iniquité; ne prenekpvintki,
c
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l
q
c
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b
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g
,
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l
c
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E
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v- dé la vie des Evefqúes. 79'
tharge de conduire les autres, d,nedemanden
point au Roy une placed'honneur,
de peur que vous ne vous
l^tlfiêZ intimider par les grands,
que vous ne fa0'ieç. une honteuf
cheute, en ne demeurant pas ferme
dans la juftice. Car comme ditfort
bien Seneque , celuy qui craint «.
trop d'eftre haï ne fÇait pas re. «-
gner. Il n'y a point de plus grand =^
füpplice ,; dit un ancien , que la
hayne publique. Il faut neanmoins
qu'un Evefque la fupporte
avec conflance & avec fermeté,
lors qu'il eft quef}ion de défendre
1'Eglife ou d'en conferver la dif-
^iplü^e. Jugez donc aprés cela
combien il eft necefí'aire qu'un
Evefque joigne á fa prudence,.
non feulement la diligence , mais
la force & le courage,quiluy mar--
quent le chemin dans les grandes
entreprifes. Nous devons imiter
en cette rencontre 1'admirable
eonduite.de 1a. nature, qui fel.on•
^ iiij
Haint Qua

:o Traitd du dcvoïr
le langage des Philofophes, nous
a donné non feulement un appetit
concupifcible mais irafcible,
qui eí} coinine un brave foldat
qui nous fecoure lors que nous
defirons quelque chofe de diffici_
le, & qui nous fait avoir un efprit
ferme & hardy, de peur que nous
ne tombions dans le defefpoir. Un
animal qui viendroit au monde
deítitué de cette faculté , devroit
eftre regardé comme un monf}re,
aufíi_bien que s'il eítoit né fans un
ceil ou fans un bras. C'eft ainfi
que j'ay coútume d'appeller les
Evefques qui ont une bonne volonté,
mais qui par foiblefí'e ou
par negligence ne 1'executent
jamais. Et je prononce hardiment
que ceux qui ont quelque force
pour defirer le bien , mais qui en
manquent pour Pentreprendre
courageufement, font des monftres
fpirituels.
sçienCe: Mais enfin la fcience ef}necef

d. de la vie des Evehues t
faire á un Evefque pour conduire
& pour éclairer fa prudence. Ces
deux vertus font comme les deux
yeux de la vie humaine. Au reíte
il ne faut pas s'imaginer que la lu_
miere de l'efprit & la prudence
naturelle foient fiifí^ifantes pour
regler nos adions qui doivent
eftre conformes non feulement
aux loix naturelles, mais au droit
divin & humain. Car comme
dit fort bien Ciceron , fi un
champ n'eft cultivé, quelque fer_
tile qu'il foit de fa nature, il ne
produitaucuns fruits : Ainfi noftre
efprit ne peut rien produire
s'il n'eft cultivé par la fcience.
C'eft pourquoy je ne fgaurois af_
fez eftimer cene penfée d'un Ancien
qui dit, que ceux qui ont é-
tudié voyent deux fois plus de
chofes que les autres. Enfin la
nature nous enfeigne que l'abre_
gé de la Philofophie chreftienne
confifte en deux chofes ,, qui

$ z Traatt; du devoir
font la vertu & la fcience. Ce
font ces deux moyens qui font
l'accõplifl'ement de nos defirs. La
fciencenous apprend ce qu'ilfaut
faire pour y parvenir , & la vertu
nous y conduit & nous le fait obtenir.
L'une fans l'autre ne peut
rien. Et cette verité ne regarde
pas feulement les Evefques, mais
tous les hommes qui veulent bien
vivre. 11 n'y apoint de condition
fi bafí'e & fi rampante, que l'ép
clat de la dosrtrine & de la.
fcience ne rende illuf^re. Et s'il
nft vray que la fcience donne tant_
de luflre aux perfonnes de la plus
bale condition,quelle gloiren'aca
quere-r.-elle point á ccux qui fontélevez
dans les grandes dignitez,
& qui font prépofez pour commanderaux
autres ?- Ce font lesgrands
Seigneurs á qui la fcience
eft particulierement necefí'aire.
Car c'eft dans 1'eftude,comme dit
foil, bien faint Pierre. Chryfolo-_
g
d
l

d.de vie des Evefques. 83-
p•rie , que le fage trouve dequoy•
devenir plus fage. C'eft dans les
livres que le foldat mef:ne trouve:
des exemples qui augmentent fon,
courage. C'eft la que les Princes
apprennent a conférver l'égalité=
entre leurs fujets. Enfin il n'y a.
point de fortune ny d'établiffe- -
mens dans le monde qui ne foithonoré
par la connoiffance des.
bonnes lettres.
Qie fi c'eft une cliofée o n ftan^
te qu'il n'y ait point d'eftat ny de
fortune, & partictiliereme nt parmy
les grands Seigneurs,qui ne
reÇoive quelque- élevation par lafcience
: Combien eft elle plus digne
de loüange dans la perfonne
d'un Evefque , qui eft comme
l'oeil du monde & un foleil qui faje
fon cours dans le ciel de l'Eglife,.
& qui diffipe les tenebres de l'iagnorance
dont l'efprit des homl.
mes eft couvert ? Ne vous eftonnez
pas fi je me fers d'une compa_

t 4 7'raité du devair
raifon fi commune, & fi j'appelle
un Evefque le foleiI de l'Eglife,
puifque N. Seigneur dans 1'Evan.
grle appelle les Evefques la Lampe
qu'il faut mettre fur le chande_
lier & la lumiere du monde. Car
comrne au commencement de
toutes chofes Dieu créa le foleil
& les autres afttes dans le firma_
ment pour éclairer la terre:
Ainfi Noftre Seigneur á mis les
Evefques dans le ciel de 1'Eglife
& les Doéteurs comme des ePcoiles
pour éclairer les efprits des
hommes, & leur cornmuniquerla
lumiere qu'ils ont receüe de Dieu.
La Sageífe divirie á ainfi difpofé
toutes chofes , qu'elle gouverne
& concluir celles qui font dans le
plus bas degré par celles du milieu,
Dieu eít au deffirs de toutes,
le peuple ef} au deífous , l'E vef_
que tient le milieu & eft comme
l'arbitre & un autre Moyfe entre
Dieu & Ies hommes. C'eft luy

de la vie des Evefgsses. (S'j.>
qui tient la place de N oílre San-.
veur qui s'efi fait nof re mediateur
pour nofre falut. Mais enfin s'i1
faut qu'un Evefque enfeigne les
autres , comm.ent le pourra -t-il
faire s'il ne fçait rien? Car comme
le foleil ne peut éclairer lors
qu'il eílr chargé de nuages ;. celuy
ne fçauroit faire la fondion de
Dodeur qui eílr enveloppé, pour
ne pas dire plongé dans les tenebres
de l'ignorance. Si les chofes
font ainfi que peut_on conclure
de tour cela, finan ce que di t nof_
tre Scigneur : Si donc lumiere (mi /'aintMate.
^aa?.. u,
ef en vous n ef que tenebres , com6ien
grandes feront les tenebres mefncs ?
En effer il n'y a point de fonai®n
dans la charge d'un Paí}eur
oú la fcience ne foit neceíl'aire.
Car foit pour juger des dogmes
de la foy, foit pour terminer les
differents de l'Eglife, foit pour iníl:ruire
le peuple, ou refoudre des
queftions difliciles douteufes ^

4r6 7"raité du devoir
«k it enfin pour difcerner entre 1°3
lepre & ce qui n'ef} point lepre, la
ícience efl tellement necei paire ,
qu'un Evefque ne peut non plus
decider queique chofe fans elle
qu'un aveuglejuger des couleurs.
C'eft la raifon pour laquelle le
Seigneur fcpara les Levites du
cornmun du peuple ,.. parcequ'il
ne les avoit pas deftinez pour lesba.
• g• affaires de la vie humaine,. mais
pour vaquer au Miniftere de l'Eglife
& á la connoiffance des Loix:
divines, dont ils puffent enfiiitte
inf'cruire le peuple.. C'eft ce que
plufieurs Rois ont fait, mais para
ticulieremcnt le faint Roy Jofá_
para.r9. phat, qui difl:ribua les Pref}res &
les Levites dans toutes les Villes
de ron Royaume, afin que tenant
le livre de la. Loy entre leurs
mains, ils inf}ruifi{Tent les peupíes,
& leur enfeig.naff'ent les Com.
rnandemens de Dieu. L'Eglife
Catholigae á fuivi cét exemple

d-de vie des Evefques. :87
-kl'ans le quatriefme Concile de
Cartage , oil il eft ordonné que
les Evefques auront fous eux d'aua
xres Miniftres , afin qu'efla.nt degagez
de toutes fortes d'aflFaires,
ils s'appliquent uniquement á l'étude
de.la Loy de Dieu, á la Priere
& á la Predication de fa parole.
1Vlais enfinrien ne nous fait mieux
,connoiftre la necefíité de la fcience
dans un Evefqué que les defordres
qui arrivent lors qu'il en
manque , Car il faut qu'une
chofe foit un grand bien , dont
le manquement eft un tres-grand
mal. Le Prophete Ifaye nous fait
bien connoiftre la grandeur de ce
mal , lors qu'il compte entre les
grandes calamitez du peuple, de
ce que le Seigneur fait fortir de
Juda & de Jerufalem le Izieillard, ^p«,;t
c'eft á dire 1'homme capable de
donner confeil & qui eft prudent.
•Car le Seigneur ayant refolu de
ru'iner cene vine pour avoir ne@

SR 7'raité du devoir
gligé la R eligion & la Juítice,i
renverfe les fondemens & les colomnes.
Ces colomnes font les
hommes de conféil , qui eítant
deítruits avec la Religion & la
prudence , la perte & le renverfement
de la ville eft inevitable.
^iYánd le Do&eur & la do&rine
font éteints ii n'y a plus dans
une ville de foy , de Religion , ny
de juftice. Il n faut attendre aucun
fécours ny de la part de Dieu
ny de celle des hommes. I1 me
femble qu'il n'en faut pas davan- 1
tage pour eftre convaincu que 1'ignorance
des Evefques eít un des
plus grands malheurs qui puifl'e
pn;o% %L. arriver á l'Eglife. C'eft pourquoy
le Concile de Trente á tres juftement
ordonné qu'on ne choifift
perfonne pour eftre Evefque qui
ne fu II parfaítement inftruit de la
Theologie ou du droit Canonique
, ou qui ne fuft Doc`teur dans
l'une de ces facultez , ou au moins
digne
O
n
P
p
q
v
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f
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e
u

i
-
s
e
de la vie des Evefques. 89
agne de l'eftre. Autrement le
Seigneur auroit filjet de renouveller
la plainte qu'il fit autrefois
par la bouche de fes Prophetes.
115 tenoientma L oy entre lears mains Hreremie
rhap.z.
ils ne me connoiffoient pa,r , ils ont
efié des 1'revaricateurs. Car eftant
attachez á leurs paffions & enve -
loppez dans les affaires temporeI_'
les , ils n'ont rien appris pour eux
ny rien enfeigné aux autres. Ce
peur_il rien voir de plus indigne &
de plus honteux á un Evefque ? I1
n'y á rien de plus ridicule , dit un
Pere de 1'Eglife , ou pluftoít de
plus dangereux , qu'un homme
qui veille fur les autres & qui ne
voit goute ; qu'un Doc4eur ignorant
; un guide boiteux ; un Prelat
pareíí'eux ; un Predicateur
muet. Mais parceque l'Apoftre;. ,,r"
faint Paul nous apprend que la h^p°`
s.
fcience enfle le coeur, non pas par
elle mefine, mais par Ie mauvais
ufage qu'ezl font les hommes , qui
^ H

90 7'raité du devoir
abufent-des m-eilleures chofes ,
faut avoir foin que la fcience foit
,aml^«^ pour ainfi dire aípaifonnée
f d'hu_
milite , de peur que cette ex cellente
qualité qui eíl fi utile pour
le lálut des autres , n'infpire un ef_
prit d'orgueil & de faíle,& ne nui.:..
fe á celuy qui la pofl'ede: • C'eílde.:
~sus de
Gr:g- quoy faint Gregoire nous amera-
" par ces paroles : Il faut extreme-
» ment prendre garde que la fageíle
ne faílé perdre la lumtere de l'hu=
" milité,lors du'elle difíipe les tene-
" bres de l'ignorance , & qu'elle
» n'obfcurcif% noflre cceur par le
" voile de l'orgueil , lors qu'elle
» brille & qu'elle éclatte dans nof
s9 tre bouche par les paroles. Enfin
la veritable icience ne caufe point
en nous le fafle , mais la douleur,
£elon ces paroles de Salomon: Cew
luy qui ajoute la rcience , ajoute la
douleur. En effet le fage a des yeux
par le moyen defquels il void la
ver.table face;des- chofes , & il•

,
a
de la-vãe des Evef^ues. 91
aprend garde que l'apparence du
bien ne le trompe jamais. 11 y a
beaucoup d'affaires qui ont deux
faces, & beaucoup de gens, comme
dit un PoIte,
ui tous noirs audedans f nt torta'
blancs au dehors.
C'eft pourquoy 1'homme fages
que l'apparence ne trompe point,
& qui regarde tout ce qui tombe
fous fes yeux comme des chofes
trompeufes & deguifées , & qui,
ainfi que ce livre, qu'il eft marqué chaP. doe
dans l'Apocalipfe que faintJean
dévora,font douces á la bouche &
ameres au coeur , ne voit ricn dans
le monde qui n'atire fes larrnes,
& il ne découvre rien fur la terre
que de funefle , de fragile , de mi^
ferable , & qui ne foit digne de 43o.4ee, ^t
compafíión. C'efl pourquoy fain>~ f^'` a"^°
Gregoire dit que la veritable c<
fcience touche le ceeur, mais «
qu'elle ne l'éleve jamais. Elle en Gc
tire pluitofl pes fanglots de dotz.
H ij

91
Traité du devoir
;, leur, que des mouvemens d'or^, f
„ gueil ; celuy qui eít veritable- d
„ ment fçavant ne fouhaitant rien m
„ tant que.d.'apprendre , & fa fageG p
„ fe eftant d'autant plus forte que p
„ fa fcience luy fert á reconnoiftre S
92 fes foibleífes. V oila les Perles & d
les Pierres Pretieufes qui doivent &
vir d'ornement á un Evefque f
ui le doivent rendre éclatant p
ant Dieu & devant les hom- g
mes. Et fi c'eít un homme de p
qualité in d'une maifon illuftre;
en ne luy peut rien defirer davan- ^ l
e. Car1e puis dire que la Nobleífe
á cela de particulier qu'el- q
le annoblit en quelque façon e
toutes les autres vertus. Et fi un n
Poete a dit autrefois que la vertu f
eítoit plus agreable dans une bel- l
le perfonne , nous pouvons dire á q
plus forte raifon qu'elle eít beau- c
coup plus illuftre lors qu'elle fe c
rencontre dans des perfonnes que d
le fang & la fplendeur de leur mai- m
- E

^^ de la vie des Evefques. 93
fon rendent illuftres. La yerta Nob;efWC
de ces perfonnes n'eft pas feule.
ment plus illuftre , elle eft plus
pujante que celle des autres, &
plus utile á l'Eglife. C'eft ce que
Salomon vous appréd. La fage/ e ecd.
dit-il, plus titile avec les richefes,
& les hommes en tirent un plus Brand
fcours. La /agef%e & l'argent nous
protegent. Un Póéte des plus in_
genieux de l'antiquité dit á peu
prés la mefine chofe.
Mais tout devient afïrcux avec
la pauvrcté.
C'eft done une chofe conftante
que les vertus d'un Evefque font
extremement fortifiées par fa.
nobleffe & par fes biens. Car ce
font des moyens qui luy facilitent
les affaires les plus épineufes, &
qui Ie mettent en eftat de refifter
courageufemét aux puiffances feculieres.
Mais il fe faut bien garder
de confiderer la nobbleffe com_
me la feule qualité neceffaire á un
Evefque. Ce feroit mettre cette

94 Traité du devoir'
charge divine dans le luxe, l'oifi
veté, & la pareffe. Ceux qui font
de ce fentiment n'ont j amais cultivé
leur efprit par la vertu ny par
l'étude des bonnes Iettres : & le
Philofophe Cleantes avoit raifoji
de dire que les hommes qui font
nobles fans eltre vertueux , n'étoient
differens des beftes que par
la figure exterieure. .
Voilá ce que l'on peurremar_
quer en general de la vertu des
Evefques: mais il y á bien d'autres
chofes á dire fur ce fujet. C'eft ce
qui me fait efperer que vous me
pardonnerez fi je vous les expli,
que plus en particulier. Vous 1Ça_
vez que dans la morale les regles
generales fervent dé peu fi l'on
ne defcend dans les_ circonftances
particulieres. Ces vertus done je
vous ay parlé jufques icy , font
comme autant de fources, dont
toutes les autres qualitez qui font
fi neceffaires aux Evefques tirent
leur origine. Car á dire le vray,,
t
d

,
& de la vie des EveÑues. 95
tes grandes chofes qu'un Evefque
eít obligé de faire, & dont le falut
de nos ames,& nStre vie erernelle
dependent , ne peuvent jamais
fiibfiflíer fans l'aíliftance des plus
grandes & des plus excellentes
vertus. La faculté de prefcher la La mal.
parole de Dieu tient le premier `x"On'
rang , parce que c'eft elle qui diffipe
les tenebres, de l'ignorance
dont l'efprit des honunes eít cou_
.vert ; c'eft elle qui les éclaire, &
qui leur fait connoiftre les loix de.
Dieu. C'ca} lá le devoir principal
des Evefques. Car comme dans la
Hierarchie celeíle les Auges fum
perieurs illuminent les inferieurs:.
ainfi dans la Hierarchie ecclefiaílique
Evefques qui font
dans le plus haut degré dé l'Eglife,
doivent éclairer les peuples,
leur apprendre la Loy de Dieu,
leur faire abandonner les vices , &
les rappeller á la pratigne des vertus
:exiñ,n crier continuellement

96 7'raité de devoir
contre les pechez , & comme des
chiens fidelles qui gardent le trou_
peau du Seigneur, aboyer continuellement
contre les loups.
Dieu luy - mef'me nous ap.
prend combien eft grande cette
obligation des Evefques, par une
fimilitude qui ef} tres_claire. Lors
que j' ,des gens de guerra
dans un pays, 6 que le peuple qui
l'habite aura étably des ^entinelles
pour y prendre garde ; f la f
ntinelle
33 E
^^^.e
orme de la trompette pour avenir
f
qu'on f
laiff f ^rprendre , le fang
qui ^era répandu fera jullcment imputé
á ce peuple. 11 a oiiy le fon de
la trompette, d- ál ne s'efl point gardé
, fon fang répandu fera fur luy,
^ s'il fe fufi gardé eut Puyé fa
vie. Maisf la fentinelle volt venir
les gens de guerre, qu'elle ne f nne
point de la trompette, d- que le peuple
ne ^oit point averty , le fang qui
fera répandu le ^era pour les iniquitekdu
peuple : mais je redemanderay
r
f q
g
d
p
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c
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b
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d
l

d- de la vio des Evef °ques. g ^
ray ce fang 1 celuy qui eftoit mis en
ntinelle. C'eft ainf ,
f
fils de l'homme
que je vous ay étably pour prendre
garde á la mai^on d' Efcouten
doncma parole, en avertiffén.mon
peuple de mapart L ors que j'auray
dit auméchant : Méchant tu mour.
ras ; fi vous ne parlen , point á ce mé
chant pour l'avertir , afrn qu'il reb
nonce á fon peché, ilperira pour fon
iniquité , mais je vous demanderay
compte de fon fang de fa perte.
Voilá les paroles du Seigneur
par lefquelles vous voyez com.
bien vous eftes obligez de reprendre
les crimes & les pechez des
hommes, & de les avertir du peril
oú leur falut eft expofé. Peut-on
dire quelque chofe de plus terrible
que ce qui eft exprimé dans
ces paroles ? Y a-t.il 9uelqu'un
qui ne pálifl'e point d'effroy quid
il les entend? Se peut-il trouver
des hommes qui eftant élevez á
la dignité d'Evefque , eftant pré,
I

S. Ala,;
164F.14.
98 Traité du devoir
pofez pour veiller fur les autres,
croyent leur falut en feureté, puis
qu'en cet eftat ils doivent craindre
que Dieu ne les oblige de rendre
compte des pechez de leurs
peuples , quelque innocente que
íóit leur vie ? Et fi la vie humaine
eí^ toute environnée de dangers,
fi elle n'eft autre chofe qu'une
tentatlon & qu'une guerre continuelle
, jugez á quel danger
eít expofé celuy qui n'a pas féu_
lement á rendre compte d'une
ame , mais d'un fi grand nombre
d'ames. Tous les Apoftres
eflroient endormis vers le temps
de la Pafí'ion du Seibneur, & cependant
ne reprend que faint
Pierre ; Simon, vous dorme^: Le
fommeil des autres eílr imputé á
faint Pierre, paree que dans un fi
grand danger non feulement il ne
devoit point dormir , mais il les
devoit éveiller. Si les loix civiles
ordonnent avec toute forte de
juítice, qwun Pilote férarefpon-

(5. de la vie des Evefquer. g g
rabie des marchandifes & des per_
fonnes qui perifi'ent dans un vaif_
feau qui fait naufrage par fa faute;
fera-t-il dit que des Evefquesne
répondront pas des ames , qui
eítant confiées á leur fidelité & á
leur conduite, perifïént par leur
faute & leur negIigence ? Carle
peuple & 1'Evefque font telle_
ment unis & liez l'un avec l'autre,
qu'il eft prefque impoflible qu'it
y ait un crime parmy le peuple qui
ne puifl^e avec luíiice efl:re imputé
á 1'Evefque. Saint Chryfoftome
nous fait entendre cette verité
par une comparaifon admirable. rYatt`j"r.
S}mboíe,
uánd vous voyez , dit-il , un ar- «
bre dont les fcüilles jauniíl'ent &
deviennent feches , vous jugez

7trtsn. c.i.
roo 7raité du devoir
vous ne vous en prenez pas feulement
á 1'liorologe , mais á celuy
qui la monte & qu>, la regle ; ainfi
quand une Eglife eft mal reglée,
la faute ne vient pas feulement
du peuple qui la compofe
mais de l'Evefque qui la gouverne.
Nous lifons dans l'Ef_
eriture fainte, que la ruïne de Jerufalem
qui fut caufée par la fureur
des Caldécns , eff imputée
aux Princes du peuple par le Prophete
Jeremie , parce qu'il eftoit
de leur devoir de défendre la Religion
, d'appaifer la colere de
Dicu, & de reprendre le peuple
de fes crimes. Voicy les paroles de
Vos Prophetes n'ont conru
Jeremie.
pour vous que des fouffcte.7„ 6, des
folies, ils ne vous ont pa4. découvert
vos iniquitez pour v 2us appeller a
la penitence. Et c'eft ce qui fit
que ce peuple fe trouvant fans penitente
, par laquelle fes pechez
puípent cifre remis, & la tolere de

de ld vie des Ev e%'ques. toa
Dieu appaifée , la juftice divine
s'éleva avec plus de force contre
luy. Ce malheur arriva par la fau_
te de ceux qui eftoient obligez d'y
prendre garde, qui voyant l'orage
de la calamité prefte á tomber,
& le peril éminent , n'avertirent
point le peuple ; c'eft pourquoy
ils en porterentl'iniquité, comme
eftant complices des impietez
du'ils devoient fouler aux pieds.
C'eft ce que nous enfeigne faint c<
Gregoire lors qu'il dit, que celuy_ «
lá eft aufíi coupable que s'il avoit
commis le crime, qui ne corrige «
pas fon frere quand il le peut. Au
refte il n'y a pas grande difperence
entre eftrépunï pourfon pechéou
pour celuy d'un autre. S. Profper
dit encore la mefine chofe. Celuy « P;Q eá
quia la charge de gouverner les
autres , quelque fainte que foit la «v2'
vie qu'il mene , s'il a de la licite ou
de la crainte de reprendre les mézhans,
il perit avec tous ceux qui «
I iij

toi 24raité du devoir
periífent par fon filence. Voyez
donc maintenant combien les E-
vefques font obligez de corriger
les autres, & de prefcher laparole
de Dieu.Et fi les chofes font ainfi,
que peut-on penfer de ceux qui
fe déchargent de ce fardeau iur
d'autres , & ne s'acquittent jamais
de ce devoir ? Que pourront-ils
répondre au Seigneur, lors qu'il
leur demandera compte de ce dé -
poft qu'il leur a confié , & qu'ils
ont ladré perdre ? uue diront-ils
ierem.i;. á ces paroles du Pr^ phete: Oú efīz
le troupeau que Je vous ay donné en
garde, que font devenuÑs ces excellentes
brebis?
11 ne faut pas s'imaginer qu'il
n'y ait que les feuls Evefques qui
foient obligez d'inftruire les peupies,
lés coadjuteurs de leur miniítere,c'eft-á-dir,ceux
qui font au
deffous d'eux , doivent prendre
une tres-gráde part á cette jnflrudion,
Car autrefois dans la pri^

•
E¡h de la vie des Evefgtref. 103
mitive Eglife chaque ville avoit
fon Evetque : & les premiers
Chreí}iens eíloient dans cette
penfée que le depoíl de nos ames
& de la foy efl:oit quelque chofe
de fi pretieux, qu'il valloit mieux
le donner en garde á plufieurs
qu'á un feul homme. Mais maintenant
les chofes font bien changées.
On donne plufieurs villes
& une infinité de villages á gouverner
á un incline Evefque , ce
qui eít la mefine chofe que fi on
donnoit plufieurs femmes á un
feul homme. Cependant un Evef_
que qui eft le veritable maiftre,
de fon Eglife , n'eft pas capable
de répandre par luy-mefine fá
dodrine dans tant de lieux diffe_
rens,& bien fouvent il n'a pas non
plus de Curez qui le puifíént
faire. 11 faut donc qu'á la place
des Evefques qui efloient autrefois
dans ces lieux , il envoye autant
de Vicaires qui travaillent
1 iiij

o4 Traité du devoir
pour luy rendre compre, de peur
que les brebis eí}ant deílrituées de
la pafture de la parole divine ne
meurent de faim. Car noús
voyons que dans les lieux qui foñt
ainfiabandonnez, ce que lon ne
peut rapporter fans larmes , , la
plus part des hómes qui y vivent
comme des Payens oñ pluífoíl:
comme des beites , ne fongent á
rien moins qu'á la vie fiiture, au
jugement de Dieu , aux peines
éternelles des méchans , & aux
recompenfes des bons : de forte
que la Religion de ces gens_lá
femble eíl:re degenerée en un pur
Paganifme. Noftre Seigneura eu
compaífion du fort déplorable de
ces malheureux, comme il paroift
par ces paroles de l'Evangile : Il.c
efioient comme des brebis qui n'ont
Ove 6.
point de 1?afieur. Et fouvent il ar=
rive qu'ils en ont de tels,qu'il vaudroit
autant qu'ils n'en euípent
point du tour,

6, de la vie des Evefgues, t 05
Le Prophete Zacharie qui ef
i toit un Preftre du Seigneur nous a
décrit admirablement 1'excés de
cette calamité , lors qu'il rencona
tra le Roy Afa qui revenoit en
triomphe de la défaite des Ethioapiens
: Efcoutc.^ rata parole b O fa,
t ^ &vous au.Thomines du Iuda:LeSeigncur
efl avec vous parcegue vota
avez eflé avec luy : Si vous le che,-.
chezv vous le trouverez,, snaisf vous
l'abandonnez,, il vous abandonnera.
Le peuple d'Ifrael pJe ra plufeurs z. Par. ''
jours fans Dieu , fans Loy , fans
';Preflre d - fans Dofleur. Voyez je
vous prie combien cette calamité
eft horrible d'eftre fanslVlaiftre &
fans Doéteur. ®n ne f auroit s'imaginer
une plus grande mifere
en cette vie que d'eftre fans Dieu,
qui eít celle des gentils felon 1'A- epSel::;
poftre. Cependant Zacharie y
ajoute d'eftre fans Paíteur &
fans Doaur, eítimant tres peu
de chofe d'avoir un Pafteur, s'il

i o 6 7"raitc du devoir
ft en eftat d'inffruire & d'en- r
ner fon peuple. Car ces deux l
fes font tellement liées & at- d
hées enfemble , que l'une dé- m
nd abfolument de l'aurre. a
Comment efl-ce qu'on m'annoncera p
erité s'il n y a point de Preflre qui I u
me l'annonce ? Comment invoque- y
ront-ils Dieu , dit 1'Apoítre faint f
°n"`°' Paul , s'ils ne croyent point en luy,
s'ils n'en ont point entendu parler ?&
comment en entendront-ils parler fi
perfonne ne leur pre/'che? .
Le fupplice dont le Seigneur
menace íbn peuple , fait affez
connoiftre cette calamité , lors
du'il dit qu'illuy envoira une faim
s' non pas de pain , mais une faim
`cM" d'entendre la Parole de Dieu. Y-
a-t-il une fterilité plus deplorable
que celle qui ofte á nos ames la
nourriture de la Parole Divine?
Le Prophete Ioll nous exprime
lafaim & la fterelité de fes brebis
bi: t, par ces paroles : Seisncur j éleve-
^

d. de la vie des Evefques. 707
ray ma voix vers vous , paree que
le feu a devoré les plus beaux endroits
du derert. La Ame a con/^umé
tous les .bois de cetteregion. Les
animaux qui pai/fent dans la campagne
ont ef é altere^ de roí- comme
une terre feche: d- ils ont élevé les
yeux vcrs vous , parte que toutes les
^ources d'eaufint taries de ^echere e.
Vous voyez avec quelle cópafíion
ceProphete exprime la fterilité &
la fecherefre du defert dont Dieu
affligeoit les animaux pour les pechez
des hommes , & qui les faifoit
mourir de faim & de foil
Mais qui fera capable de répan_
dreafrez de 'armes pour plaindre
tant de terres & tant de villes , ce
grand nombre d'hommes & de
femmes qui font á la campagne
& dans les champs , qui meurent
de faim , pour qui les fources du
ciel font taries , pour qui les
herbes de la do drine celefre font
fechées, qui devoient fervir á la.

LRm. 4.
108 Traité du devoir
nourriture de ce troupeau qui a
eíté rachetté par le fang de l'Agneau
fans tache?Et fi leProphete
jeremie déplore avec tant de dou.
leur,de cc que les petits enfans ont demandé
du pain qu'il ne s'efl trota, é
perf nne pourlcurcn donner; Q uels
torrens de larmes ne devons nous
point répandre quand nous
voyons tant d'hommes, tant de
brebis raifonnables qui demandent
la pafture du ciel , & qui ne
la fçauroient obtenir, quoy qu'ils
fe privent de leur nourriture ordinaire
& de celle de leurs enfans,
& qu'ils donnent auxMiniftres de
l'Eglife les biens qui font le fruir
de leur travail & de leurs peines.
Ils fement les grains de la terre, &
ne recueillent jamais ceux de l'ef.
prit. O le miferable changement
des temps ! Au commencement
de l'Eglifé les Apoflres qui enfeignoient
l'Evangile fans aucune
reconnoiírance temporelle , qui

6 de la vie des Evef °quel. 109
ne recevoient prefque rien des
pcuples , les combloient de toutes
les richetles du cid. Maintenant
c'eft tout le contraire ; car les
Evefques quiont de fi grands revenus
á peine donnent-ils la fimple
nourriture á leurs brebis.
Pourquoy done l'Eglifé auj our_
d'huy donne_t-elle tant de biens
aux Evefques ? Pourquoy un feul
en pofl'ede t-il autant qu'il en fal_
loit autrefois pour en entretenir
plufieurs , fi ce n'eít que recevant
ces grands revenus il eft obligé
de fuppléer á la peine & au travail
de plufieurs? Car puifque le droir,
la raifon, les Conciles , les faints
Peres , & la fublimité de 1'Ordre
Epifcopal mefine, demandent
que la table des Evefques foit frugale
, que leur maifon foit modefte
, fans falle & fans aucun luxe:
Pourquoy reçoivent-ils tous les
ans tant d'argent , fi ce n'eft pour
foulager les pauvres & les em-

¡ro . 2'raité du devoir
ployer á des ufages pieux & ne.:
ceíraires á l'Eglife ? raifon
un Prelat rendra-t-il au Prince des
Pafteurs Jefils-Chrifí noftre Sau_
veur qui luy a confié fes brebis,
de la perte de celles qui font mor_
tes de faim pendant qu'il dormoit
bien á fon aife ? Carie ne croy pas
que nous foyons affez extravaganspour
nous perfuader que Pignorance
d'un Evefque foit une
excufe legitime á fa pareíl'e , lorfqu'il
ladre perir ces brebis. Avec
quel front cét Evefque qui n'em.
ploye rien de fon revenu pour entretenir
de bons Minif}res qui
prefchent la parole de Dieu á fes
peuples, fe prefentera_t-il devant
ce Divin PafEeur , quí a tant aimé
fes brebis qu'il n'a pas fait diflicul_
té de refpandre fon Sang pour elles
, & de leur donner fõn propre
Corps á manger ? Si le bon Paf_
teur doit donner fa vie pour fes
brebis, comnlent celuy la peut-iI
p
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de la vie des Evefques. ni
porter ce nom qui ne veut feulement
pas donner fon argent pour
elles ? Et nof}re ame íelon íáint
Clregoire efla»t incomparable- cc
rnent au defí'iis de tous les autres ci
biens que nous poflédons en ce cc
monde , comment celuy qui ne
veut rien donner de fon bien don_
nera-t-il fon ame pour elles ? Enfin
n'eft- ce pas contre ces mauvais
Paí}eurs que le Prophete
Ezechiel s'efcrie d'une maniere fi
terrible : Malheur aux Pafleurs
qui fe pai^nt eux..mefines. Car
n'ef^ ce pa4. aux 1'af eurs 1 paiflre
lcurs t roupeaux ? vous avez,. bcu le eLehte! 34
laiflde mes brebis , vous vous efes
fait des habits de lcurs lames , vous
ave^tué celles qui efloientgraffês , ^r
vous n'aveç. pc,int cu de foin de mon
troupeau. Vota aa'avex point forti_
fi'é celles qui efloient foibles , vota
12' ave point per fé celles qui ef oient
malades, vous n'aveZ point ramené
da.ns la bergcrie celles qui efloiertt

ix 7'raité du devoir
tgarées , mais vous les avex„ maíflri_
:pes avec aufferité avec vio.lence.—
.Anf elles ont efié difflerfées paree
qu'elles n'ont point eu de Papar ,
elles ont effé devorées par les be fes
farouches. Mes brebir onte^é erran.
tes fur les montagnes les plus élevées,
elles ont eflé dOer/êespar toute la ter
re, d perf ne ne les a re cherchées ,per.
fonne, dif je,ne les a cherchées. Cette
repetition nous marque bien la
douleur qu'á eu le Seigneur de cét
abandonnement : & cela nous
fait voir clairement combien la
negligence des Paíleurs luy paroa
pleine d'ingratitude & d'inliumanité.
On peut dire que le
peché de ces Paíleurs eft d'autant
plus criminel & inexcufable que
1'eftat de ces brebis abandonnées
eft déplorable, c'eft ce qui paroift
par ces paroles que le Seigneur
leur adrefíe par la bouche du mefme
Prophete. .Me voicy , dit le
Scigneur, je redemanderay mes bre-
Gid
t
1
p
t

.
l
^
& de la vie des Evef. `ques. 113
1 ir aux Pafleurs & les empef heray
de les Aire paifr're ^ de/^e repaiflre
eux me [mes. le delivreray man trou_ Eze.h. 34i
peau de leurs mains & les empefcheraydele
manger. Mais il me fem_
ble qu'il n'en faut pas davantage
pour ef}re convaincu que les Paf_
teurs ont une obligation tres ef
troite d'enféigner leurs peuples,
& que les Evefques font obligez
de nourir le troupeau du Sei_
gneur par la parole & par la doctrine.
:
Neanmoins la nourriture de L°Exérre.
]a parole ne fuffit pas , un pafteur
efl= encore obligé de luy donner
cene de bon exemple. L'infiru_
dion qui fe fait par les parolcs eft
longue , celle de l'exemple eft
courte & efficace. Les paroles
nous apprennen t en certains
temps de certaines veritez , mais
l'exemple de la bonne vie nous
prefche en tour temps tatues forxes-dc
vertus , & elle ne nouS les
I^

Traitddudevoir
prefche pas feulement , mais el_
le nous excite ã les pratiquer &
nous montre le chemin qu'il
faut prendre pour les acquerir.
Enfin felon le fentiment de
La&ance les hommes ayment
• mieux les exemples que les pa_
rones. Car il eft bien aifé de dire,
• & il eft fouvent bien difficile
de faire ce que l'on dit : & les
chofes font d'autant plus eftimables
qu'elles font plus difficiles ã
faire. C'eft pourquoy Seneque ã
raifon de dire que celuy qui fe
choifit un maiftre, doit prendre
• celuy qu'il admire plus quand il
• le voit que quand il l'écoute,
70 c'eft ã dire , dont la vie eft plus admirable
que l'eloquence , paree
qu'il attire plus fortement les
hommes ã la vertu par fes a&ions
que par fes paroles. La vie d'un
F vefque doit cifre teile que faint
!) jerofine nous la deferir. Il faut
" que fa converfation , fon erudim
p
f
c
r
d
o fée
p
f

^
de la vio des Evd1 °quej. Y r S
tion , fon gefte & toutes fes
a&ions foient confiderables ; ü «
faut qu'il conÇoive la verité dans cc
fon efprit , qu'il ne refpire autre «
chofe dans fes habits & fes orne- cc -
rnens ; afin que tout ce qu'il dit & cc
tout ce qu'il fait ferve á l'inftru- cc
ftion des peuples. C'eft pour- cc
quoy , dit un Ancien , il faut que cc
les Evefques apprennent du Roy cc
Abimelech á exciter leurs füjets cc
á fiiivre pluftoíl leur adions que cc
leurs paroles. Ce Roy faifoit des cc
faffines & ü les portoit luy_mefme,
& enfüite il difoi t á fes foldats:
Vota m'ave^ veu faire ,faites com- '"°" ^° 9•
me moy. La plus belle vertu n'eft
pas feulement celle qui fe fait ay_
mer , rnais qui fe fait imiter. Car
comme les exceliens parfums
remplifíént 1'air qui les environne
de leur odeur : ainfi , felon la pen_
fée de faint Gregoire de Nyflê, la cc
prefence d'un homme 7de bien fe cc
fait refíéntir á tous ceuxqu; ^ 1'ap- ca
^

xrC Traité du devoir
„prochent. C'eft par l'odeur ineftimable
de leurs vertus que les
A poftres ont attiré tout le monde
á eux, & qu'ils pouvoient diré
veritablemét: Nous formes devant
Dicu la bonne odeur de fef s- Chrift.
Car il n'y a rien de plus doux & de
Col;
meilleure odeur que la vertu , lors
que l'on eft capable de la fentir.
C'eft ce qui fait que faint Paul
nouslarecommande dans ces paroles
: Mes freres, que tout ce qui efi
veritable&fncere,tout ce qui efl hon.
nefle ; tout ce qui efl jufle ; tout ce qui
efl faint; tout ce qui vou;s peut rendre
aimables ; tout ce qui efl d'édification
6 de bonne odeur; tout ce qui eft vertueux,
^^ tout ce qué efl loüable dans
le reglement des mmurs , foit l'entretien
de vos penf es. I'ratiqueç . ce
,1, F,:, p. 4, que vous avekappris d- reKu de moy,
ce quevous avekoüi dire de moy , ^v
ce que vous ave^ veu en moy. Vous
voyez par lá que ce n'eft pas feu.
,lement par fes paroles á mais par

.
i
,
{
de la vie des Evefques. ii7
fon exemple que cét Apoítre inítruit
les Philippiens. Et il ne par- •
le pas feulement ã leurs oreilles,
mais á leurs yeux par l'éclat de íés
vertus. C'eít á quoy noítre SOnneur
á principalement exhorté arsuh.ya
^es Paíteurs lors qu'il dit : ue
vofire lamiere luife devant les hommes
, afin que voyatnt vos bonnes auvres
ils glorifrent vofre pere qui cfl
dans le ciel. Car un Evefque doit
tellement exceller par íá. fainteté
& par la force de fon efprit , que
lors qu'il fait quelque chofe de
loüable, íl ne craigne ny ne delire
les loüanges des hommes ; & il ne
doit jamais fi fortapprehender la
vaine gloire , que cela le retienne
de faire des aétions éclatantes devant
le monde. 11 doit agir de la
maniere que faint Gregoire l'en_
feigne dans fon Paítoral. II faut C 6
que nos ac`tions paroiífent en pu- ca
blic , & que nóítre intention de- ca
mure dans le fecret de noitre s:

118 7'raité du devoir
coeur; afin que nous donnions bon
exemple á noftre prochain par
:a nos oeuvres, & que noftre inten_
+= tion foit de nous cacher comme
n'ayant á plaire qu'á. Dieu feul.
Cette façon d'enfeigner les autres
a quelque chofe d'admirable,
pour enflamer les efprits des hom.
mes á la recherche des venus. Un
foldat bien affeétionné , dit faint
Bernard , ne fent point fes playes
lors qu'il void celles de fon Capi_
taine. C'eft pourquoy Jules Cefar,au
rapport de Cicerõ,ne difoit
jamais á fes foldats :14lleV1 , mar
venekicy. Rien ne diminuU tant la
peine des foldats que lors que le
Capitaine en prend fa parr e C'eft
dans cette penfée que faint Cyprien
loüe le Pape Corneille de
ce qu'il excitoit le peuple Romain
á confefl'er la foy de Jefus- Chrift
!= par fon exemple. Lors que vous
monfirez le chemin pour acquerír
la gloire , vous vous donnez des
co
vo
feu
co
1'e
de
1'h
vil
fi
ef
de
re
m
bi
fu
en
ay
m
q
a
^la
de
da
cí
po

& de la vïe des Eve^ques. 119
compagnons pour vous fiiivre, & ^E
vous faites un peuple de confeffeurs
, lors que vous eftes preít de 66
confeílér la foy pour tous. Enfin
l'exemple d'un bon Prince a tant
de force que nous voyons dans
l'hiftoire que toute une grande
ville de Phrigie, qui faifoit profef
fion de la foy de Jefus - Chriíf,.
eflant preffée par la perfecution
del'Empereur DiocIetian d'adorer
les fauxDieux, on ne put jamais
corrompre pas un de íés ha_
bitans , ce qui fut caufe qu'elle
fuít affligée, & renverfée de fond
en comble , tous fes habitans
ayant ene égorgez fans difcerne_
ment d'áge ny de fexe , de forte
qu'il n'en reíla pas un qui efēha_
paf} de ce carnage. Ccluy qui fut
la caufe de cet heureux nombre
de Martyres , filt un nommé Audaé}us
qui etlroit d'Italie , & qui
cítoit tour á fait recommandaMe
pour fa pieté , fa foy , & fon grand

Izo Traite` du devoir
courage. Car ayant fait paroiftre
une conftance admirable á con.
feíl'er ]efes-Chrift au milieu des
tourmens , il anima par fon exem_
ple tour le peuple á le fuivre, & il
le rendir martyre aufli bien que
luy. je voudrois bien fçavoir ce
qu'auroient pi. de f mples paroles
en cettc rencontre, fans l'exem-.
ple de la vertu ? Ainfi vous jugez
aifement, Mefl'eigneurs , que les
exemples ont incomparablement
plus de force que les parolas?
Mais colme les exemples des
bons Pafteurs nous attirent pui=f_
íámment au bien , ceux des mauvais
ne font pas moins puiífants
pour vous portar au mal. Car depuis
que noftre nature efttombée
dans le peché ,..elle a bien plus
d'inclination au vice qu'á la verte..
Nous n'aprenons rien plus aifément
qu'á mal faire s &nous ne
de'faprenons rien avec plus de peine,ditunAncien,C'cf
ce . qui a fait
diré
l
v
m
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-
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61, de la vie des Evefquct. i^r
dire á faint Crregoire que perfonne
n'eft plus nuifible á 1'E glife que
celuy qui menant une vie dépravée
porte le nom & prend la qua_
lité de Saint. Et faint Auguílin
dit que celuy qui efrant prépofé
pour gouverner les autres mene
une mefchante vie, eft un meur- cc
trier ; car il tue celuy qui l'imite, cs
& fi quelquefois celuy qui ne l'irnite
pas en rechape , il ne
tient pas neanmoins á luy qu'il ne
les falle auíli mourir. Nous pouvons
appliqueraux Princes de 1'Em
glife cequeCiceron dit d'un Prince
feculier. Les Princes ne com_ ; ^ lemh
mettent pas feulemét le mal , ils le es
repandent dans toute une ville ; & ca
ce n'eít pas en ce qu'ils fe corrom- cc
pent qu'ils nuifent á la republi_ u
que, mais en ce qu'ils corrompen[ .
les autres. Leur mauvais exemple
fait plus de mal , que leur peché.
Voila comment un Evefque n'eft
pas feulement obligé d'inf}ruire
L

tzz Traité du dcvoir
fon peuple & de le détourner du
mal par fes paroles mais par fon
exemple, de peur qu'il ne !bit cri_
minel devant Dicu de la perte des
ames qu'il fait tomberdans le pre_
cipice par fa mauvaife conduite.
f.. s. Mais outre ce bon exemple il
faut que les Evefques fe donnent
la peine de vifiter leurs Diocefes;
qui eblr un devoir dont ils ne peuvent
fe difpenfer pour plufieurs
raifons. Prernierement paree
qu'ils font les predicateurs & les
maiítres qui enfeignent dans l'Eglife.
Les Predicateurs font defgnez
dans l'Ecriture fainte tantoft
bous la figure des nuUs , tantoft
fous celle des fleuves , quelquefois
sz«^ er fous celle des chariots & des ani_
ch 'p•_ maux qui apparurent au Prophete
Ezechiel dans le raviffement de
fon Efprit. Si ce font des nub il.s
doivent courir par toutes les parties
de l'air oú la volonté de celuy
qui les gouverne les conduit. Si

el, de la vie des Eve^°gries. rig
ce font des fleuves qui Yórtent du
jardin de l'Eglife , ils doivent ar_
rofer plufieurs regions de leurs
eaux falutaires, afin qu'elles por_
tent des fruits de vie au trentief:
me , au foixantiefine & au centieC.
me. Si ce font des animaux qui
traifnent le chariot de 1'E van gile,
ils ne doivent pas demeurer en
une place , mais parcourir toute
la terre & porter par tout les ri_
chefiés du ciel dont ils font chargez.
En fecond lieu ils font obli_
gez á faire des vifites par la qualité
de Pafteurs qu'ils portent. Car
il leur eft expreffement recommandé
de connoif}re leurs bre bis
& leur troupeau , afin qu'ils ayent
foin de les penfer dans leurs malaches
, de les delivrer du danger,
de leur donner de bons gardiens,
& generalemen t tout ce qui leur
eftnecefiáire. Vne connoiffance
cõfuf é& que ion n'a qu'en paffát
par les yeux d'autruy á qui on s'en
L iJ

1:.4 Traité du devoir
rapporte, nefuffit pas pour toutes
ces chofes. Le bon Pafleur, dit
ra.oftre Seigneur , appelletoutes fes
brebis par leurnom ; ce qui fait bien
voir qu'il veut qu'il en ait une
connoiffance claire & diflin&e.
Car le foin qu'il eft obligé d'en
prendre doit eftre fi exa& , qu'il
connoiffe les ames qu'il conduit &
qu'il gouverne par fes propres
yeux, & qu'il en fgache le nombre,
afin qu'il ait autant de foin de toutes
que d`une feule , & de chacune
cn particulier que de toutes en
general n
^ En troifiéme lieu il faut qu'un
Evefque vifite fon Diocefé parce
qú il tienda place de Dieu fur la
terre. Car fi un fage a dit autrefois
que le Roy eftoit une image
vivante de Dieu , on peut bien dire
la mefine chofe d'un Evefque
qui tient la place de Dieu fur la
terre. Or le Seigneur nous fait,
bien connoifire de quelle i^anie4

e, de la vie des _Evéfques. 115
re il fe comporte avec fes brebis
par ces paroles du Prophete Ezechiel.
le rechercheray mes brebis & EzeE

Zarjiam
4%11.
12.6 Truité du devoir
Car en cette rencontr® le troupeau
eft en veu á tout le monde,
on recherche fes moeurs , on repare
les Eglifes , on accorde les querelles
, on chaftie les impudiques,
on protege les gens de bien, on
corrige les méchans, on foulage
les pauvres , on extirpe les pechez
publics , & on fepare les brebis
qui ont des maladies con tagieufes,
de peur qu'elles n'infeelent le refte
du troupeau. Voila les biens
que produifent les vifites d'un bon
Eveíque. Et c'eft pourquoy le
Seigneuravertit ainfiles Pafteurs
qui oublient ce devoir par foil
Prophete Zacharie : Prenek l'équi
page d'un Pafteur in^en fé. Car je
u/^citeray un PaftEur furia terre qui
f
ne vi fterd point les brebir abandonnées,
qui ne les cherchera point eftant
égarées, qui ne les guerira point eftant
malades , & ne nourrira point celles
qui fe porient bien. Il fera fi' cruel
pu'il m ^ngera cenes qui font grafíPs

de la vie des Evefques. 127
^i qu'illeur rompra les pieds. O Pafteur.iqui
n'efles que lafigure d'un Paf.:
tcur,vous abandonnekvos brcbi6. le
puniray ce Paflefa , j'appefantiray
mon ¿pele fur luy , & je luy arracheray
l'ceil droit : Ce qui ne veta dire auu
tre chofe finon que la vertu d'agir
& la lumiere de l'intelligence luy
feront ofl:ées, afin qu'eftant deftitué
de tout fecours pour faire
le bien , il tombe daiis le pre,cipice
de toutesfortes de maux;: 4...es in.
xerpretes de l'écriture fouf}iennent
que ce Pafteur qui eft décrit
en cét endroit: par le Prophete
Zacharié "efl: d'Ante-Chrifi.. I 1
me femble que les Evefques devroient
extremement prendre
garde, que cette honte.ne leur arrivaft
d'eftre defignez fous un
nom fi abominable & fi deteflayble.
Car ce n'eft pas afíéz qu'ils
s'en rapportent á leurs Vicaires
pour le foin de leurs Diocefes,
puis quil leur eft commandé de
L iii j

izE Traitd du devoir
connoiftre en perfonne leurs bre_
bis & d'en fcaavoir bien le nombre.
11 fe rencontre bien d'autres
chofes dans le cours des vifites
aufquelles on ne peut apporter
de remede que par la dignité d'un
Evefque, fon authorité , fa puiffance
, & fes richeffes ; & qui ef_
tant plus difficiles á traiter que les
affaires ordinaires ont befoin d'u.
ne authorité extraordinaire. Il
efI impoffible qu'un Evefque ne
/es termine point par la grande authorité
que fa charge & fes biens
luy donnent , & que l'Eglife ne
Iuy accorde qu'afin qu'il s'en ferve
pour fon utilité & pour fon fer.
vice.
11 y a un ancien Proverbe qui
dit que rien n'engraifíé plus un
cheval que l'oeil de fon maiftre, &
qu'il n'y a point de meilleur fu_
mier pour cultiver une terre, que
la marque du pied de celuy á qui
elle appartient. Cela convient
1
a
C
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b
f
r
d
d
d
c
c
l
p
e
f
l

& de la vie des Bve^ques. Y19
admirablement aux Evefques:
Cars'il eft vray que l'oeil du maiftre
engraifí'e le cheval, á plus fora
te raifon rien ne donne tant d'enbon
point aux brebis que la prefence
d'un bon Pafteur. I1 n'y a.
rien de mieux dit que ces paroles
de l'écriture. Le Roy qui eJl alfis P,cvwkas
dans fon tro fne pour rendre la juJlice, i °'
diJipe tout le mal par [es regards,
c'eft-á_direpar la ma}efté & 1'éclat
de fa prefence. Car comme
lalumiere chaffe les tenebres , la
prefence d'un faint Evefque , qui
eft comme un foleil fpirituel, diffipe
les tenebres des méchans par
l'éclat de fa vertu.
Aprés avoir parlé des vifites
que les Prelats font obligez de faire,
il femble g,u'il feroit á propos
de parler du foin qu'ils doivent
apporter dans le chois de leurs minares
& de la diftribution des benefices
, n'y ayant rien qui contribue
davarrtagc á la fplendeur & ã

Sever4é.
3 n Traité devoir
la gloire de 1'Eglife. Mais paree
qu'il femble que nous en ayons af_
fez parlé auparavãr, lors que nous
avõs marqué les qualitez qui ren.
dent un homme digne de la charge
de Paíteur : Je penfe qu'il vaut
mieux que nous vous entretenions
prefentement de la punition des
crimes , & que nous examinions
J'obligation qu'ont les Evefques
de ne les point laiffer impunis.
Car il n'y a rien á quoy les Evef,
ques foient plus obligez qu'á re
primer les pechez des Ecclefiaíti_
ques & des Laïques , en public &
en particulier,en leur donnant des
avertilremens,ou en leur impofant
des peines ; autrement il faut apprehender
ce que dit S. Gregoire
9) dans fon Moral: Ceux,dit-il,qui
voyent les pechez de leer pro-
» chain , & qui gardent le filence,
» -reffemblent á ceux qui oftent les
E9 remedes , lors qu'ils voyent les
playes ouvertes , & qui font d'aui
a
m
f
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c
q
c
q
p
S
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q
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É
de• de vie des Evefgues. 131
tant plus crilnïnels de fa mort,
9u'ils ne veulent pas le guerir lors
qu'ils le peuvent. Il dit encore la «
mefme chofe dans une de fes Epiflres
: Celuy quï ne corrige point „
fon prochain quandille peut, eíl «
cõplice de fon peché. Et il expli- «
que en un autre édroit l'utilité des
corre&iós.Voicy fes paroles:Lors 6s
que ron corrige un homme, on «
procure '1'almendement de plu- «
Sieurs : car il vaut beaucoup mieux «
en condamner un pour en fluver
plufieurs , que d'en laiffer perir «
plufieurs par l'impunité d'un féul. ea
II y a cependant des gens qui
deirieurent fouvent impunis , parce
que ceux qui ont droit de les
reprendre font touchez d'une
faufí'e & cruelle compafiion , &
font fouvent empefchez de s'ac®
quiter de-ce devoir par la crainte
des perfonnes puifíántes ou des
languns médifantes. Saint _Jerof_
1^e dit fur ces paroles d'Ifaïe: jlottí

13 a Trazte du devoir
vous elles nourri de ma vignt , d.E,
» qu'il croit que les Anciens & les
» Princes du peuple da vieux Teíta_
95 Fnent , faifoient la mefine chofe
„ que les Princes & les Evefques de
„ noftre temps.Nos Princes repren-
9, nent hardiment les pauvres, ils les
93 chaftient publiquement & avec
93 éclat ; mais pour les riches qui
,9 commettent de bien plus grands
„ crimes, ils ne remu:;nt feulement
» pas la tefte. C'eft contre ces forres
de gens que faint Gregoire
9, s'écrie : Si la crainte d'eftre rail-
» lez ou mocquez par les médi_
„ fans nous fait peur; & nous empef-
„ che de reprendre les pecheurs,
93 nous ne cherchons pas l'intereft
9, de Dieu mais le noftre. Et á 1'êgard
de ceux qui par cette faufl'e
compaflïon laifí'ent les crimes im_
punis , S. Chryfoftome en parle
,,. en ces termes.. La juftice fans mi-
» kricorde n'eft pas juftice , mais
99 cruauté 1 & la miíêricorde fans
juf
ma
ces
& e
me
cor
la m
C'c
aux
tio
fon
attr
& l
ce P
dou
mo
vin
me
fait
gar
te •
rol
cho
fsai
pou

61' de la vie des L'vefquel. 133
uftice n'eft pas une mifericorde, ec
j
mais une folie. I1 faut donc mefler
ces deux vertus 1'une avec l'autre,
& en faire une forte de tempera_
rnent, afin que la juítice foit accompagnée
de clemence, & que
la mifericorde foit fans foibleípe.
C'eft ce que l'on re.commande
aux Evefques dans leur confecration.
Saint Gregoire divife les
fonétions de ces deux vertus, en
attribuant la fcverité aux peines,
& la douceur aux paroles. Car dit
ce Pere : Il faut que la lan ue foit
douce & la main rude ; c'e^ par ce «
moyen qu'on mefle l'huile avec le sc
vin pour guerir la playe d'un hom_
me blefí'é. Saint Bernard nous cc
fait bien connoiftre combien il a
gardé cette merveilleufe condui_ su>le rrr.
Q!i i[tiate
; ne faut qu e n tendre ces pa- b;cac.
roles. Dieu qui connoift toutes cc
chofes, & á qui rien n'eft caché,
fgait bien la compaflion que j'ay c<
pour les pecheurs qui font peni- cs

$a
»
»
»
NEifer icorde,
134 Traité el* devoir
tence, & combien je fõuhaiteroii
leur apporter de la confolation
fi elle eftoit en mon pouvoir: mais
fi je fonge á diminuér leurs peines,
je fuis un homme cruel & fans
mifericorde. Ce n'eft pas leur pei.
ne que je diminue , mais leur re_
compenfé & leur couronne que je
leur arrache. Celuy qui ofte de la
femence diminué le fruir, & on ne
fait pas un petit tort á celuy qui
recueille la moillón lors qu'on luy
dérobe un peu de bled dans lé
temps qu'il féme.
Mais fi la j uf}ice eft fi neceffaire
áun Evefque, il faut á plus forte
raifon que fa mifericorde paroifí'e
par les aumofnes, qui en font une
fuite; & puifque cette mifericorde
eft la premiere loüange de Dieu,
il eft raifonnable qu'elle foit auffi
la plus: confiderable de celuy qui
le reprefénte fur la terre. Lors que
Pon facre les Evefques , on leur
répand de l'huile fur la tefte, noa
fe
qu
ar
le
ef
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de 1a vie des Fvefques. 535
feulement afin qu'ils fsachent
qu'ils doivent eítre une lumiere
ardente & brúlante pour éclaireF
les autres ; mais pour les mettre en
eftat de combattre eux-mefimes.
Et peut-eftre que par cette huile,
la Providence de Dieu á voulu
marquer la bonté & la douceur
qu'ils doivent avoir dans le corur,
qui eft fi fouvent defignée dans
l'Efcriture íáinte fous ce fymbol e.
Cate vertu a merveilleutement
éclaté dans les Apoftres , parce
qu'ils ont toiijours voulu eftre les
Pafteurs des corps & desames, &
lés veritables peres des pauvres.
Quoy que l'Apoítre faint Paul ..coY,c _,í.
commift le foin de 1'adminiflra=
tion des Sacremens aux autres,
pour vacquer entierement á la
predication de la parole de Dieu:
11 n'a ncanmoins jamais manqué
au devoir de la charité. Au contraire
il donnoit de grandes marques
de fon foin & de fa diligence

136 Traite du devoiY
pour le foulagement des pauvres,
lors qu'il prenoit tant de peines
pour faire porter á Jerufalem les
aumoíñes qu'il avoit recueillies.
Aumornrs Enfin qui a_t_il qui concilie da_
vantage á un Paíteur l'amitié &
la grace de fon peuple , que lors
qu'il luy fait du bien, & qu'il donne
liberalement l'aumofiZe ? Cela
eít tellement vray, que la predica_
tion de l'Evangile, le bon exem.
pie, & la vertu mefine de faire des
miracles ne font rien en compa_
raifon de l'aumofne. E perfonne
n'en peut douter aprés ces paro_
les que dit N ótre Seigneur á cate
multitude d'hommes qu'il avoit
raíi'afiez avec cinq pains & deux
goal'. 6. poiíi'ons : En ver:té je vous le dis,
vous me cherehez,. non a catire des
7niracles que vous ave^ vüs : mais
paree que je vous ay donné du pain
Ec manger , que vous ave; effé
raffirgieç, Que peut-il y avoir de
plus admirable & de plus furpre.
nant
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de id vie des Evefques. r37
nant, que ces grands miracles que
le Fils de Dieu faifoit dans le
monde ? Cependant les hommes
font tellement remplis d'a^
mour propre , & ils font selle_
ment attachez á Ieurs interefl:'s ,
qu'ils preferent ce qui les regarde
aux prodiges . les plus éclatans , &
ils ont plus derefpe& & de recon_
noifí'ance pour le Seigneur , qui
rafí'afie la faim du peuple , que
pour fes plus grands miracles.
C'eft ce qui a fait dire au Philofo_
phe, que le bien eft aynzable, mais
entantqu'il nous eft propre, & ce «
qui a donné lieu á cene autre fenfaits
refoit des. liens, & mefine
tence : Celuy qui repit des bien_
quelque chofe de plus prefíánt
que des liens. Carles-liens ne lient
que les pieds ou les mains : mais
les bienfaits ne lient pas feulement
noftre corps , mais noflv.re ame,
noftre efprit, & nofire coeur par
les liens de la recunnoifíánce.-
M

ae u. 9.
13S Traité du devoir
C'eft pourquoy Salomon dit:
eeluy qui fait des prefents efi plein
d'honneur & de gloire, il ^e concilie
l'arnitié de ceux qui les rei'oivent.
La liberalité ne nous donne pas
feulement la reputation d'eftre
honneí}e homme & bien faifant,
mais elle nous fait pafí'er pour des
perfonnes de vertu & de fainteté.
Car le peuple qui ne regarde que
fon intereft n'eftime gens de bien,
que ceux qui luy en font. Dan's la
langue Hebraïque le mefme mot
qui fignifie faint fignifie liberal &
bien-faifant. Enfin c'eft une fa_
son de parler affez ordinaire : La
liberalité couvre les vices, & l'avarice
les decouvre.
Mais il ne faut pas s'eftonner fi
le vulgaire ne:xeconnóiRiá fainteté
que dans eeux qui luy font du
bien , puis qu'il ne connoift Dieu
que par lá. Tous les faux Dieu?t
de l'antiquité n'ont autrefois ef}é
fabriquez par les liommes , qüe
p
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t
6- de la vie des Evefaues. 739
pour marquer 1'eftime qu'üs faifoient
de ceux dont ils ont receu
du bien.
Quand il n'y auroit que cette raifon
pour faire 1'Aumóne , qu'elle
concilie l'amitié des peuples , &
qu'elle donne la reputation de
gens de bien aux Evefques , elle
fuffiroit pour faire voir com bien
cette vertu leur eft necefiaire.
C'eft par ce moyen que les peu_
pies leur obeïfl'ent avec joye,
qu'ils les imitent de tout lcur
caeur , & qu'ils font toújours
prefts á recevoir leurs enféignemens.
Les Orateurs ont coíitume
au commencement de leurs dif=
cours de fe concilier la bienveil_
lance de leurs auditeurs par des
paroles obligeantes. T1 faut que
les E vefques les imitent , & qu'ils
fe concilient 1'amour de leur peuple
par la liberalité & par les aumónes.
Le mefme ouvrier qui
bat le fer quand il eft chaud , luy
M

140 7'raité du devoir
donne teIle figure qu'il luy plaift,
& 1'un ne fe fait point fans 1'autre.
C'eft l'image d'un Evefque. Il bat
fon peuple par les commandemens
qu'il luy fait; & par fa libera.
lité & fes aumónes il le forme , il
luy donne la figure qu'il luy plaiít,
& luy fait entendre tour ce qu'il
veut. Car le feu le plus ardent n'a
pas tant de force pour amolir le
£er,.que les bien- faits & les aumó_
nes en ont pour cháger les efprits,
& pour fléchir Ie coeur des hom.
mes. Mais ce n'eft pas cette feule
confideration qui doit porter les
E veí9ues á avoir de la mifericorde
& de la compaffion. Ces grands
revenus dont ils joüiíi'ent font une
raiibn bien plus preffante, puifque
l'Eglife ne les leur accorde
pas afin qu'ils faíiént les Princes,
qu'ils égallent les Puiffances de la
terre par le fafte . & par le luxe,
mais afin qu'ils foulagent les miferabies
, qu'ils foient les protecn
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de la vie des Evelques. 1.4r
teurs de veves ,, & les peres des
pauvres , puis qu'ils reprefentent
íur la terre la perfonne de celuy
qui efI appellé le pere des orphelins
& le juge de& veves. L'Egli_
fea toújours confervé cette qualité
en la perfonne de fes Pafteurs
depuis le temps des Apoftres,.
mefines, dans le fié ele de fes plus
grandes perfecutions , o ia les Ty ®
rans ne luy laifToient que tres peu
de chofe pour vivre. Car nous
voyons que du temps de faint Cyprien
& du Pape faint Corneille,
tant de Chreftiens receurent
Ia couronne du martyre , 1'Eglife
ne laiífoit pas de nourtir á fes propro
dépens les veves & les paur.
vres. Cela fe void par les lettres de
faint Cyprien , oiz nous appprenons
qu'eftant un jour confulté pour
fçavoir fi un Chreítien qui n'avoit
pas dequoy vivre,.pouvoit faire le
meftier de comedien pour fiibfi-
Iter , il répondit que cela eI}oit """

i4/ ?"raité du devoir
contraire á la dignité d'un Chre_
ftien , & que s'il n'avoit pas afíéz
de bien pour fa fubfiftance , il n'a_
voit qu'á pafí'er dans fon Eglife
, & qu'elle luy donneroit la
nourriturc comme á pluficurs au.
tres pauvres, plútoft que de manger
du pain acquis par un crime
tel qu'eft celuy d'un Comedien.
Mais maintenant que 1'Eglife eft
enrichie par les aumónes des fidel_
les, non feulement pour fes neceíhrez,
mais pour foulager celles
des pauvres : n'auront _ ils pas
£itjet de fe plaindre , & de vous
objeáer ces paroles de faint
" Bernard. Les pauvres crient
» paree qu'ils font tous nuds , ils
» crient parce qu'ils ont faim , ils fe
93 plaignent & ils vous difent á quoy
» fert tant d'or & tant d'argent que
» Pon cmploye aux ornemens de
» l'Eglife 1 Cela peut_iI empefcher
1'Eglife de fouffrir le froid &
» la f.aim. > C'eft noftre bien que
VO
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& de leí vie des Evel°qucs. .143
vous confommez;& vous nous ar_ CC
rachez cruellement ce que vous cc
dépenfez inutilement. Ils vous ca
difênt encore ces paroles du mef- C4
me Saint qu'il adreíí'e á un Cha- cm
noine. Puisque vous fervez á ca
l'Autel il vous eft permis de vivre c:
de l'Autel , mais il ne vous eft pas cc
permis d'acheter á voítre cheval CC
des brides d'argent & faites de cs
plufieurs peaux diferentes. Tour ct
ce que vous prenez du bien d'E- ce
glife cutre ce qui vous eft necef- CC
fáire pour le vef}ement & la vie, cs
n'ea que rapine & que facrilege. ci
ue peut-on dire de plus fort fur sK ► ^ r^:
ce fujet ? Saint Ierofine dit en_
core la mefine chofe : Aprés la vie cc
& le veíl:ement & les chofes abfo_ cc
lument & nnanifeitement neceíí'ai. c.
res , il ne faut rien dépenfer du a
bien de l'Eglife , de peur que les ca
chiens ne mangent le pain qui ap_ cc
partient legitimement aux en- cc
fans. Et dans fon commentaire
pb en I fa,^eo

144 Traité du devoir
fur ces paroles d'Ifaye la rapine des
91 pauvres efi dans voflre ynaifon , il
» parle en ces termes : La rapine des
pauvres eít dans la maifón des
99 Evefques qui thefaurifent du bien
» de 1'Egiife,qui s'en fervent á. paflér
» le temps & á leurs divertifTemens;
9, qui fe refervent & diltribuent á
leurs parens des biens qui leurs
9a font donnez pour foulager les
►' pauvres , & qui fe font ^eurs richeífes
de la pauvreté des autres:
Ajofitez á tout cela le canon des
Apoiires qui ordonne fur ce fujet,
» Que l'Evefque aura le foin de tous
9a les biens de l'Eglife,qu'il les diítri.
» buera comme efant torsjour.r en lapre-
)3 fcnce de Dieu qui le regarde , qu'il
» ne luy fera pas permis d'y tou.
» cher ou d'en prendre quoy que ce
^ foit pour le donner á fes parens,
& que s'ils font pauvres ií leur en
donnera par maniere d'aumofne
i) comme á des pauvres,de peur qu'á
» leur occafion les"Eglifes ne foiena
ruindes.
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1
d, de la vie des Evefqups. T 4
ruïnées. Saint Auguftin eft dans
la rnefiaie penfée dans un de fes
Sermons. Souvenez- vous , dit-il, «
qu'un Evefque doit mener une vie «
pauvre. S'il poífede un grand be- «
nefice , quand i1 a pris fur fon re- «
venu ce qui eft necciTaire pour fa «
vie & fon veftement, il doit auffi- u
toft donner ce qu'il luy refte aux
pauvres.
Mais il ne faut pas s'étonner
S. Auguftin donne ce confeil aux
autres , puis qu'il faifoit bien da_
vantage , qu'il s'oftoit fouvent á,
luy_mefine le neceíTaire nfin d'en
faire des aum pnes , & que lors
qu'il ne luy reftoit plus rien , il fai_
foit fondre les vafes facrez des
Eglifes , preferant la nourriture
des pauvres aux ornements des
Autels. Car il eftoit tellement
perfuadé qu'il eft du devoir & de
la charge des Evefques de foula_
ger les miferables , que quand il
ne pouvoit plus les aíiifter de Con
N

46 7"raité du devoir
bien particulier , il employoit les
richeffes communes de 1'Eglife.
Le grand faint Ambroife ne fe
contenta pas de faire fondre les
vafes facrez pour rachepter les
captifs , mais il fouftint pour ce fu_
jet les atraques de l'envie & de la
calomnie la plus atroce. Ses paroles
expriment avec tant de for-
L =vYe il ce le coeur d'un veritable Evefque
da.5 offices.
queje ne puis les pafl'er fous filen-
» ce : Nous avons , dit-il , fouffert
» 1'envie,parceque nous avons rom-
» pu les vafes facrez pour rachepter
» les captifs. Cette adion a pu de-
» plaire aux Arriens, non qu'ils la
» trouvaffent mauvaife en foy ; mais
» paree qu'ils vouloient trouver en
)) nous quelque chofe á reprendre.
» y_a. t-il quelqu'un afrez dur ou
afïez cruel , & qui ait le coeur tel-
» lement de bronze , qu'il né trouve
» pas bon qu'on rachepte un homf3
me de la mort , qu'on delivre une
femme des impuretez des barbar
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e- de la vie des Evefques. I47
res , qui font plus cruelles que la cc
mort, que l'on empefche de jeu- «
nes filies & de jeunes garçons de cc
tomber dans l'idolatrie á laquelle cc
ils füccomberoien t fans doute par u
la crainte des fupplices ?uoique cc
nous ne manquafíions pas de rai_ cc
fonspourfaire ce que nousavons cc
fait, nous avons neanmoins voulu cc
en cóvaincre le peuple, en avoüát ce
devant luy& en luy prouvant qu'il cc
ea bien plus utile á l'Eglife de c;
conferver des ames que de confer_ cc
ver de l'or. Celuy qui a donné la cc
mifíïõ aux Apótres fans or & fans ce
argét , a formé l'afl'emblée detou- u
tes les Eglifes fans l'un & fans l'au- cc
tre. L'Eglife l'apas de Por pour le cc
garder,mais pour le dóner,&pour cc
fubvenir aux neceílïtez des pau- cc
vres.Qü'eft_il befoin de garder ce cc
qui ne íért de rien ? Ne fÇávezvous cc.
pas combien les AfI'yriens empor_ cc
terent d'or & d'argét aprés avoir cc
pillé le temple du Seigneur ? Ne cc
N.ij

y4$ Traité du devoir
99 vaut-il pas mieux qu'un Evefque
:, faffe fondre les vafes facrez pour
9,1a nourrir les pauvres,lorsqu'il n'y
„a point d'autre moyen de les fou-
„ lager, que de les laiíl'er emporter
„ á un ennemy qui les profane par
„ fes facrileges?Le Seigneur ne vous
c, reprochera-t-il pas d'avoir laiffé
,, mourir de faim tant de miferables?
Ne vous dina-t-il pas ? Vous aviez
de l'or pour les nourrir: Pourquoy
„ avez vous ladré vendre tant de
„captifs , & ne les avez vous pas
„ racheptez ? Pourquoy en avez
„vous laiffé tantégorger par Ieurs
„ ennemis ? 11 valoit bien mieux
„ conferver les vafes vivans que
ceux qui n'eftpient cine de metail.
„ On ne fçauroit rien repondre ces
„ chofes,Diriez-vous que vous avez
„ apprehendé que le Temple du
„ Seigneur fuft fans ornemens ? II
„ vous repondroit bien vifte,que les
:3 Sacremens n'ont que faire d'or:
on ne les achette point. Leur ve«
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& de la vie des EveÑues $49
ritable ornement eft la redernption
des captifs : & les vafes veri.
tablement precieux , font ceux
qui rachettent les ames de la
'port. Celuy_lá eft le veritable
threíór du Seigneur qui opere ce
que fon fáng répandu a operé. Je
reconnois le caliee du tárlg du cc
Seigneur, lors que le fang & le ee
calice fervent á noftre redemp_ cc
tion , quand le calice nous deli_ f
vre des mains de nofire ennemy,& c c
le fang de nos pechez. 11 n'y a cc
rien de fi beau que Iors qu'on void ct
des efclaves rachetez par l'Eglife cc
& qu'on peut dire Jefils- Chrift les ct
a rachetez. Cet or efi veritable- tc
ment celuy que l'on peut éprou- «
ver. C'eft un or utile, c'efI l'or de cc
Jefus-Chrift qui nous delivre de la cc
mort , & qui conferve la pureté & cc
la chafteté des Vierges.C'eft pour cg
cela que j'ay fait fondre les vares cc
facrez. I'ay mieux aymé rendre tt
la liberté aux captifs , que de vous Zi
Niij

93 15-o 1'raité du devoir
tant d'argent. Ce
93
grand nombre d'efclaves rachetez
di bien plus beau & plus con-
,' fïderable que les vafes les plus.
» exquis dont on pare nos Autels.
33 C'eft proprement á cet ufage
95 que l'or du Redempteur doit fer_
vir. Je reconnois par cette re-
,' demption que le fang de Jefus_
• Chrifl qui eft dans ce vafe d'or
„ n'a pas feulement envoyé fur nous
93 fes rayons , mais qu'il a imprimé
„ fur noftre cceur la vertu de Pope_
ration divine. Voila comme
parle faint Ambroife, dont Ie fen_
timent a eíté fuivi de faint Auguftin
& de tous les faints Peres qui
vous doivent convaincre par leur
exemple , que la liberalité & la
vertu de donner l'aumóne efl extremement
necefl^aire & ne fc^auroit
efire trop recommandée aux
V icaires de Jefius- Chrií^.
lionnefu Enfin aprés toutes 'ces vertus
k pargne,
woae(iie. qui font fi necefíáires aux Evef-

,
-
i
-
-
& de la vie des Eve^ques. Yst
ques , il me femble que nous ne
devons pas oublier celle d'un hon..
nefte Epargne , & de la modeftie
qui eít extremement utile pour
l'accompliffement de toutes les
chofes dontnous avons parlé juf
ques icy. Car fi les Evefques íónt
les peres des pauvres; s'ils doivent
appeller de toutes parts dans lcurs
Diocefes des hommes capables de
prefcher la parole de Dieu • s'ils
font obligez de les nourir á leurs
dépens quand ils n'ont point de
revenus Ecclefiaílriques; s'il eít de
leur charge d'inftruire les Preftres
ignorans & les autres Miniftres de
l'Eglife ; il faut neceffairement
qu'ils ayent peu d'equipage , & EgitPpage
que leur table foit modef}e , afin moáclt,
que ne depenfantpas tout leur revenu
ils puiífent fupporter toutes
ces charges. Lors que noítre Seigneur
voulut laver les pieds á fes
Apoítres il prit un linge dont les
bouts Iuy fervirent á les eífuyer.
N iiij

Iri Traité du devoir
e'eíl• ainfi que les Evefques dai:
vent ufer de leurs biens. 141 eft jufte
qu'ils s'en fervent,.mais ils doivent
en referver quelque bout , quel_
que partie pour efl^ityer les pieds
de 1'Eglife qui font les pauvres,
qu'ils íbnt obligez de nourir & de
foulager dans leurs miferes. Car
quand les biens d'Eglife font entre
les mains d'un fidelle difpenfa_
teur , ils fervent au foulagemēnt
des miferables , á la nourriture des
veves, á fecourir la vertu , a raeheternos
pechez , á recompenfer
les Predicateurs , á enfeigner
les fimples , d fod.tenir les Vierges
confacrées á Dieu , d reparer les
temples, á fonder & efl:ablir des
colleges & des ¿coles pour 1'inftru&ion
de la jeunefí'e. Voila les
biens que peudent produire les revenus
de l'Eglife , lors qu'ils tombent
en de bonnes mains. Si les
Evefques en font un autre ufage,
les inftruments neceffaires pour
ex
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t
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d- de la vie des Evefqucs. r53.
exercer leur vertu leur manquenr,
& leur pieté demeure fans fecours
& fans afi'iílance. Mais parce qu'il
y-a bien des gens qui ne font pas
de ce fentiment, & qui s'imaginent
qu'il y va de la gloire de 1'E_
glife, & de l'authorité Epifcopa_
le, d'ernployer ces revenus á 1'en_
tretien d'une grande maifon &
d'un equipage , comme font les
Princes feculiers; qui croyent que
tout cet embaras de valets fait
quelque chofe á la dignité d'un
Evefque, en forte q u'il leurfemble
qu'il diminue fa qualité lors qu'il
diminuI fon train : Examinons, je
vous prie , ce qu'il faut faire & ce
qu'il faut eviter en cette rencótreD
voyons exa&emenr ce que la raifon&
l'authorité nous enfeignenr,
& confiderons ce que les exern_
pies des Saints & les Canons des
fácrez Conciles nous apprennent
fur ce füj et. Car dans une affai -
re de cette importance ,& qui eft

154 7"rdité du devoir
pourainfi dire le point capital de
la vie Epifcopale, il ne faut pas
regarder fes inclinations ni fes
penfées particulieres , dans lef_
quelles on peut fe corrompre &
eftre furpris fort aifément ; mais
il faut fuivre les decrets de I'Eglife
& des Conciles , les fentimens des
faints Peres que l'on regarde
comme les Oracles du ciel , de.
vant qui la raifon humaine doit
s'humilier & baiffer fes eflendars.
La raifon femble dic.`lrer á tout
hommefage, lors qu'on luy don.
ne le choix de deux biens , de
prendre celuy qui luy paroift le
plus commode. Mettons don*
vous prie d'un co fié 1'authorité &
la dignité Epifcopale , environ.
née de toute la fplendeur & de
• toutle falte d'un Brand equipage,
d'une grande malón, & de tout
cet éclat de train & de valets:
& de l'autre tous les biens dont
nous venons de parler , que reÇoit
1'E
qu
co
co
d
qu
pa
in
qu
ce
co
fa
vo
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&
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de
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nt
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6` de la vie des Evefques. IS$
l'Eglife de la modeftie d'un Evef
que , qui fe prive de plufieurs
commoditez de la vie , & qui les
convertit á des ufages de pieté &
dereligion: Setrouvera_t-ilquel_
qu'un affez déraifónable pour ne
pas voir que ces biens-cyviennent
incomparablement plus de Dieu,
qu'ils font plus grands & plus neceiíaires
á l'Eglife , foit que Pon
confidere la fanté du corps ou le
falut de l'ame des brebis ? A quoy
vous fert cette dignité & cet éclat
qui vous coufte tant d'argent, fi
les richefFes vous manquent par le
moyen defquelles vous puifliiez
faire tous ces biens & empefcher
tous ces maux que nous vous
avons fait voir ? De quel ufage
vous peut eftre une dignité toute
feule & toute anide fans pieté &
fans charité pour voítre peuple?
Car comme il n'y a rien qui concilie
davantage l'obeïíl'ance &
.mitié,que les aumCines& la libera.

y 6 rrait-i dudevoir
lité comme nous l'avons monftré,
qui efl:-ce que le peuple aimera ou
eflimera davantage que celuy que
fes bien-faits luy font reconnoiítre
pour pere , fes vertus pour
E veíque, fa charge pour Pafteur;
qui fait paroiftre íes richeíl`cs par
fa liberalicé, fon credit & fa puiffance
par le foulagement des mal_
heureux , enfin que Pon peut dire
eftre un homme divin par le mépris
qu'il fait des biens de ce mon_
de ? Les hommes regardent &
refpedent comme une divinité
celuy qu'ils voyent eítre le Dieu
des miferables , le Dieu des affli_
gez , le Dieu des pauvres , des op.
prrmez & des mal_heureux. S'il eft
vray que tout ce qui eft rare eft admirable
& precieux;qu'y_a-t_ il en
ce temps de plus rare que de ne
point courir aprés 1'argent , & de
ne point mettre ton efperance
dans les richeíí'es ? Cét homme
doit eftre veritablement l'objet de
l'a
de
Qi
don
des
pri
mo
ron
mé
bas
mu
lef
rh
ver
ce
gr
&
fal
de
l'a
pu
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ou
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n-
&
ité
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l^li_
p..
ad.
l en
ne
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ce
me
t de
G de la vie des Eve%ques. 157
l'admiration des hommes , c'eft
de luy qu'ils doivent demander:
Qui ef cét homme afrn que noYtsluy E"'=e5•;11
donnions des loüanges ? car ila fait
des miracles pendant fa vie. Un ef- u
pritfublime, dit Seneque , qui fe )i
moque de tour ce que nous admir cc
rons & que nous craignons , qui cc
méprife & qui regarde de haut en cc
bas les chofes du monde , ef{ re- cc
rimé par quelque puifl'ance ce- cc
lelte , fans laquelle la vertu de rc
1'homme ne pourroit jalxt.ais s'éle_ cc
ver x ce fouverain degré. C'eít lá cc
ce qui nous rend dignes d'une cc
grande autorité y d'une veritable cc
& folide gloire , & non pas le cc
falte, le luxe ou la pompe du fié- cc
de, L'amour, dit un Iuge de cc
Pantiquité , ne fe forme pas de la «
puifí'ance & de la crainte , & ces cc
chofes qui font peut-eítre füppor cc
tables dans un Prince feculier, «
font mal-feantes á. un Prince de cc
l'Eglife.
•f$

i j8 Traía, du devoir
Mais deplus fi un Evefque qui
eft dans le fouverain degré de
perfedion, eí} obligé á des ver_
tus plus extraurdinaires & plus
grandes que toutes fortes de Moines
, & mefines que les Chartreux
; comment eílr-ce que faifant
profeífion d'une vie toute
Evangelique & toute Apoítolique,
il peut fouffrir ce luxe & ce
falte exceíl'if ? Comment peut-il
s'accommoder d'une troupe de la.
quai'S , de ce grand nombre de flateurs
& de domeítiques ? Que'
peut-il faire de tant de bufets d'or
& d'argent , de tant de viandes
delicieufes , de tant de vins excellens
, de tant de mas exquis , apportez
des pays eíl.rangers & mefrne
de delá les mers, enfin de tout
cét éclat & de toute cette pompe
dufiécle?
Mais outre tout cela fi un Evefque
eft un docieur & un maiftre
dans l'Eglife , qui de3it exhorter
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& de la vie des Bvefques. tSg
par fa parole & par fon exemple,
tous les í-Idelles á la fobrieté , á la
modeítie, & au mépris de toutes
les pompes du fiecle aufquelles ils
ont renoncé dans leur Baptefne ;
avec quel front pourra- t-il exiger
des autres ce qu'il ne pratique pas
luy-mefinet u'il entende ces pa_
roles que faint Jerofine adreffe á £po,8i.
Nepotien. I1 ne faut pas que vos cc
a&ions dementent vos paroles, cc
de peur que lors que vous parlez cc
tout haut dans 1'Eglife, il n'y ait cc
quelqu'un qui dife tout bas en foy- cc
mefine, pourquoy ne faites -vous cc
pas ce que vous dites ? Celuy qui cc
difpute fiur le j eufne,& qui a le ven- cc
tre plein eft un inaiítre delicat. Un cc
voleur peut mefine quelquefois cc
palier contre l'avarice: mais il faut cc 1
que les paroles , les penfées & les cc
a&ions d'un Preftre ne foient ác
point oppoféesles unes aux autres: cc
Enfin fi les anciens Peres de i'Eglife
ont avec raifon defini que l'E®

i Go 7raité du devoir
pifcopat n'eft pas tant un honneur
qu'une charge & un fardeau , qu'il
n'eft pas tant une principauté
qu'un miniftere, qu'il tient moins
de la domination que d'une fervitude
libre & volontaire , il faut
qu'un Evefque s'employe aux fon_
c-`tions de fon travail, de fon mini.
itere & de fa fervitude, & non pas
á entretenir fon falte & fon luxe.
C'eft ainfi que parle faint Paul:
g.aar.^.s• .ifiant libre ú l'égard de tous, jeme
f uis rendu le f
rviteur de tous pour
gagner á Dieu plus de perfonnes,
Sto eep;- u'on ne s'imagine pas que je fois
"`""'1`. ; l'auteur de cette penfée ; j e la tiens
du grand faint 13 ernard. Honorez
dit-il , entre_autres chofes voftre
miniftere á l'exemple de 1'Ap6tre,
f) je dis voftre miniftere & non pas
+5 v6tre domination; c'eft á luy que
vous devez faire honneur & non
pas á vos perfonnes. Celuy qui re.
- cherche fon intereft fait honneur
17_ á fa perfonne , & non pas á fon mi.
niftere,
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, I
d. de la vie des Eve/quer: i 6f
niftere. Au refte lors que vous cs
rendrez honneur á voftre mini- c^
ftere , ne le faites pas par de beaux cc
habirs , par des atelages de che- cc
vaux , par des baftimens & des cc
maifons magnifiques ; mais par la cc
bon té de vos moeurs , par le foin ce
des chofes fpirituelles, & par vos cc
bonnes oeuvres. Qui eft-ce main_ cc
tenant d'entre-vous quirefiifero'rt'
de foufcrire au jugement & au fen–
timent de ce grand Saint ? Efcou
tez encare comme parle S. EhrYfoftome
fiir ce fiijet, qui effoit urr
des plus grandsEvefques del'antfquité.
On a mis, dit-il, une difference
de dignité entreles Saints, cc
de forte que l'un eft Evefque, & «
l'autre n'eft que limpie rniniítre: cc
mais c'eft l'opiniaf}reté de la cc
chair , la perverfité du monde, cl
c^t l'operation du diable, qui ont c^
fait que toutes ces chofes font c c-
regardées comme des honneurs cc
& des di g nitez : car en effet cene cR
o

1 6z 7raité du devbir
,, font que des minifteres. Ajoútons
33 á cela ces paroles de faint Jerofine
55 fur eet endroit de íáint Paul : Si
• Timoth, quelqu'un fouhaite PEpifcopat , il
Yb.p. s,
delire une fonftion & une ceuvre
inte. Lors que l'Apoftre appelle
p1'Epiféopat une fon&ion & une
„ ceuvre, il entend une fon&ion la.
» borieufe de fa nature , & non pas
„ une fon&ion de dignité , c'eft une
• peine & non pas un plaifir. Un E-
), vefque ne doit pas s'élever par le
• fafte,maiss'abaiarparl'humilitéy
)) afin qu'il devienne le miniftre & le
ferviteur des hommes pour J. C.
Si done un Evefque eft un fervi.
teur & un minare de l'Eglife, il
faut qu'il vive comme un ferviteur
& non pas comme un Prince , de
peur que le Seigneur ne luy re-
. 34, pro che d'avoir ~mandé a4J&cauthorité
& avec empire.
Aprés tour, fi comme dit noftre
^°A'd^t`•s' Sauveur , 1'Evefque eft comme
une ville placee fur une monta-
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ei de la vie des Evefques.
gne, oú tous ceux qui font afl:ligéz.
doivent fe refugier, fi c'eft une
fontaine publique, oú. tous ceux
qui font alterez doivent érancher
leur foif; fi c'eft un magazin de
toutes fortes de medecines
rous les malades doivent ehercher
leurs remedes: Si un Evefque efi le
do&eur des infenfez, le maif}re'
des enfans, la lumiere de ceux qui_
rnarchent dans les tenebres ,. de
qui les aveugles reÇoivent la lum
miere , les en fans la lcience ,. ceux.
qui doutent le confeil , les pauvres
leur fubfiftance , les veves leur'
p rotedion, les malades leur fanté,
ceux qui font agitez de diverfes
tentations & de fcrupules, le fe.
cours qui leureli neceíl°aire ; car•
la maifon d'un Evefque • doit cifre
1'azile & l'óracle de toute la ville,,
oú á l'exemple des anciens qui fe.
logeoient proche de leur Eglife,
tout le monde doit y avoir une en--
trée libre, le portier ne doit
O ij

.1 6 4 Traité du devoir
rebuter pérfonne : comment efi:
ce que les pauvres & les hom_
mes de baffe condition pou:
ront parler familierement á leur
Pafteur , luy demander le fecours
ou le confeil qui leur eft neceífai-_
re, s'ils le trouvent environné de
tant de valets & de domeftiques fi
leftes & fi richement veftus? Tout
cét éclat & cette grá:deur ébloüit
les yeux du pauvre,elle le renverfe
dés le premier pas de la porte, &
l'ernpefche d'entrer dans la maifon.
Et comment eft-ce qu'un
Evefque qui efI fi grand & fi elevé
s'abaifhera pour parler á ce pauvre
homme ? & comment ce pauvre
fera-t-il affez hardy pour parler á
c ét Evefque, qui á plus l'air d'un
Prince que d'un .Doéteur? Comrnent
, dis je , luy exprimera-t-il
familierement fes befoins , & luy
demandera-t-il confeil ? Il faut
donc qu'un Evefque changé de
perfonnage ou d'employ : car de
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ei^ de la vie des Evefques. 1 6s
I vivre comme un Prince, & eftre
obligé de converfer avec les pauvres,
de traiter en amy & en veritalle
pere les hommes de la plus
ball condition, ce font deux chofes
incompatibles & qui s'aecordent
mal enfemble.
Mais qu'eft-il befoin de tant de
raifons, ou du témoignage de tant
de Peres pour prouver cette verité.
Puis que nous avons tous les
Canons des facrez Conciles , qui
recommandent aux Evefques de
garder cette modeftie ? Voicy les
paroles du quatriéme Concile de
Carthage , oú l'on dit que faint
Auguftin affifta. .Q._te la mai¡on
d'un Evefque foit pauvre , qu'iln'ait
point de beaux meubles , ¿9- qu'id
faje connoifre fa dignité & fon au.-
thorité par fa foy C- par fon merite
Que peut-on répondreá cela ? &
qui eft-ce qui preferera fon jugement
á celuy de tant d'Evefques,'
4dia S. Efprit quipre,üde daras les

66' irqïtddu devoir
- Conciles , & qui en forme les de..
crets ?. Quand nous demandons,
cette modeftie á un Evefque, nous
ne pretendons pas diminuUr fon
authorité , au contraire nous fou_
haitons qu'e.11e ne foit point vaine
& déguifée , & qu'elle ne paroifíé
pas feulement á l'exterieur, qui ne
fért de rien, mais qu'elle fóit foli.
de & veritable,. & qu'il l'acquiere
par fa vertu, fa fageíl'e, fa fainteté,
fa liberalité , fon courage , fa confiance
en Dieu, & fes bonnes oeu.
vres. Car fi felon- le fentiment des
Philofophes & le confentement
general de toutes les nations , il
n'y a que la vertu á qui appartienne
l'honneur, la dignité, l'autorité-
& le refped , paree qu'elle efl la
maiftrefí'e & la Reine de toutes
chofes ; par quel moyen les Evefques
pouront-ils mieux conferver
leur authorité que par l'excellence
de leur vertu & de leur fainteté?
I,'honneur que l'on rend aux rich
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d- de la vle des Evefques. 16-7
çheíí°es , aux habits & au falte , eít
un honneur imaginaire.Donnez d
un cheval des renes d'or il n'en de..
viendra pas meilleur, dit Seneque:
Ainfi les ornemens de la fortune
.ne 'vous rendent pas plus honneíle
hõme. Car cõme parmi 1'oril y en
a de faux & de veritable, parmi les
perles de verirables & de faufi'es,
entre les beautez du corps il y en a
de naturelles & d'artificielles, i1 ne
faut pas s'étonner s'il y a des honneurs
& des dignitez veritables,
que Pon obtient par le merite &
par la vertu , & s'il y en a de faux
& d'imaginaires que Ies fous, qui
ne s'y connoiflent point , attri_
buïrnt aux richeíl'es , & aux biens
delafortune. Ciceron dit, que la
gloire el} quelque chofe de folide,
& non pas une chimere & un ombre;
mais que cette gloire confiíle
dans I'eí}ime que les gens de bien
font de la vertu. Celle qui la c®ntrefait,
& qui tafche de 'uy ref.,
Tufr. 3%

i68 Traïté du devoir
fembler, n'eíl qu'une reputation
populaire qui naiíl; fouvent de la
temerité & de l'imprudence. Elle
corrompt la beauté de la veritable
gloire fous le mafque & la refiera.
blance de l'honnefleté. Méprifez
donc hardiment cette apparence
de gloire qui provient de toutes
ces marques mutiles de grandeur,
qui dans le fonds eít peu de chofs,
qui pafi'e bien viile, & qui eíl de
peu de durée. 11 faut laifí'er cette
forte de gloire aux Princes du fiecle.
Mais á Dieu ne plaife que les
Princes de l'Eglife laiffent les veritables
fources de la gloire, & fe
Eontentent de ces honneurs imaginaires
& chimeriques.
Nous-li.ferrs-dans l'hiílroire des
Machabées , fóus la tyrannie
d'Anthïochus , qui a cité le plus
funefte & le plus malheureux
temps du peuple de Dieu, la religion
fut changée , & toutes les
chofes les plus facrées & les plus
fain tes
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de la ole des Evel °ques. 169
faintes tomberent dans la protãnation,
les Princes du peuple & les
Preflres abandonnerent les honneurs
de leur païs pour prendre
ceux des Grecs & des C=entils : &
la caufe de ce defordre fut que
les honneurs & les dignitez qui
eíloient parmy le peuple de Dieu
ne fe donnant qu'ã la vertu. , ã la
religion , ã la foy & au merite , les
Preflres fe trouvant deflituez de
toutes ces bonnes qualitez` furent
contraints de recourir aux honneurs
imaginaires , aux faux titres
de la vaine gloire, qui font les richeíl'es,
les équipages & toutes les
pones du Paganifine. Ne fcaiton
pas qu'il y a cette differénce
entre les Princes du fiecle & ceux
de 1'Eglifé , que l'autorité des
Princes feculiers efl charnelle &
terreflre , & celle de l'Eglife eíl
fpirituelle & toute celefle ? Si cela
efl ainh , il n'y a pas de doute que
l'autorité feculiere doit fe foúte-
P

_170 Traité -du devoir
nirpar les biens du monde,8ecak
de l'Eglife parles richeffes du ciel,
-Pourquoy done renverfons-nous
l'ordre; de la nature ? Pourquoy
empruntons-nous des étrangers ce
que nous avons chez naus ? Pourquoy
changeons-nous des biens
eternels á des biens temporels qui
perifl'ent en un moment ? Pourquoy
meflons-nous les chofes humaines
avcc les divines? Pourquoy
quittons-nous noílre bien pour
prendre celuy d'autruy ? & pourquoy
faifons-nous comrne des
traiftres& des deferteurs qui aban..
donnent le camp & les armées du
Séigneur pour s'enroller fous les
enfeignes de fes ennemis ? Mais
qu'eílr-il befoin de faire cette difference-?
Nous -voyons dans l'an.
tiquité non feulement des Evefques
, mais plufieurs Princcs feculiers
qui ont méprifé le falle & le
-luxe, & qui n'ont affermi Lleur autoricé
fur d'autres#-ondetnens que
fit
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d,delaviedes Eve^°grces, 17
ftti la modeftie & fur la fobrieté,&
les ont regardez comrne les principaux
ornemens de la royauté.
Il ne fant que lire 1'hif}oire des La.-
cedemoniens, & l'on yerra que la
piufpart leurs'Rois ne fe font
acquis de l'autorité fur leurs fu_
jets que par leur courage, leur prudence,
leur juflice & leurs autres
vertus , & non pas par de l'or, de
l'argent, des perles & une infinité
d'autres -bijoux. Plutarque nous
apprend , que lors qu'Agefilaüs
eftoit á 1'armée , il rí'avoit pas du.
meilleur lit que les autres foldats,
& qu'i] difoit ordinairement qu'un
Prince ne devoit pas fe mettre au
defl'us de fes fujets par la rnolefí'e
& par les plaifirs , mais par fa temperance-&
par fon courage. Ne
pouvons-nous pas croire la incline
chofe d'Alexandre le Cr.ind , ce
Monarque de I'univers , qui aprés
avoir remporté la -vidoire fur les
perfes, voyant dans la, maifon de
P i j

:172, 7raité du devoir
I^arius fes beaux meubles , fon lit,
fes tables , & tous fes ornemens
magnifiques, dit á ceux de fa fui..
te : A quoy cela fert-il pour regner?
Cette parole fit bien connoiítre la
nlodeítie d'Alexandre , & il me
femble qu'elle nous apprend bien
que rien ne doit eítre plus éloigné
de la dignité &_de la charge d'un
Prince que de s'adonner ainfi aux
plaifirs & au faite. Aprés cela il
n'y-apas fujet de s'eítonner fi Darius
fut vaincu par Alexandre.
Voila ce que noius apprenons dans
les livres profanes ; les hiítoires
facrées ne nous en apprennent pas
moins. Philon le plus éloquent
çles Iuifs nous apprend dans la vie
vie de de Moyfe,qui fut le premier Prin-
24°'t°`' L' ° ce & le premier conduét.eur du
4.i
peuple d'Ifraél , & qui fut mis en
;cette place de la main de Dieu, &
non par le choix des hommes,
que de tous ceux qui ont regné, il
a eíté le feul quin'ait poinz,ámaG
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cie vïe des Eve^ques.• 17.1
fé d'or & d'argent, qui n'ait point
exige de tributs, qui n'ait point
bafti de Palais , qui n'ait point acquis
d'heritages, qui ait efté fans
valets & fans revenus , quoiqu'it:
peuft aifément avoir toutcs ces
chofes en abondan-ce ;, mais il regardoit
ceux qui admirent les richeffes
de la terre comme des efprits
pauvres & mediocres , il mé=
prifoit ces bien's 'comme de pures
chimeres , ilne portoit jamás de
ces habits de theatres dont les
Princes fe parent fi fouvent , fa
fason de vivre fut totijours
ple & frugale comme celle d'un
particulier, il ne ñt jamais le Roy
que par des a&ions veritablement
Royalles , c'éft-a-dire , par fa con..
tinence, fon courage, fa fobrieté,
fon adreffe , fa prudénce, fa fcienr
ce , fon induftr're, fã patieríce , fa
juftïce, en méprifant la volupté,-,
en exhortant les autres á la vertu,
en reprenant juftement les pe^
p iij;

1 7¢ 7raitç dza devoir
clleurs, en donnant des loüanges
& des recompenfes aux gens de
bien. S'il eft donc vray que la
plufpart des Princes temporels
qui n'ont point. connu Jefus-
Chrift, & qui ont vécu dans les
tenebres de 1'infidelité & de 1'ido_
l átrie, ont eflé.. dans ce fentiment
par la feule lumiere de la raifon na
turelle : Pourra_t-on fouffrir
qu'un Evefque qui efi; le Vicaire
de Jefus- Chrift fur la terre , & de
Jeíus-Chrift pauvre, ,8i qui nous
commande par fon exemple de
meprifer les biens dé ce m onde,
tienne tous les jours une table
magnifique , ait des bufets d'or
& d'argent , & des troupes de lá=
quais couverts de couleurs & de
li vrées efclatan tes ?
u'on ne nous dife donc plus
ele nous diminuons la: dignité des
Evefqties, lorfque nous leur dé _
fendons cette gloire charnelle &
imlginaire. Nous ne le faifons
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de la vie des Evéfgrtes. 173
pas pour inanquer au refpe& 80-•
pour leur ofter l'honneur qui leur
efl deu , mais au contraire afin
qu'ils poíl'edentla veritable & folide
gloire du Chrif{ ianifite. Les
Apolres-ont eu tour I'honnebir &'
toute la gl.e-ire de 1'Epiicopat ,
neanmoins ils pouvoient dire ces
paroles de faint Paul:Ayant dequoy
nota nourir dcgv.oy nota ve,/tir
nota fimmes cortens , & ces autres
de faint Pitrre , nota n'avons y.i or -117`
ni arga2t, nota voPGT donnr•ns ce que
nota avons. C)n ne peut pis die °
nonplus que faint Martin ait man- mar
-qué
d'autoritc;-, Iuy que 1'Eglifei
égale aux Apoítres. Vbicy ce°
que Severe Sulpice nous`en Top_
porte dans fa vie : Eftant fait Evef- er
que de Tours il perfevera dans la ccmefine
pieté -oú i1 avoit vefçet •-, il cc
conferva la inefine hirrnilité , il ne cc
prit point de plus beaux habits ce
que ceux qu'il avoit auparavant, cc
enfin i1 remplit fi bien fa dignité c^
P iii1

Saint
A uguftin,
1 7 6 ?'raité du devoir
qu'il ne perdit ríen de 1'obfervan_
» ce & de la regularité d'un Reli_
gieux. Poffidius rend encore ce
témoignage de la frugalité & de
la modeílie de faint Auguílin dans
33 fa vie. 11 eut , dit-il , une table
33 frugale & modefle , fur laquelle
» on fêrvoit quelquefois des viandes,
mais feulement pour les fiar_
» venans & pour les malades , car
» l'ordinaire n'eíloit que de légu-
>3 mes. Il n'avoit pour toute vaifélle
d'argent que des cuilleres , le
refle eíloit de terre , de bois ou de
marbre.Cen'efloit pas que la pau..
» vreté l'obligeafl d'en ufer ainfi,
mais c'eíloit parcequ'il le vouloin.
33 Neanmoins eílant á l'extremité
de fes jours il ne fit point de teflament,
paree qu'ayant donn é tour
» fon bien pendant fa vie , & eflant
devenu pauvre pour l'amour de
» 3efus-Chrifl , il ne luy refta rien
a> aprés fa mort. Cependant cet
liumme fi modefte, & qui faifoit fi
pe
de
&
l'A
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6` de la vie des ,Eve f `q^ues. 177
peu de dépenfe pour 1'entretien
de fi maifon , -eut tant d'autorité
& de credit qu'il delivra toute
1'Afrique d'une infinité d'herefies.
On ne fcauroit exprimer avec af--
fez d'admiration les prodiges que
fit ce genereux deffenfeur de la
verité. I l renverfa 1'heretique Paf-.
centius de la fexe des Ariens , que
fon autorité & fa puifhance
avoient rendu formidable dans le
monde. Il tourna en ridicule les
fables & les faufl'etez des Mani_
chéens, & il fif1 connoiftre á. tout
le monde l'impureté de leurs myfteres.
Il défit & ruïna entiere_
ment les Donatiftes & leurs circoncellions
en diverfes rencontres.
Son dernier combat fut
contre les Pelagiens, á qui il fit
perdre tout le credit & toute l'ef_
time qu 9ils avoient acquis parmy
le peuple. Enfin il effaÇa dans cet_
te Province les ref}es du Paganifme.
Et pour faire toutes ces mer-

73 Traité azu devoir
veilles il ne fe fervit ni d'arnkes , ni
de violence, ni de troupes de foli
dats, mais ce fut avec l'épée fpiri.
tuelle , je veux dire la parole de
Dieu, & les armes des Apoílres3
qu'il remporta pour la gloire de
1'Eglife & de Jefus-Chrií} tant de
vidoires & de triomphes. Nous
ne pouvons pas oublier en cette
rencontre faint l3azile.. Car en ef_
fetne fuft-ce pas luy qui l'efpace
de tant d'années combatir pour la
foy de l'Eglife contre 1'Empereur
Valens, & n'eut jamais d'autres
fecours dans cette fainte guerra..
du'une force d'efprit invincible,
une fainteté de vie admirable , &
un mépris du faíle & de toutes les
pompes du fiecle ? Il n'y cut,
jamais d'homme plus frugal dans
fa vie &. dans fon veíle.ment..
Nous apprenons qu'il n'eut.
jamais qu'une tunique pour fe
couvrir, qu'il couchoit fiar la terre
, & qu'il veillait les nuits toutes
3
, Bazils,
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dé la vie des Evefques. 1.79+1
entieres ; enfin qu'il mourut parceque
fon corps eftoit confumé
par 1'ábftiiience , & qu 9il ne Iuy
reítoit que les os & la peau.
Saint Exupere a mené une vie
toute pareille. oicy ce que nous r`re,
en rapporte faint Jerofine : Saint
Exupere Evefque de Touloufe s<
imite la veuve de Sarepta , il foufre
la faim pour nourrir les autres,
fon vifage blefirle á caufe des j euf_
nes marque qu'il eft extenué par
lafaim de fonprochain plus que
par la fienne.. 11 a donné tout ce u
qu'il pofledoit ^pour Jefils-Chrift, «
^ aprés tour cela il n'y a perfonne
firiche que cet homme, qui porte „
le Corps de Jefils-Chrift dans un C 6
panier d'ozier & fon Sang dans un C6 .
vaze de yerre. Marchez fur les «
veftiges de ce grand Evefque &
de tous les autres qui ont imité fes
vertus , que 1'Epifcopat á rendw
plus _humbles & plus pauvres,
u'y a. t-il de plus niexveilleuxcfue
fai n t F.xu

1 8o Traité da devoir
cetexemple, & qui eflr-ce qui ne
feroit épouvanté de voir le corps
du Seigneur que les Auges n'oíe_
roient toucher porté dans un panier
d'ofier ? II falloit que l'amour
de ce faint Evefgtte pour jefus-
Chrifi fufi bien ardent ? Car com,
mét eflr-ce que celuy-lá eufi épar_
gné de fon bien , qui n'épargnoit
pas les chofes les plusfaintes ? Et
comment efi-ce que cet Evefque
euft entretenu une maifon magni_
fique,qui pour vefiir les pauvres &
les miferables dépoüilloit jufques
aux Autels ? C'eft ainf que ces
faints Evefques en extenuant
leurs corps par la fobrieté & l'ab_
íiinence ont defendu l'Eglife contre
les Rois de la terre. Plufi á
Dieu que nous pufl'ions feulement
conferver ce qu'ils nous ont acquis
par tant de travaux & de peines.
Le moyen le plus affeuré
pour en venir á bout , feroit deniarcher
fur leurs pas. On con-
fe
j-l
qu
on
pü
Em
pa
ba
n'a
d'u
pa
po
fa
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q
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te
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^^ de la vie des Eve%ques. i8t
'erve l'Empire, dit un celebre
E-liftorien , par les mefines voyes
qu'on l'acquiert. O q.nd ceschofes
ont manqué , Rome mefine n'a
pü fubfifler long-temps. Et cet
Empire formé par le travail &
par la faim que la cruauté d'Anni_
bal & les guerres les plus funef[es
n'avoient pf ébranler , a efté tout
d'un coup renverfé par le luxe &
par l'opulence.
Qu'on ne nous obje&e done
point contre l'exemple de tant de
iaints Peres , que les temps ont
changé. C'eft de cette réponfe
que fe flattent ordinairement
ceux qui ayment :les biens & les
depenfes fuperflues. Elle meriteroit
que l'on y euft quelque égard
fi la fortune des pauvres eftoit
meilleure , & fi les mceurs des
hommes efroient changées comme
les temps. Mais puifque maintenant
les -pauvres fouffrent la
mefine pauvreté , que les mceurs
" Chang®;
menc de
cemps.

1S z T r,aitd du devoir
des hornmes font corrompuls
comme elles eftoient autrefois,
qu'ils ont la merme ambition , la
mefme avarice , le mefine luxe , le
mefine faite , la mefine intemperance,.;
Pourquoy n'appliquera-ton
pas le mefine remede aux mef_
mes máladies ? 11' eft certain que
la corruption de la nature, que
nous contraétons par le peché
'Pechéorioriginel
, eft la fource de tous les
maux , & qu'elle n'a pas feulement
efté infeétée de cette corruption
; mais qu'elle a efté vendu^
ál'iniquité pour eftre efclave
du peché , & qu'elle eft devenu¿5
le principe & la femence de tous
les vices. Les oeuvres de la chair
dont l'Apoftre fait mention dans
`G.'• s• 1'Epiftre aux • Galates , fónt les
fruits de cette mal=heureufe f^menee
: Lafornication , 'l'impuretl,
l'impudicité ,la diffolutzon , l'idolatrie,
les empoi fonnemens , les znimiles
di^ntion; : les jaloufes ,les
dn
fan
me
bau
ch
vic
leu
áto
plo
pr
ro
, pri
tem
na
ro
qu
ap
te
fa
fe
ne
fi
ru
qu

de la vie des Evefques. 183
,tnimojte., les querelles , les divifons
, les herejes , 'les envio; , les
meurtres , les yvrongneries ., les débauches
autres fimblahlcs. ^La
chair eít la racine dont tous les
vices & tous les pechez prennent
leur origine.Nous fommes enclins
á tous ces maux fi fiineítes& fi déplorables.
`Le Seigneur nous 1'apprend-
dans la Genere par ces pa- c^^r.. a,
roles. Le ccrur de:l'homme & f `on e%
prit fót enclins au mal dé; fa jeuneffe.
S'il eít done vray qu'en ce
temps oil nous fommes , la mefine
nature de l'homme fubfifte cor.-
rornpué par le mefine peché ,
quoy révons nous lorfque nous
apportons le changement des
temps pour excufe ? Il eft necef
faire que les mefines caufes
fent to új ours de mefine. , & enclinent
á mefme fin. C'eit pourquoy
fi ce font les mefines pechez qui
ruïnent aujourd'huy l'Eglife, &
que les venus qui leurs font op-,

i84 7riité du devoir
pofées ne foient point changées.
tI faut apporter aux,mefines maux
les mermes remedes. I1 ne faut
pas furmonter le falle par le falte;
le Iuxe par le luxe , les richefes
par les richefFes , les plaifirs par
les plaifirs; mais il faut deflruire
le faite par l'humilité, le luxe par
la fobrieté , l'avarice par la pau.
vreté , les delices & les plaifirs
par l'aufterité de la vie. Car
comme un feu n'efl jamais éteint
par un autre feu , mais avec de
l'eau qui luy eft contraire , le
faite ne fe diflïpe pas par le fafte
, mais par la fobrieté & la mo.
deftie. Aprés tour cela fi vous
m'oppofez encore le changement
des temps , j'y confens volontiers,
pourveu .que vous reconnoifliez
qu'ils font changez en pire. C'eft
ce que perfonne ne revoque en
doute. Et fi cela eft ainfi , il eft
julte que la ,maladie eftant plus
grande , on luy applique un plus
grand
g
ti
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6» ele la vie dés Evefquer. 1S5;
grand remede. Done la corruption
de noftre fiecle eftant plus,
grande que celle des temps pre_
cedens, nous avons befoin d'une
plus grande fainteté , par le prin_
cipe qu'il Put que la grace f'urpaffe Ra^• íi
le peché. uel eft l'homme afl'ez
infenfé pour ne pas reconnoiftre•
que tous les vices du monde ont
augmenté dans la fuite des terñps?-
uand eft_ce que tant d'herefies
ont troublé le repos de 1'Eglife &
l'ont prefque renverfée ? QuáncL
eft-ce que le luxe , l'avarice, l'ambition
,,la: convoitife , les plairs4= f
le jeu, les feftins, les habits & tous‘
les autres inftrumens de la cupidi_
té, & la cupidité mefine, qui eft.:
la fource de tous les maux , ontcommencé
á fe déborder dans le:
monde ? Qzand eft - ce que les -
Princes de l'Eglife & fes miniftres,
qui devoient apporter le remede
á tous ces defordres ont degeneré •
des anciens peres , fi ce n'eft dans

186 7raité du dcvoi'r
le malheureureux temps oil nous
vivons ? Car foit qu'on regarde
la probité, l'iníf rudion des fidel_
les, les aumofnes, lafobrieté, &
le courage des Paíiteurs pour def__
fendre leur troupeau , nous ne
voyons rien dans les Evefques
d'aujourd'huy qui refl'ente l'anti_
quité. Enfin, fi nous en voulons
croire faint Cyprien , plus le monde
approche de fa fin , plus il fem.
ble que la vieillefi'e l'accable & le
faífe aller toújours de pis en pis.
Efcoutez je vous prie les paroles
» de ce P ere contre Demetrien.OiY
voit moins de laboureurs á la cam-
» pag ,ne qu'il n'y en avoit autrefois;
moins de matelots fur la fuer,
moins de foldats dans les armées
)) moins d'innocence dans le bar-
» reau, moins de juflice fur les ni-
', bunaux desJuges, moins de f}abi-
» lité_dans les amitiez , moins d'a-
» drefí'e dans les arts, & moins de
» difcipline dans les mceurs. PenfezR
v
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g
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p
m
n
f
c
p

Éi de la vie des Evefques. i g7'
vous qu'une chofe q'úi- vieillit`cá
pude avoir la mefine vigueurcc
ql-t'elle avoit dans fa premiere jeta- 'cc
nelre ? ' Les chofes diminuent á'rc
proportion qu'elles approchét de cc
leur fin.Le foleil ceíuchant n'a pas cc
des rayons fi penetrans ny fi vifs, cc
que lors qu'il fe leve. La lune ne 'cc
luit pas'fi bien lors eílr dans cc
fon decours, que `lors qu'elle eft'c,
pleine. Un arbre qui ef}oit extré- 'cc
mement vert & fertile en fa jeu- cc
neffe, devient tout jaune& tout,cc
fanné quand il eft vieux. Les four =cc.
ces mefines d'eau vive ne coulent a
pas avec la mefine abondance. cc..
qu'elles faifoient dans leur pre3c,
miere orig-in-e. C'eft 'une'loyfque°cc.
Dieu a impofé au monde , que'cc
tout ce qui prend naiffance vieil lit cc.
& tend á fa fin ; les chofes les plus c c.
fortes s'añóiblifhent', les grandes
deviennent petites, & en fin eftant cc.
affoiblies & diminuées elles finif- c^
fententieremenve Mais no=ls c ^
e

188 7raitd du devoir
vons pas befoin de faint Cyprien
pour eftre convaíncu de cette verité,
puifque les écrits desApótres
& des Evangelifies nous aver.
tifl'ent ; Q\e dans les derniers jours
ál viendra des temps facheux , ois il
y aura des hommes amoureux
mefmes , ors l'iniquitd abandera , ^,ry
la charité fera refroidie. S'il efl
done vray que les maux ayent aug.
menté dans la fiúte des fiedes, il
en faut conclure que ceux qui font
prepofez en ce temps_cy pour y
apporter le remede , ont befoin
d'une vertu plus extraordinaire,
d'une prudence, d'une vigilance,
& d'une exaditude plus grande
que dans les premiers temps de
1'Eglife. On a befoin d'un meilleur
pilote quand la tempefie eft
plus grande, d'un meilleur mederin
quand la maladie eft plus dangereufe
, d'un meilleur capiraine
quand la refif}ance des ennemis
xend la vidoire plus incertaine,
N
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&
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d- de la vie des Evefque.r. I$9"
Mais enfin pour empefcher tous
les doutes qui pouroient encore
vous reíter fur cette verité, & que -
ron ne nous dife que nous la prou_
vons feulement par des raifons humaines,
par l'autorité des Peres
& par des Canons d'anciens Con_
ciles, qui fónt Maintenant abro_
ciez & hors d'ufage , écoutez je
vous prie le decret du Cone,iIe de
Trente fur ce filjet, qui a elle tenu
en nos jours pour reformer les
mceurs des Chreítiens, & voyez
aprés cela s'il vous reí}e quelque
pretexte & quelque excufe pour
ne pas faire voítre devoir. Il faut seffi e„ ,5;
fouhaiter, dit ce Concile , que ceux
qui fe chargent des Evefches fient
bien inf ruits de ce qu'ils ont faire,
^^ qu'ils f achent qu'ils ne font pas
appelle& á ce minif ere pour leur con•r..
m2ditd particuliere , pour Ore ríches
^ pourvivre dans le luxe d. l'abondance,
mais pour travailler pour
avoir foin des fzdelles. Ear a pas

es font ab folument necefaires pour
i90 T'raité du devoir •
de doute que les peuples n'ayent plus
d'ardeur pour la religion l'inno_
eence, s'ils voyent que ceux qui les
gouvernent fongent plus á leur falut
¿9-_á leur procurer le Paradis qu'aux•
bien de ce monde. C'efi pourquoy.
le faint Concile voyant que ces chof
le rétablifíement de la di fcipline
.Ecclefaflique, avertit les Evefquesde
faire-en forte par leurs aFlions ^i^
par lcur bonne vie ,qui doiventeftre
comme une predication perpetuelle
qu'ils font á leurs peuples,que chacan
juge qu'ils f^nt capables de l'employ
auquel ils • font appelle^: ^
principalcmentqu'ils -difporent fi bien
lcurs mceurs leur conduite , que
tout le monde les regarde (anime dér,
exemples de frugalité , de modeflie,
de continence , particulierement
d'humilité Chreflienne , qui efl une
vertu qui nous rend fi agreables a
.7ieu. C'efl pourquoy fuivant l'exemple
de. nos l'eres dans le CortcilC de

.
•
-
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a
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de
de la vie des Evefques. 19f
Carthage , il ordonne que non feulemmnt
les Eve/^ques feront eontens
de meubles mo eftes, d'une tablc
d'une dépenfefrugale: mais qu'ils aurant
foin qu'en toutes les rencontres,dpartieulierement
dans leur maifon it
ne paro0 rien éloigné de cette fain_
te !al-0n de vivre, qui ne rOire la
fimplicité, le .ele de l'amour deDica,
^irv un mépris- de toutes les a3aniteç.
dufiecle. Voilá les paroles du Concile
de Trente , qui nous donnent
un moyen aíí'uré de ne nous point
tromper fi nous les fuivons exactement.
Je ne penfe. pas qu'il y ait
perfonne qui faíl'e profeílion de
la Religion Chreftienne, qui foit
afíéz infolent pour preferer fon
jugement particulier á celuy de
toute 1'Eglife. Et fi cela eílr aúlfi
un Evefque qui vit avec tant de
fafte, qui fait tous jours bonne
chere, qui a un grand cortege de
valets, .& qui employe fes revenus
, dont iI devroit nourrir les

91 i'raité du devoir
pauvres, á l'entretien de cé
ne fcrauroit jamais fe deffendre
con tre tant de raifons , tant de
paíí'ages des Saints Peres , & tant
de Canons des Conciles anciens
& modernes qui condamnent fa
conduite. I1 n'y a point de raifon
humaine qui pudre refiffer á un fi
grand nombre de témoins. J'ay
voulu vous les exprimer un peu au
long , pour détruire d'un coí}é les
raifons contraires qui font dans
1'Lfprit de tant de perfonnes , &
qui nuifent fi fort á l'Eglife ; &
pour fortifier de l'autre le cceur
des bons Evefques contre les machines
du monde qui font fi fort
oppofées ã cette conduite chreícienne.
Car fans faire mention des
raifons que filggere la prudence
humaine qui nous perfuade tout
autre chofe que le bien , & de
T'eílat de la nature corrompa
qui ne nous porte qu'á la vanité &
la gloire, plútoft qu'á l'llumilité &
n
f
e
p

de la vie des Evefques. z93
& á la modeftie ; il y a tant de fai- Gens cjui
neans qui cherchent á faire fortu- s'aCra' Cilenr a
ne, qui s'attachentau fervice des fervice
Evefques, qui ne peuvent reme- des Evef
dier á la necefíité qui les prefi'e, gnes.
qu'en leurinfpirant cette façon de
vivre ; que fi un Evefque n'a 1'ef_
prit muni , & s'il n'ét} fortement
convaincu de ces grandes veritez
dont nous venons de parler, il luy
ef} prefque impofíible de fe délivrer
de l'irnportunité de tous ces
flateurs , qui exigent de luy , pour
ainfi dire, une vie fi corrompu &
fi dépravée. En effet nous voyons
par experience qu'aufli_tot} qu'un
homme eít nommé pour eftre
Evefque , la plufpart regardent
1'Epifcopat comme une proye, on
accourt á luy de tous coftez , les
amis , les coufins , les parens , les
gens de qualité & de credit luv
viennent offrir l'un fon fils, l'autre
fon neveu pour le fervir ; on Ie
prefí'e , on le prie , on le follicite

i9 4 Traité du devoir
en le tourmente de tous coílez
pour luy faire prendre des valets,
afin qu'il ne puiífe s'en deffaire
quid il les aura une fois receus : de
forte que fi un Evefque n'a l'efprit
ferme & invincible , il faut qu'il fe
ladre vaincre á toutes ces importu.
nitez. C'eft ce qui fait que fe trouvantobligé
á tant de charges , &
contraint de faire tant de dépenfes
, il ne luy refle prefque plus
rien pour foulager la mifere des
pauvres & pour fecourir fon
Eglife.
Voilá les parties principales &
les devoirs qui font les plus 'leedfaires
á ceux qui rempliíí-ent cette
fublime dignité & cette charge
prefque divine. Mais paree qu'un
Evefque n'a pas feulement la qualité
de Pafteur , mais celle de Pref.
tre, dont l'une luyTert á l'égard
des hommes , & l'autre á l'égard
de Dieu ; il femble qu'il féroitá
propos de pa rler maintenant des
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6 de la vie des gve fques. r 9
qualitez qui forment un bon'
Preílre. Mais nous eílant ref_
traint dans ce traité á parler feu_
lement du devoir des Evefques en
qualité de Pafleurs il ne nous
reíle qu'á comparer ces qualitez
enfemble pour connoiftre celles
qui font les plus confiderables &
les plus excellentes. Car il me
femble que dans une affaire de
cette confequence, il eft de quelque
importance de difcerner ce
qu'il faut ePtimer plus ou moins.
I1 y a quelques gens qui font
dans cette penfée que le principal
devoir d'un Evefque confiíle á
eflre un juge incorruptible , afin
qu'il termine diligemment & avec
foin les difEerents & les affaires de
fon Diocefe , & qu'il rende á chacun
ce qui luy appartien : & il y a
beaucoup d'Evefques qui ayant
fatisfait á ce devoir croyent que
Dicu ne leur en demande pas da.-
vantale.
R 'J

19 6 Traité du devoir
Il y en a d'autres qui entendant
dire que les Evefques font
les peres des pauvres , croyent
avoir tout ce qui eft necefí'aire
pour remplir cette dignité , parce
qu'ayant pris ce qui leur faut pour
vivre honneítement , ils donnent
liberalément le refle pour foulager
les miferables. Le peuple mefiire
par fon intereft la probité &
la dignité des Princes & des Evef:
ques, & il appelle ordinairement
le plus faint celuy qui luy fait le
plus de bien.
ii y en a d'autres quí regardent
la fonétion de maiflre & de
Do&eur comme la principale
d'un Evefque, & ceux-lá croyent
qu'il eíl particulierement obligé
á enfeigner fon peuple,& á la Predication.
II y en a mefme quelques
uns qui fÇachant que le pro=
pre des Preftresefl de vacquer á la
priere, ont cru qu'un Evefque qui
eft le premier Preftre, eítoitprin,

& de la vie des Eve^ques. 197
cipalement obligé á l'oraifon , &
d'autant plus qu'il ne traite que
des affaires difficiles & au defí'us
des forces humaines , comme le
falut des ames,qu'on procure bien
pluftofl par la priere & par la vertu
de la grace que par les moyens
humains. C'efl ainfi que Moyfe
en qui nous voyons I'image d'un
parfait Pafteur , s'eft acquité de
cette charge par la priere , & en
converfant plus avec Dieu qu'avec
les hommes. Car ayant une
difficulté de langue qui l'empefchoit
de parler , il fe fervoit d'Aaron
fon frere pour faire cónoiflre Está. 4,
au peuple d'Ifrael la volonté de
Dieu, ainfi qu'il luy avoit ordonné.
C'eft par la priere qu'il a fouvent
detourné la colere de Dieu
de defíás ce peuple ; qu'il a impetré
la loy , qu'il a divifé les eaux
de la mer rouge , qu'il a renverfé
les chariots des Egyptiens & tou-
^te leur armée , qu'il a tiré l'eau de
R iij

19 S 1'raité du devoir
la pierre & la manne du ciel , qu'il
a défait les Amalecites , & qu'il a
réporté des triomphes & des tro_
phées fur les nations eílrangeres.
Ce font toutes ces raifons qui
ont obligé quelques perfonnes
d'un merite & d'une erudition qui
n'eft pas á meprifer , á croire que
le principal devoir d'un Evefque
confifle dans la priere. Saint Valerefemble
avoir eflé dans ce fentiment
& avoir fuivi cette pratique;
car ayant donné á Vincent
fon diacre la charge de la Predica_
tion , i l s'employa uniquement a
la contemplation des chofes celefles,&.
a recommander á Dieu le
falut de fes brebis.
uoique toutes ces chofes
foient extremement utiles & tres
necefí'aires á un homme qui fait la
charge de Pafleur , le Concile de
Trente a neanmoins défini, que le
principal devoir d'un Evefque eft
d'enfcigner & de prefcher la pa-

61- de la vie des Eve f `ques. 19 9
role de Dieu. Et certainemenr- sT 14.
ceConcile a eu raifon ,pui [que par- `1'4'
mi les chofes qui font deítinées a
quelque fin , on ne peut les el}i_
mer juftement & en reconnoiftre
le merite ,. que par rapport á la fin
()llenes enclinent. Car plus une
chofe approche de la fin oú elle
tend, & qu'elle y arrive plus faci_
lement , elle eít fenfée drautant
plus utile & plus necefraire. Orla
fin de l'Epifcopat eft telle,que 1'Eglife
veut qu'un Evefque ne la
perde jamais de ve!I & qu'ill áit
toújours dans fa main. C'eftpour
cela qu'il porte toíijours un an_
neau au doigt , afin qu'á 1'exerrY_
ple des juifs á qui le Seigneur
avoit ordonné de porter au bord
de leur mantean des cordons de
couleur d'Hyacintes pour les fai_
re refouvenir de.la loy en les regardant,
les Evefques voyant ce
fymbole dans leurs mains & de.
vant leurs yeux , fe fouvinfent:
R iii¡

200 Traité du devoir
qu'ils font les époux de 1'Eglife
avec laquelle ils doivent engendrer
tous les jours de nouveaux
enfans fpirituels. Ces enfans fpirituels
font la fin de ce mariagefpiri.
Csr.4. tuel,felon S. Paul: Carquand vous
aurie&,dit_il aux Corinthiens,dix_
mille maiftre.r en Iefus_Chrifl, vous
n'ave( p‘r,s neannaoins plutieurs peref,
puifgque c'eflmoy qui vous ay engendrek
en Iefus-Chrifl par l'Evangile.
Done la fin du devoir d'un Evefque
eft la propagation fpirituelle
des enfans , c'eft-á-dire la converfion
des pecheurs & des impies
, qui fe fait par le miniftere de
la predication de la parole de
Dieu , par laquelle nous luy gagnons
des ames , nous rendons
l'Eglife feconde , & nous 1'enrichifí'ons
tous les jours d'une multitude
d'enfans.
Perfonne ne doute que le minifterede
la Predication ne conttribui:.
le plus á obtenir cette fin:
to
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é. de la vie des EveJ`quel. iot
tous les autres y concourent de
mefine, mais ils n'en approchent
pas de fi prés. Car d'exhorter les
pecheurs , & de rappeller aux
exercices de la vertu ceux qui font
plongez dans les vices , c'eft veri_
tablement travailler á la genera_
tion fpirituelle , c'efr engendrer
des enfans áJefus-Chrift par la femence
de la parole celeíte. Les
Apoílíres qui eítoient remplis de
1'Efprit de Dieu nous 1'ont manifef}ement
enfeigné par leur exem>
ple : puifque laiffant Ie foin des
véuves & des pauvres á des hommes
choifis exprés , ils s'adon_
noient entierement á la priere &
á la charge de prefcher & d'enfeigner
les autres.
Le quatriefme Concile de Carm
thage qui les a fuivis, ordonne que
les Evefques donneront le foin des
veuves & des orphelins auxArchi_
preíires & aux Archidiacres , &
quepour eux ils s'appliqueront en=

l ejz ?raité du devoir
tierement ã la le&ure ,á l'oraifon,
& a la Predication ; afin qu'ils en_
feignent au peuple la vertu & la
religion , en commettant les petites
afFaires aux moindres miniftres
de l'Eglife, & les grandes ã ceux
qui font dans un degré plus elevé.
11 eft certain que les chofes fpiri_
tuelles font plus confiderables
que les corporelles, c'eft pour.
quoy il en faut laiíl'er le íbin ã des
miniftres plus élevez. L'Apoftre
faint Paul n'abandonna pas feulement
le foin des chofes qui regar- •
den t le corps , mais mefine 1'adminiíl:ration
des Sacremens, afin de
vacquer uniquement ãla Predica-
^ Cír. tion. C'eft pourduoy il dit que
Jefias-Chriíl nel 'a pas envoyé pour
baptifer, mais pour prefcher l'Evangile.
Et nous voyons que cela
n'eíf pas arrivé ainfi dans la nouvelle
loy feulement,mais dans 1'an.
eienne qui eftoit toute charnelle.
Jethro qui eítoit le beau_pere de
M
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^ de la vie des I'vef `ques. xo;
Moyfe luy donna ce confeil de t..d.ts,
commettre le jugement des affaires
feculieres á des hommes de
moindre confideratíon , & de
prendre par luy- mefine le foin du
peuple pour ce qui regardoit
Dieu , & luy enfeigner les ceremonjes
& le culte qu'il luy devoit
rendre. Ne voyez-vous pas que le
foin de la doc`trine & de la religion
eíl commis á Moyfe, comineau
fouverain Pafteur, & que les contef}ations,
les procés & les affaires
feculieres , qui eflroient indignes
de ce grand larelat de l'ancienne
Loy, fónt renvoyévs á des hom_
mes moins confiderables que luy 2
La plufpart des Prelats denoftre
temps font tout le contraire : car
leur foin principal eft de s'occuper
1'efprit de procés & d'affaires temm
porelles, & de laifl'er prefcher la
parole de Dieu á d'autres, comme
fi cela ne les regardoit point. Que
peut-t-il y avoir au monde de plus

ta, f,
5,04 Traité du devoir
monítrueux que ce defordre ? Car
fi l'Apoftre nous avertit dans les
differens que nous avons tou.
chant les affaires de cette vie , de
prendre pour jtiges dans ces matieres
les moindres perfonnes de l'Egli fe :
Avec quel front ceux qui font
élevez aux fouverains degrez de
YE^life , qui font les Vicaires de
Dieu fur la terre, qui font particulierement
deftinez pour les
chofes fpirituelles, & pourrendre
les hommes en quelque faÇon di_
vins & fpirituels , s'abbaifí'eront_
áls á des affaires de neant , en quittant
le minií}ere de la predication
de 1'Evangile ? Un homme íéroitil
fupportable, qui voudroit que
fes pieds fiíí'ent ce que doivent faire
fes yeux, & fes yeux ce qui eít
de la fon&ion de fes pieds ? Mais
vous me direz peut-eftre , comment
fera celuy qui n'a pas la faculté
de parler en public, qui l'a
eué autrefois , mais qui l'a perdu
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:
1
ej. de la vie des Evefques. zos
due par une maladie , ou parquel_
qu'āutre accident ? Croironsnous
qu'un homme qui a toutes
les autres parties neceiaires á un
Evefque manque de la principale,
parce qu'il ne fÇauroit parler ? I1
faut t ā.cher de vous répondre a
cette obje&ion, autant qu'il nous
fera pofí'ible. Premierement, celuy
qui eft privé de cette faculté
peut choifir des miniftres capables
de prefcher , les rechercher
exa&ement, & les diftribuer en
differens endroits , afin qu'au
moins il fatisfail'e par ce moyen en
plufieurs lieux á un devoir dont il
ne pourroit par luy- mefine s'acquitter
qu'en un feul ; & en cela il
imitera les generaux d'armées,qui
quoiqu'ils ne combattent pas
toujours en perfonne , commandent
neanmoins á ceux qui fe bate
tent, & fubftituent d'autres fol_
dats á la place de ceux qui font fatiguez
, & rendent par ce moyen

2.o6 Traité du devoir
plus de fervice que s'ils combattoient
par eux-mefines. Saint Valere
Evefque d'Hippone fe fervit
ainfi du miniftere de faint Augu_
ftin; & un autre faint Valere Evefque
de Sarragoíí'e , dont nous
avons parlé cy-devant , fe déchargeoit
de fes fondions fur fon Diacre
nommé Vincent, qui fut depuis
un tres- invincible martyr de
Jefus - Chrift. je pourrois rapporter
1'exemple de quelques
Evefques de noftre fiecle qui
en ufent de la forte , & qui font
des dépenfes extraordinairespour
entretenir des predicateurs , qui
enfeignent la parole de Dieu á
leurs peuples. Ainfi pour un predicateur
qui manque en la perfonne
de celuy qui n'a pas le don de
parler facilement en public, un
bon Evefque en pourra fiibftituer
Mcchode .plufieurs.
de pcef. Quánd je demande avec tant
d her. de toin que les Evefques s'appli-
I
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P
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^ de la vie des Evefquet: zo7
quent ã la predication , je n'en_
tends pas cette maniere de pref_
cher en déclamateur, qui eft auourd'huy
fi fort en ufage, quoi_
'que je ne vouluffe pas entiere..
ment la blafmer. Car Pon prefche
d'une maniere qui a perdu toute
la force & la vigueur qu'elle avoit
autrefois. Cela s'eft fait ainfi par ,
une mauvaife coútume qui dure
depuis long-temps , & par la faute
des predicateurs qui ne regardent
qu'á fe faire de la reputation, & ã
eílre bien fuivis ; par le peu de foin
que les peuples ont de leur falut,
qui ne recherchent que ce qui
flatte leurs oreilles, qui ne deman_
dent que de belles paroles , & qui
s'embaraíhent peu des chofes for_.
tes & puifl'antes qui feroient capables
d'enflammer leur coeur de
1'amour de Dieu. Ainfi il ne faut
pas s'étonner fi l'on entend des
Predicateurs ianguifl`ans , qui ne
parlent que pour plaire & nu11e^

»8 Traité du devoir
ment pour cdifier, puis qu'autre
fois on n'écoutoit pas autrement 1
les Prophetes qui eftoient remplis
de l'Efprit de Dieu. C'eft ainfi
que le Seigneur parle au Prophete
EzechieI : Ils entendent ce que vous
fitL«h:w3f leur dites, & ils n'en font rien, ils
regardent vos difcours comme des
ehanfons, dont le fon leur paroifl doux
6, agreaólc.V oilá commét la pluf.
part des hommes font faits dans
ce fiecle. Ils vont au fermon comme
á la comedie, & ils regardent
1'Eglife & la chaire evangelique,
comme le theatre oú le Predicateur
jouU fon perfonnage, & oú la
verité n'eft qu'en reprefentation.
C'eft pourquoy je delire uneautre
fason de prefcher dans les E-
vefques. Elle leur donnera moins
de peine , & elle fera plus utile :
car la predication n'eft pas pour
plaire aux oreilIes , mais pour gagner
le cceur des auditeurs. I1 eít
certain que lors qu'on en demeure
aux

. & de la vie des Evefques. say
e. aux maximes generales de la mo_
nt f^ rale cela ne touche perfonne. II
is faut qu'un Predicateur defcende
fi dans le particulier , & qu'il exa®
te mine les circonftances de chaque
us peché & de chaque verte,
ls Qii'un Evefque donc prenne
es cette maniere de prefcher que
x l'Apoftre faint Paul a fuivie preff.
que toújours á la fin de ces Epa_
s tres ; oil. nous voyons qu'il inftruit
, les hommes felon toutes fortes.
t d'eftats , quelquefois les enfans,
e, quelquefois les peres , les fervia-
teurs ,. les majares , les maris ,.les
la femmes, les vieux, les jeunes,enfin
. il enfeigne tout le monde felon fa
- Eondition ; & c'eft ce qu'il recomA
- mande á Tire. Maais pour vorm, adri::. tg.
s luy dit-il,inflrui fekvoflre peuple d'u-
: ne maniere qui • oit digne de la faaine
r dodrine. Enfeignen aaux vieillards
- á Ore foóres , honrtefles, moderen, 6-..
ít a fe con f rver purl dans la foy ,. dans:
e la charité, & datns la paatience. Ap..
x &

210 7rdité du devoir
prenex^ de mefine aux femmes avancées
en áge á faire voir dans tout leur
exterieur une modeftie digne de leur
faint efiat. C'eí}ainfi qu'un Evef.
que pourra traiter en particulier
dans fes íérmons les devoirs de
chaque vertu , & exhorter fes
peuples avec une charité paternelle
á la priere , á la ledure des
livres de pieté , á écouter humblement
& attentivement la parole
de Dieu, á la frequentation
des Sacremens , á la maceration
de la chair , au foin des pauvres, á
entretenirla paix , á la chanté entre
les freres , mefme contre leurs
propres interefts , á fe garantir de
toutes forres de vices , & principalement
de la medifance , de la
haine , des intrigues , des-ufiires
des regards & des attouchemens
deshonneíl;es, & de la mauvaife
coutume de jurer & de blafphe:
rner le nom de Dieu.
11 faut encore qu'un Evefque

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& deldvie des Eveflue3. rYr
apprenne á fes peuples á fe con_
feíTer , & qu'il leur enfeigne Ia
preparation qu'ils doivent appor--
ter pour recevoir la fainte Euchaxiílie,
Cela eíi de la derniere importance
, & ce devoir sgeftend.
bien loin. Car il faut qu'il leurfaíl'e
connoiftre par le mefine
moyen le filence & le refpea
qu'ils doivent garder pendant le'
divin fervice , l'inítru&ion dans la
pieté Chreftienne qu'ils doivent:
á leurs enfans & á leurs ferviteurs,
la promptitude avec laquelIe
faut refiífer aux tentations du de_
mon , enfin le foin avec legue' ils,
font obligez tous les jours, de faï..-
re l'examen de leurs moeurs & de'
toute leur vie. Il pourra faire toutes
ces chofes par l'autorité de l'écriture
fainte ., les témoignagesdes
Saints Peres ,. les exemples,.
les fimilitudes , & une infinit&
d'autres figures qui font quelquefois
perillas aux Predicateurs,.
S ij

n. T;moth.
ch. y,
IIY Traitt du devoir
Car on voit dans la predicado/
que quoique Pon prouve toú_
Jours la mefine verité , il femble
neanmoins qu'on dife quelque
chofe de nouveau. Pour moy je
fuis dans la penfée qu'il faut que
tout cela fe prononce d'un ftile &
d'un difcours qui ne foit point
ernpoullé, & qui ne refl`ente point
le declamateur, cela rend la pre_
dication plus grave & plus utile.
Car fouvent il arrive que le foup_
son qu'ont les auditeurs des artifices
d'un orateur , les empefche
d'ajouter aucune foy á fes paro=
les. Voilá ce qui regarde les Predications
publiques aufquelles un
Evefque eft ohligé.. Mais outre
cela il y a des entretiens particuliers
, des advertiífemens , des
confeils, des correc4ions , & •des
reprimandes á faire en fecret, fe-
Ion ces paroles de faint Paul. Reprenez
, ftippliek , menacek , fans
zrot4t laja jama%s de les tolerer
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:
^ de la vie des Rvefquel: 111
de les infiruire. Il y a encore les
confeffions fecrettes des pechez,
oú fes avertifíémens & fes confeils
peuvent beaucoup fervir, & d'autant
plus qu'en cette rencontre
l'efprit du penitent par foy-mef..
me & par la vertu du Sacrement,
ef inieux difpofé á les recevoir,
Celuy qui fe define á cette fonm
&ion eít un vray Maiftre & un
vray Minifre de 1'Eglife. - 11 voit
fouvent les miracles que Dieu
opere dans le fecret du cceur des
hommes, qui le raviíí'ent luy-mé<
me d'admiration & le font changer
de vie..
I1 faut encore qu'un Evefque
appelle á foy fes Ecclefiafiques
de temps en temps , en particulier
& quelquesfois en general, pour
les avertir de leur devoir ,. ainíi
que fit autresfois le faint Roy Eze
chias;, qui ayant fait venir les Preflres
& les Levites , leur dit ces pral.
p aroles.. ,Mes enfans , ne fo, ye^, pas 2 ' `h,:9,.

iI
2r4. Traité du devoir
negligens : le Seigneur vous a choifis
pour Ore debout devantluy , pour le
fervir, luy rendrc le culte qui luy o
deu , pour brüler l'encens en fa
prefence. Si ce Roy tres-pieux excitoit
ainfi les miniffres de Dieu a
s'acquiter de leur devoir, que ne
doivent point aire les Evefques,
qui font fpecialement prepofez
pour avoir foin de la religion
Toutes ces chofes nous font bien
voir quIn Pafteur peut plus aifément
qu'on ne penfe s'acquiter de
la charge d'enfeigner fes peuples.
Si aprés cela il joint ã cette bonne
qualité une vie fans tache , &
une oraifon continuelle pour le
falut de fes brebis ,. nous verrons
accomplir en fa- perfonne cette
parole que noftre Seigneur repeta
trois fois á faint Pierre, pai^kmes
Aráis. Saint Bernard trouve la
raifon de cette repetition dans ces
trois devoirs d'un bon Pafteur.
P remierement, il faut qu'ils paje
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de la vie des Evefques. zts
fes brebis par fa parole ; feconde.
ment par fon exemple ; troifiémement
par fon oraifon , afin qu'il
s'efforce d'obtenir de Dieu par
fes prieres, que ce qu'il a femé par
la parole , arrofé par l'exemple,
croifí'e & augmente par l'infufion
de l'efprit & de la grace.
iROISIEME PARTIE.
Prés avoir traité des princi_ ue la
palles vertus & des devoirs charué eft la
des Ēvefques dans les deux pre- vertu
mieres parties de ce difcours , Il Prr nca.
pal d
ne nous refte rien autre chofe á Evee n cS
examiner dans la troifiéme , finon gacS
pourquoy noftre Seigneur ne de- elie 12:
mande que la charité á faint Pier- tes les
re , lorfqu'il l'eftablit le
atares nc
Prince
des Apofl:res ^ & u'il g la luy j' de- fer vent.
de rien
mande jufques á trois fois. Il me
femble que nous avons fuffifam.
ment demonftré qu'il y a bien
d'autres qualitez qui font necefm
faires á un Evefque pour bien.s'ac.

i
ï r 6 7raité du devoir
quiter de fa charge,telles que peu:
vent eíl:re , par exemple , la prudence
dans la conduite , le foin
pour prévoir les affaires , le tra.•
vail & le courage dans les difhcul-.
tez qui fe rencontrent , la com:
pafíion á l'égard des pauvres i la
juílice envers tous , la Predication
de la parole de Dieu , les vifi_
tes de fon Diocefe , la correction
des pecheurs , & toutes les
autres dont nous avons parlé.
(Zie r toutes ces qualitez font entierement
necefí'aires pour rendre
un Evefque veritablement Chref.
tien & Apoftolique , pourquoy
noftre Seigneur ne parle-t-il de
pas une, & ne demande- t-il que la
charité á faint Pierre ? Si vous me
répondez que c'eft á caufe que la
charité eíl-ía principale & la premiere
qualité d'un Prelat , j'en
tombe d'accord tres volontiers:
mais cela n'empefche pas qu'il
n'ait befoin de lafcience & de la.
prup
p
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:
_
:
`
:
.
déla vie des Evéf °que.c. 21-7
prudence , fans lefquelles on ne;
pcut rien faire de bien dans la- vie
ni dans l'Eglife. Je m'apperçois
que j e me Iiis embarqué fur une
mer bien dangereufc & bien profonde
, en - entreprenant ce dif_
cours;& je voy bien que cette der.
riiere parti-e fera tour' enfemble &
tres claire & tres-obfcure. Elle
paroif}ra tres claire á ceux qui
oht appris á connnifire la force
de la chanté , non dans les livres
ou dans des adions publiques,
más par l'efpet de l'amour mefine:
& elle fera tres obfcure po-ar tous
les autres , & femblable á ce livre,
t%nt parle le Prophete If1ye, qui
ef}oit fermé éga-lement de toas 'jlr. =^=
eoflez pour les doeces & pour les
ignorans. C'eft pourquoy cette
partie ne contenant rien que de
tres connu aux uns, •& de tres inperceptible
aux autres, elle ne paroa
pas trop necefraire. L'affaire
eft neanmoins trop ^l'impo-ri'

11 ó Traīté du devoir
tance pour n'en rien dire. I1 faut
donc tácherdela rendre tres clai_
xe de tous coftez. Premierement
il faut tomber d'accord que lors
que noflre Seigeur interroge faint
Pierre fur la charité,il ne luy parle
pas de toute forte de charité, mais
de celle qui efl= parfaite ; car il eft
certain que la charité a plufieurs
s4hti
48uAt,. degrez. Elle naift,dit S. Auguf}in;
n
t. BE,. is & puis elle fe perfec`tióne. Quand
on l'entretient & qu'on la confer.
" ve elle fe fortifie ; quand elle eft
" fortifiée; elle devient parfaite, &
quand elle efl une fois deven«e
¡iJ.
^h.^"
parfaite elle fait dire : Iefu^-
Chr^ Orna vie , mort efl un
gain. Nofl:re Seigneur veut que
les Evefques ayent cette charité;
parceque comme ils ne doivent
pas feulement tendre á la perfedion,
mais qu'ils l'ont veritablernent
acquife par leur eftat felon
. lefentiment de faint Thomas , il
faut qu'ils ^,yent une chanté par-
aár^6.

d- de la vïe des Fvej ques.
faite. Car la perfec.`tion du chrefr
tien con tate dans ce fouverain de_
gré de charité. Noftre Seigneur
nous a bien fait connoiftre cette
verité lorfque parlantde la chari•
té des Pafteurs , il dit : Le bon Pafleur
expo^e fa vie pour res óre6ir:
1443 ,'Q.
ce qui eít une preuve bien conítante
de cette charité fouveraine.
Car comme il dit en un autre en_
droit: Perfonnenepeutavoirunplw.! loaa. tg:
grand amour, que de donner vie
pour!es ami.. Saint Bernard nous
apprend bien que c'eft de cét
amour parfait que noftre Seigneur
veut parler en cét endroit.
Ce n'eít pas fans raifon , dit ce pere
, que noftre Seigneur repete «,
tant de fois ces paroles : Pierre
m'aymez-vous , lorfqu'il luy con- «
fie le foin de fes brebis. Pour moy «
je me perfuade que cela fignifie la „
mefine chofe , f1ue s'il luy culi dit: c,
Si vous ne voyez par le témoigna.
ge de voftre conícience que vous«,
^ i,

I20 Traité du devoir
+5 m'aymez , & que vous m'aymez
» extremement & d'un amour tres
» aecompli , c'_eft-.á._dire , plus que
tous vos biens , que.xous vos pa-
', rens & que vo:us..mefine, ne vous
chargez point..du foin que je vous
>% donne ,:..ne vous meflez point de
>s garder:mes bre.bis.pour lefquelles
» mon fang a eité.xépandu.
Nous vous avons déja dit que
perfonne pe connoift.bien la for_
ce,cle la charité que çeluy :qui en
reífent les effçts, & quien a luymefine
le coaur en.¢lammé. : C'eft
pourquoy faint Bernard quia tant
dit de chofes de cette vertu, ne les
F'tmard. avoit pas apprifes par l'eftude &
f^^"
s^, . 7 9. `" n`• par les difput.es , mais par fa pro_
f9 preexpenence. Voicy comme.il
parle íur le fujet d,u livre des Can-
» tiques õ L'amo.ur ,. dit-il , s'y fait
entendre de tous coftez. Si quel_
s3 qu'un veut comprendre.ce qui fe
t, lit dans ce livxe„qu'il aime. C'eft
» envain qu'on veut écouter & lire

dé Id ,vie der° Eaïe fque.r. 111
un Poeme de l'amour fi 1'oñ n'áy- ^8
mepoint. Un coeurglacénefçau_ «
roit entendre urplangage de feu. SL
En effet comment'un ho gnme en_
tendra=t-il-te que luydit un Grec
ou un Latin: ; - gï.ii'rie fcáitrii la lan_
gue Crecgire :ni .la. Uribe' ? C'eít
ainfi quede lángagé de 1'amour eft
inconnu & paffe pour barbare á,
ceux gtri--n'a-ynnent : poirité C'efld
un airain fonnant &'une -cytabale
qui reforme. l'I^lais faut pas
s'eftonnei• 'fi 1'homme ne coma
prend pas les forces de l'amour di^
vin, puifqu'il ne conn®it pá.s ce:_
les de l'arrmcarnaturel s'il n'en efe
touché luy-rn'éfine. Nous lifons
dans Putarque qu'un jour
laüs Roy de Lacedernone fitf
trouvé.par un de fes, arias joiráíit
avec fes enfans -; -&-' gire- ce gra'nd
homrne s'eíloit mis entre les jarabes
un bafton qui 'uy fervoit comme-decheval
, ii fiit un peu fur.:
pris d'eftre trouvé en cet citar a $^,
T iij

222 7'rdité du devoir
il pria cet amy de n'en rien dire á
perfonne,jufqu'á ce qu'il euf} luy_
mefne des enfans,&qu'il connuft
par ion experience ce que peut
l'amour d'un , pere. S'il eít vray
que l'amour paternel ne peuteílre
connu que par ceux qui ont des
enfans : comment &}-ce que les
hommes concevront par la feule
lumiere naturelle & fans experience
le feu de l'amour divin ,
que le Saint Efprit allume, & qui
eft au defí'us de toutes les forces
de la nature ?
II y a neanmoins des marques &
des etincelles de ce feu qui peuvent
le faire reconnoiflre. I1 eft
quelquesfois fi brand , qu'il efI
impofíible qu'on ne s'en apperçoive;
par exemple , celuy qui
brúloit dans Ie ccz;ur de tant de
Martyrs & de tant de Vierges, qui
les faifoit courir avec tant d'alle.
breflé & de joye pour l'amour de
pieu aux prifons, aux buchers,

de tà vie des Evefques. 2.13
aux chevalets, aux épées,aux grils
ardens , & íi toures fortes de túpplices.
Quelle eíl:oit l'ardeur du
feu qui embrafoit faint Laurent,
lors qu'il répondit d'un vifage
ferain á Valerian ,._qui le menaloit
de luy faire fouffrir toute
forte de tourmens : Je n'ay jamais
rien tant fouhaité que la bonne =_
chere que vous me faites aujour- __
d'huy ; & qui eítant expofé fur un o'
gril de fēr pour eftre brfilé `fiir des
charbons ardens,luy dit::Ces charbons
me rafraifchifrent ? Certes
falloit que la chanté de ce Saint
fut bien ardente, puifqu'elle luy
faifoit trouver du rafraifchifí'ement
au milieu des flammes. Saint
Vincent n'eftoit pas animé d3une
moindre charité , lors qu'il dit á
Dacien, qui eítoit le plus impie de
tous Ies hommes:Prends courage, ec
fais contre moy tout le pis que tu f e
pourras , exerces ton efprit malin =_
autant que tu voudras fur mon a=
T iiij

'224, . ?`raitd du: dcvoir
er corps , & tu yerras que la vertu de
Dieu me donne plus de force pour
» fouffrir,,.qrae tu n'en .as pour me
a^ tourmenter. N'efloit-cepas cette
. merme charité qui animoit le
cceur dá giorieux Marryr S. Ignace,
qui eflant amené á Rome p.our
eftre expofé°aux lyefles.farouclies,,
les carreffoit comme fes meilleurs
» amis ,. en difant ; Ces belles falu-
» taires1.u'on me prepare , quand
a^
viendront-elles a • quand les laf-
9= chera-r-on fur moy ? quand efl-ce
99- qu'elle devoreront ma chair ? Je
» fouhaite que ces beftesraufquelles
on me doit livrer foient plus cruel-
_^. les qu'á 1'ordinaire ,_•car j'appre_
hende qu'elles r^'ofenr toucher
ea mon corps , comme ceux de
f9 plufieurs autres .Martyrs. Si elles
T)-
ne veulent point s'approcher,. je
les agaílēray afin qu'elles me de-
.» vorenr. Pardonnez-moyf, mes en-
') fans, je fÇa-y bien ce qu'il me faut,
je commence á devenir difciple de
^s Jefus- Chriït,

e
r
e
e
r
,
s
-
.
6- de la vie des Eve/'ques. 23y
L'amour peut-il produire quel_
que chofe de plus fórt que ces paroles
? La chanté de faint Paul
n'efloit pas moindre , comme il
paroift. dans 1'Epiíl~re qu'il écrit
aux Philippiens. Qz;Ind srzefine-, phtlip.rjdit
il. ii'fe devroit fazre une a fperfon
6. une efeufon • de nzon fang fur la
viFtime faerifice de voftre foy,
je m'en réjoüirois en moy_mefine,
je m'en conjoüirois av.ec vous taus;
& vous devrie ^ aug vous en-réjoüir
,- vous en conjoüir avec moy. ui
efl-ce , je vous prie, qui a Jamais
veu ou jamais leuda,ns aucun livre
un pareil fujet de congratulation
& de joye ? Ne volt-orr pas en
cette rencontre la vertu & la puif
fance de Dieu qui éclate? & ne
faut-i1 pas que, lanature ait pref
que perdu tous fes droits ?
Cette ardente charité. envers
Dieu ef1 le principe & la fource de
I'amour- du prochaiv.i , quine dif_
fere en rien de l'amour de L)ieu,,

12.6 Traité du devoir
ree que le prochain eft quelque $
fe de divin , & qu'il le faut f
aimer par le meGne principe que ^ a
Dieu mefine. Car ceux que nous i
regardons cóme nof^re prochain , v
ne font pas feulement les creatu.
res formées á fon image & á fa ref.
femblance, mais ce font fes ferviteurs,
fes domef}iques, fes enfans,
les membres de fa chair & de fes
C'efl pourquoy cette mefi»e
rce qui alloit diredement á
u, porte fon cours fur le proin
comme fur quelque chofe
divin , avec la mefine impetuom
. C'efar de lá qu'ef1= venué cette ! m
admirable chanté des faints, qui
r a fait füpporter tant de tourns
& de peines pour le pro.-
in. Voilá ce que je puis dire
peu de mots de la force & de la
fí°ance de la chanté. Venons
intenant á nof}re füjer. C'eft
c cet amour, ou celuy qui en
approche de plus prés, que le Sei.

t
,
.
,
6-de la vie des Evefques. 217
$neur exige de ceux á qui il a confié
la charge des ames, lefquelles
ayant efté acheptées d'un prix
ineítimable, doivent eftre confervées
avec un foin extraordinaire,
C'eft ce que Dieu demanda á
Moyfe , felon le témoignage de
Moyfe mefine , comme il paroift
par ces paroles : Ay-je conceu toute No». 9^,
cette multitude de peuple dans mes
entrailles , ou l'ay - je engendré? Pourquoy
donc Seigneur m'oblige.ç: vous
de le porter dans mon fein , eomme
une nourrigé .fait res enfans. L'Apoftre
faint Paul dit á peu prés la
mefme chofe aux Thefialoniciense
Nous nous fommes conduits parmy i.T(e/j^,s,
vous avec toute forte de douceur,
come une mere qui nourrit qui
rime tendrement res propres enfans.
Ainfi dans l'affeffion que nous ref
fentions pour vous, nous aurions fouhaité
de vous donner,non feulement la
connoiffanee de l'Evangile de Dieu,
mais qu./%z noflre progre vie , tant

t1
^"raáté du devoi^`
e/lait grand l'amour que nous vous
portions, y a_ t-i1 rien de plus touchant
que ces paroles?
Ce ne font pas feulernent les
Apoftres qui ont témoigné cette
charité á l'égard du prochain ,. les
Evefques & les hommes. apofto_
ligues qui font venus aprés eux,les
ont imitez en ce point. Efcoutez
donc ce que dit faint Ambroifé :
é>.li.br.
dei offiiei le ne vous dime .
j"
p
as moins vous
ww cmmis.
ayant engendré dans l'.Evan^ile ,que
ãliiifA!*
c
f vous eftiex mes enfans parun mariage
legitime. La nature ne nous
ordonna pas plus d'amour que la
grace> C'eft donc cet amour que
Noflrre Seigneur demande á faint
Pierre, lors qu'il luy dit: Simonfils
de lean , m'aimek-vous plus que
ne font ceux-cy? Pai^&mes 6reóis.
qui eft la mefme chofe que s'il luy
difóit: Pierre fi vous m'aimez veritablement
, & de tout voftre
cceur ; fi vous voulez étendre la
gloire de moii.mom;..fivous almez
m
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l
t
& dé la vie des Evefques. 219.
mes _brebis qui me font plus cheres,quemavie
5 enfin fi vous voulez
vous donner tout entier á moy,
& avoir toute la reconnoiífance
que vous me devez, de tous les
biens, queje vous ay faits, Pal ez
mes brebis. , que j'ay raífafiées de
monSang.`Lors que vous les paif_
fez, .vous me donne.z á moy-mefme
la nourriture : & fgachez que
vous faites pour moy tout ce que
vous faites pour elles.C'eflr ce que
e vous ay dit autresfois par- ces
j
proles : Autant de foil que vous aratth.2.5.4
avezrendu ces devoirs de charité aux
moindres de mesfieres,c'ef á moy-mef
me que vous les avezrendus, & par
celles-cy: )vron repos efe d'avoir foin /are i
deceux quifont fatiguez.Et í je con-
, fidere comme fait á rna perfonne
ce que l'on fait pour le corps dé
ceux qui m'appartiennent, que ne
dois_jepoint penfer de ce que Pon
fait pour leurs ames ? II faut bien
prendre garde aux paroles de N &

230 7'raité du devoir
treSeigneur.Caril ne dit pas:Paif_
fek mes brebis (i vous les almez, ce
qui fémble cifre une confequence
de fes paroles: mais il dit, f vous
maime^ paiffkmes brebís : comme
s'il difoit, fi vous m'aimez,vous
devez aimer tour ce qui me tou_
che. Or rien ne me touche d'a_
vantage aprés moy-mefine , que
mes brebis, paree queje leuray
donné ma chair á manger, & mon
fang-i: b.oire , & je leur ay rendu
la vie par ma mort. Si done il n'y
rien qui me touche de plus prés
que ma propre vie, jugez combien
Ines brebis me font cheres,puif_
que je 1'ay donnée pour elles. Qui.
conque á le coeur enflammé de
cette charité, plus il aime Dieu &
plus il aime fon prochain : & la
force de cet amour en le portant
,vers .Dieu, luy fait aufli aimerle
prochain. Il voit bien qu'il ne faut
pas moins faire pour le falut des
•hommes , que celuy qui les a tant
r
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le
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s
t
^ de la vie des Evefques. 2.3t
recommandez; & que nulle obeïffance
n'eft plus agreable á Dieu,
que celle qui confifte á prendre
tour le foin poílible des chofes
qu'il nous a luy_mefine confiées.
Il fe fouvient de ce que ditfaint
Denys, que de toutes les chofes cc
divines , la plus divine eft de coo_ f)
perer avec Dieu pour rappeller cc
des ames á luy ; ce qui eft confor_ cc
me á la penfée de faint Gregoire,
qui dit, qu'il n'y a point de facrifi- «^u creo
ce plus agreable á Dieu que le foin cc°h1

02e5 1;
z32. Traitd du devoir
ítiennes,& leur beauté admirable,
qui eft un -puiffant motif pour
exciter un Pafteur vá les aimer &
á en prendre foin. C'eft pourquoy
nous lifons de fainte Catherine de
fierine., - qu'un -Predicateur ayant
naffé par hazard devant la maifon
:Di' elle lflgeoit, ellefortitdansla
ruW,&fe mitá baifer les pas par oil
rl marchoit : de forte qu9eftant interrogée
pourquoy elle faifoit
cela , elle dit que ,DZ eu luy avoit
particulierelitent recommandé de
confiderer la beauté desames qui
font en eftat de grace,- & qu'ainfi
elle -ne pouvoit s'empefcher de
baifer les pas par oú paffoient'
ceux qui fervoient á les purifier
& á conferver cette beauté, & de
s'écrier avec le Prophete : Q ue les
pieds de ceux qui annoncent l'Ev^cnm
gile de paix fi nt 6eaux , de ceux qui
annoncent les vrais bien.
uand un Pafteur confidere
toute-s ces chofes attentivement,
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& ¿eta vie des L°vefquet: 2.31
ïl eíf°impoffible que le fea de la
eharitérre s'aluine dans fon cceur9
qu'il ne br>^ile d'amour pour le fa.J
lut des ames , & gn'il n'en prefere
le foin á toutes les affaires du monde
les plus 'importantes. C'eft ce
qui a fait dire d faint Bernard; qué
la veritabl`e contemplatión á cela
de particulier , lors qu'elle allume
le feu de la chanté dans üne ame,
qu'elle la~'remplit quelquefois
d'un tel zele & d'un fi gránd defii
d'augmenter le-nombre' de' ceux
qui aiment Diéu, 'qu'ellé % prive
mefirie voloñtiers quelque-temps
du repos que itiy prócure la coriL
templation des » veritez ` divines ,
pour s'appliquer á la predicatiorfl
de 1 9Evangile. Cette femrne' de{
1'Apocalypfe, qui eflênvironnée du
foleil vii `a la ámiere fous fes. pieds; '1p"`'`$
fous fatefle Une t'ouronnrde doux^
ltoilles, &qui neanmbins Oié'tomm6
eftant' en travail f'entúnt " lês dauleïr'xzlaenfantcment,
eíf une ñgíxrO
^^^.

CL T. I Y.
34 Traité du devoir
merveilleufe de cette ardente cha.
rité. Car rien ne nous defigne
mieux cet amour extreme de 1'EglifeCatholique
pour l'augmenta•
tion de la religion Chreftienne:&
ces douleurs de l'enfantemét nous
marquent parfaitement ce defir
qu'elle a de produire & de multiplier
le nombre de fes enfans. C'eít
de cet amour dont S. Paul eítoit
enflammé lors qu'il difoit , qu'il
n'y avoit point de danger oú il ne
s'expofaft pour le falut des ames :
Pour cc qui cfl de moy, dit-il auxCorinthiens,
/e donneray tres-volontiers
toutce que j'ay, & je me donneray encore
moy-mefine pour le falut de vos
ames , quoy qu'ayant tant d'af feflion
pourvous,vous en ayek(ipeu pour moy.
Ce peut-il voir quelque chofe qui
marque un plus grand amour ? Et
en effet,il n'euít pas feulement ex.
pofé fa vie, mais une infinité de
vies s'il les avoit eués pour leur
falut, comme il le marque par ces
c
c
d
e
t
q
r

de la vie des Evefques. 13s
paroles : le neme donneray pa%s f u-
lement moy-mefine ; mais tout ce que
je pourrois avoir de plus cher que la
vie, je l'expoferois pour vofire falut
tres volontiers , encore que vous
n'aye aucune reconnoiffance de cet
amour que je voua porte. Ce n'efl parir
voflre bien que je demande , ?mis vos
perfonnes. M'a vie m'eflmoins chere
que la voflre.. Car nota vivons maintenant,
rvotts demeurekfermes dans j f,
le Seigneur.
Nous lifons d peu prés la mef_
me chofe de noftre bien-heureux
pere faint Dominique. 11 eftoit
tellement enflammé de 1'amour
de Dieu qu'il bruíroit comme ura
flambeau ardent , & qu'il avoit le
coeur tour penetré de zele & de
charité pour les ames qui fe perdent,
Ce fut ce zele qui fit qu'il
eut le premier la penfée d'iníti_
tuer un ordre de Predicateurs,
qui ne travaillanie pour fe former
dans cet exercice. 1Vláistoutes
y- ij.

236 Traité du devoir
ces p-reuves de charité ne font pas
comparables avec celles de faint
^,x ^t^• Paul : Ie ria-Chrifl m'efl témoin, dit
D.
cet Apol}re,que je dis la verla>, je ne
ments point , ma confcience me rendant
cc témoignage par le faint Ef
prit que jefuid. faifi d'une triflefe profonde
, 6-- que Ñon cceur efl preffé fans
ceje d'une douleur violente, Car
j'euffe deliré de devenir moy-mefme
Anatheme d'eflre feparé de. lelas..
Chrifl pour mes freres qui font d'un
mefine fang que moy fclon la chair.
Voyez je vous prie ',,ufc}u'á.,quel
excés la violence de l'amour de
Dieu le tranfporte. C'eít de la
mefine fource de charit& 8c, de la
mefine habitude que procede
1'amour de Dieu-& de *outes les
chofes qui le regardent ; ainfi que
l'amour d'un pere envers fon fils,
eft lemefine pour tout ce qui touche
ce fils. N'y ayant donc ricaqui
touche Dieu davantage que'
fá gloire & le fa,lut , des ames qu'A.,
g =

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6, dp la vïe des E'vefques. 23.7
a rachetez de fon Sang , 1'Apof=
xre, qui eítoit teliemen't embrafé
de 1'amour de Jefus-Chrift, que ni
les chofes de la terre,, ni celles du
ciel , ni de l'enfer ne l'en auroient
jamais peu feparer, eft animé d'un
fi grand d€firde lá gloire de pica
& du falut de fes freres, que nonfeulement
il defire,mais il.fouhaite -
avec ardeur d'eftre feparé i faire
ce peut, non pas de i'amour de Je_
fus-Chrift,quiexcite ce defïr dans
fon corur, maisdes delices du Pa--
radis, & de la joüifiance de Jefus_:
Chriít , pour Damour de Jefüs-,
Chriít mefine. Peut-on voir quel_.^
que chofe de plus admirable ?,
Más parceque cela eft entïere-=
ment au:deili}ts des forces de la foy
& de la charité des liommes,
voulu les en.aíi'itrer par un fer-,
mejlt folennel , aíin qu'ils ne d®u^taílént
point de lá:verité. de fes.-
paroles. Mais ce qui eft'impoS:
bie á la eh,arit¿-®rdinaire des ho;in4
V .ii3

2,38 Traité du devotr
mes , devoit eftre fouhaité par n
celle d'un grand Apoftre. No s ne
remarquõs enMoyfeun pareil fen_ pe
x,dt. 3,. timent de charité lorfque dans la l'
priere qu'il fit au Seigneur pour
expier le crime dupeuple qui avoit ré
adoré le veau d'or, il luy dit : Ou fi
;=t 1iardonne- leur, Seigneur,cette faute, d
ou efface& mon nom de vofire livre oiti d
voars m' ave . écrit. Ce livre, am
oique ce ne foit pas le fenti- n
ment de tout le monde, n'ef^oit te
autre que celuy dont parle le Sei- d
eur lorfqu'il dit : Quiconque pe. ta
chera contre moy , j'effaceray fon nom je
de mon livre. Car en effet il n'y a n
que les pecheurs qui ont coutume d
ftre effacez du livre de la vie u
éternelle. Moyfe fouhaite la mé- p
me chofe que l'Apoftre, & c'eft la d
efme ardeur de charité qui le to
úle.Mais il ne faut pas s'en éton- d
r. Car il eft juf}e que celuy qui ' m
eft enflámé pourDieu d'un amour te
erueilleux, n'en fente pas un á

a
r
t
,
,
-
t
^ de la vie des Eve^ques. 139
rnoindre pour fes enfans , & qu'il
ne craigne pour leur falut ni les
peines de ce monde-cy ni celles de
l'autre.
Il eíI maintenant bien aifé de
répondreá noftre queftion. Car
fila force de la charité efI fi grande,
& fi elle s'applique avec tant
de foin á procurer le falut de nos
ames , il n'y a pas fujet de s'ef}on.
ner fi le Seigneur la demande toute
feule avec tant d'exa&itude
dans les Paí}eurs, & s'il interroge
tant de fois faint Pierre fiir fon tujet
, parce qu'elle peut toute feule
nous rendre capable du minif}ere
des Eveíques. Demoftene eílant
un jour interrogé qu'elle eftoit la
principale & la premiere partie
d'un orateur, il répondit que c'eftoit
I'a&ion : il dit la mefine chofe
de la feconde, & ainfi de la troifiéme.Ce
n'eft pas qu'il vouluft rejet_
ter les autres qualitez qui fervent
dfaire un excellent orateur , mais

24o ?°razté. du devoir
il vouloit faire voir par lá que 1'ac.:
tion eftoit la plus confiderable.
Noflre Seigneur a fait mefine
chofe. I1 n'a pas voulu donner
1'exclQifion aux autres vertus qui
fervent ã un bon Pafleur 3 mais en
parlant feulement de la charité,
;il a fait voir qu'elle eftoit la prin_
cipale ; qu'elle apportoit de
grands fecours pour les fonaions
Epifcopales .;,& qu'elle donnoit la
perfeétion & le luf}re aux autres
qualitez d'un Evefque. La provi•
dence divine qui a voulzi que les
pereseufl'ent brand foin de 1'edlcation
de leurs enfans, leur a mis
en mefine temps dans le cocur un
amour extreme pour eux , & qui
eft tel que l'amour paternel feral
ble contenir en foy tout ce qui ell
neceííaire pour cene education:
C'eftpourquoy cette providence
qui tient la mefii7e condu.ire dans
l'ordrede la grace & de la nature;
eitabliíiaiicles Evefques les ^pous
de
^

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de
6 de la vie des Eve^a^ues. z41
de 1'Eglife & les peres fpiriruels
des fidelles , exige d'eux le mefine
amour qu'elle donne aux per es fe-
Ion la chair ; afin (veles uns & les
autres s'appliquent .entiement
& fe confacrent á l'education &
au foin de leurs enfans. En effet
dequoy 1'amour des peres felon la
cllair n'efi-il point capable ? Qi2e
ne fait point & qu'elle peine ne
fhuffi•e point une bõne mere pour
élever fés enfans-? Elle leur donne
de fon laja , elle les: careííé, elleles
netoye, elle les habille, elle:
les e,mpeféhe de :p:leurer , elle les
fait dormir., elle.les_fait joüer , elleles
r.éjoüit. -Combien paííé-telle.denuits.fans
dormir pour les
empefcher de crier , pour leur
donner la rnamelle, & toutes les
autres chofes qui leur íónt .neceffaires
? Si un enfant avoit befoin
du fang de fa merc_pour fe nourir
aulieudelaic,^, les en trailles d'une
mere ferQient capables d'en fourx

242 ?raité du devair
nir. Nous voyons dans la nature
des animaux & des oifeaux qui le
font , & qui font une preuve na_
turelle de cette pieté.. Ceít pour_
quoy p1uíieurs chofes eí}ant neceíTaires
pour l y é ducation des enfans,qui
dure prefque toute:la vie.
la nature a inventé un moyen bien
plus court, en imprimant dans le
caeur des peres & des meres cet
amour qui contient enfemvle tou.
tes ces.chofes. La grace qui vient
du t.nefine auteer, que la nature,
l'imite en ce point pour. le falut
des ames. Si donc les Peres fpirituels
ont un amour pour leurs enfans
qui rt'eíl ni moins vehement,
ni moins ardent que celuy des peres
felon la,chair, qui peut revoquer
en doute ne doivent
apporter pourleur ,éducation autant
de foins & de peines 2 Y a-t-il
quelque chofe qu'un veritable
amour pudre negliger, qui foit neeeíí'aire
pour leur falut ? Y a-t-i1
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6 de la vie des Eve^`ques. 1¢5
quelque travail qu'ila prehendc!
au contraire que ne fera point &
_ I quclle peine .ne fouffrira point
pour fauver la vie á ce ^ú'ia atine,
celuy qui aime veritablemetnt ?
S'il eft neceífaire de veiller,de travailler.,
de faire de la dépenfe , de
refilter aux puiífances feculieres
, de foufffrir la haine & l'envie
t de plufieurs , de faire de grands
- voyages, de mettre fon corps &
t fes biens en danger, enfin de fup-
, porter toutes les chofes que faint
t Paul rccommande aux Corin-'
i- ( thiens pour l'Evangile, Za nudité,. c,r. sZS
- la. liauvreté , froid , faim , les
, fiagellations , les pri^ons, les ehaíf
- nes 6- toutcs fortes de dan3ers fur mer
- & fur terre: la charité refffera cout
ragcu^ement á toutes ces chofes , ^ry
- elle fe fera tout iz teta pour fauver
l tout ¿e monde. C'eff cette chanté
e qui enflamm.oit le cceur de faint
- Paeil', & qui ltty faifoit dire aux
l Galates : le voudrois maintena.nt cgr.t. 4.
X ij

244 TrECité du devoir
efire ayer vous pour diverger mes
;lardes f8lon :vos befoins : car je fuis
en peine comment je.vous dais parles,
Ces paroles nous marquent . bien
nettem en t l'inquietude & l'ardeur
que le feu de la charité caufoit
dans fon cceur, qui l'excitoit avec
tant de violence , qu'il eut voulu
fiir le champ aller trouver les Cza_
lates pour les reprendre les ayer.
tir,„les corriger, les prier , & fe
rne.rtre en autant: de‘figures qu'il
eftoit agité de foins differens, afin
de les convertir. Comment peut_
on appeller tomes ces chofes fi.
non desflarnmes ardentes qui font
allumées par les feux d'une cha_
rité infinie ? Car c'eft le propre de
la chanté de faire ágir.toutes les
autres vertus par l'authorité &
l'empire qu'elle a fur elles en qualité
deReine & de Souveraineo Il en
eft de mefine que du premier cid ,
qui par fa rapidité entraifne & fait
anouvoir tous les autres: qui font

s
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n
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z
de la vie des Evefques. 24'5
audeffous;:ainf la charíté efl nt
la premiere des verttts , elle donne
le branfle á toutes les autres, &
c'cft elle qui les fait agir. C'efb'
ce qui a donné.lieu á toutes ces
loiianges que les;Dodeurs de 1'Eglife
luyont données. Efcoutez je
vous prie ce qu'en dit S.Auguftín.
La chari_té, dit-il, fupporte les ct
adverfitez , elle tempere la prof. ea
perité , elle refrf}e'aux paflions et
violentes , elle- eft gafe dans les
bonnes oeuvres , elle eft affhrée
•contre les tentations , elle exerce ec
l'hofpitalité,elle eft pleine de joye
& elle fouffre avec patience les cc
trahifons des faux freres. La cha_ e:
ricé eft en feureté au milieu de cc
ceux qui luy difent des injures, cc.
elle fait du bien á- ceuxqui la per_ ca..
fecutent , elle eít' moderée avec cc•
ceux qui font en colore., elle efI cc
innocente au milieu des pieges «,
qu'on luy tend , elle gémit quand ct
elle voit finiquité , elle refpire 4.
X iij

24 irdité du devoir •
» quand la verité triomphe , & ene
" efl pleine de congratulation & de
» reconnoifl°ance pour ceux qui pra..
» tiquent la vertu.
11 férnble que faint Gregoire le
Grand en dife neanmoins davan_
3. Gr°R•
ir v . t o.A. e » tage. N'y ayant qu'une chariré
3
d►ror.iea.), dir ce Pere, & qui efl totijoursla
mefrne, lors qu'élle s'émpare de
noftre efprit , elle l'anime d'une
» infini.té de manieres á faire une in^..
93 finitédc bonries ecuvres. E voicy
3, comme il prouve cetre verité. La
>, charité fonge a faire á autruy ce
>, qu'elle fouhaite clu'on luy falle á
>, elle-rn.efine, elle fait le bien' pour
le mal , & pour un bien. faitclti^elle
>Y reço.ir elle errreud un plus grand,,
„ elle fait paroiftre une douceur &
„ une patience extrefine á l'égard
„ des imporruns , elle té-moigne
beaucoup-de bonté á ceux qui ont
„ le plus de malice elle accorde
„ ceux qui font en divifon , & elle
donne le defrd'une veritablepaix

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t
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x
d. de la vie des I've/'ques. 4-7
á ceux qui ne font d'accord qu'en er
apparence, elle donne les chofes ct
rreceffáires aux pauvres , elle re- cr
rn.et dans le droit cheminceux qui a
font égarez , elle confole par íes cr
Faroles & par la co,-npaffion ceux Fc
qui font alluz, elle éteint par cc
les correaions le feu de ceux qui cc
brá°lent des pa.ffiOns da fiecle, elle ccadoucit
les .menaces des grands cc
Seigneurs par la raifon ,. elle fou- cc
lage autant qu'elle peur la mifere cc
de ceux que 1'ón opprime , elle cc
oppofe la patience á ceux quilsiy et
reGf}ent, elle corrige dans Pinte- cc
rieur ceuxqui onx l'orgueil caché c4,
dans le cccur,.ell'e tempere fi: bien c l
par la douceu.r le zele des füpe- cs
Fieurs contre les fautes de leurs fu_ ec
j ets , que la . juílice n'efl jamais cc.,
blefpée, & elle fe vange neanmoins c&
fi bien de l'iniquité ,: qu'elle ne cc
paífé jamás les bornes de la jufii- r,
ce ; elle fe fait aimer des ingrats en ..
les coinblant de fes bien faits , elle «
X iiiji

24g Traité du devoir
>3 conferve 1'amour de ceux qui ont
31 de la reconnoifíánce par les fervi_
„ ces qu'elle leur rend , elle palle
95 fous filence les fautes qu'elle ne
peut corriger, elle parle quand il
„ ef•} neceffaire de peor qu'on ne
„ prenne fon filence pour un con-
» li=ntement, elle tolere leschofes
„ dont elle ne parle point de telle
» forte, qu'elle n'en conferve auca-
„ ne douleur dans 1'efprit , elle fait
• paroiftre tant de bonté á ceux qui
luy veulent du mal , qu'elle leur
>, fait grace fans perdre fon droit,el.
„ le dóne au prochain tout ce qu'el.
3, 3e peut,&ne fe glorifie point de fes
• dons , & neanmoins elle ne craint
„ pas la vaine gloire d'une maniere
„ fi baf%'que cela l'enapefche de fai-
„ re le bien , elle donnc ce qu'elle
„ pofféde en veu de la liberalité de
„ celuy dont elle attend la recópen-
„ fe, afin qu'en diftribuant les biens
„ de ce monde aux pauvres , elle
„ n'apprehende point trop la pauv
d
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le
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de la vie des Eve^ques. 249
vreté , & que la joye qu'elle a de «
donner nefoit point obfcurcie par

g f e Í'raité du devoirpoint
de l'injuflice , mais elle fe ré.
joüit de la verité ; elle tolere tout ;
elle croit tout; elle efpere tova ; elle
fouffre tout. Voicy comment faint
Gregoire explique cet endroit de
faint Paul dans le mefine livre. La.
Moral. lo. chante eff patiente paree qtrel_
le fupporte courageufement les.
maux - elle eff douce,parce g:u'el.
le rend liberalement le bien pour
le mal : elle n Teff point envieufe,.,
parce que ne fouhaitant tienen ce
monde elle ne flan point envier
les biens de la terre : elle ne s'enfle
point d'orgueil,parce que nefou.
,haitant que les biens interieurs,
elle ne fe foucie point de ceux qui
paroifï:ent á l'exterieur : elle n'eff
point temeraire & precipita', par..
ce que ne con noifiánt que 1'amour
^le Dieu & du prochain, elle ignore
tout ce qui eft contre la juffice
& la raifón : elle n'eff point dédai~
gneufe , paree qu'ayant un foin
extreme de l'interieur, , elle ne de.
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^re jamais les biens exterieurs :.
elle ne chérche point fes propres
interefts paree qu'elle regarde
comme des biens étrangers les
biens du monde , que nous ne pof_
fedons qu'en paííánt , & elle ne
fe pique & ne s'aigrit point, paree
que quclques injures q .u'on luy
1 fafl'e, elle ne fent pas le moindre
mouvement de vengeance, & lors
que pour fes grandes peines elle
efpere une recompenfe encore
I
plus grande,elle n'á point de mau_
vais foupc;ons;parce que fortifiant
fon coeur dans l'amourde la pureté,
& en extirpant toute forte de
haine jufques á la racine, elle ne
fçauroit occuper fon efprit d'aucune
chofe qui l'ing.uiete & qui le
corrompe : ellene fe réjoii.it point
I de 1'injuftice , paree que n'afpirant
qu'á l ¢amour de tout le mon -
de , n'y a pas d'apparence qu'elle
, fe réjóüiffc: de la perte de fes acl..
vcrfaires : mais elle fe ré:j:;oüit de l^
de la vie des Evej/`ques. sst

15r Traité du devoir
verité , parce qu=aimant fon pro_:
chain comme foy-mefine ,
voyant le bien qui eft enluy, elle
le regarde comme le fien propre.
Voilá coament ce grand homme
explique cet endroit de faint Eaul;.
& certainement on peut dire qu'il
n'y a pas moins d'élegance que de
gravité dans fesparoles.lOTe reconnoiffez_vous
pas aifément par 1á
combien la charité a de force >
J'avouI neanmoins qu'il y a quel_
quefois une charité moins éclairée
& une fainte ruflicité , mais
quidoit eftre treswéloignée del'éfprit
d'un Evefque, paree qu'ilefl
l'ceil & le maiflre de fon Eglife ; &
il doit acre tel que l'on puif% dire
de luy avec raifon , ce que l'on á
dit autrefois defaintJean , Il eflnit
4' 1a4"`° s' un flambeau ardent luif °ant, paree
qu'il ne doit pas feulement brúlerpar
fa charité , mais aufli éclairer
par fa do&rine. Car comme
dit fort bien faint Bernard. Ne
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& de la vie des Eve^ques. ,153
faire qu'efclairer ce n'eft rien -: ne ci
iaire que brufler ef peu de chofe: cc
,mais. brufler & éclairer tout en- cc
femble, c'eft la perfedion & le CC
propre des Evefques. Neaninoins
il faut tomber d'accord
-que la charité á tant de force ,
.qu'il y a eu autrefois dans l'Eglife
,de tres faints & de . tires illuf res
_Evefques , quoyqu'ils ne fuíl'ent
pasfort fÇavans,qui fuppleoient le
rmanquement de; la fcience par
l'authorité;qaae donne Yamour de
Dieu. C'eft ainfique faint Martín
que l'on peut appeller la perle
des Evefques a efté un Prelat tres
illuftre quoiqu'ií eut bien moins
de:fcience que de vertu. S. Fran-
:sois mefine fe fuft bien acquité de
-cette charge quoiqu'il eut peu de
connoifíánce des lettres , ayant
_pafl°é faj eunef€é dans I'exe3rcice de
la marchandife & non dans la
litterature. Ma penfée n'eft pas
de vous dire toutes ces chofes

154 Tra-ité du devoir
pour diminuer la dignité & la ne_
ceffté de la fcience. Nous vous
avons fait voir dans ce difcours
qu'elle efl une des principales &
des plus riecelaires vertus d'un
:Eveíque:e & le Concile de Trente
nous a marqué bien clairement
._cette verité. Mais j e me fuis fer_
vi de ces deux. exemples illuflres
cle faint Martin & de faint Pran_
-sois pour vous monftrer combieii
la fainteté de vie, c'efl-á_dire, la
chantéeft neceífaire a un Prelat
puifqú'elle a donné toute feule de
fi grands Saints .á l'Egíife,& afin
que vous euffiez moins ;fiijet de
vous eftonner de ce que noítre
Seigneur demande tant de fois
cette vertu á faint Pierrepoiirle
rendre digne d'e.úre le Pafteur de
Les brebis.
Mais afin que cette verité paroï.a%
avec plus d'efclat , rappellons
je-vous prie dans noftre me_
Inoir-e les chofes dont nous avons
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1
d- de la vie des Evefyues. 155
parlé cy-devant, qui peuvent fervir
a-former un excellent Evef-
„que , & voyons comme la chanté
les comprend toutes, ou du
moins qu'elle leur eft un fecours
confiderable.
Premierement la fainteté de
vie que nous avons regardée comme
la clualité principale d'un
Evefque, eft un effet de la charité.
Car fi celuy qui accomplit la
loy de Dieu eft faint & que le
moyen de l'accomplir parfaitement
foit de l'aymer , parceque
l'amouref la plenitude de la loy , ií
I s'enfitit que -celuy qui a une cha..
rité parfaite, pofl°ede une fainteté
parfaite , ainfi que nous l'avons
prouvé par le témoignage de faint
Thomas.
La chanté fert encore extremement
á la prudeuce , qui eft la
feconde qualité dont nous avons
parlé , laquelle defirantavec une
avidité extreme la fin á laquelle
Saintera
de vie,
effet de
la charg-:
tF.,
La prtt,'?
dcnce,
eEF:t de
la charle
té.

25 6 7"raité ílu devoir
elle tend qui eíl• le falut des ames,
qui le terme de tous les de_
voirs de 1'-Epifcopat, elle confidereattentivement
tous les moyens
qui nous peuventconduire á cette
fin. Y-a_t•il quelque chofe dans
les affaires du -monde ., & -mefim
dans les arts qui n'ait point eí}é
inventé par l'amour ? Combien
de façons de faire fortune , l'a_
nloux de l'argent n'a_t-il point
trouvez ? `-Combien de fortes de
plaif rs la gourmandife n'a-t-elle
pointimaginé pour fatisfaire le
goníi? De combien de tromperies
l'ambition ne s'eft elle point avifée-?
-Combien de fortes de máchines
de guerres & d'armes l'envie
de regner n'a-t. elle point produites
? Enfin cornbien 1'amour defhonneíte
n'a-t-flpoint inventé de
fourberies & de menfonges pour
penetrer dans-les lieux les plus fe-
Pare.
ñ^' crets? C'eft ce quia donné fujet á
'1``°'un Pote de dire que le yentre
. gntcr, .
donne

s,
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d. de la vie des Evef °ques: z^^
donne de 1'efprit ,, c'eít-á- dire la
cupidité & la neceffité , qui ont
inventé tous les arts & tous les ara
tifices du monde. Ce font lesdeux
efperons qui piquent 1'.homine,.
qui luy font iniaginer t•outes,chofes,&
qui 1'obligent de s'expofer ^.
toutes fortes de dangers. Vamou.r
eft un aiguillon preflánt o, C'eft
comme un efperon qui pique toa,.
jours & qui ne donne point de rer
pos , & qui fait que Pon fe fatigue -
continuellement l'efprit pour
trouver desinventions de joüirr
des plaifirs que 1 9on recherche,
°Temiftocle ce grand. Capitaine
des Atheniens paíí'oit les nuits
fans dormir ,,, parceque les tra.:
phées de Miltiades interrorn-;
poient fonfammeil ,& agi,toier$t
continuellementfon efprit•dê'dil
ferentespenfées pour trouver des
nioyens d'égaler &de furpafí'er l €
gloirede ce grand hornme o ..En6n
. parnly les philofoplaes
75r..

95g Tr'irité du devoír
trouvé quelques-uns qui ont de^.
ni l'amour le principe de toutes.
chofes : tant il eft vray que c'eft
le propre de l'amour d'imaginer
& d'inventer quelque chofe de
nouveau. Que fi l'amotrr des chofes
les plus baires & de la moindre
con fi deration , excite fi fort nof_:
tre efprit- pour les. chercher &.
pour les obtenir , que ne fera
point 1 ámour de pica qui eí^:
Pouvrage de la grace & non pas
-de la nature . corrompue ?; C'eft
pourquoy fainrAm:broife dit qu9il
n 9ya rien•de plus irrgenieüx que la
veritable pieté „laquelle pour af--
filler ceuxqu'éll,e ayme fait tomes,
chofes , invente toutes chofes , &.
reme toute forte de raachines,
En efFet que ne fera-taelle point,,
lorfque la charité l'excite ,- pour
dé_couurir ce qui nous peut cifre
►ztile, puifque la malice humaine
trouve tous les jours tant d'inverr.--
tions pour ijoUs nuire? Je pout,

.
.
l
.
,
.
,
.
d-de vie des Evefqucs. 259
rois rapporter en cette occafion
ce qu'ont fait quelques Evefques
de noffre fiecle ,. & vous raconter
les inventions dont ils fe font. avi-
.fez pour foulager la rnifere . des
pauvres ,..pour inílruire les lVfinif
tres ignorans , pour former les,
maeurs des jeunes gens,. pour enfeigner•
lé peuple dans les villág es,
quelquefois en leur fii Cara lire.-des
livres de pieté n'y ayant- pas de°
predicateurs , & en les. excitanr d:
la frequentati:on: des, Sacremens,.
& enobtenant pour cét effétdes
I:ndulgences du fiege Apoftol:i--
que.. A qu•devons irous l'ïnven^
tion- de toutes ces chofes , ce=
n'effáíacharité qui eft ingenieufe'
pour noffre bien , & au defir arden
t du falut de nosames ,I u'el-,
lé bruflé donc cette cliarité ánsnos
coeurs , & la flamme de 1'intelaligence
ne s'efleindra jamais. Cara
comme le feu ne peut cifre fans,
^miere 1,i1 n'y a point de. verita-
^x ^^

2,6® 7raite' du devoir
ble chanté fans la fcience.
La chanté ne fant pas feule=
mentinventer des chofes nouvel.
les mais elle fçait trouver celles
qui fervent á la rendre parfaite.
Car plus on ayme une perfonne
& plus on prend garde & l'on
examine attentivement ce qui luy
peut eftre utile. C'eft ce qui a
fait dire ces paroles á faint Ber_
» nard. O chanté que vous elles
I) une bonne mere. Car foit qu'el-
» le foulage les infirmes , foit qu'el-
».le exerce la vertu de ceux qui
font plus forts , foit qu'elle cor-
» rige les pecheurs elle les ayme
» tous comme fes enfans.Lors qu'el-
» le corrige elle eft douce ; lors
» qu'elle carreíle , elle eft fimple.
» Elle á coutume de s'elever contre
» les vices , mais avec pieté; d'adou-
». cir les peines fans faire mal. Elle
» fÇait fe fafcher avec patience, &
monftrer fon indignation avec hu.
ns.iiité. C'eil ainfi que l'Ap$tre
Í 'b
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1
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p

d. de la vie des Evefq^ues. - $6r
brúlant d'amourpour le falut des
.: hommes s'accommodoit prudern-
. ment aúx efprits & aux mocurs de
s tout le monde , afin de conduire
te. . tous les hommes dans le ciel avec
les liens de la charité. Carefantli- `° cor°'i
i bre á l'égard de toas, dit-il, je me fuis
rendu le ferviteurde taus pourgagnsr
(1 Dieu plus deperfonnes. I'ay vécu
avec les Iui^ comme Iuif pour gagner
les Iuif 4 jeme fuis rendu , foi6le
- avec les foibles pour gagner les foi-
. 61es : enfin jeme fuis fait tout a tous
i pour les fauver taus. Ne voyez-
- vous done pas inaintenant comment
la charité eít ingenieuíe
- pour s'accommoder á toutes chos
fes. Si vous demandez la follici-
. tude paíl:orale & la diligence
dans un Evefque : Y-a-t-il rien qui
- ait plus de foin & qui foit plus actif
que 1'amour ?- Et un Po Ute n'a=
t-il pas eu raifon de dire que l'a- R„e,^
- mour eít tout rempli de foins & i`'b"'r' pk4
Aa r1AJYr* ^
e de Quinte, Car í'am^our eíl^ant: la RmOrJ

zf r Traité du devvir
racine & l'origine de toutes les a¢feEtions
humaines ,.elles prennent
toutes leur mefure fur luy. Si l'amour
el grand, la follicitude que
I'ón á pour obtenrr ce que l'ón ay.
xi^e,,le fin pour le conferver , la
crainte- de le perdre ,. la dõuleur
dans fa perte,.& la joye dans fa
poíl'eflion font extremes.. Aynrer
quelque chofe felon la definition
d'Ariftote , c'efI Iuy vouíoir da
bien.. Ainfi il eft nocefí'áire qu"eG
tant en fureré- , elle produife la.
j.oye;. efla.nt perdu'r, la triftefí'e; &
cílant en danger,la crainte & Iap^
prehention de la perdre. La foil.
citude naifl. encole du mefi»e
principe , & la diligence qui eft fa.
filie ne vous laifí'e pasendormir &
me vous donne aucun repos Jiif-
9u'á ce qu'elle ayt apporté du fecours
á ce que vous aymez. Tora
tes les facultez de 1'homme
fent Ies Philófophes, font foumifes
áfa pafíion dominante.. Le ved
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^c
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fa.
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du.
ef-.
la
&
lli-
»e
fa.
&
ifeu-
i-
ved
6 6te la vio des Evefques.
ritable amour ne craint pas feulement
les dangers qui font proches
& qui font veritablez , mais ceux
qui font Ies plus efloignez & qui
peuteftre n'arriveront j.a.maiso-.
C'eflrpourquoy faint B`ernard die
B^'na>#
E
qu'uneame quieft une fois rem- P^°
plie de cllarité,ti'êft plus maiftref- `s
fedefoy.. Elle craint ce qu •elle ne
connoift pas , elle s'a,ffiige fans fu_
et, & elle s'irrqu'iete plus qu'elle «
j
ne voudroi:t & mefine contre fa «
propre volontéo. Comment eft- «
ce done que celuy qui ayme veritablement
trouvera du repos atart.
milieu: des veritabies perils ,,puif--
que ceux qui ne font qu'imaginaires
luy donnent tant d'inquietua
des ?-Enfin Platon a tres fagement:
dit que celuy qui aymé ne vit`
pas en foy , mais; dans un autre>.
Ceft la tyrannie qu'éxerce 1'a–
mourfur celuy dont il pofí°ede lé°
cocur. II fait que 1'ón s'óublie foy
merme que ron fert. ^.d'autres^. J.

2 64. 7'raiti da de voir .
que Pon combat pour d'autres;
qu'on a foin du fá.lut des autres, &
que ron vit plus pour autruy g Ue
pour foy_mefine. I.'amour trans.
fere fur nos amis tous nos foins &
toutes nos inquietudes , & nous
fait rechercher leur commodit¿
aux dépens de la noftre.
Aprés la diligence & la
tude paftorale nous avons parlé
du courage & de la generofité des
Evefques, qui leur eft fi necefláire
dans les grandes entreprifes , &
pour tous les devoirs de Ieur c,har-
Cene- ge. Mais y-a- t-il quelque chofe . p
Qofiré,
qui pudre fortifier davanta e leur
effec de y ^
^
la chari• efprit quela charité. La Philofophie
nousapprend que la caufe fi.
nale eft la principale & la premie.
re caufe. On l'appelle la caufe des
a;a.ufes , parceque c'e.ít, elle quí
tneut toutes les autres, &. qui les
fait agir. La connoifi'anc.e & l'axnour
de la fin font particuliere, 1 _
fuent operer la ca.tafe e^iciente .&L
elle

d- de la vie des EvOues. .yG1
e4 elle eft d'autantplus ealcitée á agir
que la fin eft plus defir.ée &,plus
r_ aiinée. ,La inerme chofe arrive
dans la : perfonne des Evefquese
è, Plusleur chanté eft ardente , plus
s leur courage eft grand. Et nous
it¿ ' en voyons dont l'amour eft fi extraordinaire
., qu'oubliant =leurs
íci_ •propres forces, qu'ils ne niefiirent
lé ; >que fitr 1'excés de leur charité , ils
es ' entreprennent fans y faire :reflere
aion ce qui éff fouvent au defiiu
de leurs forces.Qni'y-a-t-il de plus.
r- craintif & de plus foible qu'une ^
fe 1 poulle, qui quoiqu'elle foit tocir
jours dans mos rnaifons .,'& .que
- Pon luy donne t©us les ,jours á
i. manger 'ne s'apprivoife jamais ?
e_ }Cependant fi quelqu'un vient
es pour luy ofter fes pouffins elle s'éí
leve & °fe met en colere de telle
s forte,giá'elle ne craint ni les hom-
- me§.ni'les beítes , & qu'elle ii'apep
1 •,préhendeaucuncoup. En£ny•as
Z t-il autre chofe que 1'am .ogr qui
le

zGG Traité du devoir
fafl°e entreprendre aux hommes
tant dé guerres & tant de combats,
&-quiles -oblige á s'ex.pofer
á tant de perils fur mer & fur terre
? N'eft-ce pas la paffion infatiable
de regner qui a fait qu'Alexandre,
JulesC efar, & tant d'au_
tres grands Capitaines ont fubi
tant de travaux & ont fupporté
tant de fatigues ? Hercules mefmes
qui domptoit tant de monftres
n'a-t-3.1 pas efté dompté par
l'amour. Cela me direz- vousn'eft
dic _c' qu'une fable. Mais Samfon dont
ileít parlé dans 1'Efcrit.ure fainte,
luy que les arrnées des Philiftins
ne pouvoient vaincre, qui ne pou.
voit eftre lié d'aucunes chaifnes ,
qui rornpoit des portes de fer, ne
fut^il pas vaincu , ne .fut-il pas en..
chaifné,&ne deviix_il pas le joüet.
de fes ennemis par l'amour de Dalila,
Et s'il eft perm.is de pafi'er des
figures á la verité , JefusrChrifi
qui nous.adefgné dans 1'Efcri:r.

6. de la vie des Eve/^que.r. 217
ture fous la figure d'un Lyon n'a=
t-il pas eílé attaché á une colornne
&.pendu fiir une croix , & mis
dans le tombeau par l'amoar ? Sor=
tons , dit-il , d'iry afin que le monde
connoiffé-que j'ayme mon pere. Oá
voulez-vous aller &eigneur ? Au
fupplice de la croix par laquelle je
dois faire connoiftre au monde
l'amour que j'ay pour nlon pere &
pour le falut des hornmes. Vous
pouvez voir aifément par l^. com-
eíl_ grande la force de l'a-
^ien
mour qui a furmonté celuy grii
eftoit veritablement invincible,
qui alié les maiñs du Tout puiffant
& enfermé dans un tombeau
celuy qui contenoit en foy -mutes
chofes. Et un poete n'avoit-il
pas raifon de dire,quel'amour furmontetout.
-I-iaméchantamour=.
á quoy ne Gontraignez vous point
le coeur des hornmes ?fi l'a_
mour impudique a tant de force,
que ne pourra point celuy qui eft
Zi^

z$8 7"rdité du devoir
pur & chafte comme celuy de -la
charité?L'amour ne trouve rien de
dur , d'amer, de trop pefant , ni de
mortel ; il n' y_ a point de fer, point
de playes , point de peines, ni de
morts qui puiffent le furmontera
C'eft un cafque impenetrable qui
refifte aux dards & aux . efpées,
qui fait infuite aux perils, & qui fe
moque de la mort ; enfin l'arnour
nr
gX C es,u
furmonte toutes chofes & non
de f: feulement il les furmonte , mais il
"'' ne fuccombe jamaisdans lecom_
bat, ni n'en fouffre aucunes peines
, ni aucunes fatigues,
C'eft ce qui a,fait dire á faint
Auguftin,, que leveritable.a.mour
ne fent jamais l'amertume , -mais
93 la douceur. Cette douceur eí.t la
» fceur de 1'amour , & l'arnertume
» de la haine; & en un autre endroits
95 Que celuy qui aime,ne trouve rien
penible : au lieu que tout paroift
DS difficile á celuy qui eft fans amour.
ss L'amour feul rougit au feul nom de

.
6 de la vie des Eve^quet. 2 e'9
dificulté & de peine. C'eftpour- a-
quoy S. Bernard nous dit : Servez «^:a,
le Seigneur avec une charité^; qui «v^ravr•
difíipe lá crainte ,, qui ne fente
point les travaux , qúi ne regarde-«
point le merite qui ' n'attende «
point de recompenfe, & qui ce- «
pendant vous fallé agir plus que «
toutes ces chofes. En fin , felonle «
raifonnement de faint Gregoire,
c'efl leproprre de l'amour de fupporter:le-trava_il.
[ Et comme les
fontaines - rejaillifiént d'autant
plus haut ., qu'elles prennent leurs
caux d'une fource plus élevée , on
peut dire la mefine chofe dé l'a=
mour ; car plus un homme en a le
coeur échaufé,plus il a de courage
pourfiipporterle travail & la peine.
Ecoutez les paroles de ce ci. »am:
grand Pape : Plus on ayme le pro- „J7(;[:,7
chain & plus on fouffre pour 1'a.: «
mour de luy. Si vous aymez, vous «
fouffrez: & qui ceffe d'aymer,cef- „.,
fe en mefine temps de fouffrir. Si
Z iij

97.b, 7"raité du devoir
tela ef} ainfi y_a-t-ilrien qui noi:s
puifl'e aider davantage fiippury.
ter le poids de la charge paítorale
que l'amour extreme des brebis,
rar comme une mere porte yolontiers
fon enfant dans fes bras,
aprés l'avoir porté dans fes en:.
trailles ; Ainfi un pere fpirituel de
l'Eglife porte dans fon coeur fes
enfans par la charité , qu'il eí£
obligé enfuite de fupporter par la
patience:
Le Seigneur nous a marqué cette
verité par une figure admirable
^,^, ss. dans l'ancienne Loy. I1 ordonna,
-que Pon feroit au grand Preftre
un Rational pour couvrir fa. poi_
trine q . & un autre ornement pour
1iiy-m.ettre fur les épaules-, & que
ron er.chafí'eroit f2r tous les deux
des pierreries fur lefquelles on
graveroit les noms des douze enfans
d'Ifra Ces deux ornemens.
efloient attachez I'un

d~ de la vie des Evefques. nr.
voient feparer.. Le def%in de la
providence divine n'efI-ilpás-admirable
encette rencontre?- puil=que
Dial inítitua ce divin fynn..
bole pour avenir 'les Evefques de.
IaLoy nouvelle de fupport'.er par
l'amour & la patience ceux dont
lesPontifs de l'ancienne portoient
les nolns fiir la poitrine & fur les
¿paules.
Ces deux or>aeme/u efl:oient
liez l'un avec l'autre & ces deux
,devoirs font infeparables. C'eft
pourquoy S .Bernard dit fort bien:
Qil'on a point de peine pour ce
qu'on aiine, ou que l'on almeIa
peine. Et c'eíl la raifon pour la_
.quelle le Rational & l'ornement
des ¿paules du grand Preftre
eítoient attachez enfemble,. parce
qu'il n'y a point de charité fans
patience, & qu'il ne peut y avoir
de patience fans charité ° Ne
voyez vous pas aprés cela- combien
la charité eít necefhaire aux
^ iiij
3

17.2. 7" raité du devoir
Eveíques , .pour tou-s leurs devoirs
& leurs travaux3- Ce qui s'étend
rkr, » fi loia, _que.Ciceron a eu raifon de.
• i. de
dire., que fans quelque ardeur de.
>s l'amour il ne fe fait rien..de. bien
/> dáns la vie.
Aprés le courage & la generofité.
nous.avons parlé de la fCience
qui eft neceíl'aire..aux;.Evefques,
fans laquelle le miniftere Epifcoel:ce
j_avoui; que la:charite toute feule
eít i:mparfait;, & paralitique..
s

s
:
.
:
-
,
-
j
::
,,
5
,
d. de l6i vïe des Evefques. 273
orgueil & en vanité , lorfqu'elle
e1t fans la charité , fait par elle
qu'un homme devicnt la lumiere
du monde & l'oeil de 1'Eglife.
)\lous lifons dans le Prophete Da- Danirr.z $;
niel , que les da's éclaterc nt comme
la ^plendeur du firmament , . ^ que
ceux qui enfeignentlá juftice auxautres
feront comme les étoiles dans l'éternité.
• Saint Auguftin nous enfeigne
combien la charité eft utiale
á la fcience , il ne faut que lire
ces paroles. Celuy quia le ceeur «
rempli de charité comprend fans „.
erreur, & retient fans aucune pei- ca .
ne la fcience des divines écritu- e^
res,quelque eftenduir &abondand
te qu'elle foit. Se peut-il rien dire
de plus magnifique ? Et faine
hazilé nous apprend que plus une ,g .
ame a d'eftenduu dans fon amour „ .
pour le prochain , & plus elle eft „,
élevée á la connotflãnce de Dieu. cc .
C'eft pourquoy , nous voyons
dans 1'.Efcriture que les_ fáints,

2 74. 7"raité du devoir
hornmes font particulieremenr f
loüez de leur fágefl~e & de leur
-fcience.Car eneffet qu'y- a-t-il de
plus fiiblinae & de plus admirable
que ce que dirle Prophete David
qui de la qualité de petit berger
de la clpagne fut élevé á la digni-
1, a: -té ltoyalle? lefuis dcvenu p dit-il,
plua intelligent que toud mes maiflre. r.,;
parceque je medite vótre loy. Ie fuis
devenu plus prudét que les vieillards,
parceque je garde vas commar.demens.
Car comme d'it faint Gregoire,il
s'ef}udia á faire parles ceuvres I
ce qu'il avoit apris, & i:í avoit apris
á entendre ce qu'il devoit enfei-
$nerauxautres. Ce ne font pas
feulement les bonnes oeuvres qui
éveillent noftre efprit & qui Déclairent
Y il faut y joindre la meditation
de la parole divine,. & c'eft
pour cela que le Prophete dit : le
fuis devenu plus intelli3ent que tosas
mes maiftres , garceque jay medité
voflre lGy 3 :c éít-á-dire non pas

en
ur
de
le
id
er
i-
il,
e. ^
uir
ds,
deoires
ris
eias
ui
é:-
i-
fk
le
fos
ité
as
6-de la vie des Evefques. 275
-parceque je fuis demeuré longtemps
dans les ¿coles avec des
Doaeurs , mais parceque je me
Luis exercé dans la meditation del
volre parole , j'ay furpaíí'é de
bien loin tous ces Doaeurs.. Saint
Chryfof,tome nous apprend admirablement
la caufe de cette verité
, voicy fes paroles. Nous
voyons dit-il, que les yeux nous u
pleurent lorfque nous fomrnas ^g
dans un lieu oit il-y-a de la fümée, ®t
mais lorfque nous fommes dans 86
un bel air, dans une prairie , dans cs
un beau jardin , au bord de quel- E^
que fontaine , nos yeux repren- «6
nent leur force , & ont plus d gac- 6^
tivité.. Les yeux de l'ame font la 13
mefine chofe. Car fi nous pre- C4
nons la nourriture de n'Are efprit e^
dans les prez de quelque labre 16
ou de quelque eftude fpirituelle, c6
ils font clairs & penetrans , ils decouvrent
toutes chofes : mais fi el
,nous:uous embaraflons dans la fu- ^s=

276 Traité dre dévoir
^a mée des afpaires feculieres , les
yeux nous pleurent continuelle_.
ment pour les difgraces qui nous
arrivent , & naus ne voyons pre(:.
» que.goute dans les affaires de nof_
g^rre fálut..
Il y a plufieurs- autres- témoignages
- de 1'Efcriture qui-=confin_
ynent cette verité. .Car le•.mefne
P f''d 6• Prophete dit : La boucher du jufie
meditera la flagele' ; fa lungue
parlerade ce qui . ė i félon la juflice;
^ta!• la$• & en un autre endroit : Vos precepa
tes me rendent intelligent ; c'ef}-1.
dire qu'ils m'apprennent marcher
dáns les voyes du Seigneur, á„
executer fes commandemens, &
qu'ils augmentent dans mon efprit-
1'intelligence de fa loy. Il en eff
de mefme que de 1'ufage des armes
& de 1'habitude á faire la
guerre, Car il n'y a rien-giai nous
apprenne mieux les regles de l'art.
militaire. C'ef{ dans cettemefine
penfée que nous lifons dans 1'Ec=
;
C
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la
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rt.
ne
d- déla vie des Eve fques. 2,77
clefiaftique:.ces paroles. L'ame de -
Chornme faint annonce quelquefois
la verité., beaucoup pira que ne
feroient fe fentinelles fur une montagne
paur prendre garde á ce qui fe
páf%. Ne ..voyez-vous pas main=
tenant combien 1'Efcriture lou^
les hommes faints á caufe de leur
;efí°e & de leur fcience ? ^Iais il
ne fera ,pas inutile de rechercher
^la caufe pourquoy la fainteté,
c'eft-á_dire, lacharité augmente
la fageífe , puifque :cette haliitude
eft dans l'entendement & que
lacharité cft dans la volonté. I1
me femble qu'il y en ,a plufieurs
raifons qui ne font pas trop coms.
munes .,, & que nous examinerons
en peu de mots. Premierement,
felon S. Gregoire tout amour eít
une efpece de .connoiíl`ance. : done
I 3amour de Dieueft une connoif- ca
fance de •Dieu. ;Etjetrouve que "
Platon á -fort bien dit , qu'aymer
Dieu c'eft Philofopher,, c'eít-á-

178 Traité du devoir
dire , s'appliquer á l'eftude de la
Theologie, & á le connoiftre.
S. Thomas nous explique fort
bien cette connoifí'ance. 11 dit
etü'on peut connoiftre une chofe
en trois fayons differentes, par les
oreilles , par les yeux , & par le
gouíl , fi c'eft une chofe qui puif_
fe eftre l'objet du gouft: comme le
`•in par exemple on le connoift par
1es=oreilles lorfqu'on entend dire
qti'il eít b6, par les yeux lorfqu'on
en void la-couleur, & parle gouft
lorí9u'on le boit. De toutes ces
trois manieres, la derniere eft la
plus efhcace & la plus certaine.
C'eft celle dont celuy qui ayme
Dieu fortement le connoift. Car
il nepourroit jamais 1'ayrnerainfi
s'il ne gouftoit fa bonte , fa douceur
, fa benignité , & fa charité
par l'amour. Cene connoiíl'ance
s'appelle , Theologie •miltique,
dans laquelle ce n'efl pas 1'enten.
dement quiinftruit le.coeur, mais
l
1

la
ort
dit
ofe
les
r le
uif_
e le
par
ire
'on
ouft
s ces
ít la
ine.
yme
Car
infi
ourité
nce
que,
ten.
mais
& de la vie des Evefques. 2.79
le caeur qui inftruit 1'entendement
, lors qu'en gouítant
mirable douceur de Dieu , íl connoift
parfaiternetlt.combien il eít
aymable.Et fi cela eít ainfi Platon
n'a-t-il pas eu raifon. ;de; dire que
l'amour de Dieu confiílãe á Philofdpher,c=eít-á-dire
á le connoiftre.
C'eft ce que nous apprend le Prophete
Royal lorfqu'il dit : Gouter^ p14141.
& voy ekcombiente Seigneureff doux.
Car d'abord nous goutons Dieu
par l'amour, & enfuite nous apprenons
par le mefine gouft combien
fa bonté & fa douceur font
grandes. Et c'eft pourquoy nous
avons raifon de dire que la fcience
8,z la Theologie s'augrnentent &
fe :perfe&ionnent par la:chariré.
Ajoutez á cela que lorfque
' l'amour eít precedé de quelque
( connoiífance de la chofe que Pon
ayme , & que la mefure de l'amour
eft prife fur celle de la connoiíl'ance
, il faut neçeffairemenr,

280 Traité du devoir
que celuy qui ayme beaucoup
Dieu,le connoiffe auffi beaucoupo
Car fans doute il ne 1'aymeroit pas
,fortemen-t s'il ne connoifí`oit clai.
!.rement qu'il eft aymable .s ce qui
=:fait felon le fentiment de faint
°`I'homas qu'á mefure que 1'habitu.
de de la charité s'augmente dans
les éleus,, le don de l'intelligence
s'augmente auffi , par -le moyen
-,duquel on connoift que Dieu a
.:aimable á ïproportion ,qu'on l'ayvme
d'une charité veritable & fin-
>cere. 'Une des principales•.conditions
de 1'amitié eít de fe commu-
.niquerfes fecrets. D'oú il s'enfuit
que lors que Dieu ayme quel.
qu'un il les luy revéle .& les luy
fait connoifire ; comme il le té-
Inoigne á fes Difciples,par ces paz.
u. roles. le ne vota appelleray plus deaz.
formaifffcrvitcurs, par'ceque le fervitEUr
ne f ^ait ce que fait fon maiflre:
-Mais je vous .ay appcllé mes amisi
IiarCeque je.vaus ay fait favoir tour
ce

up
up.
pas
lai.
qui
int
to.
ns
ce
en
f1
y-
indiuuit
el.
uy
readevire:
is,
ut
.ce
d.; de lá vie des Evefques. zi^[ °''
ce que j'ay appris de monpere. C'ef t
ce qui a fait dire á fáint Auguftin: c

7'raitéLdie devoir
r wlnr t ^ R °^e lon faint Jean , eft une lumiere q^ ^
^.
n'a aucunes tenebres :• Commeipt
pourra-t_on approcher de cette
l ūmiere fans en recevoir quelque
nouvelle pour voir & pour enten 3
dre les chofes-divines ?-Car ce n'eft
pas fans raifon que le P.falmifle
fal, ss '
. -,dit , approche de luy voleo- fereç..
éclairez, Nouslifons dans l'efcriture
que la face de Moyfe fut -environnée
de- rayons aprés•avoir
parlé d Dieu : -&•c'eíl ce qui nous
fait connoiftre l'influence -des l^r.
-mieres- interieures que Pieu rélaand
dans une ame qui approche
-de luy & qui luydécouvre fes b4-
foins>
Ajoutons encore que°Iors que-
'nos pafíions- font purifiées par le
:l'eu de la charité, noílre entende-
-`inent-eflen mefine temps éclairé;
yarceque plufpart de fes tene-
-bres &rde fes-illufiós naiíient prel:
que toutes de Dimpureté de nos
pallions, de ia corruption de nos

i
t
e
e
-
$t
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i-
-
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rs
tr.
e-
e
e-
e
le
e=
é;.
e-
r-
os
o
di de la vie des Evefques. z.$;
tnoeurs , & de la depravarion de
noítr-e volonté,laquelle fe portant
avec inclination & par fon propre
poids á gtielque mal,nous furmortte
, nous entraifne, & nous plonge
dans toutes • fortes dyimpuretez.
C'eít ce qui fait que nofire volonté
eftant purifiée, noftre entendemét
eít plus éclairé &void les cho.
Les avec plus de netteté,.felón cetõ
te parole du Prophete Roy. 7' out >'
homme qui ob^ervera [es commande.: -
mens,o'éít-á-dire,tout homrne°qui Pp.».
honorera Dieu d'ïul coeur pur
ehaffe;aurala lúrniere ^ l'intellige^
ce verita.ble: 71- eíkdit-dans l'écritiY.. -
re que l'efprit de la fageffe efi faba':
^^ que ja puretílu^ yfait penetrer totA. -
tes cdmfes. Cette pureté ne s'en,:
tend pas des ordures qui accornF
pagnen•t ordinairement le corpsj
rnais de celles de la vol orrré,'dont.
l'ame eftant purgée & delivrée,
elle penetre plus aiféanent toute5
..LhoCes, elle n'elt-point obkureÁlt•
A a ij ;

2.8¢ rrqité du- dávoir
parles iinages des pafíions , eli^
n'eíl point entraifnée par les a$é-
¿bons terreílres , &:rien ne l9emd
.pefche de contempler:ks - chofes -
iciu del. C'eíf .pourqnoy il el} dit
qu'elle penetre toute che re par ja pu_
a°eré, Une ame bien purifiée de fes
pãfíions efl comme un:-miroir- qui
eftant expofé par la chãri.té de.
va.ntle Soleil de juítice, en reçoit
vdes rayons qui le rencíent plus bril®
.lartt & plus éclatanto
Enfin nous voyons que parmi
les fept principaux dons du faint
Efprit il y en a quarre qui fervent
-a éélairer l'en rendemen t, qui for} t.
le don de.confeil ; de fcience , de
.fa,geífe 8c. d'inteIligence , par le
moyen defquels nofire efprit ef--
ttantéclairé ïl acquert fans peine
cene fcience dont il ef} parlétdans
1'efcriture : L e Seigneura cánduitle
juge dans des voyes droites, 'Huya
monflré le R oyaume de Dïeu
danné.14 fciens'e, des Sctints.. El
^

e
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. •
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i
-
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t,
...
:
'
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d, de ia vie des .Evefqu ps. zgs
:ene fcience d'autant plus
confiderable que les autres , que
!e maiítre.qui l'enfeigne el plus
iélevé que les,autres maiftres &
que fa fin el plus noble.
Qt comme eff:aifé.de difceri
ner les moyens lors qu'on en conm
noil la fin , & que l'ón ne peut
rien faire de bien ni avec prudence
, lors pignore , 8e que
l'homme qui fetrouve en cet eítat
marche_au milieu-des tenebres & :
n'a point d'autre guide que fes illufions
: Ainfi` quand >: l'homme •
1 faint connoil parfaitement- la fin
oú il tend , ( car la fcience q^i
nous enfeigne qu'il fa.ut rapporter
á_Dieu toutes chofes , n'el: -:pas
feulement une fcience de fpecula^
tion mais,de pratique, ) il conduit
fagementtous fes pas : En quoy il %
efllien éloigné de l'impie qui s'éloigne
de la veritable fin á propor -
tion qu'ils'éloigne de 1'amourde
^^eu s^.denaeure plongé .dans: des •

^^6 ^;aité du devoir
tenebres & dans un aveuglement
effroyable. C'eft pourquoy Job
ce faint homme , aprés avoir dit
plufiéurs chofesi la lotiange de la
1agefi'e , & recherché exaaement
lr lieu ou elle habite , donne enfin
cette folution á la queflion qu'il
avoit propofée : La crainte du Set--
40•4. gneuref la fageffe mefnres-& l'intPlligence
conffle iviter le peché.
Voyez- done rnaintenant com.-
bien la eharité parfaite & la purete
de vie,font necefí'a.ires á la veri=
table fa;geffe , que nous avons appellée
la fcience des , Saints ? - Ce
n'eíl pas -que je veiii,llé nier gtytL
n'y ait une autre fcience la-quelle
on acquierr par l'étude & par le
travail de l'efprit,qui efl` aufl'i:tres^
neeeffaire aux Evefques, comme
nous l'avons remarqué , & qui re-
9oir une grande perfeet3on & un
grandféclat de la charité, & quï
ef}arrt deftituée de fés Ittcnieres
devient iierile ,obfĒure 13i-dánge-

ent:
ob
dit
la
nt-:
fin
u^il
et
m. -
re_.
en,-
ap_
Ce
-'tl'
lle
le
es^
me
re=
- un
qui
res
gm
& de la vte des Evefques. 2S7
reufe , & ne produit que l'enflure
' du cceur. II rr'ya rien deplus op-
,t^ofé á la ,^reritable fagefl^e que ce t-
e enflltre qui vient de l'argueil,
- Car cornme dit Saiomon . Qú ily et"!'1'
1
-,otura de l'orgueil il : y- aura de la.
honte ; • oú ily aura de l'humilité
•ily aura dé la patience. C'eft pourquoy
S. Auguflin parlant á Dieu,
: dit dans fes confefflons ! L'enflzere
`de mon ccrur me ftparoit . de vous,
Seigneur , ¿9,, ' ;non vifage bouf jy
d'órgueil ' m'empefchoit d'ouvrir les
yeux.• Ciceron mefrne quoique
Payerr,..enfeigne que la fcience--
- qui eft éloignée de la juflice, &
; : qui ne nous rend'pas meiíleurs , ne
doit pas efire appellée une fcien.•
ce , mais une tromperie..
Si quelqu'un veut encore íÇavoir
cámbienla charité eft neceffáire
pour tous -les autres devoirs
de l yEpifcopat , qui font des fuites
deceux dont nous venons de pat.
ltr- & dorrt^ dependexrt^o^r^.^.
3

1.88 T'raitd dü dévnir.
les ruiffeaux de Ieur fource, il ne
luy fera pas bien difficile,pourveu
qu'il les compare exaClement
avec .Ia c1Yarité. C'eft ce que je
veux traiter en peu de mots , &
qui m'oblige de vous demander
un peu de patience.
Nous avons remarqué.au com.;
mencement - , que l'obligation
de donner l'exemple d 9 une bonne
& fainte vie, eft un des principaux
devoirs d'un Evefque. Or qui eíl;.
ce qui s'acquitera mieux de cette
obligation que celuy qui accom_
_plitla loy de Dieu par la charité, '
& qui mene unevie fainte & irreprochable
? Car comme la fanté
de nofl:re corps paroif-fur noftre
vifage : ainf la charité. parfaige
, & la fainteté qui refident dans
noftre efprit fe manifeftent au -
dehors , non feulement par nos
bonnes oeuvres , mais par 13a:ir
de nof}re vifage , qui attire le =
refpea. 1'amour de tout le. moi3.;
de.-

ne
eu
nt
je
&
er
.; -
on
,e
x+:
íl;.
te
-
é,
e-
té
re
i-
ns
[t
s
air
le:
-
ea -
de la vie des Evefques. .2.59
de. C'eft pourquoy Salomon dir,
Que la fitAe^ brille fur le vi^i^ge rrov.xx,
de l'horrme prudent. Eufebe d'Emefê
nous explique bien claire_
ment cet endroit, lors qu'en parlant
des venus du bien-heureux
Evefque Maxime , il dit : La force cc
de fon efprit paroiffoit j ufques fur cc
fes habits, vous eufliez crü voir
1'ima.ge de la fainteté peinte fur
fon vifage , il marchoit d'une ma_ u
niere terrible, & fes regards atti= «
roient le refpea, vous eufïiez dit cc
qu'il épouvantoit par fon vifage cc
cet ennemy invifible qui tourmen.. cc
te tolijours la vertu , fa feverité le ct
faifoit craindre, fa bonté leren- tc
doit venerable , il temperoit fon cc
autoricé par une douceur & une cc
humilité extreme, la feverité de cc
fon front faifoit des menaces , & la cc
ferenité de fon cceur des careífes, 'cc
& ainfi , joignant enfemble plc- cc
fieurs graces dif-ferentes, on peut cc
dire qu'il avoit le vifage de fain>" cc
I3b

1: 29 ® Traité du devoir
» Paul & l'efprit de fãint Pierre. Sa,
juílice pour corriger les pecheurs
» eftoit balancee par 1'inclination
» qu'il avoit á leur pardonner , de
:: forte qu'ils ne pouvoient fóuffrir
la ny fon abfence ny fa preféiice. II
n'en faut pas davantage çe::me
femble pour eftre, cónvaincu de
ce que dit Salomoii , ^e la fage^
éclate fin- le vi fage du fage.: Mais att
contraire quand on fait femblant,
& qu'on veut ., contrefaire la fáinteté
fans eftre faint ,_ ce n'eft pas
donner bon exemple ; mais c'ell
tromper ceux qui vous regardent,
& imiter l'hypocrifie des Phari,.
fiens.
Pour ce qui eft de la juí}ice &
de l'équité que les Evefques font
obligez de garder dans leurs jugen'ens
& dans le choix des minif}res
qu'ils employent, & qui leur ef}
par confequent fi necefi°aire : Y a.
t-xi ríen qui puiíl°e mieux la leur
conferver & la, defendre de la cor_,

,
s
n
e
r
l
e
,
-
s
t
,
.
t
-
t
.
,
& dela viedes Evefgzres. z 9
-ruption que .c-aufent les carreffes
& les tronlperies des grands Seigneurs
&

$gz Traité du devnir
naire pour les pauvres , pour les
veuves & pour les orphelins, que
la charité qui eít la mere de toutes
les vertus & particulieremen t de
la compailion , laquelle ne pouvant
jamais demeurer oifive , á
quoy s'appliquera-t-elle davan_
tage qu'á foulager la mifere de
ceux qu'elle regarde comme fes
chers enfans ? Comment eft-ce
que la charité demeurera dans le
cceur d'un hómme qui n'eft point
touché de la mifere & de 1'aflli_
» é}ion de fon prochain ? Il efl aifé,
13
dit faint Grregoire, de convaincre
$: celuy_lá d'avoir peu d'amitié pour
19
fon prochain , qui ne partage pas
» avec luy fes biens les plus necefhai_
:, res lors qu'il en a befoin & qu'il efl;
" dansla neceflité.
A l'égard des travaux & des
peines qu'un Evefque efi oblígé
de fouffrir dans les vifites de fon
Diocefe, allant tan roft dans les
yilles & tantofi dans les villages,

-6- de la vie des Eve/`ques. z9.3
oú il fant qu'il fe paffe beaucoup
de chofes, & qu'il endure le chaud
& le froid & toute forte d'incommoditez
; qui eft-ce qui fupportera
plus aifément toutes ces chofes
, que celuy qui ayant le coeur
bru.Iant de chaxité pour fes bre..
bis ne refufe aucune peine pour
elles , & les aime plus cherement
que ffa propre vie? La cupidité, dit
Ariftote , fait entreprendre les ^6
chofes les plus terribles á ceux qui ^t
aiment les biens du monde : que cs
ne fera donc point la charité parfaite
pour la gloire deJefus-Chrif1?
Nous vous avós dit ce me femble
un peu auparavant, qu'aimer n'eft
autre chofe que vouloir du bien á
quelqu'un,& vouloir du bien n'eft
autre chofe que de combler de
toutes forres de bienfaits ceux á
quinous en voulons. Mais comme
nous n'en pouvons faire á Dieu,
paree qu'il eft au deíf'us de tous
nos biens a & qu'il les comprend
Bb iij

2 j4. Traitt dud'evoirtous
en foy, que nous reÍ}e-t_iI^a
faire,finon ce que di,t le Prophetw.
PM. '1 • Ie rnets toute mon affeHion en egc
ames pintes & admirables qui ^ont
•^'ur la terre. C'eft á dire , parce
que vous eftes mon Dieu , quia
faites toute mon efperance 8G
toutes mes richcflés ,. que
je dois aimer de tout mon cocur.;,
& que je dois chcrir de tcsute mon
ame, vous qui cites fi ,remply de.
felicité & de biens> y; que tous ceux:
queje pofléde vous feroient inuti_
les, que faut-il donc que je fafl'eg,
Seigneur , finon que j'applique
tout mon amour & touter lincliriation
de ma volonté á combler
de toutes forres de bienfaits vos:
Saints qui font dans 1'Eglife,en les
fecourant dans leurs befoins, les
roifitant, les avertiiiànr ,. les corrigeantavec
une bonté paternelle,
& travaillant par toutes fortes de
moyens á leur falut s eftant affuré
que tous ces dcvoirs de pieté que

-
s
t
,
-
^
^
6 de la vie des Evefques. 19s
j e leur rends fe rapportent á vous,
& vous regardent comme le pere
commun & le Seigneur de toutes
les creatures,
Nous avons remarqué dans la
fuite de ce difcoi:trs que les Evefques
fon^ extremement obligez
de rechercher de tous coftez d'excellens
Predicateurs , & des miniftres
pour travailler fous leur
conduite , par le moyen defquels
ils puifl'ent rendre la .Juítice á tour
le monde, donner la nourriture de
la parole de Dieu á leurs brebis,&
faire les vifrtes de leurs Diocefes.
Nous vous avons rf3o;itré que le,
Prelats font obligez de les entretenir
á leurs dépens , lors qu'ils
n'ont pas afl'ez de revenu pour
fitbfifter. ®r qui eft-ce je vous
prie qui s'acquittera míeux de ce
devoir que celuy qui ayant aban_
donné toutes chofes , & eítant
dépoüillé de l'amour de fes parens
& de. foy- mefin e , ne rechea .
B b iiij

'1 9 6 Í'raité du devoir
che que la gloire de Dieu , Ie fallir
des ames , & le veritablc: honneur
de l'Eglife• ? Comment ccluy_ lá
épargnera-t.il fon bien qui n'épar:
gneroit pas fa propre vic ? Cominent
efi-ce qu'il ne donnera pas,
&:mefrne avec profuf on fa propre
fubftance pour fes brebis , luy qui
eft preí'c de donner fon ame pour
elles ? Comment, dis-je, ce Prelat
pourra-t-il eftre ménager & avare,
que la juftice rend amy de l'équité,
que la compa{lion du prochain
rend liberal , que la charité rend
tout ardent, que le zele des ames
_rcnd vigilant & que la frugalité
& la inodeftie rendent ménager
& en mefme temps liberal & prodigue
?
Pour ce qui ef'r de la priere &
de l'oraifon , q .ui font des devoirs
indifpenfables aux Evefques , parcequ'ils
font les principrux preC
tres de 1'Eglife : Q d , pourra mieux
s'acquiter de cette fonaion &

t
r
á
r_
,
e
i
r
t
,
s
é
r
-
s
-
^ de la vie des Evefques. 29 Í
avec plus de fiiccés, que celuy qui
ayme veritablement Dieu , &
dont toute la vie eít prefque une
oraifon continuelle ? C'eít ce que
nous apprenons de cet aveugle né
dont parle S Jean dans l'Evangile.
Nota fcavons que Dieu n'exau_ f intleamq
Ce point les ynéchans ; mais f quel- c . 9„
qu'un l'honore qu'il faffe fa volonté,c'efl
celuy-lic qu'il exauce. Plus
un homme eíl: agreable á Dieu
plus fa priere eft efficace & puiffante.
Car il efl efcrit , les yeux du pf.l. 334
Seigneur font arrefle^ fur les jufles,
^ f s oreilles fontattentives á leur.s
criç : Et en un autre endrQi t, le Sol- P.+ev,iga
gneur efl éloignc des' impies , ^ il
exauce les priores des jufles. Et nous
lifonsdans Ifaye , quel'oraifon de If0e43d
celuy-lá ^era execrable qui bouche fes
oreilles depeur d'entendre la loy de
Dieu. C'eft pourquoy le Seim
gneur voulant pardonner aux
amis de lob, qui par leurinfolence
s'eftoientrendus indignes d'ef-

299 1"raitédx devoir
tre exaucez , il les renvoye á ro &
mefine , afrn que par fes prieres
jis obtiennent le pardon de leur
4o 4=. temerité; Voicy fes paroles :. Mor
ferviteur lob prierapourvous, ^^ je
1'exauceray,afin que voflre folie ne
vous foit point imputée. je n'ay
point de parolesafFez forres pour
vous exprirner cambien les prieresdes
gens de bien font utiles au fakir
de tour le monde. Car poürquoy
eft-ce qu'Elie & Elizée font
fi fouvent comparez'dans 1'Efcri=
ture á des chariots de guerre & á
celuy qui les concluir, ou bien, fe-
Ion quelques interpretes,á des-cal
valiers , fine n'eft que par la force
de leurs prieres & de leurs oraifons
, ils eftoient comme des chariots
& des efcadrons de cavalerie
pour defendre le peuple de
Dieu ? Nous voyons au contraire
que lorfque Dieu fut en colere
contre fonpeuple, & qu'il eut refolia
de le détruire pour avoir°
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6, de ra vie des Evefques. 2;99
abandonné fareligion, il luy ofta
le fecours de la priere. Voicy
comme il parle au Prophcte premie
: Ne me priek point pour ce peu- r^.. f fo
ple , nc dites point mes loüanges ,
neme faitespointde pricres pour l'amour
de luy ni ne me reffekpoint,
Ne voyez-vous pas ce que peut
l'oraifon de l'homme jufte que
Dieu reconnoift en , cette rencontre
capable d'arrefter les effets de
fa puiíl'ance & fa colere ? Il femble
que Dieuait voulu en ufer ainfin
de peur de deshonorer la priere
qui hay feroit addrefl°ée fans cifre
exaucée , & c'eft pourquoy
avenir le Prophete de ne luy
point aire de priere pour les impies.
Le Prophete Ifaye ne vaa
loit- i.i pas un chariot de guerre &
un efcadron de cavalerie pour défendre
le peuple d'IfraLl, lors que
Sennacherib venant pour detruim
re la ville de jerufalem, il rompit
Íes forces par la priere qu'il adref
I

300 Traité du devoir
fa au Seigneur, & detruifit entiementfon
armée ? Enfin Elie , au
•rp^ de
faJnt^ac . rapport de faint Jacques , efloitun
^r^et s. í•
^
homme fujet colme nows ^ toutes les
miferes de la vie ; d' cependantayant
prié avcc une grande ferveur qu'il ne
pleufl point , il eeffa de pleuvoir furla
terre durant trois ans demy ,
ayant prié de nouveau, le ciel donna
de la pluye & la torre produift fon
fruit. Peut_il y avoir quelque cho.
fe de plus magnifique pour la bonté
divine , de plus fublime pour
la gloire des Saints, de plus merveilleux
pour la loüange de la
priere que de voir par fon moyen
Je cieí , la terre , la mer, les vents,
1es nuUs & les pluyes foiimifes á
l'empire d'un homme mortel ? S'il
eft donc vray que la priere ait
tant de force pour la perte ou
pour le falut des .hommes, felon
qu'elle eft adrefí'ée á Dieu par la
bouche de l'impie ou du jufte,
quel excés de loüanges ne donne-
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nede
lavie des Evefques, 3oj,
ra-t-on point á celuy qui par le
devoir de fa charge ayant le foja
public de 1'Eglife , du falut des
hommes , de la foy & de la religión-,_a
le c oeur remp l y de chari té
& d'amour de Dieu, & met route
fa force dans la priere par laquelle
Il nous defend & nous protege
contre les atraques de 1'ennemy
éternel du genre humain.
Enfln nous avons mis la frugae
lité & la modef}ie entre les principales
qualitez d'un Pafleur , par_
cequ'elles font que fes revenus luy
fournifíént une ample matiere d'exercer
fa pieté & fa mifericorde
envers les pauvres. Mais cette
vertu fans laquelle on peut dire
qu'un Evefque efl entiererneht
nud & defarmé, qui pourra míeux
la pratiquer que celuy qui ayant
la grace de la charité potí'ede tou_
tes les autres vertus , regarde les
biens de la terne comme du fumier
& ne fonge qu'á ceux du

3 02 Traité du devoir
ciel aufquels il tend de toutes les
forces de fon aine:? En effet com,
ment efl:-ce qu'unhomme que les
veritables'venus rendent illuflre
en recherchera -de fallas& d^i. ^ 1
maginaires pour ne prendre que
les ombres & les fpe,&res de la fo_ t )
lide gloire? Car•comme une fem_ l
me qui n'efl point belle a .coutlu- •
me de fefarder ., & que ceux qui^
font petits prennent des fouliers p
hauts pour paroiflre de plus belle
taille, ainfi ceux qui ne meritent '
aucun éclat ni aucune gloire par -
leur propre vertu en cherchent • e
une ef}rangere, & tachent de paroiflre
dans le monde & de fe ren-
•.dre confiderables par la fuite des
perfonnes qui leur font la cour, d
par de beaux habits & par les ri- f
çhefí'es, 'parceque d'eux mermes c
i.l feroienttres,_oo.bfcurs & tres meprifables•
la Terirable vertu ne
recherchepoint totites ces chofes, f
au cQ^►traire elle les detef}e & les

^ dP h vie des Eve%ques. 303
les evite autant qu'elle peut. Le fom.
.leil n'á que faire qu'on 1'environne
les de flambeaux pour éclairer le
ftre ,monde. 'Sa propre lumiere ne luy
d'i. .íúffit-elle pas
que Mais de plus fi les Apoftres , fi
fo- 4 les Prophetes , fi tous les Saints &
m- le Seigneur mefine des Saints, ont
ílu- • tellement aimé la modef}ie ., la
qui ^ fobrieté, l'aufterité de la vie, & la
iers pauvrete volontaire; s'ils nous ont
elle íi fort recomnridé cctte faÇon de
tent vivre, que fera 1'horrrnie faint le
par ,veritablearny de Dieu, qui pl u^ i1
ent • eft faint plus il s'applique á íé.for_
pa- mer une vie toute Evangelique &
ren- toute Apof}olique ? Car quand
des un faint Evefque fe trouve obligo
ur, de faire quelque chofe d.'éclatant,
s ri- felon les occafrons qui s'en ren_
ines contrent, ou par le devoir de fa
me- dignité ; il ne ; regarde point fa
ne perfonne,mais fon Eglifé ; il ne
fes, fonge point á fa gloire, mais au fa_
les lut des ames penfé point ^.

ejer. 4.
3®¢ Traité du devoir
fe plaire,mais au foin de fes brebis;
il ne confidere point fi les hom_
rnes jettent leurs yeux fur luy,
mais s'il fait fa charge ; il n'eítime
pas plus toutes ces marques de
grandeur & de dignité que cette
fainte femme Ef}er , laquelle eftant
Reyne &un Royaume tres
opulent, & pouvant fe parer de
tous les ornemens d'une perfonne
de cette qualité , portoit fous des
habits d'or un cilice tres rude dont
elle mortifioit fa chair. C'eít ce
qu'elle dit á Dieu dans fa priere.
jlousfcavek mes befoins , Seigneur,
¿9- combien j'ay en abomination les
marques d'orgucil & de gloire. le
deteflc tet orncment que je porte fur
riza tefle lorfque je fuir obliyée de paroiflre
en public , comme chofedu
monde la plus falle ; je ne le porte
pm' lorfquc je 'lis dans la retraite.
(t'e fi une femme élevée á une fi'
grande dignité n'a fatisfait au de-
Yoirqu'elle deyoit au monde,qu'avec
m
A

de la vie des Eve•,f°ques: 30
vec ce mépris du monde, & une íi
grande pureté d'efprit , que ne
doit point faire un Evefque qu^
fait une profeflion particuliere de
mener une vie Evangelique &
Apoftolique ?
II eft ce me femble bien aifé
maintenant de reconnoiftre par
tout ce que nous venons de dire,
cambien la charité & la fainteté
de vie font neceffaires pour tous
les devoirs de 1'Epifcopat. 11 n'y_
a plus que la charge d'enfeigner
& de prefcher la parole de Dieu,
dont j'ay differé de parler j.ufques
icy, parceque c'eíl le principal &
le plus important devoir d'un
Evefque comme nous IAavorrs
monftré par l'autorité du Concile
de Trente. Car fi 1'on peut dire
en quelque façon que tous les fidelles
font obligez á, ce devoir
non pas par leur eftat ou par autorité
publique , mais parla charité
vchreítienne á combien plus forte
C ^
111

306 2`°raitd du devoir
raifon un Evefque en. il obligé de
C
s'en acquiter , qui eíl: élevé dans
c
une place fublime pour prendre
p
garde z tous les dangers ,. & pour ré
d
détourner tous les malheurs qui
peuvent arriver á fon peuple
p
ti
pi.,á
S
Saint Auguffin nous enfeigne
Q4 Iá
yras° bien clairement cominent il eíf
l'
^'°^' vray de dire que tous les fidelle.s.
font en quelque favn obliaez
v
'^ ce devoir : C'effla loy , dit. i^, de
fr
fr
s' la providence d'rvine que perfon-
" ne ne foit affïf}é de fes. fhperieurs
fa
» pour connoiftre la grace de Dieu,,
m
le
o qui ne foit obligé de . donner la
mefine affiífanc.e á fes inferieurs..
ft
re
Et c'eff ce qui- a. fait díre á faint
ido/viles de
n
^re otre qle.le foldat ui com-
)raint G^ °_ g b Ci ^
e
s°"°• bat pour D1eu eífant afl'iífé de la
grace , doit penfer fes playes , de
fu
" forte qu'il n'abandonnepas celles
p
" de fon prochain. C'eff pourquoy
té
re
"nous lifons dans 1'Apocalypfe:.
rApnalyp Í p
L'Efprit epoufi difent : Vcne&,
que celuy qui entcrtd di f ; venek; par- V

1
^
1
6 de la vie des Evefques. 30r
coque le Seigneur ayant donné á
chacun le foin & la charge de fon
prochain ,. il faut que celuy qui fe
réloiiit d'eftre appellé de Dieu &
d'avoirobtenu famifericorde, ape
pelle toas fes freres pour eftre par
ricipans de cette grace que Dieu
luy á faite, Nous voyons dans
l'ancienne loy une figure de cette •
verité> Caril eftoit ordonné au
frere d'époufer la veuve de fon
frere , afin qu'il ne demeuraft pas
fans enfans Cela fe fait dans la
nouvelle d'iine maniere fpirituellé.
Car Jefils-Chrift .qui eft noQ
ftre frere.eftantmort 9 on peut dire
que parla parole divine- que
nous prefchons , 8i parí le.. bon
exemple de noftre vie nous 'uy
fufcitons des enfans &. nous 1'einpefchons
de manquer de pofterité.
S'il eft`donc vray que ce foirr
tegarde tous-les fidelles , quoique .
par des raifons bien difccrentes,
Tiene doit point faire celuy á 1^

3°9 7"raitel du devoir
fidelité de qui on a commis le foin
des ames , á la charge qu'il en feroit
refponfable & que toutes les
brebis qui feroient perduUs de fon
troupeau luy feroient imputées?
^^i a¡fo+'al de C'eft ain ,fi;que parle S. Czregoire,
e > Gres. 93
Que ceux -lá confiderent la grandeur
de leur crime , qui lors qu'ils
52
manquent de prefcher la parole
„ de Dieu á leurs freres,, commét-
„ tent un aufíi grand peché que s'ils
„ refufoient les remedes falutaires &
„ capables de rendre la vie aux ames
quí meurent & qui perifí'ent..
vCage des Les Evefques ne font pas fea.
biensd'E. lement obligez á cette fon&ion
par le devoir de leur charge , mais
par la reconnoifí'ance qu'ils doivent
avoir des revenus & des gages
que I'Eglife leur don'ze, qui
iont fi grands & fi amples, qu'ils
ne peuvent fans crime luy refufer
ce fervice. Le faint homme Job
avoit l'efprit éloigné de cette ing;ratitude,
co'nme il paroif} par fes

-
r
-
& de la vie des Evefques. 3o,
paroles. Si je mange les fruits de la aea.;c;
terre fans les payar, j'4flige le arar
des laboureurs , que fáint Gregoire
explique ainfi: Manger les fruits de
la torre fans les payer, c'eft prendre
le bien de l'Eglife fans pref- Gret' ccs'
cher la parole de Dieu. Celuy-lá cc
donc mange les fruits de la terre cc
fans les payer , qui convertit les cc
bicos de l'Eglife á fon ufage, & qui cc
ne luy rend aucun fervice. Que Cc
dirons--vous donc nous autres Pa.. cc
fteurs qui devons annoncer la ve- cc
nue de ce Iuge fevere á nos peu- cc
pies , qui avons pris la charge de cb
Predicateurs , & cependant mane cs
geons tour les jours le bien de cc
l'Eglife fans dire mot ? Mais vous cd
ayant fait voir dans les parties
precedentes de ce traité, que la.
predication de la parole de Dieu
eft une des principales fonaions
del'Epifcopat,& que les Evefques
font particulierement obligez
t4'inftruire & d'enfeigner les pew
CC Meral2é

paf
Traité du devoir
ples,il fe trouverapeut-eftre queÍ
qu'un qui doutera que la charité
qui eft fimple, & qui n'eít pas ac.
compagnée d'une grande fcience
puifFe leur cifre utile á quelque
chofe. En effet la faculté de par.
ler en public eítant un don de la
nature, qui doit eflre cultivé par
Fan, par l'exercice & par l'imitation
, comete on fcsait par le témoignage
de tous les Efcrivains
qui ont travaillé fur ce fujet,toutes
ces chofes manquant á un Pafteur,
de quelle utilité la charité
fera-t-elle? J'avou e que toutes ces
chofes font neceíl'aires á. un hom•
me qui parle en public & qui ne
peut les acquerir fans une eftude
tres-grande, & fans .un long exercice.
Más comete certe faculté
eif foümife á la volonté de Dieu,
& aux ordres de fa providente;
ainfi que toutes les autres chofes.
du monde,. je ne doute pas qu'i1
ait des perfonnes qui. ont obrenu
pa,-
tres
lifo
juf
le m
du
le r
&
plu
gen
il f
dre
ap
lig
có
rir
láf
rab
&
fuj
je

^ de !avíe des .Evefques. 3^
nu de Dieu cette grace , non pas
paf . leur travail & leur eftude, mais.
pa~ leurs prieres tres- ferventes &
res-frequentes. C 9eílr ce que nous
lifons dans 1'Ecclefiaftique c. Le
juf e applique %n mur d veiller dés e«r
le matin pour le Seigneur qui ta cree,_,
fera priere en la prefence
duTres-haut.a- le Seigneurle veut, il
le remplira de l'efprit d'intelligenee,
^ fes di^cours couleront come la
pluye.. M'ais paree qu'il y a peu de
gens á qui: Dieu-faflé cette grace,
il faut que celuy qui veut fe ren_
dre capablé de parler en .puplic s'y
applique avec-un travail &une di:
ligence extréme. Rien ne peut
cótribuEr davantage áluy acquerir
cette faculté , que la charité 8c
la fainteté de vie qui en ef}`infeparable.
Je vous avoue- que j yay leiur
& veu beaucoup de chofes fur ce:
fujet, & que j'én ay beaucoup obfervé
en eftudiant.L'habitude que
je me fuis acquife de prefeher la,
134

311 Traité da devoir
parole de Dieu par un long ufage li
oil je puis dire que j'ay inflé to, á
ma vie, m'en a beaucoup app. g
& cét ufage eft le meilleur maiit, le
qu'on puifi'e avoir dans cet art.' q
Mais que l'on mette toutes ces m
chofes enfemble d'un coflé, & de c
l'autre une charité tres-ardente, v
c'eft á-dire , un zele tres-arand le
pour le falut des ames, il e cer. lo
tain que cette vertu furpafiéra af
beaucoup tous les preceptes de la ' tr
Rethorique, laquelle fans cet ef_ y q
prit & fans ce feu ne peut produi. • tr
re qu'une éloquence fardée,aride, d
& inanimée , qui n'eft propre qu'á . m
fiater les oreilles, & quieft bien p
oppofée á cette acrimonie E van n
gelique qui touche le coeur, & g.ui lo
oblige les pecheurs á changer de . qu
vie. 11 ne m'efl pas bien difficile de m
vous prouver cette verité par , m
plufieurs raifons. q
Premierement, il efl certain, fe. r
ion S. Auguftin,qu'il y a trois qua- l
latex ,

, ^
rt.'
es
e
e,
d
r.
ra
la
f-<
i. .
e,
'á
n
n-
ui
de ,
de
ar
fe;
a-
ex .
d'e-/avíe des Eve rses. 3 r3
litez principales qui font requiïés
á un predicateur.Il faut qu'il enfeigqe;
qU'il-plaife & qu'il fléchiíl'e
fés auditeurs. Ceft une neceflité
qu'il enfeigne ; s'il plaift c âeft une
marque de fa douceur, & s'il fléchit
les cc:curs c'eft un figne de fa
vidoire. Or nous enfeignons par
les preuves , nous plaifons par l'é-.
locution;& n.oas41échifíós parles
áffedions & les mouvemés de n6-
tre cneur: Cyeft par ces mouveme's
qu'on enleve les-efprits , qu'on les
tranfporte , & qu'on les° met hors
deleurafiiete. uin>t•ilien ce grand
maiftre.des- oratetrrs , nous ap_
prend bien quelleeft l'utilité & la
neceflrté de cette dernierepartie,
lors qu'il dit : Les preuves font 6.
clue:les juges croyent noftre caufe
meilleure ; & les affeaions & les =^
mouvei►lens-de noftre Coeur font c c
qu'ils-veulent, qu'elle foit meilleu- «
re : mais lors qu'ils le , veulent, ils ta
le croycnt ci3 mefine ternps. Car ^$
Dd

^r¢ i°raité du devoïr
s'ils commencent une fois leilre
» touchez de colere, de bine ou de
compaílion, ils regardcnt nofire
» caufe comme la leur propre. Et
» comme des amants ne fÇauroient
juger de la períbnne qu'ils aiment,
» paree que l'amour leur ferme les
» yeux , les juges perdent toutes les
lumieres pour difcerner la verité,
» lors que les paílions eflát excitéés
» dans leur co:.ur , ils font emportez
►, par la chaleur & par le torrcnt de
voítre éloquence. En e%t,quand
» vous pouvez tirer des larmes des
yeux d'un Juge, comme if arrive
ordinairement 'dans les perorai-
» fóns , n'eítes_vous pas afTüré de
„ fon fuffrage? Q-i'un Orateur donc
►^ s'applique particulierement á ces
mouvemen- & á ces afFeaions,t'áns
quoy toutes res paroles font froi.
„ des & anides. Ces affcclions fony
» comme l'ame & I'efprit d'une pieaf
ce d'éloquence.
11 nous explique encare mieux
l
d

d- de la vie des Evefques. 3 1 S
dans la finte la regle qu'il faut íuie
vre pour exciter ces mouvemens,
lorfqu'il dit , que le fouverain
'Boyen de toucher les autres , c'eft
d'eftre touchez nous-mefines.Car cc
fi vof}re coeur n'eft point emeu, &
que cela paroifi'e íéulement dans
vos paroles & fur vótre vifage,
tour ce que vou s faites n'eílr qu'une
pure fingerie & une imitation
ridicule de triftefíé, de colere, &
d'indignation. Pourquoy eft- ce
que ceux qui font affligez d'une
dotileur nouvelle , parlent fi ele- cc
gamrnent, & que la colere fait di- cc
re de fi belIes chofes aux plus igno- cc
rans, fi ce n'eff parcequeleurs ef_ ct
prits & leurs caeurs íát échauffez? cc
C'eff pourquoy loríque nous vou- cc
drons prouver quelque chofe de c:
vray féblable, il faut que nous en cc
paroifíions touchez comme fi c'e- cc
ítoit la veriré , & que nof}re dif- cc
cours parte d'un efpiit qui foit tel cc
que nous voudrions que fufl: celuy cc
D d ij

316 Traité du devoir
du juge. Car comment s'afflige-
,9 ra-t-il de ce que je dis,s'il void que
>, je n'en fuis pas touché moy-meff,
me ? Comment fera-t-il en colere,
93 fi je n'y fuis pás ? Comment luy, tirera,y-je
des 'armes, fi je n'enlette
„ aucune.? Cela eft entierement im-
» pofíible...^I1.n'y a que le feu qui
93 puja brufler. .®n ne peuteflre
„ moüillé que,par quclque chofe
93 d'humide s& on ne fçauroit
99 primer une couleur que Pon n'a
>, pas. JI faut donc que ,nous fen_
„ tions ce.:.que..nous voulons faire
fentir aux juges , & que nous
93 foyons touchez fi nous voulons les
toucher. . uintilien n'eft pas tout
feul de ce fentiment. Ciceron, le
pere de 1';éloquence nous enfeie,N
:.dl>,
i'074I0117.
gne la mefine chofe. Corxirne,,il
» n'y a point, dit-il, de matieref
» fubtile qu'elle puiíTe brufler fans
>, le feu, il n'y a poit3t d'efprit, quel-
» que difpofé qu'il foit á vous écou-
» ter , qui puja eftre éc^^auffé de

d- dé"la vie de,r'ÉtitMe.r. '3ïy
voíEre difcours fi vous ne Deftes cc
vous meíme. Voilá ce que` diferir «
ces grands mã.iftres de 1'art giii
font les méilleurs témíoins qu'on g„ S ,^;;
puïflé" apporter en ce' point. r,v. s.
Saint Gregoire dit la mefme cho_ e6
fe. Les paroles qni partent d'un «
coeurfroid°ne fcauroient en#ïam_ F:
tnerl'efprit des auditcurs á 1'a_ «
mour de Dieu. Une chofe qui ne «
brnfle point ne peut pas en bruíler «
une autre. Si cela eftainfi ru1y-at-il
je vous fupplie , de plus pk►iffant
& de plus effi cace pour enflammer
les efprits des auditeurs
que la chanté ? L'amour de Dieu
eft feu non pas tiré de la pierre
&-de 1'acier, mais qui eft defcen_
du du ciel , & qul excite en" nous
une' foif fi ardente pour le falut
des ames, qu'elle touche merveil_
leufement le cceur de celuy qui
parle & qui perfuade. Elle initruit
fa langue , elle anime fon a&ion,
elle luy donne des figures , des pa4.
Dd iij

319 Trafté du devair
roles , & le vifáge d'un homme
paiiionné, elle luv imprime toute
forte de formes , ,& elle fait qu'il
rappelle de la mort eternelle les
pecheurs qui eftoient prefts á fe
perdre. Car fi , comme nous
avons dir auparavant, toutes nos
afRébons & toutes nos inclina.
yions naifl°ent de l'amour , co:n_
bien grands feront les mouvemens
clui feront produits par une charité
tres ardente?& celuy qui parlera
ef}ant échauffé de cette maniere
, combien échaufFera-t-il le
cceur de fes auditeurs ? Ce feu qui
brufle dans le cceur ne fortirat-il
pas par la bouche , par le vifa.
ge, par la langue , & par les geftes
comme un foudre ? Car comme le
feu qui efl: enfermé dás une en
fort avec violence & forme le ton•
nerre& les éclairs,Ie feu celef}e de
la charité qui eft enfermé dans le
coeur d'un predicateur fórt atún
par fa bouche & par fes paroles,

d- de la vie des Everques. 319
comme un tonnerre qui epouvante
les elprits des pecheurs. Et c'eft
pourquoy on ne peut pas douter
que la charité ne luy foit extremement
neceíhaire. Cela me fait reffouvenir
d'une réponfe que fit un
celebre predicateur, lequel eftant
interrogé quelles eftoient les partics
principalles d'un orateur
chreftien , dit qu'il y en avoit «
deux , la premiere , l'eftude des «
faintes lettres , & la feconde , un «
amour de Dieu tres ardent; l'une «
,pour trouver les chofes qu'iI doit «
dire,& l'autre pour les prononcer• «
Can celuy qui a le caeur penetré «
d'un amour de Dieu tres ardent «
invedivera fortement contre les «
pechez , contre les ennemis de ce- «
}uy qu'il ayme de toute fon ame: u
ces mouvemens ne feront pas „
moindres lorfqu'il fera queítion «
de fa gloire & de fes intereí}s. Ce «
fentiment me paroift bien veritable
, car par ce moyen les bonnes
D d iiij

3 20 7'^r^tité du d6vdir
chofes font bien dites , & il elh.
certain qu'elles le font bien mieux,
lorfqu'oii les prononce. avec con-,
ten tion d'efprit & avecforce, que
lorfque l'on parle . lentement &:
avec negligence.
La chariterne donne pas fei.ile_,
ment la faculté de bien dire , maiselle
fournit ã l'orateur l'abondan_•
ce des chofes qu'il doit dire. Son.
application particuliere doit eftre.
l'efl:ude & la contemplation des,
chofes divines : c >efl: la nourriture
& 1'entretien de la charité. C'eíi:
pourquoy faint Auguftin dit fort..
bien : Mon poids mon amourr. .
c'eftl'amour qui me porte partout. _
» oil je fuis porté. L'amoura la for_
2, ce de conduire noftre efprit & de:
” le pouíl°er oia il luy plaifl.Car com...
sj me l'amour du monde nous fait
r-egarderla terre; l'amour de Dieu.
›) naus emporte vers le ciel. L'amour
- & la contemplation des.
chofes-celeftes purifient _anerveil4.
•

Q;h dedavie des Eveiquek szt
leufernent nótre efprit,l'éclairent
& le rempliíí'ent de la fagefl'e du
ciel. C'éfi une fóurce dont on
prend toutes les forces & toutes
les qualitez neceffáires ,p^our bien
parler. C'efi cc qui a fait- dire á
farnt Gregoire , que' les faints
hommes qui font en repos puifenr « ltoratea
d^ ^a;nP
dansles fources de la contempla- ^,G. egq.5.
tiflir les eaux falutaires de la parole C 6
qu'iís repandent enfuite dans le „
cceur du prochain ; & que les. «
Saints apprennenten aimant , ce cb
qu'ils difcnten enfeignant. Car.c,
comme l'abbregé de toute la loy
confifie datas le feul commande_
ment-d'aym.er Dieu il efi certairr
que celuy_lá efi extrernement
ft'ruit de la,loy , qui la connoifi
nonfeulement par la lea-are & par
l'efiude, mais par l'arnour. Nóa
tre bien-heureux pere faint Do_
minique , qui efioit un des plus5
grands lyredicateurs de fon temps,-
efioit de ce fe.ntiment,& efiant in®

l it Traité du devoir
terrogé d'oú i1 tiroit toutes les
bcllcs chofes qu'il difõit dans ces
fermons, il répondit qu'il les pre_
noit dans le livre de la chanté.
Ctrerépófc étoit bien veritable,
¡Dais elle fut en mcirne temps incomprehenfible
á tous ceux qui
ne connoifroient ni la force ni la
nature de ce feu divin , & qu'on -
ne peut experimenter que dans
l'efcole du faint Efprit & par 1'efülion
de la grace , qui fait que la
charité ne donne pas feulement
les mouvemens & la force á nos
pparoles, mais qu'elle nous fournit
1'abondance & la matiere de§
chofes que nous devons enfei.
gner.
Mais parcequ'il y a tres peu de
predicateurs qui s'infl-ruifent dans
1'école de la dilecdtón & de la meditation
avant que de fe produire
& de paroifire en public ; il me
f. mble que faint Bernard á raifon
de leur dire ces paroles : Nous

6?- de la vie des Éve¡quer. 313
avons dans 1'Eglife beaucoup de >s
canaux & peu de refervoirs ; car cc
la charité de ceux par qui les eaux « ^4^ryr
du ciel tombent fur nous eft telle, ci% Z^
qu'ils ayment mieux fe répandre «`"""'
que de fe remplir , ils ayment cc
mieux parler qu'écouter, ils font cb
plus prefts á enfeigner qu'á ap- c:
pr.:ndre. Et fi vous me demandez
quelles font ces chofes dont il fe
faut remplir avant que de les répandre
, le merme faint nous l'en.
feigne dás le mefinelivre.Les chofes
, dit-il , dont nous devons eftre ai
remplis avant que de les commu- cc
niquer aux autres , font la com. cc
pondion de ceeur , la devotion, cc
la penitence, les auvres de pieté, cc
la priere , la meditation , enfin la cc
plenitude de l'amour de Dieu. cg
Voyez done parla combien il y a
de qualitez outre la féience & l'e_
liude, qui font neceffáires á un
Ilumine qui enfeigne les autres.
Il y a encore quelque chofe fur

3/4 Traité du devóTr
ce fujet que l'on peut téprendre
de plus haut , & exatnir,ér de plus
pres. Car il eft conftant que com.
3ne parmy les medecins celuy-lá
eft le plus celebre & le plus habile
quia le plus guery de malades, de
rxcelience mefme entre les Predicateurs , ced`un
Preluy_
lá doiteftre eftimé le plus élo_
querit qui a le plus converti de pecheitrs.
Car la fin de ces deux arts
eft de guerir les maladies du corps
& de l'ame. Dril eft %certain que
la fanté de l'ame eft un don de
Dieu , & qu'il n'y a point de puiffá`nce,de
force;ni d'éloquence ha;
maine qui- nous la puiffe donner
fans le fecáiars de la grace. Mais
cette grade eft bien plus afíárée &
plus-efficace lorfque celuy qui la
demande pournous á Dieu eft un
faint & un homme remply de charité.
Donc plus un homme a de
fainteté , & plus il convertit de pecheurs,
plus il doit eftre eftimé un
éloq ,uent & un excellent predicaf

i
^ deLt vie des Evefques. , 32,5
teur. Mais parceque ce point me
paroilt de grande importance , &
qu'il peut ápporter beaucoup de
lumiere áu í:u,,jet que nous traitons
il eít jufEe que nous leexpliquions
plus au long.
Premieré;ment 1'Efcriture fain.
te nous apprend_qu'il impOffi_
ble derv.enir á Dieu & de quitter
fon peché fans un fécours & .une
grace particuliere. C'eft ce que
nous lifons dans faint jean
fonne ne peutvenirA mo'y f mon pere
qui m'a envóyé ne le tire á luy. Il efl
efcrit . dans -les Propbetes : ^ls, f ront
tous enf ignekde Dieu. otu ceux
,donc qui ont óui h.voix du pere
()lit efld enfeignek de luy , viennent á
moy. , :II faut donc que le Pere in_
ftruife noftre coeur au dedans par
l'infufion de fa grace, afin que la
4parole exterieure du , pzedicateur.
nous puiff'e convertir. >,.On peut
rapporter á ceIa, ces, paroles de
Iob. I'rendrez,, vóms heviátham
o, l^er_ sa^^t Itar3
eb. 6e

nas
` Pi
P•
326 7"raité du devoir
avec l'amei:cn , percere Z voue°
la langue avec le fil de vofire ligne,
afrn que vous arrachiek de fa bouc he
les ames qu'il devore cóme une proye?
11 n'y a que le Seigneur tout-puif_
fant quiaitaíhez de force pourfaite
cela, C'eft pourquoy i1 avertit
fes di(cipl-es par ces paroles en les
inííituailt les predicateurs de fon
Evangile. Comme labranchede la
vigne ne feauroiz portcr de fruit d'ellemefine,
mass qu'ilfautqu'elle demeu.
reattacliée au fep : ainfi vous n'en
pouve porter aucun fi vous ne demeure;_
en moy. Ie f is le fep de la
vigne , vous en ejes les branches.
Celuy qui derneure en moy d. en qui
je demeure porte beaucoup de fruit,
car vous ne pouve rien faire ;rans
moy. Cela nous fait bien voir que
quclque éloquence qu'ait un predicateur,
& quelque fcience qu'il
al , toutes fes fueurs & toutes
fes peines ne nous fervent de rien,
fi Dieu ne nous touche le caeur in.
^
i a

d° de la vie des Evefques. 317
terieurernenr, & ne nous donne la..
g
race. C'eft ce que S. Gregoire
nous apprend PP p par ces p ároles. Les
`bd^
ar"qj"
f^^^^
avertiihenjens exterieurs que l'on «''^tgoiro^
fut á nomine luy font Mutiles, fi cc
j?ieu ne luy remplitpas le cocar de f 6
fagrace. La bouche du predica- cc
teur eft muette, fi Dieu ne cric au «
dedans du coeur, & ne vivifie
les paroles que l'on entend par les «
oreilles. Et en un autre endroit: ^,g
Le difcours du predicateur naeft
rien fi Dieune touche le e Qeur de ca
celuy qui efcoute : Qie perfonne «
done ne loiie le predicateur s'il c6
entend ce qu'il dit : car fi Dieu Cc
n'agit & ne nous inftruit luy-meG cc
me, la langue du predicateur tra_ cc
vaille en vain. repete encore la cc
mefine chofe en un autre endroit: cc
Si le S. Efprit, dir-il, ne remplit le «
çwur des auditeurs,c'eft en vain cc
que la voix du predicateur frappe cc
leurs oreilles. Les do&eurs peu- cc
yent dire beaucoup de veritez, a

318 Tratité du devoïr
), n7ais'rl leur eft impoílible de nous
!, les perfuader fans la grace.
Parmi 1á multitude des fujets
clui. nous. caufent certe mifere,
. faint Augu.ftin nous en rapporte
un qui eít bien -confiderable.
u- uánd je confidere ,-dit_il ; les
" gens qui ayment le fiecle , je ne
+, vois pas cQmment la. predication
» de la parole de Dieu leur peut
eftre utile. Car : quand jis font
„ dans la profperite & dans la fortu-
» ne ils fe mocquétdes remonftrari.
» ces qu'on leur.fait & les regardent
+5 comme des_ chanfons , & quand
ils font dans l'adverfi té ils ne fon_
„ gent qu'á s'en tirer, & ne penfent
+% a auc un remede pour guer3rla.mas.
ladie de l'amour propre qui les
preííé._..Pluít á Dieu que 1'expexience
de tous les jours ne nous fift
pas connoiftre cene verité. Car
• ne voyons.: nous pas manifefte.
ment que les .caeúrs des hommes
dans 1a pro:perité foit dans
.1'ad-

^ de la vie des gvefquei. 329
lradverfité , font tellement atta..
chez aux biens de ce monde, &
font fi remplis de l'amour des chofes
periífables ,. que leurs fens ne
peuvent connoiftre autre chofe
que ce qu'ils aiment par une cupi_
dité infurmontable & avec un attachement
infeparable. L'infenréy
dit le fage , ne trouvc point les paroles
de fa fageffe , fi on ne luy dit ce
qu'il a dans le mur. C'efi en vain
que l'on parle des chofes de Iaieu
á ceux qui font dans cene mauvaife
difpofition. Leur coeur eftant
plein de mauvaifes chofes nepeut
recevoir les bónnes..C.'eil comme
un vaze qui efi plein & qui fe de;
borde. Mais que dis-je ? Tour au
contraire ilsregoivenrla lumiere,
& pour leur m°al_hewr il's luy refi^^
ftent: ilsreçoi-vent le.falut,& ils le
negligent : ils reçoivent la doc4ri,,.
ne,& ils la mepriféntMs resoivent
la rnedecine á leurs-maux, & ils ne
s'én:fervent pdint : enfin ils recsoi-
E e.
Praver, itj

53° 2"rczité du devoir
vent la grace que Dieu leur pre-:
fente, & ils la rejettent. Tour cela
ne fera-t-il pas leur condamnation.
Y-a-t-il rien de plus criminel
que de connoiflre la verité & ne
Saiat re, la pas fuiv re ? Si je n'eftois point ve-
``'• `s' nu , dit le Seigneur, d- que je ne leur
eufTe point parlé, ils n'auroient point
de peché mais m:sintenant ils n'ont
point d'exemple de leur peché pt
S. Auguftin dit fort bien, que de-
^g^o )?
puis le commencement du monde
l• de' s. 15 jufques á la fin , la parole de Dieu
gN`/L efl prefchée aux uns pour leur fa-
» lut , & aux autres pour leur condamnation.
Ce qu'il explique encore
par une comparaifón admirable
dans un autre endroir. Le
S) Seigneur envoye la pluye fur les
S) moiffons & fur les épines en mefmetemps,
mais fur les moifi'ons
-» afin que leurs efpics fe rempliffent
)) de grain , & fur les épines afin
» qu' elles foient mifes au feu. Ce
» n'eft pas que le Seigneur faífe

t
di- de la vie des Fve^quel. 33 x
tomber la plu ye ã cetté intentio ►z, ct
inais c'eít que la terre, qui reÇoit ct
cette eau du ciel , eít une terre re- cc
prouvée & maudite dont le fruit cc
n'eít bon gn'ã bruflcr , felon 1'A- cc
poftre , qui ne produit que des cc
épines & des ronÇes ã ceux qui la cc
cultivent. cc
Cela eftant done ainfi,& le travail
des predicateurs & des doc.
teurs , n'eftant pas fuffifant pour
noftre falut fans la grace de Dieu,
& au contraire ne contribuant
qu'á nofl:re condamnation , quel
fruir peuvent- ils attendre de lcurs,
predications, s'ils n'obtiennent du
ciel la vertu & la lumiere interieure
qui nous eft (i necefí'aire , par
leurs gemiíremens & par leurs lar_
mes...Carfaint Auguftin dit fort cc
bien, que le predicateur doit tra- cc
vailler afin que fes auditeurs en-, cc
tendent l.^en ce qu'il dit , qu'ils cc
l'écoutenr volontiers & avec cc
abeïíí'an,ce, & erre perfuadé que El
E e i j

331 7"raité du devo&r
%> pour bien reüílir::en ce ,point res:
f9 prieresluypeuvent plus fervir que
» fon éloquence. Car il eft obligé de
'^prier Dieu pour foy & pour ceux
» qui 1'écoutent, afin qu'il foit plú-.
» toít orateur par fes' oraifons que.
» par fes declamations. . Il faut,
» done quand l'heure de la Predica-
), tion s'approche , qu'il eleve foil
» ame á Dieu;.afin que par fes paro-
» les il ne rende á fes auditeurs que
» les chofes dont Diewl 9aura rem_
pli. Si cela eíf ainfi , &: que le
fruit de la predication depende
plus des :prieres du_ predicateur
que de fon a&ion , de íes .pleurs
que de fes paroles , de fes gemifl'emens
devant Dieu que de fes 'crisL
devant--le peuple, il efl certain
que la chanté & la fainteté de vie
font extremement neceíí'aires
pour cet employ ; parcequ'elles
rendent nos prreres.tres agreables
á Dieu,& que nótre do&rine en tire
toute fa force & tout fori-effual

d- de ld víe des Evefbe.r< 331
ce pour la c®verfion=des pecheurso
Ajoutons que la fainteté de vie
confirme extremement & fortifie
la do&ine,rien ne perfuadant tant
que la bonnevie d'un predicateur,
& que lorfque I'on void que fes
a&ions & fes moeurs correfpondent
á fés paroles. C'efl: ce qui a
fait dire á fáint Gregoire, que ce-` m„0, a„
ldy-la fc^ait dire la verité qui c^ait -f ^ ^¡£^n
bien faire, & que la femence de la ahur,
parole berme dans le cceur de 1'au "
diteur , quand elle eft arrofée par "
la pieté da predicateur. Toutce._ "
la nous fait bien voir qu'il n'y a
rien de plus vray que ce que nous
avons auparavant en parlant
de la fainretó des Evefques , qu'il
ne faut pas féulïment que leurs pam
roles foient faintes mais toutes
leurs a&ions,qui doivent toiijours
s'accorder enfemble , pparceq-u'il
faut que celuy dont la`'charge
confifte á purifier les autres , foit
lup.mefmc,tres pur &-fans -tache, . :

334 Traitd du devoir
jLorfque le Seigneur voulut (aire
eremie le Predicateur de fon peuple
il le fan&ifia dans le ventre de
fa mere. Il purgea les levres du
prophete Ifáïe avec le feu par le
rniniftere d'un Auge , afin de le
rendre capable de purifier les
hommes des ordures de leurs pe_
chez. Saint Paul fut ravi au
troifiefine ciel , & les fecrets de
Dieu luy furent revelez, afin que
devant eftre le do&eur des Eglifes
il apprit parmy les Auges ce
qu'il devoit enfeigner aux hotnmes.
C'ef} ce qui a tait dire á faint
Gregoire de Nazianze en d'écrivant
les moeurs d'un cxcellent
93 predicateur. Ilfaut,dit_il,premie-
„remel t qu'il fon-tres pur,afin qu'il
„rende les autres fages , qu'il de-
» vienne la lumiere , afin qu'il éclai-
„ re , qu'il approche de Dieu afin
„ qu'il en fafí'e approcher pes autres,
„ qu'il foit faint afin qu'il farrtiñ;, , &
S, que .;lães uplus .f^ient j,ultes afui

:
t
l
,
,
& de la vie des Evefques. 335
qu'il fouftienne ceux qui feroient cs
prefts á tomber. Si done la fain- cs
teté de vie qui eft infeparable de
la charité , eft fi neceffaire pour
cet employ , dequoy férvira la
do¿trine qui procede d'un caeur
plein de pechez & d'une bouche
tres impure. C'eft avec raifón
que faint Auguftin s'emporte con.
tre un tel predicateur : Ecoutes c,
toy-mefine predicateur tres cruel, C6
tres méchant , & tres fourd. A cc
quoy me fert ta langue d'or , fi tu cc
as un coeur de fer ? Cette do&rine cc
eft delicate dit faint jeroftne ; cc
quand on monftre á un combar
tant les coups qu'il doit donner,
& qu'il y a une muraille entre cc
vous & luy , & que Pon reprend cc
un foldar tout couvert de fang de a
fa moleffe pendant que 1'on eft „
environné de fenteurs. cc
II y en a plufieurs , comme dit °,s:
faint Gregoire , qui recherchent cc¡; ^44
3es chofes fpritue},les, nlais^ md- ^c

- 33 6 " Traité du devoir
9r -prifent par leur vie ce qu'ils pene
39 trent par leur intelligence, ils en-
» feignent ce qu'ils ont appris par
„ leur elude & -non pas par leurs
97 oeuvres. Ils combattellt par leur s
99 moeurs,ce qu'ils prefch& par leurs
paroles. Saint Gregoire fait encore
voir la mefrne chofe en une infiL
nité d'endroits,: Celúy , dit-il;
ov, S . w dont la vie eft méprifée, prefcfie
,9 d'une maniere méprifable. Et en
,9 un autre endroit on n'a.
99 pas d'eftime põur la perfonne , on
99 n'en a pas merme poúr• 'le bien
S9 quand elle leclit, quoy qu'iI arri=
,9 ve quelquefóis que les épics de
9' -bled naiil'ent parmy les ronces: -
Et en un autre endroit : Qiand la
confcience reproche-gttelque crirme
, la crainte de la confufion em.
pefclre la=langue de paríer. Qáand.
»les Predicateurs ne` font pas ce
93 qu'il•s prefc]aent aux autres , la ve-
» rité rem.ué leurlangue & accufe
^ l^eur vie ; & par leurs-parolés
font

6- de id vic des Evefque.t. 33'
'foílt jugos & accufá.teurs d'euxnnef►nes.
Cette maniere d'enfeigner
eít plus nuifible que profita- u
b-le aun( auditeurs. Ceft ce qui a ca
fait dire á faint Auguflin que lorfqkie
les méchans enfeignent les c<
nutres , cefl comme une branche c<
dans un fep,& une grappe de raifin
parmy des épines, il la-tá.ut cueil- c<
liravec adref3ê depeur de fe dé-

331 Traitd du devoir
do&rine que noftre Seigneura en..
feignée par nos bonnes moeurs,La
vertu de la priere & de 1'oraifon
rendencore Dieu propice aux au_
diteurs. Car fans fa lumiere , &
fans fes eníéienemens interieurs,
tout ce quel^homme dit d'exte_
rieur efl inutile : C'eft cette lu_
miere qui fournit la matiere & 1'a_
bondancepour parler. Sans elle,
tout le difcours eft froid & anide.
Enfin c'eft elle qui donne la chaleur
, les mouvemens , la force,
ces paroles de feu & ces foudres
qui fortent de la bouche des Predicateurs.
Car fi 1'imitation de la
verité a quelquefois eu a(fez de
force pour toucher les efprits,
que ne pourra point la verité mef
me qui eft bien plus forte que fon
image & fa reprefentation.. Si
1'ombre de lanature peut tant de
chofes, que ne fera point la nature
mefine ? La charité peut toute
feule vous donner tous ces biens.

d- de la vie des Evefques. 339
y-a-t--il dónc fujet de s'eítonner
fi nous luy attribuons toute la force
de l'éloquence chreíl.ienne ? &
fi cela n'eít pas ainfi , pourquoy
1'EgliféattribuU_t-elleau faint Ef
prit, qui eft la charité du Pere &
du Fils, d Tavoir parlé aux hommes
par la bouche des prophetes?
Pourquoy ne dit- elle pas pluiloílr
cela du fils qui eíl la parole & la
fagefí'e du pere ? Car ã dire le vray
quoiqu'il foit necefiaire ã ceux qui
out ã traiter tomes fortes de matieres
, d'avoir de la fcience & de
1'éloquence pour donner de la
force & de la vigueur ã leur dif
cours ; neanmoinspourprefcher
la parole de Dicu d'une maniere
fiiblime & relevée , il eit certain
que la pureté de l'efprit & la chae
rité font beaucou p plus utiles que
la fcience & 1'éloquence. C'eí$
pourquoy noítre Seigneur ayant
deítiné fes Apoí{ res pour précher
fon Evangile il les purifia , il les
F f ij

340 TrAitd du. devoir'
íánE}ifia,il les brilla por áiníi di:
re, avecle feu d'une charité tres
ardente , afin qu'.eíl:ant ainii en_
flammez ils ne difent pas .feulement
les paroles.& les peníécs
qui leur vc:noient dans i'eíprit;
nnais qu'ils jettaírent des flainmes
par la bouche , ,par le moy en def.
quelles ils excitail'ent tour le moiZ l.
de á l'atnour de Dieu & á luy ren.
dre I'honneur qui luy- eíl deu;
C'eíl de ce feu divin dont le coeur .
du propphete Jerem-ie efloit em_
brazé rorfque des paroles de feu
fortoicnt de fa boliche , pour por..
ter les efprits des hommes á la re:.
ligion & á la pieté. C'eft ce mei
me feu dont le prophete Elie
efloit enflammé, & dont ileít dit
r:..6. .dans l'efcriture : Le=Prophrte Flie
a paru conanac un feu .: 6", fon di ^nurs
bru./loit comme un flambcau-ardenti
Saint Gregoire remarque que
ceux qui enflamment les autres
par.Ie fcu doza6 jis bruílent euxt

dela vic des FvEf^ues. 342
,mefi»es fónt de- 1'.órdre. des Sera- Komr;d,
'phins. 11 y en a quelques-uns , dit cc.
ce pere , qui font tellen3ét échauffez
de l'amour des chofes cel.ef}es cc
cc
qu'ils ne defirent que Dieu, ils ne cs
f uhaitent rien en .ce monde , ils cS
font nourris de i'amour de l'éter– cs
nité , ils rcjettent toutes les cho.. cc .
fes terreftres, & leur efprit ef1 au cc
defrus des biens temporels , ils cc
ayment, ils bruilent & font en re- cc
pos tout enfemble , ils bruflent en ca
aymant, & ils échauffent les au- cc
tres lors qu'ils parlent, & les tou_ cs
chét fi fort par leurs paroles qu'ils u
les obligent d'aymer Dicu. Ces cc
gens ne peuvent ef}re que des Se,- ct
raphins dont le ca:ur tour de feu cc
brufle & éclaire Ics hommes. u
Qepeut-on dire de plus magnifique
& .de plus avantageux 1 la.
I oüange de cette vertu,.,qui tire
nomine de fa_ condition mortel_
le & qui le met parmy les Auges?
^ charité_ merveillcufe que vous

34r Traite du devoir
avez de puifrance & de force
Vous faites brufler comme des
flammes de feu le caeur des Miniftres
de Dieu & de 1'Eglife ; vous
donnez la perfe&ion aux fidellesr
vous confacrez les I'reilres ; vous
eres 1'ornement des Pontifs , la
fontaine de la fainteté , la fource
de la prudence , la mere de la folli_
eitude paftoralle , la force & la
generofité des prelats, la lumiere
de la fcience , l'origine de la mifericorde
, la defenfc de la juftice,
l'arc de parler & de prefcher , 1'abregé
non feulement de lavie,mais
de tous les dcvoirs des Evefques,
enfin la colomne & le fondement
de l'Epifcopat. Ce n'er donc pas
fans raifon que le Seigneur demande
tant de fois cette qualité
au prince des Aporres. Il fÇavoit
cómbien elle er necefí'aire pour
toutes les fon&ions d'un pakeur.
C'er le propre du fage de diré
beaucoup de chofes en peu de pa-

de fa vie des Evefgves. 343
roles: & c'eft ce que ce divin Malare
á fait en cetre rencontre : car
en peu de mots il fait connoiffre
parfaitement ce qu'il defire d'un
paíteur , & ce qui luy eíl; neceíí'aia
^re pour bien s'acquiter de fa charge.
La charit;é qu'il .demande
toute íéule comprend tour. Tra- ,
vaillez donc autant que pourrez a:
l'obtenir, Demandez la par vos
voeux & par vos prieres. Qyelle
bruíle dans voílre coeur , qu'elle
paroiíl'e dans vos paroles , qu'elle
éclate da.ns vos mceurs , qu'elle
vous conduife dans vos fonaions,
enfin qu'elle vous forme & qu'elle
vous anime pour toutes fortes de
bonnes oeuvres. Faltes en forte
par voílre induftrie , par vos foins,
& par vos confeils , que les Rois
& les Princes qui donnent des ,
Evefchez ne les rempliíl'ent que
de ceux qui font les plus animez
de cette charité , & qui excellent
le plus par cette vertu & par la re-;

344 Traité du devoir
ligion. Pour moy il ne me refte
cju'á vous dernander en finifíánt
ce traité , la mefrne grace que je
vous ay demandée au comniencement
, & de me pardonner la hardieffe
quer j'ay prife 'de parler des
devoirs de iEpifcopat , dontma
profeilion m'a toi°ijours fort éioigné
, en prefence de tant de
grands Evefques qtai ont rendu
des Cervices fi confiderables á l'Eglife
: il me femble que je nepuis
micux terminer. ce .drfcours que
par ces dcrnierés :.pároles du pafloral
de faint`Gregóire. l'ay fair,
dit-il , comme une pierre á aiguifer
qui rend le fer propre á couper
quoy qu'ellene puiffe rien couper
» elle mefine. -l'ay fait 'le portrait
)) d'un bpl homme quoique je fois
13 un mau'vaispeintre, &°je conduis
f) les autres au rivage de la puf:-
!) ftion lorfque je demeure dans les
)) flots & dans les agitation.-s de mes
a' pechez.
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I,y F1N.
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