les 20 ans de la loi sur l'avortement - Centre d'Action Laïque
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LES <strong>20</strong> ANS DE LA LOI<br />
SUR L'AVORTEMENT<br />
DE LA SUBVERSION AU DROIT<br />
Actes du colloque du 1er avril <strong>20</strong>10
Table <strong>de</strong>s matières<br />
• Avant-propos 2<br />
• Discours d'introduction <strong>de</strong> Pierre Ga<strong>la</strong>nd 3<br />
• Discours d'introduction <strong>de</strong> C<strong>la</strong>udine Mouvet 5<br />
• Discours d'introduction d'Anne Spitals 7<br />
• L'action du <strong>Centre</strong> <strong>d'Action</strong> <strong>Laïque</strong> 9<br />
Georges Liénard<br />
• Les femmes européennes: toujours pas éga<strong>les</strong>? 19<br />
Catherine Lützeler<br />
• La lutte pour le droit à <strong>l'avortement</strong> en Belgique – Un combat <strong>la</strong>ïque 22<br />
Jean-Jacques Amy<br />
• L’avortement à l’intersection <strong>de</strong>s luttes féministes et <strong>la</strong>ïques 28<br />
Bérengère Marques-Pereira<br />
• Débat <strong>sur</strong> <strong>les</strong> enjeux actuels 34<br />
• La conscience royale et <strong>la</strong> représentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> nation 41<br />
Roger Lallemand<br />
1
Avant-propos<br />
Le 3 avril 1990, avec une <strong>la</strong>rge majorité, le Parlement vote enfin une <strong>loi</strong> dépénalisant<br />
partiellement l’avortement. C’est le résultat du combat acharné <strong>de</strong> certains mé<strong>de</strong>cins,<br />
<strong>de</strong> féministes, <strong>de</strong> <strong>la</strong>ïques.<br />
Pour célébrer cet événement, pour se rappeler <strong>les</strong> étapes qui y ont mené, pour débattre<br />
<strong>sur</strong> <strong>les</strong> enjeux d’hier et d’aujourd’hui, pour se (re)mobiliser, en Belgique, mais aussi<br />
en Europe et d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong>, nous avons participé à <strong>la</strong> campagne <strong>la</strong>ncée le 1er mars<br />
<strong>20</strong>10, « Pour que toutes <strong>les</strong> femmes aient enfin le choix ! »<br />
Pour mener ce projet, <strong>la</strong> Fédération <strong>Laïque</strong> <strong>de</strong> <strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning Familial s’est associée<br />
à <strong>la</strong> Fédération <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning Familial <strong>de</strong>s FPS et au <strong>Centre</strong> d’Action<br />
<strong>Laïque</strong>.<br />
La campagne a consisté en :<br />
• La diffusion d’affiches et <strong>de</strong> dépliants<br />
• L’organisation d’une marche pour le droit à l’avortement en Europe le 1er avril <strong>20</strong>10,<br />
à Bruxel<strong>les</strong>. A cette occasion, une lettre ouverte a été tr<strong>ans</strong>mise aux Etats européens<br />
ne reconnaissant pas le droit à l’avortement et à l’Union européenne<br />
• La tenue d’un colloque, le 1er avril <strong>20</strong>10 à Bruxel<strong>les</strong>, « De <strong>la</strong> subversion au droit »<br />
Cet ouvrage reprend <strong>les</strong> actes <strong>de</strong> ce colloque qui s’est tenu sous <strong>la</strong> Prési<strong>de</strong>nce d’honneur<br />
<strong>de</strong> Monsieur Roger Lallemand, Sénateur honoraire et Ministre d’Etat. Sa contribution<br />
clotûre cette édition et reprend un article évoquant <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité constitutionnelle,<br />
désormais historique, <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> dépénalisant l’avortement : l’absence <strong>de</strong> signature<br />
royale en bas du texte légal.<br />
2
Discours d’ouverture<br />
Pierre GALAND<br />
Prési<strong>de</strong>nt du <strong>Centre</strong> d’Action <strong>Laïque</strong><br />
Chers amies, Chers amis,<br />
Bienvenue à tous et merci <strong>de</strong> votre forte<br />
présence ce matin et, maintenant à ce<br />
colloque « De <strong>la</strong> subversion au droit ».<br />
Merci à tous <strong>les</strong> partenaires <strong>de</strong> cette opération<br />
qui consiste à célébrer <strong>les</strong> <strong>20</strong> <strong>ans</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> Lallemand/Herman-Michielsens.<br />
C<strong>la</strong>udine Mouvet vous expliquera d<strong>ans</strong><br />
quelques instants <strong>la</strong> genèse du partenariat<br />
dont le CAL est heureux et fier <strong>de</strong><br />
faire partie.<br />
Au rayon <strong>de</strong>s remerciements, honneur<br />
aux dames, et à Monique van Tichelen ici<br />
présente, coprési<strong>de</strong>nte du comité pour<br />
<strong>la</strong> suspension <strong>de</strong>s poursuites judicaires<br />
en matière d’avortement - que je salue et<br />
remercie; Monique Rifflet, qui a été <strong>de</strong><br />
tous <strong>les</strong> combats <strong>sur</strong> le terrain comme<br />
mé<strong>de</strong>cin et comme fondatrice du premier<br />
p<strong>la</strong>nning familial en région francophone<br />
en 1962 (La Famille Heureuse), et qui est<br />
aussi cosignataire <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> Lallemand/<br />
Herman-Michielsens.<br />
Je m’en voudrais <strong>de</strong> ne pas citer <strong>les</strong><br />
personnalités qui ont soutenu le projet<br />
et cel<strong>les</strong> et ceux qui se sont libérés pour<br />
nous rejoindre.<br />
Je voudrais également citer <strong>les</strong> personnalités<br />
qui s’y sont personnellement impliquées<br />
: Olga Zrihen, Jean-Jacques Amy,<br />
Bérengère Marques-Pereira, Dominique<br />
Roynet, Manue<strong>la</strong> De Palma, Anne Spitals<br />
et Georges Liénard…<br />
Et <strong>la</strong>st but not least, nous rendons<br />
aujourd’hui un hommage vibrant au maître<br />
d’œuvre <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> <strong>de</strong> dépénalisation <strong>de</strong><br />
l’avortement et à l’avocat <strong>de</strong> Willy Peers :<br />
Roger Lallemand !<br />
Avant <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r <strong>la</strong> parole à nos partenaires,<br />
je voudrais rappeler que si nous sommes<br />
tous présents ici aujourd’hui, c’est<br />
parce que le combat pour le droit <strong>de</strong>s<br />
femmes à disposer <strong>de</strong> leur corps est <strong>loi</strong>n<br />
d’être achevé ; nous voyons aujourd’hui<br />
à quel point ceci est rendu nécessaire<br />
par un retour aux restrictions imposées<br />
par <strong>les</strong> partis<strong>ans</strong> <strong>de</strong> l’ordre moral ; nos<br />
acquis sont menacés en permanence et<br />
<strong>de</strong> façon insidieuse, comme nous l’avons<br />
encore vu dimanche <strong>de</strong>rnier. 1<br />
Et je ne parle pas que <strong>de</strong> l’Europe, où quatre<br />
pays interdisent encore l’avortement et<br />
où, d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s pays où celui-ci est dépénalisé<br />
comme l’Italie et l’Espagne, on voit apparaître<br />
<strong>de</strong>s mouvements d’ « objecteurs <strong>de</strong><br />
conscience » à cause <strong>de</strong>squels <strong>les</strong> femmes<br />
ne peuvent pas faire va<strong>loi</strong>r leur droit. En Belgique<br />
aussi, il existe, même d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> hôpitaux<br />
publics, <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins qui refusent <strong>de</strong><br />
pratiquer <strong>les</strong> IVG même en cas <strong>de</strong> détresse<br />
extrême. J’ajoute, mais mes collègues en<br />
parleront sûrement, que d<strong>ans</strong> notre pays,<br />
<strong>de</strong> nombreux centres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial<br />
peinent à trouver <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins acceptant<br />
<strong>de</strong> pratiquer <strong>les</strong> interruptions volontaires <strong>de</strong><br />
grossesse (IVG). Je vous rappelle que nous<br />
sommes en <strong>20</strong>10 !<br />
Le combat en faveur du choix <strong>de</strong>s<br />
femmes est un combat <strong>la</strong>ïque par excellence.<br />
En ce sens qu’il revendique<br />
<strong>de</strong> façon c<strong>la</strong>ire <strong>les</strong> valeurs essentiel<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ïcité que sont l’émancipation, le<br />
libre choix <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne <strong>sur</strong> son corps<br />
et <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> son existence, <strong>la</strong><br />
responsabilité individuelle et celle du<br />
couple, l’égalité <strong>de</strong>s femmes et <strong>de</strong>s<br />
hommes, le respect <strong>de</strong> l’intégrité<br />
1<br />
Note <strong>de</strong> l'éditeur : Allusion à <strong>la</strong> manifestation organisée le 28 mars par différentes associations anti-choix,<br />
en présence <strong>de</strong> Mgr Léonard<br />
3
physique et psychique, <strong>la</strong> liberté<br />
sexuelle et le droit au p<strong>la</strong>isir.<br />
Faut-il rappeler que le <strong>Centre</strong> d’Action<br />
<strong>Laïque</strong> (CAL) a soutenu ce combat dès<br />
novembre 1973, par <strong>la</strong> publication d’un<br />
opuscule intitulé « Position <strong>la</strong>ïque en matière<br />
d’avortement »?<br />
Faut-il rappeler que face aux attaques<br />
dont le docteur Peers et <strong>les</strong> autres pionniers<br />
ont été l’objet, <strong>les</strong> <strong>la</strong>ïques ont résisté<br />
par l’action?<br />
• Création d’« Aimer à l’ULB » en 1975 à<br />
l’initiative <strong>de</strong> Renée Coen et Marc Abramovicz.<br />
• Participation à <strong>la</strong> Journée <strong>de</strong>s femmes<br />
en 1976 <strong>sur</strong> le thème <strong>de</strong> « Avortement<br />
: <strong>les</strong> femmes déci<strong>de</strong>nt ».<br />
• Ouverture d’un second centre extrahospitalier<br />
pratiquant <strong>les</strong> IVG à Bruxel<strong>les</strong>.<br />
• 5 mars 1977 : soutien à <strong>la</strong> manifestation<br />
nationale lors <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle 7000 personnes<br />
défilent à l’initiative <strong>de</strong>s Comités<br />
pour <strong>la</strong> dépénalisation <strong>de</strong> l’avortement.<br />
• En 1978 le CAL engage <strong>la</strong> lutte <strong>sur</strong> le<br />
p<strong>la</strong>n légis<strong>la</strong>tif.<br />
• D<strong>ans</strong> un communiqué <strong>de</strong> presse du 10<br />
janvier 1983, le CAL met <strong>les</strong> parlementaires<br />
en <strong>de</strong>meure, stigmatisant leur inertie<br />
« qui, <strong>de</strong>puis 10 <strong>ans</strong>, se dérobe <strong>de</strong>vant<br />
son obligation d’apporter une solution<br />
réaliste aux problèmes humains et sanitaires<br />
<strong>de</strong> l’avortement c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin ».<br />
• En 1984, le CAL fédère au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s clivages<br />
: <strong>la</strong>ïques et chrétiens publient une<br />
brochure commune « Pour une approche<br />
pluraliste <strong>de</strong> l’avortement ». S’ensuit une<br />
campagne <strong>de</strong> dénigrement d’une rare<br />
violence : comment oublier ces affiches<br />
proc<strong>la</strong>mant « avortement = assassinat » en<br />
lettres dégoulinantes <strong>de</strong> sang ? Tous <strong>les</strong><br />
moyens sont mis en œuvre pour criminaliser<br />
l’avortement et <strong>la</strong> femme qui y a recours.<br />
• Devant cette négation systématique, le<br />
CAL publie un pavé d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> presse, intitulé<br />
« 16.000 femmes avortent chaque<br />
année : sont-el<strong>les</strong> <strong>de</strong>s criminel<strong>les</strong> ? ».<br />
Cet avis contenait un coupon réponse<br />
grâce auquel <strong>les</strong> femmes pouvaient<br />
se voir indiquer le centre <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning<br />
familial le plus proche <strong>de</strong> chez el<strong>les</strong>, en<br />
toute discrétion.<br />
Le CAL s’est entièrement et légitimement<br />
investi d<strong>ans</strong> ce <strong>20</strong>e anniversaire et continuera<br />
à le faire tout au long <strong>de</strong> l’année<br />
et tant que ce sera nécessaire. Je peux<br />
d’ores et déjà vous annoncer <strong>la</strong> sortie<br />
d’un film que nous avons réalisé, intitulé<br />
« Le Corps du Délit » et <strong>la</strong> publication<br />
d’un livre <strong>de</strong> sources <strong>de</strong>stiné à ancrer ce<br />
combat d<strong>ans</strong> l’histoire.<br />
D’avance, merci d’avoir répondu présent<br />
aujourd’hui et merci aussi <strong>de</strong> votre soutien<br />
à nos prochaines actions !<br />
4
Discours d’introduction<br />
C<strong>la</strong>udine MOUVET<br />
Prési<strong>de</strong>nte du Groupe d’Action <strong>de</strong>s<br />
<strong>Centre</strong>s Extrahospitaliers Pratiquant<br />
l’Avortement<br />
Représentante <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fédération <strong>Laïque</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning Familial<br />
J’ai l’honneur <strong>de</strong> représenter aujourd’hui<br />
<strong>la</strong> Fédération <strong>Laïque</strong> <strong>de</strong> <strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning<br />
Familial, et ses 42 centres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning<br />
familial, dont le premier centre <strong>de</strong><br />
p<strong>la</strong>nning familial francophone, La Famille<br />
Heureuse, ouvert à Saint Josse en 1962,<br />
et le premier centre extrahospitalier à<br />
effectuer <strong>de</strong>s interruptions volontaires <strong>de</strong><br />
grossesse en 1975, Aimer à l’ULB.<br />
J’ai l’honneur <strong>de</strong> représenter aussi le<br />
GACEHPA, Groupe d’Action <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s<br />
ExtraHospitaliers Pratiquant l’Avortement.<br />
Ce mouvement fut créé en 1978 par <strong>les</strong><br />
centres <strong>la</strong>ïques pratiquant <strong>de</strong>s avortements.<br />
Les centres <strong>de</strong>s Femmes Prévoyantes<br />
Socialistes nous ont rejoint en<br />
<strong>20</strong>03; nous regroupons donc aujourd’hui<br />
<strong>les</strong> 27 centres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial qui<br />
pratiquent <strong>de</strong>s interruptions <strong>de</strong> grossesse<br />
en région francophone. Avec <strong>les</strong> 6 centres<br />
f<strong>la</strong>mands regroupés au sein <strong>de</strong> Luna,<br />
notre équivalent néer<strong>la</strong>ndophone, nous<br />
pratiquons 83% <strong>de</strong>s 18.700 interventions<br />
déc<strong>la</strong>rées annuellement en Belgique.<br />
J’aimerais rappeler <strong>la</strong> genèse <strong>de</strong> <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration<br />
entre nos différentes associations,<br />
et <strong>les</strong> suites qui doivent y être données.<br />
Tout a démarré par <strong>la</strong> résolution <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fédération<br />
<strong>Laïque</strong> <strong>de</strong> <strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning Familial<br />
(FLCPF) et <strong>la</strong> Fédération <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning<br />
Familial <strong>de</strong>s FPS (FCPF-FPS) <strong>de</strong> travailler<br />
ensemble, au sein <strong>de</strong> ce qu’el<strong>les</strong> appellent <strong>la</strong><br />
Confédération <strong>la</strong>ïque du p<strong>la</strong>nning familial. El<strong>les</strong><br />
veulent réactualiser un mémorandum p<strong>la</strong>idant<br />
pour le droit à l’avortement et l’amélioration<br />
<strong>de</strong> son accès. Cet objet <strong>de</strong> travail s’est<br />
présenté <strong>de</strong> lui-même puisqu’il <strong>de</strong>vait occuper<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux fédérations pendant toute<br />
l’année <strong>20</strong>10, et que le 3 avril <strong>de</strong> cette<br />
année commémore <strong>les</strong> <strong>20</strong> <strong>ans</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong><br />
Lallemand/Herman-Michielsens dépénalisant<br />
partiellement l’avortement.<br />
Une année <strong>de</strong> travail était nécessaire<br />
parce que nous avons l’intention d’inscrire<br />
ce mémorandum d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> continuité<br />
d’une série d’actions d’éducation permanente<br />
en vue <strong>de</strong> sensibiliser le public aux<br />
enjeux actuels du droit à l’avortement.<br />
Nous tenions également à ce que ces<br />
actions soient é<strong>la</strong>borées en col<strong>la</strong>boration<br />
avec <strong>de</strong>s travailleuses et <strong>de</strong>s travailleurs<br />
<strong>de</strong>s centres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning et nos alliés<br />
<strong>la</strong>ïques et féministes.<br />
Ces actions d’éducation permanente<br />
sont une campagne, une marche et bien<br />
sûr ce colloque. La campagne a consisté<br />
en <strong>la</strong> diffusion, pendant tout le mois <strong>de</strong><br />
mars, d’affiches et <strong>de</strong> dépliants appe<strong>la</strong>nt<br />
à rester vigi<strong>la</strong>nts, actifs et solidaires pour<br />
le maintien <strong>de</strong> l’accès légal à l’avortement<br />
en Belgique et pour sa libéralisation<br />
d<strong>ans</strong> toute l’Europe. La Marche, qui a<br />
eu lieu ce matin, a relié <strong>les</strong> ambassa<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> Chypre, d’Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Malte et <strong>de</strong><br />
Pologne pour y porter une lettre signée<br />
par plus <strong>de</strong> 360 signataires revendiquant<br />
le droit à l’avortement pour toutes <strong>les</strong><br />
femmes vivant en Europe. Et enfin ce<br />
colloque vise à sensibiliser son public<br />
<strong>sur</strong> <strong>les</strong> enjeux du droit à l’avortement en<br />
Belgique, en partant <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue<br />
<strong>la</strong>ïques, féministes et militants.<br />
Cette série d’évènements, dont <strong>les</strong> interventions<br />
et le débat d’aujourd’hui, contribueront,<br />
je l’ai dit, à nourrir nos futures recommandations<br />
en matière d’avortement.<br />
Le <strong>Centre</strong> d’Action <strong>Laïque</strong> est d’emblée<br />
apparu aux <strong>de</strong>ux fédérations comme un<br />
5
partenaire incontournable puisqu’el<strong>les</strong><br />
se revendiquent toutes <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux <strong>la</strong>ïques.<br />
El<strong>les</strong> ont d<strong>ans</strong> le même temps invité le<br />
GACEHPA, pour son implication concrète<br />
d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> lutte pour l’accès à l’avortement<br />
et <strong>les</strong> liens historiques et idéologiques<br />
qu’el<strong>les</strong> partagent avec lui. Les féministes<br />
ont toujours été au premier rang du combat<br />
: l’Université <strong>de</strong>s Femmes a été précieuse<br />
par l’apport <strong>de</strong> son expertise <strong>sur</strong><br />
le combat féministe d’aujourd’hui. Nous<br />
vous invitons d’ailleurs à vous procurez,<br />
lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> pause, l’excellent numéro <strong>de</strong><br />
leur revue « La Chronique féministe » entièrement<br />
consacré à l’avortement. Je remercie<br />
chaleureusement ces associations<br />
pour leur implication d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> conception<br />
<strong>de</strong>s évènements autour <strong>de</strong>s <strong>20</strong> <strong>ans</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> <strong>loi</strong>, ainsi que <strong>les</strong> travailleuses et travailleurs<br />
<strong>de</strong> centres qui y ont activement<br />
participé, en apportant leur précieuse<br />
expérience du terrain. Je remercie également<br />
<strong>la</strong> Fédération <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s Pluralistes<br />
<strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning Familial, <strong>la</strong> Fédération <strong>de</strong>s<br />
<strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning et <strong>de</strong> Consultation,<br />
ainsi que l’association néer<strong>la</strong>ndophone<br />
Luna, le Lobby Européen <strong>de</strong>s Femmes<br />
et <strong>les</strong> associations qu’il coordonne; mais<br />
aussi <strong>les</strong> centres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial, <strong>les</strong><br />
régiona<strong>les</strong> du CAL, et tous <strong>les</strong> autres<br />
organismes, <strong>les</strong> militantes et <strong>les</strong> militants<br />
qui se sont mobilisés, ce matin, pour <strong>la</strong><br />
Marche pour le droit à l’avortement en<br />
Europe. Enfin, un tout grand merci à <strong>la</strong><br />
Faculté <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> l’ULB qui nous<br />
accueille d<strong>ans</strong> cet auditoire.<br />
C’est grâce à cette affectivité que nous<br />
sommes amoureux, que nous sommes<br />
émus par le rire ou <strong>les</strong> <strong>la</strong>rmes d’un enfant,<br />
que nous sommes capab<strong>les</strong> <strong>de</strong> compassion,<br />
que nous apprécions <strong>la</strong> musique,<br />
l’art et <strong>les</strong> fleurs. Voilà pour le côté soleil.<br />
Notre affectivité nous rend aussi irrationnels<br />
et imprévisib<strong>les</strong>. C’est elle qui nous<br />
fait prendre <strong>de</strong>s risques, et qui conduit<br />
<strong>de</strong>s femmes à être enceinte à un moment<br />
inopportun, parce qu’el<strong>les</strong> étaient<br />
toute entière d<strong>ans</strong> ce qu’el<strong>les</strong> vivaient et<br />
qu’el<strong>les</strong> n’ont plus pensé à rien, ou parce<br />
qu’el<strong>les</strong> n’ont pas envisagé ou me<strong>sur</strong>é<br />
<strong>les</strong> conséquences. Et voilà le côté ombre.<br />
Je suis convaincue que l’avortement ne<br />
disparaîtra jamais, parce que nous ne<br />
pouvons pas avoir que <strong>les</strong> côtés positifs<br />
<strong>de</strong> notre affectivité, et que le jour où il n’y<br />
aura plus <strong>de</strong> grossesses non désirées, il<br />
n’y aura plus non plus d’é<strong>la</strong>n, d’amour,<br />
<strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir. Voilà pourquoi je vous remercie<br />
d’être aussi nombreux avec nous<br />
aujourd’hui et d<strong>ans</strong> le futur pour veiller à<br />
ce que ce droit <strong>de</strong>s femmes à disposer<br />
<strong>de</strong> leur corps soit toujours et <strong>de</strong> plus en<br />
plus, respecté.<br />
S<strong>ans</strong> ces col<strong>la</strong>borations, ces partenariats<br />
et ces mobilisations, l’appel à rester vigi<strong>la</strong>nts,<br />
actifs et solidaires serait resté creux.<br />
Et nous n’aurions pu rendre hommage<br />
aux femmes et aux hommes qui se sont<br />
battus pour que <strong>la</strong> <strong>loi</strong> Lallemand/Herman-<br />
Michielsens <strong>de</strong>vienne une réalité.<br />
Notre qualité d’être humain tient à notre<br />
intelligence, mais aussi à notre affectivité.<br />
6
Discours d’introduction<br />
Anne SPITALS<br />
Prési<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fédération <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s<br />
<strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning Familial <strong>de</strong>s Femmes Prévoyantes<br />
Socialistes<br />
Monsieur le Sénateur honoraire,<br />
Mesdames, Messieurs,<br />
Chères amies, chers amis,<br />
Permettez-moi à mon tour <strong>de</strong> revenir <strong>sur</strong> l’implication<br />
<strong>de</strong> notre mouvement d<strong>ans</strong> le combat<br />
pour <strong>les</strong> droits sexuels et reproductifs.<br />
Depuis leur création en 1922, <strong>les</strong> Femmes<br />
Prévoyantes Socialistes (FPS) se sont<br />
données pour mission <strong>de</strong> lutter pour le<br />
droit à <strong>la</strong> santé <strong>de</strong>s femmes. El<strong>les</strong> militent<br />
avec et pour <strong>les</strong> femmes et <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
milieux popu<strong>la</strong>ires.<br />
En 1931, el<strong>les</strong> se ren<strong>de</strong>nt en Angleterre<br />
afin <strong>de</strong> visiter <strong>de</strong>s cliniques <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>s<br />
naissances. El<strong>les</strong> en reviennent convaincues<br />
qu’il est nécessaire (je <strong>les</strong> cite)<br />
« d’enseigner aux parents bien portants<br />
<strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> n’avoir <strong>de</strong>s bébés qu’au<br />
moment où ils le désirent tout en pouvant<br />
entretenir <strong>de</strong>s rapports conjugaux ».<br />
En août 1933, el<strong>les</strong> organisent <strong>de</strong>s<br />
séances d’information <strong>sur</strong> <strong>la</strong> maternité<br />
consciente et ouvriront <strong>les</strong> premières<br />
consultations conjuga<strong>les</strong> en 1934 d<strong>ans</strong><br />
un souci constant d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> femmes à<br />
s’émanciper.<br />
Le slogan <strong>de</strong> l’Internationale socialiste<br />
<strong>de</strong>s femmes en 1936 « La garantie d’une<br />
maternité consciente et heureuse » se<br />
tr<strong>ans</strong>formera vite en « parenté consciente<br />
» d<strong>ans</strong> le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong>s FPS puisqu’el<strong>les</strong><br />
rappellent qu’il faut « être <strong>de</strong>ux pour<br />
concevoir un enfant ».<br />
En 1965, trois <strong>ans</strong> après <strong>la</strong> création du<br />
premier centre <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning <strong>la</strong>ïque, <strong>les</strong> FPS<br />
ouvrent également un centre à Bruxel<strong>les</strong>.<br />
Les centres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial apporteront<br />
un plus par rapport aux consultations<br />
conjuga<strong>les</strong> en diffusant d’abord <strong>les</strong> moyens<br />
contraceptifs puis en pratiquant l’avortement.<br />
Au fil <strong>de</strong>s <strong>ans</strong> toutes <strong>les</strong> régiona<strong>les</strong> FPS<br />
créeront <strong>de</strong>s centres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial<br />
un peu partout en Wallonie pour arriver<br />
cette année à 17 centres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning<br />
et 3 antennes parmi <strong>les</strong>quels 7 centres<br />
pratiquent l’IVG.<br />
Parallèlement à <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> ces<br />
différents services en faveur d’un contrôle<br />
<strong>de</strong>s naissances, <strong>les</strong> FPS ont toujours été<br />
actives au niveau politique pour faire évoluer<br />
<strong>les</strong> <strong>loi</strong>s. En 1966, el<strong>les</strong> soutiennent<br />
donc <strong>la</strong> proposition <strong>de</strong> Loi Cu<strong>de</strong>ll qui vise<br />
à informer <strong>sur</strong> <strong>la</strong> contraception et à créer<br />
<strong>de</strong>s centres <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial.<br />
El<strong>les</strong> s’investissent lors <strong>de</strong>s diverses<br />
manifestations en faveur <strong>de</strong> l’avortement,<br />
et notamment d<strong>ans</strong> cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> 1973 pour<br />
libérer le Docteur Peers.<br />
En 1985, à l’approche <strong>de</strong>s élections, el<strong>les</strong><br />
déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> faire circuler une pétition<br />
faisant savoir aux candidats députés et<br />
sénateurs que <strong>les</strong> signataires ne voteront<br />
pas pour eux s’ils ne s’engagent pas à<br />
soutenir <strong>la</strong> dépénalisation <strong>de</strong> l’avortement.<br />
Le 3 avril 1990, nous, <strong>les</strong> FPS, ne pouvions<br />
que nous réjouir du passage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>loi</strong>, fruit d’années <strong>de</strong> mobilisation <strong>de</strong> femmes<br />
et d’hommes, convaincus comme<br />
nous <strong>de</strong> <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> garantir à toutes<br />
<strong>les</strong> femmes une liberté d<strong>ans</strong> le choix <strong>de</strong><br />
poursuivre ou non une grossesse.<br />
Cependant, le « combat » continue. La<br />
mobilisation <strong>de</strong> ce matin était une nouvelle<br />
occasion <strong>de</strong> montrer notre engagement.<br />
Dimanche <strong>de</strong>rnier, une marche antiavortement<br />
a eu lieu. Les participants se<br />
disaient « pro-vie ». Nous pouvons s<strong>ans</strong><br />
complexe affirmer que nous sommes,<br />
bien entendu, nous aussi pour <strong>la</strong> vie mais<br />
que nous sommes également pour le<br />
choix, pour le libre-arbitre, pour l’émanci-<br />
7
pation <strong>de</strong>s femmes. C’est d<strong>ans</strong> ce sens<br />
que nous agissons <strong>de</strong>puis <strong>les</strong> années <strong>20</strong><br />
et c’est d<strong>ans</strong> ce sens que nous avons<br />
marché ce matin. Je tiens d’ailleurs à<br />
remercier toutes <strong>les</strong> associations, institutions,<br />
syndicats, personnes politiques, qui<br />
se sont mobilisés à nos côtés pour cette<br />
marche <strong>de</strong> solidarité.<br />
Nous serons attentifs, d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> semaines<br />
et <strong>les</strong> mois qui viennent, aux suites<br />
qui seront données à notre action. Nous<br />
verrons à <strong>la</strong> rentrée s’il est opportun d’envisager<br />
<strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> initiatives. Nous vous<br />
en tiendrons informés.<br />
Comme je clôture cette première partie,<br />
permettez-moi d’introduire rapi<strong>de</strong>ment <strong>la</strong><br />
suivante.<br />
Pour poursuivre cette journée, nous vous<br />
proposons trois interventions dont <strong>la</strong> « <strong>de</strong>vise<br />
» est celle qui nous a occupé tout au<br />
long <strong>de</strong> <strong>la</strong> campagne : <strong>la</strong>ïcité, féminisme<br />
et militantisme.<br />
Sous <strong>la</strong> houlette d’Hugues Dorzée, journaliste<br />
au Soir, nos intervenants pourront<br />
débattre avec <strong>la</strong> salle <strong>de</strong>s enjeux liés à<br />
l’avortement aujourd’hui. Parce que le militantisme<br />
pour l’avortement se fait notamment<br />
par une pratique au quotidien, nous<br />
avons également invité <strong>de</strong>ux travailleuses<br />
<strong>de</strong> terrain, l’une mé<strong>de</strong>cin et l’autre psychologue,<br />
pour <strong>la</strong>ncer <strong>la</strong> discussion et<br />
répondre directement à vos questions.<br />
Notre mouvement se nourrira bien entendu<br />
<strong>de</strong> tous ces débats pour continuer<br />
<strong>la</strong> réflexion en interne. J’espère donc que<br />
vous serez nombreux à participer aux<br />
discussions pour qu’el<strong>les</strong> s’enrichissent<br />
<strong>de</strong> tous vos regards et expériences.<br />
8
L’action du <strong>Centre</strong><br />
d’Action <strong>Laïque</strong><br />
Georges LIENARD<br />
Ancien prési<strong>de</strong>nt du <strong>Centre</strong><br />
d’Action <strong>Laïque</strong><br />
Cet article constitue une synthèse <strong>de</strong>s<br />
principa<strong>les</strong> actions entreprises par le <strong>Centre</strong><br />
d’Action <strong>Laïque</strong> (CAL) en vue d’obtenir<br />
<strong>la</strong> dépénalisation <strong>de</strong> l’avortement. Une<br />
<strong>de</strong>scription plus générale du contexte<br />
juridique, médical et politique est disponible,<br />
par exemple, d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> références<br />
bibliographiques 8, 9, 11 et 12.<br />
Le 11 juillet 1968, <strong>les</strong> députés G.Cu<strong>de</strong>ll,<br />
L.Radoux, E.Lacroix, H.Simonet, W.C<strong>la</strong>es<br />
et E.Close déposent une proposition<br />
<strong>de</strong> <strong>loi</strong> visant à « abroger <strong>les</strong> alinéas 7,<br />
8, et 9 <strong>de</strong> l’article 383 du Co<strong>de</strong> Pénal ».<br />
Cet article mentionne explicitement que<br />
tombe sous le coup <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> quiconque<br />
aura « ...favorisé <strong>les</strong> passions d’autrui...<br />
en divulguant <strong>les</strong> moyens d’empêcher <strong>la</strong><br />
conception... ». Il s’agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> répression<br />
<strong>de</strong> « <strong>la</strong> provocation à l’avortement et à <strong>la</strong><br />
propagan<strong>de</strong> anticonceptionnelle ».<br />
L’affaire Peers<br />
Il faudra attendre l’emprisonnement du<br />
docteur Willy Peers et <strong>sur</strong>tout l’émotion<br />
que ce<strong>la</strong> a suscité d<strong>ans</strong> le public pour<br />
que le gouvernement se déci<strong>de</strong> à modifier<br />
<strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion. Toutefois le projet <strong>de</strong><br />
<strong>loi</strong>, déposé le 27 juin 1973 par le ministre<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> justice H. Van<strong>de</strong>rpoorten, se limite<br />
pru<strong>de</strong>mment aux alinéas incriminés <strong>de</strong><br />
l’article 383 du Co<strong>de</strong> pénal concernant<br />
<strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> contraception.<br />
Comme rien ne bouge <strong>sur</strong> le terrain<br />
parlementaire et en vue <strong>de</strong> modifier <strong>la</strong> <strong>loi</strong><br />
réprimant l’avortement, le sénateur B.J.<br />
Risopoulos dépose, le <strong>20</strong> février 1973,<br />
une proposition <strong>de</strong> <strong>loi</strong> - première d’une<br />
longue série- <strong>de</strong> suspension <strong>de</strong>s poursuites<br />
judiciaires fondées <strong>sur</strong> <strong>les</strong> artic<strong>les</strong> 351,<br />
353 et 383 du Co<strong>de</strong> pénal.<br />
Le Conseil d’Etat est d’avis, d<strong>ans</strong> son<br />
arrêt du 22 mars, que <strong>la</strong> proposition <strong>de</strong> <strong>loi</strong><br />
ne se concilie pas avec <strong>les</strong> artic<strong>les</strong> 25 et<br />
30 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution.<br />
La réponse aux évêques<br />
Le CAL édite, en novembre 1973, une<br />
brochure « Positions <strong>la</strong>ïques en matière<br />
d’avortement. Réponse à <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration<br />
<strong>de</strong>s évêques. »<br />
Ce petit document, pauvrement édité avec<br />
<strong>de</strong>s moyens dérisoires, réfute un certain<br />
nombre d’affirmations énoncées par <strong>les</strong><br />
évêques belges et dénonce leur exigence,<br />
au caractère quasi inquisitorial, d’un renforcement<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> pour éviter que l’avortement<br />
« ne puisse être commis impunément<br />
à l’étranger. »<br />
Mais <strong>les</strong> auteurs présentent également<br />
<strong>de</strong> manière c<strong>la</strong>ire <strong>de</strong>s positions <strong>la</strong>ïques<br />
fondées <strong>sur</strong> <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong>s individus<br />
d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> maîtrise <strong>de</strong> leur fonction <strong>de</strong><br />
reproduction. El<strong>les</strong> privilégient le respect<br />
<strong>de</strong> «<strong>la</strong> qualité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie» plutôt que le respect<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, à n’importe quel prix. « La<br />
vie humaine n’a pas <strong>de</strong> commencement<br />
absolu, elle est un processus continu. »<br />
« Pour nous, mettre un enfant au mon<strong>de</strong>,<br />
c’est d’abord un acte humain, c’est à dire<br />
responsable... La morale <strong>la</strong>ïque n’admet<br />
pas que <strong>de</strong>s valeurs mora<strong>les</strong> puissent<br />
être imposées par <strong>la</strong> force... ».<br />
D’un point <strong>de</strong> vue <strong>la</strong>ïque, il n’est pas<br />
admissible que, profitant <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté<br />
d’expression, <strong>de</strong>s dignitaires religieux<br />
tentent d’imposer leurs conceptions à<br />
l’ensemble <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion.<br />
9
Les propositions <strong>de</strong> <strong>loi</strong><br />
Des parlementaires déposent <strong>de</strong>s propositions<br />
<strong>de</strong> <strong>loi</strong> en vue <strong>de</strong> modifier <strong>les</strong><br />
artic<strong>les</strong> 350 à 353 du Co<strong>de</strong> pénal figurant<br />
sous le titre « Des crimes et <strong>de</strong>s délits<br />
contre l’ordre <strong>de</strong>s famil<strong>les</strong> et contre <strong>la</strong><br />
moralité publique. » Cette légis<strong>la</strong>tion date<br />
<strong>de</strong> 1867 et a repris en <strong>les</strong> précisant <strong>les</strong><br />
dispositions du Co<strong>de</strong> pénal <strong>de</strong> 1810.<br />
Elle est essentiellement basée <strong>sur</strong> <strong>la</strong><br />
répression d’autant plus importante si <strong>la</strong><br />
personne ayant pratiqué l’avortement est<br />
elle-même qualifiée professionnellement.<br />
Des mé<strong>de</strong>cins font va<strong>loi</strong>r que <strong>la</strong> situation<br />
<strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> l’avortement est un véritable<br />
problème <strong>de</strong> santé publique (décès, séquel<strong>les</strong><br />
graves, etc...) auquel le gouvernement<br />
<strong>de</strong>vrait rapi<strong>de</strong>ment apporter réponse.<br />
Le gouvernement, présidé par le catholique<br />
L. Tin<strong>de</strong>m<strong>ans</strong>, déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne rien<br />
déci<strong>de</strong>r en créant, par arrêté royal du 13<br />
décembre 1974, une commission nationale<br />
<strong>de</strong>s questions d’éthique.<br />
La Commission nationale pour <strong>les</strong><br />
problèmes éthiques<br />
Le CAL s’intéresse <strong>de</strong> près aux travaux<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> commission et lui fournit <strong>de</strong>s documents.<br />
Le Conseil Central <strong>Laïque</strong> (CCL)<br />
adresse, <strong>sur</strong> proposition du CAL le 29<br />
septembre 1975, une motion à <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nte<br />
R. Portray et aux membres <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
commission d<strong>ans</strong> <strong>la</strong>quelle est exprimée<br />
<strong>la</strong> revendication <strong>la</strong>ïque : en matière <strong>de</strong><br />
sexualité comme en toute autre matière,<br />
«le droit <strong>de</strong>s personnes d’agir selon leur<br />
propre morale... Pour <strong>les</strong> <strong>la</strong>ïques, l’IVG<br />
relève <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> l’art <strong>de</strong> guérir...».<br />
La commission termine ses travaux d<strong>ans</strong><br />
un désaccord complet.<br />
Toutefois, le rapport officiel adopté par <strong>la</strong><br />
commission prône déjà une forme <strong>de</strong> dépénalisation.<br />
1 Ce rapport est adopté en<br />
séance plénière par <strong>la</strong> Commission, le<br />
4 mai 1976, à une majorité <strong>de</strong> 13 membres<br />
contre 12 favorable à une ébauche<br />
incomplète <strong>de</strong> note <strong>de</strong> minorité. Il comporte<br />
<strong>de</strong>ux parties, l’une concernant <strong>la</strong><br />
contraception et <strong>la</strong> question <strong>de</strong> l’anonymat<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> mère, <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> est re<strong>la</strong>tive<br />
au problème <strong>de</strong> l’avortement.<br />
Le rapport tient compte <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
mentalité d’une <strong>la</strong>rge part <strong>de</strong> l’opinion mais<br />
également <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong> pratique<br />
médicale qui permet <strong>de</strong>s interruptions <strong>de</strong><br />
grossesse d<strong>ans</strong> <strong>de</strong> bonnes conditions psychologiques<br />
et médica<strong>les</strong>. La responsabilité<br />
<strong>de</strong> l’acte ne repose pas <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s tiers<br />
(comme c’était le cas d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> proposition<br />
Callewaert du 15 décembre 1971), mais<br />
bien <strong>sur</strong> <strong>les</strong> intéressées el<strong>les</strong>-mêmes.<br />
Le rapport propose au gouvernement une<br />
solution <strong>de</strong> compromis par une dépénalisation<br />
partielle: « L’avortement reste<br />
prohibé, sauf si... »<br />
Le ministre Pierre Vermeylen, membre<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> commission, a publié d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> revue<br />
Socialisme, un résumé fort édifiant <strong>de</strong>s<br />
travaux. Il constate que, <strong>sur</strong> <strong>les</strong> 25 membres,<br />
5 se rangeaient à l’opinion libérale,<br />
6 au socialisme et 14 étaient catholiques.<br />
Il attire l’attention <strong>sur</strong> le fait que, contrairement<br />
à ce qu’essaient <strong>de</strong> faire croire <strong>les</strong><br />
opposants, notre co<strong>de</strong> pénal n’a jamais<br />
considéré l’avortement comme un homici<strong>de</strong>.<br />
«L’avortement est une atteinte aux droits <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> famille et aux bonnes moeurs. Ce n’est<br />
pas une atteinte à l’intégrité <strong>de</strong> l’homme, un<br />
attentat contre une personne.»<br />
D<strong>ans</strong> une analyse très fouillée <strong>de</strong>s travaux<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> commission, Pierre Vermeylen<br />
rapporte que, alors que <strong>les</strong> travaux sont<br />
terminés, <strong>la</strong> partie minoritaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> commission<br />
(exclusivement composée <strong>de</strong><br />
catholiques dont <strong>les</strong> noms et <strong>les</strong> titres<br />
figurent en première page du document)<br />
rédigent à <strong>la</strong> hâte une note qui fut tr<strong>ans</strong>mise<br />
à <strong>la</strong> sauvette directement au premier<br />
ministre Tin<strong>de</strong>m<strong>ans</strong>. Cette note qui n’a<br />
pas été communiquée d<strong>ans</strong> son intégrali-<br />
1<br />
Rapport <strong>de</strong> <strong>la</strong> Commission nationale <strong>de</strong>s problèmes éthiques, Sénat 11 octobre 1976.<br />
10
té à <strong>la</strong> Commission est qualifiée à tort par<br />
certains <strong>de</strong> «note <strong>de</strong> minorité» ou même<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième rapport.<br />
La minorité s’aligne <strong>sur</strong> <strong>les</strong> positions rétrogra<strong>de</strong>s<br />
exprimées par <strong>la</strong> hiérarchie catholique.<br />
Tout au plus, constate l’éditorial<br />
du bulletin 44 du CAL, propose-t-elle <strong>de</strong><br />
légères modifications du Co<strong>de</strong> pénal pour<br />
légaliser et contrôler l’actuelle jurispru<strong>de</strong>nce<br />
re<strong>la</strong>tive à l’avortement thérapeutique.<br />
Une analyse très intéressante a été<br />
publiée par le CEFA quant à <strong>la</strong> composition<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> Commission et à <strong>la</strong> vision qui<br />
tr<strong>ans</strong>paraît d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux approches, tant<br />
<strong>de</strong> l’être humain, <strong>de</strong> <strong>la</strong> société que du<br />
recours à <strong>la</strong> science. 2<br />
Le gouvernement a attendu <strong>la</strong> rentrée<br />
parlementaire pour communiquer au Parlement<br />
le rapport et <strong>la</strong> note. Afin d’éviter<br />
une trop <strong>la</strong>rge diffusion, certains politiques<br />
et non <strong>de</strong>s moindres, sont allés jusqu’à<br />
invoquer le fait que le rapport détail<strong>la</strong>it<br />
<strong>les</strong> métho<strong>de</strong>s médica<strong>les</strong> utilisées pour<br />
<strong>les</strong> interruptions <strong>de</strong> grossesse, alors que<br />
<strong>la</strong> <strong>loi</strong> en punissait toujours <strong>la</strong> diffusion. Ils<br />
n’ignoraient pourtant pas que le dit rapport<br />
circu<strong>la</strong>it déjà en <strong>de</strong>hors du Parlement<br />
et était analysé, notamment au CAL. Le<br />
CAL fut d’ailleurs discrètement consulté<br />
par <strong>de</strong>s parlementaires <strong>sur</strong> l’attitu<strong>de</strong> à<br />
adopter face à cette nouvelle obstruction.<br />
Dès ce moment, <strong>de</strong> «problème éthique»,<br />
l’avortement est très c<strong>la</strong>irement <strong>de</strong>venu<br />
un problème politique qui mettra <strong>de</strong><br />
longues années à trouver une solution,<br />
<strong>la</strong>issant le soin à d’autres <strong>de</strong> prendre leur<br />
responsabilité pour apporter une réponse<br />
aux femmes en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’IVG.<br />
L’avortement «hors du co<strong>de</strong> pénal»<br />
Projet du CAL (1977)<br />
Avec d’autres, <strong>la</strong> Fédération Belge pour<br />
le P<strong>la</strong>nning Familial revendiquait, <strong>de</strong>puis<br />
1972, <strong>la</strong> dépénalisation <strong>de</strong> l’interruption<br />
<strong>de</strong> grossesse.<br />
Au CAL, le groupe <strong>de</strong> travail n’avait pas<br />
manqué d’observer <strong>la</strong> très nette divergence<br />
<strong>de</strong> vues entre <strong>les</strong> propositions <strong>de</strong><br />
<strong>loi</strong> déposées par <strong>les</strong> représentants <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
nation et <strong>les</strong> revendications <strong>de</strong> cel<strong>les</strong> et<br />
ceux qui manifestaient d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> rue. Leur<br />
principal mot d’ordre était: « l’avortement<br />
hors du co<strong>de</strong> pénal », « maitre <strong>de</strong> mon<br />
propre ventre » (« Baas in eigen buik ») et<br />
« wij willen lust zon<strong>de</strong>r <strong>la</strong>st en kin<strong>de</strong>ren als<br />
het ons past » .<br />
Par contre, <strong>les</strong> textes parlementaires<br />
envisageaient, pour <strong>la</strong> plupart, <strong>de</strong>s adaptations<br />
à <strong>la</strong> <strong>loi</strong> existante assorties <strong>de</strong><br />
conditions estimées incompatib<strong>les</strong> avec <strong>la</strong><br />
liberté <strong>de</strong> décision <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme.<br />
De plus, ce qui heurtait également était<br />
que <strong>les</strong> dits artic<strong>les</strong> concernant l’avortement<br />
figuraient sous <strong>la</strong> rubrique « <strong>de</strong>s<br />
crimes et <strong>de</strong>s délits contre l’ordre <strong>de</strong>s<br />
famil<strong>les</strong> et contre <strong>la</strong> moralité publique ».<br />
Faut-il souligner que, alors qu’ils sont<br />
<strong>la</strong>rgement amendés, <strong>les</strong> article 348 à<br />
352 figurent toujours aujourd’hui sous le<br />
même intitulé d<strong>ans</strong> le co<strong>de</strong> pénal?<br />
Devant ce constat, le groupe <strong>de</strong> travail<br />
du CAL, composé <strong>de</strong> <strong>la</strong>ïques <strong>de</strong> toutes<br />
professions, entreprit <strong>de</strong> revoir toute <strong>la</strong><br />
problématique <strong>sur</strong> <strong>la</strong> base <strong>de</strong> l’expérience<br />
professionnelle <strong>de</strong> chacun. Après quelques<br />
mois <strong>de</strong> discussions et <strong>de</strong> réflexions, il est<br />
arrivé à <strong>la</strong> conclusion que <strong>la</strong> meilleure solution<br />
était le retrait pur et simple du Co<strong>de</strong><br />
pénal <strong>de</strong>s artic<strong>les</strong> litigieux, <strong>la</strong> pratique médicale<br />
<strong>de</strong>vant être un garant suffisant.<br />
Il était indispensable <strong>de</strong> faire évoluer <strong>les</strong><br />
mentalités, aussi bien d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion,<br />
<strong>les</strong> médias que d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> milieux politiques.<br />
C’est pourquoi le CAL déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> mettre le<br />
texte à l’épreuve du public et <strong>de</strong>s politiques<br />
et il propose officiellement, le 23<br />
février 1977 au cours d’une conférence <strong>de</strong><br />
presse, le texte d’un projet <strong>de</strong> proposition<br />
<strong>de</strong> <strong>loi</strong> en trois artic<strong>les</strong> qui abroge <strong>la</strong> plupart<br />
<strong>de</strong>s artic<strong>les</strong> litigieux du co<strong>de</strong> pénal.<br />
2<br />
L'avortement, problème éthique, problème politique ? CEFA, 1977.<br />
11
Article 1. Les artic<strong>les</strong> 350, 351, 352 et<br />
353 du co<strong>de</strong> pénal sont abrogés.<br />
Article 2. L’interruption volontaire <strong>de</strong> grossesse<br />
doit être pratiquée par un mé<strong>de</strong>cin,<br />
chez <strong>la</strong> femme qui l’a <strong>de</strong>mandée.<br />
Article 3. Les alinéa 5 et 6 <strong>de</strong> l’article 383<br />
du co<strong>de</strong> sont abrogés.<br />
Des développements résument <strong>de</strong> manière<br />
particulièrement c<strong>la</strong>ires <strong>les</strong> positions<br />
défendues <strong>de</strong>puis plusieurs années par <strong>les</strong><br />
milieux <strong>la</strong>ïques. L’objectif est également<br />
<strong>de</strong> mettre fin à <strong>de</strong>ux formu<strong>les</strong> également<br />
indéfendab<strong>les</strong> : l’avortement c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin et<br />
«le tourisme <strong>de</strong> l’avortement» à l’étranger<br />
pour <strong>les</strong> femmes <strong>les</strong> plus fortunées. Le<br />
CAL revendique également le droit mais<br />
non l’obligation à <strong>de</strong>s structures d’accueil.<br />
Il met l’accent <strong>sur</strong> «le droit à <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> vie d’une personne» plutôt que le «droit<br />
à <strong>la</strong> vie», celle-ci étant envisagée <strong>de</strong> manière<br />
totalement abstraite.<br />
Reste à trouver <strong>de</strong>s parlementaires suffisamment<br />
audacieux pour déposer une<br />
telle proposition.<br />
Le bulletin <strong>de</strong> liaison 49 du CAL présente,<br />
sous <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> J. Schouters, le compte<br />
rendu <strong>de</strong> <strong>la</strong> conférence <strong>de</strong> presse sous le<br />
titre très c<strong>la</strong>ir « Messieurs <strong>les</strong> Parlementaires,<br />
à vous <strong>de</strong> jouer ! ».<br />
On verra par <strong>la</strong> suite qu’en fait <strong>de</strong> «Messieurs»,<br />
ce sont <strong>de</strong>s femmes parlementaires que le<br />
CAL persua<strong>de</strong>ra <strong>de</strong> monter au créneau.<br />
Convaincre <strong>les</strong> parlementaires<br />
En avril 1978, l’hebdomadaire «Pourquoi<br />
pas» publie un sondage ICSOP «L’avortement<br />
et l’opinion publique belge». Le<br />
sondage fait apparaitre que, parmi <strong>les</strong><br />
questions posées <strong>sur</strong> une éventuelle<br />
modification <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong>, l’abrogation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>loi</strong> vient en première position à Bruxel<strong>les</strong><br />
(42 %) et en Wallonie (26 %), en sixième<br />
position en F<strong>la</strong>ndre avec 18 %.<br />
Même répartition à <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir<br />
si <strong>la</strong> femme doit déci<strong>de</strong>r seule.<br />
Plus <strong>de</strong> 15 propositions <strong>de</strong> <strong>loi</strong> ont été<br />
déposées au Parlement. Néanmoins,<br />
le gouvernement et le Parlement manifestent<br />
une carence <strong>de</strong> décision qui<br />
conduit le pouvoir judiciaire à entreprendre<br />
<strong>de</strong>s poursuites.<br />
Le conseil d’administration <strong>de</strong> l’Union<br />
<strong>de</strong>s Anciens Etudiants <strong>de</strong> l’ULB (UAE)<br />
adopte, le 17 mai 1978, une motion <strong>de</strong><br />
soutien aux mé<strong>de</strong>cins inculpés et se rallie<br />
aux positions du CAL exprimées d<strong>ans</strong> <strong>la</strong><br />
brochure « Pour une dépénalisation totale<br />
<strong>de</strong> l’IVG ». 3<br />
L’UAE, d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> foulée, organise le 21 juin<br />
une séance d’information <strong>sur</strong> le thème :<br />
« L’IVG, problème <strong>de</strong> santé publique ».<br />
Tous <strong>les</strong> anciens sont invités à adhérer et<br />
à soutenir le «Comité pour <strong>la</strong> suspension<br />
<strong>de</strong>s poursuites en matière d’interruption<br />
<strong>de</strong> grossesse». Le comité fait va<strong>loi</strong>r que,<br />
pour permettre au débat parlementaire<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> modification <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> <strong>de</strong> se dérouler<br />
d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> sérénité, il est nécessaire <strong>de</strong> voter<br />
une <strong>loi</strong> <strong>de</strong> suspension <strong>de</strong>s poursuites<br />
judiciaires. Les réunions du comité sont<br />
organisées à <strong>la</strong> maison <strong>de</strong> l’UAE ou d<strong>ans</strong><br />
<strong>les</strong> locaux du CAL.<br />
À <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> femmes parlementaires<br />
Le CAL entreprend un tour d’horizon <strong>de</strong>s<br />
parlementaires qui ont déposé <strong>de</strong>s propositions<br />
<strong>de</strong> <strong>loi</strong>, en vue <strong>de</strong> connaître ceux<br />
d’entre eux qui pourraient se rallier à son<br />
texte et le déposer au Parlement après<br />
<strong>les</strong> élections.<br />
Tous <strong>de</strong>meurent très attachés à leur<br />
propre proposition, même si celle-ci n’est<br />
pas ou est peu différente <strong>de</strong> celle d’un<br />
collègue d’autre parti.<br />
Au parti socialiste, une opportunité se<br />
<strong>de</strong>ssine car <strong>les</strong> sénateurs Callewaert et<br />
Pierson sont atteints par <strong>la</strong> limite d’âge<br />
et ne se présentent plus aux élections.<br />
Ils avaient déjà été contactés auparavant<br />
mais ils n’avaient pas accepté <strong>de</strong> modifier<br />
3<br />
Pour <strong>la</strong> dépénalisation totale <strong>de</strong> l’interruption <strong>de</strong> grossesse, CAL, 1978.<br />
12
leur proposition <strong>de</strong> <strong>loi</strong> d<strong>ans</strong> un sens <strong>de</strong><br />
plus gran<strong>de</strong> ouverture.<br />
Le prési<strong>de</strong>nt du parti A. Cools est<br />
contacté et reçoit le prési<strong>de</strong>nt du CAL,<br />
G. Liénard, et le trésorier, G. Boussard.<br />
De fort mauvaise humeur quand<br />
le sujet <strong>de</strong> l’avortement est abordé, il<br />
répond qu’on verra après <strong>les</strong> élections.<br />
Toutefois se ravisant, il <strong>la</strong>nce: « une<br />
proposition comme celle-là, pour <strong>la</strong> faire<br />
passer, adressez-vous aux femmes parlementaires<br />
<strong>de</strong> tous <strong>les</strong> partis ! »<br />
L’idée est séduisante. La Chambre <strong>de</strong>s<br />
députés parait plus indiquée que le Sénat,<br />
encore faut-il trouver <strong>les</strong> femmes parlementaires<br />
qui acceptent.<br />
Si l’on excepte <strong>les</strong> partis catholiques, seu<strong>les</strong><br />
sept femmes siègent à <strong>la</strong> Chambre.<br />
Ce sont J.Adriaensens (BSP), M. Banneux<br />
(FDF), G. Brenez (PSB), L. Detiège<br />
(BSP), D. D’haeseleer (PVV), N. Maes (VU)<br />
et A. Spaak (FDF).<br />
Entre juillet et décembre 1997, <strong>les</strong><br />
contacts se succè<strong>de</strong>nt au siège du CAL<br />
ou au Parlement. G. Brenez a d’abord<br />
accepté <strong>de</strong> piloter le projet mais, pour<br />
<strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> santé et <strong>sur</strong> le conseil <strong>de</strong><br />
son chef <strong>de</strong> groupe H. Brouhon dont le<br />
CAL avait pris conseil, elle passe le re<strong>la</strong>is<br />
à L. Detiège.<br />
La députée tente d’obtenir <strong>les</strong> signatures<br />
<strong>de</strong> ses collègues dont <strong>la</strong> plupart se sont<br />
déc<strong>la</strong>rées intéressées. Pour <strong>de</strong>s raisons<br />
diverses, <strong>les</strong> députées contactées hormis<br />
<strong>les</strong> trois députées socialistes ne peuvent<br />
ou ne veulent pas s’engager.<br />
Le courage politique <strong>de</strong> trois femmes<br />
Seu<strong>les</strong> <strong>les</strong> députées socialistes L. Detiège,<br />
G. Brenez et J. Adriaesens ont le<br />
courage politique <strong>de</strong> déposer à <strong>la</strong> Chambre<br />
le 8 décembre 1977 <strong>la</strong> proposition<br />
<strong>de</strong> dépénalisation totale <strong>de</strong> l’avortement.<br />
Cette proposition est jugée par beaucoup<br />
comme dangereuse car risquant <strong>de</strong> permettre<br />
tous <strong>les</strong> abus. On n’est donc pas<br />
très pressé <strong>de</strong> l’inscrire à l’ordre du jour<br />
<strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> l’assemblée.<br />
Par contre, L. Detiège <strong>de</strong>vient <strong>la</strong> ve<strong>de</strong>tte<br />
<strong>de</strong>s manifestants favorab<strong>les</strong> à <strong>la</strong> dépénalisation.<br />
Cette démarche p<strong>la</strong>ce <strong>les</strong> autres<br />
parlementaires davantage encore en<br />
porte-à-faux par rapport à ceux-ci.<br />
La proposition <strong>de</strong> <strong>loi</strong> Detiège sera <strong>la</strong> seule,<br />
parmi <strong>les</strong> très nombreuses propositions<br />
déposées au Parlement, qui correspond<br />
bien à <strong>la</strong> revendication « l’avortement hors<br />
du co<strong>de</strong> pénal », exprimée c<strong>la</strong>irement lors<br />
<strong>de</strong>s manifestations publiques. Le CAL<br />
vient <strong>de</strong> réussir une étape importante.<br />
Faire évoluer <strong>les</strong> mentalités<br />
Proposer <strong>de</strong> retirer l’avortement du co<strong>de</strong><br />
pénal représentait, il faut se rep<strong>la</strong>cer d<strong>ans</strong><br />
l’époque d’il y a quarante <strong>ans</strong>, une véritable<br />
rupture et un choc brutal d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> pensée et<br />
<strong>les</strong> convictions <strong>de</strong> <strong>la</strong> majorité <strong>de</strong> nos concitoyens.<br />
Il est c<strong>la</strong>ir qu’il s’agit d’une révolution<br />
<strong>de</strong> l’approche <strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion concernant<br />
<strong>la</strong> contraception et l’avortement.<br />
Le corps médical avait été formé d<strong>ans</strong> une<br />
interprétation restrictive du serment d’Hippocrate,<br />
et peu <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins acceptaient<br />
d’apporter <strong>de</strong>s soins aux femmes en détresse,<br />
tandis que le légis<strong>la</strong>teur se gardait<br />
pru<strong>de</strong>mment <strong>de</strong> prendre une initiative. Les<br />
politiques, comme beaucoup d’autres,<br />
étaient peu enclins à s’aventurer d<strong>ans</strong><br />
une démarche que <strong>la</strong> morale d’influence<br />
religieuse réprouvait toujours comme «<strong>de</strong>s<br />
crimes et <strong>de</strong>s délits contre l’ordre <strong>de</strong>s<br />
famil<strong>les</strong> et contre <strong>la</strong> moralité publique».<br />
La brochure « Pour une dépénalisation<br />
totale <strong>de</strong> l’interruption <strong>de</strong> grossesse »<br />
qui développe <strong>les</strong> arguments du CAL<br />
en faveur d’une dépénalisation totale<br />
vise à informer le public et à soutenir <strong>la</strong><br />
proposition déposée par L. Detiège et<br />
ses collègues. Il convient <strong>de</strong> soustraire<br />
l’avortement au domaine du droit pénal<br />
car l’interruption volontaire <strong>de</strong> grossesse<br />
13
n’est plus considérée comme un acte socialement<br />
ou moralement répréhensible.<br />
Deux personnes sont seu<strong>les</strong> concernées<br />
par l’IVG : <strong>la</strong> femme qui doit <strong>la</strong> subir et<br />
le mé<strong>de</strong>cin qui <strong>la</strong> pratique. Il ne convient<br />
pas <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s structures d’accueil à<br />
caractère obligatoire car cet aspect sera<br />
dissuasif et maintiendra un circuit d’avortement<br />
c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin.<br />
Une conférence <strong>de</strong> presse est organisée<br />
pour faire connaître le dépôt <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
« proposition tant attendue par <strong>les</strong> manifestants<br />
» (Le Soir 2 mars 1978). Les<br />
manifestations se succè<strong>de</strong>nt : à Gand le<br />
4 mars, à l’UAE le 11, une journée <strong>de</strong> réflexion<br />
est organisée par <strong>la</strong> fédération <strong>de</strong>s<br />
associations <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial, ensuite<br />
<strong>les</strong> États généraux <strong>de</strong> l’action <strong>la</strong>ïque qui<br />
se déroulent à Liège le 12 mars, et bien<br />
d’autres...<br />
Il est remarquable <strong>de</strong> constater que, lors<br />
<strong>de</strong>s manifestations publiques, le principal<br />
slogan <strong>de</strong>s manifestants « l’avortement hors<br />
du co<strong>de</strong> pénal » correspond exactement<br />
aux termes <strong>de</strong> <strong>la</strong> proposition Detiège <strong>de</strong><br />
dépénalisation totale <strong>de</strong> l’avortement, alors<br />
que <strong>les</strong> autres parlementaires présents<br />
s’obstinent à déposer au Parlement <strong>de</strong>s<br />
textes, pour <strong>la</strong> plupart en totale contradiction<br />
avec ce que réc<strong>la</strong>ment <strong>les</strong> manifestants<br />
et <strong>de</strong> plus, tenant peu <strong>de</strong> compte <strong>de</strong>s<br />
éléments du rapport <strong>de</strong> <strong>la</strong> Commission<br />
nationale pour <strong>les</strong> problèmes éthiques.<br />
Dès ce moment, le CAL joue un rôle<br />
<strong>de</strong> plus en plus actif comme promoteur<br />
d’une légis<strong>la</strong>tion non répressive <strong>de</strong> l’avortement.<br />
Le 26 février 1979, le Conseil<br />
central <strong>la</strong>ïque adresse à tous <strong>les</strong> parlementaires<br />
une lettre ouverte expliquant<br />
en détail « que seule répondra à <strong>la</strong> réalité<br />
sociale d’aujourd’hui l’abrogation <strong>de</strong>s<br />
artic<strong>les</strong> du co<strong>de</strong> pénal qui pénalisent tant<br />
<strong>la</strong> femme consentante que ceux qui lui<br />
apportent ai<strong>de</strong> et information ». 4<br />
Les contacts politiques sont poursuivis<br />
régulièrement avec <strong>les</strong> parlementaires<br />
<strong>de</strong> tous <strong>les</strong> partis qui ont déposés <strong>de</strong>s<br />
propositions <strong>de</strong> <strong>loi</strong> dont, au <strong>de</strong>meurant,<br />
aucune n’a jamais fait l’objet d’une inscription<br />
à l’ordre du jour du Parlement.<br />
En effet, malgré <strong>les</strong> nombreux contacts<br />
personnels, chacun <strong>de</strong>s parlementaires<br />
<strong>de</strong>meure attaché à sa proposition qui ne<br />
dispose tout au plus que du soutien <strong>de</strong>s<br />
membres <strong>de</strong> son propre parti.<br />
Les poursuites judiciaires<br />
L’ouverture d’un débat parlementaire <strong>sur</strong><br />
l’avortement est d’autant plus urgent<br />
que <strong>de</strong>s IVG sont pratiquées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong><br />
bonnes conditions médica<strong>les</strong> par <strong>de</strong>s<br />
mé<strong>de</strong>cins, d<strong>ans</strong> certains hôpitaux et d<strong>ans</strong><br />
<strong>de</strong>s centres extrahospitaliers sous l’égi<strong>de</strong><br />
du GACEHPA. Mais bientôt <strong>de</strong>s perquisitions<br />
sont effectuées et <strong>de</strong>s poursuites<br />
judiciaires sont engagées. En préface <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> brochure, le CAL écrit « Quand une<br />
partie responsable <strong>de</strong> plusieurs corps<br />
professionnels, soutenue et épaulée par<br />
un nombre important <strong>de</strong> citoyens, est<br />
conduite à enfreindre <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte une <strong>loi</strong>,<br />
il est c<strong>la</strong>ir que celle-ci ne réalise plus un<br />
consensus suffisant et qu’il faut <strong>la</strong> modifier.<br />
La carence du pouvoir politique est<br />
<strong>de</strong>venue insupportable. »<br />
Depuis <strong>la</strong> création <strong>de</strong> centres extrahospitaliers<br />
qui pratiquent <strong>de</strong>s IVG d<strong>ans</strong> <strong>de</strong><br />
bonnes conditions médica<strong>les</strong> et psychologiques,<br />
<strong>les</strong> manifestations publiques<br />
recueillent <strong>de</strong> moins en moins <strong>de</strong> participants.<br />
Nombreux sont cel<strong>les</strong> et ceux<br />
qui considèrent <strong>la</strong> question résolue. La<br />
pression <strong>sur</strong> <strong>les</strong> politiques diminue <strong>de</strong> ce<br />
côté, mais s’accentue différemment suite<br />
aux poursuites contre <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins et<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>scentes <strong>de</strong> police d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> centres<br />
extrahospitaliers.<br />
Suite à <strong>la</strong> décision du Procureur général<br />
<strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong> <strong>de</strong> rompre en 1977 <strong>la</strong> «trêve<br />
judiciaire» conclue entre <strong>les</strong> cinq procu-<br />
4<br />
Lettre ouverte aux parlementaires, Conseil Central <strong>Laïque</strong>, 26 février 1979.<br />
14
eurs généraux, <strong>de</strong> nombreuses saisies<br />
<strong>de</strong> dossiers médicaux sont pratiquées.<br />
Un procès s’ouvre contre <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins<br />
et <strong>de</strong>s femmes en septembre 1981.<br />
À l’initiative du sénateur R. Lallemand, une<br />
proposition <strong>de</strong> dépénalisation semb<strong>la</strong>ble à<br />
<strong>la</strong> proposition L. Detiège est déposée cette<br />
fois au Sénat (mars 1981). Elle est cosignée<br />
par six sénateurs socialistes tant f<strong>la</strong>mands<br />
que francophones. Les sénateurs s’émeuvent<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté d’un procureur général<br />
<strong>de</strong> reprendre <strong>de</strong>s poursuites péna<strong>les</strong>, suite<br />
à l’immobilisme du parlement. La voie tracée<br />
par le CAL montre toute son utilité.<br />
Poursuivre l’action<br />
On ne peut énumérer <strong>les</strong> manifestations,<br />
colloques et débats organisés durant<br />
plus <strong>de</strong> 15 <strong>ans</strong> par <strong>les</strong> associations<br />
membres du CAL et ses régiona<strong>les</strong>, pour<br />
sensibiliser <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion et <strong>les</strong> politiques<br />
à <strong>la</strong> nécessité d’apporter une réponse<br />
positive aux drames liés à l’avortement<br />
c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin et ainsi également mettre fin<br />
au «tourisme <strong>de</strong> l’avortement» à l’étranger.<br />
Le CAL a travaillé et col<strong>la</strong>boré en<br />
bonne intelligence avec <strong>de</strong> nombreuses<br />
associations en orientant l’action d<strong>ans</strong><br />
trois directions.<br />
Tout d’abord maintenir un contact régulier<br />
avec <strong>les</strong> parlementaires pour <strong>les</strong> informer<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> situation et obtenir que <strong>la</strong> réforme<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion concernant <strong>la</strong> dépénalisation<br />
<strong>de</strong> l’IVG soit inscrite à l’ordre du<br />
jour du parlement, ce qui n’a pas été le<br />
cas jusqu’alors, malgré <strong>les</strong> nombreuses<br />
propositions <strong>de</strong> <strong>loi</strong> déposées.<br />
Il est également indispensable <strong>de</strong> soutenir<br />
<strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins inculpés et d’éviter que <strong>la</strong><br />
police ne puisse mettre <strong>la</strong> main <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s<br />
dossiers personnels d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s centres<br />
extrahospitaliers et conduire ainsi à <strong>de</strong><br />
nouvel<strong>les</strong> inculpations.<br />
Et enfin, il faut informer le public et lui faire<br />
comprendre <strong>les</strong> enjeux.<br />
Le CAL maintient un contact régulier avec<br />
<strong>les</strong> parlementaires pour obtenir que <strong>la</strong><br />
réforme <strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion concernant <strong>la</strong> dépénalisation<br />
<strong>de</strong> l’IVG soit inscrite à l’ordre<br />
du jour du parlement. Il tente <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r<br />
<strong>de</strong>s parlementaires <strong>de</strong> s’allier avec <strong>de</strong>s collègues<br />
d’autres partis en vue <strong>de</strong> déposer<br />
une proposition <strong>de</strong> <strong>loi</strong> pluraliste qui aurait<br />
alors plus <strong>de</strong> chance d’être enfin débattue<br />
au Parlement. C’est le chemin que suivra<br />
plus tard le sénateur Lallemand pour obtenir<br />
une majorité parlementaire.<br />
Le CAL publie un communiqué <strong>de</strong> presse<br />
le 10 janvier 1983 « Mise en <strong>de</strong>meure <strong>de</strong>s<br />
<strong>la</strong>ïques aux parlementaires ». Il « stigmatise<br />
l’inertie du Parlement qui, <strong>de</strong>puis 10 <strong>ans</strong>, se<br />
dérobe <strong>de</strong>vant son obligation d’apporter une<br />
solution réaliste aux problèmes humains et<br />
sanitaires <strong>de</strong> l’avortement c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin. »<br />
Le Conseil Central <strong>Laïque</strong> (CCL) adresse<br />
une lettre ouverte, rédigée d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />
<strong>la</strong>ngues, à tous <strong>les</strong> parlementaires. Le<br />
CCL leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> « que soit enfin examiné<br />
avec objectivité et sérénité le problème<br />
<strong>de</strong> santé publique que posent <strong>les</strong><br />
avortements c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins et le maintien…<br />
d’une légis<strong>la</strong>tion répressive … »<br />
Après avoir expliqué le problème posé par<br />
<strong>les</strong> nombreux avortements c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins, le<br />
CCL <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux parlementaires <strong>de</strong> voter<br />
<strong>la</strong> suspension <strong>de</strong>s artic<strong>les</strong> litigieux du co<strong>de</strong><br />
pénal afin que cessent <strong>les</strong> poursuites contre<br />
<strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins mais aussi que soit créé au<br />
parlement un climat serein au débat.<br />
C’est d<strong>ans</strong> cet esprit que, en février 1983,<br />
« six heures pour <strong>de</strong>s enfants désirés » se<br />
déroulent à ULB d<strong>ans</strong> le grand auditoire<br />
P.E. J<strong>ans</strong>on, organisées par <strong>la</strong> Régionale<br />
<strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong> du CAL alors présidée par P.<br />
Grollet. L’objectif est <strong>de</strong> soutenir <strong>les</strong> partis<strong>ans</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> dépénalisation <strong>de</strong> l’avortement<br />
ainsi que le personnel médical inculpé ou<br />
risquant <strong>de</strong> le <strong>de</strong>venir.<br />
15
L’éditorial du prési<strong>de</strong>nt d<strong>ans</strong> le « Bruxel<strong>les</strong><br />
<strong>la</strong>ïque agenda » a pour titre « <strong>la</strong> tolérance<br />
ne s’accor<strong>de</strong> pas avec <strong>la</strong> lâcheté ».<br />
Il épingle <strong>la</strong> lâcheté <strong>de</strong>s parlementaires<br />
qui, concernant une question éthique,<br />
refusent <strong>de</strong> voter <strong>la</strong> <strong>loi</strong> autorisant l’interruption<br />
volontaire <strong>de</strong> grossesse, au<br />
nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> «liberté <strong>de</strong> conscience» qu’ils<br />
s’accor<strong>de</strong>nt à eux-mêmes en tant que<br />
parlementaires, alors qu’ils <strong>la</strong> refusent aux<br />
femmes qui sont pourtant <strong>les</strong> premières<br />
concernées.<br />
Il est intéressant <strong>de</strong> remarquer que le<br />
« Bruxel<strong>les</strong> <strong>la</strong>ïque agenda » qui est entièrement<br />
consacré à <strong>la</strong> manifestation publie<br />
<strong>la</strong> liste complète <strong>de</strong>s votes à <strong>la</strong> Chambre<br />
pour et contre <strong>la</strong> proposition <strong>de</strong> suspension<br />
<strong>de</strong>s artic<strong>les</strong> du co<strong>de</strong> pénal.<br />
Ce type d’action politique contribuera à<br />
asseoir <strong>la</strong> réputation <strong>de</strong>s actions entreprises,<br />
car il montre que <strong>les</strong> <strong>la</strong>ïques suivent<br />
<strong>de</strong> près <strong>les</strong> scrutins au parlement. Le CAL<br />
défend <strong>les</strong> libertés pour tous, au nom<br />
d’une conception <strong>de</strong> <strong>la</strong>ïcité <strong>de</strong> <strong>la</strong> société.<br />
Des synthèses approfondies <strong>de</strong>s réactions<br />
politiques et <strong>de</strong>s poursuites judiciaires ont<br />
été publiées. Le bureau du CAL déci<strong>de</strong><br />
d’organiser d<strong>ans</strong> ses locaux une réunion<br />
<strong>de</strong> soutien à <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins inculpés réunissant<br />
<strong>les</strong> autorités <strong>de</strong>s universités libre<br />
exaministes ULB et VUB. Les recteurs leur<br />
apportent <strong>les</strong> as<strong>sur</strong>ances d’un soutien universitaire<br />
d<strong>ans</strong> l’exercice <strong>de</strong>s interventions<br />
d’IVG qu’ils pratiquent d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> hôpitaux<br />
universitaires.<br />
Le CAL entreprend également une démarche<br />
auprès du recteur <strong>de</strong> l’ULB en vue <strong>de</strong><br />
mettre en lieu sûr <strong>de</strong>s dossiers <strong>de</strong> femmes<br />
ayant subi une IVG d<strong>ans</strong> un centre extrahospitalier.<br />
Ces centres sont en effet l’objet<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>scentes <strong>de</strong> police qui confisque <strong>les</strong><br />
dossiers, empêchant ainsi <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />
d’as<strong>sur</strong>er un suivi convenable, mais aussi<br />
créant le risque <strong>de</strong> poursuites à l’encontre<br />
<strong>de</strong>s femmes et du personnel médical.<br />
Pour une approche pluraliste<br />
<strong>de</strong> l’avortement<br />
La Fédération <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s Pluralistes Familiaux,<br />
auxquels participe notamment le<br />
théologien P. De Locht, accueille <strong>de</strong>s femmes<br />
catholiques en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’IVG. 5 Les<br />
centres col<strong>la</strong>borent efficacement avec <strong>de</strong>s<br />
défenseurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépénalisation. Toutefois<br />
<strong>les</strong> centres catholiques ne bénéficient pas<br />
du soutien <strong>de</strong>s parlementaires et partis<br />
politiques «chrétiens».<br />
C’est d<strong>ans</strong> ce contexte qu’en 1983, le<br />
CAL est saisi d’une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> membres<br />
<strong>de</strong> l’association catholique « Vie<br />
féminine » d’envisager une publication en<br />
commun <strong>sur</strong> le thème d’une approche<br />
pluraliste <strong>de</strong> l’avortement, car ils partagent<br />
<strong>les</strong> positions défendues par <strong>les</strong> <strong>la</strong>ïques et<br />
adhèrent à <strong>la</strong> proposition <strong>de</strong> <strong>loi</strong> Detiège.<br />
Des col<strong>la</strong>borateurs d’autres associations<br />
participent à <strong>la</strong> démarche : centres pluralistes<br />
familiaux, centre chrétien <strong>de</strong> consultations<br />
conjuga<strong>les</strong> et familia<strong>les</strong>, comité pour<br />
<strong>la</strong> suspension <strong>de</strong>s poursuites en matière<br />
d’interruption volontaire <strong>de</strong> grossesse, comités<br />
pour <strong>la</strong> dépénalisation <strong>de</strong> l’avortement,<br />
comité femmes du parti socialiste, Fédération<br />
Belge pour le P<strong>la</strong>nning Familial et l’Education<br />
Sexuelle, Groupe d’Action <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s ExtraHospitaliers<br />
Pratiquant <strong>de</strong>s Avortements.<br />
Après quelques contacts préliminaires qui<br />
se déroulent d<strong>ans</strong> le «chalet» du CAL, il est<br />
convenu que chaque groupe rédigera un<br />
court document synthétisant ses positions<br />
<strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n légis<strong>la</strong>tif concernant l’interruption<br />
<strong>de</strong> grossesse, ainsi qu’une note <strong>de</strong> présentation<br />
<strong>de</strong> son association et <strong>de</strong> ses activités.<br />
Gran<strong>de</strong> fut <strong>la</strong> satisfaction <strong>de</strong>s participants<br />
<strong>de</strong> constater, à <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s divers textes,<br />
<strong>la</strong> gran<strong>de</strong> proximité <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue,<br />
somme toute réc<strong>la</strong>mant du légis<strong>la</strong>teur une<br />
approche plus humaine <strong>de</strong> l’avortement<br />
5<br />
P. <strong>de</strong> Locht, Pour une approche plus sereine à propos <strong>de</strong> <strong>l'avortement</strong>, CEFA, 1982.<br />
16
et permettant l’égalité <strong>de</strong>s femmes face à<br />
une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’IVG. Le <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong> couverture<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> brochure met l’accent <strong>sur</strong> cette<br />
inégalité par une ba<strong>la</strong>nce dont chacun <strong>de</strong>s<br />
p<strong>la</strong>teaux supporte une femme dont l’une<br />
pèse plus lourd que l’autre.<br />
La brochure intitulée « Pour une approche<br />
pluraliste <strong>de</strong> l’avortement » 6 (10) a été <strong>la</strong>rgement<br />
distribuée d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> milieux politiques.<br />
Elle fait apparaître <strong>la</strong> convergence <strong>de</strong><br />
points <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s acteurs actifs d<strong>ans</strong> cette<br />
question <strong>de</strong> santé publique, mais elle brise<br />
aussi certaines barrières idéologiques entre<br />
un grand nombre <strong>de</strong> personnes.<br />
Elle montre aussi aux politiques <strong>la</strong> cohésion<br />
d’une partie importante <strong>de</strong> <strong>la</strong> société<br />
civile <strong>sur</strong> <strong>la</strong> nécessité d’une réforme <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
légis<strong>la</strong>tion. L’introduction <strong>de</strong> <strong>la</strong> brochure se<br />
termine <strong>sur</strong> ce constat très <strong>la</strong>ïque: «il n’est<br />
pas concevable qu’une fraction d’une<br />
société dite démocratique et pluraliste<br />
persiste à dicter ses convictions éthiques<br />
à l’ensemble <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, méconnaissant<br />
<strong>la</strong> différence entre <strong>la</strong> tâche <strong>de</strong>s instances<br />
éthiques et le rôle du légis<strong>la</strong>teur».<br />
A contrario, en 1985 le pape est en visite<br />
en Belgique. Alors qu’il est reçu comme<br />
chef d’Etat, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> réception officielle<br />
au pa<strong>la</strong>is royal et <strong>de</strong>vant l’ensemble <strong>de</strong>s<br />
Corps constitués, il n’hésite pas à prendre<br />
énergiquement position contre l’IVG.<br />
S<strong>ans</strong> qu’il s’en doute, le pape a aidé à<br />
provoquer un affermissement <strong>de</strong>s positions<br />
<strong>de</strong> dépénalisation <strong>de</strong> certains parlementaires<br />
encore hésitants.<br />
Le tournant politique (1986)<br />
Face à l’immobilisme du Parlement, le<br />
CAL développe une stratégie qui s’avérera<br />
payante. D’une part, isoler politiquement<br />
<strong>la</strong> sénatrice PVV Herman-Michielsens<br />
et, d’autre part, obtenir <strong>de</strong> tous <strong>les</strong><br />
parlementaires <strong>la</strong>ïques qu’ils se rallient<br />
autour d’une seule proposition qui correspon<strong>de</strong><br />
à <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> société.<br />
La sénatrice PVV Herman-Michielsens<br />
avait déposé à plusieurs reprises une<br />
proposition <strong>de</strong> modification du co<strong>de</strong><br />
pénal, cosignée avec <strong>de</strong>s catholiques <strong>de</strong><br />
son parti, texte <strong>de</strong> compromis très restrictif<br />
qu’elle estimait à tort susceptible<br />
<strong>de</strong> recueillir <strong>de</strong>s votes <strong>de</strong> catholiques. Ce<br />
projet ne correspondait pas à <strong>la</strong> situation<br />
<strong>de</strong> l’IVG d<strong>ans</strong> le pays et ne satisfaisait<br />
aucun <strong>de</strong>s intervenants <strong>la</strong>ïques.<br />
On s’était aperçu que sa <strong>de</strong>rnière proposition<br />
<strong>de</strong> <strong>loi</strong>, hormis <strong>les</strong> catholiques,<br />
comportait <strong>la</strong> signature d’un collègue <strong>la</strong>ïque<br />
Karel Poma, ancien prési<strong>de</strong>nt d’une<br />
association <strong>la</strong>ïque f<strong>la</strong>man<strong>de</strong>.<br />
Le CAL prit contact avec celui-ci pour lui<br />
faire comprendre, avec l’ai<strong>de</strong> d’un mé<strong>de</strong>cin<br />
pratiquant <strong>de</strong>s IVG en milieu hospitalier, le<br />
contexte <strong>de</strong> l’IVG, le caractère insatisfaisant<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> proposition Michielsen et <strong>les</strong> raisons<br />
motivant <strong>la</strong> proposition <strong>de</strong> <strong>loi</strong> <strong>de</strong> dépénalisation<br />
défendue notamment par <strong>les</strong> milieux<br />
<strong>la</strong>ïques. Durant <strong>la</strong> réunion, il comprit rapi<strong>de</strong>ment<br />
<strong>les</strong> motivations et y adhéra.<br />
En 1986, après <strong>les</strong> élections, au moment <strong>de</strong><br />
relever <strong>de</strong> caducité <strong>la</strong> proposition Herman-Michielsens,<br />
Poma refusa <strong>de</strong> <strong>la</strong> cosigner à nouveau.<br />
La sénatrice ne pouvait se permettre<br />
<strong>de</strong> déposer un texte qu’elle savait rejeté non<br />
seulement par <strong>les</strong> milieux <strong>la</strong>ïques mais aussi<br />
par une frange agissante <strong>de</strong> catholiques.<br />
Elle même avait été très impressionnée, lors<br />
d’une visite d’un centre extrahospitalier, par<br />
l’accueil fait aux femmes, par le sérieux et le<br />
professionnalisme du personnel du centre.<br />
C’est ainsi que pour <strong>la</strong> première fois, le sénateur<br />
R. Lallemand et <strong>la</strong> sénatrice Herman-<br />
Michielsens déposent alors le 6 mars 1986<br />
une proposition <strong>de</strong> dépénalisation, sous un<br />
gouvernement à majorité libérale-catholique.<br />
La suite est bien connue, mais il faudra<br />
toute <strong>la</strong> ténacité du sénateur R. Lalle-<br />
6<br />
Pour une approche pluraliste <strong>de</strong> <strong>l'avortement</strong>, Bruxel<strong>les</strong>, 1984.<br />
17
mand pour mener à bien en 1990 avec<br />
<strong>de</strong>s collègues <strong>de</strong> différents partis non<br />
catholiques, une réforme <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> qui<br />
faisait encore <strong>de</strong> ce pays avec l’Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong> un<br />
bastion du conservatisme.<br />
Conclusions<br />
La dépénalisation <strong>de</strong> l’avortement a mis<br />
face à face <strong>de</strong>ux conceptions inconciliab<strong>les</strong>.<br />
D’une part, ceux qui tiennent <strong>la</strong> vérité<br />
d’en haut et veulent l’imposer à tous, et <strong>de</strong><br />
l’autre, cel<strong>les</strong> et ceux qui proposent <strong>de</strong>s<br />
solutions procurant <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> choix.<br />
A cet égard, l’interruption <strong>de</strong> grossesse<br />
peut être considéré comme un cas<br />
d’école car elle a regroupé d<strong>ans</strong> l’action<br />
<strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> convictions différentes<br />
qui n’avaient pas col<strong>la</strong>boré auparavant.<br />
Les trop fameux piliers belges s’en sont<br />
trouvés sérieusement érodés.<br />
L’accord s’est réalisé <strong>sur</strong> <strong>de</strong>ux aspects<br />
essentiels en démocratie qui ne sont pas<br />
s<strong>ans</strong> lien avec <strong>la</strong> manière actuelle d’abor<strong>de</strong>r<br />
<strong>les</strong> questions éthiques, particulièrement<br />
en Belgique :<br />
- une <strong>loi</strong>, et toute légis<strong>la</strong>tion, n’a pas à<br />
être promue au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion<br />
- <strong>les</strong> questions éthiques doivent faire l’objet<br />
<strong>de</strong> débats approfondis et ouverts d<strong>ans</strong><br />
<strong>les</strong>quels l’ensemble <strong>de</strong>s composantes <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> question soumise à examen doit être<br />
pris en compte.<br />
Le CAL a considéré que son rôle consistait<br />
à créer <strong>les</strong> conditions d’une modification<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong>, dégagée <strong>de</strong> tout dogmatisme<br />
et respectueuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong><br />
conscience <strong>de</strong>s personnes.<br />
L’action s’est portée davantage <strong>sur</strong> <strong>les</strong><br />
aspects concrets <strong>de</strong>s questions abordées<br />
d<strong>ans</strong> toutes leurs dimensions, aussi bien<br />
matériel<strong>les</strong> qu’éthiques, <strong>la</strong>issant en arrière-p<strong>la</strong>n<br />
<strong>les</strong> notions d’appartenance athée<br />
ou religieuse <strong>de</strong> chacun.<br />
Ce que, avec le recul, on peut qualifier<br />
d’étape importante <strong>de</strong> <strong>la</strong>ïcisation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
société belge est liée au fait que <strong>la</strong> lutte<br />
pour obtenir le droit à l’avortement a fait<br />
sauter bien <strong>de</strong>s barrières d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> société.<br />
En effet, toutes ces actions ont débordé<br />
<strong>de</strong>s clivages habituels, religieux et philosophiques,<br />
médicaux ou non médicaux et<br />
même parfois politiques.<br />
Encore que, pour une partie <strong>de</strong>s politiques,<br />
<strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> vote accordée par <strong>les</strong><br />
partis n’aient pas permis autre chose que<br />
quelques rares abstentions. Au moment<br />
du vote, certains parlementaires se sont<br />
octroyés à eux-mêmes une liberté qu’ils<br />
refusaient aux femmes en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’IVG.<br />
Ce fut <strong>la</strong> lutte <strong>de</strong> W. Peers, P.O. Hubinont<br />
(ULB), J.J. Amy (VUB), et <strong>de</strong> beaucoup<br />
d’autres, mé<strong>de</strong>cins ou non, <strong>de</strong> créer<br />
<strong>les</strong> conditions réel<strong>les</strong> <strong>de</strong> choix pour <strong>les</strong><br />
femmes, <strong>de</strong> ne pas contraindre cel<strong>les</strong>-ci à<br />
gar<strong>de</strong>r un foetus s<strong>ans</strong> projet d’enfant, <strong>de</strong><br />
ne pas non plus <strong>les</strong> contraindre à avorter<br />
à cause <strong>de</strong> problèmes sociaux, familiaux<br />
ou médicaux <strong>la</strong>issés s<strong>ans</strong> solution.<br />
Certaines en ont fait un combat féministe,<br />
d’autres un combat politique. S<strong>ans</strong> doute<br />
aussi, mais pas uniquement. Ce fut s<strong>ans</strong><br />
conteste un combat <strong>de</strong> <strong>la</strong>ïcité <strong>de</strong> société<br />
pour autoriser véritablement un choix<br />
pour <strong>les</strong> intéressées.<br />
Au CAL et avec beaucoup d’autres, nous<br />
avons mené un combat pour une société<br />
plus libre, responsable, émancipée, respectueuse<br />
<strong>de</strong>s convictions, une société <strong>la</strong>ïque.<br />
Bibliographie<br />
P. C<strong>la</strong>eys, N. Loeb-Mayer, Les partis politiques<br />
<strong>de</strong>vant le problème <strong>de</strong> l’avortement,<br />
CRISP, C.H. 962, 1982.<br />
V. Jacobs, L’avortement en Belgique, Institut<br />
Emile Van<strong>de</strong>rvel<strong>de</strong>, 1980 et L’avortement<br />
aujourd’hui, poursuites <strong>de</strong>vant <strong>les</strong> tribunaux,<br />
Institut Emile Van<strong>de</strong>rvel<strong>de</strong>, 1983.<br />
B. Marquès–Pereira, L’interruption volontaire<br />
<strong>de</strong> grossesse (1), CRISP, C.H. 1127 et (2)<br />
1128, 1986.<br />
B. Marquès–Pereira, L’avortement en Belgique,<br />
éditions <strong>de</strong> l’ULB, 1989.<br />
18
Les femmes européennes :<br />
toujours pas éga<strong>les</strong>?<br />
Catherine LÜTZELER<br />
Cellule Europe et International du CAL<br />
Chez moi, en Belgique, on va célébrer<br />
en gran<strong>de</strong> pompe <strong>les</strong> <strong>20</strong> <strong>ans</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> qui<br />
dépénalise l’avortement… Chez moi? Ne<br />
suis-je pas avant tout citoyen européen?<br />
Ma carte d’i<strong>de</strong>ntité me donne désormais<br />
le droit <strong>de</strong> voyager à travers l’Europe, mon<br />
diplôme est lui aussi reconnu d<strong>ans</strong> l’Union<br />
et je peux, si je le souhaite, exporter mes<br />
talents en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s frontières nationa<strong>les</strong>.<br />
Si <strong>la</strong> libéralisation <strong>de</strong>s marchés est un<br />
acquis, <strong>la</strong> «libéralisation <strong>de</strong>s mœurs» n’est,<br />
quant à elle, pas encore une conquête<br />
communautaire. En effet, si un rapport du<br />
Parlement européen - du socialiste belge<br />
Marc Tarabel<strong>la</strong> (voir encadré) - <strong>sur</strong> l’égalité<br />
hommes-femmes vient <strong>de</strong> <strong>sur</strong>prendre l’UE<br />
en prônant un « accès aisé à <strong>la</strong> contraception<br />
et à l’avortement », c’est que <strong>les</strong> droits<br />
<strong>de</strong>s femmes européennes en matière <strong>de</strong><br />
santé sexuelle et reproductive sont <strong>loi</strong>n<br />
d’être égaux au sein <strong>de</strong> l’Union.<br />
Historiquement, l’attitu<strong>de</strong> qu’on a eue à<br />
propos <strong>de</strong> l’avortement dépend <strong>sur</strong>tout du<br />
regard que l’on porte <strong>sur</strong> l’embryon : s’agit-il<br />
déjà d’un être humain, oui ou non? Selon<br />
que l’on p<strong>la</strong>ce le début <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie humaine<br />
à <strong>la</strong> conception ou à tel ou tel moment du<br />
développement embryonnaire, on accepte<br />
l’acte ou on le condamne comme crime. Dès<br />
l’Antiquité, <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong> l’avortement est<br />
répandue comme technique <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>s<br />
naissances. Or, dès le début du Moyen Age,<br />
<strong>les</strong> théologiens chrétiens débattent <strong>de</strong> l’âme<br />
du fœtus et condamnent l’avortement comme<br />
crime, à l’instar <strong>de</strong> l’homici<strong>de</strong>. Tant que le<br />
christianisme domine l’ensemble <strong>de</strong> <strong>la</strong> société<br />
et détermine <strong>les</strong> normes mora<strong>les</strong>, <strong>la</strong> position<br />
reste inchangée. A <strong>la</strong> Renaissance, on voit<br />
cependant apparaître <strong>la</strong> notion d’avorte<br />
ment médical en cas d’hémorragie grave.<br />
L’U.R.S.S. est le premier pays au mon<strong>de</strong><br />
à avoir supprimé, en 1917, l’interdiction<br />
d’avorter —avant que Staline ne l’interdise<br />
à nouveau— et ce sont d’abord <strong>les</strong><br />
régimes soviétiques qui ont légalisé l’avortement<br />
dès <strong>les</strong> années 60.<br />
Depuis lors, <strong>la</strong> majorité <strong>de</strong>s pays d’Europe<br />
occi<strong>de</strong>ntale a décriminalisé l’avortement<br />
d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> années 70, mais <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion<br />
<strong>sur</strong> l’interruption volontaire <strong>de</strong> grossesse<br />
(IVG) diffère selon <strong>les</strong> 27 pays membres <strong>de</strong><br />
l’Union européenne. D<strong>ans</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s<br />
pays <strong>de</strong> l’UE, l’avortement est soit légalisé,<br />
soit dépénalisé. La pério<strong>de</strong> généralement<br />
acceptée pour avorter est <strong>de</strong> 12 semaines.<br />
En Gran<strong>de</strong>-Bretagne, l’IVG peut être pratiquée<br />
jusqu’à 24 semaines. En Suè<strong>de</strong>, aux<br />
Pays-Bas, en Allemagne et en Grèce, <strong>la</strong><br />
date limite pour avorter peut être étendue<br />
à 18, <strong>20</strong>, voire 24 semaines d<strong>ans</strong> certains<br />
cas. Une justification médicale et <strong>de</strong>s tests<br />
sont néanmoins obligatoires.<br />
Dura lex, sed lex<br />
En Espagne, un projet <strong>de</strong> libéralisation <strong>de</strong><br />
l’IVG du gouvernement socialiste visant<br />
à rendre l’avortement totalement libre<br />
jusqu’à <strong>la</strong> 14e semaine <strong>de</strong> grossesse suscite<br />
<strong>de</strong> vives critiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> l’Église<br />
et <strong>de</strong>s milieux conservateurs. L’actuelle<br />
légis<strong>la</strong>tion datant <strong>de</strong> 1985 autorise l’avortement<br />
d<strong>ans</strong> un dé<strong>la</strong>i <strong>de</strong> 12 semaines<br />
maximum uniquement en cas <strong>de</strong> viol, <strong>de</strong><br />
22 semaines en cas <strong>de</strong> malformations du<br />
fœtus et s<strong>ans</strong> limitation <strong>de</strong> temps en cas<br />
<strong>de</strong> «danger pour <strong>la</strong> santé physique ou<br />
psychique <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère».<br />
Sous couvert <strong>de</strong> l’objection <strong>de</strong> conscience,<br />
<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s hôpitaux publics renvoient<br />
<strong>les</strong> femmes qui <strong>de</strong>vraient légalement<br />
avoir accès à <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé gratuits<br />
19
et qui sont le plus souvent obligées d’avoir<br />
recours à <strong>de</strong>s structures privées et payantes<br />
: 3% <strong>de</strong>s avortements ont lieu d<strong>ans</strong><br />
<strong>les</strong> hôpitaux publics contre 97% d<strong>ans</strong> <strong>les</strong><br />
structures privées. Paradoxalement, le<br />
concept <strong>de</strong> «santé mentale» pour justifier<br />
un avortement s<strong>ans</strong> limite <strong>de</strong> temps fait <strong>de</strong><br />
l’Espagne et <strong>de</strong> ses cliniques privées une<br />
terre d’asile pour <strong>les</strong> femmes dont le dé<strong>la</strong>i<br />
légal en vigueur d<strong>ans</strong> leur pays est dépassé.<br />
L’Espagne fait donc formellement<br />
figure <strong>de</strong> pays très restrictif en matière<br />
d’IVG alors qu’il s’avère en pratique le plus<br />
<strong>la</strong>xiste d’Europe.<br />
En Italie, <strong>la</strong> mise en vente <strong>de</strong> <strong>la</strong> pilule<br />
abortive RU 486 a suscité une levée <strong>de</strong><br />
boucliers <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> l’Église catholique.<br />
Malgré une <strong>loi</strong> <strong>de</strong> 1978 qui autorise<br />
l’IVG d<strong>ans</strong> un dé<strong>la</strong>i <strong>de</strong> 10 semaines, le<br />
travail constant <strong>de</strong> l’Église, <strong>les</strong> nombreuses<br />
interventions <strong>de</strong>s évêques et <strong>de</strong><br />
l’épiscopat, l’action du mouvement Pro<br />
Vita mais <strong>sur</strong>tout le recours à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>use<br />
d’objection <strong>de</strong> conscience ren<strong>de</strong>nt <strong>les</strong><br />
avortements difficilement accessib<strong>les</strong><br />
aux femmes.<br />
Les pays <strong>de</strong> l’Union européenne <strong>les</strong><br />
plus restrictifs en matière d’IVG sont<br />
<strong>la</strong> Pologne, l’Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, Malte et Chypre.<br />
L’avortement était légal en Pologne<br />
entre 1955 et 1993, il était gratuit d<strong>ans</strong><br />
<strong>les</strong> hôpitaux publics et payants d<strong>ans</strong><br />
<strong>les</strong> cliniques privées. Après <strong>la</strong> chute du<br />
régime communiste et sous l’influence<br />
renforcée <strong>de</strong> l’Eglise catholique, l’accès<br />
à l’interruption <strong>de</strong> grossesse fut radicalement<br />
limité en 1993. Celle-ci n’est<br />
désormais admise que pour <strong>de</strong>s raisons<br />
médica<strong>les</strong> strictes (danger <strong>de</strong> mort pour<br />
<strong>la</strong> mère, viol ou anomalie du fœtus).<br />
Cependant, même d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> conditions<br />
léga<strong>les</strong>, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins refusent<br />
<strong>de</strong> pratiquer ces avortements, par<br />
conviction, peur <strong>de</strong>s représail<strong>les</strong> ou par<br />
peur <strong>de</strong> salir leur réputation. L’intervention<br />
<strong>de</strong> l’Église et <strong>la</strong> pression que <strong>les</strong><br />
prêtres locaux exercent <strong>sur</strong> le corps<br />
médical et <strong>sur</strong> <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> concernées<br />
conditionnent souvent l’issue <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s<br />
léga<strong>les</strong> d’avortement.<br />
En Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, l’avortement est interdit sauf<br />
si <strong>la</strong> mère est en danger <strong>de</strong> mort au<br />
regard d’un article constitutionnel datant<br />
<strong>de</strong> 1983 et qui protège <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l’embryon<br />
tout autant que celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme.<br />
Les Ir<strong>la</strong>ndais sont très attachés à cette<br />
légis<strong>la</strong>tion, l’Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong> - société très catholique<br />
- a notamment rejeté le Traité <strong>de</strong><br />
Lisbonne en raison <strong>de</strong>s menaces qu’il<br />
faisait peser <strong>sur</strong> cette légis<strong>la</strong>tion. Le pays<br />
a d’ailleurs négocié une mention spéciale<br />
garantissant, d<strong>ans</strong> le cadre d’un<br />
protocole annexé au Traité <strong>de</strong> Maastricht<br />
(1992), qu’aucune disposition <strong>de</strong>s traités<br />
n’affecterait l’application <strong>de</strong> l’article <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Constitution <strong>sur</strong> le droit à <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s êtres<br />
à naître. L’interruption <strong>de</strong> grossesse est<br />
illégale <strong>de</strong>puis 1861 et <strong>la</strong> seule évolution -<br />
qui a été introduite en 1992 - confère aux<br />
femmes <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> voyager pour se faire<br />
avorter ainsi que le droit à être informées<br />
<strong>sur</strong> <strong>les</strong> services légaux existant d<strong>ans</strong> <strong>les</strong><br />
autres pays. Sur le terrain, ces droits ne<br />
sont même pas as<strong>sur</strong>és, <strong>les</strong> femmes<br />
sont tenues d<strong>ans</strong> l’ignorance et doivent<br />
faire face seu<strong>les</strong> aux démarches propres<br />
à un avortement à l’étranger. La proximité<br />
avec le continent européen et plus<br />
particulièrement avec <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Bretagne<br />
a permis au gouvernement ir<strong>la</strong>ndais <strong>de</strong><br />
fuir sa responsabilité en ne protégeant<br />
pas <strong>les</strong> droits <strong>de</strong>s femmes qui réc<strong>la</strong>ment<br />
l’accès à l’avortement.<br />
D<strong>ans</strong> ces pays, où l’avortement médicalisé<br />
et sécurisé est toujours très<br />
restreint voire illégal, <strong>les</strong> interruptions<br />
<strong>de</strong> grossesse pour raisons socia<strong>les</strong> ou<br />
psychologiques sont, el<strong>les</strong>, hors <strong>la</strong> <strong>loi</strong>.<br />
Or, ce sont ces motifs qui sont <strong>les</strong> plus<br />
<strong>20</strong>
épandus : le manque <strong>de</strong> ressources<br />
financières pour subvenir aux besoins<br />
d’un enfant, <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> face à <strong>la</strong> grossesse,<br />
le fait <strong>de</strong> se sentir trop jeune<br />
pour être mère ou <strong>de</strong> ne pas être prête<br />
à le <strong>de</strong>venir, <strong>les</strong> risques d’exclusion sociale,<br />
etc. Toutes ces raisons, pourtant<br />
va<strong>la</strong>b<strong>les</strong>, sont systématiquement niées<br />
par <strong>de</strong>s gouvernements conservateurs<br />
qui se <strong>la</strong>issent gui<strong>de</strong>r par <strong>de</strong>s<br />
lobbies religieux.<br />
Deux pas en avant, un pas en arrière<br />
En Suisse, une initiative voudrait que l’interruption<br />
<strong>de</strong> grossesse ne soit plus prise<br />
en charge par <strong>les</strong> caisses ma<strong>la</strong>die. En<br />
janvier <strong>de</strong> cette année, un comité inter-partis<br />
a <strong>la</strong>ncé une initiative intitulée « Financer<br />
l’avortement est une affaire privée - Alléger<br />
l’as<strong>sur</strong>ance-ma<strong>la</strong>die en radiant <strong>les</strong> coûts <strong>de</strong><br />
l’interruption <strong>de</strong> grossesse <strong>de</strong> l’as<strong>sur</strong>ance<br />
<strong>de</strong> base ». En remettant en cause le système<br />
<strong>de</strong> financement <strong>de</strong> l’IVG, c’est <strong>la</strong> liberté<br />
<strong>de</strong>s femmes et <strong>de</strong>s coup<strong>les</strong> à déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />
faire ou non <strong>de</strong>s enfants que l’on met en<br />
péril. Au lieu <strong>de</strong> poser <strong>la</strong> question frontalement,<br />
on <strong>la</strong> pose par le biais <strong>de</strong> l’économie.<br />
Or, c’est d’ordre moral dont il est question.<br />
L’initiative est proche du : « Tu as péché, tu<br />
paies! ». En effet, l’argument économique<br />
n’est pas tenable si l’on sait que <strong>les</strong> experts<br />
ont démontré que <strong>les</strong> économies produites<br />
seraient insignifiantes pour <strong>la</strong> collectivité.<br />
En revanche si elle <strong>de</strong>vait être validée, cette<br />
initiative pénaliserait fortement <strong>les</strong> femmes<br />
qui n’en ont pas <strong>les</strong> moyens.<br />
Outre-At<strong>la</strong>ntique, l’arrivée <strong>de</strong> Barack<br />
Obama à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>s États-Unis augurait<br />
une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> progrès, notamment en<br />
termes <strong>de</strong> couverture santé. En novembre<br />
<strong>20</strong>09, <strong>la</strong> Chambre adoptait <strong>la</strong> réforme<br />
controversée du système <strong>de</strong> santé américain<br />
au prix d’un amen<strong>de</strong>ment réc<strong>la</strong>mé<br />
par <strong>les</strong> pro-life démocrates visant à renforcer<br />
l’interdiction <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> fonds<br />
publics pour <strong>les</strong> avortements.<br />
On le comprend très vite, ces initiatives<br />
moralisent <strong>la</strong> santé alors qu’on observe<br />
une glorification <strong>de</strong> <strong>la</strong> maternité comme<br />
aboutissement et épanouissement personnel<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> féminité. En jouant non seulement<br />
<strong>sur</strong> <strong>les</strong> peurs et <strong>les</strong> fantasmes, <strong>les</strong><br />
conservateurs et religieux <strong>de</strong> tous bords<br />
orchestrent <strong>de</strong>s campagnes <strong>de</strong> culpabilisation<br />
<strong>de</strong>s femmes qui cherchent simplement<br />
à jouir d’un droit fondamental,<br />
celui <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong> leur corps. Légaliser<br />
l’avortement, c’est ne plus en faire un<br />
sujet tabou et criminel. C’est donc en<br />
parler et permettre une information c<strong>la</strong>ire<br />
<strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> couches <strong>de</strong> <strong>la</strong> société. Des<br />
femmes informées seront plus en me<strong>sur</strong>e<br />
d’éviter <strong>de</strong>s grossesses non désirées<br />
et <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s choix réfléchis.<br />
Un panorama du relief européen en matière<br />
d’IVG relève encore <strong>de</strong> trop nombreuses<br />
discriminations entre <strong>les</strong> femmes européennes.<br />
Le poids <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
religion, <strong>les</strong> menaces et l’opprobre qu’encoure<br />
<strong>la</strong> famille, <strong>les</strong> risques sanitaires et<br />
l’investissement économique sont autant<br />
d’obstac<strong>les</strong> que l’Union doit <strong>sur</strong>monter afin<br />
<strong>de</strong> garantir à toutes <strong>les</strong> femmes <strong>la</strong> jouissance<br />
<strong>de</strong> leurs droits fondamentaux.<br />
Le Parlement européen prône un «accès aisé à l’avortement»<br />
Le rapport <strong>de</strong> l’europarlementaire socialiste belge Marc Tarabel<strong>la</strong> (S&D) <strong>sur</strong> l’égalité entre <strong>les</strong> femmes et <strong>les</strong><br />
hommes au sein <strong>de</strong> l’Union européenne a été adopté en plénière par une majorité confortable. Ce vote,<br />
intervenu en février, a <strong>sur</strong>pris le rapporteur puisque <strong>la</strong> majorité conservatrice (PPE) a voté le texte d<strong>ans</strong> son<br />
ensemble, permettant au Parlement européen d’insister <strong>sur</strong> «le droit <strong>de</strong>s femmes à jouir <strong>de</strong> leurs droits<br />
sexuels et reproductifs, notamment grâce à un accès aisé à <strong>la</strong> contraception et à l’avortement».<br />
21
La lutte pour le droit à<br />
l’avortement en Belgique –<br />
Un combat <strong>la</strong>ïque<br />
Jean-Jacques Amy,<br />
Coprési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fédération <strong>Laïque</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning Familial<br />
D’où cet interdit ?<br />
Il y a vingt <strong>ans</strong> à peine, <strong>la</strong> Belgique était<br />
un <strong>de</strong>s seuls pays européens où pesait<br />
encore un interdit sévère <strong>sur</strong> <strong>la</strong> pratique<br />
<strong>de</strong> l’avortement. La <strong>loi</strong> alors en vigueur<br />
trouvait sa <strong>loi</strong>ntaine origine d<strong>ans</strong> le Co<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>s Délits et <strong>de</strong>s Peines du 3 brumaire<br />
<strong>de</strong> l’an IV (25 octobre 1795) <strong>de</strong> <strong>la</strong> République<br />
Française. 1 L’article en question<br />
avait été repris, après avoir été amendé,<br />
d<strong>ans</strong> le Co<strong>de</strong> Pénal <strong>de</strong> 1810. Ce <strong>de</strong>rnier<br />
(Titre II, Chapitre 1er [traitant <strong>de</strong>s ‘Crimes<br />
et délits contre <strong>les</strong> personnes’], Section<br />
II, Article 317) précisait que « Quiconque,<br />
par aliments, breuvages, médicaments,<br />
violences, ou par tout autre moyen, aura<br />
procuré l’avortement d’une femme enceinte,<br />
soit qu’elle y ait consenti ou non,<br />
sera puni <strong>de</strong> <strong>la</strong> réclusion.<br />
La même peine sera prononcée contre <strong>la</strong><br />
femme qui se sera procuré l’avortement<br />
à elle-même, ou qui aura consenti à faire<br />
usage <strong>de</strong>s moyens à elle indiqués ou administrés<br />
à cet effet, si l’avortement s’en<br />
est ensuivi. Les mé<strong>de</strong>cins, chirurgiens<br />
et autres officiers <strong>de</strong> santé, ainsi que <strong>les</strong><br />
pharmaciens qui auront indiqué ou administré<br />
ces moyens, seront condamnés à<br />
<strong>la</strong> peine <strong>de</strong>s travaux forcés à temps, d<strong>ans</strong><br />
le cas où l’avortement aurait eu lieu. » 2<br />
Le « Co<strong>de</strong> Napoléon » se montrait plus<br />
sévère que le Co<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Délits et <strong>de</strong>s<br />
Peines promulgué par <strong>la</strong> Convention<br />
puisque, à l’encontre <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, il<br />
prévoyait <strong>de</strong>s peines frappant <strong>la</strong> femme<br />
qui s’était fait avorter ou s’était avortée.<br />
Tant l’une que l’autre <strong>de</strong> ces légis<strong>la</strong>tions<br />
avaient pour but <strong>de</strong> promouvoir <strong>la</strong> natalité<br />
à un moment <strong>de</strong> l’Histoire où <strong>la</strong> France<br />
se livrait à <strong>de</strong>s guerres <strong>de</strong> conquête.<br />
Ce Co<strong>de</strong> resta en vigueur en Belgique<br />
jusqu’en 1867. 3 Le Co<strong>de</strong> Pénal belge<br />
datant <strong>de</strong> cette année réprime tout aussi<br />
sévèrement l’interruption <strong>de</strong> grossesse.<br />
Les bouleversements d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> domaines<br />
social et économique qui caractérisèrent le<br />
19ème siècle incitèrent <strong>les</strong> autorités à juguler<br />
par tous <strong>les</strong> moyens possib<strong>les</strong> <strong>les</strong> tentatives<br />
<strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>s naissances. A une époque<br />
<strong>de</strong> gran<strong>de</strong> exp<strong>ans</strong>ion industrielle, une forte<br />
croissance démographique était considérée<br />
indispensable afin <strong>de</strong> pouvoir disposer d’un<br />
nombre suffisant <strong>de</strong> travailleurs. Simultanément,<br />
l’Eglise catholique avait radicalisé son<br />
attitu<strong>de</strong> en matière <strong>de</strong> reproduction d<strong>ans</strong><br />
l’espèce humaine. 4 En 1869, sous l’impulsion<br />
<strong>de</strong> Pie IX, elle avait mis un terme à <strong>la</strong><br />
distinction entre foetus informe et foetus<br />
formé (habité par l’âme), et prohibait l’avortement<br />
au même titre que l’homici<strong>de</strong>, même<br />
quand <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong> <strong>la</strong> grossesse pouvait<br />
constituer une menace pour <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
femme. 5 Pie XII avait formellement<br />
1<br />
Amy J.J., Van 3 brumaire jaar IV tot 3 april 1990 : De wording van <strong>de</strong> Belgische abortuswet, Nieuw Tijdschrift<br />
van <strong>de</strong> Vrije Universiteit Brussel, <strong>20</strong>00, 13/3, pp.5-11.<br />
2<br />
Co<strong>de</strong> Pénal <strong>de</strong> 1810 – Texte intégral – Etat lors <strong>de</strong> sa promulgation en 1810<br />
http://ledroitcriminel.free.fr/<strong>la</strong>_legis<strong>la</strong>tion_criminelle/anciens_textes/co<strong>de</strong>_penal_<strong>de</strong>_1810.htm<br />
Consulté le 31/03/<strong>20</strong>10.<br />
3<br />
Amy J.J., <strong>20</strong>00, op cit<br />
4<br />
Amy J.J., <strong>20</strong>00, op cit<br />
5<br />
Amy J.J., Avortement, In G. Hottois et J.N. Missa, Nouvelle encyclopédie <strong>de</strong> bioéthique, Bruxel<strong>les</strong>, De<br />
Boeck. Université, <strong>20</strong>01a, pp.76-82.<br />
6<br />
Fontelle M.A., Construire <strong>la</strong> civilisation <strong>de</strong> l’Amour – Synthèse <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine sociale <strong>de</strong> l’Eglise, Pierre<br />
Téqui éditeur, 1998, 830 p.<br />
7<br />
Amy J.J., <strong>20</strong>01a, op cit<br />
22
interdit tout « avortement direct », c’est-àdire<br />
« celui qui est une fin et un moyen ». 6<br />
D<strong>ans</strong> son encyclique Humanae vitae (1968),<br />
Paul VI réaffirma <strong>la</strong> condamnation absolue<br />
<strong>de</strong> l’avortement. 7 Le IIe Concile du Vatican,<br />
présidé par ce pape, décréta que « La vie<br />
doit être sauvegardée avec un soin extrême<br />
dès <strong>la</strong> conception, l’avortement et l’infantici<strong>de</strong><br />
sont <strong>de</strong>s crimes abominab<strong>les</strong>. » 8<br />
La corporation médicale, soucieuse <strong>de</strong><br />
défendre ses intérêts particuliers, fit preuve<br />
d’une collusion évi<strong>de</strong>nte avec <strong>les</strong> autres<br />
instances au pouvoir. Comment qualifier<br />
sinon <strong>la</strong> rédaction commune d’un ouvrage<br />
ayant pour thème ‘L’avortement’ par le prési<strong>de</strong>nt<br />
du Conseil National <strong>de</strong> l’Ordre <strong>de</strong>s<br />
Mé<strong>de</strong>cins (français), d’un conseiller juridique<br />
<strong>de</strong> ce même Ordre, d’un autre mé<strong>de</strong>cin<br />
et d’un prêtre ? 9 Jusqu’au milieu du siècle<br />
<strong>de</strong>rnier, bien rares furent <strong>les</strong> représentants<br />
du corps médical qui dénoncèrent <strong>la</strong> menace<br />
que faisait peser <strong>sur</strong> d’innombrab<strong>les</strong><br />
femmes l’obligation pour el<strong>les</strong> <strong>de</strong> se faire<br />
avorter d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinité. D<strong>ans</strong> notre<br />
pays, l’Ordre <strong>de</strong>s Mé<strong>de</strong>cins n’aborda jamais<br />
le problème majeur <strong>de</strong> santé publique que<br />
représentait l’avortement c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin et ne<br />
proposa jamais, comme il était <strong>de</strong> son <strong>de</strong>voir,<br />
que le Parlement légifère à ce sujet.<br />
L’opuscule d’un mé<strong>de</strong>cin 10 , auteur par<br />
ailleurs d’un ouvrage intitulé Réflexions d’un<br />
mé<strong>de</strong>cin suisse <strong>sur</strong> <strong>les</strong> autorités, doctrines<br />
et usages <strong>de</strong> l’église catholique, en dit long<br />
<strong>sur</strong> ses liens avec l’Eglise et ses convictions<br />
natalistes. Il dénonce le fait que l’opinion<br />
publique soit <strong>de</strong>venue « singulièrement<br />
con<strong>de</strong>scendante aux théories qui subordonnent<br />
<strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l’enfant [sic !] à naître aux<br />
besoins, aux intérêts, au repos ou même<br />
aux caprices <strong>de</strong> sa mère [sic !]. » et que<br />
certains mé<strong>de</strong>cins se soient « engagés<br />
d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> voie dangereuse <strong>de</strong>s considérations<br />
extramédica<strong>les</strong> ». On trouve un peu plus<br />
<strong>loi</strong>n un réel morceau d’anthologie : « Entre<br />
temps, avait <strong>sur</strong>gi, d<strong>ans</strong> toute sa brutalité, le<br />
grand ‘redressement’ <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre mondiale.<br />
Devant <strong>les</strong> armées envahissantes, combien<br />
<strong>de</strong> Français ont gémi <strong>sur</strong> <strong>la</strong> restriction volontaire<br />
<strong>de</strong>s naissances, trop évi<strong>de</strong>mment en<br />
honneur auparavant en certaines régions et<br />
en certaines c<strong>la</strong>sses socia<strong>les</strong> <strong>de</strong> leur pays :<br />
une moins bourgeoise parcimonie d<strong>ans</strong> <strong>la</strong><br />
tr<strong>ans</strong>mission <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie aurait, en as<strong>sur</strong>ant<br />
plus d’équilibre aux forces en présence,<br />
rendu <strong>les</strong> assail<strong>la</strong>nts moins as<strong>sur</strong>és d’une<br />
victoire facile et peut-être préservé <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
mort, du seul côté français, un million et<br />
<strong>de</strong>mi d’adultes et, parmi eux, beaucoup <strong>de</strong><br />
ceux qui étaient censés [bénéficier] <strong>de</strong> ces<br />
calculs égoïstes. Bientôt, du côté allemand,<br />
apparaissaient d’analogues préoccupations<br />
et nous lisions alors d<strong>ans</strong> <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />
revues médica<strong>les</strong> que seuls <strong>les</strong> catholiques<br />
et <strong>les</strong> Juifs orthodoxes maintenaient, par<br />
leur natalité normale, l’espoir du pays. » Une<br />
page plus <strong>loi</strong>n, le lecteur apprend que « peu<br />
à peu, <strong>les</strong> angoisses patriotiques s’atténuèrent<br />
un peu partout, et, avec el<strong>les</strong>, l’austérité<br />
<strong>de</strong>s exigences au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s charges<br />
conjuga<strong>les</strong>, et, insidieusement, avec le retour<br />
d’un certain équilibre et d’un certain bienêtre,<br />
et plus encore avec <strong>la</strong> soif générale <strong>de</strong><br />
ce bien-être, nous vîmes réapparaître <strong>les</strong><br />
indulgences d’antan... » Après avoir ainsi<br />
dénoncé le sentiment patriotique défail<strong>la</strong>nt et<br />
l’hédonisme, l’auteur porte son attention <strong>sur</strong><br />
le matérialisme ‘à prétentions scientifiques’<br />
et le féminisme : « Nous nous heurtons [...]<br />
à une doctrine qui fait [...] table rase <strong>de</strong> tout<br />
droit <strong>de</strong> l’enfant [sic !] à naître. Avec plus<br />
d’outrancière désinvolture que <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins,<br />
<strong>de</strong>s littérateurs en quête <strong>de</strong> thèses sensationnel<strong>les</strong><br />
et, en particulier <strong>de</strong>s femmes<br />
<strong>de</strong> lettres – en qui semble éc<strong>la</strong>ter comme<br />
une rancœur <strong>de</strong> maternité déçue – croyant<br />
soutenir <strong>de</strong>s idées ‘avancées’ qui, historiquement,<br />
sont pourtant contemporaines <strong>de</strong>s<br />
déca<strong>de</strong>nces antiques, préten<strong>de</strong>nt donner à<br />
<strong>la</strong> mère [sic !] le droit <strong>de</strong> disposer librement<br />
du fruit <strong>de</strong> ses entrail<strong>les</strong>. ‘Ton corps est à toi’<br />
c<strong>la</strong>mera-t-on crûment, ou encore : ‘La fem-<br />
8<br />
Fontelle M.A., op cit<br />
9<br />
Portes L., Fontaine R., Monsaingeon A., Tiberghien P. L’avortement, Paris, P. Lethielleux Libraire-Editeur,<br />
1949, 61 p.<br />
10<br />
Clément G. Le droit <strong>de</strong> l’enfant à naître – Réflexions pour <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins et <strong>les</strong> non mé<strong>de</strong>cins, 5ème éd.,<br />
Bruges : Ch. Beyaert Editeurs, 1931, 149 p.<br />
23
me est maîtresse absolue <strong>de</strong> son corps. Le<br />
paquet rouge [...] d<strong>ans</strong> sa matrice lui appartient<br />
comme si c’était un polype qu’elle peut<br />
à son gré gar<strong>de</strong>r ou extirper.’ » Plus <strong>loi</strong>n encore,<br />
l’auteur abor<strong>de</strong> le statut <strong>de</strong> l’embryon,<br />
défendant une thèse qui est encore toujours<br />
le credo <strong>de</strong> certains : « ...avant d’avoir le<br />
plein exercice <strong>de</strong> facultés qui ne sont encore<br />
qu’en germe, avant <strong>de</strong> ‘se percevoir’, avant<br />
<strong>de</strong> naître, l’enfant [sic !] est bel et bien, non<br />
en vertu d’une fiction, mais <strong>de</strong> par <strong>la</strong> nature<br />
humaine qu’il possè<strong>de</strong> dès le début <strong>de</strong> son<br />
existence propre, une personne morale<br />
et juridique, sujet <strong>de</strong> droits inaliénab<strong>les</strong> et<br />
imprescriptib<strong>les</strong>. » « C’est une personne, qui<br />
a sa fin propre et son indépendance, qui ne<br />
peut être réduite au rôle d’instrument ou <strong>de</strong><br />
moyen, comme un objet matériel ou comme<br />
l’esc<strong>la</strong>ve d<strong>ans</strong> l’esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion antique,<br />
pour le bien, l’avantage ou même le<br />
salut d’autrui. [...] Dès lors, quand un conflit<br />
s’élève entre <strong>les</strong> droits <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère [sic !] et<br />
ceux <strong>de</strong> l’enfant [sic !], ce sont <strong>les</strong> droits <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux ‘personnes’ qui s’affrontent et, quand<br />
le droit en cause est celui à l’existence, droit<br />
as<strong>sur</strong>ément primordial et fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> tous<br />
<strong>les</strong> autres, il s’ensuit que <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux êtres ne peut être subordonnée comme<br />
moyen à <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l’autre et sacrifiée aux<br />
intérêts ou même à <strong>la</strong> conservation <strong>de</strong> celleci.<br />
» Ite missa est. La boucle est bouclée;<br />
tout a été dit même si l’auteur n’a pas eu<br />
conscience que <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers mots (« <strong>la</strong> vie <strong>de</strong><br />
l’un <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux êtres etc. ») pouvaient être<br />
interprétés comme un vibrant p<strong>la</strong>idoyer pour<br />
le respect <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme.<br />
L’évolution <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s envers l’interruption<br />
<strong>de</strong> grossesse au 19ème et au <strong>20</strong>ème<br />
sièc<strong>les</strong> démontre à l’envi <strong>la</strong> complexité <strong>de</strong><br />
cette problématique. Le caractère plus<br />
ou moins libéral <strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion en cette<br />
matière reflète le rapport <strong>de</strong> forces entre<br />
<strong>de</strong>s conceptions socia<strong>les</strong>, économiques<br />
et mora<strong>les</strong> opposées d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> société. De<br />
tout temps, l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s autorités religieuses<br />
a eu une influence déterminante <strong>sur</strong><br />
le caractère licite ou illicite <strong>de</strong> l’avortement<br />
provoqué. La libéralisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion<br />
fut amorcée d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> pays européens à<br />
majorité protestante plusieurs décennies<br />
avant qu’elle ne se réalise d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> pays<br />
d’obédience catholique. 11<br />
Pour l’Eglise catholique, l’avortement<br />
est un homici<strong>de</strong><br />
La doctrine catholique, d<strong>ans</strong> le domaine<br />
qui nous occupe, n’a pas varié <strong>de</strong>puis un<br />
siècle et <strong>de</strong>mi. L’Eglise, se référant à l’Ancien<br />
Testament (Ex. 23, 7: « ...tu ne feras<br />
point mourir l’innocent et le juste. »), décrète<br />
encore toujours que l’avortement, sous<br />
toutes ses formes, est un crime « contre<br />
<strong>la</strong> mission sacrée, donnée à l’homme et à<br />
<strong>la</strong> femme par Dieu, <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>mettre <strong>la</strong> vie. »<br />
Elle considère que nous n’avons pas <strong>de</strong><br />
droit <strong>de</strong> regard <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> vie que le<br />
« Créateur » nous aurait confiées. 12<br />
Au regard du droit canon, l’avortement<br />
constitue une action criminelle, un délit,<br />
une « action gravement peccamineuse » et<br />
« quiconque donne ou prend <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s<br />
pour provoquer un avortement doit<br />
être puni comme un meurtrier ». D<strong>ans</strong> le<br />
co<strong>de</strong> <strong>de</strong> droit canonique promulgué le 25<br />
janvier 1983, le légis<strong>la</strong>teur ecclésiastique<br />
condamne l’avortement et le punit avec<br />
<strong>la</strong> même fermeté que l’homici<strong>de</strong> (canon<br />
1397). Le foetus est reconnu comme un<br />
être humain, comme sujet <strong>de</strong> droit, puisque,<br />
s’il est vivant, il doit être baptisé. Les<br />
autorités ecclésiastiques proc<strong>la</strong>ment intangib<strong>les</strong><br />
« <strong>les</strong> droits du foetus, <strong>de</strong> l’enfant ». 13<br />
L’Église considère que <strong>de</strong> nos jours <strong>les</strong><br />
avortements se multiplient et elle s’in<strong>sur</strong>ge<br />
contre le fait qu’ils soient libéralisés.<br />
Elle applique aux « délinquants »,<br />
aux « coupab<strong>les</strong> », <strong>la</strong> sanction ultime, qui<br />
consiste en l’excommunication « <strong>la</strong>tae<br />
sententiae » (Canon 1398) s<strong>ans</strong> durée déterminée.<br />
Une peine « <strong>la</strong>tae sententiae »<br />
11<br />
Amy J.J., <strong>20</strong>01a, op cit<br />
12 <br />
Ouedraogo P., Repères canoniques <strong>sur</strong> l’avortement.<br />
http://www.cerbafaso.org/textes/congres/acte_congres99/avortement_canon99.pdf<br />
Consulté le 31/03/<strong>20</strong>10.<br />
13<br />
Ouedraogo P., op cit<br />
24
est automatique ; elle ne requiert pas<br />
<strong>de</strong> sentence: l’accomplissement du délit<br />
entraîne ipso facto <strong>la</strong> peine. Les « coauteurs<br />
du délit et <strong>les</strong> complices nécessaires<br />
» c’est-à-dire:<br />
• ceux qui ont conseillé l’avortement,<br />
• <strong>les</strong> infirmiers, mé<strong>de</strong>cins, pharmaciens,<br />
herboristes qui ont vendu <strong>les</strong> drogues,<br />
• tous ceux, parents ou amis qui ont<br />
concouru effectivement à l’opération,<br />
ont tous <strong>la</strong> même responsabilité objective.<br />
Ils encourent donc <strong>la</strong> même peine<br />
que l’auteur principal. 14<br />
Pire encore, le délit d’avortement, ce « péché<br />
grave, mortel », constitue une « irrégu<strong>la</strong>rité »<br />
(can 1044.1); il empêche <strong>de</strong> recevoir <strong>les</strong><br />
ordres sacrés (épiscopat, prêtrise, diaconat)<br />
ou d’être maintenu d<strong>ans</strong> ces <strong>de</strong>rniers! Le<br />
clerc délinquant est frappé <strong>de</strong> suspense,<br />
interdisant d’exercer le pouvoir d’ordre ou <strong>de</strong><br />
gouvernement (can 1333); pour un religieux,<br />
le canon 695 stipule le renvoi <strong>de</strong> l’Institut<br />
pour délit et pour réparer le scandale. 15<br />
Ces me<strong>sur</strong>es draconiennes sont une manifestation<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> défense inconditionnelle <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> « vie » que l’Eglise veut as<strong>sur</strong>er. Face à<br />
<strong>de</strong>s légis<strong>la</strong>tions qu’elle estime « permissives<br />
», à <strong>la</strong> mentalité et aux moeurs qu’elle<br />
juge être « <strong>la</strong>xistes », l’Eglise catholique<br />
et romaine proc<strong>la</strong>me que <strong>la</strong> vie humaine<br />
est sacrée dès l’instant <strong>de</strong> sa conception<br />
jusqu’à sa phase terminale (mort naturelle).<br />
Dieu en est l’Auteur, le Créateur ; l’homme<br />
se doit <strong>de</strong> <strong>la</strong> protéger. 16<br />
Le Pape Jean-Paul II avait affirmé qu’«<br />
aucune circonstance, aucune finalité, aucune<br />
<strong>loi</strong> au mon<strong>de</strong> ne pourra jamais rendre<br />
licite un acte qui est intrinsèquement illicite,<br />
parce que contraire à <strong>la</strong> <strong>loi</strong> <strong>de</strong> Dieu ». 17<br />
L’Eglise, qui s’arroge le pouvoir spirituel,<br />
admet avec réticence que le pouvoir temporel<br />
est du ressort du pouvoir civil. Elle proc<strong>la</strong>me<br />
cependant que ce <strong>de</strong>rnier lui est subordonné<br />
en ce qui concerne le « salut <strong>de</strong>s âmes » ; en<br />
raison <strong>de</strong> cette finalité, elle décrète sa préséance<br />
: « le pouvoir temporel est soumis au<br />
pouvoir spirituel ». 18 A l’en croire, seule l’Eglise<br />
est détentrice <strong>de</strong> <strong>la</strong> « vérité » s<strong>ans</strong> <strong>la</strong>quelle il<br />
ne serait pas possible d’organiser <strong>la</strong> société<br />
<strong>de</strong> façon durable et d’en as<strong>sur</strong>er <strong>la</strong> stabilité.<br />
L’évolution du « contenu et du sens du<br />
mot vérité », l’adoption <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> valeurs<br />
constituent <strong>de</strong> véritab<strong>les</strong> menaces pour son<br />
pouvoir. Elle fera tout pour que soit maintenu<br />
le statu quo. Par <strong>la</strong> voix d’un <strong>de</strong> ses représentants<br />
l’Eglise s’oppose à quiconque prétendrait<br />
« remp<strong>la</strong>cer <strong>la</strong> morale <strong>de</strong> principes par<br />
une morale <strong>de</strong> bon sens. » Ce même auteur<br />
rappelle que « chaque fois qu’on admet <strong>de</strong>s<br />
cas où on peut déroger à l’un <strong>de</strong> ces principes<br />
», tels que le principe ‘Tu ne tueras point’,<br />
« c’est <strong>la</strong> civilisation toute entière qui est<br />
menacée. » S’il avait appliqué ledit principe en<br />
tenant compte <strong>de</strong> sa réelle signification, Pie<br />
XII aurait pris <strong>la</strong> défense <strong>de</strong>s peup<strong>les</strong> juif et<br />
tzigane ; il ne l’a pas fait. Pour Rome, l’avortement<br />
est un crime pire qu’un génoci<strong>de</strong>.<br />
Les thèses en présence :<br />
diamétralement opposées<br />
De toute évi<strong>de</strong>nce, <strong>les</strong> partis<strong>ans</strong> d’une<br />
prohibition stricte <strong>de</strong> l’interruption <strong>de</strong><br />
grossesse ont l’avantage <strong>de</strong> défendre une<br />
valeur concrète (<strong>la</strong> vie du foetus), qu’ils<br />
déc<strong>la</strong>rent être absolue. Pour eux, il ne<br />
saurait être question <strong>de</strong> détruire le produit<br />
<strong>de</strong> conception, auquel, dès son sta<strong>de</strong> le<br />
plus précoce, <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong> personne a<br />
été attribuée. Ceci équivaudrait au meurtre<br />
d’un innocent. Le foetus ne saurait<br />
être subordonné et sacrifié aux intérêts<br />
– même vitaux – d’une autre personne,<br />
celle-ci fût-elle <strong>la</strong> femme qui le porte. A <strong>la</strong><br />
limite, aucun justificatif ne peut plus être<br />
retenu puisqu’on ne saurait remédier à une<br />
14<br />
Ouedraogo P., op cit<br />
15<br />
Ouedraogo P., op cit<br />
16<br />
Tiberghien P. , Principes et conscience morale, In Portes L, Fontaine R, Monsaingeon A, Tiberghien P.<br />
L’avortement, Paris, P. Lethielleux Libraire-Editeur,1949, pp.19-36.<br />
17<br />
Jean-Paul II, défenseur <strong>de</strong> l’Homme, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> tout homme<br />
http:news.catholique.org/1252-Jean-Paul-II-<strong>de</strong>fenseur-<strong>de</strong>-l-Homme-<strong>de</strong>-<strong>la</strong>-vie<br />
Consulté le 31/03/<strong>20</strong>10.<br />
18<br />
Fontelle M.A., op cit<br />
25
injustice grave dont est victime <strong>la</strong> femme<br />
par une injustice plus grave encore, qui<br />
frapperait le foetus. D<strong>ans</strong> un tel système<br />
<strong>de</strong> pensée, le rejet total <strong>de</strong> l’avortement<br />
est cohérent et logiquement inattaquable.<br />
Le concept <strong>de</strong> viabilité n’intervient pas. 19<br />
Toutefois, pareils apriorismes, en soustrayant<br />
<strong>la</strong> grossesse non désirée et l’avortement<br />
à toute possibilité d’évaluation<br />
critique, tentent <strong>de</strong> clore le débat. Nous,<br />
<strong>la</strong>ïques, nous opposons à cette vue.<br />
Nous considérons que le dilemme est<br />
incontournable et qu’il faut attribuer une<br />
valeur re<strong>la</strong>tive à <strong>la</strong> vie débutante, d’une<br />
part, à <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme et<br />
du couple, d’autre part, et agir ensuite, en<br />
conformité avec le bi<strong>la</strong>n dressé au terme<br />
<strong>de</strong> cette évaluation. <strong>20</strong><br />
La valorisation du statut <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme<br />
d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> société constitue une menace<br />
pour le pouvoir <strong>de</strong> l’Eglise<br />
La hiérarchie catholique s’oppose catégoriquement<br />
à <strong>la</strong> remise en question <strong>de</strong> l’ordre<br />
divin, naturel et immuable, pour lequel<br />
l’acte sexuel n’a d’autre justification que<br />
procréative et qui impose comme <strong>de</strong>stinée<br />
première à <strong>la</strong> femme d’assumer pleinement<br />
ses maternités. L’embryon est investi<br />
d’une valeur symbolique intangible. Toute<br />
atteinte autorisée à son intégrité mènerait<br />
au relâchement <strong>de</strong>s moeurs et à l’ébranlement<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> structure même <strong>de</strong> <strong>la</strong> société<br />
politique. 21 C’est là le coeur du problème.<br />
Nous, qui sommes <strong>les</strong> adversaires <strong>de</strong><br />
cette thèse, considérons qu’un système<br />
philosophique qui accepte qu’une majorité<br />
d’embryons soient rejetés, comme<br />
on l’observe en physiologie humaine, ne<br />
saurait s’opposer à <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction délibérée<br />
<strong>de</strong> certains embryons. Cette <strong>de</strong>rnière<br />
ne peut être vue comme une atteinte<br />
plus grave à l’ordre naturel que cel<strong>les</strong> qui<br />
consistent à augmenter <strong>la</strong> fécondité ou<br />
à empêcher <strong>la</strong> perte spontanée <strong>de</strong> l’embryon.<br />
La libéralisation <strong>de</strong> l’avortement<br />
s’inscrit d<strong>ans</strong> le contexte d’un humanisme<br />
<strong>la</strong>ïque qui reconnaît à l’individu le droit <strong>de</strong><br />
s’autodéterminer <strong>de</strong> manière autonome<br />
et responsable. Le maintien <strong>de</strong> l’interdit<br />
pesant <strong>sur</strong> l’interruption <strong>de</strong> grossesse<br />
constitue une restriction abusive <strong>de</strong>s<br />
droits et du libre arbitre <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme.<br />
L’accès à <strong>la</strong> contraception :<br />
un droit indiscutable<br />
La contraception est, par excellence, le<br />
moyen <strong>de</strong> réaliser une parenté responsable.<br />
Son utilisation rationnelle <strong>de</strong>vrait permettre<br />
<strong>de</strong> réduire au maximum <strong>la</strong> fréquence <strong>de</strong>s<br />
avortements provoqués. D<strong>ans</strong> le cadre<br />
d’une approche strictement humaniste <strong>de</strong><br />
cette question, <strong>la</strong> contraception ne <strong>de</strong>vrait<br />
donc pas prêter à discussion. 22 La manipu<strong>la</strong>tion<br />
<strong>de</strong>s consciences à <strong>la</strong>quelle se livrent<br />
certaines autorités religieuses pour interdire<br />
le recours à <strong>de</strong>s techniques contraceptives<br />
efficaces peut être considérée comme une<br />
atteinte aux libertés individuel<strong>les</strong> et comme<br />
<strong>la</strong> manifestation d’une singulière méconnaissance<br />
<strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong> l’humanité. Il est<br />
difficile <strong>de</strong> justifier d’un point <strong>de</strong> vue moral<br />
l’interdiction aussi bien <strong>de</strong> l’avortement que<br />
<strong>de</strong> sa principale me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> prévention.<br />
D<strong>ans</strong> cette optique, l’hostilité dont témoignent<br />
l’Eglise catholique et – je l’affirme<br />
avec force ! - d’autres organisations religieuses<br />
fondamentalistes envers l’émancipation<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> femme, <strong>la</strong> contraception et<br />
l’avortement légalisé retar<strong>de</strong> toute solution<br />
<strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> <strong>sur</strong>popu<strong>la</strong>tion et <strong>de</strong> pauvreté.<br />
23 Ce<strong>la</strong> est inadmissible.<br />
La lutte continue<br />
Nous avons combattu l’alliance du sabre,<br />
du goupillon, du caducée et du grand<br />
19<br />
Amy J.J., <strong>20</strong>01a, op cit<br />
<strong>20</strong><br />
Amy J.J., <strong>20</strong>01a, op cit<br />
21<br />
Amy J.J., <strong>20</strong>01a, op cit<br />
22<br />
Amy J.J., Contraception, In G. Hottois et J.N. Missa, Nouvelle encyclopédie <strong>de</strong> bioéthique.<br />
Bruxel<strong>les</strong>, De Boeck Université, <strong>20</strong>01b, pp.235-239.<br />
23<br />
Amy J.J., Contrôle <strong>de</strong>s naissances, In G. Hottois et J.N. Missa, Nouvelle encyclopédie <strong>de</strong> bioéthique,<br />
Bruxel<strong>les</strong>, De Boeck Université, <strong>20</strong>01c, pp.239-242.<br />
26
capital que j’ai évoquée tout au long <strong>de</strong><br />
ce texte. Nous avons dénoncé l’arbitraire<br />
d’une magistrature couchée. Nous avons<br />
lutté pour que <strong>les</strong> femmes acquièrent<br />
<strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leurs droits en matière<br />
<strong>de</strong> santé reproductive et <strong>la</strong> valorisation<br />
<strong>de</strong> leur statut d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> société. L’heureux<br />
aboutissement <strong>de</strong> ce combat a résolu<br />
un grave problème <strong>de</strong> santé publique et<br />
a modifié pour longtemps le rapport <strong>de</strong>s<br />
forces d<strong>ans</strong> notre pays. Ce fut là un combat<br />
<strong>la</strong>ïque, puisque féministe et libérateur.<br />
Nous <strong>de</strong>vons veiller à <strong>la</strong> préservation <strong>de</strong><br />
ces acquis et poursuivre <strong>la</strong> <strong>la</strong>ïcisation <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> société.<br />
27
L’avortement à<br />
l’intersection <strong>de</strong>s luttes<br />
féministes et <strong>la</strong>ïques<br />
Bérengère MARQUES-PEREIRA<br />
Professeure à l’Université Libre <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>,<br />
département <strong>de</strong> sciences politiques<br />
Les étapes <strong>de</strong> <strong>la</strong> politisation <strong>de</strong><br />
l’avortement 2<br />
En mars 1990, <strong>la</strong> Belgique adoptait une<br />
nouvelle légis<strong>la</strong>tion dépénalisant partiellement<br />
l’avortement. Cette légis<strong>la</strong>tion supprimait<br />
l’infraction lorsque <strong>la</strong> femme enceinte<br />
qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une interruption volontaire <strong>de</strong><br />
grossesse se trouve d<strong>ans</strong> un état <strong>de</strong> détresse,<br />
et sous certaines conditions. L’état<br />
<strong>de</strong> détresse correspond à <strong>la</strong> fois à un refus<br />
profond et persistant <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme <strong>de</strong> mener<br />
sa grossesse à terme, et au conflit moral<br />
qu’il exprime. Cette notion tend à éviter tout<br />
pouvoir inquisitorial du mé<strong>de</strong>cin ou du juge<br />
qui consisterait à vérifier <strong>la</strong> véracité <strong>de</strong>s motifs<br />
invoqués. Les conditions requises sont<br />
<strong>les</strong> suivantes : une interruption volontaire<br />
<strong>de</strong> grossesse doit être pratiquée d<strong>ans</strong> un<br />
établissement <strong>de</strong> soins hospitalier ou extrahospitalier<br />
qui organise l’écoute psychologique<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> femme et qui l’informe <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s<br />
socia<strong>les</strong> et <strong>de</strong>s me<strong>sur</strong>es contraceptives; un<br />
dé<strong>la</strong>i <strong>de</strong> six jours <strong>de</strong> réflexion est imposé<br />
entre <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et l’intervention; l’avortement<br />
doit être pratiqué d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> douze<br />
semaines <strong>de</strong> <strong>la</strong> grossesse; au-<strong>de</strong>là, il faut<br />
qu’il existe une menace grave pour <strong>la</strong> santé<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> femme ou <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> que le fœtus est<br />
atteint d’une affection incurable; d<strong>ans</strong> ce<br />
cas, l’avis <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mé<strong>de</strong>cins est<br />
également requis.<br />
La nouvelle <strong>loi</strong> mettait ainsi fin à <strong>la</strong> plus<br />
paradoxale <strong>de</strong>s situations : le maintien<br />
d’une légis<strong>la</strong>tion répressive cohabitait<br />
avec une libéralisation <strong>de</strong> fait <strong>de</strong><br />
l’avortement, ce qui n’était possible qu’en<br />
raison d’une application ponctuelle et<br />
arbitraire <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong>. Quatre gran<strong>de</strong>s étapes<br />
d<strong>ans</strong> un processus <strong>de</strong> non-décision politique<br />
et <strong>de</strong> politisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> société civile<br />
avaient permis une telle situation.<br />
Le tabou <strong>de</strong> l’avortement n’a véritablement<br />
volé en éc<strong>la</strong>t qu’en janvier 1973 à l’occasion<br />
<strong>de</strong> ce que l’on a appelé l’Affaire Peers. L’arrestation<br />
<strong>de</strong> Willy Peers ressentie comme une<br />
véritable provocation d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> société civile, <strong>de</strong><br />
très <strong>la</strong>rges fractions <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt<br />
d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> rue, stigmatisant et défiant ouvertement<br />
et publiquement <strong>la</strong> <strong>loi</strong> pénale. Peers<br />
relâché, l’affaire aboutissait à <strong>de</strong>ux résultats :<br />
le vote <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> dépénalisant l’information et<br />
<strong>la</strong> publicité en matière <strong>de</strong> contraception, et<br />
l’établissement d’une trêve judiciaire <strong>de</strong> fait.<br />
Pour <strong>les</strong> élites politiques du pays, l’avortement<br />
était ainsi <strong>de</strong>venu un enjeu <strong>de</strong> société<br />
qui risquait <strong>de</strong> déstabiliser l’Etat belge et <strong>les</strong><br />
années 1974-1978 furent marquées par le<br />
blocage persistant <strong>de</strong> <strong>la</strong> décision politique et<br />
par le développement d’une pratique illégale,<br />
mais publique, <strong>de</strong> l’avortement médical. Dès<br />
1974, <strong>les</strong> sociaux-chrétiens choisissent une<br />
stratégie <strong>de</strong> non-décision, re<strong>la</strong>yant ainsi <strong>les</strong><br />
positions éthiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> hiérarchie ecclésiastique<br />
: non seulement ils s’opposent au<br />
dépôt <strong>de</strong> tout projet <strong>de</strong> <strong>loi</strong> en matière d’avortement<br />
mais, en outre, ils globalisent ce dossier<br />
avec d’autres questions connexes, tel<strong>les</strong><br />
que l’adoption ou l’anonymat <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère.<br />
A partir <strong>de</strong> 1978, d<strong>ans</strong> une <strong>de</strong>uxième étape,<br />
le conflit éthique se radicalise d<strong>ans</strong> une<br />
pratique illégale, revendiquée publiquement<br />
par <strong>les</strong> partis<strong>ans</strong> – <strong>la</strong>ïques, féministes<br />
et <strong>de</strong> gauche – d’une dépénalisation et<br />
soutenue, voire mise en œuvre, par diver-<br />
2<br />
B. Marques-Pereira, L’avortement en Belgique. De <strong>la</strong> c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinité au débat politique, Bruxel<strong>les</strong>, Editions<br />
<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>, 1989.<br />
28
ses associations : <strong>les</strong> Comités <strong>de</strong> dépénalisation<br />
<strong>de</strong> l’avortement, créés en 1976<br />
à l’initiative <strong>de</strong> féministes, le Comité pour<br />
<strong>la</strong> Suspension <strong>de</strong>s Poursuites Judiciaires,<br />
créé en 1978 par <strong>de</strong>ux femmes socialistes,<br />
Monique Rifflet et Monique Van Tichelen, le<br />
Groupe d’Action <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s ExtraHospitaliers<br />
pratiquant l’Avortement (GACEHPA),<br />
créé lui aussi en 1978, à l’initiative <strong>de</strong><br />
féministes et <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>la</strong>ïques progressistes<br />
pratiquant l’avortement.<br />
L’action illégale d’hôpitaux universitaires<br />
<strong>la</strong>ïques et <strong>de</strong>s centres extrahospitaliers<br />
contribue ainsi à établir une situation <strong>de</strong> fait<br />
que ne peuvent ignorer ni le pouvoir politique<br />
ni le pouvoir judiciaire. Cette stratégie<br />
se double d’une tactique <strong>de</strong> blocage <strong>de</strong><br />
toute décision politique qui mettrait en péril<br />
l’acquis en matière <strong>de</strong> santé publique créé<br />
à <strong>la</strong> faveur du développement <strong>de</strong>s centres<br />
extrahospitaliers pratiquant l’avortement.<br />
Cette tactique se concrétise par le dépôt<br />
d’une proposition <strong>de</strong> <strong>loi</strong> radicalisant <strong>les</strong><br />
positions socialistes <strong>de</strong> l’époque, proposition<br />
déposée par Léona Detiège, reprenant<br />
<strong>les</strong> positions du <strong>Centre</strong> d’Action <strong>Laïque</strong> et<br />
soutenue par <strong>les</strong> Comités <strong>de</strong> dépénalisation<br />
<strong>de</strong> l’avortement.<br />
Une telle situation amène certains Parquets<br />
à rompre, dès 1978, <strong>la</strong> trêve judiciaire <strong>de</strong> fait<br />
s<strong>ans</strong> pour autant risquer une mobilisation <strong>de</strong><br />
l’ampleur <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> 1973 en entamant une<br />
répression généralisée, politiquement impraticable.<br />
S’ouvre alors une nouvelle étape, <strong>de</strong><br />
1981 à 1985, durant <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> <strong>loi</strong> pénale<br />
est véritablement mise en procès au sein<br />
même <strong>de</strong> l’enceinte judiciaire : <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins<br />
et <strong>les</strong> membres du personnel paramédical<br />
en butte à <strong>la</strong> répression proc<strong>la</strong>ment <strong>de</strong>vant<br />
leurs juges une volonté <strong>de</strong> résistance ouverte,<br />
ne craignant pas d’encourir <strong>de</strong>s peines <strong>de</strong><br />
prison ferme. Loin d’être marginalisée, cette<br />
volonté <strong>de</strong> résistance sera soutenue par<br />
<strong>de</strong>s institutions dont le poids philosophique<br />
n’est pas négligeable, comme l’Université<br />
libre <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>, et favorisée par l’absence<br />
<strong>de</strong> toute revendication significative en faveur<br />
d’une politique répressive. Enfin, à partir <strong>de</strong><br />
1986, on assiste à un rapprochement entre<br />
socialistes et libéraux visant à mettre fin à<br />
l’insécurité juridique et judiciaire par le dépôt<br />
au Sénat d’une proposition <strong>de</strong> <strong>loi</strong> cosignée<br />
par Roger Lallemand (socialiste) et Lucienne<br />
Herman-Michielsens (libérale), proposition<br />
qui sera votée en mars 1990.<br />
Les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> politisation <strong>la</strong>ïque<br />
et féministe<br />
Les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> politisation <strong>de</strong> l’avortement en<br />
Belgique ont ainsi pris trois formes : d’une<br />
part le procès <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> pénale <strong>de</strong> 1867 lors<br />
<strong>de</strong> l’Affaire Peers, d’autre part le développement<br />
d’une pratique, illégale mais non<br />
c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine, <strong>de</strong> l’avortement médical débouchant<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> mise en procès <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> au sein<br />
même <strong>de</strong> l’enceinte judicaire et, enfin, une<br />
politisation d’ordre institutionnel cherchant à<br />
obtenir une <strong>loi</strong> réellement applicable.<br />
Ces trois mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> politisation traduisent<br />
une autonomie critique à l’égard <strong>de</strong>s positions<br />
<strong>de</strong>s sociaux-chrétiens qui re<strong>la</strong>yaient <strong>les</strong><br />
positions <strong>de</strong> <strong>la</strong> hiérarchie ecclésiastique. Il<br />
faut souligner à quel point l’Eglise catholique<br />
a toujours éprouvé <strong>de</strong>s difficultés à affronter<br />
le libre arbitre <strong>de</strong> l’Homme qui tr<strong>ans</strong>forme <strong>la</strong><br />
nature et dément l’existence d’un ordre divin,<br />
naturel et immuable. Les aspects considérés<br />
comme négatifs par l’Eglise au regard <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
famille sont l’avortement, le nombre croissant<br />
<strong>de</strong> divorces, <strong>la</strong> stérilisation, l’instal<strong>la</strong>tion<br />
d’une « mentalité contraceptive ». La liberté<br />
<strong>de</strong> l’individu est stigmatisée comme abus :<br />
« celle-ci étant comprise non comme <strong>la</strong><br />
capacité <strong>de</strong> réaliser <strong>la</strong> vérité du projet <strong>de</strong> Dieu<br />
<strong>sur</strong> le mariage et <strong>la</strong> famille, mais comme une<br />
force autonome d’affirmation <strong>de</strong> soi, assez<br />
souvent contre <strong>les</strong> autres, pour son bien-être<br />
égoïste. 3 ». Aussi, le développement <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> parenté responsable contredit <strong>la</strong> morale<br />
3<br />
Exhortation Apostolique Familiaris Consortio, point 6.<br />
29
sexuelle et familiale <strong>de</strong> l’Eglise, entièrement<br />
bâtie <strong>sur</strong> <strong>les</strong> <strong>loi</strong>s biologiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> procréation.<br />
C’est pourquoi le Vatican condamne<br />
<strong>la</strong> contraception et plus encore l’avortement.<br />
La valeur imprescriptible <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie<br />
embryonnaire indique à quel point l’Eglise<br />
tente <strong>de</strong> résister à l’évolution <strong>de</strong>s moeurs<br />
pour codifier <strong>les</strong> comportements sexuels.<br />
D<strong>ans</strong> son encyclique Humanae Vitae, Paul<br />
VI condamne <strong>la</strong> contraception active dite<br />
artificielle et valorise l’abstinence périodique.<br />
L’avortement est défini non seulement<br />
comme un péché mais plus encore comme<br />
un crime, puisque le présupposé est celui<br />
<strong>de</strong> l’animation immédiate du produit <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
conception. D<strong>ans</strong> cette perspective, le droit<br />
<strong>de</strong> l’embryon à être reconnu comme personne<br />
humaine constitue <strong>la</strong> limite à l’exercice<br />
d’une parenté responsable.<br />
Les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> politisation <strong>de</strong> l’avortement<br />
traduisent trois formes d’exercice <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
responsabilité publique : d’une part, <strong>la</strong><br />
participation à l’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> <strong>la</strong> normativité<br />
sociale, d’autre part, une réflexion <strong>sur</strong><br />
<strong>les</strong> limites et <strong>les</strong> formes <strong>de</strong> l’individuation<br />
<strong>de</strong>s femmes, enfin, une vigi<strong>la</strong>nce à l’égard<br />
<strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong>s appareils <strong>de</strong> l’Etat.<br />
En effet, en ce qui concerne l’é<strong>la</strong>boration<br />
d’une normativité sociale, il faut remarquer<br />
qu’à l’issue <strong>de</strong> l’Affaire Peers, <strong>la</strong> contraception<br />
mo<strong>de</strong>rne s’impose comme <strong>la</strong> norme positive.<br />
Au cœur même du conflit éthique entre <strong>la</strong>ïques<br />
et catholiques, se dégage un sens commun.<br />
Tant <strong>les</strong> partis<strong>ans</strong> que <strong>les</strong> opposants à <strong>la</strong> dépénalisation<br />
<strong>de</strong> l’avortement médical distinguent<br />
désormais l’avortement médical <strong>de</strong> l’avortement<br />
c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin. Ils considèrent tout avortement<br />
provoqué comme un échec au regard<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> norme positive qu’est <strong>de</strong>venue <strong>la</strong> contraception<br />
mo<strong>de</strong>rne. C’est ce sens commun qui<br />
est à <strong>la</strong> base <strong>de</strong> <strong>la</strong> reconnaissance juridique<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> contraception. Cette reconnaissance<br />
s’appuie <strong>sur</strong> un objectif commun à toutes <strong>les</strong><br />
tendances philosophiques : <strong>la</strong> diminution du<br />
recours à l’avortement provoqué, qu’il soit<br />
c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin ou médical.<br />
En ce qui concerne <strong>la</strong> réflexion <strong>sur</strong> <strong>les</strong> limites<br />
et <strong>les</strong> formes prises par l’individuation <strong>de</strong>s<br />
femmes, il faut noter que partis<strong>ans</strong> et opposants<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> dépénalisation <strong>de</strong> l’avortement<br />
médical légitiment leurs positions au nom <strong>de</strong><br />
figures <strong>de</strong> l’intérêt général définies <strong>de</strong> façon<br />
parfaitement antagonique. En effet, <strong>les</strong> <strong>la</strong>ïques<br />
et <strong>les</strong> féministes se rejoignent pour faire<br />
le procès <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> pénale <strong>de</strong> 1867 : <strong>les</strong> uns et<br />
<strong>les</strong> autres considèrent l’interruption volontaire<br />
<strong>de</strong> grossesse (IVG) à <strong>la</strong> fois comme un acte<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie privée, relevant <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience<br />
personnelle <strong>de</strong> chaque individu, <strong>de</strong> chaque<br />
femme en particulier, et comme un problème<br />
<strong>de</strong> santé publique. Comme tel, il doit être<br />
réglementé, il doit apporter une solution à<br />
<strong>la</strong> discrimination <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse existant entre <strong>les</strong><br />
femmes confrontées à une interruption <strong>de</strong><br />
grossesse, et il doit reconnaître l’autonomie<br />
<strong>de</strong> décision <strong>de</strong>s femmes. Ces objectifs sont<br />
intimement liés, puisque <strong>la</strong> promotion égalitaire<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> santé publique et le respect <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
décision <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme apparaissent comme<br />
un moyen <strong>de</strong> lutte efficace contre l’avortement<br />
c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin. Par ailleurs, <strong>la</strong> revendication<br />
<strong>la</strong>ïque en faveur du droit à l’avortement médical<br />
se réfère à l’enjeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> reconnaissance<br />
politique du pluralisme philosophique, é<strong>la</strong>rgissant<br />
ainsi le processus <strong>de</strong> <strong>la</strong>ïcisation.<br />
Cette figure <strong>de</strong> l’intérêt général a rendu<br />
socialement acceptable <strong>la</strong> définition féministe<br />
<strong>de</strong> l’IVG comme droit <strong>de</strong>s femmes à disposer<br />
librement <strong>de</strong> leur corps, ce qu’exprimaient<br />
<strong>de</strong>s slog<strong>ans</strong> féministes comme « Baas in eigen<br />
buik » en F<strong>la</strong>ndre ou « Maître <strong>de</strong> ton ventre<br />
» en Wallonie. D<strong>ans</strong> ce cadre, le droit <strong>de</strong>s<br />
femmes à l’autonomie <strong>de</strong> décision constitue<br />
l’extension d’un principe d’individualisme<br />
libéral c<strong>la</strong>ssique définissant <strong>la</strong> personne humaine<br />
par sa capacité à s’auto-déterminer et<br />
à disposer <strong>de</strong> soi-même. <strong>Laïque</strong>s et féministes<br />
sont ainsi d’accord pour rejeter toute as-<br />
30
signation <strong>de</strong>s femmes à une maternité forcée<br />
débouchant <strong>sur</strong> une instrumentalisation du<br />
corps féminin. Un tel rejet traduit une position<br />
favorable à l’individuation <strong>de</strong>s femmes au travers<br />
d’une politisation du corporel. Le corps<br />
en effet est bien une détermination essentielle<br />
<strong>de</strong> l’individu et du sujet.<br />
Cette figure <strong>de</strong> l’intérêt général s’oppose<br />
radicalement à celle qui est avancée par <strong>les</strong><br />
sociaux-chrétiens, puisqu’elle présente une<br />
alternative au traditionalisme religieux. En<br />
effet, celui-ci voit d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> pénale sanctionnant<br />
l’IVG l’expression nécessaire d’un ordre<br />
social qui doit s’opposer à une réalité pourtant<br />
<strong>de</strong>venue irréversible : <strong>la</strong> dissociation<br />
entre sexualité et procréation. Le respect<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie dès <strong>la</strong> conception fait apparaître le<br />
fait générationnel (reproduction biologique)<br />
comme l’expression <strong>de</strong> l’hétéronomie à<br />
<strong>la</strong>quelle tout individu est confronté et qui ne<br />
peut être pensé <strong>sur</strong> le mo<strong>de</strong> contractuel.<br />
C’est <strong>la</strong> limite radicale à l’autonomie <strong>de</strong> tout<br />
individu. S<strong>ans</strong> doute est-ce cette dynamique<br />
d’individuation qui constitue le risque<br />
majeur pour le traditionalisme religieux.<br />
Les femmes ne peuvent <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s individus<br />
à part entière que lorsqu’el<strong>les</strong> peuvent s’autonomiser<br />
<strong>de</strong>s déterminations corporel<strong>les</strong> : cette<br />
autonomisation est concevable lorsque <strong>la</strong><br />
dissociation entre procréation et sexualité est<br />
<strong>de</strong>venue une tendance sociologique irréversible.<br />
Cette individuation fut l’un <strong>de</strong>s enjeux<br />
majeurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> votée en Belgique en 1990.<br />
Enfin, en ce qui concerne l’exercice d’une<br />
responsabilité publique qui s’est exprimé à<br />
travers une vigi<strong>la</strong>nce à l’égard <strong>de</strong>s institutions,<br />
celle-ci s’est manifestée à chaque grand<br />
moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> politisation <strong>de</strong> l’avortement.<br />
Lors <strong>de</strong> l’éc<strong>la</strong>tement du tabou, cette vigi<strong>la</strong>nce<br />
s’est traduite par <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> faire sortir le<br />
docteur Peers <strong>de</strong> prison. Entre 1974 et 1978,<br />
le développement d’une pratique illégale mais<br />
non c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine <strong>de</strong> l’avortement médical,<br />
manifestait <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> faire contrepoids aux<br />
mécanismes <strong>de</strong> non-décision mis en p<strong>la</strong>ce<br />
ou acceptés par <strong>les</strong> élites politiques. En 1978,<br />
l’enjeu pour <strong>les</strong> partis<strong>ans</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépénalisation<br />
était d’empêcher le vote d’une <strong>loi</strong> inapplicable<br />
d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> faits, d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où elle n’aurait<br />
fait qu’entériner <strong>la</strong> seule reconnaissance <strong>de</strong><br />
l’avortement thérapeutique et d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e<br />
où elle aurait constitué <strong>de</strong> ce fait un recul<br />
majeur par rapport à <strong>la</strong> pratique médicale <strong>de</strong><br />
l’avortement qui s’était développée à partir <strong>de</strong><br />
1974. Ensuite, <strong>la</strong> rupture <strong>de</strong> <strong>la</strong> trêve judiciaire,<br />
<strong>la</strong> reprise <strong>de</strong>s poursuites et <strong>la</strong> fixation <strong>de</strong>s<br />
procès, provoquèrent <strong>la</strong> mise en procès <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>loi</strong> au sein <strong>de</strong> l’enceinte judiciaire elle-même.<br />
Enfin, lorsque l’on s’achemina à partir <strong>de</strong> 1986<br />
vers un compromis politique entre socialistes<br />
et libéraux, compromis qui débouche <strong>sur</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>loi</strong> Herman-Michielsens, ce fut, notamment,<br />
en réponse à l’insécurité juridique et judiciaire<br />
qui s’était installée en matière d’IVG, tant <strong>la</strong><br />
pratique judiciaire était <strong>de</strong>venue <strong>de</strong>s<br />
plus paradoxale.<br />
Liberté reproductive comme droit <strong>de</strong> citoyenneté<br />
: un acquis féministe et <strong>la</strong>ïque<br />
Dès <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1960 en Europe <strong>de</strong><br />
l’Ouest et en Amérique du Nord, dès <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s<br />
années 1980 en Amérique <strong>la</strong>tine, <strong>la</strong> revendication<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté reproductive s’inscrit d<strong>ans</strong><br />
une politisation du corporel et porte ainsi <strong>sur</strong><br />
<strong>la</strong> définition même <strong>de</strong> ce qui est considéré<br />
comme politique ou non, car l’enjeu est une<br />
politisation <strong>de</strong> ce qui était vécu jusqu’alors<br />
comme intime, privé, voire tabou. Lorsque<br />
<strong>la</strong> <strong>loi</strong> du silence qui entourait l’avortement se<br />
rompt et lorsque émerge un débat public et<br />
politique à ce propos, c’est toute une dynamique<br />
d’amplification <strong>de</strong> <strong>la</strong> citoyenneté qui fait<br />
<strong>sur</strong>face 4 . En effet, l’enjeu relève <strong>de</strong> l’extension<br />
<strong>de</strong> ce principe du libéralisme c<strong>la</strong>ssique<br />
qu’est <strong>la</strong> libre disposition <strong>de</strong> soi. En ce sens, <strong>la</strong><br />
revendication <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté reproductive renvoie<br />
à un droit-liberté que l’individu possè<strong>de</strong> face<br />
à l’Etat d<strong>ans</strong> un régime démocratique, et peut<br />
être interprétée comme un droit civil 5 .<br />
D<strong>ans</strong> le même temps, cette liberté est<br />
4<br />
B.Marques-Pereira, La citoyenneté politique <strong>de</strong>s femmes, Paris, A. Colin, <strong>20</strong>03, pp. 86-88.<br />
5<br />
J. Jenson, « La citoyenneté à part entière. Peut-elle exister ? » in A. <strong>de</strong>l Ré, J. Heinen (éds.),<br />
Quelle citoyenneté pour <strong>les</strong> femmes ?, Paris, L’Harmattan, 1996, pp. 25-46.<br />
31
légitimée au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte contre l’avortement<br />
c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin, et à ce titre renvoie à une<br />
problématique <strong>de</strong> l’égalité sociale entre <strong>les</strong><br />
femmes confrontées à cette réalité, à <strong>de</strong>s<br />
politiques <strong>de</strong> santé publique qui touchent à<br />
<strong>de</strong>s droits-créances que l’individu possè<strong>de</strong> <strong>sur</strong><br />
l’Etat, lorsque celui-ci prend <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> l’Etat<br />
social. Cette revendication cristallise donc en<br />
elle <strong>de</strong>s dimensions civi<strong>les</strong> et socia<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
citoyenneté 6 . Cette liberté reproductive, liée à <strong>la</strong><br />
fois aux droits civils et sociaux, touche également<br />
à un processus <strong>de</strong> subjectivation politique<br />
que revendiquent <strong>les</strong> féministes. Abordons cette<br />
problématique plus en détails.<br />
Subjectivation politique, car <strong>la</strong> liberté reproductive<br />
va, notamment, <strong>de</strong> pair avec <strong>les</strong><br />
luttes <strong>de</strong>s mouvements féministes, c’est-àdire<br />
l’affirmation d’un nouveau sujet politique<br />
luttant et négociant pour <strong>la</strong> reconnaissance<br />
d’une i<strong>de</strong>ntité collective fondée <strong>sur</strong> <strong>la</strong> visibilité<br />
<strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> genre. A cet égard, l’individuation<br />
<strong>de</strong>s femmes renvoie à <strong>la</strong> capacité<br />
à parler et à agir en son nom propre s<strong>ans</strong><br />
<strong>de</strong>voir constamment se référer aux catégories<br />
socia<strong>les</strong> d’appartenance. Un tel acquis<br />
a été l’expression d’un rejet <strong>de</strong> toute naturalisation<br />
<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ces et <strong>de</strong>s fonctions socia<strong>les</strong>,<br />
et d’une séparation <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> tenue pour<br />
évi<strong>de</strong>nte, une séparation qui relève <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
ligne <strong>de</strong> partage entre <strong>les</strong> occupations liées à<br />
l’espace public-politique et à l’espace privédomestique,<br />
pour tr<strong>ans</strong>former en chose publique<br />
ce qui était auparavant vécu comme<br />
privé. Cette dynamique <strong>de</strong> subjectivation<br />
politique repose <strong>sur</strong> un processus collectif<br />
qui interdit <strong>de</strong> réduire l’individuation à un<br />
simple individualisme, même si <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sont<br />
liés par et d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> tradition libérale c<strong>la</strong>ssique<br />
et utilitariste. Ce processus collectif est passé<br />
par <strong>la</strong> construction d’une autonomie fondée<br />
<strong>sur</strong> l’émancipation <strong>de</strong>s différentes formes <strong>de</strong><br />
tutelle maritale, paternelle et masculine, qui a<br />
<strong>la</strong>issé chaque femme libre <strong>de</strong> s’investir d<strong>ans</strong><br />
<strong>de</strong>s groupes et <strong>de</strong>s institutions socia<strong>les</strong> et<br />
politiques pour connaître <strong>de</strong> nouveaux<br />
rapports <strong>de</strong> pouvoir. Ainsi, <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong>s<br />
femmes à peser <strong>sur</strong> <strong>les</strong> rapports <strong>de</strong> force<br />
d<strong>ans</strong> l’espace public est <strong>de</strong>venue concevable<br />
et possible. C’est d<strong>ans</strong> ce cadre général que<br />
<strong>la</strong> revendication <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté reproductive a<br />
émergé en Europe <strong>de</strong> l’Ouest et d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> Amériques.<br />
D<strong>ans</strong> cette perspective, le droit à l’avortement<br />
médical représente <strong>la</strong> conquête par<br />
<strong>les</strong> femmes du contrôle <strong>de</strong> leur vie et une lutte<br />
contre l’instrumentalisation <strong>de</strong> leur corps que<br />
peuvent représenter <strong>de</strong>s politiques démographiques<br />
promouvant <strong>la</strong> natalité, ou prohibant<br />
l’interruption <strong>de</strong> grossesse tout en pratiquant<br />
d<strong>ans</strong> le même temps <strong>la</strong> stérilisation forcée.<br />
Connexe aux droits civils, <strong>la</strong> liberté reproductive,<br />
qui renvoie à <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> l’individu<br />
à disposer <strong>de</strong> lui-même, représente,<br />
d<strong>ans</strong> ce cas-ci, <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> dépasser<br />
<strong>les</strong> déterminations du corps. Par ailleurs,<br />
le droit <strong>de</strong>s femmes à disposer <strong>de</strong> leur<br />
corps relève <strong>de</strong> l’intégrité physique et<br />
psychique alors que <strong>la</strong> pénalisation <strong>de</strong><br />
l’avortement médical représente l’intrusion<br />
<strong>de</strong> l’Etat ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> hiérarchie ecclésiastique<br />
d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s questions individuel<strong>les</strong>,<br />
privées et relevant <strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience<br />
personnelle <strong>de</strong>s individus. Enfin, cette<br />
liberté individuelle se conjugue avec l’égalité<br />
sociale : connexe aux droits sociaux,<br />
<strong>la</strong> liberté reproductive est en effet liée aux<br />
politiques <strong>de</strong> santé publique. S<strong>ans</strong> doute<br />
faut-il avoir à l’esprit que <strong>les</strong> droits sociaux<br />
dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> certaines conditions<br />
pour se réaliser. S<strong>ans</strong> hôpitaux, s<strong>ans</strong> réseaux<br />
<strong>de</strong> centres <strong>de</strong> santé, tout exercice<br />
du droit à <strong>la</strong> santé est impossible : voilà<br />
autant <strong>de</strong> responsabilités qui incombent<br />
aux autorités publiques. En ce sens, <strong>la</strong><br />
liberté reproductive cristallise <strong>de</strong>s droitslibertés<br />
face à l’Etat et <strong>de</strong>s droits-créances<br />
<strong>sur</strong> ce même Etat ; elle illustre aussi<br />
l’interre<strong>la</strong>tion entre <strong>les</strong> différents niveaux,<br />
civil, politique et social, <strong>de</strong> <strong>la</strong> citoyenneté.<br />
Cet acquis féministe et <strong>la</strong>ïque va radicalement<br />
à l’encontre <strong>de</strong>s positions vaticanes<br />
6 <br />
B. Marques-Pereira, « Reproduction et citoyenneté » in B. Marques-Pereira (coord.), Femmes d<strong>ans</strong> <strong>la</strong><br />
cité. Amérique <strong>la</strong>tine et Portugal, Sextant, n°8, 1997, pp. 169-179.<br />
32
à propos <strong>de</strong>s femmes, <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille et <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> morale, purement réactionnaires, car le<br />
Vatican ne peut concevoir <strong>de</strong>s individus<br />
libres et égaux nouant un contrat social.<br />
Seuls existent <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir,<br />
<strong>de</strong>s sujets voués à accomplir leur mission<br />
et leur vocation. Aussi, une telle assignation<br />
ne peut-elle que déboucher <strong>sur</strong> une<br />
stigmatisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté comme abus<br />
et <strong>de</strong> l’autonomie comme égoïsme. Rien<br />
d’étonnant dès lors <strong>de</strong> constater que<br />
l’organicisme <strong>de</strong>s positions vaticanes fait<br />
obstacle à <strong>la</strong> dynamique d’individuation<br />
<strong>de</strong>s femmes. Cette dynamique suppose<br />
<strong>les</strong> moyens d’acquérir un statut personnel<br />
s<strong>ans</strong> <strong>de</strong>voir constamment se situer comme<br />
membre d’une catégorie sociale pour<br />
agir et se poser en sujet social et politique.<br />
L’enjeu <strong>de</strong> l’individuation pour <strong>les</strong><br />
femmes rési<strong>de</strong> d<strong>ans</strong> leur reconnaissance<br />
comme sujets au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> assignés<br />
(tels que mères et épouses). Loin d’ignorer<br />
<strong>les</strong> femmes, le pape s’adresse à el<strong>les</strong><br />
d<strong>ans</strong> une rhétorique familialiste qui peut<br />
leur donner l’illusion d’être reconnues. En<br />
réalité, ce discours <strong>les</strong> désigne comme<br />
<strong>de</strong>s êtres <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir, jamais comme <strong>de</strong>s<br />
citoyennes. C’est dire l’importance que<br />
revêt <strong>la</strong> rupture à l’égard <strong>de</strong>s différentes<br />
formes <strong>de</strong> tutelle dont le paternalisme <strong>de</strong><br />
l’Eglise constitue aujourd’hui encore une<br />
<strong>de</strong>s expressions majeures.<br />
D<strong>ans</strong> cette perspective, l’IVG a été et reste<br />
un enjeu majeur. D<strong>ans</strong> <strong>les</strong> Amériques ou en<br />
Europe, l’avortement médical reste pénalisé<br />
d<strong>ans</strong> toutes <strong>les</strong> conditions (Chili, El Salvador),<br />
n’échappe au droit pénal que s’il s’agit <strong>de</strong><br />
sauver <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère (Brésil, Colombie,<br />
Guatema<strong>la</strong>, Haïti, Honduras, Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, Mexique,<br />
Nicaragua, Panama, Paraguay, République<br />
Dominicaine, Venezue<strong>la</strong>) ou, plus <strong>la</strong>rgement, <strong>de</strong><br />
préserver sa santé physique (Argentine, Bolivie,<br />
Costa Rica, Equateur, Pérou, Pologne) 7 . Les<br />
avancées en <strong>la</strong> matière d<strong>ans</strong> l’Etat <strong>de</strong> Mexico<br />
ont fait l’objet <strong>de</strong> contestations. Même l’avortement<br />
thérapeutique a pu être mis en<br />
cause, comme au Nicaragua. La reconnaissance<br />
du droit à l’avortement médical peut<br />
encore faire l’objet <strong>de</strong> contestations et <strong>de</strong><br />
régressions, comme aux Etats-Unis. Il a pu<br />
constituer un enjeu majeur pour certains pays<br />
comme l’Allemagne lors <strong>de</strong> sa réunification, ou<br />
pour Malte et <strong>la</strong> Pologne lors d’un é<strong>la</strong>rgissement<br />
<strong>de</strong> l’Union européenne 8 . En somme, <strong>la</strong><br />
liberté reproductive est <strong>loi</strong>n d’être acquise et,<br />
à ce jour, <strong>les</strong> femmes ne disposent pas, d<strong>ans</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong>rges parties du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> <strong>la</strong> libre disposition<br />
d’el<strong>les</strong>-mêmes. En ce sens, <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce<br />
militante <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ïques et <strong>de</strong>s féministes <strong>de</strong>meure<br />
à l’ordre du jour.<br />
Article paru d<strong>ans</strong> IVG : <strong>20</strong> <strong>ans</strong> après,<br />
Chronique Féministe, n°105, <strong>20</strong>10,<br />
pp.10-13. Reproduction avec l’aimable<br />
autorisation <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong>s Femmes.<br />
7<br />
M. Lagar<strong>de</strong>, « La condición humana <strong>de</strong> <strong>la</strong>s mujeres » in M.Castañeda Salgado (coord.), Interrupción voluntaria<br />
<strong>de</strong>l embarazo, Refexiones teóricas, filosóficas y políticas, Mexico, UNAM, <strong>20</strong>03, pp. 31-59.<br />
8<br />
D. McBri<strong>de</strong> Stetson (éd.), Abortion Politics, Women’s Movements and the Democratic State. A Comparative<br />
Study of State Feminism, Oxford, Oxford University Press, <strong>20</strong>01.<br />
33
Débat <strong>sur</strong> <strong>les</strong> enjeux<br />
actuels<br />
En présence <strong>de</strong><br />
Jean-Jacques AMY, mé<strong>de</strong>cin et coprési<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> FLCPF<br />
Manue<strong>la</strong> DA PALMA, psychologue et<br />
accueil<strong>la</strong>nte IVG au <strong>Centre</strong> <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning<br />
familial-FPS <strong>de</strong> La Louvière<br />
Bérengère MARQUES-PEREIRA, professeure<br />
à l’Université Libre <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>,<br />
département <strong>de</strong> sciences politiques<br />
Dominique ROYNET, mé<strong>de</strong>cin au <strong>Centre</strong><br />
<strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial <strong>de</strong> Rochefort<br />
Olga ZRIHEN, sénatrice PS<br />
Animé par Hugues DORZEE<br />
Journaliste<br />
Introduction <strong>de</strong> Manue<strong>la</strong> DA PALMA,<br />
Psychologue et accueil<strong>la</strong>nte IVG<br />
au <strong>Centre</strong> <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial-FPS<br />
<strong>de</strong> La Louvière<br />
J’ai commencé à travailler en centre <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning<br />
familial, il y a un peu plus <strong>de</strong> 10 <strong>ans</strong>. A<br />
cette époque, l’avortement n’était pas une<br />
question mais un droit, une évi<strong>de</strong>nce.<br />
Chemin faisant, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette évi<strong>de</strong>nce,<br />
j’ai été confrontée à une pratique, à <strong>de</strong>s<br />
femmes et <strong>de</strong>s coup<strong>les</strong> qui venaient avec<br />
leurs dires, leurs difficultés, leurs questions.<br />
Grâce à un éco<strong>la</strong>ge interne, aux supervisions<br />
et aux formations du GACEHPA, j’ai<br />
pu réfléchir à cette pratique singulière <strong>de</strong><br />
l’avortement et je me suis engagée au<strong>de</strong>là<br />
d’un simple contrat <strong>de</strong> travail.<br />
J’ai pu réfléchir à ce que je vou<strong>la</strong>is proposer à<br />
ces femmes et ces coup<strong>les</strong> qui décidaient <strong>de</strong><br />
franchir <strong>les</strong> portes d’un centre extrahospitalier<br />
avec toutes <strong>les</strong> spécificités d’un tel lieu. Une<br />
adresse diraient certaines, où <strong>les</strong> femmes<br />
viennent dire ce qu’el<strong>les</strong> veulent bien dire.<br />
Certaines viennent en sachant ce qu’el<strong>les</strong><br />
veulent s<strong>ans</strong> désir <strong>de</strong> se questionner et ce<strong>la</strong><br />
se respecte. D’autres viennent avec <strong>de</strong>s<br />
questions, qui dépassent l’échec <strong>de</strong> contraception,<br />
<strong>sur</strong> leur i<strong>de</strong>ntité, <strong>sur</strong> leur couple, <strong>sur</strong><br />
leur sexualité, leur féminité, leur culture... Ce<br />
lieu pourra aussi être, parfois pour <strong>la</strong> première<br />
fois, un lieu où <strong>la</strong> femme peut se dire,<br />
poser un choix, <strong>de</strong>venir sujet. Pour certaines<br />
femmes, cet acte <strong>de</strong>vient alors, un acte fondateur<br />
<strong>sur</strong> le chemin <strong>de</strong> leur individuation.<br />
D<strong>ans</strong> <strong>les</strong> spécificités <strong>de</strong>s centres extrahospitaliers,<br />
il y a aussi le temps. Différentes<br />
temporalités coexistent : celle prévue par<br />
<strong>la</strong> <strong>loi</strong>, celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> décision <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme<br />
d<strong>ans</strong> un souci d’immédiateté que l’on<br />
peut entendre et encore celle <strong>de</strong>s intervenants<br />
qui prendront le temps pour que<br />
ce<strong>la</strong> se passe au mieux. La question <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
non urgence et du temps est importante.<br />
Le droit est là mais on va prendre le temps<br />
pour parler, pour expliquer, pour ras<strong>sur</strong>er.<br />
Spécificité d’un lieu mais <strong>sur</strong>tout celle d’une<br />
équipe. La <strong>loi</strong> permet un cadre <strong>de</strong> travail qui<br />
met en mouvement <strong>les</strong> équipes. Une équipe<br />
qui grâce à ce cadre peut exercer son savoirfaire,<br />
sa technicité, son savoir-être, sa faculté<br />
d’écoute, sa faculté d’aller à <strong>la</strong> rencontre <strong>de</strong><br />
l’autre, sa faculté <strong>de</strong> réfléchir et <strong>de</strong> penser. A<br />
côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> pratique, ce<strong>la</strong> permet <strong>de</strong> suspendre<br />
le temps pour pouvoir réfléchir à ce que l’on fait<br />
au quotidien. L’interruption volontaire <strong>de</strong> grossesse<br />
est un droit, une évi<strong>de</strong>nce mais c’est<br />
aussi toujours un acte qui inscrit <strong>la</strong> femme et<br />
le couple d<strong>ans</strong> une histoire singulière. Reconnaître<br />
cette histoire, ce<strong>la</strong> permet <strong>de</strong> dépasser<br />
l’acte et <strong>de</strong> l’inscrire d<strong>ans</strong> leur histoire.<br />
Ces espaces <strong>de</strong> réflexion permettent <strong>de</strong><br />
réfléchir à l’avortement, non pas comme<br />
à un ultime recours, mais comme à un<br />
moment qui permet <strong>de</strong> questionner <strong>la</strong> vie,<br />
34
<strong>la</strong> mort, <strong>la</strong> sexualité. Se questionner en<br />
toute liberté et en toute responsabilité.<br />
Introduction <strong>de</strong> Dominique ROYNET,<br />
Mé<strong>de</strong>cin au centre <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nning familial<br />
<strong>de</strong> Rochefort<br />
Malgré <strong>la</strong> <strong>loi</strong> et <strong>la</strong> reconnaissance par<br />
l’INAMI, <strong>les</strong> femmes continuent à vivre<br />
l’avortement d<strong>ans</strong> une gran<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> et<br />
une gran<strong>de</strong> culpabilité. Il y a là encore un<br />
combat actuel à mener parce que d<strong>ans</strong> ce<br />
domaine, <strong>les</strong> mentalités sont en retard <strong>sur</strong><br />
<strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion. Nous continuons à véhiculer<br />
l’idée que l’avortement est quelque chose<br />
<strong>de</strong> mal, quelque chose qu’il faudrait pouvoir<br />
éviter, qu’on y a recours en <strong>de</strong>rnière extrémité<br />
et que c’est somme toute, un échec.<br />
Nous <strong>de</strong>vons réfléchir autrement et arrêter <strong>de</strong><br />
penser en terme d’échec : l’avortement est<br />
un droit fondamental <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme et si elle<br />
veut l’utiliser comme un moyen <strong>de</strong> contraception,<br />
c’est sa responsabilité. Le nombre<br />
d’avortements ne diminuera pas. La Belgique<br />
est un <strong>de</strong>s pays où on en pratique le moins et<br />
qui a une bonne politique d’accès à <strong>la</strong> contraception.<br />
D’ailleurs, <strong>la</strong> majorité <strong>de</strong>s femmes qui<br />
ont recours à l’avortement, connaissent un ou<br />
plusieurs moyens <strong>de</strong> contraception et <strong>les</strong> ont<br />
utilisés. Mais alors que s’est-il passé?<br />
Ces femmes « irresponsab<strong>les</strong> » ont failli à<br />
leur obligation <strong>de</strong> responsabilité qui est <strong>de</strong><br />
ne pas faire un enfant quand on n’en veut<br />
pas. C’est toujours <strong>de</strong> leur faute. Avant<br />
<strong>les</strong> femmes n’avaient pas <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong><br />
contraception fiab<strong>les</strong> mais el<strong>les</strong> <strong>de</strong>vaient<br />
faire attention. Maintenant el<strong>les</strong> en ont, alors<br />
comment est-ce possible qu’il y ait encore<br />
18 000 avortements par an en Belgique?<br />
Evi<strong>de</strong>mment, ce<strong>la</strong> pose question.<br />
Qui sont donc ces femmes qui malgré tout<br />
ce dont el<strong>les</strong> disposent, viennent encore<br />
nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r d’interrompre une grossesse.<br />
El<strong>les</strong> sont nous, vous, vos soeurs,<br />
vos mères, vos fil<strong>les</strong>; el<strong>les</strong> sont tout le<br />
mon<strong>de</strong> parce que <strong>la</strong> sexualité, <strong>la</strong> maternité,<br />
<strong>la</strong> reproduction et <strong>la</strong> fécondité, relèvent<br />
essentiellement <strong>de</strong> l’irrationnel. Ce<strong>la</strong> ne<br />
répond pas à une logique élémentaire.<br />
Les échecs <strong>de</strong> contraception existent et<br />
existeront toujours : <strong>les</strong> pilu<strong>les</strong> oubliées<br />
( consciemment ou inconsciemment) ou<br />
mal reprises après <strong>la</strong> semaine d’interruption,<br />
<strong>de</strong>s grossesses <strong>sur</strong> un stérilet ou<br />
<strong>sur</strong> un anneau vaginal, etc. Ce sont <strong>de</strong>s<br />
échecs objectifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> contraception.<br />
D’autres échecs sont liés aux fausses<br />
croyances : éviter <strong>la</strong> contraception orale<br />
en même temps que d’autres médicaments,<br />
prendre <strong>la</strong> pilule plusieurs années<br />
peut rendre stérile et il vaut mieux arrêter<br />
régulièrement pour mettre le corps au<br />
repos, <strong>la</strong> pilule donne le cancer, le stérilet<br />
rend stérile, on ne peut pas p<strong>la</strong>cer <strong>de</strong><br />
stérilet chez une jeune fille qui n’a pas<br />
encore eu d’enfant, etc. Les femmes<br />
finissent par intégrer ces croyances qui<br />
embrouillent leur perception <strong>de</strong> <strong>la</strong> contraception<br />
et <strong>les</strong> poussent à arrêter. Ce sont<br />
<strong>les</strong> acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> <strong>la</strong> contraception.<br />
Par ailleurs, il ne faut pas négliger <strong>les</strong><br />
grossesses qui ne sont pas c<strong>la</strong>irement<br />
non désirées, chez <strong>de</strong>s femmes qui sont<br />
angoissées par rapport à leur fécondité.<br />
El<strong>les</strong> questionnent leur mé<strong>de</strong>cin : est-ce<br />
que vous croyez que je suis fécon<strong>de</strong>?<br />
Est-ce que vous pensez que je pourrai<br />
avoir <strong>de</strong>s enfants? Et <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins n’ont<br />
pas <strong>de</strong> test pour leur répondre oui ou non.<br />
Alors ces femmes tombent enceintes pour<br />
voir si el<strong>les</strong> sont bien fécon<strong>de</strong>s. Mais cette<br />
grossesse n’est pas <strong>de</strong>stinée à <strong>de</strong>venir<br />
une maternité. Ce<strong>la</strong> pose donc problème<br />
et <strong>la</strong> solution, c’est l’avortement. Ce n’est<br />
pas <strong>la</strong> grossesse qui est un problème mais<br />
bien <strong>la</strong> maternité qui n’est pas désirée.<br />
Quand on tient à ces femmes, un discours<br />
dramatisant et misérabiliste, el<strong>les</strong> vous<br />
renvoient une totale incompréhension.<br />
Evi<strong>de</strong>mment, on n’est pas en phase<br />
35
avec ce qu’el<strong>les</strong> sont en train <strong>de</strong> vivre<br />
consciemment ou inconsciemmment.<br />
N’oublions pas non plus, <strong>les</strong> femmes qui<br />
viennent <strong>de</strong> pays où le recours à l’avortement<br />
est beaucoup plus facile que chez<br />
nous; notamment, <strong>les</strong> femmes qui viennent<br />
<strong>de</strong> pays <strong>de</strong> l’est. Souvent, el<strong>les</strong> ont déjà eu<br />
plusieurs avortements. Ce<strong>la</strong> nous étonne<br />
d’ailleurs, nous qui sommes conditionnés,<br />
à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion, par le souci d’éviter<br />
à tout prix <strong>les</strong> avortements. Ces femmes<br />
gèrent leur fécondité <strong>de</strong> cette manière.<br />
El<strong>les</strong> ne pensent et ne fonctionnent pas<br />
comme nous, ce<strong>la</strong> <strong>de</strong>vrait nous pousser à<br />
questionner nos a priori et nos mentalités.<br />
Ces femmes utilisent l’avortement comme<br />
une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> contraception. El<strong>les</strong> sont<br />
nombreuses à préférer avorter <strong>de</strong> temps<br />
en temps plutôt que d’avaler une pilule<br />
tous <strong>les</strong> jours, <strong>de</strong> mettre un stérilet pensant<br />
qu’il va <strong>les</strong> rendre stéri<strong>les</strong> ou d’utiliser un<br />
autre moyen <strong>de</strong> contraception auquel el<strong>les</strong><br />
ne croient pas. Ces femmes nous interpellent<br />
d<strong>ans</strong> notre pratique mais el<strong>les</strong> doivent<br />
tous nous interpeller pour faire évoluer<br />
<strong>les</strong> mentalités qui continuent à considérer<br />
l’avortement comme quelque chose <strong>de</strong><br />
mal.<br />
Enfin, il y a <strong>les</strong> jeunes fil<strong>les</strong> qui viennent<br />
nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r d’interrompre leur grossesse.<br />
Ces ado<strong>les</strong>centes vivent une<br />
sexualité théoriquement non autorisée<br />
parce qu’el<strong>les</strong> sont très jeunes. El<strong>les</strong> ont<br />
bien intégré d<strong>ans</strong> leur éducation parental<br />
que le plus tard serait le mieux pour être<br />
enceinte, qu’avoir un enfant avant <strong>de</strong> vivre<br />
en couple et d’avoir un métier ne convient<br />
pas, qu’il ne faut pas avoir <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions<br />
sexuel<strong>les</strong> à un âge trop précoce.<br />
El<strong>les</strong> commencent donc leur vie sexuelle<br />
en tr<strong>ans</strong>gressant un interdit et el<strong>les</strong> culpabilisent.<br />
Et on leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> gérer<br />
cette tr<strong>ans</strong>gression tout en prenant une<br />
pilule tous <strong>les</strong> jours bien qu’el<strong>les</strong> n’ayent<br />
<strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions sexuel<strong>les</strong> qu’une fois <strong>de</strong><br />
temps en temps. On leur envoie un double<br />
discours contradictoire : il est préférable<br />
<strong>de</strong> ne pas avoir <strong>de</strong> rapports sexuels mais<br />
il faut quand même prendre <strong>la</strong> pilule tous<br />
<strong>les</strong> jours. Il faudrait donc se protéger d’un<br />
interdit qu’on tr<strong>ans</strong>gresse en culpabilisant.<br />
De fait, ce<strong>la</strong> ne fonctionne pas et un certain<br />
nombre <strong>de</strong> jeunes fil<strong>les</strong> arrivent avec<br />
une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’avortement, <strong>la</strong> plupart du<br />
temps en ne le disant pas aux parents.<br />
Certaines <strong>de</strong>s femmes évoquées ci-avant<br />
sont en détresse, sont ambivalentes, sont<br />
tristes <strong>de</strong> ce qu’el<strong>les</strong> vivent, mais il y en a<br />
aussi parmi el<strong>les</strong>, qui sont extrêmement<br />
sou<strong>la</strong>gées <strong>de</strong> résoudre un problème, à<br />
savoir une grossesse non voulue ou non<br />
<strong>de</strong>stinée à <strong>de</strong>venir une maternité<br />
Il faut cesser ce discours misérabiliste<br />
autour <strong>de</strong> l’avortement, cesser <strong>de</strong> dire que<br />
<strong>les</strong> 18 000 avortements par an en Belgique,<br />
ne <strong>de</strong>vraient plus être possib<strong>les</strong> avec<br />
<strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> contraception actuels. Ce<strong>la</strong><br />
maintient <strong>les</strong> femmes d<strong>ans</strong> un état <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong><br />
et <strong>de</strong> culpabilité qui <strong>les</strong> empêche d’en<br />
parler et qui <strong>les</strong> rend <strong>sur</strong>tout tristes d’être<br />
seu<strong>les</strong> et d’être coupab<strong>les</strong>.<br />
Nous sommes ravis d’avoir une <strong>loi</strong> mais<br />
nous le serions plus encore, si une évolution<br />
<strong>de</strong>s mentalités l’accompagnait.<br />
36
DEBAT<br />
Hugues Dorzée :<br />
Peut-on dire que <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> certains<br />
pays est, aujourd’hui, i<strong>de</strong>ntique à celle<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> Belgique il y a <strong>20</strong> ou 30 <strong>ans</strong> ?<br />
Jean-Jacques Amy :<br />
Ce<strong>la</strong> dépend <strong>de</strong> quel pays nous parlons. Il a<br />
été question <strong>de</strong> pays <strong>de</strong> l’Est. D<strong>ans</strong> certains<br />
pays <strong>de</strong>s Balk<strong>ans</strong>, l’avortement est, en effet,<br />
utilisé comme métho<strong>de</strong> contraceptive. Les<br />
compagnes <strong>de</strong> gynécologues ou <strong>de</strong>s femmes<br />
gynécologues ont, el<strong>les</strong>-mêmes, recours<br />
à l’avortement plutôt que d’utiliser <strong>la</strong> pilule ou<br />
le stérilet. Il y a donc un problème. Il est probable,<br />
qu’à l’heure actuelle, en Grèce (ou en<br />
Roumanie et en Serbie), où il y a un nombre<br />
extraordinaire d’avortements, <strong>les</strong> problèmes<br />
<strong>de</strong> santé ne sont pas <strong>les</strong> mêmes qu’en<br />
Amérique Latine ou en Afrique. Il y a quelques<br />
années déjà, <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong>s tr<strong>ans</strong>fusions<br />
sanguines pratiquées à l’hôpital principal <strong>de</strong><br />
Kinshasa, par exemple, étaient données à<br />
<strong>de</strong>s femmes ayant connu <strong>de</strong>s complications<br />
d’avortement. Toutes <strong>les</strong> autres complications<br />
- septiques, mortalité, etc - étaient, bien sûr,<br />
d’un même ordre <strong>de</strong> fréquence.<br />
En 1989, à <strong>la</strong> veille du changement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong>,<br />
<strong>la</strong> mortalité <strong>de</strong> l’avortement précoce, c’està-dire<br />
au premier trimestre par aspiration,<br />
était, en Belgique et aux Pays-Bas, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
pour un million. D<strong>ans</strong> une gran<strong>de</strong> ville <strong>de</strong><br />
Roumanie, à <strong>la</strong> même époque, à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong><br />
l’interdiction <strong>de</strong> l’avortement médical par<br />
Ceaucescu, <strong>la</strong> mortalité par avortement était<br />
<strong>de</strong> 1000 fois supérieure (2 femmes <strong>sur</strong> 1000,<br />
contre 2 femmes <strong>sur</strong> 1 million). Le problème<br />
<strong>de</strong> santé publique était résolu, d<strong>ans</strong> nos<br />
pays, avant le changement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong>.<br />
Public :<br />
J’ai donné cours en santé reproductive, à<br />
<strong>de</strong>s gestionnaires venus d’Afrique et d’Asie.<br />
Lorsque j’ai évoqué <strong>les</strong> 69 000 femmes<br />
mortes lors d’avortements c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins, ils<br />
m’ont répondu que ce<strong>la</strong> ne représentait<br />
rien face aux 42 millions d’enfants tués.<br />
Les femmes ne meurent pas parce qu’el<strong>les</strong><br />
ne peuvent pas être soignées, mais parce<br />
que leurs dirigeants estiment que leur vie<br />
ne vaut pas <strong>la</strong> peine d’être sauvée. Je crois<br />
que ce raisonnement prévaut encore d<strong>ans</strong><br />
<strong>de</strong> nombreux pays et qu’il faut continuer à<br />
se battre pour que <strong>les</strong> femmes ne meurent<br />
plus d’avortements c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins.<br />
Public :<br />
Je vou<strong>la</strong>is réagir par rapport à l’exposé<br />
<strong>de</strong> Dominique Roynet. Comment fait-on<br />
<strong>de</strong> l’éducation sexuelle? Que faut-il dire<br />
aux jeunes?<br />
Dominique Roynet :<br />
L’éducation sexuelle, que nous appelons<br />
maintenant « éducation à <strong>la</strong> vie affective et<br />
sexuelle » (EVAS), n’est pas, en Belgique,<br />
une disposition obligatoire, contrairement à<br />
d’autres pays européens. Cette éducation<br />
est liée au bon vou<strong>loi</strong>r <strong>de</strong>s éco<strong>les</strong> et <strong>de</strong>s enseignants<br />
et il s’avère que ce sont ceux qui<br />
en ont le moins besoin qui en ont le plus !<br />
D<strong>ans</strong> l’enseignement technique, professionnel,<br />
spécial type 1 et type 3, où il y a <strong>de</strong><br />
gros problèmes <strong>de</strong> comportements sexuels<br />
à risque, il n’y a, pour ainsi dire, jamais<br />
d’éducation sexuelle et affective.<br />
Ce<strong>la</strong> fait trente <strong>ans</strong> qu’on le signale aux<br />
pouvoirs publics qui n’enten<strong>de</strong>nt, ni ne<br />
comprennent, qui n’ont ni moyens,<br />
ni subsi<strong>de</strong>s.<br />
L’éducation à <strong>la</strong> vie affective et sexuelle ne<br />
doit pas avoir pour but <strong>de</strong> réduire le nombre<br />
d’avortements, mais plutôt <strong>de</strong> faire en sorte<br />
que <strong>les</strong> jeunes soient mieux d<strong>ans</strong> leur peau<br />
sexuée. Il faut donc faire passer, malgré <strong>les</strong><br />
difficultés que ce<strong>la</strong> représente actuellement,<br />
un message positif par rapport à <strong>la</strong> sexualité<br />
: « Faire l’amour, c’est gai, c’est bien,<br />
c’est bon pour <strong>la</strong> santé, ce n’est pas<br />
37
dangereux ! ». Le message qui passe<br />
aujourd’hui est davantage préventif et sécuritaire.<br />
Il faut faire plus d’éducation affective<br />
et sexuelle pour que <strong>les</strong> jeunes se sentent<br />
mieux avec <strong>la</strong> sexualité, pour qu’ils culpabilisent<br />
moins et pour <strong>les</strong> amener à utiliser<br />
plus <strong>de</strong> moyens préventifs. La culpabilité<br />
empêche le comportement préventif, il faut<br />
promouvoir un discours positif.<br />
Nous avons fait, avec le GACEHPA, il y a<br />
quelques années, une étu<strong>de</strong> <strong>sur</strong> le parcours<br />
contraceptif <strong>de</strong>s jeunes qui <strong>de</strong>mandaient<br />
une interruption <strong>de</strong> grossesse. Il était<br />
étonnant <strong>de</strong> voir qu’el<strong>les</strong> connaissaient cinq<br />
ou six moyens <strong>de</strong> contraception différents.<br />
Pourquoi ne s’approprient-el<strong>les</strong> pas ces<br />
connaissances ? Il y a, chez <strong>les</strong> jeunes, un<br />
sentiment d’immunité contre <strong>la</strong> grossesse,<br />
le sentiment que ce genre d’acci<strong>de</strong>nt n’arrive<br />
qu’aux autres. El<strong>les</strong> ne savent pas à quel<br />
point el<strong>les</strong> sont ferti<strong>les</strong> et, comme el<strong>les</strong> ont<br />
peu <strong>de</strong> rapports, el<strong>les</strong> se disent : « Quand<br />
même pas pour une fois? ».<br />
Manue<strong>la</strong> da Palmas :<br />
Quand <strong>les</strong> plus jeunes viennent <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
un avortement, on s’aperçoit que<br />
près <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié n’utilise pas <strong>de</strong> moyens<br />
<strong>de</strong> contraception. Mais effectivement,<br />
el<strong>les</strong> connaissent <strong>de</strong> nombreux moyens<br />
contraceptifs et peuvent même en citer<br />
<strong>les</strong> inconvénients et <strong>les</strong> avantages. Les<br />
raisons <strong>les</strong> plus citées pour ne pas <strong>les</strong><br />
utiliser sont : <strong>la</strong> peur <strong>de</strong>s parents, le prix,<br />
<strong>les</strong> préjugés ou fausses croyances déjà<br />
évoquées. En ce qui concerne <strong>la</strong> prévention,<br />
il faut proposer un espace <strong>de</strong><br />
parole pour ces jeunes, au sein duquel on<br />
pourrait essayer <strong>de</strong> comprendre pourquoi<br />
ils n’utilisent pas <strong>la</strong> contraception.<br />
Pensez-vous que ce soit le rôle <strong>de</strong><br />
l’école d’as<strong>sur</strong>er cette éducation<br />
affective et sexuelle?<br />
Manue<strong>la</strong> da Palmas :<br />
L’école fait partie d’une chaîne mais <strong>la</strong><br />
prévention se fait <strong>de</strong> manière tr<strong>ans</strong>versale,<br />
à travers <strong>la</strong> famille et <strong>de</strong>s intervenants <strong>de</strong><br />
différents secteurs.<br />
Qu’est-ce qui fait, à votre avis, que l’éducation<br />
à <strong>la</strong> vie affective et sexuelle ne soit<br />
pas davantage institutionnalisée ?<br />
Où se situe exactement l’obstacle ?<br />
Est-il <strong>de</strong> nature budgétaire ?<br />
Olga Zrihen :<br />
A l’occasion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux rapports d’évaluation<br />
du Comité bioéthique (<strong>20</strong>04 et <strong>20</strong>06), nous<br />
avons dû négocier <strong>la</strong> possibilité d’installer<br />
<strong>de</strong>s distributeurs <strong>de</strong> préservatifs d<strong>ans</strong> <strong>les</strong><br />
cours <strong>de</strong> récréation. La simple évocation<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> récréation et du fait que <strong>les</strong><br />
jeunes à l’âge <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> récréation,<br />
pourraient éprouver une émotion sexuelle,<br />
ce<strong>la</strong> paraissait tout à fait incompatible. Le<br />
texte mentionne donc, uniquement, « <strong>de</strong>s<br />
espaces réservés aux jeunes ». Il paraîtrait<br />
évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> préserver une intégrité<br />
par une éducation à ce qu’est une sexualité<br />
responsable. Mais on préfère mettre le sujet<br />
<strong>de</strong> côté, et <strong>la</strong>isser <strong>les</strong> gens, <strong>les</strong> femmes en<br />
particulier, assumer <strong>de</strong>s situations diffici<strong>les</strong>.<br />
Il y a aussi le volet budgétaire mais, en<br />
même temps, il y a suffisamment d’organismes<br />
qui ont <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> faire ce<br />
travail pour <strong>de</strong>s sommes dérisoires, voire<br />
gratuitement. Je pense aux dispositifs<br />
<strong>de</strong>s provinces, par exemple, qui ont <strong>de</strong>s<br />
secteurs d’animations. L’obstacle principal<br />
est le manque <strong>de</strong> compréhension<br />
vis-à-vis <strong>de</strong> l’éducation à <strong>la</strong> vie affective<br />
et sexuelle et <strong>de</strong> ce que ce<strong>la</strong> implique.<br />
Qu’il s’agisse <strong>de</strong>s violences faites aux<br />
femmes ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> prévention, l’intégration<br />
<strong>de</strong> l’éducation sexuelle d<strong>ans</strong> un processus<br />
éducatif d<strong>ans</strong> le but <strong>de</strong> faire, simplement,<br />
<strong>de</strong>s gens plus responsab<strong>les</strong>,<br />
rencontre toujours l’incompréhension.<br />
38
Public :<br />
Personne n’a parlé <strong>de</strong> <strong>la</strong> proposition <strong>de</strong><br />
Mme Onckelinx <strong>de</strong> modifier le dé<strong>la</strong>i <strong>de</strong><br />
12 semaines d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> <strong>sur</strong> l’IVG, alors<br />
que toute <strong>la</strong> presse f<strong>la</strong>man<strong>de</strong> en a parlé.<br />
Dominique Roynet :<br />
La <strong>loi</strong> belge est une bonne <strong>loi</strong> pour 95%<br />
<strong>de</strong>s femmes. Faut-il prendre un risque<br />
politique pour <strong>les</strong> 5% restants ? En tout<br />
cas, je ne veux pas qu’on touche à <strong>la</strong> <strong>loi</strong><br />
et certainement pas pour en restreindre<br />
<strong>la</strong> portée. La <strong>loi</strong> Lallemand-Michielsens<br />
dit que lorsque <strong>la</strong> santé <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme est<br />
mise en péril par <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong> <strong>la</strong> grossesse,<br />
cette femme peut interrompre sa<br />
grossesse pour <strong>de</strong>s raisons médica<strong>les</strong>, à<br />
condition que <strong>de</strong>ux mé<strong>de</strong>cins constatent<br />
que sa santé est mise en danger.<br />
Le problème, en Belgique, est l’acception du<br />
mot santé : il s’agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé physique, et non<br />
<strong>la</strong> santé sociale ou psychologique. Si cette définition<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> santé se rapprochait <strong>de</strong> celle fournie<br />
par l’OMS, à savoir que <strong>la</strong> santé est « un état <strong>de</strong><br />
bien-être physique, social et psychologique », il<br />
n’y aurait aucune raison <strong>de</strong> modifier <strong>la</strong> <strong>loi</strong>.<br />
Jean-Jacques Amy :<br />
J’abon<strong>de</strong> d<strong>ans</strong> ce sens. Il me semble qu’on<br />
pourrait apporter une nuance à <strong>la</strong> <strong>loi</strong> en y incluant<br />
une quatrième indication concernant<br />
l’interruption <strong>de</strong> grossesse après douze<br />
semaines, qui serait une indication sociale.<br />
Il appartiendrait à certaines personnes, bien<br />
sûr, <strong>de</strong> juger <strong>de</strong> <strong>la</strong> sévérité <strong>de</strong>s cas.<br />
Je vais mentionner un <strong>de</strong> ces cas : le<br />
docteur C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Belfontaine a été condamné,<br />
en correctionnelle, à une peine <strong>de</strong> prison<br />
avec <strong>sur</strong>sis et une amen<strong>de</strong>, pour avoir interrompu<br />
<strong>la</strong> grossesse d’une femme qui vivait<br />
avec son compagnon d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>ux pièces dont<br />
l’ameublement se limitait à un mate<strong>la</strong>s. Les<br />
<strong>de</strong>ux enfants du couple leur avaient été enlevés<br />
et confiés à <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> d’autres personnes.<br />
Ce couple ne disposait d’aucun revenu,<br />
aucun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux ne travail<strong>la</strong>it ni ne bénéficiait<br />
d’allocations <strong>de</strong> chômage ou <strong>de</strong> soutien <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> part du CPAS. Cette situation date d’environ<br />
vingt <strong>ans</strong>. D<strong>ans</strong> une situation pareille, où<br />
<strong>la</strong> future mère se présente après 15 ou 17<br />
semaines d’ aménorrhée, il est évi<strong>de</strong>nt qu’il<br />
faut faire quelque chose et que l’interruption<br />
<strong>de</strong> grossesse est <strong>la</strong> meilleure <strong>de</strong>s solutions.<br />
On peut dire que l’avortement n’est pas un<br />
grand drame quand il s’agit d’une ado<strong>les</strong>cente<br />
chez <strong>la</strong>quelle on pratique une IVG d<strong>ans</strong> <strong>les</strong><br />
meilleures conditions et qui bénéficie par <strong>la</strong> suite<br />
d’un suivi, non seulement médical et psychologique,<br />
mais aussi d’un encadrement correct.<br />
Il se fait, qu’en Belgique, chez <strong>les</strong> ado<strong>les</strong>centes<br />
qui <strong>de</strong>viennent enceintes, nous avons une<br />
proportion bien plus élevée qu’aux Pays-Bas<br />
<strong>de</strong> jeunes fil<strong>les</strong> <strong>de</strong> 14, 15 et 16 <strong>ans</strong> qui déci<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong> poursuivre leur grossesse et qui ont<br />
un enfant. C’est là que se situe le problème!<br />
Ce ne sont pas <strong>les</strong> fil<strong>les</strong> qui vont se faire<br />
avorter à seize <strong>ans</strong> qui posent problème,<br />
ce sont cel<strong>les</strong> qui déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> poursuivre<br />
leur grossesse, parce que leur avenir est<br />
fortement menacé, au même titre que<br />
celui <strong>de</strong> l’enfant à venir.<br />
Hugues Dorzée :<br />
Après <strong>la</strong> marche pro-vie, à <strong>la</strong>quelle participait<br />
le primat <strong>de</strong> Belgique, avez-vous<br />
l’impression qu’il y a un changement<br />
<strong>de</strong> stratégie <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> l’Eglise ? Une<br />
visibilité peut-être plus gran<strong>de</strong> et un<br />
discours davantage décomplexé ?<br />
Bérengère Marques-Pereira :<br />
Ce discours a en tout cas l’avantage<br />
d’être c<strong>la</strong>ir. Espérons donc que ce soit un<br />
repoussoir mais, en attendant, l’activisme<br />
religieux est en train <strong>de</strong> s’étendre, <strong>de</strong> se<br />
répandre. Monseigneur Léonard n’hésite<br />
pas à intervenir d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> affaires <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
39
cité. Toute <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> séparation <strong>de</strong><br />
l’Etat et <strong>de</strong> l’Eglise est bien en jeu. Rouvrir<br />
un dossier d<strong>ans</strong> ce contexte peut être<br />
extrêmement dangereux.<br />
Olga Zrihen :<br />
Le contexte actuel n’est pas du tout<br />
progressiste, simplement parce que le<br />
contexte socio-économique est difficile et<br />
déterminant. On considère que <strong>les</strong> individus<br />
remplissent une fonction économique<br />
avant d’être <strong>de</strong>s individus, on donne à<br />
chaque individu une fonctionnalité. La<br />
fonctionnalité <strong>de</strong>s femmes n’est sûrement<br />
pas d’être au travail. On leur reconnaît<br />
le droit au travail uniquement d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />
pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> guerre ou <strong>de</strong> crise. On le voit<br />
d<strong>ans</strong> tous <strong>les</strong> dispositifs sociaux : c’est<br />
majoritairement le contexte <strong>de</strong> crise économique<br />
qui détermine <strong>la</strong> fonctionnalité<br />
<strong>de</strong>s individus. Un débat progressiste ne<br />
peut se faire que quand il y a une certaine<br />
sérénité au point <strong>de</strong> vue économique.<br />
40
LA CONSCIENCE ROYALE<br />
ET LA REPRÉSENTATION<br />
DE LA NATION<br />
Réflexions à propos d’une crise<br />
Roger LALLEMAND<br />
Sénateur honoraire et Ministre d’Etat<br />
1. La crise qui s’est ouverte au sein <strong>de</strong><br />
l’Etat au début du mois d’avril n’a <strong>la</strong>issé<br />
personne indifférent: le refus du Roi<br />
<strong>de</strong> sanctionner <strong>la</strong> <strong>loi</strong> <strong>de</strong> dépénalisation<br />
partielle <strong>de</strong> l’avortement a provoqué <strong>de</strong>s<br />
réactions très diverses, <strong>de</strong>s commentaires<br />
contradictoires. Elle a <strong>de</strong> <strong>sur</strong>croit<br />
soulevé un certain nombre <strong>de</strong> questions<br />
juridiques.<br />
Cet article tente d’y apporter – parmi<br />
d’autres – une réponse circonstanciée.<br />
2. La compréhension <strong>de</strong> <strong>la</strong> solution qui<br />
a été apportée à cette crise, serait s<strong>ans</strong><br />
doute impossible s<strong>ans</strong> référence aux<br />
<strong>de</strong>ux lettres qui ont été écrites par le Roi<br />
au Premier Ministre, <strong>les</strong> 30 mars et 4 avril<br />
1990 et par le Premier Ministre au Roi à<br />
cette <strong>de</strong>rnière date.<br />
D<strong>ans</strong> ces missives, l’on relève quatre<br />
éléments décisifs :<br />
• Le Roi affirme une objection <strong>de</strong> conscience<br />
à promulguer <strong>la</strong> <strong>loi</strong> <strong>de</strong> dépénalisation partielle<br />
<strong>de</strong> l’avortement, votée par <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux chambres.<br />
Cette objection <strong>de</strong> conscience serait<br />
fondée <strong>sur</strong> <strong>la</strong> conviction que le chef <strong>de</strong> l’Etat<br />
serait « coresponsable » d’une <strong>loi</strong> dont il ne<br />
peut, en conscience, approuver le contenu.<br />
• Le Roi, par ailleurs, et simultanément, -ce<br />
fait est essentiel- affirme l’anomalie <strong>de</strong><br />
sa démarche et invite le gouvernement à<br />
dégager une solution institutionnelle.<br />
• Le chef <strong>de</strong> l’Etat, ensuite, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> au<br />
premier ministre <strong>de</strong> communiquer sa<br />
lettre au parlement et au gouvernement<br />
et, par là même, <strong>de</strong> <strong>la</strong> rendre publique.<br />
• Enfin, le Roi marque son accord <strong>sur</strong> le<br />
recours à l’article 82 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution<br />
pour régler le problème institutionnel<br />
engendré par sa démarche.<br />
Ces quatre éléments expliquent et, s<strong>ans</strong><br />
doute, justifient <strong>la</strong> solution qui, in fine, a<br />
été dégagée.<br />
3. Cette crise, inattendue, s’inscrit, il faut<br />
le rappeler, d<strong>ans</strong> un contexte exceptionnel<br />
car pas plus que le Roi, le gouvernement<br />
n’avait, en tant que tel, approuvé<br />
ou cautionné le texte <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong>. C’est<br />
précisément à raison <strong>de</strong> l’impossibilité <strong>de</strong><br />
dégager une solution <strong>de</strong> consensus que<br />
<strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration gouvernementale, conformément<br />
à celle <strong>de</strong>s gouvernements<br />
précé<strong>de</strong>nts, engage le gouvernement à<br />
donner effet à un projet voté par <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />
Chambres, projet que par hypothèse, il<br />
n’eut pu concevoir et approuver.<br />
Le gouvernement, comme ses prédécesseurs,<br />
avait donc renoncé à intervenir activement<br />
comme troisième branche du pouvoir légis<strong>la</strong>tif.<br />
Sachant et connaissant, a priori, qu’il se<br />
diviserait <strong>sur</strong> une solution, dont il reconnaissait<br />
cependant l’utilité, ou <strong>la</strong> nécessité,<br />
il acceptait <strong>de</strong> s’en remettre à une solution,<br />
dont il imaginait qu’elle serait, fort probablement,<br />
le fait d’une majorité alternative.<br />
L’objection <strong>de</strong> conscience du Roi a donc<br />
fait suite à un accord <strong>de</strong> gouvernement<br />
par lequel celui-ci abandonnait non seulement<br />
son droit d’initiative, mais renonçait<br />
à marquer son accord <strong>sur</strong> le contenu du<br />
projet qu’il s’engageait cependant par<br />
avance à sanctionner et à promulguer.<br />
41
C’est s<strong>ans</strong> doute, et paradoxalement,<br />
l’absence prévue et organisée du consensus<br />
<strong>de</strong>s ministres, qui, à <strong>la</strong> fois, a mis le<br />
Roi en contradiction avec <strong>la</strong> volonté du<br />
gouvernement, programmée ab initio, <strong>de</strong><br />
sanctionner <strong>la</strong> <strong>loi</strong>, mais a aussi permis<br />
<strong>de</strong> dégager une solution <strong>la</strong> moins dangereuse<br />
pour <strong>les</strong> institutions : <strong>la</strong> promulgation<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> n’impliquant pas l’accord<br />
du gouvernement <strong>sur</strong> le contenu. Fort<br />
curieusement, en effet, l’objection « <strong>de</strong><br />
conscience » au projet était <strong>la</strong>rgement<br />
représentée au sein du gouvernement.<br />
La sanction <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> n’était donc pas le fait<br />
d’une équipe dominée par <strong>de</strong>s courants<br />
d’opinion hosti<strong>les</strong> aux conceptions du Roi.<br />
Les réticences <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres se<br />
sont donc conjuguées. Les ministres, qui<br />
ont signé <strong>la</strong> <strong>loi</strong>, contre <strong>la</strong>quelle ils avaient<br />
voté, en leur qualité <strong>de</strong> parlementaires,<br />
ont fait préva<strong>loi</strong>r <strong>la</strong> volonté du parlement. 1<br />
En refusant <strong>de</strong> signer, mais en acceptant<br />
d’être mis en état d’impossibilité <strong>de</strong> régner,<br />
le Roi, tout en manifestant son désaccord<br />
avec le contenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong>, s’inclinait lui aussi<br />
<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> représentation nationale.<br />
Il a donc fallu un contexte exceptionnel pour<br />
que s’affirme, d<strong>ans</strong> un exemple éc<strong>la</strong>tant et s<strong>ans</strong><br />
conduire à <strong>la</strong> dislocation du gouvernement et<br />
à <strong>la</strong> dissolution <strong>de</strong>s chambres, le principe <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
prééminence <strong>de</strong> <strong>la</strong> représentation nationale.<br />
4. La situation à <strong>la</strong>quelle était confronté le<br />
gouvernement était, à bien <strong>de</strong>s égards,<br />
délicate et paradoxale.<br />
Le Souverain, qui n’a pas vocation<br />
constitutionnelle à exprimer <strong>de</strong>s opinions<br />
personnel<strong>les</strong>, a estimé, en raison d’une<br />
objection <strong>de</strong> conscience qu’il considérait<br />
comme fondamentale – et dont chacun<br />
reconnaît le caractère respectable – être<br />
d<strong>ans</strong> l’impossibilité d’exercer ses prérogatives<br />
constitutionnel<strong>les</strong>.<br />
La lettre du Roi, du 30 mars 1990, affirme<br />
en effet simultanément son objection <strong>de</strong><br />
conscience et l’impérieuse nécessité <strong>de</strong><br />
rechercher une solution institutionnelle<br />
permettant <strong>de</strong> donner effet aux votes <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux Chambres.<br />
Cette attitu<strong>de</strong> complexe est, <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n<br />
institutionnel, particulièrement significative<br />
puisqu’un droit <strong>de</strong> veto royal, n’a, en<br />
réalité, jamais été revendiqué ni par le Roi,<br />
ni du reste, par quiconque.<br />
Mais cette réaction va conduire à une<br />
solution discutée.<br />
Afin <strong>de</strong> pouvoir exprimer une opinion personnelle,<br />
le Roi a amené le gouvernement<br />
à constater qu’il était d<strong>ans</strong> l’impossibilité<br />
<strong>de</strong> régner. Mais il a, par là même, marqué<br />
<strong>les</strong> limites <strong>de</strong> ses prérogatives.<br />
La réaction du Roi est <strong>de</strong> nature à confirmer<br />
que le chef <strong>de</strong> l’Etat avait, <strong>de</strong> par sa<br />
fonction, l’obligation <strong>de</strong> sanctionner et<br />
<strong>de</strong> promulguer <strong>la</strong> <strong>loi</strong> <strong>de</strong> dépénalisation<br />
partielle <strong>de</strong> l’avortement, dès lors que<br />
le conseil <strong>de</strong>s ministres, suivant en ce<strong>la</strong><br />
l’accord du gouvernement, approuvé par<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux Chambres, le lui <strong>de</strong>mandait.<br />
5. Que le Roi ait eu cette obligation, conduit<br />
à s’interroger <strong>sur</strong> <strong>la</strong> portée que peut avoir<br />
<strong>la</strong> sanction royale. Le problème est né <strong>de</strong><br />
l’interprétation que le Roi a donné <strong>de</strong> son<br />
rôle, d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> sanction d’une <strong>loi</strong>.<br />
Le chef <strong>de</strong> l’Etat a estimé, en effet, qu’en exerçant<br />
cette prérogative constitutionnelle, il était<br />
susceptible d’assumer une « coresponsabilité ».<br />
Or, fait remarquable, une telle interprétation<br />
est rejetée par l’ensemble <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine.<br />
Toute l’économie <strong>de</strong> notre Constitution<br />
repose, en effet, <strong>sur</strong> le principe <strong>de</strong> l’irresponsabilité<br />
royale.<br />
Le Roi, lorsqu’il agit en tant qu’institution,<br />
ce qui est manifestement le cas lors <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
sanction et <strong>de</strong> <strong>la</strong> promulgation <strong>de</strong>s <strong>loi</strong>s, ne<br />
peut agir s<strong>ans</strong> contreseing d’un ministre.<br />
Ce principe est explicitement consacré<br />
par l’article 64 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution aux termes<br />
duquel « aucun acte du Roi ne peut<br />
avoir d’effet, s’il n’est contresigné par<br />
un ministre, qui, par ce<strong>la</strong> seul, s’en rend<br />
1<br />
Il est probable que certains courants hosti<strong>les</strong> au projet, particulièrement au Sénat, ont misé <strong>sur</strong> son échec.<br />
Cette circonstance n’empêche pas – au contraire – <strong>de</strong> souligner <strong>la</strong> détermination qui a suivi le vote <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux Chambres.<br />
42
esponsable ». La responsabilité va aux<br />
ministres, pas au Roi.<br />
L’irresponsabilité du chef <strong>de</strong> l’Etat implique<br />
ainsi qu’il ne puisse être associé personnellement<br />
à <strong>de</strong>s <strong>loi</strong>s, qui sont votées<br />
par <strong>de</strong>s majorités aussi multip<strong>les</strong><br />
que contradictoires.<br />
Elle a également pour corol<strong>la</strong>ire que <strong>la</strong><br />
couronne ne peut être découverte.<br />
Selon <strong>la</strong> forte expression <strong>de</strong> Francis Delpérée,<br />
« découvrir <strong>la</strong> couronne, c’est d’abord<br />
révéler <strong>la</strong> part personnelle que le Roi a pu<br />
prendre d<strong>ans</strong> l’é<strong>la</strong>boration d’une décision;<br />
c’est, par le fait même, l’exposer aux<br />
critiques <strong>de</strong> l’opinion publique et engager<br />
sa responsabilité politique d<strong>ans</strong> un dossier<br />
particulier. Est-il besoin <strong>de</strong> dire que ce comportement<br />
s’inscrit en vio<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s prescriptions<br />
<strong>de</strong> l’article 64 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution ? » 2<br />
Le cas d’espèce est particulièrement frappant.<br />
La couronne a été certes découverte<br />
par le premier ministre qui a rendu<br />
publiques <strong>les</strong> lettres du Roi. Mais on relève<br />
d<strong>ans</strong> cel<strong>les</strong>-ci, que c’est précisément<br />
à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> expresse du Souverain.<br />
Les ministres ont assumé <strong>la</strong> responsabilité<br />
politique <strong>de</strong> permettre au Souverain<br />
d’exprimer une opinion propre. Or, le Roi,<br />
en tant que chef <strong>de</strong> l’Etat, ne peut exprimer<br />
publiquement un avis personnel <strong>sur</strong><br />
une <strong>loi</strong> : il n’a d’opinion que cel<strong>les</strong> que <strong>les</strong><br />
institutions consacrent.<br />
En vérité, l’objection <strong>de</strong> conscience et<br />
le refus <strong>de</strong> <strong>la</strong> sanction sont <strong>de</strong>s actes<br />
publics du chef <strong>de</strong> l’Etat. Le droit <strong>de</strong><br />
formuler l’une en public, d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> logique<br />
d’un système institutionnel, aurait pour<br />
corol<strong>la</strong>ire celui du Souverain d’imposer<br />
l’autre. Il s’agirait alors d’un droit <strong>de</strong> veto<br />
qui n’est ni reconnu ni revendiqué.<br />
S<strong>ans</strong> doute le Roi peut-il avoir <strong>de</strong>s opinions.<br />
S<strong>ans</strong> doute peut-il être choqué<br />
par une disposition légis<strong>la</strong>tive. De par<br />
ses convictions personnel<strong>les</strong>, le Souverain<br />
peut ne pas s’accor<strong>de</strong>r parfaitement<br />
avec <strong>les</strong> arrêtés que lui propose le gouvernement.<br />
Comment pourrait-il en être<br />
autrement d<strong>ans</strong> un régime <strong>de</strong> démocratie<br />
représentative qui fait alterner d<strong>ans</strong> l’exercice<br />
du pouvoir <strong>de</strong>s formations politiques<br />
aux conceptions divergentes, voire opposées<br />
<strong>sur</strong> nombre <strong>de</strong> matières?<br />
Le for intérieur d’un chef d’Etat – d’une<br />
exigence morale aussi élevée que celle<br />
du Roi – retient nombre <strong>de</strong> réticences, <strong>de</strong><br />
critiques, <strong>de</strong> déceptions.<br />
L’opinion publique, d<strong>ans</strong> toutes ses<br />
composantes, le crédite <strong>de</strong> cette qualité<br />
d’attention et d’une sensibilité sourcilleuse.<br />
Mais elle n’attend pas qu’il extériorise<br />
ses objections aux <strong>loi</strong>s et aux actes <strong>de</strong>s<br />
autres pouvoirs constitutionnels.<br />
La cohérence <strong>de</strong> notre régime tient au<br />
silence du Roi. Elle se conforte <strong>de</strong> cette<br />
discrétion et <strong>de</strong> cette patience qui pacifient<br />
<strong>les</strong> attentes inconciliées.<br />
Dès lors qu’elle porte <strong>sur</strong> le contenu éthique<br />
ou politique d’un acte du parlement,<br />
l’objection <strong>de</strong> conscience doit conséquemment<br />
<strong>de</strong>meurer privée. Elle ne peut<br />
être affirmée publiquement que comme<br />
acte du chef <strong>de</strong> l’Etat, c’est-à-dire comme<br />
le fait d’un gouvernement, ou à tout<br />
le moins d’un ministre. On ne peut donc<br />
parler s<strong>ans</strong> ambiguïté majeure, du droit à<br />
l’expression <strong>de</strong>s objections <strong>de</strong> conscience<br />
du chef <strong>de</strong> l’Etat s’il en est cependant<br />
un, mais strictement privé, du Roi.<br />
Parce qu’il exprime <strong>la</strong> collectivité nationale, le<br />
Roi est s<strong>ans</strong> doute le seul citoyen qui ne peut<br />
– à titre personnel – critiquer publiquement<br />
<strong>les</strong> <strong>loi</strong>s d son pays : tels sont <strong>les</strong> principes,<br />
contraignants s<strong>ans</strong> doute, mais indiscutab<strong>les</strong><br />
en <strong>la</strong> théorie et <strong>la</strong> pratique. Ils ne consacrent<br />
pas, toutefois, un mutisme absolu.<br />
Comme l’a relevé récemment R. Ergec :<br />
« La personne du Roi est investie d’une<br />
haute magistrature d’influence et <strong>de</strong><br />
pondération. Celle-ci s’exerce d<strong>ans</strong> le<br />
cadre du colloque entre le Souverain et<br />
ses ministres. Le Roi y met en oeuvre<br />
ses trois prérogatives, figées d<strong>ans</strong> <strong>la</strong><br />
2<br />
Droit constitutionnel, t. 2, Le système constitutionnel, point 1, Les pouvoirs, p. 128.<br />
3<br />
R. ERGEC, L’institution monarchique à l’épreuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise, in Journal <strong>de</strong>s Tribunaux, 1990, pp.265-267.<br />
43
formule célèbre : être consulté, avertir<br />
et stimuler ». 3<br />
Mais, - <strong>la</strong> règle est aussi certaine -, le<br />
colloque entre le Roi et ses ministres, à<br />
raison même <strong>de</strong> l’irresponsabilité et <strong>de</strong><br />
l’invio<strong>la</strong>bilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne royale, doit<br />
<strong>de</strong>meurer secret.<br />
Le Roi peut communiquer ses vues personnel<strong>les</strong><br />
à ses ministres. Et ceux-ci, <strong>de</strong><br />
leur côté, ne peuvent <strong>les</strong> divulguer.<br />
En d’autres termes, toute décision politique<br />
n’engage d’autre responsabilité que<br />
celle <strong>de</strong>s ministres.<br />
Comment comprendre qu’en l’espèce,<br />
le Roi ait affirmé une responsabilité, alors<br />
qu’il est irresponsable, et découvert <strong>la</strong><br />
couronne dès lors que le colloque constitutionnel<br />
doit rester secret?<br />
L’explication se trouve s<strong>ans</strong> doute d<strong>ans</strong><br />
<strong>la</strong> circonstance que le Roi a une autre interprétation<br />
ou une autre compréhension<br />
<strong>de</strong>s ses responsabilités. Il s’est reconnu<br />
une « coresponsabilité », <strong>la</strong>quelle ne peut<br />
cependant, eu égard aux règ<strong>les</strong> qui prési<strong>de</strong>nt<br />
au fonctionnement <strong>de</strong> notre système<br />
constitutionnel, être véritablement en jeu.<br />
Une erreur d’interprétation – à tout le<br />
moins – serait ainsi à <strong>la</strong> base du désaccord<br />
entre le Roi et <strong>les</strong> ministres qui<br />
s’étaient liés par l’accord <strong>de</strong> gouvernement.<br />
Elle <strong>sur</strong>girait <strong>de</strong> l’ambiguïté <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Constitution <strong>sur</strong> le rôle <strong>de</strong> chef <strong>de</strong> l’Etat.<br />
Dès le moment où il refusait d’accomplir un<br />
acte <strong>de</strong> sa fonction et <strong>de</strong>mandait au gouvernement<br />
<strong>de</strong> chercher une solution pour qu’il soit<br />
accompli s<strong>ans</strong> lui, le Roi était amené à découvrir<br />
<strong>la</strong> couronne. Le gouvernement ne pouvait<br />
masquer <strong>la</strong> rupture du consensus. Il al<strong>la</strong>it être<br />
contraint <strong>de</strong> se substituer à lui d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s conditions<br />
et selon <strong>de</strong>s modalités qui al<strong>la</strong>ient susciter<br />
<strong>la</strong> critique.<br />
6. De nombreux commentateurs et <strong>de</strong><br />
nombreux spécialistes du droit constitutionnel<br />
ont donné leur sentiment <strong>sur</strong> <strong>la</strong><br />
procédure qui a été retenue par le gouvernement<br />
pour résoudre <strong>la</strong> crise.<br />
Force est <strong>de</strong> constater que ces avis furent<br />
contrastés et parfois contradictoires.<br />
Certains considèrent, par exemple, que<br />
le gouvernement et le parlement ont violé<br />
<strong>la</strong> Constitution.<br />
D’autres n’ont vu d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> démarche suivie<br />
qu’un détournement <strong>de</strong> procédure, ne<br />
pouvant s’analyser comme une f<strong>la</strong>grante<br />
inconstitutionnalité. 4<br />
Fait plus frappant, personne parmi <strong>les</strong> spécialistes<br />
hosti<strong>les</strong> à <strong>la</strong> solution retenue, n’a été en<br />
me<strong>sur</strong>e d’indiquer c<strong>la</strong>irement <strong>la</strong> voie à suivre<br />
pour dénouer <strong>la</strong> crise, <strong>de</strong> révéler un processus<br />
différent qui ne mette pas en péril <strong>les</strong> institutions<br />
mêmes que l’on entendait défendre, et<br />
ne contredise pas l’esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution.<br />
Cette carence d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> critiques vient<br />
précisément <strong>de</strong>s contradictions politiques<br />
fondamenta<strong>les</strong> qu’auraient entraîné <strong>les</strong><br />
solutions formellement plus adéquates.<br />
7. S<strong>ans</strong> doute cette incertitu<strong>de</strong> ou ces<br />
contestations résultent <strong>de</strong> ce que <strong>la</strong><br />
Constitution n’a pas prévu <strong>la</strong> situation qui<br />
s’est révélée au mois d’avril 1990.<br />
Le gouvernement a été critiqué pour avoir<br />
fait application à cette situation <strong>de</strong> l’article<br />
82, et d’avoir fait référence à l’article 79.<br />
Etait-il évitable qu’il le fit?<br />
L’on a contesté le fait que le refus du Roi<br />
ait été analysé en une impossibilité <strong>de</strong><br />
régner au sens <strong>de</strong> l’article 82.<br />
Certains ont affirmé que l’article 82 ne pouvait<br />
viser que <strong>la</strong> folie ou <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die du Roi.<br />
Il est vrai que le constituant, en adoptant<br />
cette disposition, avait à l’esprit <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die<br />
mentale <strong>de</strong> Georges III, Roi d’Angleterre,<br />
qui en 18<strong>20</strong>, était mort en état <strong>de</strong> folie.<br />
Les termes mêmes <strong>de</strong> l’article 82 révèlent<br />
l’exemple qui obsédait le constituant. Ils<br />
précisent, en effet, que « <strong>les</strong> ministres font<br />
constater » l’impossibilité <strong>de</strong> régner. 5<br />
D<strong>ans</strong> l’esprit <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> notre charte<br />
fondamentale, ce ne peut être le parlement<br />
ou le gouvernement qui constate<br />
4<br />
Ph. LAUVAUX in Le Soir, 5 avril 1990.<br />
5<br />
Fort significativement, ce n’est pas au parlement mais au gouvernement que <strong>la</strong> Constitution délègue<br />
l’initiative du constat.<br />
44
l’impossibilité <strong>de</strong> régner, mais un collège<br />
<strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins.<br />
Dûment informé par l’avis <strong>de</strong> ces spécialistes,<br />
le gouvernement serait alors à<br />
même d’en tirer toutes <strong>les</strong> conséquences.<br />
Mais l’analyse peut-elle s’arrêter là? La<br />
référence historique ne couvre manifestement<br />
pas tout le texte.<br />
Ce n’est pas parce que le constituant<br />
avait à l’esprit <strong>la</strong> folie <strong>de</strong> Georges III que<br />
le prescrit constitutionnel doit être limité à<br />
cette seule circonstance.<br />
Formulé en <strong>de</strong>s termes généraux, l’article<br />
82 a en réalité une autre extension.<br />
Le constituant a voulu traiter <strong>les</strong> situations<br />
d’exception et il ne pouvait pas <strong>les</strong> avoir<br />
toutes à l’esprit. Le texte général qu’il a<br />
adopté peut convaincre d’une portée qui<br />
dépasse l’exemple qui l’a suscité.<br />
Un témoignage significatif en a déjà été<br />
apporté en 1940.<br />
L’article 82 a été appliqué à une autre<br />
situation d’exception. Le Roi était prisonnier.<br />
Il était en pleine possession <strong>de</strong> ses<br />
moyens intellectuels. Mais, pour reprendre<br />
<strong>les</strong> termes utilisés alors, il se trouvait<br />
« sous le pouvoir <strong>de</strong> l’envahisseur ».<br />
Le gouvernement d’alors ne fit donc pas<br />
constater <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die du Roi, mais son impuissance<br />
objective à exercer ses fonctions.<br />
Cette application <strong>de</strong> l’article 82 qui étendait<br />
<strong>la</strong> partie <strong>de</strong>s textes et <strong>la</strong> référence<br />
qui a déjà été faite à l’article 79, ont été<br />
consacrées par <strong>la</strong> Cour <strong>de</strong> cassation. Celle-ci<br />
a reconnu <strong>la</strong> constitutionnalité <strong>de</strong> leur<br />
application en <strong>de</strong> tel<strong>les</strong> circonstances. 6<br />
On a pu affirmer cependant qu’il y avait<br />
au moins un point commun entre <strong>la</strong> situation<br />
prise en compte par le constituant au<br />
moment <strong>de</strong> l’introduction <strong>de</strong> l’article 82<br />
d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> fondamentale et le précé<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong> 1940, à savoir que l’impossibilité <strong>de</strong><br />
régner était provoquée par <strong>de</strong>s circonstances<br />
extrinsèques à <strong>la</strong> volonté du roi, ce<br />
qui n’eut pas été le cas en 1990. 7<br />
L’argument est d’importance.<br />
Mais ne faut-il pas apprécier <strong>les</strong> circonstances<br />
au regard du pouvoir exécutif et<br />
en particulier <strong>de</strong>s ministres qui constatent<br />
l’impossibilité <strong>de</strong> régner?<br />
Le gouvernement, en avril 1990, n’était-il<br />
pas confronté à une situation « extrinsèque<br />
» à sa volonté, une situation qu’il ne<br />
pouvait prévoir et qui exigeait impérativement<br />
une solution?<br />
On peut le penser : en refusant <strong>de</strong> sanctionner<br />
et <strong>de</strong> promulguer <strong>la</strong> <strong>loi</strong> <strong>de</strong> dépénalisation<br />
partielle <strong>de</strong> l’avortement, le Roi<br />
rendait impossible l’exercice normal <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
fonction <strong>de</strong> chef <strong>de</strong> l’Etat, <strong>la</strong>quelle suppose<br />
une cointervention du Roi et <strong>de</strong> ses<br />
ministres.<br />
Aucune conduite ne permettait <strong>de</strong> le<br />
contraindre à apposer sa signature au<br />
bas d’un acte qui avait reçu l’aval <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux Chambres.<br />
En outre, fait déterminant, c’est le chef <strong>de</strong><br />
l’Etat lui-même qui, en réalité, affirmait ne<br />
plus pouvoir remplir ses fonctions constitutionnel<strong>les</strong>,<br />
bien qu’il fut s<strong>ans</strong> conteste,<br />
physiquement et mentalement, à même<br />
<strong>de</strong> <strong>les</strong> exercer : le gouvernement était<br />
ainsi invité à faire face à <strong>la</strong> carence royale.<br />
Certes, si le Roi n’avait pas, parallèlement à<br />
l’expression <strong>de</strong> son objection <strong>de</strong> conscience,<br />
affirmé nettement qu’une solution <strong>de</strong>vait<br />
être trouvée pour donner effet à <strong>la</strong> volonté<br />
<strong>de</strong>s Chambres, son refus eut certainement<br />
provoqué une crise <strong>de</strong> régime. Celle-ci, vraisemb<strong>la</strong>blement,<br />
n’eut pu aboutir qu’à une<br />
abdication ou à <strong>la</strong> dissolution <strong>de</strong>s Chambres.<br />
Mais en <strong>de</strong>mandant au gouvernement <strong>de</strong><br />
consacrer <strong>la</strong> décision <strong>de</strong> <strong>la</strong> majorité qui<br />
s’est dégagée au parlement, le Roi a défini<br />
<strong>les</strong> termes <strong>de</strong> l’impossibilité <strong>de</strong> régner<br />
et commandé <strong>la</strong> solution.<br />
Le gouvernement a dû, dès lors, constater<br />
<strong>la</strong> paralysie d’une institution <strong>de</strong> l’Etat à partir<br />
du moment où il était requis <strong>de</strong> sanctionner<br />
une <strong>loi</strong> que le Roi refusait <strong>de</strong> signer.<br />
D<strong>ans</strong> le chef du gouvernement, ce refus,<br />
- posé en ces termes – constituait bien<br />
6<br />
Cassation, 27 mai 1946, Pas., 1946, I, 2 et 3 mars 1947, Pas., 1947, I, 94.<br />
7<br />
R. ERGEC, op cit<br />
45
un fait extérieur, constitutif d’un état <strong>de</strong><br />
nécessité, voire d’une force majeure : il<br />
fal<strong>la</strong>it, à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du Roi, que <strong>la</strong> <strong>loi</strong> soit<br />
sanctionnée mais s<strong>ans</strong> lui.<br />
Dès lors, <strong>la</strong> solution <strong>de</strong>vait être trouvée,<br />
non pas d<strong>ans</strong> le texte formel <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution<br />
qui est muet, mais d<strong>ans</strong> l’esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Charte fondamentale, d<strong>ans</strong> son économie.<br />
Ce recours à l’article 82 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution<br />
<strong>de</strong>venait, en ces circonstances exceptionnel<strong>les</strong>,<br />
pertinent.<br />
Quant à l’invocation à l’article 79, elle ne<br />
peut être formellement contestée.<br />
L’article 79, en effet, prévoit que le conseil<br />
<strong>de</strong>s ministres exerce <strong>les</strong> prérogatives<br />
roya<strong>les</strong> à <strong>la</strong> suite du décès du Souverain,<br />
et ce<strong>la</strong> tant qu’il n’a pas été pourvu à <strong>la</strong><br />
régence ou à <strong>la</strong> tutelle.<br />
Certes, seul le décès du Roi est envisagé.<br />
Mais, en cet article, le constituant, à<br />
l’évi<strong>de</strong>nce, a fait application d’un principe<br />
général qui domine le droit constitutionnel<br />
et qui veut que soit as<strong>sur</strong>ée l’indispensable<br />
continuité <strong>de</strong> l’Etat.<br />
Tout comme ce<strong>la</strong> fut le cas en 1940, <strong>la</strong><br />
combinaison <strong>de</strong>s artic<strong>les</strong> 79 et 82 paraissait<br />
ainsi <strong>la</strong> seule voie qui permit d’as<strong>sur</strong>er<br />
au mieux et au moindre coût, le respect<br />
<strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s principes contenus<br />
d<strong>ans</strong> notre Constitution.<br />
8. Rusen Ergec, d<strong>ans</strong> l’article précité, relève<br />
qu’il conviendrait s<strong>ans</strong> doute <strong>de</strong> consacrer,<br />
d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> Constitution, le principe <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong><br />
nécessité ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> force majeure. Est-ce<br />
bien utile? Pierre Wigny relève que : « l’article<br />
130 dispose que <strong>la</strong> Constitution ne peut<br />
être suspendue en tout ou en partie. Mais il<br />
y a <strong>de</strong>s manquements involontaires quand<br />
le mécanisme constitutionnel est bloqué.<br />
Pendant <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux guerres mondia<strong>les</strong>, il était<br />
impossible <strong>de</strong> réunir <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux Chambres.<br />
Pour justifier <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>rité <strong>de</strong>s arrêtés-<strong>loi</strong>s,<br />
<strong>les</strong> tribunaux et <strong>la</strong> doctrine ont utilisé <strong>les</strong><br />
plus extrêmes ressources <strong>de</strong> l’interprétation.<br />
Leurs explications aventurées ne font<br />
que traduire l’effort, jamais complètement<br />
satisfait <strong>de</strong> faire entrer d<strong>ans</strong> <strong>les</strong> cadres juridiques<br />
un fait brutal : <strong>la</strong> force majeure ». 8<br />
Or, R. Ergec, lui-même, écrit que « <strong>la</strong><br />
permanence <strong>de</strong> l’Etat et <strong>la</strong> continuité du<br />
service public constituent un principe fondamental<br />
qui domine notre droit public ».<br />
Si donc une force majeure bloque le<br />
système constitutionnel, une obligation<br />
pèse <strong>sur</strong> <strong>les</strong> autorités politiques, celle <strong>de</strong><br />
sauvegar<strong>de</strong>r <strong>les</strong> principes fondateurs <strong>de</strong><br />
notre régime institutionnel. Parmi ceux-ci,<br />
il y a as<strong>sur</strong>ément <strong>la</strong> continuité <strong>de</strong> l’Etat,<br />
mais également le respect <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté<br />
nationale. D<strong>ans</strong> <strong>de</strong> tel<strong>les</strong> circonstances,<br />
<strong>la</strong> politique choisie doit être appréciée,<br />
certes en fonction <strong>de</strong>s moyens mis en<br />
oeuvre, mais aussi en fonction <strong>de</strong> l’objectif<br />
qu’ils poursuivent : <strong>la</strong> sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />
valeurs institutionnel<strong>les</strong> fondamenta<strong>les</strong>.<br />
En l’espèce, le gouvernement a respecté<br />
un équilibre entre <strong>les</strong> diverses exigences<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> force majeure qui, à son niveau,<br />
paralysait le fonctionnement <strong>de</strong> l’Etat.<br />
Pour as<strong>sur</strong>er <strong>la</strong> permanence <strong>de</strong> l’Etat, il a<br />
utilisé <strong>les</strong> instruments qui étaient mis à sa<br />
disposition par <strong>la</strong> Constitution : <strong>les</strong> artic<strong>les</strong><br />
79 et 82.<br />
9. Certes, trois autres solutions pouvaient<br />
être envisagées et qui étaient plus conformes<br />
au texte constitutionnel :<br />
• l’abdication du Souverain,<br />
• <strong>la</strong> désignation d’un Régent,<br />
• <strong>la</strong> démission du gouvernement.<br />
Examinons <strong>les</strong> succinctement.<br />
a) L’abdication du Souverain<br />
L’abdication du Souverain est un acte<br />
d’une gravité extrême.<br />
C’est s<strong>ans</strong> doute, l’un <strong>de</strong>s rares actes<br />
que le chef <strong>de</strong> l’Etat puisse accomplir<br />
seul. Un monarque ne peut être contraint<br />
à exercer <strong>de</strong>s fonctions qu’il ne souhaite<br />
plus remplir.<br />
Toutefois, si d’aucuns, à juste titre, ont<br />
contesté l’interprétation que le Roi avait<br />
8<br />
R.P.D.B., compl.V, p.332.<br />
46
faite <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution, personne ne lui<br />
a fait reproche <strong>de</strong> ses convictions – pas<br />
plus, me semble-t-il, qu’il ne l’avait fait luimême<br />
à ceux qui avaient voté <strong>la</strong> <strong>loi</strong>.<br />
Personne, en outre, n’a sollicité l’abdication<br />
du Roi.<br />
Si tel avait été le cas, il y aurait eu au<br />
moins une voix au sein <strong>de</strong>s Chambres<br />
réunies pour refuser <strong>de</strong> constater que<br />
l’impossibilité <strong>de</strong> régner avait pris fin.<br />
Par ailleurs, l’abdication du Souverain<br />
était une me<strong>sur</strong>e extrême. Elle aurait,<br />
s<strong>ans</strong> nul doute, provoqué <strong>de</strong> graves remous.<br />
L’ensemble du régime institutionnel<br />
en eut été affaibli.<br />
Cette solution était aussi inadaptée parce<br />
que son issue était parfaitement incertaine.<br />
Rien, en effet, ne permettait <strong>de</strong> penser que<br />
le successeur du roi Baudouin n’aurait pas<br />
eu <strong>les</strong> mêmes scrupu<strong>les</strong> <strong>de</strong> conscience et<br />
que <strong>la</strong> crise eut été dès lors dénouée.<br />
En cherchant une solution plus rigoureuse,<br />
le gouvernement risquait d’aggraver <strong>la</strong><br />
crise qu’il avait à résoudre.<br />
b) La désignation d’un Régent<br />
Comme il vient d’être rappelé, le Régent,<br />
lui aussi, eut pu avoir <strong>les</strong> mêmes objections<br />
<strong>de</strong> conscience que cel<strong>les</strong> du Roi.<br />
La probabilité en serait probablement<br />
accrue en raison <strong>de</strong>s liens familiaux ou<br />
<strong>de</strong> conceptions religieuses i<strong>de</strong>ntiques <strong>de</strong><br />
celui qui aurait été appelé à exercer <strong>les</strong><br />
fonctions du chef <strong>de</strong> l’Etat.<br />
Le refus du Roi paralysait donc le système<br />
institutionnel et conduisait à penser que <strong>la</strong><br />
désignation d’un Régent ne mettrait pas<br />
fin, a priori, au blocage institutionnel.<br />
Certes, le régent pourrait être choisi hors <strong>la</strong> famille<br />
royale. Certains imaginaient peut-être qu’il<br />
pourrait l’être en fonction <strong>de</strong> l’as<strong>sur</strong>ance qu’il<br />
présenterait <strong>de</strong> sanctionner <strong>la</strong> <strong>loi</strong>.<br />
Une telle démarche soulignerait <strong>la</strong> contradiction<br />
d’un système qui admettrait, en<br />
théorie, au bénéfice du chef <strong>de</strong> l’Etat, un<br />
droit à l’objection <strong>de</strong> conscience mais<br />
ferait <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> n’en point user<br />
<strong>la</strong> condition <strong>de</strong> <strong>la</strong> désignation du Régent<br />
– qui <strong>de</strong>vrait intervenir à raison même <strong>de</strong><br />
l’exercice <strong>de</strong> ce droit!<br />
Une telle pratique retournerait contre le<br />
chef <strong>de</strong> l’Etat le refus <strong>de</strong> <strong>la</strong> sanction. Elle<br />
diviserait irrémédiablement <strong>la</strong> fonction<br />
exécutive. Elle mettrait en évi<strong>de</strong>nce une<br />
logique : si le Souverain dispose – quod<br />
non – du droit <strong>de</strong> refuser <strong>la</strong> sanction<br />
d’une <strong>loi</strong>, il n’a pas à être remp<strong>la</strong>cé quand<br />
il est amené à l’exercer.<br />
En revendiquant le droit d’affirmer une<br />
impossibilité morale absolue à sanctionner<br />
une <strong>loi</strong> mais en mandatant le gouvernement,<br />
d<strong>ans</strong> le même temps, <strong>de</strong> chercher une<br />
solution qui permette <strong>de</strong> <strong>la</strong> faire sanctionner<br />
s<strong>ans</strong> son concours, le Roi a suscité une<br />
situation inattendue et exceptionnelle, qui<br />
court-circuitait <strong>les</strong> principes constitutionnels.<br />
Mais cette attitu<strong>de</strong> complexe a permis <strong>de</strong><br />
régler <strong>la</strong> crise dès lors que ni le parlement,<br />
ni le Roi, ni le gouvernement, ne pouvait<br />
s’accor<strong>de</strong>r <strong>sur</strong> une <strong>de</strong>s solutions radica<strong>les</strong><br />
postulées par <strong>la</strong> rigueur <strong>de</strong>s principes.<br />
Le blocage institutionnel, sous l’effet<br />
d’une contrainte majeure, n’a pu être levé<br />
que par une procédure concertée <strong>de</strong>s<br />
trois institutions. 9<br />
S<strong>ans</strong> doute a-t-on affirmé que d’autres<br />
démarches alternatives eussent été possib<strong>les</strong><br />
en recourant au seul article 82 <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Constitution.<br />
On a soutenu que <strong>les</strong> ministres ne se<br />
heurtaient à aucune impossibilité matérielle<br />
<strong>de</strong> convoquer immédiatement <strong>les</strong><br />
Chambres, comme l’exige l’article 82 et<br />
qu’il n’y avait pas lieu à appliquer en l’espèce<br />
l’article 79, alinéa 3. 10<br />
D’une part, c’eut été là sous-estimer l’incertitu<strong>de</strong><br />
préappelée <strong>de</strong> <strong>la</strong> solution proposée par cet<br />
article. D’autre part, l’étalement <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise d<strong>ans</strong><br />
le temps conduisait à coup sûr, au pourrissement<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> situation. Avec <strong>la</strong> désignation d’un<br />
Régent, une crise <strong>de</strong> régime al<strong>la</strong>it probablement<br />
s’ouvrir.<br />
9<br />
Ph. LAUVAUX, op cit<br />
10<br />
R. ERGEC, op cit, p.266.<br />
47
Aussi peut-on penser qu’en réagissant<br />
avec une rapidité remarquable, et en<br />
recourant à l’interprétation qu’il a faite <strong>de</strong>s<br />
artic<strong>les</strong> 79 et 82, le gouvernement a maîtrisé<br />
et réduit tous <strong>les</strong> facteurs <strong>de</strong> nature à<br />
provoquer un conflit institutionnel.<br />
Lorsque <strong>les</strong> Chambres se sont réunies, <strong>la</strong><br />
cause même qui avait provoqué l’impossibilité<br />
<strong>de</strong> régner avait disparu. La désignation<br />
d’un Régent n’était plus nécessaire.<br />
Une application stricte et étroite <strong>de</strong><br />
l’article 82 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution aurait donc<br />
abouti à susciter une crise en prétendant<br />
<strong>la</strong> résoudre.<br />
L’interprétation <strong>de</strong>s textes constitutionnels,<br />
retenue par le gouvernement et approuvée par<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux Chambres réunies, est-elle inadmissible?<br />
Qu’il s’agisse d’une interprétation extensive<br />
est difficilement contestable. Mais que<br />
cette extension se situe d<strong>ans</strong> le cadre même<br />
<strong>de</strong>s finalités que le constituant vou<strong>la</strong>it garantir,<br />
ne l’est pas moins.<br />
Les auteurs qui ont donné une interprétation<br />
littérale <strong>de</strong>s textes constitutionnels<br />
n’auraient s<strong>ans</strong> doute pas adopté <strong>la</strong> même<br />
attitu<strong>de</strong> si le gouvernement, d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />
circonstances requérant par hypothèse<br />
une diligence impérieuse, avait agi selon<br />
<strong>les</strong> mêmes voies, parce que le Roi se serait<br />
trouvé, par exemple, à raison d’une opération<br />
chirurgicale urgente, empêché pendant<br />
quelques jours d’exercer ses fonctions.<br />
D<strong>ans</strong> <strong>de</strong> tel<strong>les</strong> occurrences, l’organisation<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> continuité <strong>de</strong> l’Etat aurait pu<br />
résulter, comme ce fut le cas en avril<br />
1990, d’un dialogue préa<strong>la</strong>ble entre le<br />
Roi, parfaitement à même <strong>de</strong> le<br />
poursuivre avant d’entrer en traitement,<br />
et <strong>les</strong> ministres.<br />
Elle aurait justifié le tr<strong>ans</strong>fert momentané<br />
au conseil <strong>de</strong>s ministres ds prérogatives<br />
roya<strong>les</strong>, et ce pendant le temps strictement<br />
nécessaire pour mettre fin à une<br />
impossibilité temporaire <strong>de</strong> régner.<br />
L’hypothèse n’est pas réductible à <strong>la</strong><br />
situation vécue en avril. Mais elle éc<strong>la</strong>ire<br />
mieux <strong>la</strong> portée <strong>de</strong> <strong>la</strong> problématique.<br />
c) La démission du gouvernement<br />
Il ne fait guère <strong>de</strong> doute que lorsqu’un<br />
ministre découvre <strong>la</strong> couronne, il doit présenter<br />
sa démission.<br />
Mais en est-il <strong>de</strong> même lorsque c’est le Roi<br />
qui prend l’initiative <strong>de</strong> provoquer un débat<br />
public <strong>sur</strong> une opinion qui lui est propre et<br />
lorsque c’est le Souverain lui-même qui<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> au gouvernement d’as<strong>sur</strong>er <strong>les</strong><br />
conséquences <strong>de</strong> son abstention?<br />
La démission du gouvernement était s<strong>ans</strong><br />
doute une voie d<strong>ans</strong> <strong>la</strong>quelle, <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n<br />
formel, il eut été possible <strong>de</strong> s’engager.<br />
Mais tout conduit à penser qu’elle eut<br />
approfondi l’impasse.<br />
La démission du gouvernement aurait<br />
entraîné <strong>de</strong>s élections. La personne du<br />
Roi eut été au coeur d’un débat électoral<br />
qui aurait revêtu un caractère plébiscitaire.<br />
Pour préserver <strong>les</strong> institutions, on <strong>les</strong><br />
aurait ainsi profondément dénaturées.<br />
De <strong>sur</strong>croît, <strong>la</strong> <strong>loi</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> dépénalisation<br />
partielle <strong>de</strong> l’interruption volontaire <strong>de</strong><br />
grossesse n’eut bien entendu pas été<br />
sanctionnée. Le refus du Roi aurait été, à<br />
coup sûr, perçu comme l’expression d’un<br />
doit <strong>de</strong> veto. Les débats auraient repris<br />
d<strong>ans</strong> un contexte ambigu. Le crédit <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
monarchie aurait été lié au contenu particulier<br />
d’une <strong>loi</strong>.<br />
Au bout du compte, <strong>la</strong> problématique<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> sanction serait très probablement<br />
revenue <strong>sur</strong> <strong>la</strong> scène politique avec une<br />
insistance exceptionnelle.<br />
On le voit, d’autres solutions, formellement<br />
plus adéquates, auraient détruit ce<br />
qu’el<strong>les</strong> étaient censé protéger.<br />
Un désaccord que l’on prétendait ap<strong>la</strong>nir,<br />
eut été amplifié – ce que chacun vou<strong>la</strong>it<br />
éviter – et un conflit ouvert entre le Roi et<br />
le parlement eut été institutionnalisé.<br />
La solution retenue fut donc <strong>la</strong> plus « économe ».<br />
Elle traita le plus efficacement le ma<strong>la</strong>ise institutionnel<br />
avec l’accord <strong>de</strong>s trois parties intéressées :<br />
le Parlement, le Roi et le gouvernement.<br />
48
Elle a, pour ces diverses raisons, résolu <strong>la</strong><br />
crise s<strong>ans</strong> manquer vraiment aux exigences<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> Charte fondamentale et à coup<br />
sûr, en répondant à sa finalité.<br />
Cette « économie » dérange s<strong>ans</strong> doute<br />
le goût <strong>de</strong>s grands litiges qui ten<strong>de</strong>nt <strong>les</strong><br />
idéologies... et <strong>les</strong> passions...<br />
Peut-être a-t-on perdu une occasion <strong>de</strong><br />
changer d’Etat. Mais personne n’a osé le<br />
proposer, s’il était convaincu <strong>de</strong> le penser.<br />
Personne n’a persisté d<strong>ans</strong> ses dires, s’il<br />
était arrivé, d<strong>ans</strong> le feu <strong>de</strong> l’actualité, <strong>de</strong><br />
<strong>les</strong> affirmer.<br />
10. La solution dégagée n’est acceptable<br />
que d<strong>ans</strong> le contexte d’une crise. Elle ne<br />
peut être réitérée s<strong>ans</strong> difficulté majeure.<br />
Comme nous l’avons relevé, le Roi a commis<br />
une erreur en refusant <strong>de</strong> sanctionner une <strong>loi</strong>.<br />
Celle-ci ne peut être reproduite sous peine <strong>de</strong><br />
tr<strong>ans</strong>former <strong>les</strong> prérogatives roya<strong>les</strong>, d’étendre<br />
au-<strong>de</strong>là du colloque gouvernemental, <strong>la</strong> capacité<br />
d’influence du Roi, <strong>de</strong> l’amener à saisir<br />
l’opinion pour faire pression <strong>sur</strong> le parlement.<br />
Certes, il faut le souligner, le Roi s’est<br />
refusé à toute pression <strong>sur</strong> <strong>les</strong> parlementaires.<br />
Il n’a fait connaître sa décision<br />
qu’après le vote <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Chambres.<br />
Mais le danger d’un recommencement<br />
qui fon<strong>de</strong>rait un droit coutumier à l’objection<br />
<strong>de</strong> conscience est réel. C’est <strong>la</strong><br />
raison pour <strong>la</strong>quelle <strong>de</strong>ux solutions seulement<br />
paraissent possib<strong>les</strong> :<br />
• ou bien le Roi reconnaît, après avoir<br />
reconsidéré le problème, que <strong>la</strong> sanction<br />
d’une <strong>loi</strong> n’engage pas sa responsabilité<br />
et il garantit ainsi que <strong>la</strong> sanction<br />
ne peut justifier d’un refus <strong>de</strong> signature<br />
pour <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong> conscience 11 ;<br />
• ou bien il persiste à affirmer un droit à<br />
l’objection <strong>de</strong> conscience au-<strong>de</strong>là du<br />
prescrit constitutionnel et d<strong>ans</strong> ce cas<br />
une révision est indispensable.<br />
C’est, on peut le penser, <strong>la</strong> conclusion<br />
souhaitée par le chef <strong>de</strong> l’Etat.<br />
Cette déduction se fon<strong>de</strong> <strong>sur</strong> le principe<br />
même <strong>de</strong> sa démarche. Il a reconnu, en<br />
effet, qu’il ne pouvait arrêter le processus<br />
légis<strong>la</strong>tif, même, lorsqu’à titre personnel, il<br />
estimait pouvoir objecter publiquement au<br />
contenu d’une légis<strong>la</strong>tion.<br />
La contradiction qui sous-tend cette démarche<br />
intellectuelle ne peut être supportée<br />
qu’à raison même <strong>de</strong> sa dimension<br />
affective et <strong>de</strong> l’acceptation par le Roi <strong>de</strong><br />
sons remp<strong>la</strong>cement momentané d<strong>ans</strong><br />
l’exercice d’un acte <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction royale.<br />
C’est s<strong>ans</strong> doute parce que <strong>la</strong> réaction<br />
royale a été commandée par <strong>de</strong>s sentiments<br />
<strong>de</strong> sincérité évi<strong>de</strong>nte, par une<br />
conviction profon<strong>de</strong> plus que par une volonté<br />
<strong>de</strong> manipuler l’opinion publique que<br />
<strong>la</strong> crise a pu être dénouée très rapi<strong>de</strong>ment.<br />
Mais <strong>la</strong> crise <strong>de</strong> conscience d’un chef <strong>de</strong><br />
l’Etat retentit directement <strong>sur</strong> l’opinion.<br />
Même s’il ne l’espère pas, elle prend<br />
malgré lui, figure d’une contestation <strong>de</strong><br />
l’ordre politique. Elle crée <strong>de</strong>s camps,<br />
allume ds divisions fondamenta<strong>les</strong>.<br />
Un moment <strong>de</strong> conscience royale a remis tout<br />
un passé sous tension : d’unificatrice, <strong>la</strong> fonction<br />
du chef <strong>de</strong> l’Etat <strong>de</strong>vient source <strong>de</strong> division.<br />
Il n’est dès lors pas possible <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser se<br />
répéter <strong>sur</strong> fond du même malentendu<br />
une situation semb<strong>la</strong>ble à celle qui a<br />
ébranlé <strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments, pourtant soli<strong>de</strong>s,<br />
du régime monarchique.<br />
La répétition d’une objection <strong>de</strong> conscience<br />
royale tr<strong>ans</strong>formerait le refus <strong>de</strong> sanctionner<br />
une <strong>loi</strong> en une sorte <strong>de</strong> droit <strong>de</strong><br />
mise à l’épreuve du parlement.<br />
La représentation nationale pourrait ainsi,<br />
<strong>de</strong> temps en temps, être invitée à dispenser<br />
le Roi <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> ses droits<br />
constitutionnels.<br />
La mise en vigueur <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>loi</strong> ne peut être<br />
affectée par <strong>de</strong> tel<strong>les</strong> conditions, ou par<br />
<strong>de</strong> tel<strong>les</strong> épreuves.<br />
11. Notre démocratie est fondée <strong>sur</strong> le<br />
<strong>la</strong>rge consensus <strong>de</strong> <strong>la</strong> prééminence <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
représentation nationale.<br />
11<br />
Mais <strong>la</strong> concordance d’interprétation permettrait-elle vraiment l’économie d’une réforme?<br />
49
Une conscience royale qui p<strong>la</strong>ne publiquement<br />
<strong>sur</strong> l’oeuvre du parlement, institue<br />
un magistère extérieur qui <strong>sur</strong>plombe<br />
<strong>la</strong> représentation nationale.<br />
Mais en règle, il n’est pas d’instance qui<br />
puisse légitimement arrêter l’expression<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté nationale. Le légis<strong>la</strong>teur<br />
démocratique mo<strong>de</strong>rne n’est limité par<br />
aucun pouvoir spirituel extérieur. Comme<br />
le dit le professeur J. Léauté : « Toute<br />
<strong>la</strong> puissance publique vient du peuple.<br />
Il n’est pas <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>ment d’Idée<br />
ou d’Essence dont celui-ci soit tenu <strong>de</strong>s<br />
respecter <strong>les</strong> exigences. 12<br />
Si <strong>la</strong> Constitution fondait l’usage d’un<br />
droit à l’objection, elle instaurerait une<br />
double légitimité incompatible avec nos<br />
conceptions <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie.<br />
Xavier Mabille et François Jongen ont<br />
souligné fort justement <strong>les</strong> conséquences<br />
<strong>de</strong> l’affirmation publique <strong>de</strong> l’objection <strong>de</strong><br />
conscience royale.<br />
Même si elle ne s’exprime qu’une fois, <strong>la</strong><br />
contestation que le Roi fait d’une <strong>loi</strong>, retentit<br />
<strong>sur</strong> toutes <strong>les</strong> autres qu’il ne dénonce<br />
pas et qu’il légitimise par abstention.<br />
La fonction symbolique du chef <strong>de</strong> l’Etat<br />
serait ainsi dissociée, divisée au sommet.<br />
Un droit reconnu au Souverain d’objecter<br />
publiquement au contenu <strong>de</strong>s <strong>loi</strong>s – par<br />
le refus <strong>de</strong> <strong>les</strong> sanctionner – susciterait<br />
aussitôt <strong>de</strong>s appels au chef <strong>de</strong> l’Etat pour<br />
contester l’oeuvre du légis<strong>la</strong>teur. Ces<br />
interpel<strong>la</strong>tions à <strong>la</strong> « conscience » « politiseraient<br />
» son silence ou condamneraient<br />
sa réserve. Celle-ci enchaînerait le Roi aux<br />
politiques successives <strong>de</strong>s gouvernements<br />
et compromettrait son indépendance morale.<br />
A l’inverse, <strong>les</strong> interventions publiques<br />
du Roi d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> conduite <strong>de</strong>s affaires ou <strong>la</strong><br />
critique éthique <strong>de</strong>s actes du parlement<br />
détruiraient <strong>la</strong> monarchie constitutionnelle.<br />
Ces diverses considérations expliquent que le<br />
Roi, s’il n’est pas couvert par ses ministres, ne<br />
peut s’exprimer qu’à l’intérieur <strong>de</strong> leur conseil<br />
et d<strong>ans</strong> <strong>la</strong> confi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> celui-ci.<br />
La solution gouvernementale ne peut,<br />
dès lors, être admise qu’à raison <strong>de</strong> son<br />
caractère exceptionnel.<br />
Elle ne peut fon<strong>de</strong>r un droit, une coutume<br />
ou un principe. L’incertitu<strong>de</strong> quant à <strong>la</strong><br />
compréhension que le chef <strong>de</strong> l’Etat se<br />
fait <strong>de</strong> son rôle doit donc être levée sous<br />
peine <strong>de</strong> connaître <strong>de</strong> dangereux recommencements.<br />
12. Pour résoudre le litige, le gouvernement<br />
a fait preuve d’une détermination<br />
impressionnante. Il suffit pour s’en<br />
convaincre <strong>de</strong> se poser une interrogation<br />
rétrospective : personne n’eut pensé que<br />
le conseil <strong>de</strong>s ministres eut pu, <strong>sur</strong> un<br />
projet qui le divisait fondamentalement,<br />
traverser l’épreuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise. Mais peutêtre<br />
est-ce cette division même qui rendit<br />
possible <strong>la</strong> solution?<br />
On peut s<strong>ans</strong> doute débattre <strong>de</strong>s mobi<strong>les</strong><br />
ou <strong>de</strong>s intentions. On peut affirmer<br />
que certains ministres ont dû me<strong>sur</strong>er <strong>les</strong><br />
ravages électoraux que leur démission<br />
aurait pu provoquer. Mais on doit admettre<br />
qu’ils ont sauvegardé l’oeuvre difficile<br />
que le Sénat et <strong>la</strong> Chambre avaient,<br />
contre toutes prévisions, conduite à<br />
terme, et qu’ils ont réglé, avec l’accord du<br />
Roi, une situation plus que préoccupante.<br />
Les juristes éminents qui ont contesté <strong>la</strong><br />
solution gouvernementale, l’on fait avec<br />
dignité et compétence.<br />
Mais d<strong>ans</strong> l’opinion, il s’est trouvé <strong>de</strong>s<br />
personnes qui ont mis en doute <strong>la</strong> moralité<br />
<strong>de</strong> ceux qui ont été amenés à résoudre<br />
<strong>la</strong> crise.<br />
La réponse du gouvernement a été dénoncée<br />
comme une basse manoeuvre <strong>de</strong> <strong>sur</strong>vie. La<br />
Constitution aurait été manipulée s<strong>ans</strong> vergogne.<br />
Toute <strong>la</strong> tension, l’angoisse d’une crise<br />
ont ainsi été gommées. Il arrive alors que <strong>la</strong><br />
facilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> contestation détruise <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> critique et que le goût <strong>de</strong> toiser le pouvoir<br />
parasite le jugement.<br />
Je me réjouis <strong>de</strong> ce qu’un magistrat du<br />
12<br />
J. LEAUTE, La notion contemporaine <strong>de</strong> justice en démocratie, in Mé<strong>la</strong>nges Legros, 1985, p.396.<br />
50
Conseil d’Etat ait pu écrire, peu après <strong>les</strong><br />
faits, que <strong>la</strong> solution dégagée par le gouvernement<br />
témoignait d’un sens <strong>de</strong> l’Etat<br />
que l’on rencontre rarement. 13<br />
Cette constatation <strong>de</strong>vrait amener quelques<br />
bons esprits à réviser <strong>les</strong> arguments<br />
et émousser quelques pointes.<br />
L’efficacité et <strong>la</strong> détermination du gouvernement<br />
pourraient même susciter <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
considération. Mais d<strong>ans</strong> une société qui<br />
perd foi en ses institutions publiques, <strong>les</strong><br />
saluts se dissipent d<strong>ans</strong> l’insignifiance, là,<br />
précisément, où nous éteignons le politique.<br />
Article paru d<strong>ans</strong> le Journal <strong>de</strong>s Tribunaux,<br />
109 e année, numéro 5556, 8 septembre<br />
1990, pp. 465-469. Reproduction avec<br />
l’aimable autorisation <strong>de</strong>s Editions Larcier.<br />
13<br />
cf. Le Soir, 19 avril 1990.<br />
51
Edités par le CEDIF, <strong>Centre</strong> <strong>de</strong> Documentation et d’Information <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Fédération <strong>Laïque</strong> <strong>de</strong> <strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning Familial (FLCPF), mai <strong>20</strong>10.<br />
En col<strong>la</strong>boration avec <strong>la</strong> Fédération <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s <strong>de</strong> P<strong>la</strong>nning Familial <strong>de</strong>s Femmes Prévoyantes<br />
Socialistes et le <strong>Centre</strong> d’Action <strong>Laïque</strong>, avec <strong>la</strong> participation du Groupe d’Action <strong>de</strong>s <strong>Centre</strong>s<br />
ExtraHospitaliers Pratiquant l’Avortement et <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong>s Femmes.<br />
Editeur responsable : Jean-Jacques Amy, 34 rue <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tulipe à 1050 Bruxel<strong>les</strong><br />
Avec le soutien du Ministre <strong>de</strong>s Affaires socia<strong>les</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Santé publique, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Communauté française, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Wallonie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Commission communautaire<br />
française <strong>de</strong> <strong>la</strong> Région Bruxel<strong>les</strong>-Capitale