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EDL 407 - avril 2012.indd - Centre d'Action Laïque

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CULTURE<br />

Chante toujours,<br />

ça m’intéresse<br />

© Reporters<br />

Chanter ensemble,<br />

c’est d’abord s’écouter.<br />

Yves Kengen<br />

Rédacteur en chef<br />

Au planning familial de la Senne,<br />

à Bruxelles, l’interculturalité n’est pas<br />

une vue de l’esprit mais une pratique au<br />

quotidien. Et en Gaule comme ailleurs,<br />

si tout finit par des chansons, c’est aussi<br />

avec des chansons que tout commence…<br />

avec une chorale pas comme les autres.<br />

Derrière une belle idée, il y a souvent<br />

une belle personne. Et à l’initiative<br />

de cette chorale interculturelle qui<br />

a vu le jour au planning familial de la<br />

Senne, il y a aussi une belle voix : celle<br />

de Lucy Grauman, chanteuse lyrique<br />

à ses heures et conseillère conjugale<br />

et psychosociale au planning. Il s’agit<br />

d’un petit centre, caractérisé par sa<br />

localisation dans un quartier particulièrement<br />

défavorisé mais au tissu<br />

associatif très dense. Le Samusocial,<br />

le Petit-Château, la Source nichent<br />

à proximité, de même que des restos<br />

sociaux et un foyer d’accueil pour<br />

femmes et enfants.<br />

Chant de là-bas en lingala<br />

La « Chorale des voyageurs » est née<br />

par hasard, une sorte de parthénogenèse.<br />

« Je m’occupais des demandeuses<br />

d’asile de l’église du Béguinage. Nous<br />

accueillions des femmes pour la lessive<br />

et la douche et leur fournissions du<br />

café et du thé, raconte Lucy Grauman.<br />

Puis il y a eu la grève de la faim et elles<br />

n’ont plus pu venir. Sauf une Congolaise<br />

récemment régularisée, qui a travaillé<br />

avec moi. Je lui ai demandé de m’apprendre<br />

une chanson en lingala, puis<br />

proposé de chanter avec moi devant une<br />

poignée d’utilisatrices du centre, qui a<br />

repris la chanson. L’idée m’est donc venue<br />

de former un groupe se réunissant<br />

une fois par semaine pour chanter et enseigner<br />

aux autres un chant de chez elle.<br />

Dans leur langue. Mes collègues et stagiaires<br />

s’y sont jointes. Au départ, en octobre<br />

2009, il n’y avait que des femmes,<br />

de nationalités multiples, ouvertes à la<br />

musique, au rythme. Une chanteuse<br />

berbère professionnelle, Fatoum, s’est<br />

jointe à nous. Elle a été coordinatrice du<br />

centre social du Béguinage. Après un an<br />

de fonctionnement, nous avons ouvert la<br />

chorale aux hommes, pour assurer un<br />

renouvellement. Parce qu’il est difficile<br />

de fidéliser des personnes précarisées,<br />

elles ont d’autres urgences, d’autres<br />

priorités. Venir chanter devient un luxe.<br />

De fil en aiguille, de nouvelles personnes<br />

ont rejoint le groupe et y sont restées.<br />

Un Vietnamien, un Ghanéen, un Marocain…<br />

» Mais aussi des Rwandais, Burundais,<br />

Israéliens, Berbères, Belges,<br />

Irlandais, Sépharades, Bulgares…<br />

La chorale affiche aujourd’hui une<br />

belle mixité de genre, culturelle et sociale.<br />

Des acteurs plus impliqués dans<br />

la vie artistique, ou des bourgeois en<br />

quête de sens, d’une utilité sociale, de<br />

cette atmosphère, s’y sont intégrés. On<br />

rencontre même une dame qui vient<br />

sans chanter, juste pour être là, assister,<br />

vivre ces instants particuliers.<br />

L’accès est libre ; nul ne doit se présenter.<br />

Chacun est bienvenu. Il n’y a aucun<br />

prérequis. Pas de jugement. Les gens<br />

apportent leur chant quand ils y sont<br />

prêts. Cela crée un véritable échange<br />

interculturel. Sur base des chants proposés,<br />

Lucy Grauman propose des arrangements<br />

de voix.<br />

Ivresse du chant<br />

À la réflexion, quel lien logique y<br />

a-t-il entre le chant et la démarche<br />

du planning ? « L’existence de la chorale,<br />

plaide l’animatrice, permet de<br />

positionner le planning comme un<br />

lieu d’accueil, un lieu ouvert. Nul n’est<br />

obligé de se déballer ni d’apporter quoi<br />

que ce soit. Il y a une éthique de respect<br />

des personnes, sans approche administrative<br />

et froide. Le groupe chant est<br />

un lieu où se construisent des liens, où<br />

l’on peut venir sans que cela doive être<br />

justifié. Juste parce que l’on a envie<br />

de chanter. Amener un chant de chez<br />

soi, cela permet à des personnes en<br />

position de vulnérabilité administrative<br />

de revendiquer une dignité, apportant<br />

une richesse, quelque chose<br />

à transmettre, qu’il ou elle va diriger.<br />

Si je propose un accompagnement,<br />

un arrangement, je demande toujours<br />

l’accord de la personne qui a apporté la<br />

chanson. C’est son appropriation. Cela<br />

reste la chanson de Consolata, de Patrick,<br />

de Rachid, de Fatoum. »<br />

Sur un plan purement psychosocial,<br />

l’apport du groupe chant s’avère très<br />

précieux : apprendre une chanson à<br />

quelqu’un d’autre, c’est comme pouvoir<br />

dire un poème, raconter une histoire.<br />

On commence par se la réapprendre<br />

à soi-même, enfouie parfois<br />

depuis l’enfance. C’est déjà un grand<br />

travail sur soi ! Dans l’ensemble, on<br />

est dans une intimité non intrusive ;<br />

les participants rient beaucoup lors<br />

des séances. Le chant induit une<br />

vraie ivresse, celle de la de liberté.<br />

La Chorale des voyageurs a chanté<br />

pour beaucoup d’événements associatifs,<br />

dans des fêtes de quartier,<br />

et notamment lors d’un spectacle à<br />

Saint-Gilles où il a fallu rajouter des<br />

sièges en catastrophe devant le succès<br />

remporté. Une initiative qui a fait<br />

le plein de voix ! <br />

34 | Espace de Libertés <strong>407</strong> | <strong>avril</strong> 2012

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