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EDL 407 - avril 2012.indd - Centre d'Action Laïque

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dossier<br />

Humanisme pratique<br />

et antihumanisme<br />

théorique<br />

Édouard Delruelle<br />

Professeur de philosophie politique - ULg<br />

1 Luc Ferry et Alain Renaut, La pensée<br />

68. Essai sur l’antihumanisme<br />

contemporain, Paris, Gallimard,<br />

1988.<br />

2 Luc Ferry, L’homme-Dieu ou le<br />

sens de la vie, Paris, Grasset,<br />

1996.<br />

3 Louis Althusser, L’avenir dure<br />

longtemps, Saint-Germain-la-<br />

Blanche-Herbe, IMEC, 1992, p. 209.<br />

4 Je me permets de renvoyer à ce<br />

sujet à mon essai L’humanisme,<br />

inutile et incertain ? Une critique des<br />

droits de l’homme, Bruxelles, Labor,<br />

1999.<br />

Comme conscience pratique, la conscience humaniste est<br />

libératrice : elle est l’aiguillon de toute critique politique<br />

des rapports de domination et d’aliénation. Mais comme<br />

conscience théorique, la même conscience humaniste est<br />

mystificatrice : elle érige l’homme en figure de légitimation<br />

des mêmes rapports de domination et d’aliénation. Pour<br />

échapper au piège de l’instrumentalisation idéologique, la<br />

conscience humaniste doit opérer sur elle-même un travail<br />

radical de réflexivité critique.<br />

« Cogito ergo sum » :<br />

Descartes en théoricien<br />

du libre examen.<br />

(Peinture de Frans Hals)<br />

© DR<br />

Dans les années 60, un tel travail a connu un développement<br />

particulièrement intéressant dans la philosophie<br />

française, à l’occasion de ce qu’on a appelé la « querelle<br />

de l’humanisme ». Sous la houlette de Luc Ferry, la philosophie<br />

réactionnaire des années 80 et 90 voudra mettre<br />

un terme à cet antihumanisme critique, jugé intempestif et<br />

démobilisateur 1 , en plaidant pour un « retour » au sujet et<br />

à la conscience, et in fine, à « l’homme-Dieu » 2 . Les protagonistes<br />

de la « querelle de l’humanisme » avaient pourtant<br />

raison de souligner qu’une véritable politique en faveur des<br />

êtres humains passe par la critique de l’homme comme référence<br />

théorique abstraite. Selon la formule de Louis Althusser,<br />

« l’antihumanisme théorique était le seul à autoriser<br />

un réel humanisme pratique » 3 .<br />

L’antihumanisme théorique tient en une proposition simple :<br />

le concept d’homme n’est qu’un avatar de l’idée de Dieu.<br />

L’humanisme est une cryptothéologie reconduisant la<br />

structure de l’idéologie religieuse. Une certaine laïcité<br />

« droit-de-l’hommiste » est donc naïvement complice de ce<br />

qu’elle dénonce 4 .<br />

Un bref survol de l’histoire de la philosophie moderne<br />

confirme cette hypothèse. On fait généralement remonter<br />

à Descartes la première philosophie où la subjectivité humaine<br />

fonde sa capacité à connaître et à agir sur sa seule<br />

conscience (« je pense donc je suis »). Mais le sujet-cogito<br />

s’appuie encore sur Dieu comme garantie ultime. S’il y a<br />

quelque certitude accessible à l’homme, c’est par l’intermédiaire<br />

de Dieu. Chez Kant, par contre, Dieu n’est plus<br />

en position de fondement ; il n’est plus qu’un horizon régulateur,<br />

une Idée qui oriente l’homme dans sa vie pratique.<br />

Cette fois, c’est la morale qui devient le refuge de Dieu.<br />

Chez Hegel, nouvelle révolution : Dieu s’identifie à l’Esprit du<br />

monde qui n’est rien d’autre que le mouvement même de<br />

l’histoire humaine. Dieu est devenu immanent à l’homme.<br />

Feuerbach accomplit un dernier tour de spire en transformant<br />

la théologie en anthropologie, en faisant de l’homme<br />

lui-même un Dieu. L’homme moderne ne serait que le<br />

terme d’un processus d’immanentisation de Dieu amorcé<br />

par le christianisme. Du Dieu-homme à l’homme-Dieu, la<br />

conséquence est la bonne.<br />

C’est Heidegger qui nous a fourni la matrice d’une telle critique<br />

philosophique de l’humanisme. Selon lui, la question<br />

primordiale de la philosophie est la question de l’être, donc<br />

du temps (puisque l’énigme de l’être est le « il y a », l’événement<br />

d’être). Cette question aurait été recouverte, refoulée<br />

par une succession d’étants fondateurs et « atemporels » :<br />

la Nature (Antiquité), Dieu (christianisme), enfin l’Homme<br />

12 | Espace de Libertés <strong>407</strong> | <strong>avril</strong> 2012

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