Les architectes de la fleur : variations sur un thème imposé
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Ainsi, dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième catégorie <strong>de</strong> mutant, il semble<br />
qu’<strong>un</strong>e fonction ait disparu au niveau <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux verticilles<br />
centraux, fonction qui permet en temps normal<br />
<strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s pétales et <strong>de</strong>s étamines. Il s’agit<br />
bien d’<strong>un</strong>e conversion homéotique puisque auc<strong>un</strong><br />
organe n’a disparu mais seule leur i<strong>de</strong>ntité a été modifiée.<br />
Par ailleurs, les mutants <strong>de</strong>s première et troisième<br />
catégories sont symétriques et complémentaires, ce<br />
qui a suggéré l’action <strong>de</strong> facteurs dont les fonctions<br />
sont antagonistes.<br />
Ces observations ont conduit à l’é<strong>la</strong>boration d’<strong>un</strong><br />
modèle impliquant l’action <strong>de</strong> 3 c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> gènes,<br />
nommées A, B et C, qui agissent <strong>de</strong> façon combinée<br />
avec <strong>de</strong>s fonctions distinctes au cours du développement<br />
floral. Leur mo<strong>de</strong> d’action est représenté <strong>sur</strong> <strong>la</strong><br />
figure 1. L’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s sépales est définie par l’action<br />
<strong>de</strong>s gènes <strong>de</strong> catégorie A, celle <strong>de</strong>s pétales nécessite<br />
l’action combinée <strong>de</strong>s gènes A et B, celle <strong>de</strong>s étamines<br />
dépend <strong>de</strong> l’action conjointe <strong>de</strong>s gènes B et C et enfin,<br />
l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s carpelles dépend <strong>de</strong> l’action <strong>de</strong>s gènes <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> catégorie C.<br />
Grâce à <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s récentes, <strong>la</strong> représentation du réseau<br />
d’interactions <strong>de</strong> ces facteurs et <strong>de</strong> leur mo<strong>de</strong> d’action<br />
séquentielle, dans le temps, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> construction <strong>de</strong>s<br />
<strong>fleur</strong>s, commence à être ébauchée. La transition florale<br />
implique <strong>la</strong> transformation d’<strong>un</strong> méristème végétatif<br />
indéterminé, capable en théorie <strong>de</strong> produire <strong>un</strong>e infinité<br />
<strong>de</strong> feuilles et d’entre-nœuds, en méristème floral<br />
déterminé où <strong>la</strong> croissance <strong>de</strong> l’axe s’achève lorsque<br />
<strong>la</strong> <strong>fleur</strong> est construite. Lors <strong>de</strong> cette transition, <strong>un</strong> <strong>de</strong>s<br />
premiers événements est <strong>la</strong> synthèse du facteur AP1<br />
(produit du gène APETALA1 ou AP1) grâce à l’action<br />
directe du facteur FT considéré comme <strong>un</strong> florigène,<br />
<strong>de</strong> façon à initier <strong>la</strong> construction <strong>de</strong>s sépales. De<br />
même, on sait que l’action antagoniste <strong>de</strong> AP1 et <strong>de</strong><br />
AG (produit du gène AGAMOUS ou AG) est due à <strong>un</strong>e<br />
fixation directe <strong>de</strong> <strong>la</strong> protéine AG <strong>sur</strong> le gène AP1 afin<br />
<strong>de</strong> réprimer son expression. Dès les premiers sta<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
l’ontogenèse florale, l’expression <strong>de</strong> AP1 est donc inhibée<br />
dans le centre du méristème floral afin qu’y soient<br />
construits <strong>un</strong>iquement les organes reproducteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>fleur</strong> (Posé et coll. ; 2012).<br />
<strong>Les</strong> approches <strong>de</strong> génétique molécu<strong>la</strong>ire ont ainsi<br />
permis d’é<strong>la</strong>borer <strong>un</strong> modèle simple et élégant afin<br />
d’expliquer comment l’action combinée <strong>de</strong> quelques<br />
gènes permet <strong>de</strong> construire <strong>un</strong>e <strong>fleur</strong> parfaite. Et effectivement,<br />
les mutations simultanées <strong>de</strong> gènes <strong>de</strong>s trois<br />
c<strong>la</strong>sses conduisent logiquement à <strong>la</strong> formation d’<strong>un</strong>e<br />
structure à 4 verticilles mais où chaque type d’organe<br />
est remp<strong>la</strong>cé par <strong>de</strong>s feuilles. Ce résultat confirme <strong>la</strong><br />
théorie du naturaliste allemand Goethe, exposée il y a<br />
<strong>de</strong>ux cents ans dans son ouvrage <strong>sur</strong> <strong>la</strong> métamorphose<br />
<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes, selon <strong>la</strong>quelle les organes floraux sont<br />
<strong>de</strong>s feuilles transformées ayant <strong>un</strong>e même origine <strong>de</strong><br />
développement.<br />
Toujours selon ce modèle, <strong>un</strong>e expression ectopique<br />
<strong>de</strong> ces gènes au sein <strong>de</strong> tissus végétatifs <strong>de</strong>vrait en<br />
théorie résulter en <strong>la</strong> formation d’<strong>un</strong>e structure florale.<br />
Malheureusement, <strong>la</strong> co-expression <strong>de</strong> gènes<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse A et B s’est avérée incapable <strong>de</strong> modifier<br />
l’i<strong>de</strong>ntité d’organes végétatifs. Donc si les gènes ABC<br />
sont nécessaires pour <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>fleur</strong>, ils ne<br />
sont pas suffisants : il est indispensable qu’<strong>un</strong> contexte<br />
« floral » soit préétabli pour qu’ils puissent être efficaces.<br />
C’est dans les années 2000 que le modèle ABC<br />
a pu être complété avec l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s protéines<br />
SEPALLATA (SEP) dont <strong>la</strong> présence dans l’ensemble<br />
<strong>de</strong>s verticilles est nécessaire pour construire les<br />
organes floraux. Il fallut donc ajouter au modèle ABC<br />
les gènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse E dont l’activité combinée permet<br />
<strong>de</strong> déterminer l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s organes floraux (l’activité<br />
D joue <strong>un</strong> rôle dans <strong>la</strong> formation <strong>de</strong>s ovules et elle ne<br />
sera pas traitée ici). Au p<strong>la</strong>n molécu<strong>la</strong>ire, l’association<br />
<strong>de</strong> 4 protéines <strong>de</strong> type SEP, selon les différentes<br />
combinaisons possibles au sein <strong>de</strong> complexes appelés<br />
tétramères, va contrôler le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> chaque verticille.<br />
Ce modèle est représenté <strong>sur</strong> <strong>la</strong> Figure 1. Logiquement<br />
l’expression ectopique 1 <strong>de</strong> ces activités dans <strong>un</strong>e feuille<br />
suffit pour transformer <strong>un</strong>e feuille en pétale ou en étamine<br />
(Honma & Goto ; 2001).<br />
Chez toutes les angiospermes pour lesquelles <strong>la</strong> présence<br />
<strong>de</strong>s gènes ABC a été recherchée, cette catégorie<br />
<strong>de</strong> gènes a été détectée et lorsqu’elles étaient techniquement<br />
possibles, les analyses fonctionnelles ont<br />
révélé <strong>un</strong>e assez bonne conservation <strong>de</strong> leur action au<br />
cours <strong>de</strong> l’ontogenèse florale. Il existe toutefois certaines<br />
<strong>variations</strong>, à l’image <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s,<br />
dues essentiellement à <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> duplications<br />
ou <strong>de</strong> modifications <strong>de</strong>s domaines d’expression <strong>de</strong>s<br />
gènes. Notamment, on assiste aujourd’hui à <strong>un</strong> débat<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> conservation <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction <strong>de</strong> type A. En effet,<br />
le rôle <strong>de</strong> répression <strong>de</strong>s gènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse C par AP1<br />
observé chez A. thaliana ne semble pas être conservé<br />
chez d’autres espèces, et notamment chez A. majus<br />
où, chez <strong>un</strong> mutant dans <strong>un</strong> gène homologue à AP1<br />
(le gène SQUAMOSA), les <strong>fleur</strong>s se développent en<br />
axes inflorescentiels. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’<strong>un</strong>e<br />
conversion homéotique mais d’<strong>un</strong>e véritable modification<br />
du fonctionnement méristématique. De même<br />
chez certains mutants ap1 et ap2 d’A. thaliana, <strong>un</strong>e<br />
conversion <strong>de</strong>s sépales en feuilles ou en bractées peut<br />
être obtenue. Ces observations étayent l’hypothèse<br />
que les gènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction A pourraient être dédiés à<br />
l’i<strong>de</strong>ntité du méristème floral en lui-même plutôt qu’à<br />
<strong>la</strong> formation spécifique du périanthe. D’autant plus que<br />
chez A. thaliana, pléthore <strong>de</strong> facteurs, appartenant<br />
à <strong>de</strong>s familles biochimiques totalement différentes<br />
d’AP1, ont été i<strong>de</strong>ntifiés comme réprimant l’action<br />
d’AG et qui donc pourraient contribuer à <strong>la</strong> fonction<br />
A. Ces facteurs sont peu conservés et parfois même<br />
absents chez certaines espèces. Ainsi, l’idée actuelle<br />
est que <strong>la</strong> fonction initialement dénommée <strong>de</strong> type A<br />
1<br />
Ectopique signifie que par manipu<strong>la</strong>tions molécu<strong>la</strong>ires, on oblige <strong>la</strong> synthèse d’<strong>un</strong>e protéine dans <strong>un</strong> organe, <strong>un</strong> tissu ou bien à <strong>un</strong>e<br />
étape <strong>de</strong> développement inhabituelle.