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'A r c h i m è d e - Espace culture de l'université de Lille 1

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l e s n o u v e l l e s<br />

d<br />

A V R<br />

’ A r c h i m è d e<br />

M A I<br />

JUIN<br />

le journal <strong>culture</strong>l <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong>s Sciences & Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong><br />

d<br />

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# 4 2<br />

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<br />

La géométrie <strong>de</strong>s courbes<br />

Voyage dans le jardin <strong>de</strong>s formes<br />

c<br />

m<br />

/ Au-<strong>de</strong>là du compas Exposition scientifique, conférences / L’enfant en<br />

souffrance Journée d’étu<strong>de</strong>s / Pratiques artistiques Concerts, exposition<br />

/ " sans titre " (chez vous), 2006 Formule Pierre-Rubio/ En mai, fais ce<br />

qu’il te plaît ! Exposition d’art contemporain<br />

2006 « Il est hélas <strong>de</strong>venu évi<strong>de</strong>nt aujourd’hui que notre technologie a dépassé notre humanité. »<br />

Albert Einstein (attribuée à)


LNA#42 / édito<br />

Régression, progression<br />

Nabil EL-HAGGAR<br />

Vice-Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’USTL,<br />

chargé <strong>de</strong> la Culture<br />

De nos jours, il est fréquent <strong>de</strong> lire, d’employer ou d’entendre le terme « régression ».<br />

Les politiques comme les citoyens, <strong>de</strong> tous bords, ne peuvent parler <strong>de</strong> démocratie,<br />

d’économie, d’enseignement, <strong>de</strong> société ou <strong>de</strong> <strong>culture</strong> sans évoquer la régression. Ce<br />

mot est tellement cité qu’il est en voie d’instrumentalisation et se transforme progressivement<br />

en thématique <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>.<br />

À l’évi<strong>de</strong>nce, nous vivons une époque qui fait penser spontanément à ladite régression :<br />

les acquis sociaux sont constamment remis en cause, la paupérisation gagne du terrain,<br />

les citoyens ne sont plus considérés que comme « clients », et le communautarisme<br />

pratiqué est politiquement encouragé. Il est plus que légitime <strong>de</strong> s’interroger sur la<br />

régression quand les Lumières se voient reléguées par certains aux chapitres histoire,<br />

souvenirs et nostalgie, telle une collection d’idées révolue, ou sont utilisées par d’autres<br />

comme une bouée <strong>de</strong> sauvetage – ce qui ne vaut pas mieux – et quand les concepts<br />

fondateurs <strong>de</strong> notre mo<strong>de</strong>rnité sont quotidiennement bafoués.<br />

L’équipe<br />

Nabil EL-HAGGAR<br />

vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’USTL,<br />

chargé <strong>de</strong> la Culture<br />

Delphine POIRETTE<br />

chargée <strong>de</strong> communication<br />

Edith DELBARGE<br />

chargée <strong>de</strong>s éditions et communication<br />

Julien LAPASSET<br />

concepteur graphique et multimédia<br />

Mélanie STIENNE<br />

chargée <strong>de</strong> mission<br />

Mourad SEBBAT<br />

chargé <strong>de</strong>s relations jeunesse/étudiants<br />

Martine DELATTRE<br />

assistante projets étudiants et communication<br />

Geneviève DERONSART<br />

responsable administrative<br />

Johanne WAQUET<br />

secrétaire <strong>de</strong> direction<br />

Michèle DUTHILLIEUX<br />

relations logistique/organisation<br />

Maryse LOOF<br />

assistante administrative<br />

Jacques SIGNABOU<br />

régisseur<br />

Joëlle MAVET<br />

café <strong>culture</strong>l<br />

Il est parfois justifié <strong>de</strong> percevoir la régression dans certains projets ambitieux supposés<br />

engendrer la progression. Je citerai, pour exemple, la proposition <strong>de</strong> la Fondation<br />

pour l’innovation politique <strong>de</strong> créer une université <strong>de</strong> l’Europe à Strasbourg.<br />

Laissant supposer que l’Europe <strong>de</strong> l’enseignement supérieur n’est qu’un espace médiocre,<br />

elle prône, pour y remédier, la création d’une gran<strong>de</strong> université au lieu d’œuvrer<br />

pour un vrai plan européen capable <strong>de</strong> doter les universités <strong>de</strong> moyens pour exceller<br />

et <strong>de</strong> favoriser l’accès <strong>de</strong>s étudiants à l’intelligibilité du mon<strong>de</strong>. Ainsi, on s’imagine<br />

qu’en inventant du « nouveau », on résout les problèmes posés par l’existant. Illusion !<br />

Le dit nouveau n’est en fait que la marque <strong>de</strong> l’incapacité <strong>de</strong> penser et d’analyser les<br />

problèmes et surtout le moyen d’éviter <strong>de</strong> leur apporter <strong>de</strong> vraies solutions.<br />

Au niveau international, la situation n’est guère meilleure : la tentation <strong>de</strong> dominer le<br />

mon<strong>de</strong> prend le pas sur le droit. La confrontation productive <strong>de</strong>s idées entre les peuples<br />

s’amenuise face à l’instrumentalisation politique <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> masses qui,<br />

<strong>de</strong> plus, est très efficace.<br />

Devant tant <strong>de</strong> régression, qu’en est-il <strong>de</strong> la progression ?<br />

L’histoire est-elle le fruit du hasard, ce qui reviendrait à nier le principe d’un sens <strong>de</strong><br />

l’histoire ? Ou est-elle la réalisation téléologique d’un <strong>de</strong>ssein auquel cas elle aurait une<br />

finalité et son sens – régression, progression, stagnation – découlerait d’une volonté.<br />

Kant pense qu’il nous appartient – mieux, qu’il est <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>voir – <strong>de</strong> donner sens à<br />

l’histoire : sa signification sera celle que nous lui attribuerons en vertu <strong>de</strong> notre liberté,<br />

ce qui suppose un engagement actif dans le domaine du droit. Il nous appartient<br />

donc d’agir avec conviction en direction <strong>de</strong> ce que nous voulons être le progrès, cette<br />

notion qui marque la volonté <strong>de</strong>s hommes d’aller vers ce qu’ils considèrent comme un<br />

« mieux ».<br />

2


sommaire / LNA#42<br />

Vooruit / Ghent / 2005<br />

Photos Pierre Rubio © Formule Pierre-Rubio<br />

À noter page 36 :<br />

Formule Pierre-Rubio<br />

Du 3 au 10 mai<br />

L’Enfant<br />

4-5 Lutter contre la déscolarisation <strong>de</strong>s élèves par la déscolarisation <strong>de</strong>s<br />

savoirs : l’exemple berlinois par Marie-Anne Hugon<br />

Rubriques<br />

6-7 Humeurs par Jean-François Rey<br />

8-9 Vivre les sciences, vivre le droit… par Jean-Marie Breuvart<br />

10-11 L’art et la manière par Corinne Melin<br />

12-13 Jeux littéraires par Robert Rapilly<br />

14-15 Repenser la politique par Alain Cambier<br />

16 À lire par Rudolf Bkouche<br />

27-28 Paradoxes par Jean-Paul Delahaye<br />

29-30 Mémoire <strong>de</strong> sciences par Andrea Eberhard-Breard<br />

Dossier spécial : Mathématiques<br />

17 Introduction par Enrico Giusti<br />

18-19 Les beautés mathématiques <strong>de</strong> Leys par Jean-Paul Delahaye<br />

20-21 Les processus <strong>de</strong> formalisation en mathématiques par Marc Rogalski<br />

22-23 Sciences en traduction au début du XX ème siècle par Andrea Eberhard-Breard<br />

24-26 Au-<strong>de</strong>là du compas : 3000 ans <strong>de</strong> dépassement ! par Alain Juhel<br />

Libres propos<br />

31 Qu’est-ce qu’une ville ? par Alain Cambier : entretien avec Marnix Bonnike<br />

32 Art et Internet Les nouvelles figures <strong>de</strong> la création par Jean-Paul Fourmentraux<br />

À noter<br />

33 Journée d’étu<strong>de</strong>s : L’enfant en souffrance<br />

34-35 Exposition : Au-<strong>de</strong>là du compas. La géométrie <strong>de</strong>s courbes<br />

36-37 Formule Pierre-Rubio : " sans titre " (chez vous), 2006<br />

38 Pratiques artistiques : Concerts et exposition<br />

39 Exposition : En mai, fais ce qu’il te plaît !<br />

LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE<br />

Directeur <strong>de</strong> la publication : Hervé BAUSSART<br />

Directeur <strong>de</strong> la rédaction : Nabil EL-HAGGAR<br />

Comité <strong>de</strong> rédaction : Pierre BEHAGUE<br />

Rudolf BKOUCHE<br />

Jean-Marie BREUVART<br />

Alain CAMBIER<br />

Jean-Paul DELAHAYE<br />

Ahmed DJEBBAR<br />

Robert GERGONDEY<br />

Isabelle KUSTOSZ<br />

Bernard MAITTE<br />

Corinne MELIN<br />

Robert RAPILLY<br />

Jean-François REY<br />

Rédaction - Réalisation : Delphine POIRETTE<br />

Edith DELBARGE<br />

Julien LAPASSET<br />

Impression : Dumoulin imprimeur<br />

ISSN : 1254 - 9185<br />

3


LNA#42 / Cycle l'enfant<br />

Lutter contre la déscolarisation <strong>de</strong>s élèves par la<br />

déscolarisation <strong>de</strong>s savoirs : l’exemple berlinois<br />

Par Marie-Anne HUGON<br />

CREF - Secteur « crise, école, terrains sensibles »<br />

Paris X - Sciences <strong>de</strong> l’éducation<br />

1<br />

Rapport du sénateur à la<br />

formation, à la jeunesse<br />

et aux sports, L’année<br />

2002-2003 en chiffres.<br />

Berlin, 2003. Cité par<br />

Böhm I., Borkenhagen<br />

H., Schnei<strong>de</strong>r J. (2004),<br />

« L’apprentissage<br />

productif », Revue<br />

internationale d’éducation,<br />

n° 35, avril 2004, Sèvres.<br />

2<br />

Cf. Böhm I., Schnei<strong>de</strong>r<br />

J. et al., (1996), Apprendre<br />

productivement - un moyen<br />

<strong>de</strong> se former pour les jeunes<br />

en Europe, Schibri-Verlag,<br />

Berlin, p. 37.<br />

La question <strong>de</strong> la marginalisation et du décrochage scolaire d’une fraction <strong>de</strong>s populations <strong>de</strong><br />

jeunes en âge <strong>de</strong> fréquenter l’enseignement secondaire préoccupe aujourd’hui l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

systèmes éducatifs européens, les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> repérage et <strong>de</strong> traitement du phénomène variant bien<br />

évi<strong>de</strong>mment selon les pays et les contextes éducatifs. Même si les réponses locales et nationales<br />

ne sont pas transposables telles quelles, il est néanmoins utile <strong>de</strong> prendre connaissance <strong>de</strong>s expérimentations<br />

dans les pays voisins. A cet égard, les expérimentations conduites actuellement<br />

dans la ville <strong>de</strong> Berlin pour lutter contre l’abandon scolaire peuvent stimuler la réflexion <strong>de</strong> tous<br />

ceux, responsables administratifs, pédagogues et chercheurs qui, en France, travaillent à construire<br />

<strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> prévention et <strong>de</strong> remédiation à l’absentéisme et à l’abandon scolaire au<br />

niveau du collège et du lycée.<br />

Rappelons d’abord dans quel contexte se développe le projet expérimental berlinois « apprentissage<br />

productif <strong>de</strong>s écoles berlinoises » (dit PLEBS). En Allemagne, l’enseignement secondaire<br />

dual est sélectif et les sorties précoces frappent prioritairement les élèves <strong>de</strong> l’école secondaire du<br />

premier cycle. Ainsi, en 2001-2002, à Berlin, 40 % <strong>de</strong>s élèves ont quitté ce type d’établissement<br />

sans diplôme 1 .<br />

Le projet est conduit dans douze écoles secondaires situées dans <strong>de</strong>s quartiers populaires <strong>de</strong> Berlin<br />

et concerne, au niveau <strong>de</strong>s neuvième et dixième classes, <strong>de</strong>s élèves en échec scolaire et en voie <strong>de</strong><br />

déscolarisation, certains d’entre eux étant <strong>de</strong>s absentéistes avérés <strong>de</strong>puis l’école primaire. Le cursus<br />

s’organise autour du noyau central « <strong>de</strong> l’apprentissage productif », c’est-à-dire dans et par la pratique,<br />

au moyen d’expériences en situation réelle dans <strong>de</strong>s champs choisis par les élèves eux-mêmes.<br />

Ces expériences se déroulent au sein <strong>de</strong> petites entreprises, d’organismes à vocation <strong>culture</strong>lle et sociale,<br />

dans <strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> service, mais toujours dans <strong>de</strong>s lieux où les élèves ne sont pas cantonnés<br />

à <strong>de</strong>s travaux auxiliaires ou sans intérêt pour eux. Le premier objectif visé par les responsables<br />

du projet est que les jeunes recouvrent une image positive d’eux-mêmes et se sentent partie prenante<br />

<strong>de</strong> la société tout entière en prenant conscience qu’ils peuvent accomplir quelque chose d’intéressant<br />

et d’utile pour eux-mêmes et leur environnement. Le <strong>de</strong>uxième objectif est que les situations et les<br />

problèmes rencontrés soient l’occasion <strong>de</strong> questionnements et d’apprentissages complexes qui aient<br />

du sens pour ces jeunes 2 . C’est en effet à partir <strong>de</strong> leur réflexion sur les expériences vécues dans les<br />

différents lieux <strong>de</strong> stage qu’ils construisent, en collaboration avec les pédagogues, <strong>de</strong>s programmes<br />

individuels <strong>de</strong> formation ; par ailleurs, les expériences vécues par chacun sont analysées collectivement<br />

au sein du « groupe <strong>de</strong> communication » où sont élaborés également les nouveaux projets<br />

d’expériences à venir. Ainsi, ce sont les apprentissages en milieu réel, à travers l’activité déployée en<br />

stage, qui entraînent l’appropriation <strong>de</strong> nouvelles compétences et connaissances et l’i<strong>de</strong>ntification<br />

<strong>de</strong> nouveaux besoins en formation, selon une logique d’apprentissage en boucle.<br />

D’après les résultats dont on dispose, les résultats obtenus par les écoles engagées dans l’expérimentation<br />

sont probants en matière <strong>de</strong> réduction du décrochage scolaire. Sur l’ensemble <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong><br />

neuvième classe concernés en 2004 (735 élèves), seuls 52 jeunes ont quitté prématurément l’école<br />

mais avec <strong>de</strong>s perspectives professionnelles. L’expérimentation est en voie <strong>de</strong> généralisation à Berlin<br />

et dans différents Län<strong>de</strong>r. On dénombre actuellement une cinquantaine <strong>de</strong> projets scolaires du<br />

même type.<br />

De cette expérience, succinctement rapportée et qu’il ne s’agit en aucune façon <strong>de</strong> considérer<br />

comme un modèle, on peut tirer divers enseignements.<br />

En premier lieu, il apparaît qu’une <strong>de</strong>s réponses pour limiter la désaffection vis-à-vis <strong>de</strong>s institutions<br />

scolaires, ou pour engager les élèves à y retourner, c’est d’envisager une déscolarisation <strong>de</strong>s savoirs.<br />

4


Cycle l'enfant / LNA#42<br />

On apprend partout, à l’école mais aussi dans la ville, dans le travail, dans les activités associatives.<br />

Or, une vision académique <strong>de</strong> l’institution scolaire ignore ces apprentissages ou les considère<br />

comme illégitimes. Sans souscrire à une vision illitchienne d’une société sans école, on peut néanmoins<br />

considérer que le projet berlinois démontre comment l’école peut tirer parti et profit <strong>de</strong> tous<br />

les apprentissages hors <strong>de</strong>s murs. En second lieu, on voit que, dans cette expérience, ce sont les<br />

questionnements suscités par une activité réelle en lien avec le mon<strong>de</strong> réel qui donnent sens aux apprentissages<br />

formels et les organisent. Il faut donc que les pédagogues accor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’attention et <strong>de</strong><br />

la valeur aux interprétations que les élèves donnent <strong>de</strong> leurs expériences et à leurs questionnements.<br />

L’attention <strong>de</strong>s enseignants se concentre prioritairement sur la signification <strong>de</strong>s apprentissages pour<br />

leurs élèves et non sur leur propre activité d’enseignement. D’où un troisième enseignement : la<br />

conduite <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> projet <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que les enseignants soient littéralement <strong>de</strong>s pédagogues,<br />

c’est-à-dire <strong>de</strong>s personnes qui accompagnent les jeunes et les soutiennent dans leur développement<br />

intellectuel et dans leur parcours scolaire sous ses différents aspects. Cette conception du métier est<br />

exigeante : aussi les enseignants participent à un réseau local d’échanges et <strong>de</strong> formation continue<br />

entre les différentes écoles berlinoises, ce réseau étant lui-même en lien avec <strong>de</strong>s expériences analogues<br />

développées en Europe et aux Etats-Unis.<br />

L’apprentissage dit « productif », dans et par la pratique, s’inscrit en effet dans un courant international<br />

<strong>de</strong> pédagogues qui défend cette vision <strong>de</strong>s apprentissages. Elle n’est pas inconnue en France :<br />

différents courants pédagogiques pourraient s’en réclamer ; mais elle est rarement mise en œuvre<br />

<strong>de</strong> façon aussi systématique au niveau <strong>de</strong>s collèges et lycées, y compris dans les dispositifs relais qui<br />

constituent actuellement la principale réponse institutionnelle au décrochage et à l’absentéisme scolaire<br />

en collège. Au niveau <strong>de</strong>s lycées, on citera <strong>de</strong>s écoles alternatives et <strong>de</strong>s essais isolés comme « la<br />

ville pour école », une <strong>de</strong>s structures du pôle innovant du lycée Jean Lurçat à Paris. Mais il n’existe<br />

pas d’expérimentation à gran<strong>de</strong> échelle semblable au projet berlinois. L’expérience berlinoise ouvre<br />

peut-être <strong>de</strong>s pistes à explorer pour ceux qui considèrent que lutter contre le décrochage scolaire<br />

passe aussi par la mise en œuvre <strong>de</strong> pédagogies ajustées.<br />

Éléments <strong>de</strong> bibliographie :<br />

- Böhm I., Borkenhagen H., Schnei<strong>de</strong>r J., (2004), L’apprentissage productif, Revue internationale d’éducation, n° 35, avril 2004. CIEP, Sèvres.<br />

- Böhm I., Schnei<strong>de</strong>r J., (1996), Apprendre productivement. Un moyen <strong>de</strong> se former pour les jeunes en Europe, Schibri-Verlag, Berlin.<br />

- Glasman D., Oeuvrad F., (2004), La déscolarisation, Paris, La Dispute.<br />

- Hugon M-A, (2006), « Les pédagogies nouvelles, quel apport pour l’école d’aujourd’hui ? » in Beillerot J. (†), Mosconi N., (dir.),<br />

Traité <strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong> l’éducation, Dunod.<br />

- Hugon M-A, Schnei<strong>de</strong>r J. (2005), « Améliorer la qualité <strong>de</strong> l’enseignement en France et en Allemagne : regards croisés sur <strong>de</strong>ux<br />

expériences <strong>de</strong> lutte contre le décrochage scolaire », Communication au colloque franco-allemand, L’ école comparée, Université <strong>de</strong><br />

Potsdam, 30 septembre-1 er octobre 2005. Actes en cours <strong>de</strong> publication.<br />

- Hugon M-A, (2003), « À propos <strong>de</strong> trois propositions pour les classes relais et pour le collège en général » in Bautier E., Puyalet J.<br />

(coord.), « Décrochage scolaire et déscolarisation », La nouvelle revue <strong>de</strong> l’AIS, n°24. Suresnes. CNEFEI.<br />

- Hugon M-A, Pain J., (2001), Classes-relais, l’école interpellée, Amiens, CNDP-Crap.<br />

5


LNA#42 / Humeurs<br />

Martin Hei<strong>de</strong>gger est-il un auteur fréquentable ?<br />

Par Jean-François REY<br />

Professeur <strong>de</strong> philosophie à l’IUFM <strong>de</strong> <strong>Lille</strong><br />

1<br />

Paris (2005), éditions<br />

Albin Michel.<br />

Il n’est pas tellement fréquent que les questions les plus académiques soulèvent <strong>de</strong>s controverses<br />

passionnées. Pour le public cultivé, au sens large, c’est-à-dire au-<strong>de</strong>là du cercle <strong>de</strong>s<br />

professeurs et <strong>de</strong>s étudiants <strong>de</strong> philosophie, un émoi est né lorsque le programme 2006 <strong>de</strong><br />

l’agrégation <strong>de</strong> philosophie a été rendu public. Parmi les trois auteurs retenus cette année figure<br />

Martin Hei<strong>de</strong>gger pour trois <strong>de</strong> ses ouvrages traduits en français (dont Etre et Temps). Pourquoi<br />

s’émouvoir <strong>de</strong> celui-ci plutôt que d’un <strong>de</strong>s grands noms <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la philosophie ? La<br />

question <strong>de</strong>s liens <strong>de</strong> Martin Hei<strong>de</strong>gger avec le nazisme est récurrente en France : on y est très<br />

sensible aux révélations successives, aux dénis, aux démentis. Or, il ne s’agit pas seulement <strong>de</strong><br />

Hei<strong>de</strong>gger lui-même. Celui-ci a été important pour Sartre, pour Henry Corbin, mais surtout,<br />

plus près <strong>de</strong> nous, pour Emmanuel Levinas et Jacques Derrida. La réception <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger en<br />

France fait partie <strong>de</strong> l’histoire intellectuelle française <strong>de</strong>puis 1945. En Allemagne, même la<br />

question semble, jusqu’à présent, résolue : Hei<strong>de</strong>gger était compromis, on l’a interdit d’exercer,<br />

ceux qui l’ont combattu étaient <strong>de</strong>s fi gures d’autorité morale et <strong>de</strong> résistance au nazisme. En<br />

France, l’affaire se complique : Hei<strong>de</strong>gger s’y est reconstitué une virginité après la guerre grâce<br />

à Jean Beaufret et à René Char, <strong>de</strong>ux fi gures éminentes <strong>de</strong> la Résistance. René Char fut sans<br />

doute abusé par le traitement hei<strong>de</strong>ggerien <strong>de</strong> la poésie qui mettait sur le même plan Héraclite<br />

et Höl<strong>de</strong>rlin. Plus troublant, pour nous, fut le soutien <strong>de</strong> Jean Beaufret, peu avant sa mort,<br />

au révisionniste Faurisson. L’histoire <strong>de</strong> la philosophie dont la philosophie se nourrit et qui<br />

est, pour la plupart <strong>de</strong>s philosophes professionnels, à la fois un terreau et une filiation, une<br />

<strong>de</strong>tte et un parrici<strong>de</strong>, est rattrapée par l’examen le plus factuel <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger : la<br />

Gesamtausgabe (102 volumes !), les séminaires qui y sont repris, ceux qui n’y figurent pas,<br />

mais aussi la correspondance privée. Le mérite <strong>de</strong> leur mise à disposition du public français<br />

revient à Emmanuel Faye dans son ouvrage : Hei<strong>de</strong>gger, l’ introduction du nazisme dans la philosophie<br />

(Autour <strong>de</strong>s séminaires inédits <strong>de</strong> 1933-1935) 1 .<br />

À l’heure où nous rédigeons ce billet d’humeur, il n’y a pas encore d’écrit consistant en réponse<br />

à cet ouvrage. Nul doute qu’il s’en fourbisse au moins un quelque part… En attendant, la réception<br />

<strong>de</strong> ce livre se dit sur le modèle Freudien <strong>de</strong> « l’argument du chaudron » :<br />

1. Hei<strong>de</strong>gger n’était pas nazi. Ce livre ment.<br />

2. D’ailleurs tout a été dit avant lui.<br />

3. Je n’ai pas lu ce livre.<br />

Or, Hei<strong>de</strong>gger était nazi. Comment va-t-on s’arranger avec cela alors même que, dès 1946-<br />

47, les articles <strong>de</strong> Karl Löwith et d’Eric Weil, parus dans les Temps Mo<strong>de</strong>rnes, avaient, à leur<br />

manière, clos le chapitre honteux du « drui<strong>de</strong> nazi » (Gilles Deleuze) ? Cet engagement politique<br />

précoce et sans aucun repentir ébranle les fon<strong>de</strong>ments mêmes <strong>de</strong> l’œuvre. En entendant<br />

également par « œuvre » ce qui reste inédit en langue française : les 20 volumes <strong>de</strong> cours. Or,<br />

Hei<strong>de</strong>gger a programmé la parution <strong>de</strong> tous ses cours <strong>de</strong> 1933-1934, à une exception près. Du<br />

reste, si l’on s’en tenait à l’œuvre publiée en français, on a lu <strong>de</strong>puis longtemps l’Introduction à<br />

la Métaphysique (1953) où l’auteur réaffi rme la « gran<strong>de</strong>ur du national-socialisme ».<br />

Sur le fond, Hei<strong>de</strong>gger a radicalement repensé la question <strong>de</strong> Kant : « qu’est-ce que l’homme ? ».<br />

Refusant <strong>de</strong> la laisser à l’anthropologie, il l’a remplacée par l’analyse du Dasein (traduction<br />

difficile). L’ontologie recouvre officiellement, défi nitivement et philosophiquement l’anthropologie.<br />

On peut défendre une telle position. Mais l’éclairage d’Etre et Temps (1927), par le contexte,<br />

montre que ce n’est pas si simple. L’anthropologie résiste, notamment lorsque l’on suit les<br />

6


Humeurs / LNA#42<br />

glissements <strong>de</strong> « l’homme » au Dasein, mais aussi, parallèlement, <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> l’homme au<br />

<strong>de</strong>stin du Volk (peuple), puis <strong>de</strong> la Rasse ou Geschlecht (race) ou Stand (souche).<br />

L’historicité du Dasein <strong>de</strong>vient, dans le cours <strong>de</strong> 1934, le <strong>de</strong>stin d’un peuple investi d’une<br />

mission (le peuple allemand), d’une essence différente et supérieure aux groupes humains sans<br />

histoire (« nègres, cafres », désignés aussi par le terme <strong>de</strong> Afen-singes). On pourrait multiplier<br />

les exemples. L’ouvrage d’Emmanuel Faye n’en manque pas. Mais ce qui fait le prix <strong>de</strong> cette<br />

question à nos yeux, c’est le prestige <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger, la radicalité <strong>de</strong> son questionnement tel qu’il<br />

a été entendu par Levinas ou par Derrida. Ce <strong>de</strong>rnier, en 1988, dans une conférence consacrée<br />

à Hei<strong>de</strong>gger (« De l’Esprit »), ne cherchant pas à couvrir celui-ci, mais suivant le cheminement<br />

<strong>de</strong> la métaphysique dans l’œuvre, ose cette thèse : c’est parce qu’il était métaphysicien qu’il est <strong>de</strong>venu<br />

nazi. Dès 1929, il est vrai, Hei<strong>de</strong>gger congédie la phénoménologie : rupture avec le maître<br />

Husserl, pour lequel le disciple, <strong>de</strong>venu recteur <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Fribourg, n’aura aucun geste<br />

<strong>de</strong> solidarité. Penser phénoménologiquement, ce serait, pour nous, revenir à Husserl.<br />

Pourtant, le prestige intimidant <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger subsiste, comme il a subsisté, dans son ambivalence<br />

complète et jusqu’au bout chez Emmanuel Levinas. Celui-ci aura été, toute sa vie durant,<br />

sous la double contrainte <strong>de</strong> « l’ébranlement imprescriptible » que lui procuraient les cours <strong>de</strong><br />

Hei<strong>de</strong>gger (1928/1929) et le « refus catégorique <strong>de</strong> l’oubli » <strong>de</strong> l’engagement nazi. À différentes<br />

occasions, Levinas fit part <strong>de</strong> ses « pressentiments » <strong>de</strong> l’époque. Mais jamais il ne revint sur<br />

le saisissement initial par la radicalité du penseur. Or, le plus important n’est pas là. Levinas<br />

(et d’une certaine manière aussi Derrida) fraye son chemin <strong>de</strong> pensée propre hors <strong>de</strong>s parages<br />

<strong>de</strong> l’ontologie : <strong>de</strong> l’être à l’autre, <strong>de</strong> l’ « il y a » <strong>de</strong> l’être à l’ « autrement qu’être ». Ce chemin,<br />

on ne peut plus l’ignorer. Comme on ne peut pas oublier non plus que Levinas, dès 1934, proposera<br />

une analyse <strong>de</strong> la « philosophie <strong>de</strong> l’hitlérisme ». Il fallait « s’éva<strong>de</strong>r » <strong>de</strong> l’être où nous<br />

sommes rivés via notre corps. Il fallait montrer aussi que la résolution la plus authentiquement<br />

mienne face à ma mort n’était pas le <strong>de</strong>rnier mot <strong>de</strong> l’existence. La conférence que Levinas<br />

prononça en 1988 au même colloque s’appelait « mourir pour ». Non pas mourir pour la communauté,<br />

pour Volk, dans une guerre, mais oser la substitution, le don <strong>de</strong> soi pour l’au-<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> sa propre mort. Levinas aura donc laissé, malgré son ambivalence, une œuvre qui permet<br />

<strong>de</strong> s’affranchir <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger, ne laissant plus qu’à quelques sectateurs le soin d’en perpétuer le<br />

culte à base d’étymologies invérifi ables et <strong>de</strong> runes conceptuelles.<br />

L’engagement <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger dans le nazisme ne fut pas une erreur, une « grosse bêtise » (« eine<br />

grosse Dumheit »), comme le fut, par exemple, l’enrôlement <strong>de</strong> Platon pour Denys le tyran <strong>de</strong><br />

Syracuse. Aujourd’hui, l’enquête la plus factuelle (philologique, sémantique, philosophique) se<br />

poursuit. On dira que les faits ne peuvent être objectés comme <strong>de</strong>s arguments philosophiques.<br />

Mais il faudrait être particulièrement clivé pour ne lire Hei<strong>de</strong>gger que dans les ouvrages publiés<br />

jusqu’ici, en passant sous silence les cours et les séminaires qui atten<strong>de</strong>nt leur traducteur.<br />

Pourtant, que cela ne décourage pas les agrégatifs <strong>de</strong> la session 2006 : bonne lecture et bon vent !<br />

7


LNA#42 / Vivre les sciences, vivre le droit...<br />

À propos du clonage : l’enfance, une espèce<br />

en voie <strong>de</strong> disparition ?<br />

Par Jean-Marie BREUVART<br />

Philosophe<br />

1<br />

Denis Jeambar,<br />

L’homme-Narcisse,<br />

L’Express du 25/02/1999.<br />

2<br />

J.C. Quentel,<br />

L’enfant et la raison,<br />

in Nouvelles d’Archimè<strong>de</strong>,<br />

Janv.-Mars 2006, pp. 4-6.<br />

3<br />

P. Legendre,<br />

L’inestimable objet <strong>de</strong> la<br />

transmission, Fayard, 1985,<br />

p. 74.<br />

4<br />

Dans certains pays<br />

comme l’Angleterre, le<br />

clonage thérapeutique<br />

est déjà autorisé. En<br />

France, rappelons que,<br />

pour le moment, seule est<br />

ouvertement reconnue<br />

une recherche sur les<br />

embryons surnuméraires,<br />

notamment lorsque les<br />

« donateurs » abandonnent<br />

leur projet d’enfant. Selon<br />

le Nouvel Observateur<br />

(article <strong>de</strong> Cécile Dumas<br />

du 7 février 2006), il y<br />

aurait 120 000 embryons<br />

conservés en laboratoire,<br />

dont 45% ne font plus<br />

l’objet d’aucun projet.<br />

D’autre part, un nouveau<br />

protocole, autorisé<br />

par le J.O. du même<br />

jour, laisserait en ce<br />

domaine plus <strong>de</strong> liberté<br />

aux chercheurs, sous le<br />

contrôle <strong>de</strong> l’Agence <strong>de</strong><br />

biomé<strong>de</strong>cine créée à cet<br />

effet en 2004.<br />

Avec les apprentis sorciers <strong>de</strong> la biologie, nous vivons réellement la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Narcisse : le clonage<br />

est un miroir dans lequel nous risquons <strong>de</strong> nous perdre. Comment éviter cette noya<strong>de</strong> ?<br />

Seule la politique, si elle a encore un sens, peut, par <strong>de</strong> nouvelles règles, nous sauver. « Au<br />

secours ! ». 1<br />

Qu’est-ce qu’un enfant ? Question souvent posée aujourd’hui, tant par l’irruption <strong>de</strong> la justice<br />

dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’enfant que par le développement même <strong>de</strong>s techniques qui permettent <strong>de</strong><br />

le « faire ».<br />

L’affaire d’Outreau aura au moins eu le mérite <strong>de</strong> poser la question <strong>de</strong> savoir, non seulement ce<br />

qu’est la justice, mais tout simplement ce qu’est réellement un enfant. On ne peut le considérer<br />

comme un « objet » <strong>de</strong> débats sur la version qu’il donne <strong>de</strong> tel ou tel fait, ni non plus comme<br />

un sujet accompli capable d’une parole régie par le droit. En réalité, comme l’a très bien montré<br />

J.C. Quentel dans le <strong>de</strong>rnier numéro <strong>de</strong> cette même revue 2 , il faut être très nuancé dans la définition<br />

que l’on peut donner <strong>de</strong> l’enfant. C’est déjà un être logique au plein sens du terme, mais il<br />

est encore en apprentissage, pour les tours du langage forgés par l’adulte, et la manière adulte <strong>de</strong><br />

comprendre et <strong>de</strong> vivre le droit. Car c’est toujours le droit <strong>de</strong>s adultes qui précè<strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong><br />

l’enfant, selon cette formule lapidaire <strong>de</strong> P. Legendre : Pour produire <strong>de</strong> l’enfant, il faut produire<br />

<strong>de</strong> l’interdit 3 . C’est le droit qui le précè<strong>de</strong>, et il lui faut apprendre à retrouver par lui-même la place<br />

qu’il occupe dans le réseau juridique dont il provient. Cela suppose <strong>de</strong> sa part tout un apprentissage<br />

pour comprendre le sens <strong>de</strong> sa propre origine, à partir d’un père et d’une mère socialement reconnus.<br />

Tel est sans doute le sens principal <strong>de</strong> l’interdit <strong>de</strong> l’inceste, interdit qui ouvre, on le sait, à la<br />

vie sociale par une rupture profon<strong>de</strong> avec le simple processus biologique.<br />

Or, le développement même <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> reproduction, notamment celle du clonage, pose<br />

précisément la question <strong>de</strong> l’origine, et donc du statut <strong>de</strong> celui qui vit le plus intensément dans<br />

son corps ce rapport à l’origine. C’est en effet en amont qu’il faut poser la question <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong><br />

l’enfant, au moment d’une conception qui résulte habituellement d’une rencontre réelle entre les<br />

personnes qui le créent. Qu’en est-il avec le clonage ? Il semble inévitable que la fameuse distinction<br />

entre clonage « thérapeutique » et clonage « reproductif » vole un jour en éclats 4 . La question sera<br />

alors <strong>de</strong> savoir en quoi l’enfant cloné pourra gar<strong>de</strong>r en lui la mémoire millénaire <strong>de</strong>s pulsions <strong>de</strong> vie<br />

<strong>de</strong> ceux qui l’ont précédé. Certes, il gar<strong>de</strong>ra bien la mémoire <strong>de</strong>s cellules humaines à partir <strong>de</strong>squelles<br />

il aura été cloné, et celle <strong>de</strong> l’utérus <strong>de</strong> la mère porteuse, mais est-ce suffisant ?<br />

On avance parfois l’argument selon lequel le clonage restreindrait les richesses que confère la rencontre<br />

aléatoire d’un ovule et d’un spermatozoï<strong>de</strong>. Certes, mais cela ne change rien à la façon dont<br />

l’enfant doit se développer à partir du « capital » dont il provient. En revanche, il lui importera au<br />

plus haut point <strong>de</strong> renouer avec son origine, et <strong>de</strong> trouver ainsi par lui-même le sens <strong>de</strong> sa propre<br />

i<strong>de</strong>ntité. Et là peuvent apparaître, avec le clonage, <strong>de</strong>s questions quasi insurmontables. En effet,<br />

comment peut-il « com-prendre », c’est-à-dire vivre dans son corps, une évolution biologique dont<br />

l’origine serait à ce point dépendante <strong>de</strong> la technologie humaine, et non plus <strong>de</strong> la seule « nature » ?<br />

Faire <strong>de</strong> l’enfant un produit technologique plutôt qu’une création <strong>de</strong> la nature peut donc conduire à<br />

<strong>de</strong>s difficultés majeures, voire <strong>de</strong>s impossibilités <strong>de</strong> s’inscrire dans le flux vital <strong>de</strong>s animaux auxquels<br />

l’être humain est profondément rattaché par son histoire.<br />

Les inconditionnels du clonage avanceront que cela fait précisément partie <strong>de</strong> l’évolution humaine :<br />

notre société, régie par les sciences et les technologies, nous conduit, non seulement à transformer<br />

la nature, mais à en prendre le relais chaque fois que les sciences nous en offrent l’opportunité. Or,<br />

avec le clonage, cela semble possible.<br />

8


Vivre les sciences, vivre le droit... / LNA#42<br />

Mais alors la question <strong>de</strong> l’enfant rebondit : comment penser précisément le développement harmonieux<br />

du corps <strong>de</strong> l’enfant cloné ? Lui qui <strong>de</strong>vait jusqu’à présent son existence à un processus vital<br />

bien i<strong>de</strong>ntifié, pourrait-il se sentir aussi bien s’il se savait le produit d’une technologie relativement<br />

anonyme ? C’est l’acte même <strong>de</strong> la conception bisexuée qui l’ancre d’ordinaire dans le processus multimillénaire<br />

<strong>de</strong> la vie. Et c’est précisément dans le mouvement même ainsi instauré que, progressivement,<br />

il passera au symbolique pour <strong>de</strong>venir sujet <strong>de</strong> « droit ». Or, le clonage modifie en profon<strong>de</strong>ur<br />

cet enracinement du droit dans la vie. C’est donc ainsi la vie <strong>de</strong> l’enfant qui sera changée, avec <strong>de</strong>s<br />

conséquences actuellement imprévisibles 5 .<br />

5<br />

Cf., sur ce thème, un<br />

article <strong>de</strong> J. Habermas,<br />

Un argument contre le clonage<br />

<strong>de</strong>s êtres humains. Trois répliques,<br />

in F. Hal<strong>de</strong>mann,<br />

H. Poltier, S. Romagnoli,<br />

Le clonage humain, Georg<br />

édit., mai 2005, pp. 165-<br />

172, notamment p. 169.<br />

Il y a plus grave. Jusqu’à présent, on a vécu avec l’idée que la démographie d’un pays démocratique<br />

était gouvernée, <strong>de</strong> façon finalement assez aléatoire, par le désir individuel d’enfant. Or, lorsqu’on<br />

les prend collectivement, les enfants représentent en soi un enjeu <strong>de</strong> société, sous cet angle <strong>de</strong> la<br />

démographie. On pourrait donc imaginer un développement démographique lui-même programmable<br />

à volonté, en fonction <strong>de</strong>s besoins du pays qui met en œuvre ces techniques <strong>de</strong> clonage. Le<br />

temps ne serait alors peut-être plus très loin où chaque pays pourrait ainsi développer à sa guise son<br />

taux démographique, en définissant à l’avance ses besoins en personnes plus ou moins qualifiées, en<br />

vue d’une meilleure excellence dans les relations <strong>de</strong> ce pays aux autres. Il n’est même pas interdit <strong>de</strong><br />

penser que cette politique accentuerait encore le clivage entre pays riches et pays démunis.<br />

Ainsi serait sans aucun doute consacrée une indéniable avancée <strong>de</strong> l’excellence dans la domination<br />

<strong>de</strong> la nature et dans l’organisation scientifique d’une telle domination. Mais en même temps disparaîtrait<br />

la mémoire même <strong>de</strong> vie dont nous provenons.<br />

En fait, la perte <strong>de</strong> mémoire serait alors double :<br />

- Avec le clonage, l’attention <strong>de</strong> l’homme à son origine pourrait être compromise par une perspective<br />

futuriste qui conduit précisément à ne plus tenir compte d’une telle origine. Ce faisant, la<br />

science du clonage ne ferait que s’inscrire dans la dynamique scientifique générale favorisant les<br />

performances à venir sur les productions du passé, aussi vénérables soient-elles. Être homme, cela<br />

signifierait alors inventer indéfiniment <strong>de</strong> nouveaux modèles génétiques.<br />

- Et si l’on se place sur le plan du développement personnel <strong>de</strong> l’enfant, l’enfant cloné risque <strong>de</strong> perdre<br />

ses racines, qui plongent dans toute l’histoire <strong>de</strong> l’aventure humaine, prise dans sa multiplicité<br />

et sa complexité. Non seulement l’enfant serait privé <strong>de</strong> père, mais il serait coupé <strong>de</strong> la famille humaine<br />

dans le prodigieux développement qui a caractérisé celle-ci <strong>de</strong>puis quelques millions d’années.<br />

Peut-être faut-il alors dépasser le concept usuel <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’enfant, bien qu’il soit assurément<br />

essentiel, comme on peut le voir avec l’équipe qu’a animée Claire Brisset 6 . Plus fondamentalement,<br />

ne s’agit-il pas <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’enfance, envisagée comme une espèce à préserver ? Car c’est bien notre<br />

modèle d’enfance qui est mis sens <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>ssous par la question du clonage et la façon dont cette<br />

question est traitée par le droit (d’abord national, faute d’être encore réellement international 7 ). Les<br />

enfants ne pourront réellement <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s sujets du droit que si ce droit d’une enfance générique<br />

conduit à respecter l’articulation entre la parole qui naît <strong>de</strong> leur vie et celle <strong>de</strong>s adultes qui légifèrent<br />

sur eux.<br />

6<br />

Cf. par exemple<br />

son exposé <strong>de</strong>vant la<br />

délégation sénatoriale aux<br />

droits <strong>de</strong>s femmes, le 25<br />

janvier 2006, rappelant<br />

sur divers points très<br />

concrets, et notamment<br />

à propos du procès<br />

d’Outreau, le nécessaire<br />

respect <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong><br />

l’enfant. Rappelons que<br />

ces droits ont été consacrés<br />

par la Convention<br />

internationale <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong><br />

l’enfant <strong>de</strong> l’ONU (1989),<br />

signée par la France en 1990.<br />

7<br />

Cf. en particulier<br />

sur cette question<br />

M. Tardu, Les aspects<br />

juridiques du clonage,<br />

récents développements,<br />

in F. Hal<strong>de</strong>rmann,<br />

H. Poltier, S. Romagnoli,<br />

pp. 173-186.<br />

9


LNA#42 / L'art et la manière<br />

Allan Kaprow, l’art expérimental<br />

Par Corinne MELIN<br />

Historienne d’art contemporain<br />

L’art expérimental est un objet spéculatif par lequel Allan Kaprow propose <strong>de</strong> confondre, par<br />

moments, « art et la vie ordinaire ». « L’idée, dit-il, a le parfum inévitable <strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong><br />

casse-cou. Cela sent la sauvagerie, le trouble, c’est un bon combat… ».<br />

Ala fin <strong>de</strong>s années 50, le contexte artistique est favorable à l’émergence d’un art critique <strong>de</strong><br />

lui-même. Un double mouvement l’anime : 1) le rejet <strong>de</strong> l’art traditionnel, du marché, <strong>de</strong><br />

l’ego <strong>de</strong> l’artiste, <strong>de</strong> la réification <strong>de</strong>s œuvres, <strong>de</strong>s frontières entre les genres <strong>culture</strong>ls et 2) l’affi<br />

rmation d’un désir puissant <strong>de</strong> vie, d’action, <strong>de</strong> plaisir et d’amusement. Fluxus rend compte<br />

<strong>de</strong> ces renonciations et <strong>de</strong> ce souci du jeu dès 1962. Cette tendance internationale n’a ni artistes<br />

fédérateurs, ni style. Elle regroupe <strong>de</strong>s individualités (Dick Higgins, Nam June Paik, etc.) le<br />

temps d’un festival, d’une édition ou autres. Chaque créateur partage une attitu<strong>de</strong> vis-à-vis <strong>de</strong><br />

l’art et <strong>de</strong> ses présupposés et une joie d’expérimenter.<br />

Portrait d’Allan Kaprow, 1980.<br />

Les artistes Fluxus s’inspirent entre autres du happening inventé par Allan Kaprow en 1958.<br />

Lui-même insufflé par le musicien et compositeur John Cage, il est une manifestation collective<br />

sollicitant le public et dans laquelle le processus est roi. Plusieurs événements sans liens<br />

apparents se déroulent dans un même espace-temps. Public, musicien, danseur, plasticien, etc.<br />

se mêlent dans une joyeuse cacophonie pour une durée indéterminée. Pour Kaprow, le happening<br />

(événement en train <strong>de</strong> se faire) se veut une critique du savoir-faire et <strong>de</strong> la permanence<br />

<strong>de</strong> l’œuvre d’art. Il est une forme d’art aléatoire et éphémère, spontané et dépourvu d’intrigue.<br />

Il permet <strong>de</strong> confondre « l’expérience vraie avec l’expérience esthétique » dans le but <strong>de</strong> rendre<br />

cette <strong>de</strong>rnière problématique.<br />

À force <strong>de</strong> distension, le happening est <strong>de</strong>venu un terme flou. Flou, il l’était sans doute dès sa<br />

conception, puisant sa vitalité dans son ouverture constante à l’invention et à la surprise. Très<br />

vite, il n’a plus appartenu à son initiateur. Au cours <strong>de</strong>s années 60, Allan Kaprow qualifie <strong>de</strong><br />

nouveau son activité par l’expression « art expérimental ». Entendons un art dont l’expérience<br />

est le moteur. Expérimenter, c’est, selon lui, imaginer « quelque chose qui n’a jamais été réalisé<br />

auparavant, par une métho<strong>de</strong> jamais utilisée auparavant, dont le résultat serait imprévu ». Il<br />

s’agit <strong>de</strong> sortir du chemin creusé par l’art traditionnel pour découvrir une zone non encore<br />

étiquetée, celle qui se situe entre « art et la vie ordinaire ». L’expérimentateur (plutôt qu’artiste)<br />

renonce volontairement à évoluer sur un terrain balisé pour faire <strong>de</strong> son activité une aventure<br />

créative permanente.<br />

L’expérimentateur ne cultive pas la croyance d’un art dont l’horizon peut être étendu. Le passé<br />

comme instrument <strong>de</strong> mesure ne lui est d’aucun secours. Il cherche à provoquer un événement<br />

dans lequel les références historiques sont absentes temporairement. Il ne cherche pas à réaliser<br />

<strong>de</strong>s objets répondant à <strong>de</strong>s critères esthétiques. Pour l’expérimentateur, l’objet d’art est un<br />

artifice qui nous éloigne <strong>de</strong> la vie. Pour maintenir la relation, les « pratiques <strong>de</strong> composition »<br />

(thème, inscription d’une forme dans l’espace, matériau, etc.) doivent se confondre avec celles<br />

observées dans la vie quotidienne. Cela veut dire que si un chat se lave, mange <strong>de</strong> la nourriture<br />

pour chat et dort sur son coussin (par exemple), c’est toute la composition <strong>de</strong>mandée et toute<br />

la composition dont l’expérimentateur a besoin. Il peut, le temps <strong>de</strong> l’expérience, accentuer<br />

certains aspects <strong>de</strong> cette composition (vivante), les minimiser, etc. Cela évite la distinction<br />

courante dans l’art entre la matière (le médium) et la forme. « L’expérimentateur doit se fi xer<br />

sur <strong>de</strong>s récurrences et <strong>de</strong>s relations, mais ces <strong>de</strong>rnières auront plus à voir avec la régularité du<br />

pouls et <strong>de</strong>s saisons qu’avec l’aspiration à l’artifice et à l’habileté ».<br />

10


L'art et la manière / LNA#42<br />

Ne fait-il qu’imiter la vie ? Il part du principe que penser à la vie, c’est la vie. Quand je pense<br />

à ce que je suis en train <strong>de</strong> faire, je pense à ce que je vis là maintenant. J’ai une idée <strong>de</strong> ce que<br />

je fais. En ce sens, la vie est une idée. « Quelle que soit l’idée – jouer, souffrir ou n’importe<br />

quoi d’autre – elle flotte, hors du temps, dans mes pensées. Mais jouer à la vie sous n’importe<br />

quelle forme arrive en temps réel, moment après moment, et est distinctement physique ». Je<br />

suis fatiguée mais il est trop tôt pour aller me coucher ; alors je prends un café serré. Si je pense<br />

à la vie <strong>de</strong> cette sorte, elle se met à ressembler à mon besoin. Et c’est une autre idée. Il s’offre<br />

à l’expérimentateur une série sans fi n <strong>de</strong> découvertes. Ainsi, « l’art semblable à la vie se joue<br />

quelque part entre l’attention que l’on accor<strong>de</strong> au processus physique et l’attention à l’interprétation.<br />

C’est <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’expérience, et pourtant c’est impalpable ». La vie tout comme l’art<br />

est dans la confusion en ce qui concerne sa défi nition.<br />

Expérience avec une pomme,<br />

séminaire atelier avec l’artiste<br />

Jean-Paul Thibeau, Roubaix,<br />

sept. 2005.<br />

L’art expérimental est un art philosophique plutôt qu’esthétique, un art qui pose l’existence<br />

comme sujet et non <strong>de</strong>s sujets artistiques. L’expérimentateur est « hors du coup », hors du jeu<br />

<strong>de</strong> l’art et <strong>de</strong>s actes qu’il requiert. Il efface l’idée <strong>de</strong> profession en tant que valeur et accepte<br />

seulement ce qui existe.<br />

NB : Pour les amateurs, Jeff Kelley a publié une analyse pertinente <strong>de</strong> l’œuvre d’Allan Kaprow in Childsplay : The Art of Allan Kaprow,<br />

University of California, november 2004.<br />

11


LNA#42 / Jeux littéraires<br />

photo RR<br />

Drames et comédies brefs<br />

dans le petit lavoir<br />

(Bibliothèque Oulipienne<br />

n° 123), Foyer-jardin <strong>de</strong><br />

Paul Fournel, Pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong> Jouet et Salon (BO<br />

n°120), Graal Théâtre<br />

<strong>de</strong> Roubaud et Florence<br />

Delay (Gallimard)… le corpus<br />

oulipien s’enrichit sans<br />

répit <strong>de</strong> nouvelles pages<br />

<strong>de</strong> théâtre. Dernière pièce en date,<br />

au Théâtre Nanterre-Amandiers La<br />

République <strong>de</strong> Mek-Ouyes. JACQUES<br />

JOUET a adapté à la scène l’opiniâtre<br />

et quotidien feuilleton ouï sur France-<br />

Culture et paru chez POL. Dans le rôle<br />

titre, c’est JEAN BENGUIGUI qui incarne<br />

René Pascale-Sylvestre. Fort du contenu<br />

explosif <strong>de</strong> son camion citerne, ce « refusé<br />

» <strong>de</strong> la République française fon<strong>de</strong><br />

unilatéralement une république personnelle<br />

sur un parking autoroutier. Il<br />

y tient en respect le reste du mon<strong>de</strong>, en<br />

haleine son public. Que la grivoiserie<br />

du titre ne vous rebute pas, le feuilleton<br />

dispense du bonheur philosophique,<br />

par l’effet du télescopage d’un Zola<br />

marrant avec un San-Antonio sérieux et<br />

documenté. Jacques Jouet, dont la lyre<br />

rend un son si étrange, nous parle d’une<br />

voix familière, drôle, crépusculaire : parfois<br />

comme l’accent retrouvé <strong>de</strong>s Chants<br />

<strong>de</strong> Maldoror. Lisez la <strong>de</strong>rnière livraison,<br />

Mek-Ouyes amoureux (POL), 700 pages<br />

où l’ultime lutte du personnel <strong>de</strong> Testut<br />

est chroniquée. « Les constructeurs <strong>de</strong> balances<br />

<strong>de</strong> l’usine béthunoise ont lutté, pied<br />

à pied, cou<strong>de</strong> à cou<strong>de</strong> et la main dans la<br />

main, (…) pour que la fermeture <strong>de</strong> leur<br />

usine ne signifie pas, dans la foulée, celle<br />

<strong>de</strong> leur gueule » avertit leur camara<strong>de</strong><br />

Jouet, feuilletoniste, dramaturge, romancier,<br />

voyageur et poète aux sources<br />

d’une œuvre diluvienne.<br />

En février, la Bibliothèque nationale<br />

<strong>de</strong> France accueillait PIÈCES DÉTA-<br />

CHÉES, florilège <strong>de</strong>s pages <strong>de</strong> 13 auteurs<br />

<strong>de</strong> l’OuLiPo. L’enthousiaste lecteur<br />

n’osait espérer si magistrale adaptation.<br />

La mise en scène <strong>de</strong> MICHEL<br />

ABÉCASSIS relève le gant, triomphe à<br />

rendre une immédiate et jubilatoire<br />

lisibilité aux multiples tours d’écriture.<br />

Le public - averti ou non - se<br />

prend à un jeu <strong>de</strong> rats (<strong>de</strong> bibliothèque<br />

s’entend) qui s’éva<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s labyrinthes<br />

littéraires inventés pour la circonstance.<br />

On rit beaucoup, aux larmes<br />

parfois, mais pas seulement. Si les 3<br />

comédiens NICOLAS DANGOISE, PIERRE<br />

OLLIER et OLIVIER SALON affichent une<br />

époustoufl ante virtuosité, surtout ils<br />

la partagent à l’envi. Car ici, c’est la<br />

vierge, la vivace, la belle intelligence <strong>de</strong><br />

l’auditoire qui est convoquée. Et, en<br />

plus d’écouter, on se régale à suivre la<br />

chorégraphie sobre et juste aux nuances<br />

<strong>de</strong> Commedia <strong>de</strong>ll’arte. Les Pièces<br />

détachées seront en novembre à Paris<br />

au Théâtre du Rond-Point… Bientôt à<br />

<strong>Lille</strong> et partout ? Il faut, vite !<br />

THÉÂTRE DE L’ÉVEIL<br />

6, impasse <strong>de</strong>s Vhernes 91120 Palaiseau - teveil@free.fr<br />

Jouer avec la<br />

langue, c’est<br />

sérieux<br />

L A I N Z A L M A N S K I,<br />

A l’un <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong><br />

MATHS ET JEUX d’Hanoï,<br />

d’Aujourd’ hui, d’Hier,<br />

d’Ailleurs (ha ha ! éditions<br />

ADCS, 2005) aime les<br />

calembours, les contrepèteries,<br />

les rébus, les chara<strong>de</strong>s,<br />

les énigmes. Citant<br />

pêle-mêle Victor Hugo,<br />

Charles Cros, A lphonse A llais,<br />

Raymond Queneau, Robert Desnos,<br />

Boris Vian, Georges Perec, mais aussi<br />

Boby Lapointe, Serge Gainsbourg,<br />

Raymond Devos ou Doc Gynéco<br />

parmi les écrivains et poètes experts<br />

en jeux <strong>de</strong> mots, il nous envoie la sagace<br />

introduction à une série <strong>de</strong> jeux<br />

que nous publierons au fur et à mesure<br />

<strong>de</strong> nos numéros.<br />

Dessin <strong>de</strong> Pierre Cornuel<br />

Alain Zalmanski : « Ces auteurs ont<br />

éprouvé le besoin <strong>de</strong> se confronter à la<br />

langue, en particulier sous forme <strong>de</strong><br />

jeu, et pour mieux la dominer. Bien<br />

évi<strong>de</strong>mment, il s’agit <strong>de</strong> la raison d’être<br />

<strong>de</strong>s Oulipiens, (membres <strong>de</strong> l’Ouvroir<br />

<strong>de</strong> littérature potentielle), mais aussi,<br />

lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> systématiser <strong>de</strong>s générations<br />

automatiques <strong>de</strong> textes, <strong>de</strong><br />

l’Alamo (Atelier <strong>de</strong> Littérature Assistée<br />

par la Mathématique et l’Ordinateur),<br />

créé en juillet 1981 par Paul Braffort et<br />

Jacques Roubaud, tous <strong>de</strong>ux membres<br />

<strong>de</strong> l’Oulipo. Comme l’indique Henry<br />

Landroit, professeur belge et grand<br />

défenseur <strong>de</strong> la langue française, les<br />

jeux <strong>de</strong> langue ont un autre avantage :<br />

contrairement à <strong>de</strong> nombreux autres<br />

12


yogo.o, Guillaume Leroux, graphiste<br />

Makonye esiriki anogunun’una ari mumuti wemuhabhurosi<br />

haadye mahabhurosi machena akapfava<br />

azere netsvigiri haagadzire doro<br />

makonye esiriki asinga mhanyi-mhanyi uye akapfava<br />

Jeux littéraires / LNA#42<br />

anodya mashizha achitsenga zvinyoro-nyoro<br />

izvi zvinoita kuti arare asi achiten<strong>de</strong>redza mapen<strong>de</strong>kete<br />

anozvigadzirira <strong>de</strong>n<strong>de</strong>re rakaten<strong>de</strong>rera achimonerera pamapango maviri<br />

kamutsetse keshinda, ochirara aka<strong>de</strong>kara<br />

Pakuruka tinodhonza kashinda kesiriki<br />

togadzirira mukadzi akanaka rokwe<br />

rakanakawo saye raanopfeka nekuriyemura<br />

Zvino panofa mukadzi uyu tinomuviga nesiriki yake<br />

todyara paguva rake, mumwedzi wagumiguru,<br />

muti wemuhabhurosi kusvikira narinhi mumuti uyu makonye esiriki anoramba<br />

achigunun’una.<br />

Les vers à soie <strong>de</strong> Jacques Roubaud<br />

Traduction en SHONA (langue du Zimbabwe) par Gilbert Marahwa<br />

archimédoulipotins par Robert RAPILLY<br />

jeux, ils ne développent pas une réelle compétition entre les<br />

participants. Le plus souvent, il ne s’agit pas en effet <strong>de</strong><br />

gagner, mais bien <strong>de</strong> trouver. »<br />

Voici un <strong>de</strong> ces jeux simples. Solution et nouveau jeu dans notre<br />

prochain numéro.<br />

Les vers holorimes sont <strong>de</strong>s vers qui sont phonétiquement<br />

semblables. On les rencontre sous diverses dénominations,<br />

vers millionnaires, vers homophones, vers holorimes.<br />

Certains ont acquis une célébrité due à leur élégance ou leur<br />

humour :<br />

Gall, amant <strong>de</strong> la reine, alla, tour magnanime,<br />

Galamment <strong>de</strong> l’arène à la tour Magne, à Nîmes. (Marc Monnier)<br />

Dans ces meubles laqués, ri<strong>de</strong>aux et dais moroses<br />

Où, dure, Ève d’efforts sa langue irrite (erreur !)<br />

Ou du rêve <strong>de</strong>s forts alanguis rit (terreur !)<br />

Danse, aime, bleu laquais, ris d’oser <strong>de</strong>s mots roses. (Charles<br />

Cros, in Coffret <strong>de</strong> santal)<br />

Étonnamment monotone et lasse<br />

Est ton âme en mon automne, hélas ! (Louise <strong>de</strong> Vilmorin,<br />

in Alphabet <strong>de</strong>s Aveux)<br />

Par le bois du Djinn où s’entasse <strong>de</strong> l’effroi,<br />

Parle ! Bois du gin ou cent tasses <strong>de</strong> lait froid ! (Alphonse<br />

Allais)<br />

Sans être aussi ambitieux – mais comment taire mes commentaires<br />

? – il est assez aisé <strong>de</strong> composer <strong>de</strong> courtes phrases<br />

homophones :<br />

Les frais <strong>de</strong> chancellerie.<br />

L’effraie <strong>de</strong> Chancel rit.<br />

Lait frais <strong>de</strong> champ céleri.<br />

Les frais <strong>de</strong> chant, sel, riz.<br />

Laid Fred chancelle, rit.<br />

Leffe, rai <strong>de</strong> chance, elle rit.<br />

Exercice - Essayez-vous sur Cet homme est énormément bête.<br />

Vous <strong>de</strong>vriez approcher <strong>de</strong>s huit versions ! A.Z.<br />

actualité <strong>de</strong> la poésie & poésie <strong>de</strong> l’actualité<br />

actualité <strong>de</strong> la poésie & poésie <strong>de</strong> l’actualité<br />

D’ÉLISABETH CHAMONTIN, la plus que parfaite anagrammiste,<br />

8 vers <strong>de</strong> circonstance :<br />

Papa goï à la virile lavallière<br />

Gava l’oie ravie. Il éparpilla là<br />

Le poil paria givré à l’aile, lava,<br />

Leva l’agile appareil à ravioli.<br />

La ville avilie propagea à l’air,<br />

Via l’oie agie, le raplapla viral.<br />

Voilà la paella, ivre plagiaire,<br />

La volaille a la grippe aviaire !<br />

Alain Chevrier a proposé, sur la liste oulipo, une modification<br />

du sonnet en i <strong>de</strong> Mallarmé (Le vierge, le vivace et<br />

le bel aujourd’hui...) pour faire allusion aux cygnes morts<br />

récemment <strong>de</strong> la grippe aviaire en Italie. « Cela m’a donné,<br />

dit GILLES ESPOSITO-FARÈSE, envie d’inoculer véritablement<br />

ce virus au poème. J’ai imposé cinq H et un (seul) N dans<br />

chaque vers du sonnet mallarméen » :<br />

Grippe à vers<br />

Le châtié, chahuté mais charmant aujourd’hui<br />

Cherche à me déchirer par un coup <strong>de</strong> hache ivre<br />

Ce loch rêche lâché que hante chez le givre<br />

L’hyalin champ <strong>de</strong> rochers du schuss macache fui !<br />

Le cygne chleuh d’hier chuchote que c’est lui<br />

Schah hyper-chic mais qui chagriné se délivre<br />

Se fichant <strong>de</strong> hucher la sphère chau<strong>de</strong> où vivre<br />

Lorsque du chiche hiver le hic hargneux a lui<br />

Le haut chef hochera cette hâve agonie<br />

Par chaque éther échue au cher harle qui nie,<br />

Mais hors l’horreur d’humus où chair comme heur sont pris<br />

Ébauche qu’au hameau ce flash à schlich assigne,<br />

Il s’inhibe au haschisch hostile <strong>de</strong> mépris<br />

Tcharchaf <strong>de</strong> l’échappée hélas humble du Cygne.<br />

Gef d’après Stéph5n1 Mallarmé & Ala1n 5hevrier<br />

13


LNA#42 / Repenser la politique<br />

Un quinquennat pourquoi ?<br />

Par Alain CAMBIER<br />

Docteur en philosophie, professeur en classes<br />

préparatoires, Faidherbe - <strong>Lille</strong><br />

1<br />

« Pour qu’on ne puisse<br />

abuser du pouvoir, il faut<br />

que, par la disposition <strong>de</strong>s<br />

choses, le pouvoir arrête le<br />

pouvoir », Montesquieu,<br />

De l’Esprit <strong>de</strong>s lois, XI, 4.<br />

2<br />

Cf. François Mitterrand,<br />

Le coup d’Etat permanent.<br />

Dans un an, le premier quinquennat <strong>de</strong> la V ème République prendra fin. Voulue en 2002 par le<br />

premier ministre <strong>de</strong> l’époque et acceptée du bout <strong>de</strong>s lèvres par le chef <strong>de</strong> l’Etat, cette réforme<br />

institutionnelle prétendait officiellement mettre plus <strong>de</strong> cohérence rationnelle dans l’exercice<br />

du pouvoir politique. Il est vrai que, dans le cadre d’une constitution ménageant peu <strong>de</strong> place<br />

aux contre-pouvoirs, le peuple avait trouvé, <strong>de</strong>puis 1986, le moyen <strong>de</strong> mettre en application à<br />

sa façon le grand principe <strong>de</strong> Montesquieu 1 selon lequel le pouvoir doit arrêter le pouvoir pour<br />

garantir la liberté : faire cohabiter ensemble <strong>de</strong>s forces politiques opposées. Certes, l’expédient<br />

trouvé pouvait présenter <strong>de</strong>s défauts, mais il témoignait également <strong>de</strong> la pru<strong>de</strong>nce du peuple face<br />

à une constitution qui fait la part trop belle au pouvoir <strong>de</strong> la personne censée incarner la république.<br />

Il faut aujourd’hui se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si le remè<strong>de</strong> choisi pour rendre plus efficace l’exercice du<br />

pouvoir n’est pas pire que le mal.<br />

Plutôt que <strong>de</strong> se satisfaire d’une séparation purement formelle <strong>de</strong>s pouvoirs, le peuple avait voulu,<br />

avec la cohabitation, établir un équilibre propice à la détermination <strong>de</strong> l’intérêt général, en jouant<br />

sur la tension entre <strong>de</strong>s puissances contraires au cœur même <strong>de</strong> l’exécutif. Peu soucieux <strong>de</strong> sacrifier<br />

le jeu <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> forces politiques sur l’autel <strong>de</strong> la rationalité abstraite, il rappelait ainsi que la<br />

démocratie n’est autre que l’institutionnalisation du conflit, du débat et du compromis. Car si la<br />

constitution qui régit notre vie politique <strong>de</strong>puis près d’un <strong>de</strong>mi-siècle est censée renforcer l’autorité<br />

<strong>de</strong> la république, elle ne prétend le faire qu’au détriment d’une vie réellement démocratique. La prési<strong>de</strong>ntialisation<br />

outrancière du régime en a fait une sorte <strong>de</strong> monarchie républicaine tiraillée entre un<br />

principe d’abstraction du pouvoir et un autre d’incarnation. Le chef <strong>de</strong> l’Etat y apparaît investi d’une<br />

charge insigne : celle d’être le représentant du corps du peuple, comme si celui-ci ne pouvait attester<br />

sa réalité et faire valoir sa dignité qu’à travers un personnage en surplomb, adoubé par le suffrage<br />

universel. Même les hommes politiques parfois les plus critiques vis-à-vis <strong>de</strong> cette constitution 2 ont<br />

endossé avec délice – une fois élus – les habits <strong>de</strong> la fonction prési<strong>de</strong>ntielle qui leur permettaient <strong>de</strong><br />

confondre si facilement le service <strong>de</strong> l’Etat et celui <strong>de</strong> leur ego. Dès lors, en voulant forcer le pouvoir<br />

prési<strong>de</strong>ntiel à la cohabitation, le peuple semblait commettre un crime <strong>de</strong> lèse-majesté. Il avait le tort<br />

<strong>de</strong> prétendre contrer les prérogatives du chef <strong>de</strong> l’Etat et contrebalancer sa puissance <strong>de</strong> décision.<br />

Pour mettre fin à une telle situation qui leur semblait insupportable, les <strong>de</strong>ux cohabitants <strong>de</strong> l’époque<br />

décidèrent en 2002 – en raison <strong>de</strong> leur intérêt commun <strong>de</strong> candidats potentiels à l’élection prési<strong>de</strong>ntielle<br />

– <strong>de</strong> mettre fin à ce type d’expérience trop « illogique » à leur goût. Plutôt que <strong>de</strong> traiter le problème<br />

à la racine, ils convinrent <strong>de</strong> réduire le septennat à un quinquennat, mais en faisant désormais<br />

<strong>de</strong>s élections législatives un prolongement-croupion <strong>de</strong> l’élection prési<strong>de</strong>ntielle, au point <strong>de</strong> risquer <strong>de</strong><br />

faire <strong>de</strong> l’Assemblée nationale une simple chambre d’enregistrement. La vie démocratique du pays ne<br />

pouvait que s’en trouver affaiblie.<br />

Cette réforme institutionnelle ne porta guère chance à ses initiateurs. L’un fut évincé dès le premier<br />

tour <strong>de</strong> la prési<strong>de</strong>ntielle et se trouva bien marri <strong>de</strong> voir ses ambitions contrariées après avoir pourtant<br />

mis en place la coquille institutionnelle pour les voir se réaliser. Quant à l’autre, il ne semble pas en<br />

mesure aujourd’hui <strong>de</strong> se prévaloir d’un quinquennat glorieux, après avoir pourtant été élu, au second<br />

tour, par une écrasante majorité <strong>de</strong> français désireux <strong>de</strong> faire barrage à l’extrémisme sectaire. Il est vrai<br />

que le gouvernement qui fut nommé était issu uniquement <strong>de</strong> la base étroite <strong>de</strong> son électorat du premier<br />

tour. Car, selon la logique pernicieuse <strong>de</strong> la réforme institutionnelle mise en place, une majorité<br />

elle-même écrasante s’était retrouvée au Parlement, mais exclusivement composée <strong>de</strong> représentants du<br />

seul parti politique qui avait fait campagne au premier tour pour le prési<strong>de</strong>nt candidat. Dès lors, nul<br />

ne s’étonnera que non seulement les décisions économiques prises <strong>de</strong>puis constituent autant <strong>de</strong> gages<br />

donnés au néo-libéralisme, mais que la plupart <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> cette majorité parlementaire<br />

14


Repenser la politique / LNA#42<br />

se livre à une surenchère dans le conservatisme. Ainsi voit-on non seulement remises en question <strong>de</strong>s<br />

conquêtes sociales fondamentales, mais également une dérive dans l’arrogance idéologique. Tels députés<br />

n’hésitent pas à faire du prosélytisme homophobe quitte à se faire condamner par les tribunaux,<br />

tels autres préten<strong>de</strong>nt court-circuiter les autorités compétentes pour dicter eux-mêmes le contenu <strong>de</strong>s<br />

livres scolaires sur le colonialisme, en défiant le Conseil constitutionnel. Les exemples s’accumulent<br />

d’une telle dérive idéologique qui se coupe aussi bien <strong>de</strong>s partisans d’un conservatisme modéré et<br />

humaniste que <strong>de</strong>s gardiens <strong>de</strong> l’orthodoxie gaulliste qui voient resurgir les spectres du pétainisme<br />

et <strong>de</strong>s ex-activistes <strong>de</strong> l’Algérie française… Nous assistons ainsi au retour du refoulé d’une pensée<br />

conservatrice dont les racines dans notre histoire remontent au temps <strong>de</strong> la Restauration. Ces députés<br />

s’emploient à rajeunir les vieilles lunes <strong>de</strong> l’intégrisme politique extrémiste, d’autant que la menace<br />

<strong>de</strong> se voir corrigés par les électeurs se fait moins pressante dès lors qu’ils se sentent à l’abri <strong>de</strong>rrière le<br />

parapluie <strong>de</strong> l’élection prési<strong>de</strong>ntielle : plutôt que d’avoir à répondre <strong>de</strong> leurs propres excès, ils comptent<br />

sur la dynamique que la prochaine élection prési<strong>de</strong>ntielle créera <strong>de</strong> nouveau pour se faire réélire dans<br />

la remorque législative <strong>de</strong> leur candidat.<br />

Les effets pervers <strong>de</strong> la réforme institutionnelle du quinquennat ne font donc que se confirmer et<br />

offrent une illustration parfaite du « paradoxe <strong>de</strong>s conséquences » au sens <strong>de</strong> Max Weber 3 : loin <strong>de</strong><br />

corriger l’excessive prési<strong>de</strong>ntialisation du régime, le raccourcissement du septennat en quinquennat<br />

– dans les formes qui lui ont été données – ne fait qu’aggraver ce travers. Certains ont bien perçu le bénéfice<br />

qu’ils pourraient en tirer et compris que l’alignement <strong>de</strong>s législatives sur l’élection prési<strong>de</strong>ntielle<br />

rend à la limite superflue l’existence d’un chef <strong>de</strong> gouvernement-premier ministre, responsable <strong>de</strong>vant<br />

les députés. Ainsi, une nouvelle étape est aujourd’hui préconisée dans la réforme du quinquennat. Il<br />

s’agirait ni plus ni moins <strong>de</strong> parachever la logique du « monarchisme électif » qui tarau<strong>de</strong> la constitution<br />

<strong>de</strong> la V ème République. C’est en l’occurrence ce que propose l’actuel chef du parti majoritaire au<br />

Parlement et en même temps ministre d’Etat. Pour rendre plus efficace l’exercice du pouvoir politique,<br />

il faudrait un « prési<strong>de</strong>nt-lea<strong>de</strong>r » – pourquoi pas fürher ? – qui gouvernerait directement sans passer<br />

par le biais d’un premier ministre. Alors que ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>meure – en droit – susceptible d’être renversé<br />

par une motion <strong>de</strong> censure, il n’en serait pas <strong>de</strong> même pour un tel prési<strong>de</strong>nt-lea<strong>de</strong>r qui, élu au suffrage<br />

universel, pourrait se targuer d’avoir reçu un blanc-seing <strong>de</strong> la part du peuple. Ainsi, prétendant représenter<br />

le peuple souverain, il pourrait non seulement assumer les fonctions régaliennes <strong>de</strong> l’Etat,<br />

mais s’immiscer à tout propos dans la vie quotidienne <strong>de</strong>s Français, jaugeant le bien-fondé <strong>de</strong> leurs<br />

mœurs, <strong>de</strong> leurs opinions, <strong>de</strong> leurs droits, etc. La tentation <strong>de</strong> doter le pays d’un prési<strong>de</strong>nt boulimique<br />

<strong>de</strong> pouvoir et « touche-à-tout » ne peut rien augurer <strong>de</strong> bon, surtout <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> quelqu’un qui, censé<br />

représenter l’Etat dans toute sa gran<strong>de</strong>ur, est capable en même temps d’user d’un langage inutilement<br />

agressif et injurieux sous prétexte <strong>de</strong> se faire l’écho <strong>de</strong> la France poissar<strong>de</strong>. Requinquer le quinquennat<br />

<strong>de</strong> cette façon ne pourrait conduire qu’à entretenir constamment la confusion <strong>de</strong>s rôles et à remettre<br />

en question la répartition <strong>de</strong>s pouvoirs, en soumettant le législatif et en intimidant le judiciaire. Si<br />

« rupture » il y avait, elle correspondrait à la dénaturation <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong>s institutions républicaines<br />

elles-mêmes et ouvrirait la voie à l’aventure <strong>de</strong> l’opportunisme et du pouvoir personnel.<br />

S’il est vrai que la révolution néo-conservatrice est à l’ordre du jour, son objectif est d’adapter les institutions<br />

étatiques à cette économie mondiale qui, comme le dit Jean Peyreleva<strong>de</strong>, « est aujourd’hui<br />

asservie au désir d’enrichissement <strong>de</strong>s actionnaires et à lui seul » 4 : il s’agit <strong>de</strong> mettre en application<br />

une conception Hobbienne <strong>de</strong> l’Etat, c’est-à-dire un absolutisme consenti qui prendrait la forme d’un<br />

nouveau Léviathan autoritaire et sécuritaire, favorisant l’individualisme possessif le plus débridé 5 . Il<br />

lui faut donc trouver l’homme politique suffisamment décomplexé capable <strong>de</strong> neutraliser tout contrepouvoir,<br />

en jouant sur les peurs. République et démocratie y perdraient au profit d’une démagogie<br />

naviguant entre populisme et peopolisation, suspendue au décisionnisme le plus arbitraire. Si une telle<br />

« rupture » se produit, l’ironie <strong>de</strong> l’histoire est qu’elle aura été favorisée par une réforme institutionnelle<br />

voulue en 2002 par <strong>de</strong>ux apprentis-sorciers fascinés par la logique <strong>de</strong> puissance qui tarau<strong>de</strong> la<br />

constitution <strong>de</strong> la V ème République.<br />

3<br />

Cf. Max Weber, Le<br />

Savant et le politique, II.<br />

4<br />

Jean Peyreleva<strong>de</strong>,<br />

Le Capitalisme total,<br />

éd. du Seuil, 2005.<br />

5<br />

« Le fait <strong>de</strong> convoiter<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s richesses est<br />

honorable, car il signifie<br />

qu’on a le pouvoir <strong>de</strong> les<br />

obtenir… L’honneur<br />

n’est pas affecté par le fait<br />

qu’une action soit juste<br />

ou injuste, l’honneur<br />

consiste uniquement dans<br />

ce qu’on se représente<br />

être la puissance » et<br />

« Le travail humain est<br />

un bien échangeable<br />

en vue d’un profit,<br />

comme n’importe quelle<br />

autre chose », Hobbes,<br />

Léviathan, X & XXIV.<br />

15


LNA#42 / À lire<br />

Curiosités géométriques d’Emile Fourrey 1<br />

Par Rudolf BKOUCHE<br />

Professeur émérite, USTL<br />

Les Curiosités géométriques d’Emile Fourrey ont été<br />

publiées pour la première fois en 1907. L’ouvrage a été<br />

réédité en 1994 avec une préface d’Evelyne Barbin, professeur<br />

d’histoire <strong>de</strong>s mathématiques à l’Université <strong>de</strong><br />

Nantes. Dans un avant-propos, l’auteur explique son<br />

objectif : « Instruire en présentant la science par ses côtés<br />

curieux ». Mais le contenu <strong>de</strong> l’ouvrage va bien au-<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> la simple curio sité, il pré sente une variété <strong>de</strong> problèmes<br />

qui couvrent le champ <strong>de</strong> la géométrie élémen taire<br />

et dont bon nombre ont leur place dans l’enseignement<br />

mathématique d’aujourd’hui.<br />

L<br />

’ouvrage commence par une introduction historique<br />

qui peut apparaître aujourd’hui quelque peu désuète,<br />

non seulement parce que <strong>de</strong> nouvelles décou vertes ont précisé<br />

nos connaissances <strong>de</strong>s temps anciens, mais aussi parce<br />

que les concep tions <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s sciences ont changé<br />

comme l’explique Evelyne Barbin dans la préface qui ouvre<br />

la réédition <strong>de</strong> l’ouvrage.<br />

Le corps <strong>de</strong> l’ouvrage comprend trois chapitres, le premier<br />

porte sur les définitions et les démonstrations géométriques,<br />

le second sur la géométrie <strong>de</strong> la me sure, enfin le troisième<br />

s’intéresse à quelques points particuliers <strong>de</strong> la géométrie.<br />

Le premier chapitre commence par rappeler comment certaines<br />

défi nitions se sont transformées à travers les divers<br />

ouvrages <strong>de</strong> géométrie <strong>de</strong>puis les Eléments d’Eucli<strong>de</strong> jusqu’aux<br />

ouvrages contemporains, ce qui n’est pas sans poser<br />

problème sur la signification <strong>de</strong> ces objets géométriques<br />

dont la permanence se lit à tra vers les changements <strong>de</strong> définition,<br />

ainsi les définitions <strong>de</strong> la droite ou celles <strong>de</strong> l’angle<br />

dont le lecteur pourra méditer la diversité. Suit un florilège<br />

<strong>de</strong> démonstrations du théorème <strong>de</strong> Pythagore qui nous<br />

apprend la richesse d’une figure aussi simple qu’un triangle<br />

rec tangle. Ici, les diverses démonstrations, non seulement<br />

développent <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s différentes, mais nous apprennent<br />

à déchiffrer une figure pour en découvrir les divers<br />

aspects ; c’est le rôle <strong>de</strong> la démonstration que <strong>de</strong> permettre<br />

ce déchiffrage, chacune <strong>de</strong> ces démonstrations ouvrant<br />

une voie différente dans l’in telligence <strong>de</strong> la figure. Après ce<br />

florilège, Fourrey nous propose quelques casse-tête géométriques<br />

qu’il est allé chercher chez divers auteurs anciens<br />

ou mo<strong>de</strong>rnes ; ici encore appa raît cette richesse du déchiffrement<br />

<strong>de</strong>s figures les plus simples qui constitue l’art du<br />

géomètre. Enfin, cette partie sur la démonstration s’achève<br />

sur l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> quelques paralogismes classiques.<br />

La <strong>de</strong>uxième partie est consacrée à la géométrie <strong>de</strong> la mesure.<br />

Un pre mier chapitre traite <strong>de</strong>s instruments <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin et <strong>de</strong><br />

topographie, ce qui nous rap pelle combien la géométrie est<br />

liée à l’art du <strong>de</strong>ssin et <strong>de</strong> la mesure, qu’elle y puise nombre<br />

<strong>de</strong> ses pro blèmes et que la réalisation <strong>de</strong>s instruments<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin et <strong>de</strong> mesure fait appel à la science géomé trique.<br />

Rappelons que l’ouvrage <strong>de</strong> Fourrey se situe dans le mouvement<br />

<strong>de</strong> réforme <strong>de</strong> l’ensei gnement <strong>de</strong>s mathématiques<br />

du début du XX ème siècle, lequel insistait sur les as pects<br />

expérimentaux <strong>de</strong> la géométrie, le <strong>de</strong>ssin géométrique et<br />

la mesure <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs géométriques participant <strong>de</strong> cet<br />

aspect expérimental. Les chapitres suivants portent sur divers<br />

problèmes <strong>de</strong> calculs géo métriques puisant dans l’histoire :<br />

aire <strong>de</strong>s polygones, aire du cercle où l’auteur expose la mesure<br />

du cercle selon Archimè<strong>de</strong>, division <strong>de</strong>s figures planes,<br />

enfin stéréométrie.<br />

La <strong>de</strong>rnière partie nous promène à travers divers problèmes.<br />

D’abord « l’application <strong>de</strong> la géométrie au calcul », où<br />

Fourrey nous rappelle comment représenter gra phi quement<br />

les opérations arithmétiques élémentaires (multiplication,<br />

division, élévation à une puissance, extraction <strong>de</strong> racine<br />

carrée), comment résoudre graphiquement les équa tions<br />

algébriques ainsi que quelques procédés géométriques <strong>de</strong><br />

sommation. Les chapitres suivants sont consacrés à ce que<br />

l’auteur appelle « le jeu du carrelage » (qui n’est autre que<br />

l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> certains pavages du plan), aux alvéoles d’abeilles.<br />

Quant au <strong>de</strong>rnier chapitre, il contient pêle-mêle quelques<br />

démonstrations plus ou moins classiques <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la<br />

géométrie et divers problèmes curieux d’origines diverses.<br />

Tout cela fait parfois désordre, mais la richesse <strong>de</strong>s situations<br />

étudiées nous montre moins une accumulation <strong>de</strong><br />

curiosités qu’un ensemble <strong>de</strong> problèmes qui se relient aux<br />

grands thèmes <strong>de</strong> la géométrie élémentaire.<br />

Un tel ouvrage a toujours sa place dans l’enseignement <strong>de</strong>s<br />

mathématiques d’autant que celui-ci a tendance aujourd’hui<br />

à se cantonner dans le « facile » <strong>de</strong> peur d’effrayer les élèves.<br />

En proposant aux élèves <strong>de</strong> se confronter aux diverses<br />

facettes <strong>de</strong> la géométrie, l’ouvrage permet <strong>de</strong> donner corps<br />

à cette science où s’entremêlent aspects expérimentaux et<br />

aspects théoriques.<br />

1<br />

Réédition augmentée d’une étu<strong>de</strong> d’Evelyne Barbin, Vuibert, Paris,<br />

1907/1994.<br />

16


Dossier :<br />

Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques<br />

Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques / LNA#42<br />

d<br />

h<br />

g<br />

a<br />

Introduction<br />

Par Enrico GIUSTI, Professeur, Université <strong>de</strong> Florence - Italie<br />

L<br />

’exposition « Au-<strong>de</strong>là du compas : La géométrie <strong>de</strong>s<br />

courbes » a été le point <strong>de</strong> départ d’un parcours qui<br />

a abouti à la fondation <strong>de</strong> « Il Giardino di Archime<strong>de</strong> »,<br />

Le Jardin d’Archimè<strong>de</strong>, le premier musée complètement<br />

dédié aux mathématiques et à leurs applications. Réalisée<br />

en 1992 au sein <strong>de</strong> l’École Normale Supérieure <strong>de</strong> Pise<br />

par Franco Conti, malheureusement décédé il y a <strong>de</strong>ux<br />

ans, et Enrico Giusti, elle a été, <strong>de</strong>puis, exposée dans <strong>de</strong><br />

nombreuses villes en Italie et à l’étranger, attirant plus <strong>de</strong><br />

500 000 visiteurs.<br />

À l’origine <strong>de</strong> l’exposition – et <strong>de</strong> l’aventure du musée – nous<br />

nous sommes interrogés : est-il possible <strong>de</strong> communiquer les<br />

mathématiques à un public composé <strong>de</strong> non-spécialistes (et<br />

qui en général, il faut l’avouer, est peu attiré par les mathématiques,<br />

qu’il juge ari<strong>de</strong>s et scolaires) et <strong>de</strong> les présenter<br />

k<br />

d’une manière compréhensible ? La suite <strong>de</strong> notre projet<br />

a montré que la réponse était positive, et qu’il y avait une<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> dans le domaine <strong>de</strong>s mathématiques beaucoup<br />

plus importante qu’on ne l’avait soupçonnée. Mathématiques<br />

non formelles, certes, mais pas dépourvues <strong>de</strong><br />

contenu. Il ne s’agissait pas <strong>de</strong> montrer <strong>de</strong>s objets ou <strong>de</strong>s<br />

phénomènes en disant qu’ils sont décrits par <strong>de</strong>s théories<br />

mathématiques. Notre projet était plus ambitieux que cela :<br />

matérialiser dans <strong>de</strong>s objets physiques les idées et les résultats<br />

les plus importants d’une théorie pour que l’exposition<br />

puisse enrichir les connaissances du visiteur.<br />

Le Jardin d’Archimè<strong>de</strong> a été construit en développant<br />

ce programme en trois directions : l’histoire, le jeu, la vie<br />

quotidienne. D’un côté l’histoire, qui est toujours présente<br />

soit directement, avec <strong>de</strong>s sections complètement bâties sur<br />

<strong>de</strong>s faits historiques, soit comme un tissu qui lie entre eux<br />

<strong>de</strong>s objets et <strong>de</strong>s théories mathématiques, qui ne sont jamais<br />

limitées à la seule actualité, mais qui conservent toujours<br />

l’épaisseur <strong>de</strong> siècles <strong>de</strong> développement. Dans le premier<br />

cas, nous avons <strong>de</strong>s expositions comme celle sur Leonardo<br />

Fibonacci et la science arabe (Un ponte sul Mediterraneo,<br />

Un pont sur la Méditerranée) ou celle sur les mathématiques<br />

et les mathématiciens italiens contemporains (La matematica<br />

in Italia, Les mathématiques en Italie, 1800-1950). Ce<br />

sont <strong>de</strong>ux expositions <strong>de</strong> nature essentiellement historique<br />

qui, néanmoins (en particulier la première), présentent un<br />

e<br />

l<br />

b<br />

c<br />

Il Giardino di Archime<strong>de</strong> - Musée pour les Mathématiques (Florence, Italie)<br />

m<br />

aspect interactif avec les laboratoires sur les instruments et<br />

les métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> calcul médiévaux qui lui sont associés.<br />

Dans le <strong>de</strong>uxième cas, nous avons <strong>de</strong>s expositions, comme<br />

« Pitagora e il suo teorema » (Pythagore et son théorème)<br />

qui peut être appréhendée entièrement au niveau du jeu, en<br />

permettant <strong>de</strong> s’exercer sur les puzzles qui la constituent.<br />

Mais, à un autre niveau, elle conduit le visiteur du théorème<br />

classique <strong>de</strong> Pythagore à la considération <strong>de</strong> figures<br />

semblables, aux lunules d’Hippocrate, aux théorèmes plus<br />

généraux d’Eucli<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Pappus. Les panneaux donnent le<br />

repère historique sur Pythagore et son école.<br />

La troisième exposition, « Au-<strong>de</strong>là du compas », visible à<br />

l’université <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1 du 27 mars au 15 avril, joue entièrement<br />

sur le rapport entre les mathématiques et les objets <strong>de</strong> la<br />

technique et <strong>de</strong> la vie quotidienne. Comme les autres, elle se<br />

prête aussi à <strong>de</strong>s lectures différentes. À un premier niveau, le<br />

visiteur peut simplement actionner les machines et les comparer<br />

avec les objets correspondants. L’étape suivante consiste<br />

à se familiariser avec les objets mathématiques en jeu<br />

(la droite, le cercle, les courbes) et la manière avec laquelle<br />

leurs propriétés déterminent le fonctionnement <strong>de</strong>s mécanismes.<br />

Les panneaux fournissent un repère historique qui<br />

intègre la lecture scientifique et technique <strong>de</strong> l’exposition.<br />

Parallèlement aux expositions, le Jardin d’Archimè<strong>de</strong> propose<br />

<strong>de</strong> nombreuses activités <strong>de</strong> vulgarisation et <strong>de</strong>s laboratoires<br />

dirigés principalement, mais non exclusivement, vers<br />

les enseignants et les étudiants. Le but <strong>de</strong> toutes ces actions<br />

n’est pas d’enseigner les mathématiques, mais plutôt <strong>de</strong> les<br />

rapprocher du grand public et <strong>de</strong> les insérer dans le bagage<br />

<strong>culture</strong>l du citoyen. Dans cet esprit, le Jardin d’Archimè<strong>de</strong><br />

se propose d’être un centre d’éducation permanente au service<br />

<strong>de</strong> l’école et <strong>de</strong> la communauté.<br />

n<br />

17


LNA#42 / Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques<br />

Les beautés mathématiques <strong>de</strong> Leys<br />

Par Jean-Paul DELAHAYE<br />

Professeur à l’Université <strong>de</strong>s Sciences et Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong><br />

Laboratoire d’Informatique Fondamentale <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>, UMR CNRS 8022, Bât. M3<br />

Les mathématiciens disent souvent d’une démonstration<br />

ou d’une théorie qu’elle est belle, voire qu’elle est magnifique.<br />

Pour eux, il est clair qu’une motivation importante<br />

dans leur travail est l’esthétique <strong>de</strong> ce qu’ils découvrent.<br />

Cependant, <strong>de</strong> cette beauté, les non-mathématiciens<br />

n<br />

réussissent<br />

rarement à avoir une idée précise, car l’abstraction<br />

<strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s et la difficulté <strong>de</strong>s techniques créent <strong>de</strong>s<br />

obstacles empêchant la perception directe <strong>de</strong>s « chef-d’œuvres<br />

» produits par la corporation fermée <strong>de</strong> ces ouvriers<br />

<strong>de</strong> l’infini que sont les mathématiciens.<br />

c<br />

f<br />

Plusieurs artistes ont cependant tenté <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins,<br />

<strong>de</strong>s peintures, <strong>de</strong>s sculptures, parfois même <strong>de</strong> la musique<br />

en se fondant sur <strong>de</strong>s idées mathématiques trouvées dans <strong>de</strong>s textes<br />

spécialisés parfois difficiles. m Tout le mon<strong>de</strong> connaît les fractals<br />

qui ont donné lieu à <strong>de</strong>s milliers d’affiches, <strong>de</strong> couvertures<br />

<strong>de</strong> livres, <strong>de</strong> disques, d’images <strong>de</strong> films,<br />

etc. On connaît aussi la musique <strong>de</strong> Tom<br />

Johnson qui compose ses morceaux en<br />

exploitant la liste <strong>de</strong>s nombres premiers,<br />

le triangle <strong>de</strong> Pascal, les morphismes <strong>de</strong><br />

mots et toutes sortes <strong>de</strong> structures directement<br />

piochées dans les livres d’algèbre<br />

et d’arithmétique. On connaît aussi le<br />

graveur Maurits Escher qui appuie nombre<br />

<strong>de</strong> ses œuvres sur <strong>de</strong>s objets géométriques<br />

complexes (ruban <strong>de</strong> Moebius, plan<br />

hyperbolique, pavages du plan, etc.).<br />

Moins connu aujourd’hui, car produisant<br />

son travail <strong>de</strong>puis peu <strong>de</strong> temps,<br />

l’artiste Anversois Jos Leys propose un<br />

ensemble inouï d’images basées sur<br />

<strong>de</strong>s structures mathématiques qui coupent le souffle par leur<br />

beauté épurée. Ses œuvres, qui volontairement restent géométriques<br />

et ne tentent pas d’imiter le réel, ne sont pourtant pas<br />

<strong>de</strong> simples structures mathématiques transformées en images ;<br />

ce sont <strong>de</strong>s constructions longuement et soigneusement mises<br />

au point, guidées par une exigence d’équilibre que seuls un<br />

patient travail et une gran<strong>de</strong> expérience ren<strong>de</strong>nt possibles.<br />

Artiste du XXI ème siècle, Jos Leys utilise doublement l’ordinateur.<br />

D’abord, il s’en sert pour construire ses images qui sont<br />

ce qu’on appelle <strong>de</strong>s images numériques (on dit aussi images<br />

<strong>de</strong> synthèse). Ensuite, il l’utilise par le biais d’Internet pour y<br />

exposer son travail : allez voir ses pages, elles vous feront voyager<br />

dans ce mon<strong>de</strong> imaginaire que Jos Leys construit et visite<br />

consciencieusement en en prenant <strong>de</strong>s photos par centaines :<br />

http://www.josleys.com/in<strong>de</strong>x2.html<br />

Il faut insister sur le fait que l’utilisation d’un ordinateur ne<br />

signifie pas que l’artiste n’a plus rien à faire. Bien au contraire,<br />

il doit maîtriser la complexité <strong>de</strong>s possibilités que<br />

son logiciel propose et, dans le cas <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong> Jos Leys,<br />

il lui faut patiemment traduire en équations les structures<br />

mathématiques auxquelles il pense, ce qui le conduit à écrire<br />

<strong>de</strong> longues pages <strong>de</strong> programmes. L’artiste n’a plus un<br />

pinceau à la main, mais un clavier sous les doigts. Le savoirfaire<br />

et la maîtrise technique exigés sont d’une autre nature,<br />

mais en rien inférieurs. L’imagination n’est pas bridée par<br />

l’ordinateur (comme certains le croient naïvement) mais au<br />

contraire libérée, démultipliée. Bien <strong>de</strong>s figures qu’il serait<br />

impossible <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner à la main <strong>de</strong>viennent envisageables,<br />

l’ordinateur est un outil. Une combinatoire inimaginable<br />

<strong>de</strong> formes, <strong>de</strong> dispositions géométriques <strong>de</strong>s points et <strong>de</strong>s<br />

objets, <strong>de</strong> perspectives, <strong>de</strong> couleurs et <strong>de</strong> lumières, qui sans<br />

ordinateurs ne pourrait être ni pensée,<br />

ni regardée, est à la portée <strong>de</strong> l’artiste<br />

qui cependant gar<strong>de</strong> le <strong>de</strong>rnier mot<br />

et reste le seul créateur dans ce processus<br />

nouveau <strong>de</strong> peinture numérique.<br />

L’ordinateur libère la créativité du mathématicien,<br />

et, en l’autorisant à aller<br />

se promener dans <strong>de</strong>s territoires abstraits<br />

inexploités, lui permet <strong>de</strong> produire<br />

<strong>de</strong>s splen<strong>de</strong>urs invraisemblables.<br />

Jos Leys n’est pas le seul visiteur <strong>de</strong><br />

l’abstrait mathématique, mais la manière<br />

obsessionnelle et systématique<br />

Hyp202 dont il poursuit son projet fait <strong>de</strong> son<br />

œuvre une réussite singulière, sans équivalent dans le domaine<br />

<strong>de</strong> l’art numérique.<br />

On trouvera dans les pages <strong>de</strong> cet article quelques-unes <strong>de</strong>s œuvres<br />

<strong>de</strong> Jos Leys qu’il nous a gracieusement autorisé à reproduire ici.<br />

Je les présente en indiquant pour chacune quelques détails sur<br />

les idées mathématiques qui en déterminent la forme ou qui<br />

servent <strong>de</strong> prétexte à la création artistique.<br />

L’œuvre Hyp202 est basée sur la représentation d’un plan<br />

hyperbolique couvert par un pavage régulier. Rappelons que<br />

ce plan est entièrement resserré dans un disque et que les<br />

objets qui y sont représentés comme diminuant <strong>de</strong> taille<br />

lorsque l’on s’approche du bord, pour un habitant du plan<br />

hyperbolique, gar<strong>de</strong>nt la même taille. Les différents décagones<br />

qui apparaissent dans le <strong>de</strong>ssin sont superposables pour le<br />

18


Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques / LNA#42<br />

Indra311A<br />

Bolinv115A<br />

Cpack048<br />

géomètre hyperbolique.<br />

Le pavage régulier du<br />

plan par <strong>de</strong>s décagones<br />

n’a aucun équivalent<br />

dans notre plan euclidien<br />

(où les seuls pavages par<br />

<strong>de</strong>s polygones réguliers<br />

sont ceux obtenus avec <strong>de</strong>s<br />

triangles équilatéraux, <strong>de</strong>s<br />

carrés ou <strong>de</strong>s hexagones).<br />

Dans le plan hyperbolique,<br />

les droites sont ce que<br />

nous voyons comme <strong>de</strong>s<br />

cercles coupant orthogonalement<br />

le bord du disque<br />

limite ; par un point<br />

donné passe une infinité<br />

<strong>de</strong> droites différentes parallèles<br />

à une droite donnée.<br />

Le plan hyperbolique<br />

permet <strong>de</strong> visualiser et <strong>de</strong><br />

comprendre les géométries<br />

non-euclidiennes qui<br />

révolutionnèrent la géométrie<br />

au XIX ème siècle.<br />

Indra311A est une forme<br />

tirée <strong>de</strong> travaux mathématiques<br />

récents publiés<br />

dans un livre <strong>de</strong> David<br />

Munford, Caroline Series<br />

et David Wright. Ce<br />

livre a donné une forme<br />

visualisable aux idées<br />

du mathématicien Felix<br />

Klein. On remarquera<br />

qu’il s’agit d’une véritable<br />

sculpture, dont il est sans<br />

doute possible <strong>de</strong> réaliser<br />

une version soli<strong>de</strong> réelle.<br />

Qui tentera le défi ?<br />

Bolinv115A est une construction<br />

obtenue en partant<br />

<strong>de</strong> quelques sphères,<br />

puis en leur faisant subir <strong>de</strong>s<br />

inversions, ce qui donne<br />

<strong>de</strong> nouvelles sphères auxquelles<br />

on fait alors subir<br />

Bolspir049A<br />

<strong>de</strong> nouvelles inversions, etc. En choisissant adroitement les<br />

inversions successives, on crée un amoncellement harmonieux<br />

<strong>de</strong>s perles. Une pratique raisonnée et minutieuse <strong>de</strong> ce jeu,<br />

<strong>de</strong>s centaines d’essais et une sélection intransigeante <strong>de</strong>s images<br />

les plus réussies finissent par produire<br />

ce type <strong>de</strong> merveilles.<br />

Cpack048 est une construction obtenue<br />

en tapissant une surface avec<br />

<strong>de</strong>s sphères se touchant les unes les<br />

autres : chaque sphère en touche six<br />

autres, ce qui impose certaines relations<br />

entre les rayons <strong>de</strong>s sphères que<br />

Jos Leys a étudiées et dont il a acquis<br />

la maîtrise. Le résultat est cette<br />

sculpture d’une beauté fascinante.<br />

Cette image n’est qu’un exemple <strong>de</strong>s<br />

assemblages serrés <strong>de</strong> boules que l’artiste<br />

ajuste avec doigté et précision,<br />

et qui constituent autant d’inventions<br />

nouvelles <strong>de</strong> formes que jamais<br />

personne n’avait envisagées avant<br />

qu’il nous les montre.<br />

Le domaine <strong>de</strong>s surfaces est pour<br />

Leys un terrain d’expérimentation<br />

où son art consommé <strong>de</strong> la mise en<br />

place produit <strong>de</strong>s joyaux géométriques.<br />

Les surfaces utilisées pour les<br />

images retenues ici sont toutes assez<br />

classiques. Parmi elles, il y a la bouteille<br />

<strong>de</strong> Klein (Bolspir049A) qui est<br />

une surface <strong>de</strong> taille bornée et sans<br />

bord (comme la sphère) mais n’ayant<br />

ni intérieur ni extérieur.<br />

La figure Doyle023S<br />

est un arrangement<br />

subtil <strong>de</strong> disques tangents<br />

(chaque disque<br />

est tangent à six autres)<br />

et dont l’ensemble infini<br />

<strong>de</strong>ssine une spirale<br />

appelée « spirale <strong>de</strong><br />

Doyle ».<br />

Pour terminer admirons Escher016N qui est un hommage<br />

rendu à Escher. On le sait, ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>ssinait d’étranges<br />

pavages dont les formes – souvent <strong>de</strong> petits animaux ou <strong>de</strong><br />

petits personnages – s’emboîtent parfaitement les unes dans<br />

les autres. Ici, Jos Leys a utilisé un pavage <strong>de</strong>ssiné par Escher,<br />

mais l’a disposé dans une figure (exploitant les spirales<br />

<strong>de</strong> Doyle) qui comporte <strong>de</strong>ux points centraux, qui sont<br />

comme <strong>de</strong>ux puis infinis où le pavage s’enfonce comme s’il<br />

y était aspiré.<br />

Doyle023S<br />

Bolspir071<br />

Bolspir129<br />

Escher016N<br />

19


LNA#42 / Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques<br />

Les processus <strong>de</strong> formalisation en mathématiques<br />

Par Marc ROGALSKI<br />

Professeur <strong>de</strong> mathématiques,<br />

Université <strong>de</strong>s Sciences et Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong><br />

Je me propose d’essayer d’analyser dans ce texte quelques<br />

formes que prennent en mathématiques les processus <strong>de</strong><br />

formalisation, concrètement, aussi bien pour <strong>de</strong>s problèmes<br />

ayant eu une dimension historique que pour les<br />

« mathématiques <strong>de</strong> tous les jours ».<br />

Introduction<br />

Le point <strong>de</strong> départ est la prise en compte, en didactique,<br />

<strong>de</strong>s pratiques expertes <strong>de</strong>s mathématiciens<br />

comme l’évoque Aline Robert dans son cours à la 9 e école<br />

d’été <strong>de</strong> didactique <strong>de</strong>s mathématiques (1997). J’entends<br />

par pratiques expertes aussi bien celles qu’on a pu constater<br />

dans l’histoire que celles qui sont à l’œuvre dans l’activité<br />

<strong>de</strong> tous les jours <strong>de</strong>s mathématiciens contemporains : la résolution<br />

<strong>de</strong> problèmes.<br />

Ces pratiques expertes sont évi<strong>de</strong>mment extrêmement<br />

variées, trop nombreuses pour les analyser toutes ici ;<br />

et elles évolueront encore dans l’avenir. Je ne m’intéresse<br />

donc ici qu’à celles qui relèvent <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> formalisation.<br />

Non pas parce que ce sont les plus efficaces (bien que<br />

cela soit vraisemblablement le cas pour bien <strong>de</strong>s problèmes),<br />

mais parce qu’elles semblent constituer un trait marquant<br />

<strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong>s mathématiques, et être une pratique très<br />

fréquente chez les mathématiciens contemporains.<br />

Pour faire bref, j’ai envie <strong>de</strong> dire que la formalisation<br />

est une activité extraordinairement productrice, au<br />

cours <strong>de</strong> l’histoire comme dans l’activité quotidienne <strong>de</strong>s<br />

mathématiciens, qui permet une meilleure compréhension <strong>de</strong>s<br />

mathématiques et une économie importante dans le travail<br />

<strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> problèmes, en particulier parce qu’elle est<br />

liée à une activité réflexive <strong>de</strong>s mathématiciens.<br />

Cette activité <strong>de</strong> formalisation prend <strong>de</strong>s formes<br />

diverses, évi<strong>de</strong>mment liées entre elles. Je me bornerai ici<br />

à essayer d’analyser trois types <strong>de</strong> formalisation, que je retiens<br />

parce qu’elles me semblent fréquentes et efficaces.<br />

I. Les grands problèmes concernant <strong>de</strong>s notions mal ou<br />

non définies, mais « naturelles », « intuitives »<br />

À plusieurs reprises, dans l’histoire <strong>de</strong>s mathématiques, on<br />

constate que l’absence d’une définition suffisamment formelle,<br />

générale d’une notion « commune », comprise <strong>de</strong> façon<br />

intuitive par tout le mon<strong>de</strong>, entraîne <strong>de</strong>s imprécisions dans<br />

les preuves, <strong>de</strong>s désaccords sur leur validité, <strong>de</strong>s réfutations<br />

ou <strong>de</strong>s controverses. Ces phénomènes apparaissent lors <strong>de</strong>s<br />

essais <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> ce qui apparaît souvent a posteriori<br />

comme un grand problème concernant cette notion. Cet<br />

état conflictuel a souvent duré pendant une assez longue pério<strong>de</strong>.<br />

On voit s’y opposer plusieurs points <strong>de</strong> vue différents<br />

sur la notion en question, en particulier sur son champ<br />

d’extension.<br />

Même si cela semble souvent plus rapi<strong>de</strong> dans les<br />

mathématiques d’aujourd’hui, sans doute à cause, justement,<br />

d’une pratique plus formelle <strong>de</strong>s mathématiques, on<br />

voit encore surgir actuellement le même type <strong>de</strong> situations<br />

(en particulier pour <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong>s mathématiques qui<br />

essayent <strong>de</strong> résoudre ou <strong>de</strong> formuler <strong>de</strong>s problèmes issus <strong>de</strong><br />

la physique contemporaine).<br />

Le saut conceptuel consistant à unifier ces points<br />

<strong>de</strong> vue différents à travers une définition formelle est alors le<br />

moyen « <strong>de</strong> rendre tout le mon<strong>de</strong> d’accord » ; cette nouvelle<br />

manière formelle <strong>de</strong> voir la notion en question crée ainsi<br />

un sens nouveau, unifié à un niveau supérieur. Bien entendu,<br />

cela ne supprime pas les différentes manières d’appréhen<strong>de</strong>r<br />

la notion et chacun pour ses recherches continuera<br />

à privilégier tel ou tel sens intuitif, précieux gui<strong>de</strong> dans le<br />

dédale <strong>de</strong>s idées pouvant être fructueuses. Mais le sens formel<br />

sera réutilisé au moment <strong>de</strong>s contrôles et <strong>de</strong> la rédaction<br />

<strong>de</strong>s preuves. En un sens, cet aspect <strong>de</strong> la formalisation est<br />

constitutif <strong>de</strong> la « rigoureuse définitive » <strong>de</strong> résultats longtemps<br />

indécis ou controversés (même si ce « point final » se<br />

révèle ultérieurement tout provisoire). C’est aussi souvent<br />

la délimitation du domaine <strong>de</strong> validité <strong>de</strong> résultats qu’on<br />

pensait trop généraux.<br />

La question <strong>de</strong> l’écho que ce processus <strong>de</strong> formalisation<br />

particulier peut ou doit avoir dans l’enseignement<br />

<strong>de</strong>s mathématiques est complexe pour plusieurs raisons.<br />

D’abord, il s’agit souvent <strong>de</strong> problèmes difficiles, donc<br />

absents à un niveau élémentaire <strong>de</strong> l’enseignement. Tout<br />

au plus, certains apparaissent-ils en arrière-plan <strong>de</strong>s programmes<br />

<strong>de</strong> fin <strong>de</strong> lycée et du début <strong>de</strong> l’université. Ensuite, la<br />

volonté <strong>de</strong> ne plus parler en termes naïfs ou intuitifs <strong>de</strong><br />

concepts difficiles reste, malgré la réaction à l’épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

« math mo<strong>de</strong>rnes », très forte dans le milieu enseignant<br />

(ce que dit Dieudonné sur la formule <strong>de</strong> Stokes et sa « place<br />

naturelle » en fin d’étu<strong>de</strong>s universitaires reste probablement<br />

assez représentatif). Or, il semble bien que, pour faire vivre<br />

dans l’enseignement ce type <strong>de</strong> processus <strong>de</strong> formalisation,<br />

il va falloir se placer à un niveau intermédiaire où<br />

la formalisation complète ne sera pas faite, mais où l’on se<br />

contentera seulement <strong>de</strong> l’ébaucher, voire <strong>de</strong> la vulgariser<br />

20


Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques / LNA#42<br />

(voir plus bas les exemples proposés). Enfin, parce que ces<br />

processus ont souvent eu historiquement <strong>de</strong> longues durées,<br />

et qu’on voit mal comment, dans une perspective constructiviste<br />

« dure », il y aurait un temps suffisant pour une<br />

transposition didactique <strong>de</strong> ces évolutions.<br />

II. Le processus d’unification formelle <strong>de</strong> domaines<br />

différents<br />

Un autre moment où l’on voit à l’œuvre un processus <strong>de</strong><br />

formalisation qui, je crois, n’est pas <strong>de</strong> même nature que le<br />

précé<strong>de</strong>nt, est lorsque sont rassemblés sous un même concept<br />

ou une même théorie <strong>de</strong>s problèmes et <strong>de</strong>s démarches<br />

qui « se ressemblent », ont quelque chose en commun (une<br />

problématique formelle, justement, du moins a posteriori),<br />

alors même qu’ils se situent dans <strong>de</strong>s domaines différents.<br />

Ce processus d’unification formelle fonctionne pendant<br />

toute la <strong>de</strong>uxième moitié du XIX ème siècle et le XX ème siècle.<br />

Il s’agit souvent d’une démarche réflexive consciente, et qui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ses auteurs, mais aussi <strong>de</strong>s contemporains<br />

(et cela n’a pas toujours été <strong>de</strong> soi) une « foi » en la<br />

puissance créatrice <strong>de</strong> la pensée unificatrice.<br />

III. La formalisation par simplification locale : l’abandon<br />

d’informations, la dialectique particulier/général,<br />

le « nominalisme »<br />

Conclusion<br />

Il me semble que la prise en compte, dans l’enseignement,<br />

<strong>de</strong> moments <strong>de</strong> formalisation, soit pour résoudre <strong>de</strong>s problèmes<br />

présents, par simplification locale ou par élucidation<br />

du vague <strong>de</strong> notions trop communes, soit pour développer<br />

une <strong>culture</strong> d’unification et <strong>de</strong> simplification qui donne <strong>de</strong><br />

nouveaux outils <strong>de</strong> résolution, est nécessaire à une bonne<br />

formation mathématique. Un travail didactique à ce propos<br />

ne peut éviter, me semble-t-il, <strong>de</strong> se pencher sur les pratiques<br />

expertes <strong>de</strong>s mathématiciens, pour en analyser le fonctionnement<br />

et l’efficacité. Bien sûr, il ne peut être question<br />

d’importer telles quelles ces pratiques, le contexte d’utilisation,<br />

les situations où elles ont leur place naturelle, tout est<br />

à étudier et à préciser.<br />

De plus, cette question <strong>de</strong> la formalisation ne peut manquer,<br />

me semble-t-il, d’avoir <strong>de</strong>s retombées du côté <strong>de</strong> la<br />

preuve et <strong>de</strong> la hrigueur. Comment motiver la précision nouvelle<br />

à donner à une notion aqui semblait aller <strong>de</strong> soi si on n’a<br />

pas une interrogation<br />

d g<br />

sur l’exactitu<strong>de</strong> d’une preuve dont elle<br />

paraît être un maillon faible ? Inversement, la formalisation<br />

d’un calcul, d’un raisonnement, d’une métho<strong>de</strong>, est aussi<br />

un moyen <strong>de</strong> contrôle en résolution <strong>de</strong> problèmes : l’analyse<br />

<strong>de</strong> la forme d’une démonstration ou d’un calcul peut permettre<br />

parfois <strong>de</strong> voir qu’on a démontré trop, c’est-à-dire<br />

que la même preuve, sur <strong>de</strong>s objets différents, donnerait un<br />

résultat qu’on sait être faux ; c’est un moyen <strong>de</strong> contrôle très<br />

souvent utilisé par les mathématiciens, dans la démarche<br />

réflexive inconsciente, qui accompagne en permanence leur<br />

travail <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> problèmes.<br />

Un troisième processus <strong>de</strong> formalisation, à mon avis différent<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux précé<strong>de</strong>nts (même s’il y a <strong>de</strong>s rapports évi<strong>de</strong>nts),<br />

est celui qu’on trouve dans l’activité mathématique<br />

<strong>de</strong> tous les jours, pour résoudre <strong>de</strong>s « petits » problèmes<br />

(voire parfois <strong>de</strong>s gros !), trop touffus, trop complexes pour<br />

être résolubles sans simplification. Ce que fait très communément<br />

le mathématicien <strong>de</strong>vant un tel problème est<br />

d’abandonner volontairement <strong>de</strong> l’information ; pas n’importe<br />

laquelle, celle dont une analyse du problème montre<br />

qu’elle est inutile, voire nuisible car cachant une simplicité<br />

sous-jacente. Ce faisant, il passe à un problème plus<br />

egénéral<br />

dont la structure est plus claire, et qui est plus facile à résoudre.<br />

Et pour se donner une idée <strong>de</strong> la solution, il n’hésite pas<br />

alors à reparticulariser le problème, mais sous une forme<br />

plus simple que l’énoncé initial.<br />

k<br />

l<br />

b<br />

c<br />

m<br />

21


LNA#42 / Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques<br />

Sciences en traduction au début du XX ème siècle :<br />

les statistiques administratives et mathématiques en Chine<br />

Par Andrea EBERHARD-BREARD<br />

Maître <strong>de</strong> conférences en histoire <strong>de</strong>s mathématiques, USTL<br />

comparaisons <strong>de</strong> séries <strong>de</strong> données. La première catégorie,<br />

celle <strong>de</strong>s statistiques sociales alleman<strong>de</strong>s, est importée par<br />

<strong>de</strong>s étudiants chinois qui rentrent du Japon où ils ont été<br />

formés aux statistiques dans les universités d’économie et<br />

<strong>de</strong> droit, la secon<strong>de</strong>, celle <strong>de</strong>s statistiques mathématiques,<br />

est importée directement <strong>de</strong> pays anglo-saxons. Toutes<br />

<strong>de</strong>ux rencontrent une tradition chinoise sous la forme <strong>de</strong><br />

science <strong>de</strong>s dénombrements : ces pratiques énumératives<br />

qui s’articulent sur <strong>de</strong>s techniques comptables étaient souvent<br />

d’une gran<strong>de</strong> importance dans le domaine fiscal.<br />

Les premières institutions<br />

Tables statistiques <strong>de</strong>s prix mensuels <strong>de</strong>s grains, 1911. (Mei yue liangjia tongji zhuangbiao )<br />

Ancienne bibliothèque <strong>de</strong> Pékin.<br />

Les statistiques entendues comme mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> connaissance<br />

et outil <strong>de</strong> gestion du mon<strong>de</strong> social sont un sujet complexe<br />

d’étu<strong>de</strong>. Ils se situent à la jonction <strong>de</strong> trois espaces :<br />

celui <strong>de</strong> la science, celui <strong>de</strong> la politique et celui <strong>de</strong> la bureaucratie.<br />

Faire leur histoire implique l’étu<strong>de</strong> d’outils<br />

à caractère mathématique ou formel qui en constituent<br />

le fonds technique, mais aussi l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s assises sociales<br />

et institutionnelles qui assurent leur déploiement à gran<strong>de</strong><br />

échelle. S’y rajoute l’aspect <strong>culture</strong>l quand on s’intéresse<br />

aux transferts <strong>de</strong>s savoirs...<br />

En Chine, les statistiques se sont imposées comme savoir<br />

combinant l’autorité étatique à celle <strong>de</strong> la science<br />

à l’époque <strong>de</strong>s réformes constitutionnelles (1898-1911) et<br />

pendant la pério<strong>de</strong> républicaine (1911-1949). Ces <strong>de</strong>ux<br />

pério<strong>de</strong>s correspon<strong>de</strong>nt à l’introduction <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux catégories<br />

<strong>de</strong> statistiques, chacune soumise à <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> transmission<br />

distinctes. La première pério<strong>de</strong> est marquée par la<br />

fondation d’un premier Bureau Central <strong>de</strong> la Statistique<br />

(Tongji ju ) en 1907. Les statistiques administratives<br />

alleman<strong>de</strong>s sont alors intégrées dans une longue tradition<br />

proprement chinoise via le Japon. Durant la <strong>de</strong>uxième pério<strong>de</strong>,<br />

en particulier dans les années 30, les statistiques<br />

mathématiques <strong>de</strong> l’école anglo-saxonne sont importées.<br />

Ensuite, dans les années 30, une mathématique <strong>de</strong>s collectivités<br />

avec <strong>de</strong>s pratiques d’exposition graphique et d’investigation<br />

numérique, <strong>de</strong>s manipulations <strong>de</strong> moyennes, <strong>de</strong>s<br />

L’expansion bureaucratique lors <strong>de</strong>s réformes administratives<br />

à la fin <strong>de</strong>s Qing avait entre autres pour but <strong>de</strong> définir<br />

plus clairement les responsabilités <strong>de</strong>s agences du gouvernement<br />

central. On voit lors <strong>de</strong> cette réorganisation naître<br />

<strong>de</strong> jeunes départements experts dans la Commission Constitutionnelle<br />

(Xianzheng biancha guan<br />

) et dans<br />

les nouveaux ministères assimilant <strong>de</strong>s modèles japonais<br />

d’institutions spécialisées. Auprès <strong>de</strong> l’Empereur, cette innovation<br />

était souvent justifiée par un rapprochement entre<br />

l’Antiquité chinoise et le mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne. On lit par exemple<br />

dans un mémoire <strong>de</strong> la<br />

Commission Constitutionnelle<br />

<strong>de</strong> 1909, proposant<br />

la création <strong>de</strong> bureaux statistiques<br />

dans les provinces,<br />

que les <strong>de</strong>scriptions<br />

géographiques sous forme<br />

tabulaire <strong>de</strong>puis au moins<br />

le III ème siècle av. J.C. et ce<br />

qu’on appelle les statistiques<br />

<strong>de</strong>scriptives dans la<br />

tradition occi<strong>de</strong>ntale ne se<br />

distinguent guère en leurs<br />

métho<strong>de</strong>s :<br />

« En Antiquité, il n’y avait<br />

pas l’expression ‘statistiques’<br />

[comme aujourd’hui], mais<br />

Yokoyama Masao, Tokei tsuron<br />

Trad. <strong>de</strong> Meng Sen, Shanghai : 1908.<br />

il y avait <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s statistiques. Le ‘Tribut <strong>de</strong> Yu’ est la plus<br />

ancienne tradition <strong>de</strong>s administrateurs <strong>de</strong> la dynastie <strong>de</strong>s<br />

Zhou. Zhang Cang <strong>de</strong>s Han présidait la compilation <strong>de</strong>s registres<br />

dans les préfectures et les municipalités. C’est une preuve<br />

que les tables historiques ont commencé à être établies <strong>de</strong>puis<br />

22


Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques / LNA#42<br />

[Si]ma Qian 1 et que l’essentiel <strong>de</strong> ces tables est une imitation<br />

du [style prévalent durant la dynastie <strong>de</strong>s] Zhou. Maintenant,<br />

en prenant les statistiques et en les combinant avec <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

recensement, ceci n’est certainement pas entièrement hérité<br />

<strong>de</strong> la <strong>culture</strong> occi<strong>de</strong>ntale. C’est aussi une extension <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s<br />

anciennes ».<br />

Traductions inter<strong>culture</strong>lles<br />

La transmission <strong>de</strong> modèles d’institutions et <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s<br />

statistiques étrangères était accompagnée par un mouvement<br />

<strong>de</strong> traduction et compilation <strong>de</strong> manuels statistiques.<br />

Celui qui circulait largement – et il semble que c’était le seul<br />

jusqu’aux années 1930 – était une traduction du japonais<br />

faite par Meng Sen . Activiste du mouvement constitutionnel<br />

et <strong>de</strong>s réformes <strong>de</strong> l’éducation, Meng faisait <strong>de</strong>s<br />

étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> droit et <strong>de</strong> sciences politiques au Japon. Pendant<br />

son séjour à l’étranger, il rédigeait et traduisait plusieurs<br />

ouvrages sur le constitutionalisme, le droit et les statistiques<br />

sociales. Le symbolisme algébrique ayant été adopté<br />

en Chine <strong>de</strong>puis peu, les efforts <strong>de</strong> Meng <strong>de</strong> traduire en<br />

chinois en premier un ouvrage sur les statistiques se concentraient<br />

sur la création d’une nouvelle terminologie scientifique<br />

pour <strong>de</strong>s concepts jusqu’alors inconnus. L’expression<br />

‘statistique’ (tongji ) alors adoptée est exemplaire <strong>de</strong><br />

cette problématique : le terme tongji (lit. calcul global) était<br />

en utilisation en Chine <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles pour désigner une<br />

somme totale. Emprunté à la langue chinoise classique par<br />

les premiers statisticiens japonais durant la <strong>de</strong>uxième moitié<br />

du XIX ème siècle, le même terme retourne en Chine pour désigner<br />

les statistiques. Ceci n’allait pas <strong>de</strong> soi, et suscitait <strong>de</strong>s<br />

débats au-<strong>de</strong>là du cadre linguistique : comment, dans cette<br />

nouvelle science, conserver <strong>de</strong>s caractéristiques nationales ?<br />

Les statistiques « ne sont-elles pas <strong>de</strong>s modèles universels »<br />

(fei shijie tongli ) ? Même dans les années 80, on<br />

rencontre encore <strong>de</strong>s références au « style chinois » au sein<br />

<strong>de</strong>s statistiques socialistes.<br />

Cohabitation <strong>de</strong>s instruments <strong>de</strong> calcul<br />

On sait que les tables du commerce extérieur <strong>de</strong> la Chine,<br />

préparées par les soins <strong>de</strong> la Douane Impériale Maritime<br />

Chinoise, étaient soumises à un double contrôle : l’employé<br />

étranger utilisait le pinceau et le papier pour établir<br />

les chiffres, le ‘calculateur’ (appelé ainsi par le Secrétaire<br />

Vérification <strong>de</strong>s Tables statistiques <strong>de</strong> l’entrepôt <strong>de</strong>s cuirs et fourrures, 1909.<br />

(Piku tongji biao )<br />

Archives du département du ménage impérial, Pékin.<br />

Statistique) chinois vérifiait leur exactitu<strong>de</strong> avec le boulier.<br />

Dans les archives <strong>de</strong>s bureaux du gouvernement central, on<br />

trouve souvent, attachée en annexe aux tables statistiques,<br />

une feuille <strong>de</strong> vérification qui atteste <strong>de</strong> l’utilisation d’un<br />

calcul écrit pour témoigner <strong>de</strong> la vérification <strong>de</strong>s sommes<br />

globales <strong>de</strong>s entrées.<br />

Pour les nouvelles institutions statistiques, le double emploi<br />

du calcul à l’occi<strong>de</strong>ntale par écrit et du calcul sur boulier<br />

pratiqué en Chine <strong>de</strong>puis le XV ème siècle était le garant <strong>de</strong> la<br />

fiabilité <strong>de</strong> leur production <strong>de</strong> « nouveaux nombres ». Ceuxci<br />

sont dorénavant conçus comme <strong>de</strong>s indicateurs par rapport<br />

à d’autres indicateurs, et non comme indicateurs <strong>de</strong> la<br />

matérialité même <strong>de</strong>s ressources mises à la disposition <strong>de</strong><br />

l’administration. Au lieu <strong>de</strong> rapporter <strong>de</strong>s quotas fixes au<br />

gouvernement central, on voulait <strong>de</strong>s nombres qui reflètent<br />

l’état précis et actuel <strong>de</strong> l’Empire. La véritable révolution<br />

impliquée par l’introduction <strong>de</strong>s statistiques mo<strong>de</strong>rnes en<br />

Chine était donc probablement mentale et conceptuelle.<br />

1<br />

Auteur <strong>de</strong> la première histoire <strong>de</strong> Chine (Shiji ), II ème siècle av. J.C.<br />

23


LNA#42 / Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques<br />

Au-<strong>de</strong>là du compas : 3000 ans <strong>de</strong> dépassement !<br />

Par Alain JUHEL<br />

Professeur <strong>de</strong> mathématiques en Classes Préparatoires<br />

aux Gran<strong>de</strong>s Écoles, Lycée Faidherbe - <strong>Lille</strong><br />

Au début était le cercle...<br />

Doubler l’aire d’un carré donné se fait en construisant,<br />

sur sa diagonale, un nouveau carré : déjà, Socrate,<br />

dans le Ménon, le faisait découvrir, par le dialogue, à un<br />

jeune esclave. La règle et le compas donnent une solution<br />

exacte <strong>de</strong> ce problème, sans aucune approximation : si notre<br />

crayon était d’une finesse idéale, nous aurions la solution<br />

parfaite, platonicienne. Tracer la bissectrice d’un angle se<br />

résout tout aussi aisément : la solution idéale tient en <strong>de</strong>ux<br />

coups <strong>de</strong> compas et un trait <strong>de</strong> règle.<br />

D’un tout autre point <strong>de</strong> vue, la droite et le cercle semblent<br />

faciles à réaliser : il suffit au maçon d’avoir avec lui une simple<br />

cor<strong>de</strong> ! Tendue, elle fournit la droite ; fixée à un piquet,<br />

elle lui permet <strong>de</strong> tracer un cercle. Les métho<strong>de</strong>s les plus<br />

simples sont les plus durables : elle est encore en usage sur<br />

les chantiers.<br />

Pour la suite <strong>de</strong>s Mathématiques, c’est là le miracle grec !<br />

Une vision idéale associée (et non opposée) à la réalisation<br />

concrète. L’artisan et le géomètre, l’astronome et le philosophe.<br />

Ainsi vont naître <strong>de</strong>s problèmes pour plus <strong>de</strong> vingt<br />

siècles, et plus <strong>de</strong> vingt siècles d’une âpre lutte vont apporter<br />

<strong>de</strong>s créations d’une extraordinaire fécondité :<br />

« Ce qui a payé les efforts <strong>de</strong>s Grecs, c’est la découverte <strong>de</strong> courbes<br />

comme la conchoï<strong>de</strong>, les cissoï<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> relations entre problèmes<br />

en apparence très différents, etc. ... ». 1<br />

Légen<strong>de</strong>s et vrais problèmes<br />

Le problème <strong>de</strong> Délos<br />

C’est aux Cycla<strong>de</strong>s, dans l’île <strong>de</strong> Délos, que commence<br />

l’aventure. Nous sommes en 431 avant J.C., la guerre du<br />

Péloponnèse oppose Athènes aux autres cités. Et, comme<br />

un malheur n’arrive jamais seul, la peste ravage Athènes. De<br />

l’oracle le plus réputé, celui d’Apollon à Délos, la sentence<br />

tombe : que l’on double <strong>de</strong> volume l’autel cubique <strong>de</strong> son<br />

temple, et la peste cessera. Voilà donc posé le problème <strong>de</strong><br />

la duplication du cube, ou problème <strong>de</strong> Délos. Si l’emplacement<br />

exact est aujourd’hui incertain (trois temples<br />

se succédèrent au gré <strong>de</strong>s agrandissements), la visite <strong>de</strong> ce<br />

magnifique sanctuaire reste recommandable, et offre une<br />

émotion supplémentaire indiscutable au mathématicien.<br />

En apparence, ce n’est qu’une variation sur le thème <strong>de</strong> la<br />

duplication du carré si bien connu... Oui, mais voilà : toutes<br />

les tentatives « à la règle et au compas » échouent ! Maladresse<br />

ou impossibilité ? On ne saura que bien plus tard que<br />

c’est le <strong>de</strong>uxième cas, et qu’il est lié au <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> l’équation<br />

algébrique correspondante : 3 pour la duplication du cube,<br />

2 pour celle du carré. Et, grâce à cette incertitu<strong>de</strong>, l’inventivité<br />

va pouvoir s’exercer.<br />

Erathostène (276 av J.C., 194 av J.C.), par qui nous connaissons<br />

cette légen<strong>de</strong> grâce à une lettre au roi Ptolémée III<br />

d’Egypte, fait remonter la question à une date bien antérieure<br />

: Glaukios, fils <strong>de</strong> Minos et <strong>de</strong> Pasiphaé, était mort<br />

alors qu’il était enfant. Son père, jugeant la tombe, un cube<br />

<strong>de</strong> cent pieds <strong>de</strong> côté, trop petite, aurait exigé le doublement<br />

<strong>de</strong> son volume. Ce qui date le problème du XIII ème siècle<br />

avant J.C. au moins, si on le rapporte aux fouilles <strong>de</strong> Cnossos,<br />

et rend Glaukios aussi légendaire pour les mathématiciens<br />

que sa soeur, la Phèdre <strong>de</strong> Racine, et son <strong>de</strong>mi-frère,<br />

le Minotaure...<br />

La trisection <strong>de</strong> l’angle<br />

On imagine les sarcasmes <strong>de</strong> ceux qui aiment à célébrer la<br />

soi-disant défaite <strong>de</strong> Platon : voilà bien les mathématiciens<br />

et leurs vaines spéculations ! Or, le statut <strong>de</strong> la trisection<br />

<strong>de</strong> l’angle est tout autre : c’est un problème pratique <strong>de</strong> la<br />

plus gran<strong>de</strong> importance pour les astronomes. À Alexandrie,<br />

Clau<strong>de</strong> Ptolémée (85-165) a édifié la première table trigonométrique<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>gré en <strong>de</strong>gré. Il s’appuie sur <strong>de</strong>s angles<br />

constructibles : 60°, 72° (le pentagone) et calcule les lignes<br />

trigonométriques d’une somme et d’une différence ; il a inventé<br />

à cette fin le théorème sur les quadrilatères inscriptibles<br />

qui porte son nom. L’angle <strong>de</strong> 12° est donc maîtrisé,<br />

<strong>de</strong>ux bissections mènent à celui <strong>de</strong> 3°. Et après ?<br />

24


Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques / LNA#42<br />

Il n’y a plus d’après... avec la règle et le compas. Même échec,<br />

même incertitu<strong>de</strong>, et, pour notre lecture mo<strong>de</strong>rne, même<br />

<strong>de</strong>gré : 3. La preuve <strong>de</strong> l’impossibilité ne viendra qu’en 1837<br />

d’un élève <strong>de</strong> l’Ecole <strong>de</strong>s Ponts et Chaussées, Pierre Wantzel.<br />

Mais, c’est une chance formidable : l’astronomie ne peut<br />

pas attendre... surtout un résultat négatif ! De nouveau, il va<br />

falloir inventer : la géométrie va se faire algèbre ou analyse<br />

numérique.<br />

Au-<strong>de</strong>là du compas<br />

Les coniques<br />

De nouvelles courbes, donc. Le problème <strong>de</strong> Délos marque<br />

ainsi l’acte <strong>de</strong> naissance <strong>de</strong>s coniques, promises à un bel avenir<br />

mathématique. Ménechme (380 av J.C., 320 av J.C.) les<br />

définit, et ramène le problème <strong>de</strong> la duplication du cube à<br />

la recherche <strong>de</strong> l’intersection <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux d’entre elles. Il donne<br />

<strong>de</strong>ux solutions, qu’on exprimerait ainsi <strong>de</strong> nos jours : résoudre<br />

x 3 = 2 revient à couper la parabole y = x 2 et l’hyperbole<br />

xy = 2, ou encore les <strong>de</strong>ux paraboles y 2 = 2x et x 2 = y.<br />

C’est satisfaisant... et ça ne l’est pas ! Certes, on construit<br />

à la règle et au compas autant <strong>de</strong> points que l’on voudra <strong>de</strong><br />

chacune <strong>de</strong>s courbes. Mais... pas leur point d’intersection !<br />

Une infinité, sauf celui qui nous intéresse : un seul être vous<br />

manque...<br />

Les cubiques et quartiques<br />

Autre chose, alors. Puisque l’on dispose d’un instrument à<br />

tracer les cercles... pourquoi pas une nouvelle courbe et un<br />

nouvel instrument traceur associé ? Un super-compas, en<br />

quelque sorte... La réponse la plus simple, à ce point <strong>de</strong> vue,<br />

a été apportée par Nicomè<strong>de</strong> (280 av J.C., 210 av J.C.). On<br />

pense qu’il a pris pour point <strong>de</strong> départ, dans son analyse,<br />

une figure étudiée par Archimè<strong>de</strong> (287 av J.C., 212 av J.C.)<br />

liant l’égalité <strong>de</strong> côtés dans <strong>de</strong>s triangles à la présence d’un<br />

angle triple d’un autre. Inversement, construire une courbe<br />

réalisant ces égalités permet <strong>de</strong> trisecter un angle. Or cette<br />

courbe, la conchoï<strong>de</strong> <strong>de</strong> droite, s’obtient facilement : on fixe<br />

un point O et une droite (D) ; lorsque M parcourt (D), un<br />

point P obtenu en reportant, sur la<br />

sécante variable OM, une longueur<br />

fixe, décrit la conchoï<strong>de</strong>. Il est aisé <strong>de</strong><br />

réaliser un appareil à coulisse matérialisant<br />

ce tracé.<br />

À la même époque, Diocles (240<br />

av J.C., 180 av J.C.) introduit pour<br />

la duplication du cube une autre<br />

courbe, la cissoï<strong>de</strong>, plus simple à l’aune <strong>de</strong> nos critères : elle<br />

annule une équation <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré 3, contre 4 à la conchoï<strong>de</strong>.<br />

cissoï<strong>de</strong><br />

conchoï<strong>de</strong><br />

(x 2 + y 2 ) x - y 2 = 0 (x 2 + y 2 ) (x - a) x - b 2 x 2 = 0<br />

Mathématiques pures ou appliquées ?<br />

Des embiellages et <strong>de</strong>s corps<br />

Une étrange coïnci<strong>de</strong>nce semble donc lier algébricité <strong>de</strong> la<br />

courbe et existence d’un mécanisme traceur. D’un côté un<br />

problème <strong>de</strong> mathématiques pures, <strong>de</strong> l’autre... un problème<br />

d’ingénieur. Kempe a révélé en 1877 ce lien surprenant : les<br />

courbes algébriques sont exactement celles à qui l’on peut<br />

associer un système traceur articulé !<br />

Ce n’est là que le dénouement par une réconciliation spectaculaire<br />

(théâtrale ?) <strong>de</strong>s amours houleuses <strong>de</strong>s mathématiques<br />

et <strong>de</strong>s mécanismes. L’ambiguïté en accompagne la naissance<br />

: Platon est à la fois crédité <strong>de</strong> l’invention d’un mécanisme<br />

résolvant le problème <strong>de</strong> Délos, et d’une fatwa condamnant<br />

sans appel <strong>de</strong> telles métho<strong>de</strong>s, accusées <strong>de</strong> « ruiner<br />

l’excellence <strong>de</strong> la géométrie »... Cas suivant <strong>de</strong> schizophrénie :<br />

Monsieur Descartes ! Qui imagine « <strong>de</strong> nouveaux compas,<br />

que j’estime aussi justes et aussi géométriques que le compas ordinaire<br />

avec lequel on trace <strong>de</strong>s cercles », fait dans la géométrie<br />

le croquis d’un appareil à équerres coulissantes qui résout <strong>de</strong>s<br />

équations du troisième <strong>de</strong>gré (exemple explicite : x 3 = x + 2)...<br />

mais se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> les faire réaliser.<br />

Au XVIII ème siècle, les problèmes sont <strong>de</strong>meurés, mais l’air<br />

du temps a changé : l’époque <strong>de</strong>s Lumières, la Révolution<br />

rêvent d’universalité... ceux qui veulent s’attaquer aux équa-<br />

25


LNA#42 / Dossier : Voyage au pays <strong>de</strong>s mathématiques<br />

tions aussi ! Extrapolant une métho<strong>de</strong> graphique inventée<br />

en 1761 par le Hongrois Segner pour résoudre une équation<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>gré quelconque, l’Encyclopédie <strong>de</strong> d’Alembert présente<br />

un constructeur universel d’équations (1784)... machine<br />

en ce temps virtuelle, mais réalisée dans l’exposition. Désuet<br />

cet appareil ? Ne concluez pas trop vite : mécaniquement, il<br />

simule l’algorithme <strong>de</strong> Horner, la métho<strong>de</strong> optimale d’évaluation<br />

d’un polynôme... un classique <strong>de</strong> l’informatique.<br />

Allers-retours disciplinaires<br />

L’invention d’Al-Khowarizmi (780-850) a déplacé le centre<br />

<strong>de</strong> gravité <strong>de</strong>s mathématiques vers l’algèbre. Mais lorsqu’il<br />

s’agit <strong>de</strong> résoudre les équations du troisième <strong>de</strong>gré, c’est un<br />

retour vers les courbes qu’opère Omar Al-Khayyam (1048-<br />

1131). Il n’est <strong>de</strong> science que du général : très méthodiquement,<br />

il reprend l’idée <strong>de</strong> Ménechme et, pour chacun <strong>de</strong>s<br />

27 cas rencontrés, construit une intersection <strong>de</strong> coniques<br />

appropriée, 500 ans avant Descartes. À ce <strong>de</strong>rnier revient<br />

l’honneur <strong>de</strong> mettre l’algèbre au service <strong>de</strong> la géométrie <strong>de</strong>s<br />

courbes, tandis que l’article <strong>de</strong> Wantzel ramène définitivement<br />

les questions <strong>de</strong> constructibilité dans l’orbite <strong>de</strong> l’algèbre.<br />

Mais Galois est mort en 1832, incompris : la preuve<br />

<strong>de</strong> Wantzel, exprimée en termes d’équations, mettra bien<br />

longtemps avant <strong>de</strong> recevoir sa formulation mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong><br />

théorie <strong>de</strong>s corps.<br />

L’au-<strong>de</strong>là, c’est encore aujourd’hui !<br />

On pourrait, au terme <strong>de</strong> ce parcours, penser qu’on a<br />

effectué, avec le respect qui lui est dû, la visite d’un beau<br />

monument... que plus personne n’habite. Il n’en est rien !<br />

Restreignons-nous aux seules courbes du troisième <strong>de</strong>gré, pour<br />

donner <strong>de</strong>ux témoignages <strong>de</strong> leur actualité. L’un issu... une<br />

nouvelle fois <strong>de</strong>s applications mécaniques, l’autre <strong>de</strong>s mathématiques<br />

les plus pures qui soient : la théorie <strong>de</strong>s nombres.<br />

À partir <strong>de</strong> 1945, l’ingénieur Pierre Bezier a développé, pour<br />

le compte <strong>de</strong> Renault, les courbes qui portent son nom. Son<br />

cahier <strong>de</strong>s charges exigeait un stockage peu volumineux,<br />

un changement d’échelle rapi<strong>de</strong> (<strong>de</strong>s plans aux maquettes,<br />

puis aux machines à comman<strong>de</strong> numérique), une certaine<br />

régularité. Ce qui l’amena à un système <strong>de</strong> cubiques raccordées...<br />

que l’informatique a universellement adopté <strong>de</strong>puis<br />

les années 1980 : qui se passerait aujourd’hui <strong>de</strong>s polices<br />

Postscript ? Un seul caractère est ainsi fait <strong>de</strong> plusieurs cubiques...<br />

Pensez à un texte complet, et vous <strong>de</strong>vrez convenir<br />

que les cubiques ont envahi notre vie quotidienne. Mais les<br />

coniques résistent, sous la forme <strong>de</strong>s polices TrueType, constituées<br />

d’arcs <strong>de</strong> Bézier <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré 2... soit <strong>de</strong>s paraboles, mais<br />

dans un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> représentation commo<strong>de</strong>. Une synthèse<br />

s’imposait : la norme OpenType... qui, elle aussi, fait appel<br />

aux courbes <strong>de</strong> Bézier !<br />

Notre <strong>de</strong>uxième exemple passa longtemps pour le chant du<br />

cygne <strong>de</strong>s courbes <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré 3. Gabriel Lamé (1795-1870)<br />

avait découvert un étonnant théorème d’alignement sur les<br />

cubiques, interprété en 1901 par Henri Poincaré comme<br />

exprimant l’associativité d’une loi <strong>de</strong> groupe sur la courbe :<br />

chassez l’algèbre <strong>de</strong> la géométrie, elle revient au galop... mais<br />

dans les années 1970-1980, il était bien clair que l’avenir <strong>de</strong><br />

la recherche ne pouvait se trouver dans la géométrie poussiéreuse<br />

<strong>de</strong> grand’père. Et puis, trois résultats tombèrent :<br />

1/ 1985 : métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> factorisation <strong>de</strong>s grands entiers <strong>de</strong><br />

H. Lenstra, la plus performante à ce jour !<br />

2/ 1995 : indépendance algébrique <strong>de</strong> et <strong>de</strong> e (Y. Nesterenko,<br />

P. Philippon) : il n’existe pas <strong>de</strong> polynôme à coefficients<br />

entiers tel que P [ , e ] = 0.<br />

3/ 1993-1994 : Andrew Wiles vient à bout du grand théorème<br />

<strong>de</strong> Fermat : il n’y a pas <strong>de</strong> solutions entières non triviales<br />

à l’équation a n + b n = c n .<br />

Vous l’avez sûrement <strong>de</strong>viné... le point commun <strong>de</strong> ces trois<br />

remarquables avancées, c’est l’utilisation <strong>de</strong> cette fameuse<br />

loi <strong>de</strong> groupe !<br />

L’encre <strong>de</strong>s chercheurs est à peine sèche, mais nous savons<br />

que le mot fin n’est ici que provisoire. Ainsi sont faits les<br />

beaux problèmes : simples dans leur formulation initiale<br />

(compréhensibles par tous), féconds et exigeants dans leurs<br />

développements (il va falloir étudier, travailler, échouer<br />

souvent, recommencer encore), imprévus dans leurs rebondissements...<br />

Pour notre plaisir, et surtout, selon la formule<br />

empruntée par Jean Dieudonné à Gustav Jacobi pour titre<br />

d’un <strong>de</strong> ses livres, Pour l’Honneur <strong>de</strong> l’Esprit Humain...<br />

Version intégrale <strong>de</strong> l’article : www.univ-lille1.f/<strong>culture</strong><br />

1<br />

Henri Lebesgue, Leçons sur les constructions géométriques.<br />

26


Paradoxes / LNA#42<br />

Paradoxes<br />

Rubrique <strong>de</strong> divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête<br />

Par Jean-Paul DELAHAYE<br />

Professeur à l’Université <strong>de</strong>s Sciences et Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> *<br />

*Laboratoire d’Informatique<br />

Fondamentale <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>,<br />

UMR CNRS 8022, Bât. M3<br />

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine <strong>de</strong> nombreux progrès mathématiques.<br />

Notre but est <strong>de</strong> vous provoquer et <strong>de</strong> vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une explication<br />

<strong>de</strong>s paradoxes proposés, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong><br />

l’USTL ou à l’adresse électronique <strong>de</strong>lahaye@lifl.fr).<br />

Le paradoxe précé<strong>de</strong>nt : L’arithmétique malmenée par la géométrie<br />

Les paradoxes du <strong>de</strong>rnier numéro étaient <strong>de</strong> simples découpages comme celui-ci.<br />

En apparence le même triangle est rempli <strong>de</strong>ux fois par les mêmes pièces, bien que la secon<strong>de</strong> fois<br />

un carré blanc supplémentaire soit présent. Cela semble impossible puisque déplacer <strong>de</strong>s pièces ne<br />

peut pas diminuer ou augmenter la surface qu’elles occupent !<br />

Il s’agit d’une arnaque assez élémentaire qu’un regard attentif permet <strong>de</strong> dénoncer facilement. En<br />

réalité, aucune <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux figures n’est un vrai triangle. En effet, la pente <strong>de</strong> l’hypoténuse du petit<br />

triangle rectangle violet est 2/5 = 0,4 (il y a 2 cases <strong>de</strong> hauteur et 5 <strong>de</strong> largeur) alors que celle du<br />

petit triangle orangé est <strong>de</strong> 3/8 = 3,75 : les <strong>de</strong>ux hypoténuses ne s’alignent pas l’une avec l’autre.<br />

Dans le premier <strong>de</strong>ssin, le « pseudo-triangle » est légèrement creusé, alors que le second « pseudotriangle<br />

» est légèrement gonflé (ce qui explique qu’on puisse y loger un carré blanc <strong>de</strong> plus).<br />

Le même genre d’explications s’applique aux autres figures.<br />

27


LNA#42 / Paradoxes<br />

Nouveau paradoxe : le grand méchant logicien<br />

Une assemblée composée d’un nombre impair <strong>de</strong> logiciens a été capturée par le grand méchant logicien<br />

qui veut les enrôler dans sa secte. Il leur laisse une chance d’échapper à l’embriga<strong>de</strong>ment. Il<br />

les place en cercle, tous tournés vers le centre et il <strong>de</strong>ssine sur le front <strong>de</strong> chacun une croix noire ou<br />

une croix rouge en procédant au hasard (il s’ai<strong>de</strong> d’une pièce <strong>de</strong> monnaie qu’il jette en cachette).<br />

Chaque logicien voit les croix <strong>de</strong>ssinées sur le front <strong>de</strong>s autres logiciens, mais ne voit pas celle que<br />

lui-même porte sur le front. Aucune communication n’est permise entre les logiciens une fois les<br />

croix <strong>de</strong>ssinées.<br />

Un vote est organisé et chaque logicien indique s’il pense qu’il y a un nombre pair <strong>de</strong> croix rouges<br />

au total, ou un nombre impair <strong>de</strong> croix rouges au total. L’abstention n’est pas permise.<br />

Le grand méchant logicien comptabilise les réponses et considère la réponse majoritaire (il y en a une<br />

puisque le nombre <strong>de</strong> logiciens capturés est impair). Si le vote majoritaire est correct, les logiciens<br />

sont libérés et peuvent aller résoudre tous les paradoxes qu’ils trouvent intéressants. Sinon, ils<br />

sont condamnés à servir d’esclaves au grand méchant logicien.<br />

Chaque logicien se dit :<br />

« Puisque la parité du nombre total <strong>de</strong> croix rouges dépend <strong>de</strong> celle que j’ai sur le front, qui a été<br />

tirée au hasard, je ne peux rien faire <strong>de</strong> mieux que voter au hasard. Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> tous les<br />

autres logiciens et donc globalement nous ne pouvons rien espérer <strong>de</strong> mieux qu’être libéré une fois<br />

sur <strong>de</strong>ux ».<br />

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce raisonnement est faux. Il existe une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> vote<br />

que les logiciens peuvent <strong>de</strong>viner et appliquer et qui leur permettra d’être libérés dans bien plus <strong>de</strong><br />

la moitié <strong>de</strong>s cas. Quelle est cette métho<strong>de</strong> ?<br />

28


Mémoire <strong>de</strong> sciences : rubrique dirigée par Ahmed Djebbar / LNA#42<br />

Poésies aléatoires<br />

ou comment jouait-on aux dominos en Chine autour <strong>de</strong> 1600<br />

Par Andrea EBERHARD-BREARD<br />

Maître <strong>de</strong> conférences en histoire <strong>de</strong>s mathématiques, USTL<br />

Il est généralement reconnu que l’histoire <strong>de</strong>s probabilités<br />

en Occi<strong>de</strong>nt a émergé d’une réflexion sur le pari dans les<br />

jeux <strong>de</strong> hasard. En Chine, où peu <strong>de</strong> traces écrites <strong>de</strong>s pratiques<br />

mathématiques pré-mo<strong>de</strong>rnes ont été transmises à<br />

nos jours, on situe souvent le début <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s probabilités<br />

en 1896, année <strong>de</strong> parution <strong>de</strong> la première traduction<br />

en chinois <strong>de</strong> l’article Probabilities (Jueyi shuxue<br />

) <strong>de</strong> Thomas Galloway (7 ème édition <strong>de</strong> l‘Encyclopaedia<br />

Britannica, 1839). En analysant néanmoins <strong>de</strong>s<br />

sources du début du XVII ème siècle, marginalisées jusqu’à<br />

présent par l’historiographie, on trouve <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions<br />

<strong>de</strong> jeux <strong>de</strong> dominos, qui font apparaître l’existence<br />

d’une quantification du hasard. Ces jeux sont par ailleurs<br />

intimement liés à <strong>de</strong>s pratiques littéraires.<br />

Des dominos<br />

Avec la commercialisation du marché du livre, un nouveau<br />

genre encyclopédique apparaît en Chine du Sud à la<br />

fi n <strong>de</strong> la dynastie <strong>de</strong>s Ming. Ces compilations (lit. « les<br />

livres complets aux dix mille trésors », Wanbao quanshu<br />

) couvraient toutes sortes <strong>de</strong> domaines qui concernent<br />

les interactions sociales et la vie <strong>de</strong> tous les jours : le<br />

calendrier, les médicaments, l’hygiène, les statuts légaux, la<br />

musique, les jeux, les cérémonies, la calligraphie, les calculs<br />

d’abaque, mais aussi les récréations, les lettres d’amour et<br />

l’art <strong>de</strong> la séduction féminine. Par cette variété <strong>de</strong>s sujets<br />

traités, leurs origines lettrées et populaires, leur langage,<br />

le volume réduit et le prix abordable, ces encyclopédies<br />

s’adressaient à un public très large, « les quatre états » (si min<br />

) : l’élite, les paysans, les artisans et les marchands. Ils<br />

circulaient largement en Chine et au Japon, où aujourd’hui<br />

la plupart <strong>de</strong>s éditions sont conservées.<br />

Les ‘dominos’ (yapai , lit. cartes en ivoire) y interviennent<br />

dans <strong>de</strong>ux chapitres et contextes distincts : les chapitres<br />

sur les ‘jeux à boire’ (jiuling ) et les chapitres sur<br />

les ‘cinq (ou huit) listes méthodiques’ (wupu ou bapu ).<br />

Dans les <strong>de</strong>ux cas, il s’agit <strong>de</strong> former certaines combinaisons<br />

<strong>de</strong> dominos à partir d’un ensemble <strong>de</strong> 32 pièces réparties<br />

entre trois ou quatre joueurs. Il s’agit donc d’un type<br />

<strong>de</strong> récréation plus proche d’un jeu <strong>de</strong> cartes que du jeu <strong>de</strong><br />

dominos comme on le connaît en Occi<strong>de</strong>nt.<br />

De la combinatoire<br />

Ensemble <strong>de</strong> 32 dominos<br />

dans le Livre complet aux dix mille trésors (édition <strong>de</strong> 1612).<br />

L’analyse <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gains, normalisés dans l’Empire par<br />

décret impérial, montre qu’il aurait fallu faire au moins dix<br />

mille expériences pour être moralement certain que certaines<br />

combinaisons <strong>de</strong> dominos méritent le même nombre <strong>de</strong><br />

points. Par exemple, une combinaison <strong>de</strong> huit dominos,<br />

dont aucun ne contient ni 1 ni 4, et une combinaison <strong>de</strong> 6<br />

dominos différents dont chacun contient au moins une fois<br />

la 1 font gagner le même nombre <strong>de</strong> points. Les <strong>de</strong>ux ont<br />

<strong>de</strong>s probabilités <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 5·10 -4 et se forment <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

5000 manières différentes. On sait par les écrits <strong>de</strong> Galilei<br />

(Sopra le Scoperte <strong>de</strong>i Dadi, env. 1620) que les joueurs <strong>de</strong><br />

dés savaient reconnaître la différence entre les probabilités<br />

d’obtenir une somme <strong>de</strong> 9 ou 10 quand on lance trois dés.<br />

Elle est <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 2·10 -2 . Il est donc fort possible qu’en<br />

Chine, pour fi xer les règles du jeu <strong>de</strong> dominos – même si<br />

l’on n’avait pas <strong>de</strong> concept <strong>de</strong> probabilités au sens mo<strong>de</strong>rne<br />

du terme –, on calculait le nombre <strong>de</strong> combinaisons favorables.<br />

Un manuscrit <strong>de</strong> Chen Houyao , Le sens <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> combinaisons et d’alternance (Cuozong fayi<br />

fi n XVII ème siècle), montre d’ailleurs que <strong>de</strong> tels calculs<br />

étaient parfaitement maîtrisés.<br />

29


LNA#42 / Mémoire <strong>de</strong> sciences : rubrique dirigée par Ahmed Djebbar<br />

Des jeux à boire<br />

Dans le jeu <strong>de</strong> dominos pratiqué en tant que jeu à boire,<br />

on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> tour à tour à chaque joueur <strong>de</strong> composer un<br />

poème suivant un certain schéma. Souvent, ce schéma prescrit<br />

la présence dans le poème d’un ou <strong>de</strong> plusieurs noms<br />

<strong>de</strong> combinaisons <strong>de</strong> dominos, <strong>de</strong>s noms <strong>de</strong> personnalités<br />

légendaires, <strong>de</strong>s phrases provenant <strong>de</strong>s mélodies ou <strong>de</strong> la<br />

littérature vernaculaire. Si le joueur obtient ensuite effectivement<br />

ladite combinaison <strong>de</strong> dominos, il lui est <strong>de</strong>mandé<br />

<strong>de</strong> boire un verre <strong>de</strong> vin. Les Livres complets aux dix mille<br />

trésors proposent plusieurs schémas <strong>de</strong> composition et fournissent<br />

<strong>de</strong>s modèles <strong>de</strong> tels poèmes. Voici un exemple tiré<br />

<strong>de</strong> La Source correcte aux dix mille usages <strong>de</strong> Santai (Santai<br />

wanyong zhengzong , 1597) :<br />

« Nous <strong>de</strong>vons lier trois noms <strong>de</strong> dominos et faire correspondre<br />

leurs sens l’un à l’autre. […] ‘Chu et Han croisent le<br />

fer’ ([6 5][6 5]). Ayant éliminé ‘le point hostile, ils ne parviennent<br />

pas sur le sommet’ ([6 6][6 5][6 6]) et s’affligent<br />

pour ‘la cavalerie régulière’ ([4 4][5 5][6 6]). »<br />

On trouve <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong> ces jeux <strong>de</strong> dominos également<br />

dans l’un <strong>de</strong>s grands romans <strong>de</strong> l’époque, la Fleur en<br />

fiole d’or (Jin Ping Mei , fin XVI ème ). Parmi beaucoup<br />

d’autres, un exemple est en lien étroit avec celui donné ci<strong>de</strong>ssus.<br />

On y boit « d’après les noms <strong>de</strong>s combinaisons <strong>de</strong><br />

dominos en les faisant correspondre à celui d’une mélodie<br />

et à une phrase <strong>de</strong> l’Histoire du pavillon occi<strong>de</strong>ntal (Xixiang<br />

ji ), pièce <strong>de</strong> théâtre chantée du XIII ème siècle :<br />

« ‘La charmante fi lle’ 1 s’appuie, ivre, sur ‘le rouge profond<br />

du double quatre’ 2 en tirant sur la jupe <strong>de</strong> brocart pour<br />

mieux sentir ‘le vent printanier sous la tenure brochée d’or<br />

<strong>de</strong> la nuit <strong>de</strong> lune étoilée’ 3 . »<br />

Il est évi<strong>de</strong>nt que la pratique <strong>de</strong> ces jeux requiert un certain<br />

savoir littéraire combiné à une bonne familiarité avec les<br />

noms <strong>de</strong>s combinaisons <strong>de</strong> dominos. C’est peut-être l’une <strong>de</strong>s<br />

raisons pour laquelle les traces <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> dominos sous la<br />

forme qu’ils avaient autour <strong>de</strong> 1600 se sont vite effacées. Han<br />

Bangqing en 1892 (Fleurs <strong>de</strong> Shanghai )<br />

décrit encore <strong>de</strong>s hommes qui, lors <strong>de</strong>s rencontres sociales, se<br />

plaignent <strong>de</strong> ne plus pouvoir trouver <strong>de</strong>s courtisanes lettrées<br />

et hautement talentueuses pour pratiquer <strong>de</strong>s jeux à boire.<br />

Ce qui est regrettable pour l’historien <strong>de</strong>s mathématiques<br />

aujourd’hui c’est que les traces écrites d’une quantification<br />

<strong>de</strong>s chances dans un jeu <strong>de</strong> hasard se sont perdues avec.<br />

Chapitre sur les « huit listes méthodiques »<br />

dans le Livre complet aux dix mille trésors (édition <strong>de</strong> 1612).<br />

1<br />

Titre d’une mélodie au nom d’une courtisane réputée du VIII ème siècle.<br />

2<br />

Combinaison <strong>de</strong> quatre dominos avec la quatre au moins une fois sur chaque.<br />

3<br />

Passage d’une aria <strong>de</strong> l’Histoire du pavillon occi<strong>de</strong>ntal.<br />

30


Libres propos / LNA#42<br />

Qu’est-ce qu’une ville ?<br />

Entretien Alain CAMBIER - Marnix BONNIKE *<br />

* Marnix BONNIKE,<br />

directeur adjoint <strong>de</strong><br />

l’Ecole Nationale<br />

Supérieure d’Architecture<br />

et <strong>de</strong> Paysage <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>,<br />

interroge Alain CAMBIER<br />

à propos <strong>de</strong> la sortie<br />

<strong>de</strong> son livre Qu’est-ce<br />

qu’une ville ?, éd. VRIN,<br />

collection Chemins<br />

Philosophiques 1 .<br />

Une ville est un objet éminemment <strong>culture</strong>l : elle témoigne<br />

du savoir-faire d’architectes ou d’urbanistes<br />

et apparaît <strong>de</strong> part en part fabriquée <strong>de</strong> main d’homme.<br />

Mais suffit-il <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s villes pour les rendre habitables<br />

? Car habiter est une question davantage éthique<br />

et politique que technique. L’âme d’une ville relève <strong>de</strong> la<br />

symbolique qu’elle tisse. Aussi s’agit-il ici <strong>de</strong> renouveler<br />

l’approche <strong>de</strong> l’urbain, en soulignant que les prétentions<br />

<strong>de</strong> l’urbanisme sont vaines sans prise en compte <strong>de</strong> l’urbanité.<br />

Ce livre est conçu comme un fil d’Ariane pour<br />

s’orienter dans le labyrinthe <strong>de</strong> la ville.<br />

M.B. : Votre ouvrage est un « manuel » au sens noble qui permet<br />

<strong>de</strong> décrypter tous les phénomènes <strong>de</strong> la ville d’aujourd’hui :<br />

quelle continuité peut-on trouver dans la définition <strong>de</strong> la ville<br />

<strong>de</strong>puis la fondation <strong>de</strong> Rome jusqu’à la ville contemporaine ?<br />

La ville est la patrie artificielle <strong>de</strong>s hommes puisqu’elle constitue<br />

un univers à part <strong>de</strong> la nature, jadis à l’abri dans ses<br />

murs. En ce sens, l’urbs est orbs : la ville est enceinte d’un<br />

mon<strong>de</strong>. Parce qu’elle s’arrache à la dictature du local et <strong>de</strong>s<br />

liens claniques, elle ouvre un espace <strong>de</strong> liberté pour les individus<br />

: « L’air <strong>de</strong> la ville rend libre » disait-on au Moyen-<br />

Age. Aujourd’hui, l’urbain attire <strong>de</strong> plus en plus et la ville a<br />

largement débordé ses limites traditionnelles au point <strong>de</strong> se<br />

constituer en mégapole démesurée. Aussi la ville contemporaine<br />

ne peut espérer constituer un mon<strong>de</strong> humain que si ses<br />

habitants y disposent <strong>de</strong> repères symboliques communs.<br />

M.B. : Est-ce en ce sens que l’on peut considérer la ville comme<br />

le lieu <strong>de</strong> la citoyenneté ?<br />

Citoyenneté vient <strong>de</strong> cité – civitas en latin – tout comme<br />

politique vient du grec polis. Le nom <strong>de</strong> cité est aujourd’hui<br />

galvaudé : il ne renvoie plus qu’à la division sociale <strong>de</strong>s rôles<br />

et apparaît même synonyme <strong>de</strong> ghetto, alors qu’à l’origine<br />

la cité désignait le savoir vivre-ensemble. Athènes avait<br />

fondé la démocratie et Rome la république. Mais une ville<br />

n’est en elle-même qu’une agglomération <strong>de</strong> constructions<br />

hétéroclites et ne peut prétendre être le creuset <strong>de</strong> la citoyenneté<br />

que si ses habitants surmontent leur grégaire solitu<strong>de</strong><br />

en prenant conscience <strong>de</strong> leur bien commun. Ainsi, la ville<br />

médiévale avait inventé le parlementum. Ce n’est donc pas<br />

la cité qui fait les citoyens, mais les citoyens qui font <strong>de</strong> leur<br />

ville une cité.<br />

M.B. : Qu’est-ce qui fait alors du citoyen l’habitant-acteur <strong>de</strong><br />

la ville ?<br />

Habiter ne signifie pas loger, c’est-à-dire occuper un espace<br />

compartimenté, mais faire rayonner un univers <strong>de</strong> significations<br />

autour <strong>de</strong> soi. Une ville n’est habitable que si ses habitants<br />

sont capables <strong>de</strong> se réapproprier ses rues, ses édifices<br />

qui sont d’abord l’œuvre technique d’une vision d’architecte<br />

ou d’une conception urbanistique. Cette réappropriation<br />

passe par <strong>de</strong>s usages, <strong>de</strong>s mœurs qui constituent la grammaire<br />

d’une ville et son urbanité. Mais cette réappropriation passe<br />

également par l’action politique : la vie associative en est<br />

déjà l’expression.<br />

M.B. : Enfi n quelles clefs l’ouvrage donne-t-il pour la compréhension<br />

<strong>de</strong>s tensions urbaines ?<br />

On ne peut vivre humainement dans un univers urbain que<br />

si celui-ci opère en son sein une dilatation <strong>de</strong> l’espace et du<br />

temps. Or, celle-ci se produit s’il se déploie dans le symbolique.<br />

Des bâtiments ne peuvent se réduire à leurs matériaux<br />

et fonctions : il faut qu’ils fassent signe à ceux qui les<br />

côtoient. Les banlieues témoignent d’un déficit flagrant <strong>de</strong><br />

la dimension symbolique qui favorise le mal-être et la violence.<br />

Comme le mundus <strong>de</strong> la cité étrusco-romaine, toute<br />

construction urbaine peut aussi se révéler immon<strong>de</strong>.<br />

1<br />

Alain Cambier sera l’invité <strong>de</strong> l’émission «La vie comme elle va » sur France<br />

Culture le jeudi 20 avril à 15h.<br />

31


LNA#42 / Libres propos<br />

Art et Internet<br />

Les nouvelles figures <strong>de</strong> la création 1 Par Jean-Paul FOURMENTRAUX *<br />

Au carrefour <strong>de</strong> l’innovation technologique et <strong>de</strong> l’art<br />

contemporain, le Net art présente <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> recherche<br />

et <strong>de</strong> création inédits que cet ouvrage met en perspective :<br />

mutations du travail artistique, redéfinition <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

production et <strong>de</strong> circulation <strong>de</strong>s œuvres, outils et stratégies<br />

renouvelés <strong>de</strong> leur mise en public, en exposition ou en<br />

marché.<br />

Internet constitue ici le support technique, l’outil créatif<br />

et le dispositif social d’une nouvelle variété d’œuvres,<br />

dont les enjeux relationnels et collaboratifs reconduisent la<br />

problématique <strong>de</strong>s relations entre art et société.<br />

Leur conception engage différentes contributions, artistiques<br />

et informatiques, qui instaurent un morcellement <strong>de</strong><br />

l’activité créatrice et <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s pluriels <strong>de</strong> désignation <strong>de</strong> ce<br />

qui fait « œuvre ». L’observation ethnographique <strong>de</strong>s coopérations<br />

montre, à cet égard, la polyphonie énonciative d’où<br />

résultent <strong>de</strong>s œuvres enchâssées, partagées entre le « programme<br />

», « l’interface » et « l’image » dont les statuts et<br />

usages sont redéfinis (Partie 1).<br />

Cette délégation du travail créatif et cette fragmentation<br />

<strong>de</strong> l’œuvre engagent <strong>de</strong>s « configurations » artistiques particulières.<br />

Une typologie <strong>de</strong>s « dispositifs » du Net art rend<br />

compte <strong>de</strong> l’agencement <strong>de</strong>s différents fragments <strong>de</strong> l’œuvre<br />

et permet <strong>de</strong> dégager <strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> l’interactivité, telles<br />

qu’elles sont prévues au cœur <strong>de</strong> l’environnement technique,<br />

ainsi que les mo<strong>de</strong>s d’interaction qui leur correspon<strong>de</strong>nt entre<br />

l’artiste, l’œuvre et son public. (Partie 2).<br />

Et puisqu’elle doit « être agie », il convient en <strong>de</strong>rnier lieu<br />

d’acheminer l’œuvre vers son public potentiel. L’analyse <strong>de</strong><br />

la « mise en exposition » souligne une monstration (problématique)<br />

<strong>de</strong> l’œuvre d’art, qui engage, là encore, différentes<br />

stratégies et tactiques artistiques : <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>zvous<br />

ponctuels à la fidélisation, et jusqu’à l’instauration <strong>de</strong><br />

contrats <strong>de</strong> service ou <strong>de</strong> maintenance <strong>de</strong> la réception. Ce<br />

caractère ambivalent du Net art, placé entre une configuration<br />

<strong>de</strong> l’environnement technique et un cadrage <strong>de</strong> l’action<br />

sociale, déplace pour bonne part le régime d’appréhension<br />

<strong>de</strong> l’œuvre d’art. Celle-ci se déploie désormais comme une<br />

forme dialogique – simultanément esthétique, médiologique<br />

et sociale – qui ne peut être saisie qu’« en actes » ou «<br />

en travail », c’est-à-dire, appréhendée comme un dispositif<br />

cognitif à construire (Partie 3).<br />

L’ouvrage décrit fi nement ces relations entre dispositifs et<br />

pratiques et met en perspective <strong>de</strong>s formes d’attachement<br />

encore spécifiques à cet art mais révélatrices <strong>de</strong> nouveaux<br />

paradigmes médiatiques.<br />

* Jean-Paul Fourmentraux est chercheur associé au Centre <strong>de</strong> sociologie du<br />

travail et <strong>de</strong>s arts (CNRS-EHESS) et au Centre <strong>de</strong> sociologie <strong>de</strong> l’innovation<br />

(CNRS-ENSMP).<br />

1<br />

CNRS Éditions, 2005.<br />

32


Au programme / Journée d'étu<strong>de</strong>s / LNA#42<br />

Journée d’étu<strong>de</strong>s : L’enfant en souffrance<br />

Mercredi 12 avril 2006<br />

Entrée libre<br />

9h30 : Regards sur l’enfant aujourd’hui<br />

Avec Rémy Casanova, Professeur en sciences <strong>de</strong> l’éducation<br />

- <strong>Lille</strong> 3 (sous réserve) ; Professeur Pierre Delion, Faculté<br />

<strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 2, pédopsychiatre au CHRU <strong>de</strong><br />

<strong>Lille</strong> ; Maryse Vaillant, Psychologue.<br />

14h00 à 18h00 : Ateliers<br />

Souffrance et séparation<br />

Atelier animé par Jean-François Rey, Professeur agrégé <strong>de</strong><br />

philosophie à l’IUFM <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>.<br />

Avec le docteur Colette Destombes, Psychanalyste <strong>de</strong> l’enfant ;<br />

Odile Viltart, Maître <strong>de</strong> conférences, Département <strong>de</strong> stress périnatal/Laboratoire<br />

<strong>de</strong> neurosciences à l’USTL.<br />

La prévention précoce<br />

Avec Maurice Titran, Pédiatre, directeur technique du Centre<br />

d’Action Médico-Sociale Précoce à l’hôpital <strong>de</strong> Roubaix ;<br />

Sara Morley, Enseignant-chercheur, Département <strong>de</strong> stress<br />

périnatal/Laboratoire <strong>de</strong> neurosciences à l’USTL.<br />

La protection<br />

Atelier animé par Jocelyne Moreau, DRPJJ/Ministère <strong>de</strong><br />

la Justice.<br />

Avec Youssef Boudjemai, Administrateur du Point Jeunes<br />

Association Recherche Formation - ADNSEA ; Régis Gau<strong>de</strong>t,<br />

Directeur <strong>de</strong> l’Institut Fernand Deligny - ADNSEA.<br />

Les troubles <strong>de</strong> la conduite<br />

Atelier animé par Berna<strong>de</strong>tte Caudron, Directrice technique<br />

<strong>de</strong> l’ADNSEA (Association Départementale du Nord pour<br />

la Sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Enfant à l’Adulte).<br />

Avec Janick Naveteur, Maître <strong>de</strong> conférences, Laboratoire<br />

<strong>de</strong> neurosciences à l’USTL ; le docteur Rosa Mascaro,<br />

Pédopsychiatre, directrice du Centre d’Action Médico-<br />

Sociale Précoce Binet - ADNSEA ; Paul Cotta, Psychanalyste,<br />

attaché au CHRU <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>.<br />

Douleur, handicap, psychopathologies<br />

Atelier animé par Vinca Rivière, Maître <strong>de</strong> conférences en<br />

psychologie à <strong>Lille</strong> 3, Laboratoire URECA.<br />

Avec Jean Desbonnet, Association Les Papillons Blancs ;<br />

A<strong>de</strong>line Bonnet, Étudiante en thèse, Laboratoire <strong>de</strong> neurosciences<br />

à l’USTL.<br />

La souffrance à l’école<br />

Avec Georges Ntsiba, Responsable pédagogique, <strong>Espace</strong><br />

Clau<strong>de</strong> Chassagny (Centre médico-psychologique et pédagogique)<br />

- ADNSEA ; Maryse Tellier, Responsable <strong>de</strong><br />

projets à la Boîte à Mots - ADNSEA.<br />

Participation <strong>de</strong> lycéens :<br />

- Lycée Colbert Tourcoing (Sophie Borges, Professeur <strong>de</strong> Lettres)<br />

2 n<strong>de</strong> D3 : Saynètes autour <strong>de</strong> la violence à l’école et <strong>de</strong> la<br />

violence urbaine<br />

2 n<strong>de</strong> D5 : Montage d’un « Ça se discute ? » autour du suici<strong>de</strong><br />

1 ère ET2 : Autoportraits picturaux et textuels <strong>de</strong>s élèves :<br />

« La 1 ère ET2 se ‘tire’ le portrait »<br />

- Lycée Sévigné Tourcoing (Magali Randolet et Christine<br />

David, Professeurs <strong>de</strong> SMS)<br />

1 ère SMS et les conseillères en économie sociale et familiale :<br />

Exposition, plaquettes d’information<br />

- Lycée Valentine Labbé La Ma<strong>de</strong>leine, partenaire <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong><br />

Culture (Noëlle Kassi, Professeur <strong>de</strong> philosophie)<br />

Partenaires <strong>de</strong> l’opération : ADNSEA (Association Départementale du Nord<br />

pour la Sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Enfant à l’Adulte), Association Atoukid, Association<br />

Jeune Enfance Nord (<strong>Lille</strong>), Centre Français <strong>de</strong> Protection <strong>de</strong> l’Enfance, Direction<br />

Enfance et Famille (Conseil Général du Nord), Direction Régionale <strong>de</strong><br />

la Protection Judiciaire <strong>de</strong> la Jeunesse, <strong>Lille</strong> (Ministère <strong>de</strong> la Justice), Lycée Colbert<br />

(Tourcoing), Lycée Valentine Labbé (La Ma<strong>de</strong>leine), Maison <strong>de</strong> l’Enfance<br />

et <strong>de</strong> la Famille d’Hellemmes (EPDSAE), MGEN Nord, Rectorat <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>,<br />

SGAR (Secrétariat Général pour les Affaires Régionales), Préfecture <strong>de</strong> Région,<br />

UNICEF – Antenne <strong>de</strong> <strong>Lille</strong><br />

Remerciements à Jean-François Bloc, Sophie Borges, Berna<strong>de</strong>tte Caudron, Professeur<br />

Pierre Delion, Docteur Colette Destombes, Colette Devaux, Stéphane<br />

Dorchies, Éric Falbierski, Christian Gernigon, Bernard Joliot, Noëlle<br />

Kassi, Anne Lefèvre, Jocelyne Moreau, Bérangère Mouquet, Janick Naveteur,<br />

Jean-François Rey, Éliane et Jean-Clau<strong>de</strong> Reydant pour leur participation à<br />

l’élaboration <strong>de</strong> ce cycle.<br />

À noter :<br />

Conférence « L’enfant et l’école »<br />

Mardi 11 avril à 18h30<br />

Par Marie-Anne Hugon, Maître <strong>de</strong> conférences en sciences<br />

<strong>de</strong> l’éducation à l’Université <strong>de</strong> Paris X-Nanterre.<br />

33


LNA#42 / Au programme / Exposition<br />

Au-<strong>de</strong>là du compas : la géométrie <strong>de</strong>s courbes<br />

Voyage dans le jardin <strong>de</strong>s formes<br />

Du 27 mars au 15 avril<br />

À l’<strong>Espace</strong> Culture et à la Bibliothèque Universitaire <strong>de</strong> l’USTL<br />

Vernissage le 27 mars à 18h30 à l’<strong>Espace</strong> Culture<br />

Entrée libre<br />

Exposition conçue par Il Giardino di Archime<strong>de</strong> - Musée<br />

pour les Mathématiques (Florence, Italie)<br />

Proposée par l’UFR <strong>de</strong> Mathématiques <strong>de</strong> l’Université<br />

<strong>de</strong>s Sciences et Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> et l’Association pour<br />

la création <strong>de</strong> la Cité <strong>de</strong>s Géométries <strong>de</strong> Maubeuge.<br />

Savez-vous qu’une fourmi, placée au centre d’un disque<br />

tournant à vitesse constante, décrit, en se déplaçant vers<br />

l’extérieur, une courbe appelée « la spirale d’Archimè<strong>de</strong> » ?<br />

Savez-vous pourquoi les vols transocéaniques reliant <strong>de</strong>ux<br />

villes à la même latitu<strong>de</strong> passent souvent près <strong>de</strong>s pôles ?<br />

Savez-vous comment obtenir une ellipse en pliant du papier ?<br />

Ou construire une parabole en traçant seulement <strong>de</strong>s<br />

droites ?<br />

L’exposition « Au-<strong>de</strong>là du compas : la géométrie <strong>de</strong>s courbes »,<br />

réalisée par les professeurs Franco Conti (Pise) et Enrico<br />

Giusti (Florence), nous fait découvrir le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s courbes,<br />

sur plus <strong>de</strong> vingt-cinq siècles, <strong>de</strong>s débuts <strong>de</strong> la géométrie aux<br />

fractales mo<strong>de</strong>rnes.<br />

À l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> montages ingénieux, maquettes et mécanismes<br />

interactifs, cette exposition permet à tous les visiteurs d’explorer<br />

cet univers <strong>de</strong> formes, d’idées et d’applications, d’en<br />

comprendre les principes, d’observer ou d’en vérifier les propriétés<br />

mathématiques.<br />

Pour les élèves, ce sera l’occasion d’appréhen<strong>de</strong>r, avec leurs<br />

en seignants et les gui<strong>de</strong>s sur place, certaines problématiques<br />

ren contrées par les hommes, leurs façons <strong>de</strong> les modéliser et<br />

<strong>de</strong> les résoudre.<br />

Organisée par l’Université <strong>de</strong>s Sciences et Technologies<br />

<strong>de</strong> <strong>Lille</strong> : <strong>Espace</strong> Culture, UFR <strong>de</strong> Mathématiques, Bibliothèque<br />

Universitaire, Cellule Formation, SUAIO, Cellule<br />

Communication, IREM.<br />

La légen<strong>de</strong> raconte qu’Archimè<strong>de</strong> inventa les « miroirs ar<strong>de</strong>nts<br />

» lors du siège <strong>de</strong> Syracuse par les Romains (215-<br />

212 av. J.C.). Ces miroirs auraient renvoyé les rayons du Soleil<br />

sur les voiles <strong>de</strong>s navires ennemis, y mettant ainsi le feu.<br />

En effet, un miroir parabolique permet <strong>de</strong> concentrer en<br />

un point <strong>de</strong>s rayons parallèles (ou presque comme ceux du<br />

soleil). Ainsi, quand un faisceau lumineux ou un faisceau<br />

d’on<strong>de</strong>s arrive sur une parabole bien orientée, tous les rayons<br />

réfléchis convergent en un point unique appelé foyer. Les<br />

antennes paraboliques et les grands radiotélescopes fonctionnent<br />

aujourd’hui selon ce principe.<br />

Sans le savoir, nous croisons chaque jour <strong>de</strong>s applications <strong>de</strong><br />

la géométrie.<br />

Savez-vous que l’on peut rencontrer <strong>de</strong>s « spirales logarithmiques »<br />

dans les pommes <strong>de</strong> pin ou dans les graines au centre d’une fleur<br />

<strong>de</strong> tournesol ?<br />

VISITES SCOLAIRES<br />

Des visites guidées seront<br />

organisées sur inscription *<br />

- du lundi au vendredi <strong>de</strong> 9h à 18h<br />

- le samedi <strong>de</strong> 9h à 13h<br />

Durée <strong>de</strong>s visites : 1 heure par<br />

classe (scindée en 2 groupes).<br />

Les groupes scolaires sont<br />

invités à assister aux conférences<br />

programmées à 12h30 et 18h30.<br />

VISITES GRAND PUBLIC<br />

L’exposition est ouverte :<br />

- du lundi au vendredi <strong>de</strong> 9h à 18h<br />

- le samedi <strong>de</strong> 9h à 13h<br />

Des visites guidées seront<br />

organisées sur inscription *<br />

- les mardis et jeudis à 17h<br />

- les samedis à 10h<br />

Toute autre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pour <strong>de</strong>s<br />

visites <strong>de</strong> groupe sera étudiée.<br />

Durée <strong>de</strong>s visites : 1 heure par<br />

groupe <strong>de</strong> 15 personnes. Délai<br />

d’inscription : 2 jours avant la date<br />

souhaitée.<br />

* Auprès <strong>de</strong> l’IREM (Institut <strong>de</strong> Recherche sur l’Enseignement <strong>de</strong>s<br />

Mathématiques) : 03 20 43 41 81 ou irem@univ-lille1.fr<br />

Possibilité <strong>de</strong> restauration sur place.<br />

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Au programme / Conférences / LNA#42<br />

CONFÉRENCES À 12H30<br />

Mathématiques et cuisine<br />

Par Enrico Giusti, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Florence - Italie<br />

Lundi 27 mars – <strong>Espace</strong> Culture<br />

Une introduction mo<strong>de</strong>rne à la théorie <strong>de</strong>s courbes<br />

Par Juan-Carlos Alvarez-Paiva, Professeur à l’USTL<br />

Mardi 28 mars – <strong>Espace</strong> Culture<br />

Des 0 et <strong>de</strong>s 1...<br />

Par Martine Queffélec, Maître <strong>de</strong> Conférences à l’USTL<br />

Mercredi 29 mars – <strong>Espace</strong> Culture<br />

Modélisation du trafic routier<br />

Par Jean-François Coulombel, Chargé <strong>de</strong> Recherche au CNRS<br />

Jeudi 30 mars – Bâtiment <strong>de</strong>s Thèses<br />

Billards elliptiques et translations<br />

Par Laurent Bonavero, Maître <strong>de</strong> Conférences à l’Université <strong>de</strong> Grenoble I<br />

Vendredi 31 mars – <strong>Espace</strong> Culture<br />

Pavages du plan, beautés cachées <strong>de</strong> l’Alambra<br />

Par Jean-François Barraud, Maître <strong>de</strong> Conférences à l’USTL<br />

Lundi 3 avril – <strong>Espace</strong> Culture<br />

Les mathématiques entre l’art et la <strong>culture</strong> <strong>de</strong>s IX ème -<br />

XV ème siècles<br />

Par Ahmed Djebbar, Professeur à l’USTL<br />

Mardi 4 avril – <strong>Espace</strong> Culture<br />

Probabilités géométriques<br />

Par Charles Suquet, Professeur à l’USTL<br />

Mercredi 5 avril – Bâtiment <strong>de</strong>s Thèses<br />

Striations dans l’ionosphère<br />

Par Christophe Besse, Professeur à l’USTL<br />

Jeudi 6 avril – <strong>Espace</strong> Culture<br />

Des vidéos en mathématiques<br />

Par Éliane Cousquer, Retraitée <strong>de</strong> l’enseignement supérieur<br />

Vendredi 7 avril – <strong>Espace</strong> Culture<br />

Les courbes : vues <strong>de</strong> Chine<br />

Par Andrea Bréard, Maître <strong>de</strong> Conférences à l’USTL<br />

Lundi 10 avril – Bâtiment <strong>de</strong>s Thèses<br />

Sur quelques aspects expérimentaux <strong>de</strong>s mathématiques<br />

Par Rudolf Bkouche, Professeur émérite <strong>de</strong> l’USTL<br />

Mardi 11 avril – Bâtiment <strong>de</strong>s Thèses<br />

Au-<strong>de</strong>là du compas : 3000 ans <strong>de</strong> dépassement !<br />

Par Alain Juhel, Professeur agrégé - Lycée Faidherbe - <strong>Lille</strong><br />

Mercredi 12 avril – Bâtiment <strong>de</strong>s Thèses<br />

Les nœuds et la topologie : un beau mariage<br />

Par Sadok Kallel, Maître <strong>de</strong> Conférences à l’USTL<br />

Jeudi 13 avril – <strong>Espace</strong> Culture<br />

Trois problèmes innocents <strong>de</strong> géométrie plane<br />

Par Hervé Queffélec, Professeur à l’USTL<br />

Vendredi 14 avril – <strong>Espace</strong> Culture<br />

CONFÉRENCES À 18H30<br />

Le chaos en mathématiques et en physique<br />

Par Stephan De Bièvre, Professeur à l’USTL<br />

Mardi 28 mars – Bâtiment M1 / Amphi Archimè<strong>de</strong><br />

Pourquoi fait-on <strong>de</strong>s mathématiques ?<br />

Par Jean-Pierre Kahane, Professeur émérite à l’Université <strong>de</strong> Paris Sud<br />

Jeudi 30 mars – Bâtiment M1 / Amphi Archimè<strong>de</strong><br />

Mathématiciens sous les projecteurs : du mythe à la réalité ?<br />

Par Jean-Pierre Bourguignon, Directeur <strong>de</strong> recherche au CNRS,<br />

Directeur <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong>s Hautes Étu<strong>de</strong>s Scientifiques<br />

Mardi 4 avril – Bâtiment M1 / Amphi Archimè<strong>de</strong><br />

Mathématiques et musique<br />

Par Saïd Belmehdi, Maître <strong>de</strong> conférences à l’USTL<br />

Jeudi 6 avril – Bâtiment M1 / Amphi Archimè<strong>de</strong><br />

L’algèbre arabe, genèse d’un art<br />

Par Ahmed Djebbar, Professeur à l’USTL<br />

Mardi 11 avril – Bâtiment M1 / Amphi Archimè<strong>de</strong><br />

Jeu <strong>de</strong> dames et mathématiques<br />

Par Jean D’Almeida, Professeur à l’USTL<br />

Jeudi 13 avril – Bâtiment M1 / Amphi Archimè<strong>de</strong><br />

Pour plus d’informations :<br />

http://www.univ-lille1.fr/math/Expo.htm<br />

http://www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong> (rubrique agenda/expositions)<br />

<strong>Espace</strong> Culture<br />

T 03 20 43 69 09 / F 03 20 43 69 59<br />

ustl-cult@univ-lille1.fr<br />

http://www.univ-lille1/<strong>culture</strong><br />

UFR <strong>de</strong> Mathématiques<br />

T 03 20 43 42 34 / F 03 20 43 67 58<br />

sec-direction-math@univ-lille1.fr<br />

http://www.univ-lille1.fr/math<br />

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LNA#42 / Au programme / Formule Pierre-Rubio<br />

Vooruit / Ghent / 2005<br />

Photos Pierre Rubio © Formule Pierre-Rubio<br />

FORMULE PIERRE-RUBIO<br />

« Pierre Rubio est-il un chorégraphe ? »<br />

Conférence le 5 avril <strong>de</strong> 14h à 18h<br />

" sans titre " (chez vous), 2006<br />

Installation, performance et communication<br />

Du 3 au 10 mai<br />

Ouverture le 3 mai à 12h<br />

Installation visible du lundi au jeudi <strong>de</strong> 11h à 18h et le vendredi <strong>de</strong> 10h à 13h45<br />

Performance et dévernissage le 10 mai à 19h<br />

Try out / La Villette / Paris / Février 2003<br />

Photo Benoît la chambre – Par B.L. eux © Formule Pierre-Rubio<br />

1<br />

Stage-atelier les 2, 3, 4 et 5 mai<br />

<strong>de</strong> 18h30 à 21h et le 10 mai <strong>de</strong><br />

14h à 22h.<br />

La présence à la conférence du 5<br />

avril est obligatoire pour s’inscrire<br />

aux ateliers.<br />

Inscription auprès <strong>de</strong> Latitu<strong>de</strong>s<br />

Contemporaines :<br />

Dimitri Van Meenin - 03 20 55 18 62<br />

www.latitu<strong>de</strong>scontemporaines.org<br />

Co-réalisation : l’Association Latitu<strong>de</strong>s Contemporaines, l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’Université Sciences et Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> et<br />

vzw ATOM.<br />

Latitu<strong>de</strong>s Contemporaines, avec le soutien <strong>de</strong> la Direction Régionale <strong>de</strong>s Affaires Culturelles<br />

du Nord-Pas <strong>de</strong> Calais, développe <strong>de</strong>puis 2005 un projet <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce « Artiste<br />

Rencontre Territoire » confié cette année à Pierre Rubio, chorégraphe et performer.<br />

Son passage à l’<strong>Espace</strong> Culture, une <strong>de</strong>s étapes <strong>de</strong> sa rencontre du territoire <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>, est l’occasion<br />

<strong>de</strong> découvrir cet artiste atypique, dont le travail s’est développé en un parcours éclectique,<br />

articulant <strong>de</strong>s expériences multiples en chorégraphie, performance, littérature, art visuel et<br />

improvisation.<br />

À travers son label Formule Pierre-Rubio, Pierre Rubio questionne l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’artiste et <strong>de</strong> son<br />

public. Il compose et présente <strong>de</strong>s performances dansées et/ou parlées, souvent interactives. Dans<br />

ses recherches, il développe une esthétique aux frontières mobiles, entre une approche chorégraphique<br />

conceptuelle, une physicalité plastique et une perspective critique sur la <strong>culture</strong>.<br />

Une conférence « Pierre Rubio est-il un chorégraphe ? » est proposée par l’artiste le mercredi 5 avril.<br />

Du 3 au 10 mai 2006, l’<strong>Espace</strong> Culture vous propose <strong>de</strong> découvrir sans titre (chez vous), une<br />

installation grand format in situ, créée et contextualisée par Formule Pierre-Rubio, ainsi qu’un<br />

stage-atelier 1 qui sera mené par l’artiste avec un public restreint sélectionné.<br />

En direct, le 10 mai à 19h, l’installation sera détruite et transformée par l’artiste et les spectateurs,<br />

au cours d’une soirée mêlant performance et communications.<br />

Bienvenue dans l’univers <strong>de</strong> Pierre Rubio.<br />

Vous pourrez découvrir la 4 ème édition <strong>de</strong>s Latitu<strong>de</strong>s Contemporaines du 15 au 26 juin 2006 avec notamment Heine Røsdal Avdal,<br />

Marco Berrettini, Olga <strong>de</strong> Soto, ELU et Steven Cohen, Gilles Jobin, Christian Rizzo, Isabelle Schad, Gisèle Vienne, etc.<br />

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Au programme / Formule Pierre-Rubio / LNA#42<br />

ATOM<br />

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LNA#42 / Au programme / Ateliers<br />

Frédéric Lecoeurt<br />

Pratiques artistiques<br />

EXPOSITION<br />

Le sujet <strong>de</strong> la photographie<br />

Atelier photographie<br />

Sous la direction <strong>de</strong> Antoine Petitprez et Philippe Timmerman<br />

Du 11 au 31 mai – Vernissage le 11 mai à 18h<br />

CONCERTS<br />

Workshop I<br />

Sous la direction <strong>de</strong> Olivier<br />

Benoit<br />

Lundi 10 avril<br />

et mardi 2 mai à 12h30<br />

- X / Lucien Rapilly<br />

Workshop<br />

- Strange, Lovely <strong>de</strong>mon /<br />

Damien Cassette<br />

- OAC / Didier Levallet<br />

- Immobile / Olivier Benoit<br />

- Lenticularis / Olivier Benoit<br />

- America / Olivier Benoit<br />

L’observation d’une photographie révèle en chacun <strong>de</strong> nous<br />

à la fois un sentiment <strong>de</strong> curiosité et également une certaine<br />

fascination.<br />

Toute photographie contient à la fois une part d’objectivité<br />

dans le sens où elle montre bien l’objet qui est représenté et,<br />

d’autre part, elle développe simultanément une part subjective<br />

dans le sens où l’objet représenté semble échapper à sa<br />

propre représentation.<br />

Laure Pointereau<br />

Workshop II<br />

Sous la direction <strong>de</strong> Olivier Benoit<br />

Mardi 11 avril à 12h30<br />

- Soliloque en stock / Jean-Baptiste Rubin<br />

- Medit’action / Quentin Conrate<br />

- Can I borrow you… / Olivier Benoit<br />

- Les héros sont fatigués / Olivier Benoit<br />

- Es muss sein / David Lamblin<br />

Jazz Big Band<br />

Sous la direction <strong>de</strong> Christophe Hache<br />

Jeudi 4 mai à 12h30<br />

La gran<strong>de</strong> formation se compose d’une dizaine <strong>de</strong> musiciens<br />

et interprétera <strong>de</strong>s arrangements sur <strong>de</strong>s compositions <strong>de</strong><br />

Joe Zawinul, Jaco Pastorius, Stevie Won<strong>de</strong>r, Blood Sweat<br />

and Tears, Herbie Hancock.<br />

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Au programme / Exposition / LNA#42<br />

En mai, fais ce qu’il te plaît !<br />

Du 31 mai au 23 juin 2006<br />

Vernissage le 31 mai à 18h30<br />

Salle d’exposition - Galerie<br />

Olivier Bosson - Cathy Christiaen - Messieurs Delmotte<br />

Trois artistes, trois regards singuliers sur la collection Frac Nord-Pas<br />

<strong>de</strong> Calais<br />

En mai…, nous avons choisi <strong>de</strong> laisser carte blanche à Olivier Bosson,<br />

Cathy Christiaen, Messieurs Delmotte qui nous présenteront, en regard<br />

<strong>de</strong> leur travail artistique, une œuvre choisie dans la collection du Frac<br />

Nord-Pas <strong>de</strong> Calais. À découvrir le 31 mai !<br />

Olivier Bosson<br />

Olivier Bosson Image extraite <strong>de</strong> l’album vidéo « Compétent dans sa<br />

branche » - DVD - 27 morceaux - 66 minutes - prod Le Fresnoy, Studio<br />

national <strong>de</strong>s arts contemporains - co-édité par les éditions è®e.<br />

On peut transformer une pelouse en un mur, et ce n’est même pas très compliqué,<br />

il suffi t <strong>de</strong> l’étendre. Et bien sûr, l’intérêt, c’est que, une pelouse c’est beaucoup<br />

mieux qu’un mur. C’est convivial. C’est accueillant. En termes d’image,<br />

je veux dire.<br />

Cathy Christiaen<br />

Le plus souvent, mes interventions se traduisent par une soustraction <strong>de</strong> poids,<br />

un allègement, recherchant cette impression dynamique <strong>de</strong> légèreté, un état aérien<br />

ou rien ne pèse (…) comme <strong>de</strong>s ponctuations spatiales, pour <strong>de</strong>s instants<br />

fragiles.<br />

Cathy Christiaen Recherche ombre, 2004, Intervention in-situ<br />

Traces photographiques, Arbre, feuilles, sol, craie.<br />

Messieurs Delmotte<br />

Dans l’ombre <strong>de</strong> Messieurs Delmotte s’abrite l’auteur, un repaire qui permet<br />

à celui-ci <strong>de</strong> mettre encore davantage <strong>de</strong> distance entre lui-même, sa pratique<br />

et un périmètre institutionnel.<br />

Remerciements à Olivier Bosson et au Fresnoy - Studio national <strong>de</strong>s arts contemporains, Cathy Christiaen,<br />

Céline Coubray, Messieurs Delmotte, Véronique Esquieu, Christiane Fortassin, Mélanie Stienne<br />

et à l’équipe du Frac Nord-Pas <strong>de</strong> Calais.<br />

Messieurs Delmotte Plumage, 2005. Vi<strong>de</strong>o / 00 : 02 :10 / sound.<br />

Réalisation : Messieurs Delmotte. Image : Marc Malcourant.<br />

Photo (tournage) : A<strong>de</strong>lmo Gironi © Messieurs Delmotte – 2005.<br />

39


A g e n d a<br />

Retrouvez le détail <strong>de</strong>s manifestations sur notre site : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong> ou dans « l’in_edit » en pages<br />

centrales. L’ ensemble <strong>de</strong>s manifestations se déroulera à l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL.<br />

*Pour ce spectacle, le nombre <strong>de</strong> places étant limité, il est nécessaire <strong>de</strong> retirer préalablement vos entrées libres à l’<strong>Espace</strong> Culture (disponibles un mois avant les manifestations).<br />

avril, mai, juin 2006<br />

Jusqu’au 15 avril Exposition « Au-<strong>de</strong>là du compas : la géométrie <strong>de</strong>s courbes »<br />

(<strong>Espace</strong> Culture/Bibliothèque Universitaire) Vernissage le 27 mars à 18h30 / <strong>Espace</strong> Culture<br />

Lundi 3 avril<br />

12h30 Conférence « Pavages du plan, beautés cachées <strong>de</strong> l’Alambra » par Jean-François Barraud<br />

Mardi 4 avril 12h30 Conférence « Les mathématiques entre l’art et la <strong>culture</strong> <strong>de</strong>s IX ème - XV ème siècles »<br />

par Ahmed Djebbar<br />

18h30 Conférence « Mathématiciens sous les projecteurs : du mythe à la réalité ? »<br />

par Jean-Pierre Bourguignon (Bât. M1/Amphi Archimè<strong>de</strong>)<br />

Mercredi 5 avril<br />

Jeudi 6 avril<br />

Vendredi 7 avril<br />

Lundi 10 avril<br />

Mardi 11 avril<br />

12h30 Conférence « Probabilités géométriques » par Charles Suquet (Bât. Thèses)<br />

14h Conférence « Pierre Rubio est-il un chorégraphe ? »<br />

12h30 Conférence « Striations dans l’ionosphère » par Christophe Besse<br />

18h30 Conférence « Mathématiques et musique » par Saïd Belmehdi (Bât. M1/Amphi Archimè<strong>de</strong>)<br />

12h30 « Des vidéos en mathématiques » par Éliane Cousquer<br />

12h30 Pratiques artistiques : concert Workshop I<br />

12h30 Conférence « Les courbes : vues <strong>de</strong> Chine » par Andrea Bréard (Bât. Thèses)<br />

12h30 Pratiques artistiques : concert Workshop II<br />

12h30 Conférence « Sur quelques aspects expérimentaux <strong>de</strong>s mathématiques »<br />

par Rudolf Bkouche (Bât. Thèses)<br />

14h30 Conférence <strong>de</strong> l’UTL<br />

18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « L’enfant » « L’enfant et l’école »<br />

par Marie-Anne Hugon<br />

18h30 Conférence « L’algèbre arabe, genèse d’un art »<br />

par Ahmed Djebbar (Bât. M1/Amphi Archimè<strong>de</strong>)<br />

Mercredi 12 avril 9h Journée d’étu<strong>de</strong>s : Cycle « L’enfant » « L’enfant en souffrance »<br />

12h30 Conférence « Au-<strong>de</strong>là du compas : 3000 ans <strong>de</strong> dépassement ! »<br />

par Alain Juhel (Bât. Thèses)<br />

Jeudi 13 avril 12h30 Conférence « Les nœuds et la topologie : un beau mariage » par Sadok Kallel »<br />

18h30 Question <strong>de</strong> sens : Cycle « Bien-être/Mal-être » « Survie et mal-être dans le sud »<br />

par David Eloy et Frédéric Verspeeten<br />

18h30 Conférence « Jeu <strong>de</strong> dames et mathématiques »<br />

par Jean D’Almeida (Bât. M1/Amphi Archimè<strong>de</strong>)<br />

Vendredi 14 avril 12h30 Conférence « Trois problèmes innocents <strong>de</strong> géométrie plane »<br />

par Hervé Queffélec<br />

Mardi 2 mai<br />

12h30 Pratiques artistiques : concert Workshop I<br />

14h30 Conférence <strong>de</strong> l’UTL<br />

Du 3 au 10 mai Formule Pierre-Rubio " sans titre " (chez vous), 2006<br />

Installation, performance et communication<br />

Performance et dévernissage le 10 mai à 19h<br />

Jeudi 4 mai<br />

Vendredi 5 mai<br />

Mardi 9 mai<br />

12h30 Pratiques artistiques : concert Big Band<br />

Festival Mix’cité<br />

14h30 Conférence <strong>de</strong> l’UTL<br />

Du 11 au 31 mai Pratiques artistiques : exposition « Le sujet <strong>de</strong> la photographie »<br />

Vernissage le 11 mai à 18h<br />

Du 31 mai au 23 juin Exposition « En mai, fais ce qu’il te plaît ! »<br />

Vernissage le 31 mai à 18h30<br />

<strong>Espace</strong> Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’Ascq<br />

Du lundi au jeudi <strong>de</strong> 11h à 18h et le vendredi <strong>de</strong> 10h à 13h45<br />

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59<br />

www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong> - Mail : ustl-cult@univ-lille1.fr

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