2008, Volume 14, N°2 - Centre d'études et de recherches ...
2008, Volume 14, N°2 - Centre d'études et de recherches ...
2008, Volume 14, N°2 - Centre d'études et de recherches ...
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
22<br />
Anne BOERGER-DE SMEDT<br />
Venons-en maintenant aux compétences <strong>de</strong> la Cour. Dès le début <strong>de</strong>s<br />
négociations, la question <strong>de</strong> la recevabilité <strong>de</strong>s recours mobilisa l’attention <strong>de</strong>s<br />
négociateurs. Initialement, nous l’avons dit, les Français prévoyaient qu’un appel<br />
pourrait être introduit si une décision ou une recommandation <strong>de</strong> la Haute Autorité<br />
(1) violait les dispositions du traité, (2) m<strong>et</strong>tait en péril l’équilibre <strong>de</strong> la balance<br />
commerciale d’un État ou (3) menaçait la politique <strong>de</strong> plein emploi d’un pays.<br />
Dans le premier cas, ce serait donc la légalité <strong>de</strong> la décision qui serait contestée,<br />
dans les <strong>de</strong>ux autres, son opportunité. 68 Au début du mois <strong>de</strong> juill<strong>et</strong>, Monn<strong>et</strong><br />
réduisit <strong>de</strong> manière significative ces dispositions en écartant la possibilité <strong>de</strong><br />
recours fondés sur l’opportunité. Il s’en expliqua confi<strong>de</strong>ntiellement à Hallstein le<br />
12 juill<strong>et</strong>, argumentant que si la Cour était habilitée à se prononcer sur le<br />
bien-fondé économico-politique <strong>de</strong>s décisions <strong>de</strong> la Haute Autorité, elle se<br />
substituerait vite à celle-ci. 69<br />
C<strong>et</strong>te analyse <strong>de</strong>vint rapi<strong>de</strong>ment la position officielle <strong>de</strong> la délégation française.<br />
Pour justifier c<strong>et</strong>te réduction du droit d’appel, Monn<strong>et</strong> fit valoir que la notion <strong>de</strong><br />
recours d’opportunité, initialement introduite pour faciliter l’adhésion <strong>de</strong>s<br />
Britanniques au Plan Schuman, était rendue caduque par l’ajout d’un Conseil <strong>de</strong><br />
ministres veillant aux intérêts vitaux <strong>de</strong>s États. 70 Il est clair que Monn<strong>et</strong> fut aussi<br />
influencé par les juristes américains. Dans leur analyse respective du document <strong>de</strong><br />
travail français du 24 juin 1950, Robert Bowie 71 <strong>et</strong> George Ball 72 avaient en eff<strong>et</strong><br />
insisté sur la confusion créée par le fait que le même tribunal d’arbitrage, opérant<br />
sur <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s différents, assurait tant le contrôle <strong>de</strong> la légalitéque celui <strong>de</strong><br />
l’opportunité <strong>de</strong> décision <strong>de</strong> la Haute Autorité. 73 Selon l’analyse américaine,<br />
l'autorité <strong>et</strong> le standing <strong>de</strong> la Haute Autorité seraient irrévocablement minés si un<br />
collège <strong>de</strong> médiateurs était habilité à juger le bien-fondé <strong>de</strong> ses décisions <strong>et</strong>, le cas<br />
échéant, à se prononcer contre leur maintien. Cela provoquerait rapi<strong>de</strong>ment<br />
l’émergence d’une autorité supérieure au collège supranational. Ils proposèrent<br />
qu’un État inqui<strong>et</strong> <strong>de</strong>s troubles graves qu’une décision <strong>de</strong> la Haute Autorité<br />
engendrerait dans son économie soum<strong>et</strong>te plutôt sa plainte à l'Assemblée<br />
commune. C<strong>et</strong>te alternative ne fut pas considérée par les Français, mais le doute<br />
était semé, en particulier dans l’esprit <strong>de</strong> Monn<strong>et</strong>, quant à sagesse du système<br />
initialement imaginé.<br />
À <strong>de</strong>s années lumières <strong>de</strong> ce raisonnement, les autres délégations dénoncèrent<br />
par contre le caractère restrictif <strong>de</strong>s recours prévus par les Français, <strong>et</strong> cela avant<br />
68. FJM, AMG 3/2/1, Conversations sur le Plan Schuman. Compte-rendu <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> séance tenue<br />
le 21 juin 1950; ANL/AE, dos.11347, Document <strong>de</strong> travail français, 24.06.1950.<br />
69. Hallstein à Blankenhorn, 12.07.1950, op.cit.<br />
70. FJM, AMG 4/1/4, GT 1, Réunion du Comité <strong>de</strong>s Chefs <strong>de</strong> délégation sur les questions institutionnelles,<br />
… 21 juill<strong>et</strong> 1950.<br />
71. Professeur <strong>de</strong> droit constitutionnel à Harvard <strong>et</strong> spécialiste <strong>de</strong> la législation antitrust, Robert Bowie<br />
était le conseilleur juridique du Haut-commissaire américain en Allemagne, John McCloy.<br />
72. Ami <strong>de</strong> longue date <strong>de</strong> Monn<strong>et</strong>, Ball était conseiller juridique au Commissariat du Plan.<br />
73. CARAN, Série 81 AJ, dos.161, L<strong>et</strong>tre <strong>et</strong> mémorandum <strong>de</strong> Bowie à Monn<strong>et</strong>, 01.07.1950; Memorandum<br />
of suggestions regarding article 8 …, 04.07.1950, op.cit. John McCloy partageait c<strong>et</strong>te analyse<br />
(NARA, RG 466, Tél.175, 07.07.1950.)