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Revue : Témoigner entre histoire et mémoire - n° 120 (avril 2014) : Dossier : Quel avenir pour la mémoire du génocide des Arméniens ?

Le génocide perpétré en 1915 sur les Arméniens de Turquie suscite toujours de nombreux débats, controverses, déclarations de principe, prises de position et oppositions, négation. Pourtant, de plus en plus ouvertement, des liens se tissent, des passerelles sont établies et des échanges renforcés entre les communautés arménienne et turque. Une réconciliation est-elle possible ?

Le génocide perpétré en 1915 sur les Arméniens de Turquie suscite toujours de nombreux débats, controverses, déclarations de principe, prises de position et oppositions, négation. Pourtant, de plus en plus ouvertement, des liens se tissent, des passerelles sont établies et des échanges renforcés entre les communautés arménienne et turque. Une réconciliation est-elle possible ?

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INTERVIEW<br />

HERMAN<br />

VAN GOETHEM<br />

« Il est c<strong>la</strong>ir que<br />

ce musée constitue un travail<br />

de <strong>mémoire</strong> collective »<br />

PORTFOLIO<br />

BUCHENWALD<br />

Le bois de hêtres<br />

<strong>120</strong><br />

1 / 2015<br />

<strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong><br />

Testimony b<strong>et</strong>ween history and memory<br />

revue internationale de <strong>la</strong> fondation auschwitz / auschwitz foundation international quarterly<br />

DOSSIER<br />

QUEL AVENIR<br />

POUR LA MÉMOIRE DU<br />

GÉNOCIDE<br />

DES ARMÉNIENS ?<br />

18 EUROS


4 ÉDITORIAL<br />

5 AGENDA<br />

Sommaire<br />

N° <strong>120</strong> – AVRIL 2015<br />

7 CHRONIQUES<br />

7 Les Sentiers de <strong>la</strong> gloire<br />

10 Une rec<strong>et</strong>te, de bons ingrédients<br />

12 Der Anständige Heinrich Himmler<br />

15 Shell Shock. A Requiem of War<br />

18 Vasily P<strong>et</strong>renko imprécatoire dans<br />

<strong>la</strong> Symphonie <strong>n°</strong> 13 de Chostakovitch<br />

19 Collection<br />

Les Musiciens <strong>et</strong> <strong>la</strong> Grande Guerre<br />

20 L’Arc ensemble de Toronto,<br />

sous le signe de <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong><br />

23 L’Affaire Eszter Solymosi<br />

25 Entr<strong>et</strong>ien avec Catherine Fay,<br />

tra<strong>du</strong>ctrice de L’Affaire Eszter Solymosi<br />

28 PORTFOLIO<br />

LE BOIS DE HÊTRES<br />

40 L’ENTRETIEN<br />

Herman Van Go<strong>et</strong>hem (Caserne Dossin)<br />

« IL EST CLAIR QUE CE MUSÉE<br />

CONSTITUE UN TRAVAIL<br />

DE MÉMOIRE COLLECTIVE »<br />

48 DOSSIER<br />

122 VARIA<br />

122 Du <strong>génocide</strong> « éprouvé »<br />

à l’<strong>et</strong>hnocide affirmé. Les Indiens<br />

d’Amérique aux confins <strong>des</strong> définitions<br />

Anne Garrait-Bourrier<br />

137 L’autodocumentaire <strong>et</strong> ses tiers.<br />

Gilbert Ndahayo <strong>entre</strong> réconciliation<br />

personnelle <strong>et</strong> nationale au Rwanda<br />

Alexandre Dauge-Roth<br />

48<br />

DOSSIER<br />

QUEL AVENIR POUR LA<br />

MÉMOIRE DU GÉNOCIDE<br />

DES ARMÉNIENS ?<br />

50 Présentation<br />

57 Mémoire, <strong>génocide</strong> <strong>et</strong> identité<br />

Uğur Ümit Üngör<br />

67 Remembering the Armenian genocide<br />

in contemporary Turkey<br />

Seyhan Bayraktar<br />

77 Nouvelle vague<br />

Entr<strong>et</strong>ien avec Si<strong>la</strong> Cehreli<br />

83 La <strong>mémoire</strong> arménienne<br />

dans le discours germano-turc<br />

Michael Hofmann<br />

97 Mémoire, tissage <strong>et</strong> esthétique<br />

<strong>du</strong> dép<strong>la</strong>cement<br />

Marie-Aude Baronian<br />

109 Kinships Past, Kinship’s Futures<br />

David Kazanjian<br />

118 Chronologie<br />

<strong>120</strong> Bibliographie sélective<br />

150 L’ (auto ?)-libération <strong>des</strong> prisonniers <strong>du</strong><br />

camp de concentration de Buchenwald<br />

vue par les historiens allemands<br />

Jean-Louis Rouhart<br />

160 DICTIONNAIRE TESTIMONIAL<br />

ET MÉMORIEL<br />

l Famines soviétiques l La <strong>mémoire</strong><br />

communicative l Passio Perp<strong>et</strong>uae <strong>et</strong> Felicitatis<br />

l Perp<strong>et</strong>rator images l Récit de soi sous le<br />

communisme (en URSS principalement)<br />

l Survivance l Thomas l’Apôtre, dit « Thomas<br />

l’incré<strong>du</strong>le » l Transnational memory<br />

l Site mémoriel : Kommounarka<br />

173 LABORATOIRE MÉMORIEL<br />

183 LIBRAIRIE<br />

198 À LIRE / À VOIR / À SUIVRE<br />

Éditorial<br />

COMME UN<br />

SUPPLÉMENT D’ÂME<br />

A Par Philippe Mesnard,<br />

Directeur de <strong>la</strong> rédaction<br />

Ces dernières années, on m’a régulièrement<br />

demandé, lors d’<strong>entre</strong>tiens de presse ou<br />

radiophoniques, ce que je pensais de <strong>la</strong> ou <strong>des</strong> nouvelles<br />

vagues d’antisémitisme ou de <strong>la</strong>dite nouvelle judéophobie.<br />

Des étu<strong>des</strong> statistiques, <strong>des</strong> enquêtes rigoureuses,<br />

savantes ou journalistiques, démontrent par de<br />

tristes équations, effectivement, que LE SENTIMENT<br />

ANTIJUIF SE FAIT PLUS REMARQUER DEPUIS<br />

QUELQUES ANNÉES, que les actes intentionnels<br />

contre <strong>des</strong> Juifs sont en augmentation, ne se limitant<br />

plus aux profanations <strong>et</strong> aux insultes. Il y a également<br />

<strong>des</strong> discours beaucoup plus partisans qui, récupérant<br />

chiffres <strong>et</strong> constats <strong>des</strong> précédents, cachent à peine <strong>la</strong><br />

satisfaction de voir ces phénomènes se profiler, encourageant<br />

même à ce que les antagonismes s’accroissent.<br />

Or, d’un côté comme de l’autre, le regard reste rivé<br />

à l’actualité, <strong>la</strong> vision est courte, comme si auparavant,<br />

de l’après-guerre jusqu’aux années 2000, tout avait été<br />

en s’améliorant sous le signe d’une prise de conscience<br />

morale grandissante <strong>et</strong> de ses clichés idylliques. On<br />

<strong>pour</strong>rait néanmoins dép<strong>la</strong>cer le point de vue <strong>pour</strong><br />

proposer une autre vision de l’antisémitisme qui, sans<br />

démentir <strong>la</strong> vérité <strong>des</strong> spécialistes, ni encourager les<br />

a<strong>la</strong>rmistes, ne s’en tiendrait pas à l’horizon restreint<br />

de notre présent <strong>pour</strong> aller plus profondément dans<br />

le paysage de <strong>la</strong> société <strong>et</strong>, indissociablement, de <strong>la</strong><br />

culture. Et dire, alors, qu’il existe une proportion non<br />

négligeable de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion qui – sans que ce soit<br />

<strong>pour</strong> autant dû à une transmission intrafamiliale, sans<br />

même que ce<strong>la</strong> s’explique par une tradition ou une obédience<br />

– a toujours nourri <strong>la</strong> haine <strong>du</strong> Juif, comme un<br />

supplément d’âme au racisme ordinaire. Certains <strong>pour</strong>raient<br />

tout avoir <strong>pour</strong> être racistes, finalement, ils se<br />

singu<strong>la</strong>risent par un antisémitisme se ralliant tantôt à<br />

l’extrême droite, tantôt à l’extrême gauche, <strong>la</strong>quelle par<br />

son antisionisme peut facilement camoufler, encourager<br />

ou cautionner un sentiment antisémite, tout en se<br />

revendiquant antiraciste.<br />

Eh bien il faut accepter que, depuis 70 ans, rien n’a<br />

changé concernant ces franges de popu<strong>la</strong>tion, dont <strong>la</strong><br />

masse reste sensiblement constante, qui n’en sont pas<br />

moins difficilement localisables <strong>et</strong> dont les groupes<br />

radicaux issus de l’Is<strong>la</strong>m ne sont peut-être pas les<br />

plus nombreux, même si ce sont aujourd’hui les plus<br />

médiatiques parce que les plus meurtriers. Rien n’a<br />

changé <strong>pour</strong> ces gens-là après le <strong>génocide</strong> <strong>des</strong> Juifs,<br />

après les leçons <strong>des</strong> grands procès de criminels, après<br />

les programmes pédagogiques, après les voyages é<strong>du</strong>catifs,<br />

après les films, les livres <strong>et</strong> les manifestations de<br />

toute sorte. PEUT-ÊTRE Y A-T-IL DE NOUVEAUX<br />

ANTISÉMITISMES, MAIS IL Y EN A AUSSI QUI NE<br />

BOUGENT PAS, restant bien ancrés dans une culture<br />

occidentale qui leur donne non seulement l’hospitalité,<br />

mais les nourrit en perpétuant les clichés tels que<br />

le « Juif riche <strong>et</strong> <strong>du</strong>plice » (voir <strong>pour</strong> ce<strong>la</strong> Phoenix, le<br />

dernier film de Christian P<strong>et</strong>zold, au demeurant remarquable,<br />

qui consacre l’excellence <strong>du</strong> cinéaste allemand).<br />

C’est ainsi que 70 ans après <strong>la</strong> chute de <strong>la</strong> plus<br />

grande <strong>entre</strong>prise qui a jamais visé à <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction<br />

totale <strong>des</strong> Juifs, ceux-ci ne sont toujours pas assurés<br />

de ne pas être <strong>la</strong> cible de criminels ou de fanatiques<br />

qui veulent se débarrasser d’eux intentionnellement,<br />

définitivement <strong>et</strong>, maintenant, au vu <strong>et</strong> au su de tous. ❚<br />

2<br />

<strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015<br />

Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015 3


Chroniques<br />

Logbook<br />

LES SENTIERS<br />

DE LA GLOIRE<br />

« GENRE » Plus de cinquante ans nous<br />

séparent de ce film anthologique <strong>du</strong> genre<br />

« dénonciation <strong>des</strong> absurdités de <strong>la</strong><br />

guerre ». <strong>Quel</strong> regard porte-t-on sur lui<br />

aujourd’hui ? Et s’il a toujours une actualité,<br />

est-ce <strong>la</strong> même qu’au moment où <strong>la</strong> guerre<br />

d’Algérie était elle-même dénoncée<br />

par une majorité d’intellectuels <strong>et</strong> d’acteurs<br />

de <strong>la</strong> culture.<br />

Il y a peu de temps encore, <strong>la</strong> Première Guerre<br />

mondiale apparaissait, dans <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong> française,<br />

comme le modèle d’une lutte âpre, mais victorieuse<br />

au cours de <strong>la</strong>quelle le sacrifice <strong>des</strong> soldats, leur<br />

résistance acharnée, avaient eu raison de l’armée allemande<br />

qui <strong>pour</strong>tant s’était montrée capable, à quelques<br />

semaines <strong>du</strong> début <strong>du</strong> conflit, de menacer Paris. On<br />

imagine donc <strong>la</strong> réticence que pouvaient avoir les élites<br />

militaires, dans les années 1950 – en pleine guerre<br />

d’Algérie –, à rem<strong>et</strong>tre en cause c<strong>et</strong>te image héroïque.<br />

Aussi, lorsque sortit Les Sentiers de <strong>la</strong> gloire, dont <strong>la</strong><br />

première eut lieu à Bruxelles, sa diffusion fut interdite<br />

en France <strong>et</strong> dans d’autres pays d’Europe sous <strong>la</strong><br />

pression <strong>des</strong> autorités militaires. En eff<strong>et</strong>, l’œuvre ne<br />

se contentait pas de délivrer un message antimilitariste,<br />

elle attirait l’attention sur un phénomène assez<br />

mal connu <strong>et</strong> <strong>pour</strong>tant important, celui <strong>des</strong> exécutions<br />

<strong>pour</strong> l’exemple.<br />

Le récit débute au cours de l’année 1916 qui voit les<br />

armées enlisées dans l’attente : le général Mireau reçoit<br />

<strong>la</strong> mission de reprendre à l’ennemi <strong>la</strong> Fourmilière, une<br />

position stratégique réputée imprenable, que celui-ci<br />

occupe depuis un an. Il confie c<strong>et</strong>te tâche au colonel Dax<br />

qui, malgré ses réticences, accepte <strong>pour</strong> ne pas se voir<br />

r<strong>et</strong>irer le commandement de ses hommes. L’offensive<br />

échoue, <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> troupes n’étant pas parvenue<br />

à quitter les tranchées tant le déchaînement de l’artillerie<br />

allemande est impitoyable. L’état-major décide<br />

alors de condamner arbitrairement trois hommes à <strong>la</strong><br />

peine de mort <strong>pour</strong> l’exemple, un moyen de détourner<br />

© DR<br />

l’attention d’une faute politique <strong>et</strong> stratégique majeure.<br />

S’abritant derrière le masque de <strong>la</strong> vertu patriotique,<br />

ces élites cachent en vérité une absence totale<br />

de considération <strong>pour</strong> <strong>la</strong> vie <strong>du</strong> soldat. Les valeurs<br />

dont elles se réc<strong>la</strong>ment, l’idée d’une guerre qui élèverait<br />

l’homme en exaltant le courage, l’abnégation <strong>et</strong><br />

l’honneur ne sont qu’une farce, un discours <strong>des</strong>tiné à<br />

dissimuler un effroyable cynisme ainsi qu’un carriérisme<br />

meurtrier.<br />

Le quotidien <strong>des</strong> poilus, en proie à <strong>des</strong> maux inédits<br />

(psychologiques notamment), reste totalement<br />

ignoré par les autorités ; <strong>la</strong> solution consiste <strong>pour</strong> elles<br />

à déguiser leur souffrance en lâch<strong>et</strong>é en les taxant de<br />

simu<strong>la</strong>tion.<br />

C<strong>et</strong>te dimension psychologique de <strong>la</strong> guerre a fait<br />

tardivement l’obj<strong>et</strong> d’une révision totale : alors qu’au<br />

sortir <strong>du</strong> second conflit mondial on n’accordait encore<br />

que peu d’attention aux séquelles psychologiques de <strong>la</strong><br />

violence subie, aujourd’hui, ce n’est plus en tant que<br />

combattant héroïque, mais en tant que victime blessée,<br />

traumatisée, confrontée à un dispositif de <strong>des</strong>truction<br />

qui <strong>la</strong> dépasse, que le soldat occupe une p<strong>la</strong>ce centrale<br />

dans le propos mémoriel européen. Bien qu’offrant<br />

aux anonymes une reconnaissance longtemps refusée,<br />

c<strong>et</strong>te nouvelle doxa reflète souvent une volonté<br />

de panser collectivement les p<strong>la</strong>ies <strong>du</strong> passé sans <strong>pour</strong><br />

autant rem<strong>et</strong>tre en cause le rôle que les autorités militaires<br />

<strong>et</strong> politiques ont joué dans ce drame.<br />

Les Sentiers de <strong>la</strong> gloire, qui a per<strong>du</strong> aujourd’hui de<br />

sa portée subversive, son réquisitoire antimilitariste<br />

l l l<br />

SHELL SHOCK.<br />

A REQUIEM<br />

OF WAR<br />

OPÉRA Shell Shock (choc traumatique)<br />

a été créé <strong>pour</strong> les commémorations<br />

<strong>du</strong> centenaire de <strong>la</strong> Première Guerre<br />

mondiale. Visant à rendre compte de <strong>la</strong><br />

violence <strong>du</strong> conflit, le compositeur, Nico<strong>la</strong>s<br />

Lens, a choisi d’évoquer les conséquences<br />

<strong>des</strong> moments vécus au front au milieu<br />

<strong>des</strong> gaz <strong>et</strong> <strong>des</strong> explosions d’obus.<br />

Si les évocations c<strong>la</strong>ssiques (récits, témoignages,<br />

photographies) <strong>des</strong> soldats ayant connu les<br />

tranchées <strong>et</strong> les p<strong>la</strong>ines de l’Yser donnent un<br />

aperçu de <strong>la</strong> nature <strong>du</strong> conflit <strong>et</strong> de l’intensité<br />

<strong>des</strong> souffrances en<strong>du</strong>rées, ce Requiem offre aux premiers<br />

intéressés, estropiés, gueules cassées <strong>et</strong> traumatisés<br />

en tous genres, un hommage de taille sur le<br />

mode, rare, d’un opéra intégrant aux chants <strong>et</strong> récitatifs<br />

<strong>des</strong> chorégraphies. Le challenge de ce spectacle – qui<br />

rend compte <strong>des</strong> conséquences de tous les conflits<br />

modernes – est de rappeler aux vivants que l’enfer,<br />

temps <strong>et</strong> espace confon<strong>du</strong>s, n’est jamais bien loin.<br />

L’interprétation de l’orchestre <strong>et</strong> <strong>du</strong> chœur symphoniques<br />

de La Monnaie, dirigée par Koen Kessels<br />

secondé de Martino Faggiani, tra<strong>du</strong>isent <strong>la</strong> nature<br />

<strong>des</strong> hostilités <strong>et</strong> l’effroi qu’elles ont suscité parmi ceux<br />

qui les ont rencontrées. Les compositions musicales,<br />

mêlées aux comp<strong>la</strong>intes <strong>des</strong> victimes, manifestent au<br />

mieux l’imp<strong>la</strong>cable fureur <strong>des</strong> combats <strong>et</strong> leurs cortèges<br />

de malheurs. Rendons grâce à C<strong>la</strong>ron Mc Fadden,<br />

Sara Fulgoni, Gerald Thompson, Ed Lyon <strong>et</strong> Mark S.<br />

Doss, dans l’ordre soprano, mezzo, ténor <strong>et</strong> contre-ténor,<br />

<strong>pour</strong> les efforts déployés à faire entendre les l l l<br />

4<br />

<strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015<br />

Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015 5


a<br />

Portfolio<br />

© Ph. M.<br />

LE BOIS DE HÊTRES<br />

Un vaste bois de hêtres recouvre <strong>la</strong> colline<br />

de l’Ettersberg au-<strong>des</strong>sus de Weimar, aux<br />

beaux jours, Go<strong>et</strong>he aimait à s’y promener.<br />

Après <strong>la</strong> Première Guerre mondiale, <strong>la</strong> ville<br />

devient le c<strong>entre</strong> <strong>du</strong> mouvement Bauhaus <strong>et</strong> le lieu où<br />

<strong>la</strong> nouvelle constitution de l’Allemagne est é<strong>la</strong>borée.<br />

D’où le nom historique de « République de Weimar »,<br />

<strong>la</strong>quelle est frappée de ca<strong>du</strong>cité par <strong>la</strong> venue au pouvoir<br />

<strong>du</strong> nazisme. Il faut néanmoins attendre juill<strong>et</strong> 1937<br />

<strong>pour</strong> que celui-ci ouvre un camp de concentration sur<br />

<strong>la</strong> colline boisée — bois de hêtres se dit en allemand<br />

Buchenwald — <strong>et</strong> donne au mot « villégiature » un sens<br />

particulièrement sinistre.<br />

La triste renommée <strong>du</strong> vaste bois invite à en associer<br />

<strong>la</strong> nature à <strong>la</strong> p<strong>et</strong>ite prairie de bouleaux — Birkenau,<br />

en allemand —, quant à elle, située en Pologne. Ces<br />

lieux sont comme les deux négatifs photographiques<br />

d’une épreuve — celle de <strong>la</strong> terreur nazie — dont on ne<br />

révèlera jamais assez <strong>la</strong> violence. Alors que Birkenau<br />

(Auschwitz II) devient le c<strong>entre</strong> d’extermination nazi<br />

le plus perfectionné <strong>et</strong> meurtrier, sur sa belle colline,<br />

Buchenwald est élevé à <strong>la</strong> hauteur <strong>du</strong> plus grand c<strong>entre</strong><br />

concentrationnaire <strong>du</strong> Reich. 250 000 déportés y ont<br />

été internés, 56 000 y sont morts dans <strong>des</strong> conditions<br />

al<strong>la</strong>nt de <strong>la</strong> faim à <strong>la</strong> torture policière, en passant par<br />

l’expérimentation médicale. 8 000 prisonniers de<br />

guerre soviétiques y ont été abattus, un par un, d’une<br />

balle dans <strong>la</strong> nuque (autre association venant alors<br />

à l’esprit : celle de Katyn où, au printemps 1940, une<br />

grande partie <strong>des</strong> 22 000 membres de l’élite principalement<br />

militaire polonaise a été abattue de <strong>la</strong> même<br />

façon, condamnés à mort par le NKVD).<br />

Durant les années de guerre, Buchenwald étend<br />

son empire bien loin sur le territoire de Thuringe en<br />

régnant sur 136 camps satellites, parmi lesquels celui<br />

de Gandersheim, où Robert Antelme est détenu, celui<br />

de Zeitz où séjourne Imre Kertész. Jorge Semprum<br />

reste interné au camp principal alors qu’Elie Wiesel y<br />

échoue après <strong>la</strong> marche de <strong>la</strong> mort résultant de l’évacuation<br />

d’Auschwitz.<br />

Le camp est libéré par les troupes américaines le 11<br />

<strong>avril</strong> 1945 1 . Mais l’<strong>histoire</strong> <strong>du</strong> bois de hêtres ne s’arrête<br />

pas au 11 <strong>avril</strong> 1945.<br />

Après que les troupes américaines se sont r<strong>et</strong>irées,<br />

le territoire tombe sous l’autorité de <strong>la</strong> zone dite d’occupation<br />

soviétique (SBZ : sowj<strong>et</strong>ische Besatzungszone).<br />

Un autre camp vient alors immédiatement prendre<br />

ses fonctions au lieu <strong>du</strong> précédent. En eff<strong>et</strong>, <strong>pour</strong>quoi<br />

ne pas utiliser ce qui était déjà en p<strong>la</strong>ce <strong>et</strong>, qui plus<br />

est, en fort bon état de fonctionnement ? Le « camp<br />

spécial <strong>n°</strong> 2 » de Buchenwald compte parmi <strong>la</strong> dizaine<br />

que font fonctionner les forces soviétiques au nombre<br />

<strong>des</strong>quels s’ajoutent encore trois prisons. Réputé d’une<br />

exceptionnelle <strong>du</strong>r<strong>et</strong>é, le Spezial<strong>la</strong>ger est totalement<br />

hermétique au monde extérieur. Y sont internés,<br />

certes, <strong>des</strong> fonctionnaires <strong>du</strong> Part nazi (NSDAP), mais<br />

aussi <strong>des</strong> indivi<strong>du</strong>s suspectés ou dénoncés. En tout,<br />

on y dénombre 28 000 internés dont 7 000 périssent<br />

<strong>du</strong>rant le terrible hiver de 1946-1947. La p<strong>et</strong>ite p<strong>la</strong>nète<br />

infernale est dissoute en février 1950, peu après<br />

<strong>la</strong> création de <strong>la</strong> République démocratique allemande<br />

(7 octobre 1949).<br />

Parallèlement à c<strong>et</strong>te deuxième <strong>histoire</strong> <strong>du</strong> lieu<br />

de terreur, <strong>la</strong> mémorialisation <strong>du</strong> camp nazi est de<br />

suite mise en œuvre. La première commémoration se<br />

déroule le 19 <strong>avril</strong> 1945. L’ancien camp nazi s’affirme<br />

comme un enjeu majeur de représentation mémorielle.<br />

Durant les quarante ans de <strong>la</strong> RDA, il est <strong>la</strong> scène apologétique<br />

de l’héroïsme antifasciste. Il n’est pas un<br />

Allemand de l’est qui ne soit invité à se reconnaître en<br />

ce miroir. Puis, à partir de 1990, <strong>la</strong> peau écailleuse de<br />

l’emp<strong>la</strong>cement <strong>du</strong> camp définitivement débarrassé de<br />

ses baraques en bois se recouvre d’une nouvelle floraison.<br />

Des p<strong>la</strong>ques honorant <strong>des</strong> victimes qui n’avaient<br />

guère de p<strong>la</strong>ce dans le discours communiste voient<br />

progressivement le jour, accompagnées d’un musée<br />

r<strong>et</strong>raçant l’<strong>histoire</strong> <strong>du</strong> camp soviétique dont l’ouverture<br />

débouche sur <strong>la</strong> fosse commune, elle-même mémorialisée,<br />

où ont été entassés les morts de celui-ci. L’immense<br />

tonsure opérée sur les hauteurs <strong>du</strong> vaste bois<br />

de hêtres par les instal<strong>la</strong>tions concentrationnaires est<br />

maintenant couverte de p<strong>la</strong>ques. ❚<br />

Philippe Mesnard<br />

(1) Sur <strong>la</strong> légende de l’auto-libération <strong>du</strong> camp pro<strong>du</strong>ite par les<br />

communistes eux-mêmes, je renvoie à l’article de Jean-Louis Rouhart<br />

publié dans les varia de ce numéro.<br />

6 <strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015 Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015<br />

7


L'<strong>entre</strong>tien<br />

Interview<br />

P<strong>la</strong>ntée sur <strong>la</strong> rive gauche de <strong>la</strong> Dyle, <strong>la</strong> Caserne Dossin s’est récemment dédoublée<br />

en 2012. Un mémorial a été installé à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> musée <strong>et</strong> celui-ci a été transféré dans<br />

un monumental cube de béton qui lui fait face. Un imposant complexe mémoriel.<br />

Une visite s’imposait avec son conservateur en chef qui, occupant également <strong>des</strong><br />

fonctions universitaires, circule ainsi <strong>entre</strong> <strong>la</strong> recherche <strong>et</strong> <strong>la</strong> pratique mémorielle au<br />

niveau de <strong>la</strong> société même.<br />

AEntr<strong>et</strong>ien mené par Philippe Mesnard <strong>et</strong> Anneleen Spiessens<br />

le 28 novembre <strong>2014</strong> à Anvers avec Herman Van Go<strong>et</strong>hem, professeur de Droit <strong>et</strong> d’Histoire<br />

à l’Université d’Anvers, directeur général <strong>et</strong> conservateur de <strong>la</strong> Caserne Dossin (Malines, Belgique).<br />

❝IL EST CLAIR QUE<br />

CE MUSÉE CONSTITUE<br />

UN TRAVAIL DE MÉMOIRE<br />

COLLECTIVE ❞<br />

Comment Herman Van Go<strong>et</strong>hem en est-il arrivé à<br />

<strong>la</strong> Mémoire ?<br />

Herman Van Go<strong>et</strong>hem : J’ai étudié l’Histoire <strong>et</strong> le Droit<br />

en essayant de travailler toujours au croisement de ces<br />

deux disciplines, ce qui m’a beaucoup apporté. Je suis<br />

devenu professeur très jeune, à l’âge de 31 ans, ayant<br />

eu <strong>la</strong> chance de succéder à un professeur qui terminait<br />

sa carrière. Sur le p<strong>la</strong>n de l’enseignement, j’ai principalement<br />

donné <strong>des</strong> cours d’Histoire <strong>du</strong> Droit <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />

Institutions. Sur le p<strong>la</strong>n de <strong>la</strong> recherche, qui est une<br />

véritable vocation <strong>pour</strong> moi, je me suis plongé dans les<br />

archives, ce qui me passionne, de l’<strong>histoire</strong> politique<br />

de <strong>la</strong> Belgique aux XIX e <strong>et</strong> XX e siècles, notamment ce<br />

que l’on appelle les « problèmes communautaires » <strong>du</strong><br />

pays, les re<strong>la</strong>tions <strong>entre</strong> les F<strong>la</strong>mands <strong>et</strong> les Francophones,<br />

<strong>et</strong> <strong>la</strong> réforme de l’État. Je me suis par ailleurs<br />

beaucoup intéressé aux procès en sorcellerie. Ils sont<br />

terriblement intéressants. J’ai aussi consacré <strong>du</strong> temps<br />

à <strong>des</strong> procès comme celui de Nico<strong>la</strong>s Ceausescu, le<br />

C’était un grand sorcier…<br />

H.V.G. : Oui, c’est vraiment un procès de bouc émissaire,<br />

<strong>pour</strong> renvoyer à René Girard, un procès totalitaire.<br />

Le phénomène de <strong>la</strong> violence collective, c<strong>et</strong>te<br />

violence qui prend <strong>la</strong> forme de rites, de rites de masse,<br />

est un point sur lequel je me suis focalisé. En 1994, j’ai<br />

publié, avec Jan Ve<strong>la</strong>ers, une vaste étude sur le Roi<br />

Léopold III, puis j’ai édité le Journal de guerre d’un<br />

ministre. Et vers 2000, après <strong>la</strong> publication <strong>du</strong> livre de<br />

Lieven Saerens sur Anvers <strong>et</strong> <strong>la</strong> persécution <strong>des</strong> Juifs,<br />

je me suis orienté vers <strong>des</strong> questions de droit liées à <strong>la</strong><br />

responsabilité de <strong>la</strong> ville d’Anvers sous l’occupation,<br />

ainsi qu’à l’organisation <strong>des</strong> rafles, à <strong>la</strong> police, <strong>et</strong>c., avec<br />

<strong>des</strong> questions comme : où est le Bourgmestre ? Qu’en<br />

est-il <strong>du</strong> Procureur <strong>du</strong> Roi ?<br />

Je me suis dirigé vers l’approfondissement de <strong>la</strong><br />

question de <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration administrative dont le<br />

cadrage historique manquait malgré les avancées<br />

notables de <strong>la</strong> recherche sur le suj<strong>et</strong>. Dans <strong>la</strong> France<br />

25 décembre 1989. de Vichy, il est aisé d’en étudier l’administration, <strong>la</strong> l l l<br />

© Ph. M.<br />

8 <strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015 Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015<br />

9


DOSSIER<br />

A Sous <strong>la</strong> direction de<br />

Philippe Mesnard<br />

QUEL AVENIR<br />

POUR LA MÉMOIRE<br />

DU GÉNOCIDE<br />

DES ARMÉNIENS ?<br />

Le <strong>génocide</strong> perpétré en 1915 sur les <strong>Arméniens</strong> de Turquie suscite toujours<br />

de nombreux débats, controverses, déc<strong>la</strong>rations de principe, prises de position <strong>et</strong><br />

oppositions, négation. Pourtant, de plus en plus ouvertement, <strong>des</strong> liens se tissent,<br />

<strong>des</strong> passerelles sont établies <strong>et</strong> <strong>des</strong> échanges renforcés <strong>entre</strong> les communautés<br />

arménienne <strong>et</strong> turque. Une réconciliation est-elle possible ?<br />

© Pascaline Marre<br />

Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015 11


DOSSIER<br />

QUEL AVENIR POUR LA MÉMOIRE DU GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS ?<br />

PRÉSENTATION<br />

100 ans après…<br />

Un <strong>la</strong>boratoire mémoriel <strong>entre</strong><br />

<strong>Arméniens</strong> <strong>et</strong> Turcs ?<br />

Àdifférents niveaux,<br />

<strong>des</strong> voix en dialogue se font entendre,<br />

aussi bien <strong>entre</strong> <strong>des</strong> intellectuels, <strong>des</strong><br />

écrivains <strong>et</strong> <strong>des</strong> artistes turcs <strong>et</strong> arméniens,<br />

qu’avec <strong>la</strong> société civile turque <strong>et</strong><br />

sa part arménienne. Or, on a eu trop tendance<br />

à unifier <strong>la</strong> négation <strong>du</strong> <strong>génocide</strong><br />

arménien à toute <strong>la</strong> société turque <strong>et</strong>,<br />

par conséquent, à stigmatiser celle-ci.<br />

Il est à ce titre étonnant que l’on n’ait<br />

toujours pas pris <strong>la</strong> mesure <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s<br />

négatifs que cause <strong>la</strong> stigmatisation<br />

d’une popu<strong>la</strong>tion ou d’une nation qui,<br />

généralement — c’en est tristement<br />

mathématique —, répondent mimétiquement<br />

à l’image malfaisante que l’on<br />

fabrique d’elles.<br />

« Tous les Turcs sont négationnistes<br />

! » Évidemment, <strong>la</strong> nocivité<br />

d’énoncés de ce type, accentuant le<br />

sentiment d’isolement de ceux qui<br />

sont visés, exacerbe leur potentiel<br />

paranoïaque <strong>et</strong>, dans le même temps,<br />

conforte <strong>la</strong> position de ceux qui, en<br />

revanche, pro<strong>du</strong>isent ces constats. Il<br />

s’agit là moins de rivalité, que de blocage<br />

<strong>entre</strong> parties déc<strong>la</strong>rées adverses<br />

<strong>et</strong> contraintes à c<strong>et</strong>te adversité manichéenne.<br />

Pourtant, contrairement<br />

au tableau que brossent trop souvent<br />

les médias européens, <strong>la</strong> Turquie s’est<br />

ouverte à un mouvement de prise de<br />

conscience critique. Lui <strong>la</strong>issera-t-on<br />

assez de marge <strong>pour</strong> ce<strong>la</strong> ? Jusqu’à quel<br />

degré ses gouvernements souffrent-ils<br />

de ne pas avoir <strong>la</strong> maîtrise intégrale <strong>du</strong><br />

passé ? De l’extérieur, sera-t-on assez<br />

sensible à ce potentiel <strong>pour</strong> l’encourager,<br />

plutôt que de risquer qu’il s’étouffe ?<br />

✻<br />

✻ ✻<br />

Sous le nom de Mémoires à venir,<br />

Fondapol (www.fondapol.org), avec<br />

<strong>la</strong> Fondation <strong>pour</strong> <strong>la</strong> Mémoire de <strong>la</strong><br />

Shoah <strong>pour</strong> partenaire, a réalisé un<br />

vaste sondage sur l’état <strong>des</strong> <strong>mémoire</strong>s<br />

<strong>du</strong> XX e siècle. Remarquable initiative.<br />

Pour ce<strong>la</strong>, elle a interrogé 31 172 jeunes<br />

de 16 à 29 ans, en 24 <strong>la</strong>ngues, dans<br />

31 pays. Arrivé au chapitre : « Selon<br />

vous, peut-on parler de <strong>génocide</strong> en ce<br />

qui concerne le massacre <strong>des</strong> <strong>Arméniens</strong>,<br />

par les Turcs, en 1915 ? », l’on<br />

découvre que 33% <strong>des</strong> Turcs interrogés<br />

répondent « Oui ». À juste titre, le commentaire<br />

souligne qu’il y a là un chiffre<br />

encourageant étant donné <strong>la</strong> situation.<br />

On <strong>pour</strong>rait se demander combien d’Européens<br />

auraient cru à un tel <strong>pour</strong>centage.<br />

Il faut ajouter à ce<strong>la</strong>, <strong>pour</strong> ceux<br />

qui ne le sauraient pas, qu’il existe en<br />

Turquie une communauté arménienne,<br />

<strong>des</strong> organes de presse arméniens, mais<br />

aussi <strong>des</strong> citoyens d’origine turque qui<br />

soutiennent <strong>la</strong> reconnaissance <strong>des</strong><br />

crimes <strong>du</strong> passé, voire militent <strong>pour</strong><br />

elle, malgré les pressions <strong>et</strong> les violences<br />

régulières que peuvent subir certains<br />

d’<strong>entre</strong> eux, les premières de <strong>la</strong> part <strong>du</strong><br />

gouvernement, les secon<strong>des</strong> de <strong>la</strong> part<br />

<strong>des</strong> ultranationalistes. L’assassinat de<br />

Hrant Dink le 19 janvier 2007 en a été<br />

un tragique exemple qui a servi de révé<strong>la</strong>teur<br />

<strong>pour</strong> nombre de citoyens turcs.<br />

C<strong>et</strong>te ou ces prises de conscience<br />

— car il y en a de différentes, <strong>et</strong> toutes<br />

ne passent pas nécessairement par une<br />

acceptation évidente <strong>du</strong> mot « <strong>génocide</strong><br />

» (Insel, Marian, 2009) — sont<br />

marquées par un n<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong>r clivage<br />

avec les gouvernements successifs <strong>et</strong><br />

les représentations politiques majoritaires<br />

<strong>du</strong> pays. De ce côté-ci, le refus est<br />

unanime de reconnaître l’ampleur de <strong>la</strong><br />

préméditation comme de l’organisation<br />

<strong>des</strong> massacres visant indifféremment<br />

les <strong>Arméniens</strong> de tous âges <strong>et</strong> de tous<br />

genres <strong>et</strong>, en corol<strong>la</strong>ire, <strong>la</strong> qualification<br />

de <strong>génocide</strong> qui est <strong>la</strong> plus lourde<br />

concernant les crimes politiques. Sur<br />

le p<strong>la</strong>n international, ce<strong>la</strong> entraîne une<br />

opposition f<strong>la</strong>grante venant <strong>des</strong> nombreux<br />

gouvernements occidentaux qui<br />

approuvent médiatiquement <strong>la</strong>dite<br />

qualification, mais ne s’en trouvent pas<br />

moins en position inconfortable quand<br />

ils comptent — ce qui est souvent le cas<br />

— <strong>la</strong> Turquie parmi leurs interlocuteurs<br />

économique <strong>et</strong> géostratégique.<br />

Et puis il y a les communautés dans<br />

lesquelles une partie <strong>des</strong> indivi<strong>du</strong>s qui<br />

forment les diasporas se reconnaissent<br />

<strong>et</strong> se rassemblent ; c’est généralement<br />

en rapport avec les communautés que<br />

les acteurs de <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong> arménienne<br />

viennent à s’exprimer. Depuis les pays<br />

où elles se sont fixées, elles ém<strong>et</strong>tent<br />

de nombreux signaux ; <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong><br />

<strong>des</strong> massacres s’enchâsse dans leur<br />

<strong>mémoire</strong> de l’exil (Altounian, <strong>2014</strong>).<br />

D’ailleurs, le propos de The Cut, le film<br />

<strong>du</strong> réalisateur germano-turc Fatih Akın<br />

(<strong>2014</strong>), est bien de nous dire, à travers<br />

Il se <strong>pour</strong>rait bien que <strong>la</strong> Turquie se soit<br />

ouverte à un mouvement de prise de<br />

conscience critique. Lui <strong>la</strong>issera-t-on assez<br />

de marge <strong>pour</strong> ce<strong>la</strong> ? Jusqu’à quel degré<br />

ses gouvernements souffrent-ils de ne pas<br />

avoir <strong>la</strong> maîtrise intégrale <strong>du</strong> passé ?<br />

De l’extérieur, sera-t-on assez sensible<br />

à ce potentiel <strong>pour</strong> l’encourager, plutôt que<br />

de risquer qu’il s’étouffe ?<br />

le périple d’un père cherchant ses filles<br />

rescapées jusqu’au cœur <strong>des</strong> États-Unis,<br />

que les traces <strong>des</strong> crimes commis sur<br />

les <strong>Arméniens</strong> en 1915 sont portées par<br />

<strong>et</strong> dans une expérience de l’errance <strong>et</strong><br />

de <strong>la</strong> quête à <strong>la</strong> fois. La <strong>mémoire</strong> feuill<strong>et</strong>ée,<br />

personnelle <strong>et</strong> communautaire,<br />

naissant de c<strong>et</strong>te expérience fournit au<br />

désastre de <strong>la</strong> sang<strong>la</strong>nte expulsion sinon<br />

un cadre d’énonciation, <strong>du</strong> moins une<br />

base culturelle <strong>et</strong> humaine soutenant<br />

sa transmission. Depuis une trentaine<br />

d’années, c<strong>et</strong>te transmission s’est fait<br />

reconnaître en tant que <strong>mémoire</strong> dans<br />

l’espace public bénéficiant d’un contexte<br />

bien plus propice qu’auparavant à <strong>la</strong><br />

visibilité <strong>et</strong> à <strong>la</strong> lisibilité <strong>des</strong> violences<br />

<strong>du</strong> passé commises sur <strong>des</strong> groupes<br />

(Mesnard, <strong>2014</strong>, 99-104). Ce faisant,<br />

publications, monuments, musées,<br />

expositions, déc<strong>la</strong>rations publiques <strong>et</strong><br />

événements (rencontres, colloques,<br />

débats, conférences), mobilisation <strong>des</strong><br />

médias informent sur ce qui a eu lieu.<br />

Le « <strong>génocide</strong> arménien » a une actualité<br />

qu’il n’avait auparavant que <strong>pour</strong><br />

<strong>des</strong> cercles restreints. Et ce<strong>la</strong> pèse lourd<br />

dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce de l’opinion. D’autant<br />

plus lourd que <strong>la</strong> construction publique<br />

de <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong> <strong>du</strong> <strong>génocide</strong> arménien<br />

s’est faite, à partir de <strong>la</strong> fin <strong>des</strong> années<br />

La parution de ce dossier<br />

a été accompagnée<br />

d’une journée d’étude<br />

qui a eu lieu le 16 mars<br />

à l’Académie Royale de<br />

Belgique (Bruxelles),<br />

les captations <strong>des</strong><br />

interventions viennent<br />

le compléter. Elles sont<br />

disponibles à l’adresse<br />

suivante : https://www.<br />

youtube.com/p<strong>la</strong>ylist?list=<br />

PL52oanyWqIvFRqJHW<br />

ZjP7xp2q_GJrmSXF<br />

12 <strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015 Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015<br />

13


DOSSIER<br />

QUEL AVENIR POUR LA MÉMOIRE DU GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS ?<br />

PRÉSENTATION<br />

1990, en résonance avec <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong><br />

de <strong>la</strong> Shoah dont de nombreux acteurs<br />

apportent leur soutien intellectuel <strong>et</strong><br />

leur expérience aux initiatives mémorielles<br />

de <strong>la</strong> diaspora arménienne.<br />

1915-2015. Ce centenaire<br />

est une opportunité qui n’a échappé à<br />

personne, même si <strong>entre</strong> les commémorations<br />

liées à <strong>la</strong> Première Guerre<br />

mondiale, aux vingt ans <strong>du</strong> <strong>génocide</strong><br />

<strong>des</strong> Tutsis <strong>et</strong> aux 70 ans de <strong>la</strong> victoire<br />

sur le nazisme, les couleurs <strong>du</strong> temps<br />

que nous vivons semblent déjà bien<br />

saturées par <strong>la</strong> pal<strong>et</strong>te <strong>des</strong> violences <strong>du</strong><br />

XX e siècle. Comme s’il fal<strong>la</strong>it que le XXI e<br />

siècle encore débutant dût marquer à<br />

ces occasions un arrimage prononcé au<br />

siècle précédent <strong>et</strong>, surtout, ne pas s’en<br />

détacher. 1915-2015, donc. Se saisissant<br />

également de ce centenaire, <strong>Témoigner</strong><br />

<strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> souhaite présenter<br />

un dossier sur… quelles questions<br />

?<br />

Ce dossier n’a pas été motivé par<br />

les attentes explicatives de l’historiographie.<br />

Non seulement de nombreux<br />

écrits <strong>et</strong> manifestations vont tenter de<br />

Nous avons voulu nous situer dans une<br />

perspective radicalement différente en<br />

abordant les questions de <strong>mémoire</strong> à<br />

partir de leurs enjeux contemporains<br />

aussi bien dans <strong>la</strong> société turque, que<br />

dans les arts transnationaux.<br />

satisfaire à celles-ci, mais nous avons<br />

voulu nous situer dans une perspective<br />

radicalement différente en abordant<br />

les questions de <strong>mémoire</strong> à partir de<br />

leurs enjeux contemporains aussi bien<br />

dans <strong>la</strong> société turque, que dans les arts<br />

transnationaux. Et si <strong>des</strong> historiens sont<br />

présents dans les pages qui suivent, ce<br />

n’est pas en tant que représentants de<br />

leur discipline. L’historiographie est un<br />

savoir majeur de notre temps <strong>et</strong> nous en<br />

soutenons l’institution, mais il n’en est<br />

pas moins vrai que les violences ni leur<br />

<strong>mémoire</strong> ne sont son domaine réservé,<br />

comme parfois en pays francophone on<br />

le <strong>la</strong>isserait facilement accroire.<br />

C’est <strong>pour</strong>quoi nous avons invité<br />

<strong>des</strong> contributeurs venant d’autres horizons.<br />

D’autres horizons, car une de nos<br />

principales préoccupations a bien été<br />

d’adopter un principe multiperspectiviste<br />

en croisant <strong>des</strong> points de vue<br />

de différentes origines universitaires,<br />

nationales <strong>et</strong> communautaires. D’une<br />

certaine manière, ce dossier se voudrait<br />

postcommémoratif perm<strong>et</strong>tant d’ouvrir<br />

un nouveau « <strong>la</strong>boratoire mémoriel »<br />

plus ample encore que ceux qui nourrissent<br />

<strong>la</strong> rubrique clôturant habituellement<br />

notre revue. Un « <strong>la</strong>boratoire<br />

mémoriel », car ce qui se <strong>des</strong>sine avec<br />

<strong>la</strong> spirale ascendante <strong>des</strong> rapports <strong>entre</strong><br />

les <strong>mémoire</strong>s arméniennes issues de<br />

Turquie, <strong>des</strong> diasporas ou de <strong>la</strong> République<br />

d’Arménie <strong>et</strong> les <strong>mémoire</strong>s<br />

turques nationales <strong>et</strong> communautaires,<br />

notamment celle <strong>des</strong> Turcs immigrés<br />

en Allemagne — ce qui se <strong>des</strong>sine là<br />

constitue un exceptionnel dispositif de<br />

découverte, de lecture <strong>et</strong> d’analyse de <strong>la</strong><br />

circu<strong>la</strong>tion multiple <strong>des</strong> passés. Un dispositif<br />

qui concerne autant <strong>la</strong> façon dont<br />

le réel est imaginé que le réel lui-même,<br />

convoquant les questions multiculturelles,<br />

postcoloniales autant que ce que<br />

Michael Rothberg nomme les <strong>mémoire</strong>s<br />

multidirectionnelles (2009, <strong>2014</strong>).<br />

Revenons à notre<br />

dossier. En premier, Uğur Ümit Üngör,<br />

en archéologue <strong>des</strong> souvenirs légués<br />

par <strong>des</strong> témoins, au sens de bystanders,<br />

à leurs enfants, rend compte de son travail.<br />

Il aborde en eff<strong>et</strong> l’aspect encore<br />

peu exploité <strong>des</strong> témoignages oraux<br />

qu’il lui a été possible de récolter sur le<br />

terrain. Ses travaux sur ce qu’il appelle<br />

<strong>la</strong> <strong>mémoire</strong> sociale prennent ainsi p<strong>la</strong>ce<br />

parmi les incontournables sur les massacres<br />

<strong>et</strong> leurs traces dans <strong>la</strong> société<br />

turque contemporaine dont il contribue<br />

à réajuster positivement l’image en <strong>la</strong><br />

détachant <strong>du</strong> pouvoir politique en p<strong>la</strong>ce.<br />

Le texte suivant de Seyhan Bayraktar<br />

prolonge d’une certaine manière<br />

<strong>la</strong> réflexion d’Uğur Ümit Üngör en <strong>la</strong><br />

recentrant sur les enjeux militants de <strong>la</strong><br />

construction de <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong> <strong>du</strong> <strong>génocide</strong><br />

<strong>des</strong> <strong>Arméniens</strong> en Turquie. On discerne<br />

mieux les prises de position <strong>des</strong> Turcs<br />

progressistes <strong>et</strong> les conséquences, en<br />

général jugées négatives, <strong>des</strong> attentats<br />

commis par l’ASALA (Armée secrète<br />

arménienne de libération de l’Arménie)<br />

dans les années 1980. Passées ces années<br />

où les revendications de reconnaissance<br />

se sont cherchées dans le mythe de l’action<br />

dite « directe », de nombreuses<br />

initiatives de rapprochement ont vu<br />

le jour, à l’instar <strong>du</strong> WATS (Workshop<br />

for Armenian Turkish Studies de l’Université<br />

<strong>du</strong> Michigan) fondé en 2000,<br />

affaiblissant le discours négationniste<br />

sans avoir besoin d’aucune loi <strong>pour</strong> le<br />

pénaliser.<br />

La reconnaissance bute sur un mot,<br />

celui de <strong>la</strong> qualification de « <strong>génocide</strong> »,<br />

<strong>et</strong> tout ce qu’il implique dans <strong>et</strong> par sa<br />

définition. Car les gouvernements turcs<br />

n’ont jamais nié qu’il y ait eu <strong>des</strong> massacres<br />

d’une ampleur vertigineuse. Le<br />

désaccord se situe sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nification <strong>et</strong><br />

les responsabilités idéologiques que les<br />

gouvernements depuis les années 1920<br />

jusqu’à aujourd’hui ont couvertes. Aussi<br />

cedit négationnisme est-il bien différent<br />

de celui de <strong>la</strong> Shoah ou de celui <strong>du</strong><br />

<strong>génocide</strong> <strong>des</strong> Tutsis. Toutefois, <strong>la</strong> société<br />

enregistre de remarquables changements<br />

jusqu’à ce corps de l’État on ne<br />

peut plus sensible qu’est <strong>la</strong> magistrature.<br />

Pour ce<strong>la</strong>, perm<strong>et</strong>tez-moi de raconter<br />

une p<strong>et</strong>ite <strong>histoire</strong>, véridique.<br />

Mehm<strong>et</strong> Aksoy, un <strong>des</strong> sculpteurs<br />

les plus connus <strong>du</strong> pays, avait érigé à<br />

Kars, au nord de <strong>la</strong> Turquie, une de ses<br />

œuvres monumentales, le Monument<br />

<strong>pour</strong> l’humanité, montrant deux êtres<br />

humains s’avançant l’un vers l’autre<br />

dans un geste de réconciliation. D’une<br />

trentaine de mètres, <strong>la</strong> statue pouvait<br />

être vue de l’autre côté de <strong>la</strong> frontière,<br />

en République d’Arménie. Après une<br />

visite sur les lieux, le premier ministre<br />

is<strong>la</strong>mo-conservateur Recep Tayyip<br />

Erdogan ordonne <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction de ce<br />

qu’il considère comme une injure à<br />

l’État. Malgré une mobilisation <strong>pour</strong><br />

que l’œuvre soit épargnée, le monument<br />

est ré<strong>du</strong>it en poussière. Nous sommes<br />

en <strong>avril</strong> 2011. L’artiste ne baisse pas les<br />

bras <strong>et</strong> entame une procé<strong>du</strong>re en justice<br />

contre Erdogan dont on apprend<br />

récemment (« Beleidigung bestätigt »,<br />

Tageszeitung, 6.03.2015) qu’il a été<br />

symboliquement condamné à 3 500 €<br />

de dommages <strong>et</strong> intérêts. Ça bouge de<br />

partout, <strong>pour</strong>rait-on se dire ; le sismographe<br />

s’affole <strong>et</strong> il est vraiment difficile<br />

de l’extérieur de saisir les mouvements<br />

dont <strong>la</strong> société turque est le théâtre.<br />

C’est <strong>pour</strong>quoi s’est imposée à nous<br />

<strong>la</strong> nécessité de donner <strong>la</strong> parole à Si<strong>la</strong><br />

Cehreli. Enseignante à l’Université de<br />

Marmara (Istanbul), non seulement<br />

14 <strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015 Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015<br />

15


DOSSIER<br />

QUEL AVENIR POUR LA MÉMOIRE DU GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS ?<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

• Altounian, Janine, « J’ai senti<br />

physiquement ce que c’était<br />

que d’appartenir à une minorité<br />

discriminée », <strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong><br />

<strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong>, Paris -<br />

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l’origine <strong>et</strong> l’essor <strong>du</strong> nationalisme,<br />

tra<strong>du</strong>it de l’ang<strong>la</strong>is par Pierre-<br />

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Découverte, « poche », 2006.<br />

• Baronian, Marie-Aude,<br />

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Egoyan, préface d’Aïda Kazarian,<br />

Bruxelles, Académie Royale<br />

de Belgique, éditions L’Académie<br />

en poche, 2013.<br />

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<strong>du</strong> Khurbn. La résistance juive<br />

dans les c<strong>entre</strong>s de mise à mort.<br />

Chelmno, Belzec, Sobibor,<br />

Treblinka, préface de Jean-<br />

François Forges, Paris, Kimé,<br />

« Entre Histoire <strong>et</strong> Mémoire »,<br />

2013.<br />

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Dialogue sur le tabou arménien,<br />

<strong>entre</strong>tien animé par Ariane<br />

Bozon, Paris, Liana Levi, 2009.<br />

• Gottschlich Jürgen, Beihilfe<br />

zum Völkermord. Deutsch<strong>la</strong>nds<br />

Rolle bei der Vernichtung der<br />

Armenier, Berlin, Ch. Links<br />

Ver<strong>la</strong>g, 2015.<br />

• Marchand, Laure <strong>et</strong> Perrier,<br />

Guil<strong>la</strong>ume, La Turquie <strong>et</strong> le<br />

fantôme arménien. Sur les traces<br />

<strong>du</strong> <strong>génocide</strong>, préface de Taner<br />

Akçam, Arles, Actes Sud, 2013.<br />

• Mesnard, Philippe, « Mémoire<br />

“en progrès” (II) », <strong>Témoigner</strong><br />

<strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong>, Paris<br />

- Bruxelles, Kimé - Fondation<br />

Auschwitz, <strong>n°</strong> 117, mars <strong>2014</strong>, p.<br />

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• Rothberg, Michael,<br />

Multidirectionnal memory.<br />

Remembering the Holocaust in the<br />

Age of decolonisation, Stanford,<br />

Stanford UP, 2009.<br />

• Rothberg, Michael, « Locating<br />

Transnational Memory »,<br />

European Review, vol. 22, issue 4,<br />

octobre <strong>2014</strong>, p. 652-656.<br />

PRÉSENTATION<br />

elle est confrontée à l’ensemble de<br />

ces questions, mais elle les traite sans<br />

détour dans son travail auprès de ses<br />

étudiants comme dans sa recherche.<br />

Or, sa position <strong>et</strong> son parcours sont<br />

d’autant plus remarquables qu’elle s’est<br />

imposée, en France, comme pionnière<br />

de l’historiographie <strong>des</strong> c<strong>entre</strong>s de mise<br />

à mort nazis en Pologne (Cehreli, 2013).<br />

Si elle vient témoigner de <strong>la</strong> situation<br />

dans son pays, c’est donc avec un regard<br />

à <strong>la</strong> fois intérieur <strong>et</strong> extérieur (née en<br />

Allemagne, spécialiste de <strong>la</strong> Shoah en<br />

France <strong>et</strong> centrant son attention sur <strong>la</strong><br />

communauté arménienne de Turquie).<br />

Passons maintenant <strong>du</strong> côté <strong>des</strong><br />

arts. La contribution de Michael Hoffmann<br />

concerne l’Allemagne vue<br />

comme pays multiculturel. Il présente<br />

les œuvres majeures de Zafer Şenocak<br />

<strong>et</strong> de Fatih Akın, respectivement écrivain<br />

<strong>et</strong> cinéaste, tous deux Allemands<br />

issus de l’immigration turque. Chacun<br />

à sa façon, ils cherchent à s’approcher<br />

de c<strong>et</strong>te <strong>mémoire</strong> autre — l’empreinte<br />

ou le « fantôme » arménien (Marchand,<br />

Perrier, 2013) — qui les renvoie non seulement<br />

à leur propre identité d’origine<br />

<strong>et</strong> à ce qui hante son <strong>histoire</strong>, mais aussi<br />

au traitement mémoriel de c<strong>et</strong> autre<br />

<strong>génocide</strong>, celui <strong>des</strong> Juifs, par <strong>la</strong> société<br />

allemande dans <strong>la</strong>quelle ils ont été<br />

élevés <strong>et</strong> dont ils ont <strong>la</strong> nationalité. La<br />

démultiplication <strong>du</strong> rapport mémoriel<br />

aux passés s’amplifie plus encore quand<br />

l’on considère que l’implication éventuelle<br />

de l’Allemagne, alliée historique<br />

de l’Empire ottoman avant de l’être de<br />

<strong>la</strong> Turquie, est actuellement instruite<br />

par <strong>des</strong> historiens <strong>et</strong>, notamment, par<br />

le journaliste Jürgen Gottschlich (2015).<br />

La question <strong>du</strong> représentable face<br />

à ces massacres perpétrés, en grande<br />

partie, au cours <strong>des</strong> déportations forcées<br />

vers le désert de Syrie est posée<br />

par le parti-pris fictionnel qu’adopte<br />

Fatih Akın. Atom Egoyan s’y était déjà<br />

risqué avec Ararat (2002) qui n’avait<br />

pas été reçu à <strong>la</strong> mesure de son pouvoir<br />

questionnant <strong>et</strong> de l’intelligence de sa<br />

composition. La force d’Ararat repose<br />

sur plusieurs récits-cadres présentant<br />

<strong>la</strong> question de <strong>la</strong> transmission, de l’impossible<br />

deuil con<strong>du</strong>isant au suicide,<br />

<strong>et</strong> de <strong>la</strong> tentative réaliste — cinéma<br />

dans le cinéma — de représenter le<br />

<strong>génocide</strong>. Marie-Aude Baronian, en<br />

spécialiste d’Egoyan (Baronian, 2013)<br />

garde l’œuvre de celui-ci comme horizon<br />

référentiel <strong>pour</strong> présenter deux<br />

artistes, Gariné Torossian <strong>et</strong> Mekhitar<br />

Garabedian, <strong>et</strong> y appliquer sur leurs travaux<br />

son concept de « forme mémorielle<br />

“texturée” » reprenant ainsi le motif de<br />

<strong>la</strong> culture ancestrale <strong>du</strong> tissu chez les<br />

<strong>Arméniens</strong>.<br />

Après Hoffmann <strong>et</strong> Baronian, David<br />

Kazanjian s’est aussi attaché à <strong>des</strong><br />

œuvres d’artistes <strong>pour</strong> accompagner ce<br />

que l’on peut interpréter comme une<br />

hypothèse sur <strong>la</strong> possibilité de créer une<br />

parenté <strong>entre</strong> les deux communautés,<br />

en faisant jouer ce que l’on <strong>pour</strong>rait<br />

appeler un principe d’affinité. « Rapprochement<br />

» ne serait pas assez fort <strong>et</strong><br />

par trop conventionnel <strong>pour</strong> désigner ce<br />

qui <strong>pour</strong>rait se réaliser. Le mot le plus<br />

adéquat semblerait en français : apparentement,<br />

bien qu’il ne soit pas employé<br />

de c<strong>et</strong>te façon ou, donc, principe d’affinité.<br />

Comment apparenter ? Comment<br />

imaginer <strong>des</strong> parentés qui puissent<br />

surmonter une telle violence prolongée<br />

par l’intransigeance d’un État qui<br />

refuse catégoriquement <strong>la</strong> qualification<br />

<strong>des</strong> crimes <strong>la</strong> plus élevée qui lui revient ?<br />

C<strong>et</strong> apparentement ou ce principe d’affinité<br />

serait effectivement sans précédent,<br />

même si l’on pense aux re<strong>la</strong>tions<br />

judéo-alleman<strong>des</strong> après guerre qui,<br />

<strong>pour</strong>tant à y regarder de près, n’ont rien<br />

de comparable. À lui seul, Kazanjian ne<br />

prétend pas apporter de réponse à <strong>la</strong><br />

question que pose c<strong>et</strong>te hypothèse, <strong>pour</strong><br />

l’appuyer, il convoque deux pro<strong>du</strong>ctions<br />

exemp<strong>la</strong>ires : « Self-Portrait as an Ottoman<br />

Woman » d’Aikatarini Gegisian <strong>et</strong><br />

une col<strong>la</strong>boration <strong>entre</strong> Nina Katchadourian<br />

<strong>et</strong> Ahm<strong>et</strong> Ögüt connue sous le<br />

titre “AH-HA”. De même que précédemment<br />

avec les œuvres commentées par<br />

Michael Hofmann <strong>et</strong> Marie-Aude Baronian,<br />

les artistes se révèlent être <strong>des</strong><br />

acteurs, moins de <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong>, que de <strong>la</strong><br />

prise de conscience ; le réel, ici en lien<br />

avec le passé, s’affirme lui-même comme<br />

événement à travers l’événement de l’art<br />

qui en devient le médiateur, échappant<br />

aux conventions <strong>des</strong> discours officiels,<br />

voire leur étant intolérable comme avec<br />

<strong>la</strong> précédente <strong>histoire</strong> <strong>du</strong> sculpteur, <strong>du</strong><br />

premier ministre <strong>et</strong> <strong>du</strong> juge.<br />

Ce dossier accorde une p<strong>la</strong>ce importante<br />

à l’image, pas simplement l’image<br />

comme illustration, pas l’image-choc<br />

non plus <strong>et</strong> pas plus l’image imaginable.<br />

Car si l’on peut tout représenter, on ne<br />

peut pas tout imaginer. C’est <strong>pour</strong>quoi<br />

les photographies de Pascaline Marre,<br />

qui ne sont ni <strong>des</strong> discours visuels, ni <strong>des</strong><br />

clichés, nous ont semblé seules à même<br />

de donner aux vestiges qui restent <strong>la</strong><br />

mesure d’un presque rien encore plus<br />

terrifiant que si tout avait disparu.<br />

✻<br />

✻ ✻<br />

Le principe d’affinité développé par<br />

David Kazanjian fait écho aux différentes<br />

approches de <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong> sociale<br />

<strong>et</strong> de <strong>la</strong> construction mémorielle respectivement<br />

développées par Uğur Ümit<br />

Üngör <strong>et</strong> Seyhan Bayraktar dans les<br />

textes qui ouvrent ce dossier. Ce sont<br />

là <strong>des</strong> <strong>mémoire</strong>s non institutionnelles<br />

cherchant à se rendre visibles, sans <strong>pour</strong><br />

autant se m<strong>et</strong>tre en représentation <strong>et</strong><br />

encore moins se donner en spectacle ;<br />

<strong>des</strong> <strong>mémoire</strong>s qui s’é<strong>la</strong>borent de façon<br />

autonome au pouvoir politique, libre<br />

donc de s’y opposer, qui restent également<br />

distantes <strong>des</strong> institutions mémorielles.<br />

Si elles partent <strong>du</strong> passé, elles ne<br />

sont pas exclusivement tournées vers<br />

lui. La <strong>mémoire</strong>, si elle doit effectivement<br />

travailler à <strong>la</strong> reconnaissance <strong>des</strong><br />

crimes à <strong>la</strong> hauteur à <strong>la</strong>quelle ils ont été<br />

commis, ne peut bloquer le cours <strong>du</strong><br />

temps à un arrêt sur image effarant, c’est<br />

<strong>pour</strong>quoi ce qui se joue avec ce principe<br />

d’affinité à l’expression <strong>du</strong>quel nous<br />

nous sentons attachés invite à ce que <strong>la</strong><br />

<strong>mémoire</strong> envisage de se dissoudre <strong>pour</strong><br />

<strong>et</strong> dans <strong>la</strong> (ré)activation de liens <strong>entre</strong><br />

les différents groupes concernés.<br />

Bien plus loin que <strong>la</strong> simple <strong>et</strong><br />

idéaliste redécouverte <strong>du</strong> multiculturalisme<br />

de certaines époques de l’Empire<br />

ottoman — de même que ce<strong>la</strong> a été<br />

le cas sous le règne <strong>des</strong> Habsbourg —,<br />

ce mouvement viserait à créer de nouvelles<br />

formes de communauté imaginée<br />

(Anderson, 2006), dépassant l’ancrage<br />

dans une identité nationale avec les<br />

dérives identitaristes qui y couvent,<br />

<strong>pour</strong> qu’à l’identité comme fin (ou<br />

comme origine), se substitue <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion<br />

d’identités comme <strong>des</strong> <strong>la</strong>ngues<br />

plurielles devenues, en ce sens, les lieux<br />

d’échange, de mé<strong>la</strong>nge <strong>et</strong> de tra<strong>du</strong>ction<br />

d’une Postmonolingual condition (Yildiz,<br />

2012). Se révélerait alors <strong>la</strong> richesse de<br />

c<strong>et</strong>te part de <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong> souvent négligée<br />

par ses trop volontaires représentations<br />

officielles, c<strong>et</strong>te part qui fait d’elle<br />

un lieu de passage, une zone par où les<br />

identités transitent <strong>et</strong> se transmuent, <strong>et</strong><br />

non seulement se fondent, se justifient<br />

ou se légitiment. ❚<br />

Nos vifs remerciements à Michael Rothberg <strong>et</strong><br />

Yasemine Yildiz <strong>pour</strong> leur aide qui a impulsé <strong>et</strong><br />

nourri le <strong>la</strong>ncement de ce dossier.<br />

• Yildiz, Yasemine, Beyond<br />

the Mother Tongue: The<br />

Postmonolingual Condition,<br />

New York, Fordham University<br />

Press, 2012.<br />

16 <strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015 Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015<br />

17


Varia<br />

A Par Alexandre<br />

Dauge-Roth, Bates College<br />

L’autodocumentaire<br />

<strong>et</strong> ses tiers<br />

Gilbert Ndahayo <strong>entre</strong><br />

réconciliation personnelle <strong>et</strong><br />

nationale au Rwanda<br />

« Si je m’apprête à parler longuement de fantômes,<br />

d’héritages <strong>et</strong> de générations, de générations de fantômes,<br />

c’est-à-dire de certains autres qui ne sont pas présents, ni<br />

présentement vivants, ni à nous ni en nous ni hors de nous,<br />

c’est au nom de <strong>la</strong> justice. »<br />

(Derrida, Spectres, 15)<br />

Pour de nombreux survivants <strong>du</strong> <strong>génocide</strong> contre les Tutsi <strong>du</strong> Rwanda,<br />

témoigner de leur passé traumatique est une source de tension permanente.<br />

En eff<strong>et</strong>, <strong>la</strong> médiation de leurs souffrances est non seulement<br />

tributaire de <strong>la</strong> volonté de savoir de leurs interlocuteurs,<br />

mais aussi intimement liée aux visions <strong>et</strong> divisions politiques qui<br />

prévalent au Rwanda aujourd’hui. Tout survivant, même s’il trouve en lui-même<br />

les ressources psychologiques <strong>pour</strong> témoigner, se doit ainsi de négocier ces autres<br />

inconnues que sont <strong>la</strong> volonté politique <strong>et</strong> <strong>la</strong> capacité d’écoute <strong>des</strong> tiers auxquels il<br />

s’adresse. Parce qu’elle se doit de refuser l’amnésie <strong>et</strong> <strong>la</strong> violence symbolique que <strong>la</strong><br />

<strong>mémoire</strong> officielle <strong>du</strong> <strong>génocide</strong> trop souvent suppose, <strong>la</strong> parole <strong>du</strong> survivant dérange<br />

ceux qui ont intérêt à ce que l’on tourne <strong>la</strong> page de ce passé – voire qu’on lui tourne le<br />

dos –, <strong>et</strong> ce, paradoxalement, au moment même où se multiplient les injonctions à se<br />

souvenir. Pour les survivants, refouler leur expérience traumatique est impossible.<br />

Comme le relève Esther Mujawayo, auteure de SurVivantes (2004) <strong>et</strong> de La Fleur de<br />

Stéphanie : Rwanda <strong>entre</strong> réconciliation <strong>et</strong> déni (2006), il existe <strong>entre</strong> les survivants <strong>et</strong><br />

les tiers auxquels ils s’adressent un fossé existentiel <strong>et</strong> une hétérotopie énonciative<br />

qui concourent à exiler plus d’un survivant dans une solitude vertigineuse :<br />

Une solitude [...] parce que c’est trop horrible <strong>et</strong> que celui qui nous écoute a <strong>la</strong><br />

télécommande <strong>et</strong> peut arrêter <strong>la</strong> cass<strong>et</strong>te lorsque ça devient insoutenable, tandis que<br />

les survivants ont per<strong>du</strong> <strong>la</strong> télécommande. Le film tourne en boucle, <strong>et</strong> même lorsque<br />

l’écoutant n’écoute plus, chez le rescapé, <strong>la</strong><br />

cass<strong>et</strong>te tourne encore. Le film se déroule sans<br />

fin. Et les images comme les sons ou les odeurs<br />

sont d’une violence inouïe. Violence réelle qui<br />

ne peut être dite, hurlée ; <strong>la</strong> haine <strong>du</strong> bourreau,<br />

<strong>du</strong> violeur qui ne peut être exprimée <strong>et</strong> qui en<br />

fin de compte se r<strong>et</strong>ourne contre le rescapé.<br />

(Mujawayo 2009, p. 177).<br />

Face au mal absolu que l’homme est capable<br />

d’infliger à l’homme – potentialité dont le survivant<br />

est le rappel constant –, les injonctions<br />

à demeurer silencieux <strong>et</strong> à ne parler <strong>du</strong> passé<br />

en public que si l’on y est officiellement convié<br />

prennent de multiples formes au Rwanda.<br />

Vingt ans après le <strong>génocide</strong>, nombreux sont<br />

en eff<strong>et</strong> les survivants qui suffoquent sous le<br />

poids <strong>du</strong> non-dit en dépit de <strong>la</strong> prolifération <strong>des</strong> espaces mémoriels : commémorations<br />

officielles <strong>du</strong> <strong>génocide</strong> en <strong>avril</strong> depuis 1997, mémoriaux à travers tout le pays<br />

<strong>des</strong>tinés autant aux Rwandais qu’aux visiteurs étrangers, procès publics dans le<br />

cadre <strong>des</strong> gacaca ou encore multiplication <strong>des</strong> c<strong>entre</strong>s de documentation donnant<br />

accès à <strong>des</strong> archives audiovisuelles inédites 1 . Le hiatus réside dans le fait que ces<br />

espaces mémoriels relèvent d’une volonté de savoir politisée qui exige <strong>des</strong> survivants<br />

qu’ils se conforment à sa vision de ce qui doit être dit, peut être enten<strong>du</strong> <strong>et</strong> donné<br />

à voir comme vrai. La prévalence de ces <strong>mémoire</strong>s officielles contribue à <strong>la</strong> mise<br />

sous tutelle, voire sous silence, de <strong>la</strong> parole <strong>des</strong> survivants qui ne souscrivent pas<br />

à <strong>la</strong> volonté de savoir offrant un espace d’écoute qui est tout sauf inconditionnelle.<br />

PRISE DE PAROLE TESTIMONIALE ET<br />

RÉCONCILIATION NATIONALE<br />

Si <strong>la</strong> prise de parole <strong>des</strong> survivants est à ce point encadrée <strong>et</strong> policée, c’est aussi<br />

parce que son surgissement aléatoire <strong>et</strong> sa circu<strong>la</strong>tion sauvage risquent de contrarier<br />

le processus de réconciliation nationale. Dans le contexte actuel où prime l’aménagement<br />

d’un ordre social favorable au développement économique <strong>du</strong> pays, le<br />

dilemme auquel doivent faire face de nombreux survivants est le suivant : comment<br />

répondre au désir impérieux de témoigner <strong>et</strong> de se réconcilier avec soi-même –<br />

autant que ce<strong>la</strong> est possible – quand on ne parvient pas à épouser le moule narratif <strong>et</strong><br />

<strong>la</strong> vision de l’<strong>histoire</strong> qui ont <strong>pour</strong> prémisses <strong>et</strong> finalité <strong>la</strong> réconciliation nationale ?<br />

L’amer paradoxe est que les survivants <strong>du</strong> <strong>génocide</strong> – qu’il convient de distinguer<br />

<strong>des</strong> Tutsi qui sont revenus d’exil après plusieurs décennies – bénéficient certes d’un<br />

grand capital symbolique au sein <strong>des</strong> discours officiels, mais ne sont qu’une minorité<br />

démographique qui jouit, en définitive, d’un poids politique <strong>et</strong> économique<br />

© G. Ndahayo<br />

_ Deux présumés<br />

génocidaires dans le gacaca<br />

qui implique les membres<br />

victimes <strong>du</strong> réalisateur :<br />

À gauche, Célestin<br />

Ruhumuriza qui nie toutes<br />

les accusations <strong>et</strong> à droite,<br />

Emmanuel connu sous le<br />

surnom de Croix-Rouge<br />

qui demande pardon <strong>et</strong><br />

reconnait avoir tué le père<br />

<strong>du</strong> réalisateur (novembre<br />

2007) .<br />

(1) Parmi les principaux c<strong>entre</strong>s<br />

de documentation, celui <strong>du</strong><br />

mémorial de Gisozi inauguré<br />

en 2011 sur le modèle de l’USC<br />

Shoah Foundation Institute, les<br />

archives <strong>des</strong> juridictions gacaca<br />

gérées par <strong>la</strong> Commission<br />

nationale de lutte contre le<br />

<strong>génocide</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> récente ouverture<br />

<strong>du</strong> c<strong>entre</strong> IRIBA créé suite au<br />

travail documentaire de Anne<br />

Aghion, The Gacaca Film Series<br />

qui comporte <strong>entre</strong> autres My<br />

Neighbor, my Killer (2009).<br />

18 <strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015 Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015<br />

19


Varia<br />

L’ (auto ?)-libération<br />

<strong>des</strong> prisonniers <strong>du</strong> camp<br />

de concentration<br />

de Buchenwald vue par<br />

les historiens allemands<br />

© DR<br />

A Par Jean-Louis Rouhart,<br />

Haute École de La Ville de<br />

Liège<br />

S’il est un dossier qui suscite <strong>la</strong> polémique encore de nos jours parmi les<br />

historiens allemands, c’est <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> libération <strong>du</strong> camp de concentration<br />

national-socialiste de Buchenwald intervenue le 11 <strong>avril</strong> 1945.<br />

Pendant <strong>des</strong> années, <strong>la</strong> thèse qui a prévalu, <strong>du</strong> moins dans l’ancienne<br />

RDA, fut celle de l’auto-libération <strong>du</strong> camp par les prisonniers communistes,<br />

jusqu’à ce que, suite à l’effondrement <strong>du</strong> régime de <strong>la</strong> République Démocratique<br />

Allemande en 1989 <strong>et</strong> <strong>la</strong> réunification de l’Allemagne en 1990, <strong>des</strong> historiens<br />

s’appliquent à déconstruire ce qu’était devenu, selon eux, un mythe. La nouvelle<br />

version <strong>des</strong> événements, n<strong>et</strong>tement moins héroïque, était basée sur une libération<br />

<strong>du</strong> camp par les troupes américaines, les résistants jouant un rôle accessoire <strong>et</strong><br />

anecdotique. À côté de ces deux versions opposées, il s’est trouvé, même peu de<br />

temps après le déroulement <strong>des</strong> faits, <strong>des</strong> témoins <strong>et</strong> <strong>des</strong> historiens plus modérés<br />

<strong>pour</strong> corriger les outrances <strong>des</strong> uns <strong>et</strong> <strong>des</strong> autres <strong>et</strong> proposer <strong>des</strong> interprétations<br />

qui semblent à première vue plus ajustées à <strong>la</strong> réalité <strong>des</strong> faits.<br />

Dans le présent article, nous nous proposons d’examiner plus en détails ces<br />

différentes versions <strong>des</strong> événements présentées par les historiens allemands <strong>et</strong> de<br />

tenter, en partant de <strong>la</strong> confrontation de leurs points de vue, de mieux comprendre<br />

les tenants <strong>et</strong> les aboutissants d’un dossier qualifié par un historien allemand de<br />

« conflit de Buchenwald » (Zimmer, 1999).<br />

L’article ne prétend certes pas apporter une réponse définitive à <strong>la</strong> question<br />

de savoir si <strong>et</strong> dans quelle mesure les prisonniers de Buchenwald se sont libérés<br />

eux-mêmes, sans l’intervention <strong>des</strong> forces armées américaines. Pour obtenir, le cas<br />

échéant, <strong>des</strong> éléments de solution déterminants, une étude approfondie <strong>et</strong> exhaustive,<br />

englobant l’imposante littérature primaire <strong>et</strong> secondaire re<strong>la</strong>tive au suj<strong>et</strong> <strong>et</strong><br />

prenant en compte l’avis de tous les historiens sur <strong>la</strong> problématique générale <strong>du</strong><br />

camp de Buchenwald, devrait être <strong>entre</strong>prise. Vu son ampleur, c<strong>et</strong>te étude, <strong>du</strong> reste<br />

fort atten<strong>du</strong>e (Neumann, 2012, 18), dépasserait <strong>la</strong>rgement le cadre de notre propos<br />

consacré uniquement à l’analyse de l’historiographie allemande sur <strong>la</strong> question de<br />

<strong>la</strong> libération <strong>du</strong> camp de Buchenwald.<br />

Quand on assemble les témoignages <strong>des</strong> anciens prisonniers communistes<br />

ayant vécu les événements <strong>et</strong> les interprétations post-événementielles <strong>des</strong> historiens<br />

est-allemands, on parvient assez aisément à restituer <strong>la</strong> version <strong>des</strong> faits telle<br />

qu’elle a été propagée pendant de nombreuses années <strong>et</strong> enseignée dans les écoles<br />

en RDA. C<strong>et</strong>te version, qualifiée de « Miracle de Buchenwald » (Fein & F<strong>la</strong>nner,<br />

1987, 239) était, dans les gran<strong>des</strong> lignes, <strong>la</strong> suivante :<br />

À l’approche <strong>des</strong> premiers éléments blindés américains, l’après-midi <strong>du</strong><br />

11 <strong>avril</strong> 1945, <strong>des</strong> groupes de combat (« Kampfgruppen »), qui avaient été formés par<br />

l’ILK (Internationales Lagerkomitee, Comité international <strong>du</strong> camp) auraient pris<br />

d’assaut <strong>la</strong> « tour », c’est-à-dire le grand portail d’entrée <strong>du</strong> camp (Fein & F<strong>la</strong>nner,<br />

1987, 233), fait <strong>des</strong> trouées dans les clôtures électriques, conquis les miradors en se<br />

saisissant <strong>des</strong> gar<strong>des</strong> SS qui s’y trouvaient, les auraient désarmés, puis hissé un drapeau<br />

b<strong>la</strong>nc sur <strong>la</strong> « tour ». Équipés d’armes dérobées dans les arsenaux <strong>des</strong> SS, 1 500<br />

prisonniers auraient fait une grande chaîne de protection autour <strong>du</strong> camp <strong>et</strong> <strong>pour</strong>suivi<br />

les SS qui s’étaient enfuis dans les bois environnants, jusqu’à que, deux jours<br />

plus tard, <strong>des</strong> unités de l’armée de Patton prennent <strong>la</strong> direction <strong>du</strong> camp.<br />

Selon c<strong>et</strong>te version, les troupes américaines n’auraient pas libéré le camp de<br />

Buchenwald, ce seraient les prisonniers politiques eux-mêmes qui auraient préparé<br />

délibérément, puis déclenché <strong>et</strong> exécuté <strong>la</strong> révolte armée (Drobisch, 1967, 157). Le camp<br />

se serait libéré lui-même (Ritscher, 1985, 146 ; Fein & F<strong>la</strong>nner 1987 ; Drobisch, 1967 ;<br />

Walter Bartel & Kurt Trossdorf, 1960 ; Günter Kühn & Wolfgang Webert, 1976, …).<br />

Jusqu’à nos jours, les défenseurs de c<strong>et</strong>te thèse, dont certains furent <strong>des</strong> témoins<br />

directs <strong>des</strong> événements, font in<strong>la</strong>ssablement référence au journal de guerre <strong>du</strong><br />

_ Scène de <strong>la</strong>dite<br />

« auto-libération » <strong>du</strong> camp<br />

conforme à l’idéologie<br />

communiste de RDA, sur<br />

<strong>la</strong>quelle se conclut Nu<br />

parmi les loups (Naked<br />

unter Wölfen), film de Frank<br />

Beyer (1963), adaptation <strong>du</strong><br />

roman éponyme de Bruno<br />

Apitz (1958).<br />

20 <strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015 Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015<br />

21


Dictionary<br />

Dictionnaire<br />

testimonial <strong>et</strong> mémoriel<br />

Site mémoriel<br />

KOMMOUNARKA<br />

MOTS DU TÉMOIGNAGE<br />

ET DE LA MÉMOIRE<br />

. Parce que les chercheurs, les<br />

enseignants <strong>et</strong> les professionnels<br />

<strong>des</strong> arts, de <strong>la</strong> culture <strong>et</strong> de<br />

l’information sont de plus en<br />

plus amenés à utiliser <strong>des</strong> mots<br />

appartenant au champ <strong>du</strong><br />

témoignage <strong>et</strong> de <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong>,<br />

<strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>mémoire</strong> s’est donné <strong>pour</strong> mission<br />

de les rassembler sous <strong>la</strong> forme<br />

d’un dictionnaire en ouvrant ainsi<br />

c<strong>et</strong> espace expérimental.<br />

. La réalisation de ce proj<strong>et</strong><br />

se fait en deux temps. Chaque<br />

terme d’un index in progress<br />

est présenté en deux fois : sous<br />

<strong>la</strong> forme de notices courtes,<br />

d’abord dans chaque numéro de<br />

<strong>la</strong> revue, invitant ensuite à <strong>des</strong><br />

développements <strong>et</strong> à une mise en<br />

débats critique, à plusieurs voix,<br />

sur un site qui fonctionnera à<br />

partir de l’été 2015.<br />

À leur version courte <strong>et</strong>, donc,<br />

volontairement partielle, nous<br />

associons quelques titres<br />

d’ouvrages ne prétendant pas à<br />

l’exhaustivité.<br />

FAMINES SOVIÉTIQUES<br />

Comme l’a justement écrit<br />

l’historien James Mace, les<br />

famines soviétiques qui, en<br />

1931-1933, frappèrent nombre de<br />

régions de l’URSS (tout particulièrement<br />

l’Ukraine, le Kazakhstan <strong>et</strong><br />

les régions de <strong>la</strong> Volga) furent une<br />

catastrophe inédite où <strong>la</strong> météorologie<br />

n’avait qu’une part infime : ce<br />

furent <strong>des</strong> « man-made famines »,<br />

conséquence directe d’une politique<br />

d’extrême violence — <strong>la</strong> collectivisation<br />

forcée <strong>des</strong> campagnes<br />

— mise en œuvre par le régime<br />

stalinien en 1930. Conséquence<br />

directe, mais évidemment non<br />

prévue <strong>et</strong> encore moins « programmée<br />

» d’une politique, <strong>la</strong> famine fut,<br />

en Ukraine <strong>et</strong> au Kouban — <strong>et</strong> uniquement<br />

dans ces régions — intentionnellement<br />

aggravée à partir de<br />

l’automne 1932 par <strong>la</strong> volonté inébran<strong>la</strong>ble<br />

de Staline de briser, par<br />

l’arme de <strong>la</strong> faim, <strong>la</strong> résistance particulièrement<br />

opiniâtre <strong>des</strong> paysans<br />

ukrainiens à <strong>la</strong> collectivisation<br />

<strong>et</strong> aux prélèvements démesurés sur<br />

les récoltes, mais aussi celle d’un<br />

certain nombre de communistes<br />

ukrainiens.<br />

Niée par les autorités soviétiques<br />

jusqu’à <strong>la</strong> disparition de<br />

l’URSS, <strong>la</strong> famine est devenue,<br />

dans l’Ukraine post-soviétique,<br />

non seulement un obj<strong>et</strong> majeur<br />

d’étude, mais un élément central<br />

de <strong>la</strong> nouvelle identité nationale<br />

ukrainienne. En 2006, le Parlement<br />

ukrainien a décrété le Holodomor<br />

: « <strong>génocide</strong> contre le peuple<br />

ukrainien ». Pour <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> historiens<br />

ukrainiens, trois éléments<br />

majeurs sont constitutifs <strong>du</strong> crime<br />

de <strong>génocide</strong> : <strong>la</strong> confiscation de<br />

toutes les réserves de nourriture<br />

<strong>des</strong> paysans <strong>du</strong>rant trois mois décisifs<br />

(fin 1932-début 1933) ; le blocus<br />

<strong>des</strong> campagnes affamées à partir<br />

de fin janvier 1933 ; <strong>la</strong> preuve de<br />

l’intentionnalité, pro<strong>du</strong>ite par les<br />

documents autographes de Staline,<br />

notamment ses instructions <strong>du</strong> 1er<br />

janvier 1933 appe<strong>la</strong>nt à intensifier<br />

les confiscations <strong>et</strong> les répressions<br />

contre les paysans <strong>et</strong> <strong>du</strong> 22 janvier<br />

1933, instaurant le blocus <strong>des</strong> vil<strong>la</strong>ges<br />

affamés.<br />

Si l’on r<strong>et</strong>ient c<strong>et</strong>te qualification,<br />

on soulignera que le<br />

Holodomor a été très différent de<br />

l’Holocauste. Il ne s’agissait pas de<br />

l’extermination de tous les Ukrainiens<br />

(12 % environ de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

ukrainienne — soit 3,5 millions<br />

de personnes — moururent de faim<br />

<strong>du</strong>rant <strong>la</strong> famine). Il ne reposa pas<br />

sur le meurtre direct <strong>des</strong> victimes.<br />

Il fut motivé <strong>et</strong> é<strong>la</strong>boré sur <strong>la</strong> base<br />

d’une rationalité politique <strong>et</strong> non<br />

pas sur <strong>des</strong> fondements <strong>et</strong>hniques<br />

ou raciaux (si les Ukrainiens<br />

constituèrent 85 à 90 % <strong>des</strong> victimes,<br />

<strong>la</strong> famine n’épargna pas les<br />

minorités alleman<strong>des</strong>, polonaises,<br />

juives). Toutefois, par le nombre de<br />

ses victimes, le Holodomor, rep<strong>la</strong>cé<br />

Située à quatre kilomètres <strong>du</strong> périphérique<br />

au sud-ouest de Moscou,<br />

sur <strong>la</strong> route vieille de Kalouga, l’ancienne<br />

datcha <strong>du</strong> commissaire <strong>du</strong> peuple<br />

à l’Intérieur Iagoda – baptisée d’après<br />

le nom <strong>du</strong> sovkhoze « Kommounarka »,<br />

propriété <strong>du</strong> NKVD à l’époque stalinienne<br />

– ne fait l’obj<strong>et</strong> d’aucun panneau<br />

routier ni indication dans les transports<br />

en commun qui y mènent. Le visiteur<br />

est tributaire de <strong>la</strong> bonne volonté <strong>et</strong> <strong>du</strong><br />

sens de l’orientation <strong>des</strong> locaux, dont<br />

<strong>la</strong> plupart ignore ce lieu ou en a seulement<br />

une vague idée. L’entrée <strong>du</strong> site,<br />

auquel on accède au bout de cinq cent<br />

mètres de marche dans <strong>la</strong> boue ou dans<br />

<strong>la</strong> neige, selon <strong>la</strong> saison, est annoncée<br />

par une grande pancarte bleue arborant<br />

une croix orthodoxe : « Monument historique<br />

”Site spécial Kommounarka”.<br />

Lieu d’inhumation de masse de victimes<br />

<strong>des</strong> répressions politiques <strong>des</strong> années<br />

30-40. Église <strong>des</strong> Saints Nouveaux Martyrs<br />

de Russie. Monastère Sainte-Catherine<br />

». En tournant dans <strong>la</strong> forêt, on se<br />

trouve bientôt devant un portail vert sur<br />

lequel une p<strong>et</strong>ite p<strong>la</strong>que indique : « Dans<br />

c<strong>et</strong>te terre reposent <strong>des</strong> milliers de victimes<br />

de <strong>la</strong> terreur politique <strong>des</strong> années<br />

1930-1950. Mémoire éternelle ! ». On ne<br />

sera donc pas surpris, après lecture de<br />

ces pancartes, d’apprendre que depuis<br />

1999, ce lieu appartenant auparavant<br />

au FSB (Service Fédéral de sécurité<br />

de <strong>la</strong> Fédération de Russie, héritier <strong>du</strong><br />

© Ph. M.<br />

KGB) a été p<strong>la</strong>cé sous l’administration<br />

de l’Église orthodoxe. Si quelques bus<br />

à l’entrée suggèrent que le site a une<br />

vocation touristique, on constate aussitôt<br />

qu’ils appartiennent à <strong>des</strong> compagnies<br />

privées, loués par <strong>des</strong> pèlerins qui<br />

ne sont pas venus nécessairement dans<br />

une intention mémorielle. Ces derniers<br />

sont <strong>du</strong> reste peu nombreux autour <strong>des</strong><br />

quelques monuments dont le plus imposant<br />

commémore les victimes iakoutes,<br />

un autre celles mongoles, un troisième<br />

est érigé à <strong>la</strong> <strong>mémoire</strong> d’Andreï Filippov,<br />

procureur de Moscou arrêté en<br />

novembre 1937 <strong>et</strong> fusillé ici. À côté se<br />

dresse, p<strong>la</strong>cée dans un bouqu<strong>et</strong> d’arbres,<br />

une croix entourée de corbeilles de<br />

l l l<br />

0 Pancarte indiquant<br />

le site : « Monument<br />

historique ”Site spécial<br />

Kommounarka”. Lieu<br />

d’inhumation de<br />

masse de victimes <strong>des</strong><br />

répressions politiques<br />

<strong>des</strong> années 30-40.<br />

Église <strong>des</strong> Saints<br />

Nouveaux Martyrs<br />

de Russie. Monastère<br />

Sainte-Catherine ».<br />

22 <strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015 Testimony B<strong>et</strong>ween History and Memory – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / April 2015 23 61


Laboratoire<br />

mémoriel<br />

Belgique<br />

EPISODE 2<br />

VÉRITÉ ET FICTION, IMAGE ET<br />

IMAGINAIRE DANS LE ROMAN<br />

CONTEMPORAIN SUR LA PREMIÈRE<br />

GUERRE MONDIALE<br />

<strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong>.<br />

<strong>Revue</strong> pluridisciplinaire de <strong>la</strong> Fondation Auschwitz.<br />

Éditée par le C<strong>entre</strong> d’étu<strong>des</strong> <strong>et</strong> de documentation,<br />

Mémoire d’Auschwitz asbl <strong>et</strong> Éditions Kimé<br />

Directeur de <strong>la</strong> publication : Henri Goldberg.<br />

Directeur de <strong>la</strong> rédaction : Philippe Mesnard.<br />

Secrétaires de rédaction : Nathalie Pe<strong>et</strong>ers,<br />

Anneleen Spiessens.<br />

Contact : contact.testimonyquarterly@gmail.com<br />

Comité de rédaction : Frédéric Crahay (Belgique),<br />

Nathalie Filloux (France), Janos Frühling (Belgique), Luba<br />

Jurgenson (France), Isabelle Galichon (France), Herman<br />

Van Go<strong>et</strong>hem (Belgique), Meïr Waintrater (France).<br />

Comité scientifique : Marnix Beyen (Belgique),<br />

Sonia Combe (France), Bernard Dan (Belgique),<br />

Emmanuelle Danblon (Belgique), Wim De Vos (Belgique),<br />

Caro<strong>la</strong> Hähnel (Allemagne), Fransiska Louwagie (Belgique),<br />

Carlo Sal<strong>et</strong>ti (Italie), Frediano Sessi (Italie),<br />

Régine Waintrater (France).<br />

Conception & réalisation graphique :<br />

Yann Collin/www.wakeup<strong>des</strong>ign.fr<br />

Impression : Nouvelle Imprimerie Laballery –<br />

58502 C<strong>la</strong>mecy – N° d’imprimeur 403094<br />

Les articles publiés n’engagent que <strong>la</strong> responsabilité <strong>des</strong><br />

auteurs. Les textes de <strong>la</strong> revue sont publiés en français,<br />

néer<strong>la</strong>ndais <strong>et</strong> ang<strong>la</strong>is.<br />

<strong>Témoigner</strong> a essayé de toucher tous les ayants droit<br />

au copyright <strong>des</strong> illustrations publiées dans <strong>la</strong> revue.<br />

Si toutefois certaines images étaient reprises sans<br />

que les ayants droit aient été avertis, ceux-ci sont priés<br />

de prendre contact avec les éditeurs :<br />

contact.testimonyquarterly@gmail.com.<br />

Couverture : Poghosyan Family from Hoghe circa 2011<br />

© The Armenian Genocide Museum Institute /<br />

© Pascaline Marre.<br />

Éditeur : Kimé, 2, impasse <strong>des</strong> Peintres, 75002 Paris<br />

www.editionskime.fr<br />

© Éditions Kimé, Paris, 2015<br />

ISSN 2031-4183 / ISBN 978-2-84174-701-6<br />

Mémoire d’Auschwitz asbl<br />

C<strong>entre</strong> d’étu<strong>des</strong> <strong>et</strong> de documentation<br />

65, rue <strong>des</strong> Tanneurs, 1000 Bruxelles – Belgique<br />

00 32 [0]2.512.79.98<br />

www.auschwitz.be<br />

© Hotel Modern<br />

DANS LE PROCHAIN NUMÉRO<br />

N° 121 – OCTOBRE 2015<br />

_ Hotel Modern, Kamp, 2005 (photographie <strong>du</strong> spectacle).<br />

VIOLENCES RADICALES<br />

EN SCÈNE<br />

Le rapport <strong>du</strong> théâtre à <strong>la</strong> Destruction est immémorial,<br />

ce<strong>la</strong> remonte à ses origines, voire aux origines de l’un<br />

comme de l’autre. Comment, aujourd’hui, l’art de <strong>la</strong> scène<br />

se confronte-t-il <strong>et</strong> traite-t-il les actualités mémorielle,<br />

historique, politique, toutes éminemment contemporaines,<br />

qui nous submergent ? Comment nous donne-t-il à voir <strong>la</strong><br />

cruauté collective, non <strong>pour</strong> nous sidérer, mais <strong>pour</strong> nous<br />

inviter à les penser ?<br />

Cent ans après <strong>la</strong> Grande Guerre,<br />

les historiens ne sont pas les seuls à s’interroger sur <strong>la</strong><br />

signification profonde <strong>du</strong> premier conflit d’envergure<br />

mondiale. Les proportions colossales de <strong>la</strong> guerre<br />

in<strong>du</strong>strielle m<strong>et</strong>tent aussi à l’épreuve l’imagination <strong>des</strong><br />

romanciers d’aujourd’hui. Les historiens ne peuvent<br />

pas fournir de réponse à <strong>la</strong> question essentielle qu’ils<br />

se posent, à savoir comment ce<strong>la</strong> s’est vraiment passé<br />

<strong>pour</strong> les âmes damnées qui ont été prises dans le<br />

maelström de l’<strong>histoire</strong>. Alors que les documents <strong>et</strong> les<br />

archives dépersonnalisent <strong>et</strong> objectivent <strong>la</strong> guerre, ce<br />

qui intéresse les romanciers, c’est le vécu subjectif, non<br />

pas de <strong>la</strong> guerre (ce qui relève de l’historiographie, avec<br />

les décisions, les mouvements de troupes <strong>et</strong> le nombre<br />

de victimes), mais de <strong>la</strong> guerre de quelqu’un, dans le<br />

contexte de ces atrocités bien connues. Les romanciers<br />

contemporains questionnent <strong>et</strong> imaginent ce qui s’est<br />

réellement passé, soit <strong>pour</strong> un parent pratiquement<br />

Les activités de notre C<strong>entre</strong> sont soutenues par :<br />

La Loterie Nationale, La Ville de Bruxelles,<br />

La Fédération Wallonie-Bruxelles, Le SPF – Service <strong>des</strong><br />

Victimes de <strong>la</strong> Guerre, La Commission communautaire<br />

française (COCOF), La Banque Nationale de Belgique,<br />

Ethias, Les Provinces, Les Communes, ainsi que par nos<br />

amis <strong>et</strong> membres. Nous les en remercions vivement.<br />

Avec notre partenaire<br />

www.resmusica.com<br />

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de “Mémoire d’Auschwitz asbl” – 1000 Bruxelles<br />

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Sur intern<strong>et</strong> : www.auschwitz.be rubrique Publications / Abonnement <strong>et</strong> Commande<br />

Exonération fiscale : Nous informons nos membres que tout don d’au moins 40 € donne lieu à une<br />

attestation fiscale, à condition que soient expressément indiqués sur le virement « don + attest ».<br />

24<br />

<strong>Témoigner</strong> <strong>entre</strong> <strong>histoire</strong> <strong>et</strong> <strong>mémoire</strong> – <strong>n°</strong><strong>120</strong> / Avril 2015

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