Sauvagerie, barbarie et civilisation - les atomes de l'âme
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8 Asger Jorn <strong>Sauvagerie</strong>, <strong>barbarie</strong> <strong>et</strong> <strong>civilisation</strong><br />
ment aux temps mo<strong>de</strong>rnes que le sens <strong>de</strong> ce mot va s’enfermer définitivement<br />
dans <strong>les</strong> clichés traditionnels que nous connaissons aujourd’hui.<br />
En 1739, en plein siècle <strong>de</strong>s Lumières, Voltaire signale la colonna<strong>de</strong><br />
du Louvre « masquée <strong>et</strong> déshonorée par <strong>de</strong>s bâtiments <strong>de</strong> Goths <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />
Vanda<strong>les</strong>. »<br />
Quarante-cinq ans plus tard, en août 1794, un ancien député du clergé<br />
lorrain, <strong>de</strong>venu évêque constitutionnel — l’Abbé Grégoire — l’emploie dans<br />
un rapport présenté à la Convention (14 Fructidor An III).<br />
« Pourquoi celui-ci a-t-il choisi <strong>de</strong> clouer au pilori <strong>les</strong> Vanda<strong>les</strong> plutôt<br />
que <strong>les</strong> Goths, <strong>les</strong> Huns; <strong>les</strong> Philistins ou <strong>les</strong> Béotiens ? » <strong>de</strong>man<strong>de</strong> Louis<br />
Réau, qui explique : « Les Philistins n’étaient <strong>de</strong>s barbares qu’aux yeux <strong>de</strong><br />
leurs ennemis, <strong>les</strong> Israélites ; <strong>et</strong> <strong>les</strong> Béotiens ne passaient pour lourdauds que<br />
par rapport aux Athéniens. La réputation <strong>de</strong> sauvagerie <strong>de</strong>s hor<strong>de</strong>s germaniques<br />
était par contre bien établie dans l’Europe Occi<strong>de</strong>ntale, victime <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />
invasions. Les Romains gardaient le souvenir <strong>de</strong> la Vandalica Rabies, un <strong>de</strong>s<br />
premiers accès <strong>de</strong> furor teutonicus dont Rome avait été victime en 445. Les<br />
Vanda<strong>les</strong> avaient, quinze jours durant, saccagé la ville éternelle. »<br />
Au cours du Moyen-Âge, la popularité <strong>de</strong>s images <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong><br />
Samson (<strong>de</strong>struction <strong>et</strong> déplacement <strong>de</strong> monuments) ne m<strong>et</strong> pas en cause <strong>les</strong><br />
Philistins eux-mêmes : Samson n’est pas <strong>de</strong>venu l’un <strong>de</strong>s symbo<strong>les</strong> <strong>de</strong> la lutte<br />
contre le vandalisme.<br />
Quel<strong>les</strong> hypothèses faire sur <strong>de</strong>s crimes dont aucun monument ne<br />
nous perpétue la réalité ? Pas <strong>de</strong> forfanterie vandale. À l’opposé <strong>de</strong>s Romains.<br />
On connaît le monument que Titus fit dresser pour commémorer le pillage <strong>de</strong><br />
Jérusalem — ville sacrée — <strong>et</strong> montrer l’importance du butin. Il nous serait<br />
bien difficile si <strong>les</strong> Gaulois, à leur tour, avaient détruit <strong>les</strong> monuments romains<br />
qui symbolisaient leur défaite, <strong>de</strong> nous prononcer sur leur vandalisme.<br />
Les conquêtes <strong>et</strong> <strong>de</strong>structions napoléoniennes étaient illustrées par <strong>de</strong><br />
courtes scènes, sur la colonne Vendôme. Mais, sous la Commune, la mise à bas<br />
<strong>de</strong> l’ennuyeuse colonne ayant engagé la responsabilité du peintre Courb<strong>et</strong>, <strong>les</strong><br />
Français eux-mêmes ne savent pas, aujourd’hui, où est le vandale.<br />
Qu’une nation veuille commémorer <strong>les</strong> hauts faits <strong>de</strong> son histoire par<br />
<strong>de</strong>s ensemb<strong>les</strong> architecturaux, c’est là un fait essentiellement politique. Sans<br />
rapport aucun avec la réalité esthétique architecturale. Et qui n’en garantit<br />
donc en rien la valeur.<br />
On ne compte plus le nombre <strong>de</strong> héros dont la mémoire est <strong>de</strong>sservie<br />
par la statuaire qui veut <strong>les</strong> honorer, <strong>et</strong> l’on sait <strong>de</strong>s vil<strong>les</strong> entières dont l’architecture<br />
<strong>et</strong> la statuaire sont <strong>de</strong> monumenta<strong>les</strong> erreurs, sinon horreurs.<br />
Par ailleurs, l’instinct grégaire n’engendre pas obligatoirement goût <strong>et</strong><br />
éditions <strong>les</strong> <strong>atomes</strong> <strong>de</strong> l’âme