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Chronique des deux rives<br />

La caricature d’une<br />

Par Abdelmadjid<br />

Kaouah<br />

aversion<br />

Les savants de<br />

Baghdad furent les<br />

précurseurs lointains<br />

de Copernic et de<br />

Kepler. C'est sous le<br />

règne du calife al-<br />

Ma'mûn, (813/833)<br />

que de remarquables<br />

institutions<br />

scientifiques ont vu le<br />

jour, telles que la<br />

«Maison de la<br />

Sagesse» (Bayt al-<br />

Hikma), des hôpitaux,<br />

des observatoires<br />

nécessaires à la<br />

recherche scientifique.<br />

Bayt al-Hikma, c'était à la fois<br />

une bibliothèque, une sorte<br />

d'académie et un centre de<br />

recherche. Elle devint rapidement<br />

le centre international des traductions<br />

en arabe. Les théories antiques<br />

furent révisées, plusieurs erreurs<br />

de Ptolémée furent relevées et les tables<br />

grecques corrigées. L'Ecole de Baghdad<br />

procéda à l'estimation très précise de la<br />

durée de l'année. En un mot, les études<br />

astronomiques ne furent pas en reste en<br />

Andalousie, favorisées par l'intérêt particulier<br />

de l'émir de Cordoue, Abd ar-<br />

Rahman- et attestées par les observatoires<br />

de Cordoue et de Tolède qui<br />

jouissaient à l'époque d'une grande<br />

renommée. Les noms de plusieurs<br />

savants de l'Andalousie sont passés à la<br />

postérité : Ibn Khaldoun que l'on<br />

considère comme le père de la sociologie<br />

et le savant et philosophe Abû al-<br />

Walìd ibn Rûchd, plus connu sous le<br />

nom d'Averroès (1126-1198), qui s'employa<br />

à concilier foi et raison - et dont<br />

l'influence posthume fut rendue possible<br />

par les lettrés juifs et chrétiens qui<br />

conservèrent et traduisirent son œuvre.<br />

Ce bref tableau donne la mesure des<br />

apports scientifiques, techniques et<br />

philosophiques du monde arabomusulman.<br />

On remarquera qu'il tire sa<br />

vitalité et son ampleur de la diversité<br />

qu'il a su accueillir et faire épanouir.<br />

Ainsi dans un premier temps, c'est dans<br />

leur langue maternelle que les savants<br />

ont fait leurs recherches. La langue<br />

arabe comme vecteur de base s'est enrichie<br />

d'un nouveau vocabulaire scientifique<br />

élaboré, notamment, grâce au<br />

mouvement de la traduction encouragé<br />

par les califes surtout à l'ère abbasside.<br />

Grâce à la traduction de chefs-d'œuvre<br />

grecs, dans diverses disciplines scientifiques,<br />

les savants arabes ont pu développer<br />

tout d'abord leurs connaissances<br />

avant de passer à l'étape de la<br />

recherche et de l'invention dans la langue<br />

de la Révélation coranique. En raccourci,<br />

disons que les Arabes, avec l'invention<br />

du zéro, ont non seulement<br />

débloqué l'arithmétique mais également<br />

frayé la voie à la modernité à<br />

venir. C'est vers l'étude de la langue<br />

arabe que s'orientera la Renaissance<br />

française, tournée vers la philologie<br />

biblique. La capitale du royaume de<br />

France au début du XVIe siècle frémira<br />

pour la connaissance de la «langue arabique».<br />

C'est un familier du philosophe<br />

et humaniste italien, Pic de la<br />

Mirandole (1463-1494), Agostino<br />

Giustiniani (1470-1536), auquel fit<br />

appel François-1er, pour assurer la<br />

transmission de ses connaissances linguistiques<br />

en la matière aux cénacles<br />

parisiens. On considère donc que ce<br />

dernier est à l'origine du lancement des<br />

premières études arabes en France.<br />

Mais cet intérêt linguistique - adossé à<br />

l'humanisme français en plein essor -<br />

reste fragile. François-1er fondera ainsi<br />

en 1530 le Collège des lecteurs royaux<br />

sur la Montagne Sainte-Geneviève à<br />

Paris. En 1538, il accordera à Guillaume<br />

Postel le titre de «lecteur», notamment<br />

d'arabe, dénommée alors «langue arabique».<br />

Postel publie alors entre 1538 et<br />

1543 un alphabet de la langue arabe<br />

ainsi que la première grammaire arabe<br />

en Occident. Il assurera en 1543 la traduction<br />

de la première sourate destinée<br />

à l'édition d'un Coran à Bâle. Il eut également<br />

le dessein d'un christianisme<br />

ouvert aux apports des autres religions<br />

et fit le rêve d'une concorde religieuse.<br />

On peut dire qu'il a été l'un des tout<br />

premiers à souligner les apports grecs<br />

et arabes en médecine, en astronomie<br />

et en astrologie… Par la suite, l'intérêt<br />

pour l'Orient se focalisera sur l'Empire<br />

ottoman par le biais d'ambassades.<br />

Diverses missions permirent aux<br />

humanistes de s'enquérir de la<br />

«Connaissance des choses turquesques»<br />

en collectant des manuscrits.<br />

Parmi la première (1535-1537) se<br />

trouvait Jean de la Forest. Des voyageurs<br />

français livrent des relations et<br />

des tableaux de l'Empire ottoman :<br />

Christophe Richier, Bertrand de la<br />

Borderie et Antoine Geoffroy dans les<br />

années 1540. A titre d'exemple,<br />

Catherine de Médicis était personnellement<br />

en possession de neuf manuscrits<br />

orientaux. Le monde ottoman sera en<br />

France au cœur de la Renaissance ; il est<br />

à la fois un objet de connaissance et un<br />

thème culturel bien en cours. Le lectorat<br />

français se montre friand des descriptions<br />

de la cour du Grand Turc<br />

d'Istanbul. On ne compte plus les<br />

divertissements français à bases d'engouements<br />

et de fantaisies turcs. Ils<br />

préfigurent les «Turqueries» de la<br />

période classique de la Renaissance.<br />

Guy Le Thiec dans son étude : La<br />

Renaissance et l'Orientalisme « turquesque»,<br />

indique qu'en ««1541, c'est<br />

François-1er qui apparut peut-être<br />

sous un masque à la turque parmi les<br />

danseurs du bal de noces de Jeanne<br />

d'Albret à Châtellerault…(…) En 1548<br />

encore, lors des noces de François le<br />

Balafré d'Aumale, avec Anne d'Este, ce<br />

fut un nouvel hommage (euphémisé,<br />

car là aussi dansé) qui fut rendu à la<br />

puissance ottomane». Et notre auteur<br />

de conclure : «Quand le souverain<br />

Henri II prit part le 20 janvier 1558 à<br />

une course de dague à cheval rue Saint-<br />

Antoine à Paris, déguisé en guerrier<br />

turc n'était-ce pas une reconnaissance<br />

indirecte (…)?». Selon «l'histoire écoutée<br />

à la porte de la légende» (V.Hugo),<br />

il arrive qu'on évoque encore<br />

aujourd'hui avec respect la figure de<br />

Salâh-Dîn Al-Ayoubi, «Saladin le<br />

Magnanime».<br />

L'historien Jean Mouttapa dans<br />

«Saladin, mythe positif» écrit : «En<br />

Occident, c'est surtout l'attitude chevaleresque<br />

de celui que les chrétiens nomment<br />

Saladin qui a marqué les esprits.<br />

Après la bataille de Hattin, il a rendu sa<br />

liberté au roi de Jérusalem, Guy de<br />

Lusignan; et après la prise de<br />

Jérusalem, il a fait libérer des milliers de<br />

prisonniers chrétiens, en payant même<br />

leur rachat, pour certains, sur ses propres<br />

deniers. Cette générosité et son<br />

respect des chrétiens orientaux lui<br />

valent d'être comparé par Dante à l'empereur<br />

Alexandre et au roi de Castille,<br />

Alphonse X le Sage, et surtout d'être le<br />

seul musulman à échapper, dans la<br />

Divine Comédie, au châtiment éternel:<br />

il a le privilège, bien qu'ayant vécu à<br />

l'ère chrétienne, de demeurer dans les<br />

limbes, aux côtés des héros de<br />

l'Antiquité qui ne pouvaient connaître<br />

le Christ…». On voit que Dante-dont<br />

«La divine comédie» doit irrécusablement<br />

beaucoup à Risiàlat al-ghûfràn<br />

d'Abul Alà al-Ma'ari et à l'eschatologie<br />

musulmane en général- est d'une magnanimité<br />

très restrictive sinon sectaire<br />

et peu charitable selon les canons de<br />

son époque. Il partageait sans nuance le<br />

dogme de «l'hérésie sarrasine». D'où le<br />

recours à la caricature de la prétendue<br />

«hérésie sarrasine» et du Prophète de<br />

l'Islam - rencontré par Dante dans son<br />

parcours des différents cercles de son<br />

Enfer fantasmatique qui donnera lieu à<br />

une miniature caricaturale au XIVe siècle<br />

! Suivie plus tard par Botticelli,<br />

W.Blake et plus proche de nous,<br />

Salvador Dali …<br />

«Face à la menace que semblent<br />

faire peser les Sarrasins (tout comme<br />

les vaudois, les cathares, les juifs et les<br />

autres) maints auteurs du XIIe siècle<br />

répondent par la calomnie haineuse,<br />

choisissant non pas de réfuter leurs<br />

adversaires, mais de les salir, de les<br />

dénigrer afin que leurs lecteurs ne puissent<br />

les prendre au sérieux», observe<br />

John Tolan dans «Récits de vie de<br />

Mahomet ( In Histoire de<br />

l'islam…Albin Michel, 2006, sous la<br />

direction de Mohammed Arkoun) De<br />

telles arrière-pensées sont décelables<br />

dans la première traduction en latin<br />

du Coran (1142-1143) commandée<br />

par Pierre le Vénérable à Robert<br />

Ketton. A la traduction proprement<br />

dite furent adjoints d'autres textes (des<br />

Fables des Sarrasins) formant ledit<br />

«Corpus toletanum», composé à<br />

Tolède. En résonance avec les temps<br />

présents, on peut signaler qu'elle comporte<br />

en marge une «caricature de<br />

Mahomet»… L'architecture romane<br />

portera dans la pierre l'expression de<br />

l'esprit d'aversion entretenu à l'égard<br />

de l'Islam. L'image du sarrasin abhorré<br />

est sculptée sur les édifices religieux.<br />

A l'exemple de la cathédrale<br />

d'Angoulême du XIIe siècle et du<br />

vitrail de la cathédrale de Chartres du<br />

XIIIe siècle… On a l'impression, ajoute<br />

John Tolan que «les mêmes informations<br />

(ou déformations) circulent en<br />

France sur la vie de Mahomet depuis le<br />

XIIe siècle : les mêmes ragots sur la vie<br />

de Mahomet, la même présentation<br />

hostile des rites et des doctrines des<br />

musulmans». John Tolan évoque en fait<br />

le discours en vogue encore au XVe siècle<br />

en vue de galvaniser une improbable<br />

nouvelle croisade qui fit long<br />

feu…Or, au XXIe siècle, récemment, le<br />

Pape en titre surprit de Ratisbonne<br />

urbi et orbi, en donnant l'impression<br />

que l'horloge de la théologie chrétienne<br />

s'était arrêtée au XIVe siècle en reprenant<br />

à son actif un souverain byzantin<br />

de cette époque, Manuel II Paléologue,<br />

qui, s'adressant à un «Persan cultivé»<br />

accusait le Prophète de l'Islam d'avoir<br />

semé le mal et l'inhumanité pour avoir<br />

prôné la diffusion de son enseignement<br />

par les armes. On sait ce que cette citation<br />

«malencontreuse» a suscité<br />

comme indignation et réprobation<br />

dans le monde musulman et ailleurs.<br />

Ce Pape apprenait son métier, tâche si<br />

lourde en succédant au charismatique<br />

Jean-Paul II. Lui avait pourfendi le<br />

communisme. Ce dernier écroulé, il<br />

fallait peut-être au nouveau Vicaire de<br />

Dieu un autre spectre avec lequel ferrailler<br />

en philosophant sur «la foi et la<br />

raison» selon une règle, somme toute<br />

byzantine. Les contempteurs contemporains<br />

de l'Islam, à lire leur littérature<br />

haineuse et grotesque, ne s'embarrassent<br />

pas de philosophie. Ils ont assurément<br />

moins de finesse et de subtilité<br />

eschatologique sur Internet. On a parfois<br />

l'impression d'entendre surtout le<br />

bruit de leurs godasses que le travail de<br />

leur raison. Il faut avouer qu'ils ont<br />

bien aidé en retour par les scories et les<br />

outrances d'exégèses intégristes qui ont<br />

fait le lit des dérives mortifères qui ont<br />

meurtri en premier lieu les musulmans<br />

eux-mêmes. Aux antipodes de cet Islam<br />

de tolérance et d'ouverture scandé par<br />

un Ibn Arabî : «Celui qui voit l'éclair<br />

surgir à l'Orient qu'il admire l'Orient,<br />

celui qui voit surgir l'éclair à l'Occident<br />

qu'il admire l'Occident. Quant à moi,<br />

j'admire l'éclair dans sa fulgurance et<br />

non dans les lieux où il se trouve».<br />

A.K.

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