Dès leur arrivée en Roussillon en 1131, les frères de la milice du ...

protocoles montre de manière patente que ce sont les manieurs d'argent, créanciers juifs et
chrétiens, marchands et artisans, qui s'imposèrent d'emblée comme les principaux utilisateurs
du nouveau système 102 . En les formalisant, le notaire contribue à l'encadrement juridique des
pratiques économiques, dont il devient rapidemment le rouage incontournable.
Ces changements s'accompagnent également d'une modification significative des
pratiques scripturaires. Les paléographes ont depuis longtemps observé la transformation
notable qui affecte l'écriture dans les pays de l'Occident chrétien au cours de cette période
charnière 103 . Confrontés à la nécessité de faire face à une demande sans cesse croissante, les
scribes abandonnent la belle écriture caroline au profit de la cursive gothique, écriture plus
liée et plus rapide à exécuter, élaborée dans la seconde moitié du XII e siècle par les scribes de
la chancellerie pontificale.
Le processus de laïcisation du notariat
C'est aux alentours de 1210-1220 que l'institution notariale commence à se diffuser
progressivement dans les campagnes, l'office public étant à ses débuts très majoritairement
exerçé par des membres du clergé. L'examen des actes roussillonnais fait apparaître un déclin
sensible de cette prédominance ecclésiatique au cours de la seconde moitié du XIII e siècle.
Les autorités ont très tôt recherché à écarter les membres du clergé des offices publics,
et tout particulièrement de celui du notariat. Ainsi, le 26 novembre 1211, le pape Innocent III
dans sa lettre apostolique «Sicut te accepimus», ordonne à l'évêque d'Ascoli d'interdire le
notariat aux clercs investis des ordres sacrés : prêtres, diacres et sous-diacres 104 . La
motivation de cette prescription s'explique par le fait que les clercs échappaient à la justice
temporelle, et que, pour cette raison, ils ne pouvaient être punis par des juges séculiers. Cette
impunité privait par conséquent l'autorité garante de la fides publica de tout moyen légal de
réprimer un clerc coupable d'activités frauduleuses dans l'exercice de son office public. Ceci
posait évidemment un grave problème d'ordre moral et juridique 105 .
Ce combat pour la laïcisation des offices publics constitua l'une des priorités du règne
du comte-roi Jacques I er . Aux corts de Huesca, célébrées en 1247, ce monarque et
l'assemblée réunissant les représentants du clergé, de l'aristocratie et de la bourgeoisie de la
Couronne d'Aragon interdisent l'exercice de l'office de notaire public aux membres du
clergé 106 . Le 31 octobre de la même année, à Valencia, le Conquérant reprend cette
102. Voir par exemple les stimulantes contributions réunies dans l'ouvrage codirigé par François MENANT et
Odile REDON, Notaires et crédit dans l'Occident méditerranéen médiéval, Collection de l'École Française de
Rome-343, 2004.
103. Jacques STIENNON, Paléographie du Moyen Âge, p. 129.
104. Decretalium Gregorii papae IX, Compilationis, lib. III, tit. L, cap. VIII : «Innocentius III. Esculano
Episcopo. Sicut te accepimus referente, +quum venerabilis frater noster Hostiensis episcopus olim per tuam
transiens civitatem tibi dederit in mandatis, ut presbyteros, diaconos et subdiaconos, quos ibidem invenit passim
tabellionatus officium exercentes, excommunicationis vinculo innodares, et eos, qui ab illis publica reciperent
instrumenta, tu, licet id feceris, ex mandato tamen episcopi dicti dissimulasti postmodum de subdiaconis, donec
qualiter contra ipsos et alios in sacris ordinibus constitutos deberes procedere, sedem duceres apostolicam
consulendam. Quocirca fraternitati tuae per apostolica scripta mandamus quatenus clericis in sacris ordinibus
constitutis tabellionatus officium per beneficiorum suorum subtractionem appellatione postposita interdicas.
Dat. Lat. VI. Kal. Dec. Pont. nostr. Ao. XIV. MCCXI. »
105. Rédigés en 1288, les statuts du notariat de la ville de Bologne formulent très clairement cet argument :
«...cum clerici non subjaceant justicie gladii temporalis, et ideo eorum excessus puniri non possent per judices
seculares, dicimus et ordinamus quod aliquis clericus vel ad aliquos ordines sacros vel clericatus admissus non
sit nec esse vel recipi possit de societate vel collegio nostro... », Jean-Louis GAULIN, «Affaires privées et
certification publique. La documentaion notariale relative au crédit à Bologne au XIII e siècle», dans François
MENANT et Odile REDON (dir.), Notaires et crédit..., op. cit., p. 61, note 32.
106. Francesch CARRERAS Y CANDI, «Desenrotllament de la institució notarial... », p. 755.