Les BRICs s'effritent-ils ? - Etudes économiques du Crédit Agricole
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Apériodique - n°23 - novembre 2012<br />
<strong>Les</strong> <strong>BRICs</strong> <strong>s'effritent</strong>-<strong>ils</strong> ?<br />
Comme les pays développés, et comme la plupart des pays émergents, les <strong>BRICs</strong> sont dans une<br />
phase de ralentissement.<br />
Ce ralentissement est bien sûr dû à une conjoncture mondiale moins porteuse, mais aussi à des<br />
difficultés spécifiques : essoufflement d'une croissance jusqu'ici en partie extensive, contraintes de<br />
finances publiques (là aussi !), problèmes sociaux non traités et faiblesses institutionnelles, et dans<br />
certains cas insuffisance de l'épargne et de l'investissement (Brésil, Russie), retournements<br />
démographiques (Russie, Chine), ou contraintes environnementales (Chine, Inde).<br />
A moyen terme, la croissance des <strong>BRICs</strong> va donc se modérer en Chine et, plus tard, en Inde ; le Brésil<br />
et la Russie pourraient à l'inverse enregistrer un rebond de croissance, pour autant que leurs politiques<br />
économiques soient adaptées. Et au total, ces quatre pays bénéficient de tels atouts que le scénario le<br />
plus probable reste celui d'un développement accéléré et d'un rattrapage progressif des économies<br />
avancées (rattrapage que l'on observera, au-delà des <strong>BRICs</strong>, dans nombre de pays émergents).<br />
Un léger accès de faiblesse<br />
"Dreaming with <strong>BRICs</strong>", était intitulé un papier publié<br />
en 2003 1 , attirant l'attention sur l'inexorable montée en<br />
puissance des quatre grandes puissances émergentes, le<br />
Brésil, la Russie, l'Inde, et la Chine. Depuis, ces pays<br />
n'ont pas déçu : entre 2004 et 2011, la croissance<br />
moyenne de la Chine a été de 10,8%, celle de l'Inde de<br />
8,3%, et si celle <strong>du</strong> Brésil et de la Russie a été moindre<br />
(4,2% et 4,4%, contre 5,4% pour l'ensemble des pays<br />
émergents <strong>BRICs</strong> exclus), elle était en forte progression<br />
par rapport à la décennie précédente (2,5% et 0,7% sur<br />
la période 1994-2003).<br />
Graphique 1 – Croissance moyenne <strong>du</strong> PIB, en volume<br />
%<br />
12<br />
10<br />
8<br />
6<br />
4<br />
2<br />
0<br />
Source : FMI<br />
Brésil Russie Inde Chine émergents développés<br />
excl. <strong>BRICs</strong><br />
1994-2003 2004-2011<br />
1<br />
"Dreaming with <strong>BRICs</strong>: The Path to 2050", Dominic W<strong>ils</strong>on,<br />
Roopa Purushothaman; Goldman Sachs Global Economic Paper<br />
nº99, 1 er octobre 2003.<br />
Mais le ralentissement est aujourd'hui net pour ces<br />
quatre économies. La pro<strong>du</strong>ction in<strong>du</strong>strielle brésilienne<br />
est en recul depuis août 2011, celle de l'Inde est à peine<br />
stagnante, en Russie sa croissance est tombée à 2,5% a/a<br />
alors qu'elle dépassait 10% au début de 2010, et même en<br />
Chine, on est revenu d'une croissance de l'ordre de 15% à<br />
moins de 10% 2 .<br />
<strong>Les</strong> interrogations sur les perspectives à court terme<br />
des <strong>BRICs</strong> dépassent les chiffres, médiocres, de<br />
pro<strong>du</strong>ction in<strong>du</strong>strielle. En Inde, la coupure d'électricité<br />
<strong>du</strong> 31 juillet, qui a affecté 600 millions de personnes, a<br />
renforcé les doutes quant aux capacités des infrastructures<br />
indiennes à supporter une croissance de 7 à 8%. Au-delà,<br />
l'incident met en évidence une des faiblesses de la<br />
gouvernance indienne, avec de lourds obstacles politiques<br />
à la mise en œuvre de décisions dans une économie<br />
encore très administrée. Au Brésil, la stagnation puis le<br />
repli de l'in<strong>du</strong>strie étaient expliqués par l'appréciation<br />
rapide et excessive <strong>du</strong> real, mais la nette correction <strong>du</strong> taux<br />
de change depuis août 2011 n'a aucunement enrayé ce<br />
déclin : le problème est donc ailleurs. En Russie, la<br />
principale préoccupation porte sur le prix <strong>du</strong> pétrole, dont<br />
l'économie est de plus en plus dépendante 3 : le pétrole et le<br />
gaz représentent maintenant 65% des exportations russes<br />
(contre environ 40% pendant les années 90) et <strong>ils</strong><br />
fournissent un peu plus de la moitié des revenus <strong>du</strong><br />
2<br />
+9,2% a/a en juillet. <strong>Les</strong> chiffres chinois des derniers mois sur la<br />
pro<strong>du</strong>ction in<strong>du</strong>strielle sont en outre contestés, en raison d'une<br />
déconnexion croissante avec la consommation d'électricité.<br />
3<br />
Selon l'"Article IV Report" <strong>du</strong> FMI daté <strong>du</strong> 3 août 2012, "given<br />
Russia's high dependence on oil, [in case of "sharp oil price decline"]<br />
the economy could enter into another recession, with high fiscal<br />
deficits, intensified capital outflows, and pressures on the ruble."
Jean-Louis MARTIN<br />
jean-louis.martin@credit-agricole-sa.fr<br />
gouvernement fédéral. En Chine enfin, la régulation<br />
s'avère de plus en plus délicate : si les autorités ont<br />
maîtrisé en 2011 le gonflement d'une bulle dans le<br />
secteur immobilier, elles sont aujourd'hui confrontées au<br />
problème inverse d'une activité en ralentissement, dans<br />
un environnement extérieur défavorable.<br />
Graphique 2 – <strong>BRICs</strong> : croissance de la pro<strong>du</strong>ction in<strong>du</strong>strielle<br />
mm3m, a/a, %<br />
20<br />
15<br />
10<br />
5<br />
0<br />
-5<br />
-10<br />
janv.-10 juil.-10 janv.-11 juil.-11 janv.-12 juil.-12<br />
Source : sources locales<br />
Brésil Russie Inde Chine<br />
<strong>Les</strong> analystes sont donc devenus plus prudents. Par<br />
exemple, alors qu'au début de 2011 <strong>ils</strong> 4 anticipaient pour<br />
le Brésil une croissance de 4,5% en 2011 et 4,8% en<br />
2012 (il y avait eu +7,5% en 2010), la prévision pour<br />
2012 n'est plus aujourd'hui que de 1,6% (à notre avis<br />
encore optimiste : il faudrait un rebond vigoureux au<br />
quatrième trimestre pour atteindre 1,5%). De même, en<br />
Inde, les attentes pour 2012 ont reculé de 2,7 points<br />
depuis 18 mois, pour revenir à 5,8%. Pour la Chine, le<br />
repli est moindre, mais les analystes sont revenus en<br />
dessous <strong>du</strong> "plancher" de 8%, en-deçà <strong>du</strong>quel il est<br />
généralement estimé que les autorités chinoises<br />
mettraient en œuvre d'énergiques mesures de relance. La<br />
Russie fait exception : la majorité absolue obtenue aux<br />
élections <strong>du</strong> 4 décembre 2011 par le parti <strong>du</strong> pouvoir<br />
semble avoir redonné un peu d'optimisme aux<br />
observateurs.<br />
Graphique 3 – BRICS : croissance <strong>du</strong> PIB en 2012, évolution <strong>du</strong><br />
consensus<br />
10<br />
9<br />
8<br />
7<br />
6<br />
5<br />
4<br />
3<br />
2<br />
1<br />
%<br />
0<br />
janv.-11 juil.-11 janv.-12 juil.-12<br />
Brésil Russie Inde Chine<br />
Source : Consensus Economics<br />
4<br />
Nous nous référons ici au "consensus" publié chaque mois par<br />
Consensus Economics Inc., sur la base d'enquêtes auprès<br />
d'économistes de banque ou indépendants.<br />
Au-delà de ce léger accès de faiblesse, que peut-on<br />
attendre des économies des <strong>BRICs</strong> à moyen terme ? Le<br />
moteur qui a permis une croissance accélérée (Chine<br />
et Inde) ou <strong>du</strong> moins un nouveau décollage (Brésil et<br />
Russie) risque-t-il de s'enrayer ?<br />
Un groupe hétérogène<br />
Avant de tenter de répondre à ces questions, un premier<br />
caveat s'impose : les quatre pays forment un groupe<br />
très hétérogène. Ils n'ont en réalité pour seul point<br />
commun que d'être gros. Et encore : la taille de<br />
l'économie chinoise est (en 2012) supérieure de 28% à<br />
celles des trois autres pays réunies. L'écart s'accroît : le<br />
PIB de la Chine était encore très légèrement inférieur à la<br />
somme de ceux des trois autres en 2008. <strong>Les</strong> niveaux de<br />
PIB par habitant sont eux aussi très différents : la Russie<br />
et le Brésil sont des pays à revenu moyen (respectivement<br />
13 000 et 12 800 USD/habitant en 2011), la Chine et<br />
surtout l'Inde restent beaucoup plus pauvres (5 400 et<br />
1 400 USD/hab) 5 . Enfin, bien sûr, les tailles de population<br />
sont encore plus diverses : 1 350 et 1 260 millions en<br />
Chine et en Inde (avec en Inde une croissance qui reste<br />
élevée, à 1,6% par an), 198 et 143 millions au Brésil et en<br />
Russie (avec dans ce dernier cas une population<br />
vieillissante et en baisse).<br />
Graphique 4 – PIB 2012 : le vrai G20<br />
mds USD<br />
source : sources locales<br />
16000<br />
14000<br />
12000<br />
10000<br />
8000<br />
6000<br />
4000<br />
2000<br />
0<br />
Source : FMI<br />
<strong>Les</strong> modèles politico-économiques sont eux aussi très<br />
différents. On peut bien sûr opposer les deux<br />
"démocraties" brésilienne et indienne aux deux "régimes<br />
autoritaires" chinois et russe. Mais même cette<br />
classification est simpliste : le pays qui se rapproche le<br />
plus d'une démocratie moderne (le Brésil) est aussi le plus<br />
inégalitaire, et l'Inde laisse une part importante de sa<br />
population dans une pauvreté extrême 6 . <strong>Les</strong> autoritarismes<br />
chinois et russe ne sont pas les mêmes, à la fois dans le<br />
degré autorisé de liberté indivi<strong>du</strong>elle et dans le traitement<br />
des déviances. Quant aux stratégies de développement,<br />
nous avons une Chine qui met énergiquement en œuvre un<br />
modèle basé sur les exportations in<strong>du</strong>strielles (avec ses<br />
5<br />
<strong>Les</strong> PIB "à parité de pouvoir d'achat" corrigent en partie l'écart entre<br />
le Brésil et la Chine, avec respectivement 11 800 et 8 400 USD/hab.<br />
6<br />
Selon le Rapport sur le Développement Humain 2011 des Nations-<br />
Unies, la "pauvreté multidimensionnelle" (calculée sur la base de<br />
données sur le rationnement des ménages en matière d’é<strong>du</strong>cation, de<br />
santé et de niveaux de vie) affecte 53,7% de la population en Inde,<br />
source 12,5% : Consensus Chine, 2,7% Economics au Brésil, et 1,3% en Russie.<br />
N° 23 – novembre 2012<br />
2
Jean-Louis MARTIN<br />
jean-louis.martin@credit-agricole-sa.fr<br />
exigences en matière de répression salariale et de<br />
politique de change) et les progrès de pro<strong>du</strong>ctivité (avec<br />
les investissements en infrastructures et l'effort<br />
d'é<strong>du</strong>cation nécessaires), une Inde qui semble rêver <strong>du</strong><br />
même modèle bien qu'il soit sans doute incompatible<br />
avec son système politique, et deux pays exportateurs de<br />
matières premières dont l'un (la Russie) paraît se<br />
satisfaire <strong>du</strong> statut de rentier, alors que l'autre (le Brésil)<br />
cherche au contraire par tous les moyens à éviter ce qu'il<br />
considère comme un risque.<br />
Au-delà <strong>du</strong> ralentissement conjoncturel,<br />
de vraies difficultés<br />
Si les quatre pays sont divers, <strong>ils</strong> sont bien<br />
aujourd'hui confrontés à des difficultés, dont<br />
certaines sont communes.<br />
1 La première est liée à la conjoncture, et au fait que<br />
malgré l'émergence de dynamismes autonomes dans<br />
les <strong>BRICs</strong>, il n'y a pas encore de réel découplage<br />
avec les pays plus développés 7 . Le ralentissement<br />
de la demande en pro<strong>du</strong>its importés aux Etats-Unis et<br />
dans l'Union européenne se tra<strong>du</strong>it mécaniquement,<br />
comme en 2009, par une croissance moindre, voire<br />
un recul, des exportations des quatre grands<br />
émergents. Cet environnement moins favorable a un<br />
impact immédiat sur l'activité. Au-delà <strong>du</strong> court terme,<br />
il convient de rappeler que l'insertion dans l'économie<br />
globale a été, en Chine et en Inde au moins, un<br />
puissant stimulant de la modernisation des appare<strong>ils</strong><br />
de pro<strong>du</strong>ction et de la croissance 8 . Si la stagnation<br />
des économies avancées venait à se prolonger,<br />
l'impact sur les émergents et les <strong>BRICs</strong> en particulier<br />
dépasserait une simple contraction de la demande qui<br />
leur est adressée.<br />
Graphique 5 – Importations (UE et Etats-Unis) et exportations<br />
(<strong>BRICs</strong>)<br />
70<br />
mm3m, a/a, %<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
-10<br />
-20<br />
-30<br />
-40<br />
-50<br />
2007 2008 2009 2010 2011 2012<br />
Chine Brésil Russie<br />
Inde Etats-Unis UE<br />
Source : Sources locales<br />
7<br />
Ceci n'est pas contradictoire avec le fait que certains <strong>BRICs</strong><br />
influencent aujourd'hui significativement la conjoncture dans leur<br />
environnement proche : ainsi la Chine en Asie de l'Est, et de plus en<br />
plus le Brésil en Amérique <strong>du</strong> Sud.<br />
8<br />
Le bilan est plus ambigu pour les exportateurs de matières<br />
premières que sont le Brésil et la Russie. Dans le second cas en<br />
particulier, on peut même considérer que le confort financier apporté<br />
par les exportations énergétiques a retardé l'évolution de l'économie<br />
russe.<br />
De plus, le creux conjoncturel en Europe et aux Etats-<br />
Unis entraîne aussi un tassement des flux<br />
d'investissement. Ainsi au Brésil 9 , si les<br />
investissements étrangers directs résistent bien (encore<br />
64 mds USD sur les 12 derniers mois en septembre<br />
2012), les investissements de portefeuille chutent<br />
fortement, à 14,8 mds sur les 12 derniers mois, alors<br />
qu'<strong>ils</strong> dépassaient 60 mds jusqu'à la mi-2011.<br />
Graphique 6 – Brésil : le recul des flux d'investissements<br />
étrangers (nets) de portefeuille<br />
100<br />
80<br />
60<br />
40<br />
20<br />
0<br />
cum.12m, mds USD<br />
-20<br />
2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012<br />
Source : BCdoBrasil<br />
inv. étr. directs<br />
inv. étr. portefeuille<br />
2 La forte croissance des <strong>BRICs</strong> a en partie été de<br />
nature "extensive". Il ne s'agit pas de tenter une<br />
décomposition (très hasardeuse) de la croissance <strong>du</strong><br />
PIB entre croissance <strong>du</strong> stock de capital physique (avec<br />
ou sans "éléphants blancs" ?), <strong>du</strong> capital humain, et de<br />
la "pro<strong>du</strong>ctivité totale des facteurs" (le reste, qu'on<br />
estime ne pas savoir mesurer ! 10 ). Oui, l'effort<br />
d'investissement chinois, qui est devenu le principal<br />
moteur de la croissance <strong>du</strong> PIB, est sans précédent<br />
historique et ne saurait être soutenu indéfiniment 11 .<br />
Mais l'essentiel n'est pas là.<br />
<br />
En Chine, il est beaucoup plus dans le transfert de<br />
dizaines de millions de travailleurs agricoles peu<br />
qualifiés et peu pro<strong>du</strong>ctifs vers une in<strong>du</strong>strie qui<br />
jusqu'ici (cela change) les rendait immédiatement<br />
plus pro<strong>du</strong>ctifs par le simple fait de commercialiser<br />
le pro<strong>du</strong>it de leur travail sur le marché mondial. Ce<br />
gisement de croissance n'est pas encore tari (il y a<br />
encore des dizaines de millions de jeunes ruraux)<br />
9<br />
L'exemple le plus significatif car le plus ouvert des quatre et celui ou<br />
l'apport des investissements étrangers est le plus important<br />
relativement à la taille de l'économie.<br />
10<br />
L'impossibilité de mesure sérieuse des "compétences techniques" à<br />
intégrer dans le stock de capital humain suffit à mettre en cause ce<br />
fantasme de quantification. On peut aussi s'interroger sur le taux de<br />
dépréciation <strong>du</strong> capital physique : le même pour le stade olympique de<br />
Pékin et pour une ligne de TGV ? L'optimisme "naturel" des Brésiliens,<br />
qui a certainement contribué à l'accélération de la croissance pendant<br />
le boom des matières premières entre 2004 et 2011, relève-t-elle de<br />
l'amélioration de la pro<strong>du</strong>ctivité totale des facteurs ?<br />
11<br />
Le taux d'investissement était en 2011 de 45,6% <strong>du</strong> PIB, contre<br />
34,1% en 2000. Cette progression est bien en partie <strong>du</strong>e à une<br />
croissance en volume de l'investissement plus rapide que celle <strong>du</strong> PIB<br />
(+13,5% en moyenne annuelle contre 10,4%, et tout de même 9,7%<br />
pour la consommation des ménages). Mais elle a aussi été bien<br />
soutenue par l'évolution des prix relatifs : l'indice implicite <strong>du</strong> prix de la<br />
FBCF (en base 100 en 2000) est ainsi en 2011 de 157 contre 128<br />
pour la consommation des ménages.<br />
N° 23 – novembre 2012<br />
3
Jean-Louis MARTIN<br />
jean-louis.martin@credit-agricole-sa.fr<br />
mais, comme dans beaucoup de mines, les "coûts<br />
de pro<strong>du</strong>ction" augmentent : revendications<br />
salariales, mais aussi exigences croissantes en<br />
qualification.<br />
La situation de l'Inde est assez comparable, avec<br />
la différence que le pays ayant plus que la Chine<br />
choisi les exportations de services plutôt que<br />
l'in<strong>du</strong>strie, l'apparition de goulots d'étranglement<br />
en matière de formation sera sans doute plus<br />
rapide.<br />
Au Brésil, la nature extensive de la croissance est<br />
certainement présente dans le secteur agroin<strong>du</strong>striel<br />
: la canne à sucre et le soja se sont<br />
développés sur des terres jusqu'alors sousexploitées<br />
d'élevage peu intensif, lui-même<br />
repoussé vers de nouvelles marches agricoles. Le<br />
probable développement <strong>du</strong> secteur pétrolier<br />
brésilien au cours des prochaines années va lui<br />
aussi "mécaniquement" augmenter la pro<strong>du</strong>ctivité<br />
marginale <strong>du</strong> capital et <strong>du</strong> travail.<br />
En Russie enfin, le prélèvement sur des<br />
ressources non renouvelables (pétrole, gaz,<br />
minerais) est à l'évidence le principal moteur de la<br />
croissance, directement ou après redistribution<br />
d'une partie de la rente par l'Etat; pour le reste,<br />
l'effort d'é<strong>du</strong>cation a plutôt régressé, et l'in<strong>du</strong>strie<br />
fonctionne encore largement sur des<br />
infrastructures et des équipements soviétiques<br />
vieillissants.<br />
Dans de grands pays très peuplés, il n'est ni anormal ni<br />
préoccupant que la croissance soit en partie nourrie par<br />
l'incorporation de nouveaux espaces ou d'hommes<br />
supplémentaires à l'activité économique, mais la<br />
"conquête de l'Ouest" n'est pas éternelle, et il vient<br />
toujours un moment où le relais doit être pris par<br />
l'é<strong>du</strong>cation et le progrès technologique. La Chine est<br />
peut-être en train de le réussir dans certains secteurs<br />
(équipements de télécommunications, énergies<br />
renouvelables…). De même, le Brésil dans l'agroin<strong>du</strong>strie.<br />
3 La situation et les perspectives des finances<br />
publiques des <strong>BRICs</strong> sont moins confortables<br />
qu'on ne l'imagine souvent, même si elles sont<br />
meilleures que celles de la plupart des pays<br />
développés. Le ratio dette publique/PIB est (en 2012)<br />
de 71% en Inde, 53% au Brésil, 29% en Chine, et<br />
10% en Russie, et il est stable ou décroissant dans<br />
les quatre pays. <strong>Les</strong> principaux pays développés<br />
(Etats-Unis, Japon, grands pays européens) sont tous<br />
au-delà de 80%, et le même ratio a fortement<br />
augmenté depuis 2008. Ces performances des <strong>BRICs</strong><br />
sont <strong>du</strong>es à la forte croissance <strong>du</strong> PIB, en volume<br />
(Chine, Inde) et en valeur (l'appréciation <strong>du</strong> real au<br />
Brésil), à un effort budgétaire (réel au Brésil, plus<br />
facile en Russie grâce aux revenus <strong>du</strong> pétrole), et à<br />
une bonne gestion de la dette publique (Brésil<br />
notamment). Mais dans les quatre pays, les bons<br />
chiffres cachent des difficultés.<br />
Graphique 7 – Finances publiques : ratio dette publique/PIB<br />
100<br />
90<br />
80<br />
70<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
2002 2004 2006 2008 2010 2012p<br />
Brésil Russie Inde<br />
Chine Allemagne France<br />
Royaume-Uni Etats-Unis<br />
Source : Moody's<br />
<br />
<br />
% <strong>du</strong> PIB<br />
En Chine, la significativité <strong>du</strong> (bon) ratio de dette<br />
publique est affectée par l'absence de<br />
transparence ; ce qui y est inclus reste flou : il s'agit<br />
en théorie (c'est par exemple la définition retenue<br />
par Moody's) de la dette <strong>du</strong> gouvernement central et<br />
de celle des gouvernements locaux. La loi chinoise<br />
restreint sévèrement la capacité d'endettement de<br />
ces derniers ; <strong>ils</strong> empruntent donc via des véhicules<br />
ad hoc, dont on ne sait pas si tous sont identifiés et<br />
pris en compte dans le ratio affiché 12 . Ce qui semble<br />
à l'inverse certain, c'est que les crédits non<br />
performants des quatre grandes banques<br />
commerciales et des "policy banks", et les besoins<br />
de recapitalisation qu'<strong>ils</strong> finiront par impliquer et qui<br />
seront en grande partie à la charge <strong>du</strong> budget, ne<br />
sont pas inclus dans la dette publique 13 . Cette<br />
opacité a con<strong>du</strong>it certains analystes à réévaluer<br />
massivement le ratio chinois de dette publique :<br />
N. Roubini l'estimait ainsi à 75% <strong>du</strong> PIB en 2011 14 .<br />
Même à ce niveau, la dette est loin d'être<br />
insupportable, dans le contexte de croissance<br />
accélérée de l'économie, mais le confort est à<br />
l'évidence moindre. <strong>Les</strong> perspectives à moyen terme<br />
des finances publiques chinoises sont enfin difficiles<br />
à apprécier : les besoins en investissements en<br />
infrastructures vont progressivement se modérer,<br />
mais le vieillissement de la population impliquera<br />
des dépenses de santé et des transferts sociaux<br />
croissants.<br />
En Inde, le déficit public reste très élevé (8,4% <strong>du</strong><br />
PIB en 2011-2012), et le ratio d'endettement ne<br />
baisse qu'en raison de la croissance soutenue <strong>du</strong><br />
PIB, et <strong>du</strong> taux d'intérêt très faible payé par le<br />
gouvernement (en août, 8,2%, presque<br />
12<br />
Ce flou apparaît aussi dans les divergences entre les sources. En<br />
2012, le ratio dette publique/PIB est ainsi de 22,0% pour le FMI,<br />
28,7% pour Moody's, 20,5% pour Fitch, et 12,5% Standard & Poor's<br />
(pour tous sous la définition "General government"). Pour le seul FMI<br />
(source : "Report for the 2012 Article IV Consultation" <strong>du</strong> 6 juillet<br />
2012), ce même ratio passe de 17,7% en 2009 à 33,5% en 2010, et<br />
revient à 25,8% en 2011.<br />
13<br />
Il est en outre peu vraisemblable que le ratio de crédits non<br />
performants des banques commerciales soit passé de 2,4% en 2008 à<br />
1,0% en 2011 (source : FMI, op. cit., citant la China Banking<br />
Regulatory Commission), pendant une période où ces banques<br />
distribuaient massivement des crédits.<br />
14<br />
Roubini China Monthly, mai 2012.<br />
N° 23 – novembre 2012<br />
4
Jean-Louis MARTIN<br />
jean-louis.martin@credit-agricole-sa.fr<br />
<br />
<br />
indépendamment de la <strong>du</strong>rée, quand l'inflation est<br />
à 7,6%). A court terme, une telle situation a un<br />
impact négatif sur l'investissement privé et la<br />
croissance (par "crowding out" des emprunteurs<br />
privés). A moyen terme, elle n'est simplement pas<br />
soutenable 15 : d'une part, un affaiblissement de la<br />
croissance se tra<strong>du</strong>irait par une remontée <strong>du</strong> taux<br />
d'endettement, et d'autre part, le système bancaire<br />
ne peut accumuler éternellement des créances<br />
mal rémunérées sur l'Etat, même si leur risque<br />
apparaît mesuré. La "consolidation fiscale" est<br />
d'ailleurs la principale recommandation <strong>du</strong> FMI<br />
aux autorités indiennes, même si le Fonds semble<br />
conscient des contraintes politiques qui rendent<br />
les réformes plus difficiles en Inde qu'ailleurs 16 .<br />
Le Brésil est, des quatre <strong>BRICs</strong>, celui qui a fait les<br />
efforts d'ajustement des finances publiques les<br />
plus soutenus, avec un excédent primaire moyen<br />
de 3,6% <strong>du</strong> PIB sur la décennie 2002-2011 17 . La<br />
gestion de la dette a aussi été remarquable, avec<br />
un basculement <strong>du</strong> dollar au real et un<br />
allongement de la <strong>du</strong>rée moyenne. Mais la<br />
ponction fiscale est devenue un frein à la<br />
compétitivité et à la croissance (les recettes<br />
publiques représentent 36 à 37% <strong>du</strong> PIB, un<br />
niveau de pays "développé", sans les services<br />
publics correspondants), et les retraites et les<br />
salaires absorbent 65% <strong>du</strong> budget fédéral,<br />
ré<strong>du</strong>isant la capacité d'investissement de l'Etat à<br />
presque rien. Le Brésil a donc besoin à la fois de<br />
baisses d'impôts (le gouvernement en est<br />
conscient, qui vient de ré<strong>du</strong>ire les taxes sur<br />
l'énergie) et d'un redéploiement des dépenses<br />
publiques, incluant une réforme drastique des<br />
retraites des fonctionnaires (dont le poids va,<br />
sinon, encore augmenter). On imagine la difficulté<br />
politique d'une telle réforme.<br />
En Russie enfin, le retour à l'équilibre des<br />
finances publiques (solde global : +1,6% <strong>du</strong> PIB<br />
en 2011) après deux ans de déficit en 2009 et<br />
2010 est dû pour moitié à un effort budgétaire, et<br />
pour l'autre moitié à l'augmentation des recettes<br />
pétrolières (+1,9% <strong>du</strong> PIB en 2011). Le déficit hors<br />
pétrole reste très élevé, à 9,8% <strong>du</strong> PIB en 2011.<br />
Et si les perspectives de prix à moyen terme<br />
restent plutôt favorables pour le pétrole, celles <strong>du</strong><br />
gaz sont beaucoup plus incertaines. Malgré cette<br />
dépendance, la Russie est cependant celui des<br />
<strong>BRICs</strong> dont les finances publiques sont les plus<br />
confortables.<br />
creusent, et bien que les autorités soient conscientes<br />
des risques impliqués, elles sont peu actives dans la<br />
défense de la cohésion sociale. Concernant les<br />
systèmes politiques, il ne semble pas raisonnable<br />
d'imaginer que les deux régimes autoritaires, en Chine<br />
et en Russie, puissent per<strong>du</strong>rer à moyen terme sans<br />
changements profonds ; les deux démocraties,<br />
brésilienne et indienne, sont quant à elles souvent<br />
paralysées par le morcellement partisan.<br />
<br />
<strong>Les</strong> inégalités sociales, telles que mesurées (très<br />
imparfaitement) par le coefficient de Gini 18 , sont<br />
plus élevées dans les <strong>BRICs</strong> que dans la moyenne<br />
des pays émergents (Amérique latine exclue).<br />
Surtout, elles sont, sauf au Brésil, orientées à la<br />
hausse. Massivement en Russie, fortement en<br />
Chine (où on se rapproche des niveaux latinoaméricains),<br />
plus modérément en Inde. Dans les<br />
trois cas, l'explication est la même : le<br />
démantèlement pendant ces 20 ans d'une économie<br />
administrée, impliquant non seulement l'émergence<br />
d'une nouvelle classe moyenne, mais aussi d'une<br />
nouvelle oligarchie, alors qu'une partie de la<br />
population (en simplifiant : en Chine, les ruraux ; en<br />
Inde, les basses castes et les analphabètes ; en<br />
Russie : les retraités, une partie des fonctionnaires)<br />
restait à l'écart <strong>du</strong> processus d'enrichissement. Le<br />
Brésil partait d'un niveau d'inégalités beaucoup plus<br />
élevé que les trois autres <strong>BRICs</strong>, avec une masse<br />
importante d'"exclus" et une oligarchie ancienne et<br />
établie. La politique de redistribution initiée par F.H.<br />
Cardoso et poursuivie par Lula et Dilma Rousseff<br />
n'a absolument pas changé les structures sociales<br />
brésiliennes, mais elle a sorti de l'extrême pauvreté<br />
des millions de Brésiliens, et avec la forte<br />
croissance <strong>du</strong> boom minier 2004-2008 qui a enrichi<br />
la classe moyenne, elle a permis une certaine<br />
ré<strong>du</strong>ction des inégalités de revenus 19 . <strong>Les</strong> autorités<br />
des trois autres <strong>BRICs</strong> ne sont pas restées<br />
indifférentes à cette montée des inégalités (on peut<br />
citer, par exemple, l'extension de la couverture santé<br />
des ruraux en Chine, ou les hausses des retraites en<br />
Russie). Mais il est clair que ce souci était<br />
secondaire par rapport à la priorité à la croissance<br />
(Chine, Inde) ou à la volonté de faire émerger des<br />
"champions nationaux" dans quelques secteurs clés<br />
(Russie). Si la pauvreté absolue a partout reculé, la<br />
pauvreté relative a donc souvent augmenté, et plus<br />
encore sa perception 20 , génératrice de frustrations<br />
ou d'"indignation", et de risque d'agitation, surtout<br />
4 <strong>Les</strong> modèles politiques et sociaux des <strong>BRICs</strong> vont<br />
devoir évoluer, sous peine d'exacerbation des<br />
tensions internes; <strong>ils</strong> évoluent déjà, mais pas<br />
toujours dans la bonne direction : les inégalités s'y<br />
15<br />
<strong>Les</strong> agences de rating finissent d'ailleurs par s'en inquiéter :<br />
Standars & Poor's a en avril 2012 affecté la note souveraine<br />
indienne (BBB-, à la limite de l'investment-grade) d'une perspective<br />
négative.<br />
16<br />
"Fiscal policy should stay the course of medium-term<br />
consolidation, resisting pressures to intro<strong>du</strong>ce a demand stimulus"<br />
("Report for the 2012 Article IV Consultation" <strong>du</strong> 22 février 2012).<br />
17<br />
Parmi les pays investment-grade et pays pétroliers exclus, seule<br />
la Corée a fait mieux.<br />
18 Le coefficient de Gini est un indicateur de distribution des revenus,<br />
compris entre 0 et 1. Dans une situation de distribution parfaitement<br />
égalitaire, il serait égal à 0. A l'inverse, si tous les revenus étaient<br />
perçus par un seul indivi<strong>du</strong>, il serait de 1. Une des faiblesses <strong>du</strong><br />
coefficient de Gini est la qualité souvent très médiocre des données de<br />
base, fiscales ou provenant d'enquêtes sur les budgets, en particulier<br />
dans les pays émergents. Une autre est qu'il ne s'intéresse qu'aux flux<br />
(les revenus), et pas <strong>du</strong> tout aux stocks (la richesse).<br />
19<br />
La baisse <strong>du</strong> coefficient de Gini au Brésil en 20 ans a été la plus<br />
forte de tous les émergents grands et moyens, à l'exception <strong>du</strong><br />
Venezuela.<br />
20<br />
Selon des sondages récents, 40% des Russes se considèrent<br />
comme pauvres, à peu près le même niveau qu'en 1990, ce qui ne<br />
correspond pas à la réalité (cité par T. Sollogoub, "Le bel avenir <strong>du</strong><br />
risque politique", Eclairages Emergents nº19, Crédit <strong>Agricole</strong> S.A, juin<br />
2012).<br />
N° 23 – novembre 2012<br />
5
Gini, 2007-2011<br />
Jean-Louis MARTIN<br />
jean-louis.martin@credit-agricole-sa.fr<br />
dans les pays où le système politique ne permet<br />
pas l'expression de ces frustrations.<br />
Graphique 8 – Coefficient de Gini : évolution entre 1990 et 2010<br />
0.65<br />
0.60<br />
0.55<br />
0.50<br />
0.45<br />
0.40<br />
0.35<br />
0.30<br />
0.25<br />
RUS<br />
UKR<br />
POL<br />
ALL<br />
INO<br />
JAP<br />
CHN<br />
IND<br />
COR<br />
EGY<br />
FRA<br />
USA<br />
TUR<br />
AFS<br />
ARG<br />
THA<br />
COL<br />
MEX<br />
VEN<br />
BRE<br />
0.20<br />
0.20 0.25 0.30 0.35 0.40 0.45 0.50 0.55 0.60 0.65<br />
Source : Banque mondiale, OCDE, CIA<br />
<br />
Gini, 1987-1991<br />
Le risque politique est donc bien présent dans<br />
les quatre <strong>BRICs</strong>, sous des formes différentes.<br />
Malgré leur forte stabilité à court terme, la Chine<br />
et la Russie nous semblent à cet égard les plus<br />
susceptibles d'évoluer substantiellement à moyen<br />
terme. En Russie, le régime est beaucoup trop<br />
personnalisé pour persister <strong>du</strong>rablement ; le<br />
risque "politique" est donc double : incertitude sur<br />
la forme de la transition, qui pourrait être<br />
désordonnée, et incertitude encore plus grande<br />
sur la stratégie économique <strong>du</strong> pouvoir qui<br />
émergera après une évolution politique 21 . En<br />
Chine, l'absence de personnalisation <strong>du</strong> pouvoir<br />
est à l'inverse un facteur fort de continuité et de<br />
stabilité de la politique économique. Le régime a<br />
en outre su se montrer flexible sur certaines<br />
libertés indivi<strong>du</strong>elles, pour autant qu'elles<br />
n'affectent pas l'ordre politique. Mais sa légitimité<br />
n'est qu'économique, et pourrait être vite mise en<br />
cause en cas de ralentissement <strong>du</strong>rable. Il est<br />
aussi de plus en plus confronté à ses propres<br />
contradictions : discours sur la "société<br />
harmonieuse" dans un contexte de montée des<br />
inégalités et de la corruption, monopole <strong>du</strong> Parti et<br />
multiplication des abus des potentats locaux,<br />
contrôle de l'information et généralisation de<br />
l'accès à internet… Le cas de l'Inde est très<br />
différent : la nature <strong>du</strong> régime politique est très<br />
prévisible (personne n'imagine la fin de la<br />
démocratie indienne), mais c'est probablement<br />
celui des quatre <strong>BRICs</strong> où les divergences sur la<br />
stratégie économique sont les plus évidentes 22 , à<br />
l'intérieur même des partis et des coalitions, avec<br />
pour résultat une grande difficulté de mise en<br />
21<br />
Par exemple : quel sort pour les oligarques, très liés pour la<br />
plupart au régime actuel, et pour leurs entreprises ? Une seconde<br />
"révolution d'octobre" est-elle envisageable ?<br />
22<br />
Du moins entre politiciens. L'opinion de l'Indien moyen est plus<br />
difficile à cerner. On doute cependant qu'il détermine son vote sur la<br />
base des programmes économiques des différents partis.<br />
<br />
œuvre de réformes même mineures. In fine, cellesci<br />
ne se font que quand la contrainte financière<br />
devient forte, ce qui est peu rassurant. Au Brésil<br />
enfin, il existe un assez large consensus sur la<br />
politique économique. Malheureusement, ce<br />
consensus est assez peu ambitieux : il ne va pas<br />
beaucoup au-delà d'un effort de transferts sociaux<br />
dans un contexte d'orthodoxie budgétaire. Mais<br />
plutôt que de risque, il s'agit ici d'opportunités<br />
per<strong>du</strong>es 23 .<br />
L'état de droit, enfin, est médiocre et se dégrade<br />
dans les <strong>BRICs</strong>, exception faite <strong>du</strong> Brésil. <strong>Les</strong><br />
deux indicateurs de gouvernance "Respect de la Loi"<br />
et "Maîtrise de la Corruption" de la Banque mondiale<br />
indiquent une nette détérioration en Russie, à un<br />
niveau très bas (surtout pour le second, pour lequel<br />
la Russie est à peine au-dessus <strong>du</strong> dernier décile de<br />
pays). La situation est à peine meilleure en Chine,<br />
avec pour la corruption une aggravation presque<br />
continue depuis la création de l'indicateur en 1996 24 ,<br />
et une fluctuation à un niveau très médiocre pour<br />
l'indicateur de respect de la loi. En Inde, cet<br />
indicateur est nettement meilleur, mais se dégrade<br />
depuis la fin des années 90 ; et celui sur la<br />
corruption montre une nette montée de celle-ci, en<br />
particulier depuis 2006. Il n'y a qu'au Brésil où après<br />
un recul des deux indicateurs entre 2005 et 2008, on<br />
observe une nette amélioration depuis 2010, tout en<br />
restant à un niveau encore modeste (celui de la<br />
Turquie) mais largement meilleur (surtout sur la<br />
maîtrise de la corruption) que les trois autres pays :<br />
les efforts de Dilma Rousseff, qui a renvoyé en 2011<br />
plusieurs ministres pour corruption, portent<br />
quelques fruits.<br />
Enfin, certains <strong>BRICs</strong> connaissent des difficultés<br />
spécifiques, qui pèsent aujourd'hui ou pèseront à<br />
terme sur leur potentiel de croissance.<br />
1 Au Brésil et en Russie, des investissements<br />
insuffisants : 20,6% <strong>du</strong> PIB au Brésil, 23,2% en<br />
Russie. Malgré l'apport des investissements étrangers<br />
directs, le taux d'investissement est au Brésil à peine<br />
supérieur à celui des pays développés, en raison d'un<br />
taux d'épargne très faible (19% <strong>du</strong> PIB). Pour que le<br />
Brésil ait avec ce taux d'investissement une croissance<br />
entre 6 et 6,5% (moyenne des "belles années" 2007,<br />
2008 et 2010), il faudrait un ICOR (Incremental Capital-<br />
Output Ratio 25 ) de 3,0, ce qui supposerait une<br />
pro<strong>du</strong>ctivité de l'investissement nettement supérieure à<br />
celle observée en Chine ou en Inde, et dans la quasitotalité<br />
des pays émergents. La modestie <strong>du</strong> taux<br />
d'investissement actuel limite donc le potentiel de<br />
croissance <strong>du</strong> Brésil à 4%, 4,5% au mieux. Le taux<br />
23<br />
Il serait pourtant possible de démentir Georges Clémenceau : "Le<br />
Brésil est un pays d'avenir, et il le restera" (souvent attribué, à tort, au<br />
général de Gaulle).<br />
24<br />
La situation inquiète les dirigeants chinois. Début novembre, dans<br />
son discours d'ouverture <strong>du</strong> XVIII e<br />
congrès <strong>du</strong> Parti Communiste<br />
Chinois, le président sortant Hu Jintao affirmait : « Faute de régler le<br />
problème de la corruption, le Parti pourrait recevoir un coup fatal, et<br />
même s’effondrer en entraînant l’Etat ».<br />
25<br />
Nombre d'unités d'investissement supplémentaires nécessaires<br />
pour une unité de PIB supplémentaire ; ou : taux d'investissement/taux<br />
de croissance <strong>du</strong> PIB.<br />
N° 23 – novembre 2012<br />
6
Jean-Louis MARTIN<br />
jean-louis.martin@credit-agricole-sa.fr<br />
d'investissement russe est un peu plus élevé, mais on<br />
peut craindre en raison des structures économiques<br />
<strong>du</strong> pays que sa pro<strong>du</strong>ctivité soit médiocre. La Russie<br />
comme le Brésil ont un besoin criant d'infrastructures,<br />
en particulier de transport 26 . Leur secteur in<strong>du</strong>striel<br />
investit peu en augmentation ou en modernisation des<br />
capacités de pro<strong>du</strong>ction, en raison d'un<br />
environnement des affaires défavorable et/ou d'une<br />
pression fiscale trop forte. La faiblesse de l'épargne<br />
et de l'investissement n'a rien d'irrémédiable : en<br />
Inde, le taux d'épargne était inférieur à 18% jusqu'en<br />
1985, il est de l'ordre de 30% depuis 2005, et le taux<br />
d'investissement a progressé en parallèle, permettant<br />
une accélération de la croissance. Mais il a fallu pour<br />
cela que le gouvernement indien mène les réformes<br />
nécessaires (en Inde, il s'agissait d'un desserrement<br />
de l'appareil de contrôle étatique).<br />
Graphique 9 – Taux d'investissement<br />
50<br />
45<br />
40<br />
35<br />
30<br />
25<br />
20<br />
15<br />
10<br />
5<br />
% <strong>du</strong> PIB<br />
0<br />
Chine Brésil Russie Inde pays pays "dragons"<br />
développés émergents asiatiques<br />
Source : FMI<br />
2 En Chine et en Russie, le vieillissement de la<br />
population. Ces deux pays bénéficiaient jusqu'à<br />
aujourd'hui d'une structure démographique favorable,<br />
avec des taux de dépendance (le ratio des moins de<br />
15 ans ou plus de 65 ans à la population d'âge actif,<br />
de 15 à 64 ans) favorables. La situation va changer<br />
rapidement, en raison de la faiblesse de la natalité<br />
dans les deux pays. En Russie, elle se dégrade déjà,<br />
et dès 2021, le pays aura le taux de dépendance le<br />
plus élevé des <strong>BRICs</strong>. La Chine part d'une situation<br />
initiale plus favorable, avec aujourd'hui un taux de<br />
dépendance de 36%. Mais, conséquence de la<br />
politique de l'enfant unique (aujourd'hui en train d'être<br />
assouplie), il aura en 2025 dépassé celui <strong>du</strong> Brésil, et<br />
celui de l'Inde en 2030. Or un taux de dépendance<br />
élevé a un coût social : en é<strong>du</strong>cation s'il est dû à<br />
l'abondance de jeunes, en retraites et en santé quand<br />
la proportion de personnes âgées est élevée 27 .<br />
Graphique 10 – Ratio de dépendance<br />
(population de moins de 15 ans ou de plus de 65 ans /<br />
population entre 15 et 64 ans)<br />
80<br />
75<br />
70<br />
65<br />
60<br />
55<br />
50<br />
45<br />
40<br />
35<br />
30<br />
%<br />
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030<br />
Brésil Chine Inde Russie<br />
Source : US Census Bureau<br />
3 En Chine et en Inde, une contrainte environnementale<br />
qui se resserre. Selon une étude de BP de<br />
2011, la Chine a été le premier émetteur mondial de<br />
CO2 en 2010 (25,1% des émissions totales), devant les<br />
États-Unis (18,5%), l’UE (12,5%), l’Inde (5,1%) et la<br />
Russie (5,1%). Et selon un officiel chinois attaché aux<br />
questions environnementales, 16,4% des principaux<br />
fleuves et rivières de Chine seraient sévèrement pollués<br />
(notamment par des métaux lourds) et ne répondraient<br />
même pas aux normes minimums requises pour<br />
l’irrigation des terres agricoles. Sur 471 villes suivies,<br />
seules dix-sept auraient une qualité d’air très<br />
satisfaisante. Plus de la moitié des villes chinoises<br />
seraient affectées par des pluies acides. Et sur les vingt<br />
villes les plus polluées de la planète, plus des trois<br />
quarts sont chinoises 28 . <strong>Les</strong> problèmes<br />
environnementaux ne sont pas en Chine une<br />
préoccupation de moyen terme, mais un risque<br />
immédiat pour la santé publique. Il y aura au cours<br />
de la prochaine décennie un accident sanitaire majeur<br />
en Chine. <strong>Les</strong> autorités chinoises devront alors réagir<br />
beaucoup plus énergiquement qu'elles ne l'ont fait<br />
jusqu'ici, et cela aura un coût en termes de croissance<br />
de l'activité in<strong>du</strong>strielle et <strong>du</strong> PIB. Le contenu en<br />
in<strong>du</strong>strie polluante de la croissance indienne est<br />
moindre qu'en Chine, mais la densité de population très<br />
élevée y exigera aussi le respect de normes<br />
environnementales minimales.<br />
Le potentiel reste élevé<br />
Le constat que les <strong>BRICs</strong> vont être confrontés à des difficultés<br />
nouvelles sur leur chemin de croissance ne nous con<strong>du</strong>it pas à<br />
remettre en cause leurs perspectives très favorables. Selon<br />
nos prévisions 29 , la progression des quatre grands<br />
émergents va rester particulièrement remarquable<br />
pendant le reste de la décennie. Leur poids dans le PIB<br />
mondial passerait de 19% en 2011 à 28% en 2020. Et leur part<br />
dans le total des émergents de 49% à 54%.<br />
26<br />
La Russie est peut-être un peu mieux équipée que le Brésil, mais<br />
beaucoup d'infrastructures et d'équipements datent de la période<br />
soviétique et sont en fin de vie.<br />
27<br />
Malgré une structure de population favorable, le Brésil a un très<br />
sérieux problème de financement des retraites, trop généreuses<br />
pour la minorité qui en bénéficie.<br />
28 Cité par S. Laclias, "Chine : vers une croissance sous plus fortes<br />
contraintes", Eclairages Emergents nº22, Crédit <strong>Agricole</strong> SA,<br />
novembre 2012.<br />
29<br />
"<strong>Les</strong> émergents en 2020 : un nouveau monde ?", Eclairages<br />
Emergents nº18, Crédit <strong>Agricole</strong> SA, mai 2012.<br />
N° 23 – novembre 2012<br />
7
Jean-Louis MARTIN<br />
jean-louis.martin@credit-agricole-sa.fr<br />
Nous estimons en effet que les <strong>BRICs</strong> devraient sur la<br />
période 2011-2020, à l'exception probable de la Russie,<br />
croître plus rapidement que l'ensemble des émergents :<br />
+7,0% l'an pour l'Inde, +6,7% pour la Chine (malgré un<br />
ralentissement à partir de 2015), +4,8% pour le Brésil, contre<br />
+4,6% pour les émergents hors <strong>BRICs</strong>. Plusieurs éléments<br />
nous semblent en effet militer en leur faveur :<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
la démographie : sa structure en Chine (même si elle<br />
va devenir moins favorable), et son évolution en Inde<br />
et au Brésil ;<br />
l'effort d'épargne et d'investissement plus élevé en<br />
Chine et en Inde qu'ailleurs ; au Brésil et en Russie, il<br />
y a maintenant une claire prise de conscience par les<br />
autorités (Dilma Rousseff et Vladimir Poutine) qu'un<br />
effort d'investissement est maintenant une condition<br />
préalable à l'accélération de la croissance ;<br />
le niveau d'é<strong>du</strong>cation, plus élevé dans les <strong>BRICs</strong> que<br />
dans la moyenne des émergents ;<br />
la taille des marchés domestiques, qui contribue à<br />
l'émergence d'acteurs in<strong>du</strong>striels ou des services de<br />
taille mondiale, et est (en général) favorable à la<br />
concurrence et à la pro<strong>du</strong>ctivité sur le marché local.<br />
Cette croissance n'est pas acquise. <strong>Les</strong> prévisions <strong>du</strong><br />
paragraphe précédent supposent en effet un support de<br />
l'environnement institutionnel et des politiques<br />
économiques. Or on a vu plus haut que les institutions<br />
des <strong>BRICs</strong> ne sont pas toujours favorables à la<br />
croissance (cf. la médiocrité générale de la<br />
gouvernance), ou qu'elles devront évoluer en raison<br />
même de la croissance et de ses conséquences sur les<br />
attentes des populations (ainsi en Chine). On a vu aussi<br />
que certains aspects des politiques économiques freinent<br />
parfois cette croissance (par exemple le capitalisme<br />
d'État qui reste dominant en Russie, ou la fiscalité<br />
brésilienne). Mais l'histoire des vingt dernières années<br />
(un peu plus en Chine ou en Inde, un peu moins au Brésil<br />
et en Russie) a montré la capacité de ces grands<br />
émergents à s'adapter, et à valoriser leurs atouts.<br />
Graphique 11 – PIB par habitant à parité de pouvoir d'achat<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
000 USD, prix de 2011<br />
Source : Crédit <strong>Agricole</strong> SA<br />
2011 2020p<br />
Il faut enfin rappeler que le monde émergent ne se<br />
limite pas aux <strong>BRICs</strong>. D'autres pays vont aussi bénéficier<br />
des mêmes facteurs favorables : une démographie<br />
favorable (notamment en Amérique latine, en Asie <strong>du</strong> Sud-<br />
Est et en Turquie), des politiques économiques stabilisées<br />
et encourageant l'épargne et l'investissement, des niveaux<br />
moyens d'é<strong>du</strong>cation en progrès… D'autres pays vont<br />
donc émerger, et converger vers le niveau de<br />
développement des pays "avancés" : le Mexique, la<br />
Turquie, la Pologne, l'Indonésie, le Vietnam, les pays<br />
andins… •<br />
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Rédaction en chef : Jean-Louis Martin<br />
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N° 23 – novembre 2012<br />
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