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Les jeux de mots? Tout traducteur<br />

connaît la difficulté de les rendre. Imagi-'<br />

z alors les problèmes qui se posent<br />

ux adaptateurs de l'oeuvre de Woody<br />

Allen. Selon l'un d'eux, les films de cet<br />

artiste frôlent la limite de l'adaptabilité,<br />

tant en raison de leurs nombreux jeux<br />

de mots que de leurs allusions fréquen-<br />

--~J-------------------------------------<br />

tes à un contexte précis, celui de New Si la qualité de la voix constitue un<br />

Traduisible ou pas?<br />

Adaptable ou pas?<br />

Par contre, il existe certaines situations<br />

où même l'adaptation atteint ses limites:<br />

les faits de culture et les jeux de mots<br />

(surtout ceux qui sont liés à l'image). Un<br />

traducteur peut, en général, mettre une<br />

note en bas de page pour expliquer la<br />

nature d'un fait culturel, pour familiariser<br />

le public d'arrivée avec la culture de<br />

départ. Mais la note en bas de page est<br />

impossible en doublage (et en soustitrage).<br />

Qui, après la projection d'un film<br />

japonais, peut se vanter d'avoir compris<br />

les diverses manifestations de la hiérarchie<br />

qui module les relations entre les<br />

personnages? Quel spectateur français<br />

aura saisi les règles du baseball après<br />

avoir vu un film étatsunien où il est question<br />

de ce sport? Il Y a même des films<br />

hollywoodiens dont le sujet peut être<br />

étranger à la culture (au sens large) d'arrivée<br />

: pensons à la série des films d'horreur<br />

Halloween, fête inconnue en France.<br />

York (allusions qui, soit dit en passant,<br />

sont parfois même incompréhensibles à<br />

des anglophones qui n'habitent pas la<br />

métropole des États-Unis).<br />

Non, le travail de l'adaptateur n'est pas<br />

simple. Obligé de respecter des contraintes<br />

techniques auxquelles n'est pas soumis<br />

le traducteur, il doit aussi posséder<br />

un sens aigu du dialogue. Est-ce pour<br />

cela que, contrairement à ce que les traducteurs<br />

pourraient penser, l'adaptateur<br />

n'est pas, en général, issu des milieux<br />

traductionnels ? Il provient souvent des<br />

domaines du cinéma ou du théâtre. Œuvrant<br />

dans l'ombre comme son confrère<br />

traducteur, l'adaptateur est souvent en<br />

butte ~ux critiques, car on ignore tout des<br />

problèmes auxquels il doit faire face.<br />

Ses dialogues terminés, il priera les dieux<br />

pour qu'ils soient rendus par les meilleurs<br />

acteurs de la profession. Influencé par<br />

le jeu (la voix) des acteurs, le spectateur<br />

remarquera rarement le texte doublé.<br />

L'écrit s'incline devant l'oral.<br />

« Ma voix, ma voix... »<br />

Une pastille suffisait à dame Plume pour<br />

retrouver sa voix. Il en faudrait beaucoup<br />

plus à certains acteurs pour trouver les<br />

différentes voix que leur prête le doublage.<br />

Le problème de la voix est peu<br />

abordé dans les rares articles sur le doublage.<br />

Et pourtant, c'est grâce à la voix<br />

que le texte de l'adaptateur prend vie.<br />

Du point de vue acoustique, les voix qui<br />

doublent possèdent, la plupart du temps,<br />

une certaine teinte qui agace une oreille<br />

avertie. Si la prise de son du film original<br />

a été effectuée dans la rue, celle du doublage<br />

sera inévitablement réalisée en studio,<br />

les acteurs collés au micro. C'est la<br />

qualité de cet enregistrement qui provoque<br />

l'absence de relief sonore si déplorable<br />

dans les films ou téléséries doublés.<br />

En outre, personne ne s'est encore réellement<br />

penché sur la qualité de la voix,<br />

sur l'effet que provoquent certaines voix<br />

sur les spectateurs, sur les raisons physiques<br />

pour lesquelles certaines voix passent<br />

la rampe et d'autres pas, etc.<br />

Par ailleurs, un francophone unilingue qui<br />

voudrait voir tous les films de Marion<br />

Brando en aurait plein les oreilles: au<br />

moins cinq acteurs lui ont déjà prêté leur<br />

voix. Pour Dustin Hoffman, c'est six<br />

acteurs qui se sont succédé au micro des<br />

différents doublages. Il faut qu'un acteur<br />

anglophone possède une personnalité<br />

originale ou atteigne une certaine gloire<br />

pour que lui soit attitrée une seule voix<br />

française: John Wayne, Woody Allen ou<br />

Jerry Lewis par exemple.<br />

problème peu traité, que dire alors de l'argot<br />

et de l'accent? Le fait que ces problèmes<br />

soient rarement abordés dans les<br />

revues de cinéma ou de traduction s'explique<br />

par la socio-géographie commune<br />

des maisons de doublage et des revues:<br />

la plupart sont situées à Paris. Consciemment<br />

ou non, l'ethnocentrisme joue.<br />

« Ah ! qu'en termes<br />

galants... »<br />

Si M. Jourdain cherchait à s'exprimer bellement,<br />

le cinéma hollywoodien, depuis<br />

le début des années 60, n'a plus les<br />

mêmes prétentions: termes crus, jurons<br />

et argots sont maintenant monnaie courante.<br />

Avant cette libéralisation de la<br />

parole, les personnages des films étatsuniens<br />

usaient de mots plutôt neutres<br />

qu'un français international pouvait rendre<br />

assez fidèlement. Mais à parole<br />

libérée, doublage libéré. La langue française,<br />

bien sûr, possède des équivalents<br />

à ces termes, mais il ya un hic. Chaque<br />

argot est intimement lié à une société et<br />

à un certain milieu de cette société. Et<br />

comme la majorité des longs métrages<br />

sont doublés à Paris, il ne faut pas s'étonner<br />

que l'argot de la Ville lumière rende<br />

ceux de Brooklyn ou de San Francisco.<br />

Pour un Parisien, l'écoute d'un film<br />

doublé ne pose aucun problème; pour<br />

un francophone qui n'habite pas Paris,<br />

les choses se gâtent. Par exemple, dans<br />

une des scènes initiales du film E. T. de<br />

Steven Spielberg, le jeune héros va<br />

répondre à un livreur qui apporte une<br />

pizza « aux lardons et aux poivrons ».<br />

Inutile de dire qu'au Québec, le nom de<br />

cette étrange pizza a provoqué des éclats<br />

de rire. Le doublage avait ajouté un<br />

élément comique au film original. Autre<br />

exemple: dans la version française de<br />

West Side Story, réalisé par Jerome Robbins<br />

et Robert Wise, on utilise le mot<br />

« surin» ; combien de spectateurs québécois<br />

en connaissent la signification?<br />

Par ailleurs, on se souviendra des vives<br />

critiques formulées contre les premiers<br />

épisodes français de la télésérie Three's<br />

Company. Surpris de ne plus entendre<br />

le français international, certains se sont<br />

indignés qu'il soit remplacé par le parler<br />

québécois. a tempora, 0 mores! Même<br />

si ce doublage comportait de nombreux<br />

défauts, dont la variation des niveaux de<br />

langue, le fond des critiques concernait<br />

le parler québécois (vocabulairè et<br />

accent). On peut, bien sûr, se demander<br />

quelle mouche avait piqué l'adaptateur<br />

pour pondre un texte québécois, pour<br />

s'éloigner de la norme, pour interdire à<br />

cette série une éventuelle sortie en<br />

<strong>CI</strong>RCUIT - DÉCEMBRE 19<strong>84</strong> • 7

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