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Luxembourg<br />

Les enjeux politiques de la terDlinologie<br />

par Robert Dubuc<br />

L<br />

uxembourg, août 19<strong>84</strong> : premier<br />

colloque international de Termia,<br />

association internationale de terminologie.<br />

Thème: « Terminologie et coopération<br />

internationale, la terminologie, outil<br />

indispensable au transfert des technologies<br />

".<br />

Ces assises auront d'abord permis de<br />

constater l'effervescence terminologique<br />

qui règne dans le monde, non<br />

pas au niveau des grandes puissances<br />

- les États-Unis, l'URSS et la France<br />

n'y ont eu qu'une présence symbolique<br />

- mais partout où le contact des langues<br />

met en péril l'intégrité d'un système linguistique<br />

dominé par rapport au système<br />

dominant. Il n'est donc pas étonnant que<br />

les « dominés" aient été plus nombreux<br />

et plus actifs à Termia que les « dominants<br />

". Pas étonnant non plus que sur<br />

le plan international, la terminologie<br />

ol)cille entre l'internationalisation et la<br />

naturalisation. Pour les pays fournisseurs<br />

de technologie, l'avantage de l'il)ternationalisation<br />

paraît évident. Des termes<br />

transparents dans toutes les langues!<br />

Finis les besoins de traduction. Mais pour<br />

les pays du Tiers-Monde, cette internationalisation<br />

n'est pas nécessairement un<br />

cadeau. Les termes d'origine gréco-latine<br />

n'ont pour eux que des motivations arbitraires.<br />

La multiplication des emprunts à<br />

l'anglais finit par tyranniser les langues<br />

d'accueil au point de les marginaliser,<br />

d'en faire des outils déficients d'expression.<br />

Les langues comme l'arabe, l'espagnol,<br />

le portugais et les langues nationales<br />

africaines: swahili, kinyarwanda,<br />

ouolof, entre autres, ne veulent pas être<br />

de simples démarquages des langues à<br />

grande diffusion. Le rôle de la terminologie<br />

dans la défense de l'intégrité des langues<br />

réceptrices de technologie apparaît<br />

bien tracé.<br />

Termia a été à cet égard le lieu de la<br />

confrontation de deux démarches contraires<br />

: la démarche a priori et systémique<br />

des écoles germanique et slave, qui<br />

établit une nomenclature à laquelle doit<br />

se conformer l'usage, et l'approche<br />

empirique et a posteriori de l'école canadienne,<br />

qui fait correspondre aux contenus<br />

notionnels des équivalents dans la<br />

langue d'arrivée; la première tend vers<br />

l'internationalisation, la seconde vers la<br />

natu ralisation.<br />

Une troisième démarche tente de se faire<br />

jour: celle de la traduction des termes à<br />

partir d'une langue véhiculaire. C'est en<br />

somme la systématisation du calque (la<br />

transposition en arabe de termes français<br />

par exemple). Les risques de cette<br />

démarche pour l'intégrité des langues ne<br />

sont pas moins grands que ceux de l'emprunt<br />

direct. Le calque reste une forme<br />

d'emprunt. Il véhicule un découpage de<br />

la réalité qui appartient à la langue véhiculaire.<br />

Son intégration au système<br />

emprunteur peut dénaturer ce dernier.<br />

Tout comme peut le faire une trop grande<br />

moisson d'emprunts. La langue alors<br />

peut devenir un instrument d'aliénation<br />

plus qu'un outil de développement.<br />

L'effort de production terminologique des<br />

pays du Tiers-Monde doit se situer dans<br />

une perspective globale d'aménagement<br />

linguistique où, sans exclure les ressources<br />

de l'emprunt et du calque, chaque<br />

système linguistique doit évoluer selon<br />

les lignes de force qui lui sont propres.<br />

Hors de l'informatique,<br />

point de salut?<br />

Dans tout ce brassage de conceptions<br />

et de pratiques divergentes, l'informatique<br />

a fait constamment surface; certains<br />

l'invoquent comme une solution « messianique<br />

", susceptible de tout résoudre<br />

et hors de laquelle il ne peut y avoir de<br />

salut terminologique.<br />

Les banques de terminologie étaient de<br />

nouveau à l'ordre du jour avec l'arsenal<br />

de leur quincaillerie faisant miroiter la<br />

conjuration du mythe de Babel. Mais il y<br />

a visiblement encore une certaine distance<br />

de la coupe des banques de terminologie<br />

aux lèvres des utilisateurs. Parce<br />

que tout est théoriquement possible, on<br />

évite de peser les contraintes énormes<br />

qui grèvent encore l'universalisation des<br />

banques comme outils de terminologie.<br />

Les banques ne résolvent ni les problèmes<br />

de la qualité des données à l'entrée,<br />

ni le coût des recherches à faire.<br />

Les solutions économiques à la manipulation<br />

des gigamasses de données ne<br />

sont pas trouvées non plus, ni les solutions<br />

« élégantes » à leur gestion. De fait,<br />

les banques ne sont qu'au seuil de leur<br />

fonctionnement opérationnel. C'est un<br />

peu leurrer le public que de lui faire croire<br />

le contraire.<br />

Il reste évident et incontestable que la<br />

terminologie de demain ne se fera pas<br />

sans le recours à l'informatique. Mais le<br />

gigantisme des superbanques offre-t-il<br />

bien la bonne solution? Les ressources<br />

de la microinformatique apparaissent de<br />

plus en plus séduisantes, tant du point<br />

de vue du coût que de celui des ressources.<br />

Les miniordinateurs sont d'ores et<br />

déjà capables de gérer un fonds terminologique<br />

important, répondant à des<br />

besoins bien identifiés, à l'intérieur d'une<br />

fourchette de coûts abordables. Il restera<br />

à développer des logiciels d'interface<br />

pour mettre ces minibanques en interconnexion.<br />

Tout cela est de l'ordre du<br />

possible et du faisable, sans risquer de<br />

tomber dans le tonneau des Danaïdes<br />

des superbanques.<br />

Le miroir d'un État social<br />

D'autres problèmes ont été soulevés relatifs<br />

aux rapports de force entre pays<br />

avancés et pays en développement, au<br />

coût de la terminologie, à la modicité des<br />

moyens dont on dispose face à l'ampleur<br />

des besoins et à la résistance des spécialistes<br />

à la naturalisation du vocabulaire<br />

dans chaque langue.<br />

L'avenir dira si la terminologie pourra<br />

relever tous ces défis. Les langues véhiculaires<br />

des technologies que sont l'anglais<br />

et le russe devront faire un effort<br />

pour respecter les langues de faible diffusion<br />

qu'elles desservent plutôt que de<br />

tenter de les étouffer. Quant aux langues<br />

de diffusion moyenne comme le français,<br />

l'allemand, l'espagnol et le japonais, elles<br />

devront se définir en face des deux<br />

géants, tout en comprenant les besoins<br />

des langues qui sont dans leur orbite.<br />

Dans ce contexte, il est difficile de soutenir<br />

que la terminologie n'a pas de dimension<br />

politique.<br />

Termia <strong>84</strong> a permis de toucher du doigt<br />

les besoins de la terminologie, les avenues<br />

qui s'offrent à elle et les difficultés<br />

qui jonchent le parcours. Les langues<br />

sont le miroir d'un État social. En terminologie,<br />

les « douleurs de croissance"<br />

ne sont pas moindres qu'en économie<br />

ou en politique. Raison de plus pour travailler<br />

ferme. ~<br />

18 • <strong>CI</strong>RCUIT - DÉCEMBRE 19<strong>84</strong>

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