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« Comme la majorité des longs métrages sont doublés à<br />
Paris, il ne fa':lt pas s'étonner que l'argot de la Ville lumière<br />
rende ceux de Brooklyn ou de San Francisco. »<br />
C'est justement ce texte qui fait problème.<br />
Disons d'abord qu'en raison de la<br />
vitesse de lecture nécessaire, on ne peut<br />
traduire qu'environ 70 % des dialogues.<br />
Cette vitesse varie selon les personne"'_<br />
un professeur et un ouvrier n'ayant<br />
nécessairement les mêmes habitudes e<br />
lecture. Ensuite, il faut bien avouer qu'un<br />
mot imprimé ne produit pas le même effet<br />
qu'un mot prononcé. La vue et l'ouïe sont<br />
deux sens différents et, selon des traités<br />
de psychologie, certaines personnes<br />
possèdent une mémoire auditive et d'autres,<br />
une mémoire visuelle. La perception<br />
d'un film sous-titré variera donc selon<br />
ces personnes. En outre, quel agacement<br />
de lire, comme pour le film En taxi aux<br />
toilettes de l'Allemand de l'Ouest Frank<br />
Ripploh, des fautes d'orthographe qui<br />
viennent gâcher le plaisir de voir une oeuvre<br />
intéressante.<br />
France. On avait rompu avec la tradition<br />
... et pourquoi pas?<br />
({ P't-être ben qu'oui,<br />
p't-être ben qu'non »<br />
La parole, comme chacun le sait, varie<br />
selon les personnes et les régions.<br />
Voyons ce qui se passe quand on veut<br />
doubler un film où la langue originale est<br />
parlée avec divers accents. Parce que<br />
les accents ajoutent de la couleur et du<br />
réalisme au film original, le doublage<br />
devrait les rendre. Si, d'une langue à l'autre,<br />
on peut facilement trouver un équivalent<br />
à un mot ou à une expression, il semble<br />
qu'il n'en soit pas de même pour<br />
l'accent.<br />
Par exemple, prenons un film où discutent<br />
un Australien, un Britannique et un<br />
Étatsunien ; chacun parle avec l'accent<br />
de son pays d'origine. Il paraîtrait vite ridicule,<br />
afin de conserver ces différences,<br />
de les doubler en français par un accent<br />
du Sénégal, de France et du Québec. Il<br />
n'y a pas d'équivalent à l'accent et c'est<br />
donc en francais international que s'exprimeront<br />
ces trois anglophones.<br />
Par contre, il arrive parfois que, par<br />
fidélité au film original, on donne un<br />
accent à un personnage afin de conserver<br />
l'effet comique; par exemple, dans<br />
Bandits, Bandits, film britannique de Terry<br />
8 • <strong>CI</strong>RCUIT - DÉCEMBRE 19<strong>84</strong><br />
Gilliam, Napoléon parle avec un accent<br />
vaguement italien alors qu'Agamemnon<br />
s'exprime en français international.<br />
Dans d'autres cas, il peut être nécessaire<br />
de différencier les accents. Ainsi, dans<br />
Nu de femme de Nino Manfredi, où un<br />
Romain va habiter à Venise, on a prêté<br />
un accent méridional au « petit peuple "<br />
vénitien pendant qu'on fait parler le<br />
Romain en francais international. La solution<br />
est-elle justifiée? On pourrait en<br />
débattre longuement.<br />
Nonobstant ces exceptions, il semble que<br />
l'oblitération des accents originaux soit<br />
la règle dans les doublages francophones.<br />
Au lieu d'opter pour des solutions<br />
discutables, on préfère éviter le problème.<br />
Toutefois, quel casse-tête pour<br />
l'adaptateur lorsqu'un personnage en<br />
reconnaît d'autres par leur accent!<br />
Et pourquoi ne<br />
pas sous-titrer ?<br />
Ils sont nombreux les articles qui s'opposent<br />
au doublage et qui réclament le<br />
sous-titrage afin que ne soit pas trahi<br />
un aspect important du film: les dialogues,<br />
rendus par d'excellents comédiens.<br />
Les sous-titres permettent ainsi de goûter<br />
toutes les nuances du jeu d'une Meryl<br />
Streep ou d'une Glenda Jackson; il suffit<br />
de lire le texte qui apparaît au bas de<br />
l'écran et d'écouter leur voix.<br />
Par ailleurs, un bon sous-titrage exige un<br />
synchronisme parfait; par exemple, dans<br />
Le goût de "eau, film du Néerlandais<br />
Orlow Seunke, un sous-titre est apparu<br />
en plein silence, deux ou trois secondes<br />
avant que le dialogue correspondant ne<br />
soit entendu: quelques rires sont venus<br />
soulager la salle qui attendait nerveusement<br />
qu'un acteur ouvre la bouche. Et<br />
qui ne s'est pas déjà arraché les yeux à<br />
essayer de distinguer des sous-titres<br />
blanc sur blanc, quand ils ne disparaissent<br />
pas tout à fait en raison d'un mauvais<br />
cadrage du projectionniste?<br />
même phénomène se produit très s<br />
vent à la télévision; il se trouve amplifie<br />
s'il s'agit d'un film tourné en cinémascope,<br />
car le passage au petit écran<br />
ampute les côtés de l'image.<br />
Média visuel par excellence, le cinéma<br />
peut-il supporter les sous-titres qui vien:<br />
nent rogner une partie de l'image? A<br />
quelle gymnastique auditive (écouter les<br />
dialogues originaux) et doublement<br />
visuelle (voir l'image et lire le texte) le<br />
sous-titrage ne contraint-il pas les spectateurs<br />
? Faut-il s'étonner alors que la<br />
plupart des gens préfèrent les films<br />
doublés et que l'on réserve les films soustitrés<br />
aux cinéphiles des salles d'art et<br />
d'essai?<br />
La solution...<br />
Que l'on double ou que l'on sous-titre, il<br />
y aura perte et trahison. Du point de vue<br />
artistique, on peut décider que, suivant<br />
le type de film, un sous-titrage conviendra<br />
mieux qu'un doublage. Du point de<br />
vue économique cependant, on optera,<br />
même si le sous-titrage se révèle moins<br />
coûteux, pour le doublage: c'est la<br />
méthode d'adaptation que réclame le<br />
grand public francophone. ~<br />
c<br />
• Yves Desroches est étudiant en traduction<br />
à l'Université de Montréal. Il travaille actuellement<br />
à la rédaction d'un mémoire de maîtrise<br />
sur le doublage.