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que Dieu éprouve sa créature.<br />
- On éprouve ceux qu’on aime.<br />
- Non. On protège ceux qu’on aime.<br />
- C’est de l’amour maternel, cela. C’est bon pour <strong>le</strong>s enfants. Dieu s’adresse à<br />
une humanité adulte.<br />
- Ah bon Alors, pourquoi Dieu se conduit-il de manière si infanti<strong>le</strong> Il est<br />
susceptib<strong>le</strong>, capricieux et revanchard.<br />
- Dans l’Ancien Testament. Dans <strong>le</strong> Nouveau, il est admirab<strong>le</strong>.<br />
- Jésus l’est. Dieu <strong>le</strong> fait crucifier.<br />
- Les hommes <strong>le</strong> crucifient.<br />
- Dieu considère que c’est <strong>le</strong> prix à payer pour <strong>le</strong> rachat des péchés. C’est un<br />
salaud et un boutiquier.<br />
- Vous devriez arrêter de blasphémer.<br />
- Pourquoi Qu’est-ce que je risque <br />
- Vous offensez Dieu.<br />
- Il m’offense aussi. S’il m’a créée à son image, j’ai <strong>le</strong>s mêmes droits que lui. Ce<br />
n’est pas vous qui me contredirez. Vous vous qualifiez de Dieu.<br />
- Uniquement quand j’aime.<br />
Là, Saturnine ne pouvait rien répondre. El<strong>le</strong> bifurqua :<br />
- Votre zarzuela, c’est trop bon. Je ne sais pas ce que ça donne avec <strong>le</strong> homard,<br />
mais avec <strong>le</strong>s asperges, c’est formidab<strong>le</strong>.<br />
- C’est parce que je refuse <strong>le</strong> concept de remplacement. Regardez : je suis<br />
tombé amoureux de vous. Vous êtes ma neuvième colocataire. Vous ne remplacez pas<br />
<strong>le</strong>s huit femmes qui vous ont précédée. Je continue de <strong>le</strong>s aimer. À chaque fois, l’amour<br />
est neuf. Il faudrait un verbe nouveau à chaque fois. Pourtant, <strong>le</strong> verbe « aimer »<br />
convient, car il y a une tension commune à toutes <strong>le</strong>s amours, que ce verbe est seul à<br />
exprimer.<br />
Saturnine l’entendait décrire son propre état sans cil<strong>le</strong>r.<br />
- Auparavant, du temps où vos parents étaient en vie, avez-vous aimé <br />
- Des ébauches. Le petit garçon, quand j’avais six ans, auquel j’avais offert<br />
l’argenterie familia<strong>le</strong>. Des flammes de cette espèce. Je <strong>le</strong> répète, il a fallu <strong>le</strong>s<br />
colocataires pour que je découvre l’amour, <strong>le</strong> vrai. À se demander comment procèdent<br />
<strong>le</strong>s autres. La colocation est sur ce point <strong>le</strong> schéma idéal, pour moi du moins.<br />
- Du vivant de votre père, auriez-vous pu instituer cela <br />
- Diffici<strong>le</strong>. À supposer qu’il m’y ait autorisé, je n’aurais sans doute pas osé. Il faut<br />
reconnaître que <strong>le</strong>s parents sont l’instance la plus anti-érotique du monde.<br />
Saturnine pensait que de tel<strong>le</strong>s considérations rendaient E<strong>le</strong>mirio de plus en plus<br />
suspect et constatait avec dépit qu’el<strong>le</strong> cherchait désormais à l’innocenter.<br />
- Je n’ai pas choisi l’asperge au hasard, dit don E<strong>le</strong>mirio. Vous ressemb<strong>le</strong>z à une<br />
asperge. Vous êtes longue et mince, votre parfum n’en évoque aucun autre, et rien sur<br />
terre n’éga<strong>le</strong> l’excel<strong>le</strong>nce de votre tête.<br />
Le compliment, qui l’aurait exaspérée la veil<strong>le</strong>, la troubla. Qu’il était odieux d’être<br />
amoureuse ! El<strong>le</strong> se sentait à vif, à la merci de tout. Quel<strong>le</strong> poisse ! El<strong>le</strong> se réfugia dans<br />
la flûte de champagne, en espérant que <strong>le</strong> vin ne diminuerait pas davantage ses<br />
défenses naturel<strong>le</strong>s.<br />
- Vous par<strong>le</strong>z peu, ce soir, dit-il.