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Lire le livre - Bibliothèque

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- Vous en prenez quand vous vou<strong>le</strong>z. Un conseil, dit-il encore. N’attendez pas<br />

d’avoir dégluti <strong>le</strong> caviar pour boire la vodka. L’idéal est de faire exploser <strong>le</strong>s petits œufs<br />

sous ses dents en <strong>le</strong>s mêlant à l’alcool glacé.<br />

El<strong>le</strong> s’appliqua à suivre <strong>le</strong> protoco<strong>le</strong> avec délice.<br />

- Vous avez raison, c’est infiniment meil<strong>le</strong>ur. À ce compte-là, nous finirons ivres<br />

morts.<br />

- La très sainte Russie nous y contraint, souligna don E<strong>le</strong>mirio.<br />

Saturnine se concentra sur son plaisir. Il n’y a pas plus excitant qu’un tel repas.<br />

Une demi-heure plus tard, el<strong>le</strong> se sentit la proie d’une euphorie extraordinaire.<br />

- Vous êtes riche, vous disposez d’un logement pharaonique au cœur de Paris,<br />

vous cuisinez bien, vous cousez comme une fée : vous seriez l’homme idéal, n’était<br />

votre… vice.<br />

- Le trafic des indulgences <br />

- Voilà, dit-el<strong>le</strong> en riant.<br />

- Parmi mes qualités, vous avez oublié de mentionner que je suis l’homme <strong>le</strong><br />

plus nob<strong>le</strong> du monde.<br />

- Je range ça au nombre de vos défauts. En soi, ça m’est égal, mais que vous en<br />

soyez si fier, c’est rédhibitoire. Avez-vous confectionné des vêtements pour chacune de<br />

vos femmes <br />

- Bien sûr. Penser un habit pour un corps et une âme, <strong>le</strong> couper, l’assemb<strong>le</strong>r,<br />

c’est l’acte d’amour par excel<strong>le</strong>nce.<br />

À la faveur de l’alcool, Saturnine avait baissé sa garde. El<strong>le</strong> <strong>le</strong> laissa par<strong>le</strong>r :<br />

- Chaque femme appel<strong>le</strong> un vêtement particulier. Il faut une suprême attention<br />

pour <strong>le</strong> sentir : il faut écouter, regarder. Surtout ne pas imposer ses goûts. Pour<br />

Émeline, ce fut une robe cou<strong>le</strong>ur de jour. Ce détail du conte Peau d’Âne l’obsédait.<br />

Encore fallait-il décréter de quel jour il s’agissait : un jour parisien, un jour chinois, et en<br />

quel<strong>le</strong> saison Je dispose ici du Catalogue universel des coloris, taxinomie établie en<br />

1867 par la métaphysicienne Amélie Casus Belli : une somme indispensab<strong>le</strong>. Pour<br />

Proserpine, ce fut un chapeau claque en dentel<strong>le</strong> de Calais. Je me suis arraché <strong>le</strong>s<br />

cheveux pour conférer à ce matériau fragi<strong>le</strong> la raideur, mais aussi la capacité<br />

d’escamotage que suppose <strong>le</strong> chapeau claque. J’ose dire que j’y ai réussi. Séverine,<br />

une Sévrienne un peu sévère, avait la délicatesse d’un Sèvres : j’ai créé pour el<strong>le</strong> la<br />

cape catalpa, dont l’étoffe avait <strong>le</strong> b<strong>le</strong>u subtil et <strong>le</strong> tombé des f<strong>le</strong>urs de cet arbre au<br />

printemps. Incarnadine était une fil<strong>le</strong> du feu : cette créature nervalienne méritait une<br />

veste flamme, véritab<strong>le</strong> pyrotechnie d’organdi. Quand el<strong>le</strong> la portait, el<strong>le</strong> m’incendiait.<br />

Térébenthine avait écrit une thèse sur l’hévéa. J’ai fondu un pneu pour en récupérer la<br />

substance ducti<strong>le</strong> et réaliser une ceinture-corse<strong>le</strong>t qui lui conférait un port admirab<strong>le</strong>.<br />

Mélusine avait <strong>le</strong>s yeux et la silhouette d’un serpent : je la complétai d’un fourreau sans<br />

manches, à col roulé, qui descendait jusqu’aux chevil<strong>le</strong>s. J’ai failli apprendre à jouer de<br />

la flûte pour la charmer, quand el<strong>le</strong> était ainsi vêtue. Albumine, pour des motifs que je<br />

ne crois pas devoir expliquer, fut la raison suffisante à l’existence d’un chemisier<br />

coquil<strong>le</strong> d’œuf au col meringue, en polystyrène expansé : une véritab<strong>le</strong> fraise. Je suis<br />

pour <strong>le</strong> retour de la fraise espagno<strong>le</strong>, il n’y a pas plus seyant. Quant à Digitaline, une<br />

beauté vénéneuse, j’ai inventé pour el<strong>le</strong> <strong>le</strong> gant mesureur. De longs gants de taffetas<br />

pourpre qui remontaient au-delà du coude et que j’avais gradués pour illustrer l’adage<br />

latin de Paracelse « Dosis sola facit venenum » : Seu<strong>le</strong> la dose fait <strong>le</strong> poison. Pourquoi

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