30.01.2015 Views

lien - OCL - Free

lien - OCL - Free

lien - OCL - Free

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

mai:CA 2/05/11 5:18 Page 26<br />

Révoltes arabes<br />

Algérie : chronique constantinoise<br />

Un désordre dépolitisé<br />

- Bonjour<br />

Bonjour Monsieur l’agent<br />

- Avez-vous vos autorisations<br />

Oui. J’ai tout déposé auprès du commissariat central.<br />

- Alors tout va bien. Et ça se passe bien.<br />

Hamdoullah. Les Constantinois sont vraiment accueillants !<br />

- Mais un peu fous.<br />

Tout le charme du peuple réside dans sa folie.<br />

- Ces derniers temps, dès qu’un policier s’approche d’un<br />

jeune, ce dernier le menace de s’immoler par le feu. C’est la<br />

mode de l’essence….c’est pour ça que je me balade avec une<br />

boite d’allumettes, me dira le policier en riant.<br />

Cet échange, empreint d’humour<br />

noir comme on entend<br />

souvent de la bouche des Algériens,<br />

je l’ai eu avec un<br />

agent de police. Il témoigne<br />

du climat qui règne entre les jeunes et les<br />

autorités. Au-delà de ce constat, les<br />

jeunes semblent avoir trouvé le langage<br />

idoine. Un bidon d’essence et on est libre<br />

de faire ce que l’on veut, me dira un jeune<br />

chômeur de 26 ans.<br />

Constantine, située à 350 Km à l’Est<br />

d’Alger et à 400 kilomètres à l’ouest de la<br />

frontière tunisienne est considérée<br />

comme la troisième ville d’Algérie. Une<br />

ville de près d’un million d’habitants, ce<br />

grand centre urbain, comme toutes les<br />

villes algériennes grouille de monde notamment<br />

de jeunes, femmes et hommes,<br />

désœuvrés. C’est très tôt que Constantine<br />

est prise d’assaut. Ça commerce dans tous<br />

les coins.<br />

J’emprunte le Pont du diable, j’ai le<br />

vertige et une pensée pour tous les opposants<br />

du bey, sous l’occupation ottomane<br />

mis dans des sacs en tissus et jetés par les<br />

ponts orgueilleux de cette ville dans les<br />

gorges du Rhummel. Au bout de ce Pont<br />

vibrant, il y a un très vaste ascenseur, véritable<br />

transport public. Je paie mon ticket<br />

et me mets au fond pour permettre à ce<br />

train vertical de se remplir. C’est bien<br />

rempli à présent. Un trentenaire dodu,<br />

celui-là même qui me remit mon ticket<br />

une minute plus tôt, essaye de pivoter sur<br />

son axe créant une vague dans la cabine,<br />

appuya sur le bouton et l’ascenseur se mit<br />

à monter. La sortie fut plus simple pour<br />

moi, c’est la porte opposée à l’entrée qui<br />

s’ouvrit et me jeta à Triq Jdida. En face, le<br />

fameux café Nedjma. Des amis m’en<br />

avaient parlé. Kateb Yacine, l’auteur de<br />

Nedjma y avait vécu pendant un certain<br />

temps. Je décide de remettre ma visite<br />

dans le café pour plus tard. Et pour cause,<br />

les dédales qui s’offraient à moi m’invitaient<br />

expressément à poursuivre ma flânerie.<br />

Des petites rues piétonnes, très<br />

vielles de la Souika. Des sandwicheries<br />

minuscules, des barbiers, des artisans, des<br />

boutiques tenues, très souvent, par des<br />

personnes âgées amatrices de Malouf,<br />

musique andalouse constantinoise. Je remonte<br />

par des petites rues jusqu’à ce que<br />

je croise un flux de gens d’une densité jamais<br />

vue, je l’apprendrai plus tard, c’est la<br />

rue du 19 Juin ( ex rue de France). La rue<br />

est bondée de monde, sans commune mesure<br />

avec tout ce que j’avais vu jusque là.<br />

Je patiente un certain temps et j’ai pu à un<br />

moment me mettre dans l’axe de la rue.<br />

Pour commerçante qu’elle soit, une telle<br />

densité de monde me semblait curieuse.<br />

De jeunes gens crient : 20 mille a madame,<br />

30 mille a madame…etc. Des étales<br />

jonchent la rue des deux côtés à même le<br />

bitume, bloquant ainsi l’accès aux magasins<br />

qui souvent vendent les mêmes produits.<br />

J’ai mis le temps qu’il faut, pas<br />

moins, pour sortir de cette rue, je tourne à<br />

gauche et suis presque d’instinct les rues<br />

descendantes. Une Place, très vaste, très<br />

bel héritage colonial. Des portraits géants<br />

de Bouteflika sont placardés sur les murs<br />

des administrations et même sur les façades<br />

d’entreprises privées, c’est probablement<br />

un zèle de l’administration<br />

locale, me dis-je. Personne ne croit ici au<br />

caractère autocratique du système algérien.<br />

Renseignements pris, ces portrait<br />

géant avaient été placardés il y a bien<br />

longtemps, en plein centre de Constantine<br />

hyper sécurisé, ce qui explique leur<br />

pérennité. me dira un jeune constantinois.<br />

Là aussi des attroupements, juste en<br />

face du théâtre de Constantine attirent<br />

mon attention et, renseignements pris, ce<br />

sont des jeunes qui vendent de l’Euro et<br />

du Dollar. Ce phénomène n’est guère nouveau<br />

si ce n’est que cela se fait à présent<br />

à proximité de policiers en tenue.<br />

J’ai pris contact avec un avocat, Monsieur<br />

Ben Ayoub et j’ai eu quelques explications<br />

qui me seront confirmés par les<br />

témoignages recueillis dans la rue<br />

constantinoise.<br />

La rue du 19 Juin a été prise d’assaut<br />

au lendemain de la chute de Ben Ali en Tunisie.<br />

Les flics avaient effectué plusieurs<br />

descentes pour les disperser. En vain. Les<br />

jeunes contrebandiers ont été unanimes,<br />

tous ont répondu : Nous partirons si vous<br />

nous obligez, mais nous sommes armés<br />

de jerricans d’essence et nous sommes<br />

bien décidés à mettre le feu si rien ne<br />

nous est offert en contre partie. Les flics<br />

ont eu le loisir de vérifier le caractère sérieux<br />

de la menace ce qui a poussé les<br />

pouvoirs publiques à adopter une attitude<br />

timorée en attendant que la situation se<br />

calme. Un recensement a été fait et des locaux<br />

commerciaux ont été promis aux<br />

jeunes. La préfecture de Constantine a<br />

promis une exonération d’impôts à tous<br />

les commerçants légaux de l’Ex rue de<br />

France.<br />

L’Etat Algérien semble éviter toute<br />

provocation, de l’avis même des agents de<br />

police, nous sommes assis sur une poudrière.<br />

Un langage commun intelligible<br />

semble s’établir entre la jeunesse et l’Etat<br />

Algérien, car les informations qui me parviennent<br />

d’autres régions font état des<br />

mêmes phénomènes. « L’Etat Algérien a<br />

érigé la corruption en mode de gouvernance,<br />

Il doit sa survie et sa force à la<br />

rente pétrolière, c’est donc logique que les<br />

jeunes adoptent le seul langage que ce<br />

pouvoir comprend : le langage de l’essence,<br />

c’est du pétrole » me dira maître<br />

Ben Ayoub.<br />

Il reste que le langage de l’essence est<br />

assez commode pour le pouvoir Algérien.<br />

Il y a une clémence soudaine envers tout<br />

ce qui est informel. Les forces de l’ordre<br />

sont d’une clémence frisant l’assistance,<br />

-à la hauteur de la férocité dont elles ont<br />

fait preuve pendant les années 90- envers<br />

les contrevenants au code de la route, le<br />

commerce illégal ou les petits trafics. Il<br />

n’en est pas de même pour les mouvements<br />

sociaux et politisés. Ainsi toutes les<br />

manifestations revendiquant des revalorisations<br />

de salaires ont été chargées par<br />

les forces de répression. Les syndicats autonomes<br />

sont pistés, intimidés et réprimés<br />

sans retenue aucune, comme ce fut<br />

le cas lors de la marche pacifique étudiante<br />

à El Mouradia près du siège de la<br />

présidence à Alger. Elle se soldat de plusieurs<br />

blessés graves, mais les étudiant<br />

26<br />

courant alternatif - n°210 - mai 2011

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!