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mai:CA 2/05/11 5:17 Page 19<br />
Répression<br />
Qu’est ce qui a changé entre la publication<br />
de ton livre en 1989 sur l’antiterrorisme<br />
et 2011 <br />
Serge Quadruppani :<br />
Plusieurs choses ont changé.<br />
D'abord, les capacités de contrôle se<br />
sont surmultipliées avec le développement<br />
des fichiers, de la traçabilité, notamment<br />
la traçabilité ADN, tout<br />
comme les téléphones portables qui<br />
sont de véritables petits espions personnels.<br />
Il y a eu un développement des<br />
capacités de contrôle qui sont incomparables<br />
par rapport à ce qui existait pourtant<br />
déjà en 1989. Mais la question<br />
quand je parle de capacité de contrôle,<br />
c'est qui contrôle En réalité, il ne faut<br />
pas avoir une vision ultra-monolithique<br />
de l'Etat. On peut dire que l'Etat fonctionne<br />
en réseau et que celui-ci est<br />
assez informel par certains cotés... Les<br />
contrôleurs sont incontrôlables et ne savent<br />
même pas eux même ce qu'ils<br />
contrôlent et par qui ils sont contrôlés.<br />
Prenons l'exemple des fichiers avec la<br />
tendance à l'interconnexion généralisée...<br />
Savoir qui a accès à tel fichier en<br />
passant par tel autre devient un casse<br />
tête presque impossible d'autant qu'il<br />
n'y a aucun système qui est vraiment<br />
étanche, qu'il y a des logiques autonomes<br />
parce que d’une part il peut y<br />
avoir celle des services de police, mais<br />
ceux-ci se concurrencent entre eux, et<br />
d'autre part il y a une tendance très<br />
nette à la privatisation qui fait qu'une<br />
bonne partie des taches de sécurité sont<br />
fait par des gens qui n'ont pas tout à fait<br />
une logique étatique et que pourtant ces<br />
gens là peuvent être amenés à utiliser<br />
des systèmes de contrôle et de surveillance<br />
qui sont uniquement du ressort de<br />
l'état mais qu'ils piratent, ou qu'ils aient<br />
des complicités ou leur propre matériel.....<br />
Donc ce qui est fascinant, c'est<br />
qu'on a une société de contrôle de<br />
moins en moins centralisée, d'une certaine<br />
manière, c'est à dire qu'il y a effectivement<br />
des services centralisés<br />
mais on a l'impression qu'il y a une logique<br />
qui échappe... qu'il n'y a pas de<br />
chef ultime dans ce système. En même<br />
temps, on peut dire aussi que s'il n'y a<br />
pas de chef ultime dans le sens de<br />
quelqu'un qui détient tous les boutons,<br />
il y a des personnages qui ont à la fois<br />
un pouvoir institutionnel et médiatique,<br />
au premier rang desquels, Sarkozy qui<br />
est une espèce de personnage qui incarne<br />
une idéologie, qui incarne le néolibéralisme,<br />
l’oligarchie décomplexée et<br />
avec cet espèce de discours permanent,<br />
arrogant, de l'obligation de résultat qui<br />
entraine en cascade toute une série de<br />
comportements à la fois des comportements<br />
imitatifs, de peur et de désir d'en<br />
rajouter... On est frappé de voir que souvent,<br />
beaucoup de gens agissent en petits<br />
adjudants du sarkozysme , c’est à<br />
dire qu'ils veulent se distinguer en en<br />
rajoutant par apport aux consignes du<br />
chef. C'est un phénomène très courant<br />
dans les structures autoritaires et qu'on<br />
voit à l'œuvre... Bon, on ne va pas utiliser<br />
la rhétorique des heures les plus sombres<br />
de notre histoire parce qu'elle est<br />
complètement inadéquate mais il n'en<br />
reste pas moins que la figure du criminel<br />
de bureau comme Hannah Arendt a<br />
pu en parler à propos de Eichmann, ça<br />
reste un modèle... Il y a de tous petits<br />
Eichmann partout dans les administrations,<br />
depuis les préfets qui veulent à<br />
tout prix atteindre leur quota d'expulsions<br />
jusqu'aux gens qui prennent des<br />
initiatives aux guichets pour s'en prendre<br />
à des sans papiers, jusqu'aux voisins<br />
vigilants qui dans le programme de la<br />
gendarmerie sont chargés d'espionner,<br />
de faire en sorte que tout le monde espionne<br />
tout le monde. Ce qui a changé,<br />
c'est qu'il y a un développement exponentiel<br />
des formes de contrôle mais estce<br />
que ces formes de contrôle sont<br />
contrôlées et est-ce qu'elles contrôlent<br />
réellement, ça, c'est toute la question.<br />
Peut-on parler de Warfare par rapport<br />
à la période actuelle <br />
Depuis le 11 septembre, on pourrait<br />
appeler warfare ce secteur économique<br />
(production militaire et des moyens de<br />
contrôle) et le modèle idéologique. Mais<br />
à mon avis ce modèle est déjà en crise.<br />
Puisque ce qui le met en crise, ce sont<br />
les révolutions arabes. Elles viennent<br />
démentir quelques uns des présupposés<br />
sur lesquels reposait le warfare avec<br />
l'idée sous jacente du choc des civilisations<br />
puisque finalement le terrible islamiste<br />
qui se cachait derrière n'importe<br />
quel passant de la rue arabe s'est révélé<br />
quelqu'un qui aspirait plutôt au contrôle<br />
de sa vie, à la rappropriation de sa propre<br />
vie et qu'il aspirait avant tout à rejeter<br />
le despotisme et ces despotes qui<br />
étaient censés être des remparts contre<br />
l'islamisme et qu'on n'a pas beaucoup<br />
vu d'islamistes dans ces révolutions...<br />
Alors ce qui est sûr, c'est que les puissances<br />
occidentales tentent de contrôler<br />
ces mouvements de diverses façons<br />
et qu'il n'est pas impossible que comme<br />
elles l'ont déjà joué plusieurs fois, les islamistes<br />
les aident à en reprendre un<br />
contrôle. Mais en tous les cas, le modèle<br />
du warfare était déjà en crise avant, de<br />
plusieurs manières d'abord parce que la<br />
régression générale du droit de la forme<br />
de civilisation qui existait depuis les Lumières,<br />
depuis le 18 ème siècle, cette régression<br />
générale, comme par exemple<br />
l'interdiction générale de la torture qui<br />
a été abandonnée très ouvertement avec<br />
des arguties juridiques ridicules, cette<br />
régression a quand même provoqué un<br />
choc en retour, y compris au sein des populations<br />
occidentales et d'autre part<br />
sur le plan économique, le warfare a entrainé<br />
un surendettement du principal<br />
fauteur de trouble de la planète, les Etats<br />
Unis, et a aggravé une forme de déséquilibre<br />
qui n'est pas tenable à la<br />
longue. Le principal débiteur de la planète,<br />
sont les Etats unis et en même<br />
temps ils sont le shérif. Et le shérif qui<br />
doit du fric à tout le monde, au bout<br />
d'un moment, c'est une situation très<br />
étrange... On ne sait pas trop encore<br />
comment elle va se résoudre mais elle a<br />
manifesté ses limites. C'est clair que les<br />
Etats unis ne peuvent plus décider d'intervenir<br />
comme ils veulent, quand ils<br />
veulent comme ils l'avaient affirmé au<br />
moment de la guerre d'Iraq. Ce qui est<br />
intéressant, c'est qu'il n'y a pas vrai-<br />
(2) Serge Quadruppani,<br />
La politique<br />
de la peur,<br />
Seuil, 2011<br />
(3) Serge Quadruppani,<br />
Un<br />
coupable idéal :<br />
Knobelspiess,<br />
Maurice Nadeau,<br />
1985<br />
(4) L’antiterrorisme<br />
en France,<br />
ou la terreur intégrée,<br />
La Découverte,<br />
1989<br />
courant alternatif - n°210 - mai 2011<br />
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