Janvier 2011 - numéro spécial Pierre Lafitte - Église Catholique d ...

Une histoire algérienne
bles guerres de religion, on continue de vivre et de rire, d’aimer. L’autre jour,
j’étais à l’hôpital voir un malade de 22 ans, corps disloqué, grave maladie neurologique
inconnue. J’embrasse Naïma. Elle me dit : « La vie est belle ». Naïma
symbole de cette Algérie éclatée. Mais je crains qu’il faudra lui apprendre, à
vivre pendant très longtemps, ce corps déchiré, à refaire ces gestes simples qui
sauront lui rendre l’honneur, l’honneur de l’homme d’abord et puis si possible,
dans très longtemps l’honneur de la tribu.
Et pendant ce temps, je balaye, je fais le marché, j’essaie de faire bon accueil,
toutes choses insignifiantes accomplies pas toujours dans les meilleures conditions
de lucidité sur le présent ou de nette perspective .Mais cela est la question
des mois qui viennent.
1994 à Jacques et Michelle
Le drame que nous vivons relativise dans l’absolu les épisodes de la quotidienneté
mais je suis encore à même de partager vos joies et vos soucis. C’est d’ailleurs
ce que je tâche de faire au jour le jour, me refusant d’être inhibé par ce
déchaînement de force brutale. Absurdité d’un choc qui, après le délire d’un
désir extrême d’exclusion de l’autre, devra bien faire place à un consensus.
Quel sera-t-il Pour l’instant, nous n’en savons rien mais il viendra. Même au
travers de victoires totales, telles celles de Franco ou d’Hitler ; l’autre nié, haï,
trahi, a refait surface parce qu’il était aussi parcelle de vie de leur peuple et
peut-être même l’espérance fondamentale de ces peuples. Mais combien de
souffrances a-t-il fallu, combien de pleurs, combien de rage.
Nous en sommes encore et pour longtemps sans doute au choc fractal. Les seules
capacités de nuisance et de terreur sont libérées parce qu’aucun des deux
camps n’a la raison et le droit dans la lutte et ne peuvent donc persuader et audelà
convaincre. Je paraphrase Unamuno mais nous n’avons pas d’Unamuno .
Étonnant silence des hommes de culture, qu’elle soit à base religieuse ou humaniste.
Rien. Et pourtant de multiples voix, de multiples actes traduisent le
dégoût et le refus mais aucun n’a l’ampleur suffisante, aucun ne se fait entendre
au-delà des cercles des intimes.
1994 à Pantxika
Tu dois être horrifiée, comme nous, encore une fois, par ce que tu viens d’entendre.
Paradoxalement, il me semble que l’onde de choc se fait sur place
moins prégnante, l’habitude de l’horreur le disputant à l’impuissance et à l’incompréhension.
Personne ici, ne sait que faire et c’est bien la pire des situations
en dehors de celle des villageois sous la menace continuelle d’un éventuel
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