Rue de la Folie - Le Fourneau
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<strong>Le</strong> <strong>Fourneau</strong> vécu par Vincent Dréano<br />
Paru partiellement dans <strong>la</strong> revue "<strong>Rue</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> folie"<br />
juin 2000<br />
<strong>Le</strong> nom du <strong>Fourneau</strong><br />
C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> verse le café dans les tasses. <strong>Le</strong> nom du <strong>Fourneau</strong>, dit-il, ça vient <strong>de</strong>s <strong>Fourneau</strong>x<br />
Economiques fondés dans pas mal <strong>de</strong> villes <strong>de</strong> France, au début du siècle, pour lutter contre<br />
l'alcoolisme sur les lieux <strong>de</strong> travail…<br />
C'est lui, C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Morizur, qui a trouvé le nom du <strong>Fourneau</strong> pour <strong>la</strong> Fabrique <strong>de</strong> Brest; <strong>la</strong> raison pour<br />
<strong>la</strong>quelle il a un peu <strong>de</strong> mal à en parler. Mon grand-père, quand il rentrait le soir <strong>de</strong> <strong>la</strong> pyrotechnie <strong>de</strong><br />
St Nico<strong>la</strong>s, il nous par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> ce qui se racontait au <strong>Fourneau</strong>. Pour moi, c'est <strong>de</strong>venu un lieu<br />
mythique, un peu mystérieux, où se racontaient les histoires, et où se liaient les vies <strong>de</strong>s rues.<br />
J'aime sa pu<strong>de</strong>ur au moment d'avouer : "Je viens d'un milieu ouvrier."<br />
<strong>Le</strong>s Grains <strong>de</strong> <strong>Folie</strong><br />
A l'origine, Michèle Bosseur et C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Morizur sont <strong>de</strong>s instituteurs. Inscrits fortement dans <strong>la</strong> vie<br />
associative <strong>de</strong> leur ville, le Relecq-Kerhuon, près <strong>de</strong> Brest. Avec leur ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> copains, ils y créent<br />
au début <strong>de</strong>s années 80 un festival d'artisanat d'art qui accueillera plus <strong>de</strong> 50 000 personnes en 1987.<br />
Ayant invité <strong>de</strong>s compagnies <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong> rue au cours <strong>de</strong> ce festival, ils imaginent alors une gran<strong>de</strong><br />
fête inhabituelle, qui commence à 4 heures du matin et qui dure 24 heures. C'est <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong>s<br />
"Grains <strong>de</strong> <strong>Folie</strong>" et c'est <strong>la</strong> rencontre fondatrice <strong>de</strong> Jean Raymond Jacob et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Compagnie<br />
Oposito <strong>de</strong> <strong>la</strong> Seine Saint Denis avec <strong>la</strong>quelle ils ne cessent <strong>de</strong> tisser <strong>de</strong>s liens. Reconduits à <strong>la</strong><br />
frontière <strong>de</strong> leur ville d'origine, ils parviennent à trouver d'autres lieux pour continuer <strong>la</strong> fête.<br />
"Grains <strong>de</strong> folie", c'était une gran<strong>de</strong> p<strong>la</strong>te-forme expérimentale très riche, très fructueuse, très<br />
novatrice. <strong>Le</strong>s compagnies travail<strong>la</strong>ient ensemble. <strong>Le</strong>s complicités qui se créaient autour <strong>de</strong> notre<br />
fête se retrouvaient dans d'autres villes. Il y a dans l'expression du visage <strong>de</strong> Michèle comme un<br />
regret.<br />
C'est avec les compagnies que nous avons décidé d'arrêter les "Grains <strong>de</strong> <strong>Folie</strong>". <strong>Le</strong>s arts <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue<br />
avaient évolué, ils bénéficiaient d'une certaine reconnaissance. Et il <strong>de</strong>venait nécessaire <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r<br />
un vrai lieu <strong>de</strong> création. Nous décidons alors en 1993 <strong>de</strong> prendre possession d'un ancien entrepôt<br />
inoccupé sur le port <strong>de</strong> commerce. La municipalité a fini par admettre. Cette même année où <strong>Le</strong><br />
Ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> Culture é<strong>la</strong>bore son p<strong>la</strong>n d'intervention pour les Arts <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Rue</strong>, qui comprend <strong>la</strong><br />
création <strong>de</strong>s fabriques.<br />
<strong>Le</strong> Port <strong>de</strong> Commerce<br />
<strong>Le</strong> 11 Novembre 1994, c'est à six heures du matin, avec 120 artistes, que nous avons allumé le<br />
<strong>Fourneau</strong>, ici, au port <strong>de</strong> commerce, dans un entrepôt désaffecté. Ce sont les artistes, les créateurs,<br />
les compagnies <strong>de</strong> rues qui nous donnent une légitimité.<br />
Et les yeux <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> se mettent à briller. <strong>Le</strong> port <strong>de</strong> commerce, c'est <strong>la</strong> ville d'en bas, le Brest <strong>de</strong>s<br />
dockers, <strong>de</strong>s compagnies maritimes. Ca a un côté très pratique, dit Michèle. <strong>Le</strong> matériel, les grues,<br />
les entreprises, tout est à proximité… Je <strong>de</strong>vine qu'elle souhaite poursuivre.<br />
Et puis les entreprises du port <strong>de</strong> commerce s'i<strong>de</strong>ntifient a ce qui est fabriqué au <strong>Fourneau</strong>. Ce sont<br />
eux qui ont baptisé l'arène métallique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Compagnie Off, en l'appe<strong>la</strong>nt - Fleur <strong>de</strong> Rouille - <strong>Le</strong>s<br />
gens du port, les portuaires, comme on dit, donnent à notre travail une valeur inestimable. <strong>Le</strong> port<br />
<strong>de</strong> commerce fonctionne comme un petit vil<strong>la</strong>ge, tout le mon<strong>de</strong> s'y connaît. <strong>Le</strong>s passerelles sont<br />
naturelles. Nous avons besoin <strong>de</strong> cette proximité. La rue, elle est ici, elle commence ici…
<strong>Le</strong> coin <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue<br />
C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> se lève et m'invite à le suivre. Nous nous retrouvons rapi<strong>de</strong>ment à visiter <strong>la</strong> fabrique, le<br />
nouveau <strong>Fourneau</strong> qui ressemble à <strong>la</strong> rue. <strong>Le</strong>s peintures, réalisées par Cyril Corre, ce sont <strong>de</strong>s<br />
joueurs <strong>de</strong> boule sur une p<strong>la</strong>ce, un vélo posé contre <strong>la</strong> vitrine d'une épicerie, une mouette sur une<br />
cheminée. Et puis, <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ques <strong>de</strong> rues décrochées <strong>de</strong>s murs du Vieux <strong>Fourneau</strong>, <strong>de</strong>s enseignes<br />
d'hôtel ou encore un vrai car qui sert <strong>de</strong> bureau aux compagnies rési<strong>de</strong>ntes.<br />
C'est ici le lieu <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s artistes, dit C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, ce qui ne bouge pas. Tout le reste est mo<strong>de</strong><strong>la</strong>ble selon<br />
les besoins. Plus loin, il me désigne en effet ce qu'ils nomment le "coin Del@rue, (ils aiment bien<br />
surbaptiser les lieux) avec, son grand remuménage. Une paire <strong>de</strong> coussinets <strong>de</strong> velours rouge. Des<br />
tiges <strong>de</strong> fer souples qui s'accumulent sur l'établi auprès <strong>de</strong> gaines <strong>de</strong> caoutchouc (et <strong>de</strong>s bouts <strong>de</strong><br />
pneus. Une malle d'osier que recouvre <strong>de</strong> <strong>la</strong> sciure fine). Un canapé vert, dont les manches dénudées<br />
<strong>la</strong>issent apercevoir le carton et qui trône à côté d'un cheval pour enfant en p<strong>la</strong>stique b<strong>la</strong>nc. On<br />
entend <strong>de</strong>s marteaux : <strong>de</strong>s gradins <strong>de</strong> bois qui se consoli<strong>de</strong>nt.<br />
Cet espace est conçu vraiment comme un lieu <strong>de</strong> fabrique, dit Michèle, les compagnies y sont très<br />
libres. Elles peuvent tacher le sol, les murs, donner du bruit. En ce moment, nous hébergeons les<br />
"26000 Couverts". Ils démontent leur décor pour pouvoir jouer <strong>de</strong>vant le public <strong>la</strong> semaine<br />
prochaine. Michèle a le sourire qui donne au bout du mon<strong>de</strong> une gran<strong>de</strong>ur.<br />
Nous tenons à ce que chaque compagnie rési<strong>de</strong>nte rencontre le public, même si le travail qui a été<br />
réalisé n'est pas terminé. Cette rencontre doit donner lieu à une confrontation enrichissante. Elle<br />
peut s'effectuer dans le lieu du <strong>Fourneau</strong>, mais pas obligatoirement. Nous bénéficions <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
proximité d'un parc à chaînes sur lequel les spectacles sont possibles.<br />
(Michèle désigne le vaste hangar dans lequel nous pénétrons maintenant. La semaine prochaine,<br />
tout sera vi<strong>de</strong> ici. Pour quelques temps. En fait, ajoute-t-elle, nous nous <strong>la</strong>issons toujours <strong>de</strong>s temps<br />
<strong>de</strong> vacuité, parce que nous voulons être disponible aux compagnies qui auront vraiment besoin <strong>de</strong><br />
nous. Cultiver le vi<strong>de</strong>, c'est peut-être ce<strong>la</strong> le plus difficile. Parce que le <strong>Fourneau</strong> pourrait être plein<br />
à longueur d'année).<br />
Un pôle <strong>de</strong> création<br />
C'est en 1997 que nous avons commencé ce que nous avons appelé les chantiers <strong>de</strong> création.<br />
"Transhumance" <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie Oposito, en col<strong>la</strong>boration avec les fabriques <strong>de</strong> Noisy, Chalon sur<br />
Saône, Sotteville-les-Rouen, en a été le premier. Cette politique <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce s'est i<strong>de</strong>ntifié à partir<br />
98-99, quand nous avons investi le Nouveau <strong>Fourneau</strong>. Aujourd'hui, nous accueillons <strong>de</strong>ux à trois<br />
gran<strong>de</strong>s compagnies dans l'année et cinq à six petites. Nous sommes très attentifs aux créations nées<br />
en Bretagne, mais nous hébergeons <strong>de</strong>s compagnies qui viennent <strong>de</strong> <strong>la</strong> France entière, avec un<br />
éventail le plus <strong>la</strong>rge possible. <strong>Le</strong> choix <strong>de</strong>s rési<strong>de</strong>nces résulte toujours d'une rencontre avec les<br />
artistes. Il faut que leur projet soit <strong>de</strong> qualité et d'une re<strong>la</strong>tive maturité. <strong>Le</strong>s objectifs <strong>de</strong> travail, au<br />
cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> rési<strong>de</strong>nce, doivent être précis : <strong>de</strong>s décors à construire, <strong>de</strong>s répétitions à peaufiner. De<br />
notre côté, nous faisons tout ce qu'il faut pour rendre <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> ce travail possible. On sent, à<br />
<strong>la</strong> voix <strong>de</strong> Michèle, qu'elle souhaite insister là-<strong>de</strong>ssus. Une fabrique, dit-elle, ce n'est pas seulement<br />
un toit, une surface, mais c'est lier, sou<strong>de</strong>r, confronter les idées, trouver <strong>de</strong>s solutions !<br />
Un pôle <strong>de</strong> diffusion<br />
A partir <strong>de</strong> 91, dit-elle encore, <strong>la</strong> mairie <strong>de</strong> Brest nous a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> préparer ce qui s'est appelé les<br />
"Jeudis du Port". Puis à Mor<strong>la</strong>ix, le Festival <strong>de</strong>s Arts <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Rue</strong>, tous les mercredis d'été. Chaque<br />
ville a un espace particulier avec <strong>de</strong>s singu<strong>la</strong>rités qu'il faut connaître et exploiter. Au cours <strong>de</strong> ces<br />
journées d'été, nous ne faisons pas qu'un simple travail <strong>de</strong> programmation <strong>de</strong>s artistes, nous<br />
réécrivons <strong>la</strong> ville comme un espace <strong>de</strong> liberté et <strong>de</strong> jeu.<br />
Cet espace public <strong>de</strong> liberté, reprend C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, notre rôle, c'est <strong>de</strong> l'inventer. Parce que nous voulons
endre les projets <strong>de</strong>s artistes possibles, créer <strong>de</strong>s circu<strong>la</strong>tions nouvelles d'œuvres, parce que nous<br />
avons cette exigence <strong>de</strong> ne pas tomber dans l'animatoire, <strong>de</strong> ne pas <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> simples opérateurs<br />
d'adjoint au maire qui se croient tout permis sous prétexte qu'il finance. Travailler dans l'espace<br />
public, ça <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'obstination, c'est difficile. Nous sommes <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> fusibles. Avec ce que<br />
ce<strong>la</strong> comporte <strong>de</strong> fragilité, même si <strong>la</strong> DRAC Bretagne vient <strong>de</strong> nous attribuer le statut <strong>de</strong> "scène<br />
conventionnée" avec une spécificité "Arts <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Rue</strong>" et nous exprime ainsi un signe fort <strong>de</strong> soutien.<br />
Nos <strong>de</strong>stinations, dit Michèle, notamment avec Oposito et Transhumance, nous ont amenés à<br />
AdisAbeba, Weimar, Johannesburg, Edinburg. Tout en continuant dans ces directions multiples,<br />
dans les <strong>de</strong>ux ou trois années à venir, nous souhaitons établir <strong>de</strong>s conventions avec les petites villes<br />
du nord <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bretagne, entre les Pays <strong>de</strong> Brest et <strong>de</strong> Mor<strong>la</strong>ix, où se pose <strong>la</strong> question <strong>de</strong><br />
l'aménagement culturel du territoire.<br />
Un pôle <strong>de</strong> ressources<br />
L'espace multimédia du <strong>Fourneau</strong> jouxte le bureau <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> et Michèle. J'y rencontre Yffic<br />
Cloarec. Ingénieur en Informatique, il souhaitait créer un site internet. En octobre 1997, il propose à<br />
C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> et Michèle d'y raconter l'histoire <strong>de</strong>s Grains <strong>de</strong> <strong>Folie</strong>, auxquels il a participé en tant que<br />
spectateur anonyme. C'est l'époque où l'association n'a plus <strong>de</strong> toit. Avec Yffic, il se sont inventés<br />
un nouvel hébergement sous forme <strong>de</strong> site.<br />
Et puis, très vite, <strong>la</strong> compagnie Oposito, partie en Ethiopie pour créer un spectacle "Rhinocéros 98",<br />
<strong>la</strong>isse apparaître <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> créer un journal <strong>de</strong> bord, mis en ligne chaque semaine sur le site du<br />
<strong>Fourneau</strong>.<br />
L'histoire du <strong>Fourneau</strong> s'écrit désormais au présent, sur le site, qui se développe rapi<strong>de</strong>ment. Il<br />
contient aujourd'hui plus <strong>de</strong> 1000 pages, et accueille d'autres compagnies : Oposito, Décor Sonore.<br />
Et chaque rési<strong>de</strong>nt bénéficie d'une <strong>de</strong>mi-journée <strong>de</strong> formation.<br />
<strong>Le</strong> net, au <strong>Fourneau</strong>, c'est bien sûr <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> formation pour les artistes rési<strong>de</strong>nts, un outil <strong>de</strong><br />
promotion pour les compagnies <strong>de</strong> rue. Mais Yffic Cloarec souhaite également les inciter à <strong>la</strong><br />
création sur Internet, ainsi que couvrir les événements festifs dans <strong>la</strong> ville à l'occasion <strong>de</strong>s festivals<br />
d'été, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> web-trotteurs, en col<strong>la</strong>boration avec les maisons <strong>de</strong> quartiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville.<br />
<strong>Le</strong> <strong>Fourneau</strong> ayant en outre obtenu l'appel<strong>la</strong>tion d'Espace Culture Multimédia, chacun peut<br />
maintenant venir se connecter librement.<br />
<strong>Le</strong> Web est un nouvel espace public. Plus <strong>de</strong> 500 personnes se connectent quotidiennement sur le<br />
site du <strong>Fourneau</strong>, qui s'invente chaque jour <strong>de</strong> nouveaux terrains <strong>de</strong> jeu.<br />
Sur le web, les arts <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue sont encore dans <strong>la</strong> rue.<br />
C'est C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> qui a parlé.<br />
Et les crêpes...<br />
Jean-Michel s'approche <strong>de</strong> moi et se penche, pour changer.<br />
Ta crêpe, tu <strong>la</strong> veux andouille ou champignons béchamel <br />
Jean-Michel était là pour terminer les gradins <strong>de</strong>s 26 000 Couverts pendant que d'autres, toutes<br />
générations confondues, au bureau, remplissaient <strong>de</strong>s enveloppes en riant. Ils font partie <strong>de</strong> ce qu'on<br />
appelle ici les "Proches Du<strong>Fourneau</strong>".<br />
C'est le soir <strong>de</strong>s crêpes, qui rassemble tout le mon<strong>de</strong>, pour fêter, comme chaque fois, le départ du <strong>la</strong><br />
Compagnie rési<strong>de</strong>nte. C'est le soir <strong>de</strong>s doux ca<strong>de</strong>aux d'adieu, tandis que C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>, les lunettes sur <strong>la</strong><br />
tête, un peu fatigué, peut-être, reste <strong>de</strong>bout, immobile, comme un phare. Jean-Michel qui gar<strong>de</strong> un<br />
souvenir ému <strong>de</strong> Thérèse, <strong>la</strong> poule Mélomane <strong>de</strong>s Tournées Fournel, découvre sous son fichu,
accrochée ferme à son socle, et attraction du port, sa cousine, Denise, moule pétomane.<br />
Michèle me parle <strong>de</strong> tous ceux qui sont là. Elle veut me dire quelques mots sur le vrai gardien du<br />
<strong>Fourneau</strong>, l'autre Yffic. Sa façon <strong>de</strong> soulever son chapeau <strong>de</strong>vant les dames importantes. De<br />
proposer du poisson frais aux artistes.<br />
Je comprends, à l'entendre, que C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> appelle ce<strong>la</strong> une "aventure <strong>de</strong> citoyens passionnés" et ce que<br />
les compagnies trouvent <strong>de</strong> si singulier au <strong>Fourneau</strong>. Je comprends pourquoi Pierre Berthelot <strong>de</strong><br />
Générik Vapeur définit l'endroit comme "un lieu d'aisance artistique". Je comprends, après les<br />
déménagements successifs, les galères, le désespoir, pourquoi Michèle dit qu'elle a l'impression<br />
d'avoir vécu plusieurs vies, et qu'elle est fière d'avoir survécu. Je saisis, un instant, toute leur<br />
obstination, et leur chaleur, cette beauté. Et je n'ose plus poser <strong>de</strong> questions.