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Apprendre ou pratiquer le français avec Jacques BREL - WBI

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L’artiste<br />

Pol Vandromme dit en parlant de <strong>Jacques</strong> Brel : « Brel a l’instinct du poète, il n’en a pas <strong>le</strong>s<br />

moyens […] Il fait des chansonnettes, parce que <strong>le</strong> poème chez lui reste à l’état d’ébauche »<br />

(P. Vandromme, 1977, p. 41). Les textes qu’il écrit sont accessib<strong>le</strong>s, ses mots sont limpides et sa<br />

syntaxe, simp<strong>le</strong>. « Un débutant en langue française peut vite comprendre son sty<strong>le</strong> » (O. Todd,<br />

1984, p. 141). Brel lui-même ne se définit pas comme un poète, qui se cache derrière son<br />

œuvre, mais comme un chanteur, un homme qui s’exhibe devant un micro et un public,<br />

propulsé dans <strong>le</strong>s chansons par la musique. C’est donc grâce à cette union fusionnel<strong>le</strong> entre la<br />

mélodie et <strong>le</strong>s textes que Brel, auteur-compositeur-interprète, a percuté <strong>le</strong>s f<strong>ou</strong><strong>le</strong>s. « Brel<br />

musicien serait quelconque, poète, il serait moyen ; auteur-compositeur de textes et de musique<br />

faits p<strong>ou</strong>r s’entrelacer dans des millions de tête, il est grandiose » (J-F Kahn, préface de L.<br />

Bérimont, G. Zarate, Brassens, Gréco, Montand, M<strong>ou</strong>l<strong>ou</strong>dji chantent <strong>le</strong>s poètes, Paris, Hachette<br />

/ Ministère des Relations Extérieures, 1982).<br />

Ainsi ne conçoit-il pas l’enregistrement d’un disque sans avoir testé au préalab<strong>le</strong> ses chansons<br />

lors des concerts : c’est sur scène qu’il peut ressentir <strong>le</strong>s textes et la musique, <strong>le</strong>ur donner corps,<br />

travail<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ur interprétation <strong>avec</strong> un art ép<strong>ou</strong>st<strong>ou</strong>flant : « dès qu’il amène au public une chanson<br />

n<strong>ou</strong>vel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s gestes qu’il improvise, <strong>le</strong>s attitudes spontanées, jamais préméditées précisent son<br />

état d’esprit <strong>ou</strong>, comme il préfère <strong>le</strong> dire, l’état d’esprit du gars qui chante » (F. Brel et A. Sallée,<br />

Brel, Solar, 1988, p. 91).<br />

Il a besoin du public p<strong>ou</strong>r mode<strong>le</strong>r ses chansons et assurer ainsi <strong>le</strong> maximum de chances de<br />

réussite au disque : « Contrairement au t<strong>ou</strong>r de chant qui est un enfant mort-né, un disque c’est<br />

un vrai môme : s’il est raté, il v<strong>ou</strong>s <strong>le</strong> reprochera t<strong>ou</strong>te sa vie », <strong>Jacques</strong> Brel (cité par F. Brel et A.<br />

Sallée, Brel, Solar, 1988, p. 47).<br />

Voilà p<strong>ou</strong>rquoi <strong>le</strong> concert est p<strong>ou</strong>r lui une véritab<strong>le</strong> épreuve physique au c<strong>ou</strong>rs de laquel<strong>le</strong> il<br />

donne t<strong>ou</strong>t de lui-même, perdant 500 à 600 grammes d’eau en une heure de temps. Il a <strong>le</strong> trac<br />

en c<strong>ou</strong>lisse, comme t<strong>ou</strong>t artiste avant de rentrer en scène. Il se bat sur scène, comme un boxeur<br />

sur <strong>le</strong> ring. Il ne veut d’ail<strong>le</strong>urs jamais répondre aux rappels. Il compare <strong>le</strong> spectac<strong>le</strong> à un véritab<strong>le</strong><br />

combat : quand l’arbitre désigne <strong>le</strong> vainqueur, cela n’a plus aucun sens que <strong>le</strong>s combattants<br />

reprennent la lutte.<br />

P<strong>ou</strong>r écrire ses textes, Brel s’inspire de sa vie, de ses expériences personnel<strong>le</strong>s et de ses rêves :<br />

personnages, ambiance, scénario sortent de son imagination n<strong>ou</strong>rrie d’une observation<br />

attentive, fine, lucide, tendre et corrosive des gens. Certains thèmes l’obsèdent et constituent <strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>itmotiv de son œuvre : <strong>le</strong> temps et <strong>le</strong>s marques qu’il laisse sur <strong>le</strong> corps (Les vieux), <strong>le</strong> mépris<br />

des femmes (Made<strong>le</strong>ine, Mathilde, Les bonbons), l’am<strong>ou</strong>r presque impossib<strong>le</strong> (Ne me quitte<br />

pas, Quand on n’a que l’am<strong>ou</strong>r, La chanson des vieux amants), l’enfance et <strong>le</strong>s rêves qui s’y<br />

accrochent (Fils de ..., Isabel<strong>le</strong>, La quête), <strong>le</strong> voyage et l’aventure (Une i<strong>le</strong>, Les Marquises), <strong>le</strong>s<br />

racines et <strong>le</strong> terroir (Le plat pays, Il neige sur Liège, Bruxel<strong>le</strong>s) et <strong>le</strong>s situations humaines du<br />

quotidien, dramatisées (Jef, La bière, Amsterdam) <strong>ou</strong> t<strong>ou</strong>rnées en dérision (Les b<strong>ou</strong>rgeois,<br />

Ves<strong>ou</strong>l).<br />

P<strong>ou</strong>r expliciter au mieux ses textes, il cherche une musique aux rythmes et aux c<strong>ou</strong><strong>le</strong>urs<br />

multip<strong>le</strong>s, capab<strong>le</strong>s de raconter par <strong>le</strong>s notes et <strong>le</strong> choix des instruments ce que <strong>le</strong>s mots<br />

expriment sur la feuil<strong>le</strong> blanche. Le texte prend t<strong>ou</strong>t son sens <strong>avec</strong> la musique : il « nait, vit,<br />

grandit, jaillit, explose » <strong>avec</strong> el<strong>le</strong> ("Petite musicologie brélienne" dans F. Brel et A. Sallée, Brel,<br />

Solar, 1988).<br />

Quelques instruments, à forte va<strong>le</strong>ur symbolique, sont d’ail<strong>le</strong>urs privilégiés par Brel : la guitare,<br />

<strong>le</strong> piano, <strong>le</strong> violon et l’accordéon. La guitare est <strong>le</strong> premier et unique instrument de <strong>Jacques</strong> Brel,<br />

celui du nomade par excel<strong>le</strong>nce, celui de l’artisan, du chanteur de rue et de la fête improvisée.<br />

Par contraste, <strong>le</strong> piano est un instrument de sédentaire, voire « un meub<strong>le</strong> de décoration<br />

b<strong>ou</strong>rgeoise » (O. Todd, 1984, p. 200), propice à l’expression de sentiments romantiques et<br />

passionnés. Le violon incarne plutôt un état de grâce, une émotion poétique, une sensation de<br />

merveil<strong>le</strong>ux. Enfin, l’accordéon, moins classique que <strong>le</strong>s autres, suggère lui aussi la fête, mais la<br />

fête populaire où la f<strong>ou</strong><strong>le</strong> se retr<strong>ou</strong>ve p<strong>ou</strong>r rire <strong>ou</strong> p<strong>ou</strong>r p<strong>le</strong>urer (O. Todd, 1984, pp. 200-201).<br />

Chaque chanson a donc sa propre orchestration inspirée par <strong>le</strong> texte de la chanson. Ainsi, Brel<br />

choisit des c<strong>ou</strong><strong>le</strong>urs plutôt romantiques, que l’on retr<strong>ou</strong>ve dans des comédies musica<strong>le</strong>s, p<strong>ou</strong>r<br />

des chansons tel<strong>le</strong>s que Isabel<strong>le</strong> <strong>ou</strong> Une i<strong>le</strong>, alors que Ne me quitte pas et Le plat pays s’inspirent<br />

davantage de la musique de chambre <strong>ou</strong> Les b<strong>ou</strong>rgeois, d’une java. Certaines œuvres sont par<br />

contre atypiques et tota<strong>le</strong>ment origina<strong>le</strong>s, comme Les Marquises dominée par <strong>le</strong>s instruments à<br />

cordes.<br />

Les inspirations varient, de même que <strong>le</strong>s rythmes. Quand on n’a que l’am<strong>ou</strong>r suit un rythme<br />

relativement entrainant ; Ves<strong>ou</strong>l, La bière et Fils de suivent <strong>le</strong> rythme d’une valse plus <strong>ou</strong> moins<br />

<strong>le</strong>nte, ce qui n’est pas <strong>le</strong> cas de Bruxel<strong>le</strong>s <strong>ou</strong> Made<strong>le</strong>ine dont <strong>le</strong>s rythmes sont très rapides et<br />

deviennent même galopants dans Mathilde. P<strong>ou</strong>r mieux emporter l’auditeur <strong>avec</strong> lui, Brel va<br />

même jusqu’à adopter un système de crescendo, accélérant <strong>le</strong> rythme de la chanson selon une<br />

dramatisation efficace, comme dans Amsterdam.<br />

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