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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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Si on insiste, et si l’on dit que le cultivateur ne connaît que le prix-courant du marché, et<br />

ne saurait prévoir, comme l’administration, les besoins futurs du peuple, on peut répondre<br />

que l’un des talents des producteurs, talent que leur intérêt les oblige de cultiver avec soin,<br />

est non seulement de connaître, mais de prévoir les besoins 138 .<br />

Lorsqu’à une autre époque, on a forcé les particuliers à planter des betteraves ou du<br />

pastel dans des terrains qui produisaient du blé, on a causé un mal du même genre ; et je<br />

ferai remarquer, en passant, que c’est un bien mauvais calcul que de vouloir obliger la zone<br />

tempérée à fournir des produits de la zone torride. Nos terres produisent péniblement, en<br />

petite quantité et en qualités médiocres, des matières sucrées et colorantes qu’un autre<br />

climat donne avec profusion<br />

139<br />

; mais elles produisent, au contraire, avec facilité, des fruits,<br />

des céréales, que leur poids et leur volume ne permettent pas de tirer de bien loin. Lorsque<br />

nous condamnons nos terres à nous donner ce qu’elles produisent avec désavantage, aux<br />

dépens de ce qu’elles produisent plus volontiers ; lorsque nous achetons par conséquent fort<br />

cher ce que nous paierions à fort bon marché si nous le tirions des lieux où il est produit<br />

avec avantage, nous devenons nous-mêmes victimes de notre propre folie. Le comble de<br />

l’habileté est de tirer le parti le plus avantageux des forces de la nature, et le comble de la<br />

démence est de lutter contre elles ; car c’est employer nos peines à détruire une partie des<br />

forces que la nature voudrait nous prêter.<br />

On dit encore qu’il vaut mieux payer plus cher un produit, lorsque son prix ne sort pas du<br />

pays, que de le payer moins cher lorsqu’il faut l’acheter au dehors. Mais qu’on se reporte<br />

aux procédés de la production que nous avons analysés : on y verra que les produits ne<br />

s’obtiennent que par le sacrifice, la consommation d’une certaine quantité de matières et de<br />

services productifs, dont la valeur est, par ce fait, aussi complètement perdue pour le pays<br />

140<br />

que si elle était envoyée au dehors .<br />

Je ne présume pas qu’un gouvernement quelconque veuille objecter ici que le profit<br />

résultant d’une meilleure production lui est indifférent, puisqu’il devient le partage des<br />

particuliers ; les plus mauvais gouvernements, ceux qui séparent leurs intérêts des intérêts<br />

de la nation, savent maintenant que les revenus des particuliers sont la source où se puisent<br />

les tributs du fisc ; et que, même dans les pays gouvernés despotiquement ou militairement,<br />

et où les impôts ne sont qu’un pillage organisé, les particuliers ne peuvent payer qu’avec ce<br />

qu’ils gagnent.<br />

138 On sent bien que, dans la circonstance d’une ville assiégée, d’un pays bloqué, et dans tous les cas où<br />

l’administration a des moyens que n’ont pas les particuliers, de prévoir les extrémités où l’on peut être réduit, on<br />

ne doit pas se conduire d’après les règles ordinaires. Aux violences qui troublent la marche naturelle des choses,<br />

on doit quelquefois opposer des moyens violents, quelque fâcheuse que soit d’ailleurs cette nécessité, de même<br />

que la médecine emploie avec succès les poisons comme remède ; mais il faut, dans l’un et l’autre cas, beaucoup<br />

de prudence et d’habileté pour les administrer.<br />

139 M. de Humboldt a remarqué que sept lieues carrées de terrain, dans les contrées équinoxiales, fournissent<br />

tout le sucre que la France a jamais consommé dans les temps de sa plus grande consommation.<br />

140 On verra également plus loin, dans ce même chapitre, que l’achat des produits au-dehors donne à la<br />

production intérieure précisément le même encouragement que l’achat des produits de l’intérieur. Dans<br />

l’exemple qui nous occupe, je suppose qu’on eût planté et recueilli du vin au lieu de sucre de betteraves ou<br />

d’indigo de pastel, on eût par là encouragé au même degré l’industrie agricole et intérieure ; mais comme on<br />

aurait sollicité un produit plus analogue au climat, avec la quantité de vin produite, on aurait obtenu par le<br />

commerce, fût-ce même par l’intermédiaire du commerce des ennemis, plus de sucre ou d’indigo des îles que<br />

n’en a produit notre terrain. Le sucre et l’indigo des îles, obtenus en échange de nos vins, auraient, en résultat,<br />

été produits sous forme de vin dans nos terres ; seulement la même quantité de terre en aurait donné de meilleurs<br />

et de plus abondants : du reste, l’encouragement de l’industrie intérieure aurait été le même ; il eût été supérieur,<br />

parce qu’un produit supérieur en valeur paie plus amplement le service des terres, des capitaux, de l’industrie,<br />

employés à sa production.

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