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Traité d'économie politique - Institut Coppet

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Les exemples pourraient se multiplier à l’infini, et tous se fondraient par nuances les uns<br />

dans les autres, comme les êtres naturels que le naturaliste sépare néanmoins en différentes<br />

classes pour avoir plus de facilité à les décrire.<br />

L’erreur fondamentale où sont tombés les économistes, et que je montre avoir été<br />

partagée même par leurs antagonistes, les a conduits à d’étranges conséquences. Selon eux,<br />

les manufacturiers et les négociants, ne pouvant rien ajouter à la masse commune des<br />

richesses, ne vivent qu’aux dépens de ceux qui seuls produisent, c’est-à-dire, des<br />

propriétaires et des cultivateurs des terres ; s’ils ajoutent quelque valeur aux choses, ce n’est<br />

qu’en consommant une valeur équivalente qui provient des véritables producteurs ; les<br />

nations manufacturières et commerçantes ne vivent que du salaire que leur paient les<br />

nations agricoles ; ils donnent pour preuve que Colbert ruina la France parce qu’il protègea<br />

les manufactures, etc.<br />

Le fait est que, quelle que soit l’industrie qu’on exerce, on vit des profits qu’on fait en<br />

vertu de la valeur ou portion de valeur, quelle qu’elle soit, qu’on donne à des produits. La<br />

valeur tout entière des produits sert de cette manière à payer les gains des producteurs. Ce<br />

n’est pas le produit net seulement qui satisfait aux besoins des hommes ; c’est le produit<br />

brut, la totalité des valeurs créées 54 .<br />

Une nation, une classe d’une nation, qui exercent l’industrie manufacturière, ou<br />

commerciale, ne sont ni plus ni moins salariées que d’autres qui exercent l’industrie<br />

agricole. Les valeurs créées par les unes ne sont pas d’une autre nature que les valeurs<br />

créées par les autres. Deux valeurs égales se valent l’une l’autre, quoiqu’elles proviennent<br />

de deux industries différentes ; et quand la Pologne change sa principale production, qui est<br />

du blé, contre la principale production de la Hollande, qui se compose de marchandises des<br />

deux-Indes, ce n’est pas plus la Pologne qui salarie la Hollande que ce n’est la Hollande qui<br />

salarie la Pologne.<br />

Cette Pologne, qui exporte pour 10 millions de blé par an, fait précisément ce qui, selon<br />

les économistes, enrichit le plus une nation ; et cependant elle reste pauvre et dépeuplé.<br />

C’est parce qu’elle borne son industrie à l’agriculture, tandis qu’elle devrait être en même<br />

temps manufacturière et commerçante : elle ne salarie pas la Hollande ; elle serait plutôt<br />

salariée par elle pour fabriquer, si je peux m’exprimer ainsi, chaque année pour 10 millions<br />

de blé. Elle n’est pas moins dépendante que les nations qui lui achètent son blé ; car elle a<br />

autant besoin de le vendre que ces nations ont besoin de l’acheter 55 .<br />

Enfin, il n’est pas vrai que Colbert ait ruiné la France. Il est de fait, au contraire, que,<br />

sous l’administration de Colbert, la France sortit de la misère où l’avaient plongée deux<br />

régences et un mauvais règne. Elle fut, à la vérité, ensuite ruinée de nouveau ; mais c’est au<br />

faste et aux guerres de Louis XIV qu’il faut imputer ce malheur, et les dépenses mêmes de<br />

ce prince prouvent l’étendue des ressources que Colbert lui avait procurées. Elles auraient, à<br />

la vérité, été plus grandes encore, s’il eût protégé l’agriculture autant que les autres<br />

industries.<br />

54 On a objecté ici que ce sont les produits eux-mêmes et non leur valeur, qualité abstraite, qui satisfont aux<br />

besoins des hommes. Cela va sans dire ; mais l’auteur devait mettre ici la valeur, parce qu’il suffit que la valeur<br />

soit produite pour que l’échange procure le produit qui doit être consommé. Ce n’est pas le blé qui est venu sur<br />

ma terre que je consomme ; c’est sa valeur. Mon fermier l’a troqué contre de l’argent ; il m’a apporté cet argent,<br />

que j’ai ensuite troqué contre les objets qui m’étaient nécessaires ; ce n’était donc pas le blé qui a été produit qui<br />

a satisfait à mes besoins.<br />

55 On verra plus tard que si une nation devait passer pour être salariée par une autre, ce serait la plus<br />

dépendante ; et que la plus dépendante n’est pas celle qui manque de terres, mais celle qui manque de capitaux.

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