Traité d'économie politique - Institut Coppet
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Ainsi, lorsque Raynal a dit du commerce, l’opposant à l’agriculture et aux arts : le<br />
commerce ne produit rien par lui-même, il ne s’était pas formé une idée complète du<br />
phénomène de la production. Raynal a commis dans cette occasion, relativement au<br />
commerce, la même erreur que les économistes relativement au commerce et aux<br />
manufactures. Ils disaient : l’agriculture seule produit ; Raynal prétend que l’agriculture et<br />
les arts industriels seuls produisent. Il se trompe un peu moins, mais se trompe encore.<br />
Condillac s’égare aussi lorsqu’il veut expliquer de quelle manière le commerce produit.<br />
Il prétend que toutes les marchandises, valant moins pour celui qui les vend que pour celui<br />
qui les achète, elles augmentent de valeur par cela seul qu’elles passent d’une main dans<br />
une autre. C’est une erreur ; car une vente étant un échange où l’on reçoit une marchandise,<br />
de l’argent, par exemple, en retour d’une autre marchandise, la perte que chacun des<br />
contractants ferait sur l’une des deux, compenserait le gain qu’il ferait sur l’autre, et il n’y<br />
aurait point dans la société de valeur produite par le commerce 51 . Lorsqu’on achète à Paris<br />
du vin d’Espagne, on donne bien réellement valeur égale pour valeur égale : l’argent qu’on<br />
paie et le vin qu’on reçoit valent autant l’un que l’autre ; mais le vin ne valait pas autant<br />
avant d’être parti d’Alicante ; sa valeur s’est véritablement accrue entre les mains du<br />
commerçant, par le transport, et non pas au moment de l’échange ; le vendeur ne fait point<br />
un métier de fripon, ni l’acheteur un rôle de dupe, et Condillac n’est point fondé à dire que<br />
si l’on échangeait toujours valeur égale pour valeur égale, il n’y aurait point de gain à<br />
faire pour les contractants 52 .<br />
Dans certains cas, les autres industries produisent d’une façon analogue à celle du<br />
commerce, en donnant une valeur à des choses auxquelles elles n’ajoutent absolument<br />
aucune qualité nouvelle que celle de les approcher du consommateur. Telle est l’industrie<br />
du mineur. Le métal et la houille existent dans la terre aussi complets qu’ils peuvent l’être,<br />
et ils y sont sans valeur. Le mineur les en tire, et cette opération, les rendant propres à<br />
l’usage, leur donne une valeur. Il en est ainsi du hareng : dans la mer, hors de l’eau, c’est le<br />
même poisson ; mais sous cette dernière forme il a acquis une utilité, une valeur qu’il<br />
53<br />
n’avait pas .<br />
Le comte de Verri est, à ma connaissance, le premier qui ait dit en quoi consistaient le principe et le fondement<br />
du commerce. Il a dit en 1771 : « Le commerce n’est réellement autre chose que le transport des marchandises<br />
d’un lieu à un autre. » (Meditazioni sulla Economia politica, § 4.) Le célèbre Adam Smith lui-même semble<br />
n’avoir pas une idée bien nette de la production commerciale. Il exclut seulement l’opinion qu’il y a production<br />
de valeur par le fait de l’échange.<br />
51 C’est à quoi M. de Sismondi n’a pas fait attention lorsqu’il a dit : « Le commerce se plaça entre le<br />
producteur et le consommateur pour rendre service à l’un et à l’autre, et se faire payer ce service par l’un et par<br />
l’autre. » (Nouveaux principes d’Économie <strong>politique</strong>, livre II, ch. 8.) Il semblerait que le commerçant ne vit que<br />
sur les valeurs produites par l’agriculteur et le manufacturier, tandis qu’il vit sur une valeur réelle ajoutée par lui<br />
aux marchandises, en leur donnant une façon de plus, une faculté de servir. Ce préjugé est le même que celui qui<br />
soulève la populace contre les négociants en grains.<br />
52 Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l’un à l’autre, Ière partie, chap. 6.<br />
53 On peut considérer comme exerçant des industries du même genre celui qui laboure les terres, celui qui élève<br />
des bestiaux, celui qui abat des arbres, et même celui qui pêche des poissons qu’il n’a point fait naître, ou qui<br />
puise dans les entrailles de la terre les métaux, les pierres, les combustibles que la seule nature y a déposés ; et,<br />
pour ne pas multiplier les dénominations, on désigne toutes ces occupations par le nom d’industrie agricole,<br />
parce que la culture des champs est la plus importante de toutes. Les mots sont de peu d’importance, une fois que<br />
les idées sont bien comprises. Le vigneron qui presse son raisin fait une opération mécanique, qui tient de plus<br />
près aux arts manufacturiers qu’aux arts agricoles. Qu’on le nomme manufacturier ou agriculteur, peu importe,<br />
pourvu que l’on conçoive de quelle façon son industrie ajoute à la valeur d’un produit. Il y a, si l’on veut, une<br />
multitude d’industries, en considérant toutes les manières possibles de donner de la valeur aux choses ; et, en<br />
généralisant tout à fait, il n’y en a qu’une seule, puisque toutes se réduisent à se servir des matières et des agents<br />
fournis par la nature, pour en composer des produits susceptibles d’être consommés.