Traité d'économie politique - Institut Coppet
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société, de l’usage qu’on en peut faire, ainsi que des conséquences qui résultent de ces faits<br />
divers, compose la science qu’on est maintenant convenu d’appeler l’ économie <strong>politique</strong>.<br />
La valeur que les hommes attachent aux choses, a son premier fondement dans l’usage<br />
qu’ils en peuvent faire. Les unes servent d’aliments, les autres de vêtements ; d’autres nous<br />
défendent de la rigueur du climat, comme les maisons ; d’autres, telles que les ornements,<br />
les embellissements, satisfont des goûts qui sont une espèce de besoin. Toujours est-il vrai<br />
que si les hommes attachent de la valeur à une chose, c’est en raison de ses usages : ce qui<br />
43<br />
n’est bon à rien, ils n’y mettent aucun prix .<br />
Cette faculté qu’ont certaines choses de pouvoir satisfaire aux divers besoins des<br />
hommes, qu’on me permette de la nommer utilité.<br />
Je dirai que créer des objets qui ont une utilité quelconque, c’est créer des richesses,<br />
puisque l’utilité de ces choses est le premier fondement de leur valeur, et que leur valeur est<br />
44<br />
de la richesse .<br />
Mais on ne crée pas des objets : la masse des matières dont se compose le monde, ne<br />
saurait augmenter ni diminuer. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de reproduire ces<br />
matières sous une autre forme qui les rende propres à un usage quelconque qu’elles<br />
n’avaient pas, ou seulement qui augmente l’utilité qu’elles pouvaient avoir. Alors il y a<br />
création, non pas de matière, mais d’utilité ; et comme cette utilité leur donne de la valeur, il<br />
y a production de richesses.<br />
C’est ainsi qu’il faut entendre le mot production en économie <strong>politique</strong>, et dans tout le<br />
cours de cet ouvrage. La production n’est point une création de matière, mais une création<br />
d’utilité. Elle ne se mesure point suivant la longueur, le volume ou le poids du produit, mais<br />
suivant l’utilité qu’on lui a donnée.<br />
De ce que le prix est la mesure de la valeur des choses, et de ce que leur valeur est la<br />
mesure de l’utilité qu’on leur a donnée, il ne faudrait pas tirer la conséquence absurde qu’en<br />
faisant monter leur prix par la violence, on accroît leur utilité. La valeur échangeable, ou le<br />
prix, n’est une indication de l’utilité que les hommes reconnaissent dans une chose,<br />
qu’autant que le marché qu’ils font ensemble n’est soumis à aucune influence étrangère à<br />
43 Ce n’est pas ici le lieu d’examiner si la valeur que les hommes attachent à une chose est proportionnée ou<br />
non à son utilité réelle. La juste appréciation des choses dépend du jugement, des lumières, des habitudes, des<br />
préjugés de ceux qui les apprécient. Une saine morale, des notions précises sur leurs véritables intérêts,<br />
conduisent les hommes à une juste appréciation des vrais biens. L’économie <strong>politique</strong> considère cette<br />
appréciation comme un fait, et laisse à la science de l’homme moral et de l’homme en société le soin de les<br />
éclairer et de les diriger sur ce point comme dans les autres actes de la vie.<br />
44 Le traducteur anglais de cet ouvrage (M. Prinsep) me reproche en cet endroit, et en plusieurs autres, de<br />
n’avoir pas fait entrer, parmi les éléments de la production des richesses, les difficultés de l’exécution des<br />
produits (the difficulties of attainment). Il ne s’aperçoit pas que ce qu’il appelle de ce nom est la même chose que<br />
ce que je nomme plus loin les frais de production ; car ces frais ne sont que le prix qu’il faut payer pour<br />
surmonter les difficultés de l’exécution.<br />
Il est très vrai que le prix courant d’un produit ne saurait, d’une manière suivie, tomber au-dessous des frais de<br />
sa production ; personne alors ne voudrait contribuer à sa création ; mais ce ne sont pas les frais que l’on fait<br />
pour le produire qui déterminent le prix que le consommateur consent à y mettre : c’est uniquement son utilité ;<br />
car on aurait beau surmonter d’immenses difficultés pour produire un objet inutile, personne ne consentirait à les<br />
payer. Quand vous présentez un vase au-devant d’une fontaine, ce ne sont pas les bords du vase qui amènent<br />
l’eau dont il se remplit, quoique ce soient les bords du vase qui empêchent le niveau du liquide de baisser audessous<br />
d’une certaine hauteur.<br />
On verra plus tard que c’est la même fausse conception de l’origine des valeurs qui sert de fondement à la<br />
doctrine de David Ricardo sur le revenu des terres (the rent of land). Il prétend que ce sont les frais qu’on est<br />
obligé de faire pour cultiver les plus mauvaises terres qui font qu’on paie un fermage pour les meilleures, tandis<br />
que ce sont les besoins de la société qui font naître la demande des produits agricoles et en élèvent le prix assez<br />
haut pour que les fermiers trouvent du profit à payer au propriétaire le droit de cultiver sa terre.